B. EVITER LE « CHOC PROCÉDURAL »

Le deuxième enjeu de mise en oeuvre de la future réforme est, indéniablement, celui de la charge de travail qu'il induira sur les services d'enquête. En effet, le contrôle de l'accès aux données de connexion supposera que les demandes soient dûment motivées, et aura en tant que tel pour corollaire un formalisme renforcé. Dès lors, les officiers de police judiciaire connaîtront, de la même manière que l'instance en charge du contrôle (juge des libertés et de la détention ou autorité indépendante spécifique), un accroissement de leur quantité de travail.

Les rapporteurs préconisent donc une série de mesures visant à limiter le « choc procédural ». Ces recommandations sont d'autant plus importantes dans un contexte où des inquiétudes fortes sont relayées, depuis déjà plusieurs années, sur la crise des vocations dans la police judiciaire sous l'effet, notamment, de la complexification et de l'alourdissement de la procédure pénale. Légitime dans son principe, indispensable pour assurer la conformité de notre droit interne aux règles européennes, la mise en place d'un contrôle indépendant de l'accès aux données de connexion ne doit pas se faire « sur le dos » des services d'enquête : ceux-ci doivent, tout au contraire, être associés à cette réforme dès sa conception et bénéficier, en contrepartie du surplus de travail que tout nouveau contrôle suppose, d'une amélioration des moyens techniques leur permettant de récupérer ailleurs du temps à consacrer à leur coeur de métier.

Le système bâti par le Conseil d'État et la Cour de cassation permet de faire « tenir » provisoirement le dispositif juridique français et de donner au législateur et au Gouvernement un délai bienvenu pour concevoir la future réforme. Ce temps ne doit pas être gaspillé et c'est sans attendre qu'une réflexion doit être engagée pour trouver une formule adaptée tant aux exigences de la CJUE qu'aux légitimes attentes des acteurs de l'enquête pénale.

Les rapporteurs appellent de leurs voeux un approfondissement des réflexions qui figurent dans le présent rapport à l'occasion de la refonte du code de procédure pénale lancée par le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 qui devra, outre le travail de clarification à droit constant mené par le Gouvernement, s'accompagner - comme le relevait la commission des lois lors de l'examen du texte134(*) - d'une « simplification de la procédure pénale, qui est attendue par l'ensemble des acteurs » et notamment par les officiers de police judiciaire de la police et de la gendarmerie nationales.

1. Calibrer la procédure d'autorisation pour maîtriser la charge de travail des enquêteurs

Le premier levier pour limiter le surplus de travail engendré par la mise en place d'un contrôle de l'accès aux données de connexion est celui d'une clarification du périmètre de l'autorisation. En l'état, les pratiques semblent très disparates d'un parquet à l'autre : certains accordent des autorisations par dossier et pour six mois, donnant de larges marges de manoeuvre aux enquêteurs, tandis que d'autres privilégient l'émission d'une autorisation par ligne téléphonique et/ou par individu. D'un extrême à l'autre, la charge de travail induite varie dans des proportions importantes. De manière similaire, dans un même ressort, les pratiques varient selon le cadre de l'enquête : la direction générale de la police nationale a ainsi souligné auprès des rapporteurs que « les politiques `parquet' ou `instruction', sont différentes selon les juridictions concernant l'autorisation d'accès aux données et sa portée (environnement personnel, lieu, ou individus ciblés visés par l'autorisation plus ou moins restrictive), ayant un impact sur l'accès aux données et les nécessités d'autorisations successives ».

Aux yeux des rapporteurs, il est indispensable d'harmoniser rapidement les pratiques dans un double objectif de standardisation (celle-ci étant le préalable à la construction d'une politique publique homogène et à la mise en place d'outils informatiques adaptés) et, surtout, de sécurité juridique, la volatilité des doctrines apparaissant comme un facteur de variations dans la conduite des enquêtes, parfois au détriment du justiciable, mais aussi comme un risque supplémentaire pesant sur les procédures a fortiori au vu des modalités de contrôle ex post dégagées par la Cour de cassation dans ses arrêts précités du 12 juillet 2022.

