B. L'ADAPTATION ET LA DIFFÉRENCIATION, LEITMOTIV DE LA DÉLÉGATION

1. Une réflexion de long terme sur l'avenir institutionnel des outre-mer

Dans la continuité du rapport sur la différenciation territoriale outre-mer de Michel Magras de septembre 2020, la délégation a poursuivi ses travaux sur ce thème dans la perspective d'une révision constitutionnelle.

Le lundi 13 décembre 2021, la délégation a ainsi entendu Justin Daniel, professeur de science politique, et Carine David, professeur de droit public, à l'Université des Antilles, et membres du Laboratoire Caribéen de Sciences Sociales (LC2S), auteurs de l'ouvrage « 75 ans de départementalisation outre-mer, Bilan et perspectives de l'uniformité à la différenciation » (septembre 2021), dans le cadre du suivi de l'étude de la délégation sur la différenciation territoriale outre-mer.

Elle a ensuite tenu une réunion conjointe avec l'Association des juristes en droit des outre-mer (AJDOM) le 29 juin 20225(*). À la suite de cet événement, la délégation a décidé de procéder à une actualisation du rapport de Michel Magras, afin de tenir compte des changements électoraux intervenus depuis septembre 2020 et des conséquences de l'appel de Fort-de-France du 17 mai 2022.

D'octobre à décembre 2022, la délégation a ainsi auditionné en réunion plénière l'ensemble des présidents des exécutifs ultramarins, ainsi que des représentants du monde économique. Lors de la semaine du Congrès des maires, la rencontre au Sénat avec les maires ultramarins a aussi permis d'échanger sur le thème des institutions6(*).

En février 2023, à l'issue de ces travaux très riches, Stéphane Artano et Micheline Jacques, co-rapporteurs, ont remis leur rapport sur l'évolution institutionnelle des outre-mer.

Si un consensus se dégage sur les constats, il ne permet pas de dessiner des solutions communes.

Trois scénarios ont été dessinés pour mettre les outre-mer au coeur de la fabrique de la loi et répondre aux aspirations des territoires, avec un objectif : faire de la différenciation la règle et mettre les institutions au service de l'efficacité des politiques publiques.

Chaque scénario passe par une indispensable révolution des méthodes.

Le premier scénario est celui du statu quo constitutionnel. Ce scénario n'est pas privilégié.

Si, en revanche, une révision constitutionnelle se confirmait, elle devrait se traduire :

- soit par des aménagements du Préambule ainsi que des articles 73 et 74 de la Constitution, pour offrir de nouveaux outils juridiques ;

- soit par un cadre constitutionnel rénové pour les outre-mer qui passerait par la réunion des articles 73 et 74 de la Constitution, afin de dépasser cette dichotomie historique et permettre la définition de statuts sur mesure pour ceux des territoires ultramarins qui le souhaiteraient.

Le rapport souligne que ce cadre constitutionnel rénové n'obligerait pas les territoires à changer de statut. Il serait permissif, sans être prescriptif. Le temps constitutionnel doit être distingué du temps institutionnel.

En outre, la délégation a participé au groupe de travail « Décentralisation » présidé par Gérard Larcher, entre octobre 2022 et juillet 2023. Le groupe de travail a rendu son rapport le 6 juillet 2023. Il appelle notamment à « rénover le cadre constitutionnel des outre-mer pour dépasser l'opposition entre assimilation et spécialisation législatives et adapter les facultés de différenciation des collectivités aux besoins de chaque territoire » (proposition n° 5 du rapport)7(*).

Le président Stéphane Artano a également été auditionné par la délégation aux collectivités territoriales, le 4 mai 2023, sur l'avenir institutionnel des outre-mer.

2. L'impact sur les outre-mer des politiques européennes

L'importance que revêt la dimension européenne pour les outre-mer, économies aux marchés étroits et éloignées du continent européen, a conduit depuis l'origine la délégation à exercer une grande vigilance sur l'impact des politiques communautaires, en particulier la politique commerciale.

Il est à noter que 5 membres de la délégation sur 42 sont membres de la commission des affaires européennes (contre 3 lors du précédent triennat).

Après l'adoption par l'Union européenne de son cadre financier pluriannuel 2021-2027, la délégation a échangé, le 2 février 2021, avec Stéphane Bijoux, député européen, dans le cadre de la préparation de son rapport sur la stratégie européenne à l'égard des régions ultrapériphériques (RUP). Estimant que si la « bataille budgétaire » a globalement été remportée, Stéphane Bijoux a fait part de sa détermination à promouvoir les RUP comme de « véritables régions d'utilité publique », estimant que des progrès restent à accomplir pour « mettre les RUP au centre de l'action européenne et non plus à sa périphérie ».