Le vecteur législatif paraît d'une excessive rigidité pour résoudre cette difficulté : il paraît en effet impossible d'inscrire « en dur » dans la loi le juste périmètre des autorisations d'accès aux données de connexion, tant est élevé le nombre de cas particuliers et tant la situation varie entre une affaire simple dans son déroulement, avec un nombre faible de protagonistes, et un dossier de délinquance organisée mettant au jour l'existence d'un vaste réseau criminel avec des modes opératoires complexes. Il semble cependant que la conformité à la jurisprudence de la CJUE de la pratique « une autorisation par dossier » n'est pas acquise et que, à l'autre bout du spectre, le précepte selon lequel les enquêteurs doivent solliciter une autorisation par ligne va au-delà de ce qui est exigé par les juges de Luxembourg comme des nécessités d'une gestion raisonnable des enquêtes pénales.

Les rapporteurs préconisent ainsi la publication, par la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, d'une circulaire permettant d'homogénéiser les pratiques des parquets (ceux-ci ayant vocation à garder, conformément à leur mission de direction des enquêtes, un rôle de validation des demandes d'accès avant leur transmission à l'entité compétente pour le contrôle). Si cette solution présente l'inconvénient de ne pas purger complètement le problème, une telle circulaire n'étant par nature pas opposable aux juges du siège, elle permettra néanmoins l'émergence d'une doctrine valable à l'échelle nationale qui, elle-même, rendra plus simple et plus lisible le travail des services d'enquête.

Proposition n° 13 :  Sécuriser l'action des services d'enquête en précisant par circulaire le périmètre des autorisations d'accès aux données de connexion.

Par ailleurs, il est indispensable qu'une réflexion soit engagée sans délai par les ministères de l'intérieur et de la justice sur la forme de la demande d'accès aux données de connexion. Aux yeux des rapporteurs, il est essentiel que cette demande puisse faire l'objet d'un traitement informatique ergonomique et suffisamment souple pour supporter au moins deux possibilités :

- une motivation de la demande par le biais d'une application ad hoc, avec un système intuitif permettant une saisie rapide de l'ensemble des éléments à prendre en compte pour apprécier la nécessité et la proportionnalité de l'accès (cases à « cocher » et/ou menu déroulant, auxquels pourrait s'ajouter un champ de saisie libre pour les affaires complexes ou présentant des spécificités particulières), ce qui contribuera tant à simplifier le travail des enquêteurs qu'à développer une nomenclature commune qui rendra plus lisibles les critères d'autorisation et harmonisera les pratiques ;

une motivation par référence à une pièce existante (un procès-verbal, par exemple), une telle pratique paraissant aujourd'hui mise en oeuvre par de nombreux services d'enquête et acceptée par les parquets.

Ce système n'interdirait pas les contacts de vive voix entre les différentes parties prenantes : pour les affaires complexes ou sensibles, il restera loisible aux parquetiers comme aux personnes chargées du contrôle de la demande de prendre directement l'attache de l'OPJ compétent pour obtenir des précisions sur les circonstances des faits, la personnalité des suspects, etc.

Certaines des personnes auditionnées par les rapporteurs ont envisagé que soit mis en place un système d'autorisation « prospective » par lequel un enquêteur pourrait, par exemple, être autorisé à accéder aux fadettes d'un suspect puis, dans un second temps mais sur la même base juridique, aux données d'identification des personnes avec lesquelles celui-ci est en contact (voire, au-delà d'une certaine intensité de contacts qu'il appartiendrait au juge de définir, aux fadettes des correspondants de la « cible » initiale ou à d'autres données de connexion relevant de tiers mais nécessaires à la manifestation de la vérité) et dont l'identité n'est pas encore connue à la date de la demande. À supposer qu'une telle possibilité soit compatible avec la jurisprudence de la CJUE et avec l'exigence d'un contrôle préalable des accès par une entité indépendante, elle devra être intégrée au système informatique décrit ci-avant et être ouverte non seulement aux enquêteurs, mais aussi aux parquets qui pourraient (avant transmission de la demande à l'entité indépendante choisie) enrichir la demande initiale des OPJ en y ajoutant une demande d'accès futur sous conditions.

Il conviendrait également que ce système ne limite pas l'action du validateur (donc des parquets) et des décideurs finaux (le JLD ou l'autorité d'autorisation) à l'acceptation ou au refus de la demande : afin d'éviter toute perte de temps préjudiciable à la bonne gestion des enquêtes et des « allers-retours » fastidieux entre les protagonistes, la future application devra permettre aux magistrats de modifier la demande faite par les enquêteurs, notamment pour en restreindre ou en étendre le périmètre.

Dans tous les cas, l'application ainsi déployée devra être reliée à la PNIJ afin que l'autorisation emporte l'ouverture automatique de la possibilité d'émettre une réquisition.