Par ailleurs, une table ronde s'est tenue, le 10 mai 2023, conjointement avec la commission des affaires européennes, sur l'accompagnement européen des RUP et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), notamment dans la perspective d'une prochaine révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne.

À la veille du comité interministériel des outre-mer (CIOM), cette réunion a été l'occasion de faire un point sur l'impact des évolutions européennes à venir en matière réglementaire et budgétaire sur les économies des DOM et des PTOM. Elle a permis d'aborder la politique de cohésion et certaines politiques sectorielles intéressant les outre-mer (prévention des risques naturels, continuité territoriale, fonds de soutien à l'agriculture POSEI et FEADER...) qui avaient fait l'objet de plusieurs rapports du Sénat.

Enfin, chaque étude de la délégation donne lieu à un examen de la législation européenne applicable et de son adaptation aux spécificités des RUP comme le permet l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. De nombreuses recommandations de la délégation plaident pour un usage plus dynamique et systématique de cette capacité d'adaptation des textes aux réalités ultramarines.

On notera aussi qu'à la suite du rapport de la délégation du 8 décembre 2022 sur la gestion des déchets outre-mer, une proposition de résolution européenne a été déposée par Gisèle Jourda et Viviane Malet, co-rapporteures, afin que la situation particulière de ces territoires soit prise en compte dans la négociation en cours de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux transferts de déchets. Cette proposition est devenue la résolution n° 167 du Sénat du 25 juillet 2023.

3. Les grands défis socio-économiques

La délégation s'est régulièrement saisie des thématiques socio-économiques depuis sa vaste étude de 2020 sur l'urgence économique. Plusieurs exemples illustrent cette préoccupation récurrente.

Après l'échec du premier Plan logement outre-mer (PLOM 2015-2019), analysé par la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2020, et devant la persistance de la crise du logement dans ces territoires, elle a décidé de mener un travail approfondi sur la politique du logement outre-mer, qui a donné lieu à une vingtaine d'auditions et réunissant près d'une centaine d'acteurs. Pour assurer le succès du PLOM 2 (2019-2022), déjà à mi-parcours, et pour reconstruire cette politique vitale pour les territoires, la délégation proposait de rompre radicalement avec la « méthode descendante » qui a prévalu jusqu'ici au profit d'une approche territorialisée et concertée, faisant remonter les besoins des collectivités elles-mêmes et organisant un pilotage au plus près des acteurs locaux.

La délégation a aussi lancé une étude sur la politique de continuité territoriale, jugée timorée et contrainte depuis ses débuts. À l'issue de trois mois de travaux durant lesquels ils ont procédé à une quarantaine d'auditions, ses rapporteurs ont constaté que les moyens dédiés à la politique de continuité territoriale étaient, en effet, moins que jamais à la hauteur des attentes et des enjeux pour les territoires au moment où le prix des billets d'avion augmentait fortement. Le rapport final a avancé 12 recommandations visant notamment à renforcer l'aide à la continuité territoriale (ACT) et le passeport pour la mobilité des études (PME), instaurer un tarif résident, mettre LADOM au service des projets des territoires, lever les freins à l'effectivité de la continuité funéraire, soutenir la continuité intérieure et les mobilités entre les outre-mer ou encore simplifier l'aide au fret.

La Délégation sénatoriale aux outre-mer s'est intéressée de longue date à la thématique foncière dans les outre-mer et a produit trois rapports de référence la concernant. Ils ont porté respectivement sur le domaine foncier de l'État, la sécurisation des droits fonciers et les conflits d'usage dans les outre-mer. Thani Mohamed Soilihi en a été le rapporteur coordonnateur. En 2023, la délégation a souhaité approfondir un aspect particulier, non encore traité, de cette thématique : le foncier agricole. La rareté du foncier agricole dans les outre-mer est une donnée structurelle liée à des facteurs spécifiques : exiguïté des territoires insulaires ultramarins, topographie accidentée, exposition aux risques naturels, indivision...

Le rapport publié en juillet 2023 a donc été l'occasion d'assurer un suivi de ce sujet très sensible et d'alerter sur le recul du foncier agricole dans les outre-mer - en contradiction avec l'objectif d'autosuffisance alimentaire -, mais aussi d'en mesurer les conséquences et de proposer des mesures appropriées face à cette tendance.


* 5 Rapport d'information n° 789 (2021-2022) du 18 juillet 2022 par Stéphane Artano sur les outre-mer dans la Constitution.

* 6 Rapport d'information n° 135 (2022-2023) du 21 novembre 2022 par Stéphane Artano sur la rencontre avec les maires d'outre-mer.

* 7  https://www.senat.fr/fileadmin/A_la_une/Rapport_GT_Decentralisation1113.pdf

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