Les rapporteurs relèvent que le déploiement d'un tel outil, qui fluidifiera le lien entre les parquets et les enquêteurs, est de nature à générer des gains de temps non-négligeables. En effet, en l'état, la demande d'accès aux données de connexion auprès des parquets repose sur un système quelque peu artisanal, puisqu'elle se fait (de même que d'autres demandes liées à la conduite de l'enquête) par téléphone. Or, comme l'ont constaté les rapporteurs lors de leur déplacement au commissariat central du 17e arrondissement de Paris, le niveau élevé d'activité des parquets expose les OPJ à une longue attente avant d'entrer en communication avec le parquetier de permanence (le délai peut, selon les éléments recueillis sur place, atteindre plusieurs heures dans les journées les plus chargées).

Si les enquêteurs ont pris l'habitude de gérer d'autres tâches pendant ce temps d'attente, cette solution n'est guère satisfaisante : inconfortable pour les policiers et gendarmes comme pour le parquet, elle constitue par ailleurs un « doublon » puisque, à l'issue de cette conversation téléphonique, un écrit est établi (le plus souvent, sous la forme d'un courriel) pour formaliser la demande de l'OPJ comme l'accord du parquet. Elle rend, au surplus, nécessaire la mise en place de mesures fastidieuses pour assurer la traçabilité des demandes, le parquetier se trouvant tenu de prendre des notes au cours de la communication pour garder la trace de ses échanges oraux avec les enquêteurs.

Proposition n° 14 : Engager un travail sur la forme de la motivation de la demande d'accès aux métadonnées visant à limiter la charge de travail supplémentaire induite par la nouvelle procédure.

Les rapporteurs s'interrogent, plus largement, sur la mise en oeuvre d'un dispositif informatique se substituant pour partie aux communications téléphoniques qui constituent à ce jour l'essentiel du lien entre les enquêteurs et le parquet, y compris pour des actes basiques et quotidiens. Cette interrogation concerne en réalité l'avenir du système « traitement en temps réel » (TTR) mis en place par les parquets pour orienter les enquêtes : celui-ci repose actuellement sur des outils peu performants et qui ne sont pas communs entre les forces de sécurité intérieure et les juridictions si bien qu'il s'apparente souvent, dans les faits, à un centre d'appels téléphoniques accompagné de logiciels de suivi dans lequel les informations sont « re-saisies ».

Les rapporteurs estiment ainsi que, pour les demandes simples pour lesquelles un contact oral n'a qu'une faible valeur ajoutée, une dématérialisation des échanges doit être envisagée. Ils déplorent que ce sujet ait été laissé hors du périmètre du projet « procédure pénale numérique » (PPN), alors même qu'il constitue un enjeu majeur d'efficacité.

2. Intégrer le sujet des données de connexion aux chantiers informatiques en cours

Les enquêteurs de la police et de la gendarmerie nationales interviennent dans un environnement informatique complexe, comme en atteste le schéma ci-dessous qui cartographie la « boîte à outils numériques de l'enquêteur ».

Source : Cour des comptes135(*)

Cette cartographie n'est pas simplifiée par la mise en oeuvre du projet « procédure pénale numérique », ou « PPN », qui vise à mettre en place une procédure pénale numérique dès son origine non pas par création d'un nouvel outil unifié, mais par interconnexion des outils informatiques existants.

Le projet PPN

Le programme PPN, codirigé par les ministères de l'intérieur et de la justice, consiste à définir, à droit constant, une procédure pénale intégralement numérique dès son origine. Il prévoit que les actes sont signés et transmis électroniquement aux juridictions par les forces de sécurité intérieure (police nationale et gendarmerie), depuis l'acte d'enquête initiale, réalisé par les forces de sécurité intérieure (ministère de l'intérieur), jusqu'à l'exécution de la peine et l'archivage (effectué par les juridictions). Toutes les procédures sont concernées, à l'exception des contraventions des quatre premières classes et des crimes. Sont aussi concernés les délits relatifs aux affaires d'atteintes aux biens de faible gravité d'auteurs inconnus, dits « petits X », qui n'étaient pas enregistrés auparavant, mais simplement transmis au parquet pour classement. Avec la PPN, ces procédures seront établies dès l'origine sous forme numérique et transmises de façon dématérialisée au parquet des tribunaux judiciaires.

PPN, qui n'est pas une application informatique mais un programme regroupant 14 projets informatiques, permet donc l'abandon du dossier papier de la procédure et de la signature manuscrite, celle-ci étant remplacée par la signature électronique.

La stratégie du programme s'appuie sur trois principes :

- la numérisation de la procédure pénale est réalisée à partir des systèmes d'information déjà existants, qui devront évoluer et être mis en relation ;

- les travaux de développement informatique sont menés par paliers ;

- les utilisateurs sont associés à toutes les phases de la conception du nouveau système.

Les utilisateurs regroupent les forces de sécurité intérieure responsables de la police judiciaire, les magistrats et les personnels de greffe en charge du pénal, mais aussi les autres acteurs de la chaîne pénale tels que les avocats, les huissiers et les partenaires institutionnels : la douane et la DGFiP à terme.

Sont concernées annuellement près de 4,5 millions de procédures, dont près de 2 millions sont des « petits X ». [...]

Après avoir été expérimenté durant un an, le déploiement a débuté, par étapes (concernant les « petits X », puis certaines procédures correctionnelles, puis tous les délits) et par vagues.

Les vagues, au nombre de six, s'étendent sur une durée de six mois et ne concernent, pour sécuriser le déploiement, qu'un département par cour d'appel. En juin 2021, la troisième vague avait débuté et PPN devait être déployée dans 44 tribunaux judiciaires en mars 2022. L'objectif est de parvenir en fin d'année 2023 à ce que la totalité des délits soit traitée numériquement par les tribunaux et que tous les services d'enquête qui concourent à une procédure délictuelle échangent en numérique dès l'origine avec les juridictions et entre eux sur tout le territoire.

Source : communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat - janvier 2022136(*)

Le projet PPN, dont la direction est depuis peu assurée par un programme unique regroupant les ministères de l'Intérieur et de la Justice, vise à couvrir toute la « vie » d'une procédure. Si le projet, dans son périmètre actuel, comporte quelques interactions avec la PNIJ (utilisation du multimédia par le biais d'un nouvel applicatif appelé EPOPEE et portant notamment sur des éléments issus de la PNIJ, comme des extraits d'écoutes et des éléments liés à la géolocalisation, avec une cartographie associée), il n'était pas initialement prévu d'y intégrer d'autres pans de la plateforme. L'impératif d'un travail sur la signature des réquisitions a récemment été mis au jour et devrait se voir inclus dans le champ du projet.

ANTENJ prévoit, en parallèle, de faciliter l'interaction entre la PNIJ et les logiciels de rédaction de procédure (LRP) des forces de sécurité intérieure (par exemple, en facilitant l'import automatique des données produites sur la PNIJ dans les LRP), ce point étant loin d'être anecdotique au vu du rôle central de ces LRP dans le fonctionnement de la procédure pénale numérique.

Le fonctionnement projeté de PPN est synthétisé dans le schéma ci-après.

Source : direction du programme PPN

Le déploiement de PPN, qui a vocation à terme à s'étendre à tout le périmètre délictuel, connaît depuis le début de l'année 2023 une accélération qu'il convient de saluer. Au 30 septembre 2023, selon la direction du programme PPN, 68,3 % des procédures étaient nativement prises en numérique ; 826 unités de police et de gendarmerie, soit 97,5 %, étaient déployées sur PPN, et 94 % des tribunaux judiciaires (soient 158 tribunaux) avaient déployé la filière automatisée des classements sans suite tandis que 39 % d'entre eux (65 tribunaux) avaient déployé une ou plusieurs filières de PPN en matière correctionnelle avec poursuite. Selon les indications recueillies par les rapporteurs, la part la plus fastidieuse du projet porte sur la mise à niveau des outils informatiques du ministère de la justice, les applicatifs existants n'étant réputés ni pour leur ergonomie ni pour leur efficacité.

Des questions demeurent quant au bon fonctionnement des LRP, dont le rôle clé a été souligné ci-avant. La Cour des comptes relevait ainsi, dans un point d'étape sur la transformation numérique du ministère de la justice rendu public en janvier 2022137(*), que « le développement de PPN [...] impose que les logiciels de rédaction des procédures (LRP) de la police et de la gendarmerie nationale soient modifiés pour permettre la transmission des pièces des procédures sous forme numérique », ce que devait permettre un nouveau logiciel de rédaction appelé Scribe ; cependant, en 2023138(*), la Cour a n'a pu que constater « l'échec de Scribe » et déplorer que cette situation « éloigne d'autant l'horizon de déploiement d'une solution technique et performante améliorant le travail de tous les jours des enquêteurs » - à quoi on peut ajouter que ces difficultés ne rapprochent pas les services d'enquête d'un aboutissement de la procédure pénale numérique.

Les rapporteurs rappellent que la procédure pénale numérique constitue une attente forte des acteurs de l'enquête pénale, qui espèrent légitiment pouvoir en tirer des gains de temps sur des tâches « administratives » dont certaines, comme les « re-saisies », sont inutilement lourdes et chronophages. Il est indispensable que ce projet, dont l'aboutissement est aujourd'hui prévu à la fin de l'année 2025, puisse toucher à une fin satisfaisante et rapide afin de compenser les missions supplémentaires qui seront confiées aux officiers de police judiciaire et aux parquets en matière de motivation des accès aux données de connexion. Il est tout aussi essentiel que des réflexions soient engagées sans tarder sur la prise en compte, par le projet PPN, du futur processus de formalisation par les enquêteurs, puis de validation par le parquet et de contrôle par l'entité indépendante qui en sera chargée, de ces mêmes demandes d'accès.

Proposition n° 15 : S'imposer, avant l'entrée en vigueur du nouveau contrôle des autorisations d'accès aux données de connexion, de mener à bien le projet procédure pénale numérique (PPN).

À titre subsidiaire, les rapporteurs soulignent que cette évolution se cumulera avec l'entrée en vigueur, dans trois ans, du règlement e-evidence et du nouveau portail associé par lequel les services d'enquête pourront émettre des réquisitions pour obtenir des preuves numériques139(*). L'enjeu est d'éviter la mise en place d'une « usine à gaz » qui ferait percevoir négativement, par les services d'enquête, une réglementation qui doit au contraire marquer un réel progrès et leur permettre d'obtenir de nouvelles preuves. La Commission européenne se donne deux ans pour définir, sous forme d'actes délégués, les spécifications techniques d'e-evidence, qui porteront en particulier sur les interactions entre ce futur portail et les systèmes existants dans les États membres (ce qui correspond, en pratique, à la PNIJ pour la France). Ce travail doit faire l'objet d'un suivi aussi attentif qu'étroit par le Gouvernement, sous peine de condamner les nouvelles opportunités créées par e-evidence à rester lettre morte.

Enfin, les rapporteurs insistent sur la nécessité de préserver l'avenir de la numérisation de la procédure pénale - et, plus généralement, d'assurer la capacité de nos services d'enquête à s'adapter aux évolutions technologiques qui viennent chaque jour modifier les usages quotidiens des honnêtes gens comme des délinquants - en garantissant la modularité de tous les outils informatiques actuellement en chantier. Il est en effet crucial d'éviter que ces outils soient trop dépendants des procédures existantes et qu'ils soient appelés, en conséquence, à connaître des modifications techniques substantielles à chaque adoption d'une nouvelle loi de procédure pénale. Ils doivent, tout à l'inverse, être aussi souples que possible et ne pas rigidifier les liens fonctionnels qui existent entre les différents acteurs.

Cet impératif est d'autant plus fort à l'heure où le code de procédure pénale, outre sa recodification à droit constant par ordonnance, est voué à faire l'objet d'une réforme pouvant améliorer les équilibres des enquêtes pour offrir enfin aux policiers, aux gendarmes, aux parquets et au siège, mais aussi et surtout aux justiciables, un cadre pénal lisible et équilibré.

Proposition n° 16 : Assurer la modularité des outils créés par les chantiers informatiques sur la procédure pénale numérique (PPN).


* 134  Rapport n° 660 (2022-2023) d'Agnès Canayer et Dominique Vérien, déposé le 31 mai 2023.

* 135 Cité par le rapport «  Les moyens affectés aux missions de police judiciaire » publié le 11 mars 2023 et accessible sur le site de la Cour des comptes.

* 136 Ce document est accessible sur le site de la Cour des comptes.

* 137 Ce document est accessible sur le site de la Cour des comptes.

* 138  Enquête sur les moyens affectés aux missions de police judiciaire, rendue publique en mai 2023 et accessible sur le site de la Cour des comptes.

* 139 Selon les informations obtenues par les rapporteurs lors de leur déplacement à Bruxelles, ce portail ne prendra pas la forme d'un outil unique à l'échelle de l'Union, mais d'un système décentralisé (mais standardisé) dans chaque État ayant vocation à se connecter avec les plateformes nationales préexistantes.

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