N° 352

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 février 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l'enquête
de la
Cour des comptes sur les missions de l'Agence de la biomédecine
après la dernière loi de bioéthique,

Par M. Philippe MOUILLER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Xavier Iacovelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, M. Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe.

AVANT PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, qui dispose que « la Cour des comptes peut être saisie par les commissions parlementaires saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale, de toute question relative à l'application des lois de financement de la sécurité sociale », Catherine Deroche, alors présidente de la commission des affaires sociales du Sénat a, par courrier du 20 décembre 2022, saisi le Premier président de la Cour des comptes d'une demande d'enquête portant sur les missions de l'Agence de la biomédecine (ABM) après la loi de bioéthique du 2 août 2021. Cette demande a donné lieu à l'enquête qui figure en annexe du présent rapport, transmise par le Premier président de la Cour des comptes le 22 décembre 2023.

L'ABM, créée par la loi de bioéthique du 6 août 2004, est une agence de l'État placée sous la tutelle du ministère de la santé. Touchant aux questions sensibles de bioéthique, ses missions évoluent au gré des avancées médicales et scientifiques autant que des transformations sociétales. Elles couvrent trois grands domaines : le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus ; le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques ; la procréation, l'embryologie et la génétique humaine.

L'ABM a connu un élargissement de ses compétences suite à la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, qui a introduit d'importantes évolutions en matière d'assistance médicale à la procréation (AMP)1(*). C'est dans ce contexte que les travaux de la Cour des comptes ont été menés.

L'enquête jointe constitue donc à la fois un rapport d'évaluation de l'ensemble des missions de l'ABM et un premier bilan de la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 2 août 2021 précitée. Dès à présent, il faut rappeler la prudence qu'impose le faible recul dont il est possible de se prévaloir concernant l'évaluation des conséquences de cette loi. Publiée il y a deux ans et demi seulement, elle n'a, en outre, pu être mise en oeuvre que progressivement en raison de la publication échelonnée de divers textes réglementaires d'application. Dans ce contexte, les premières tendances observées ne peuvent être considérées comme définitives - en particulier le volume des demandes de consultations des nouveaux publics pour entrer dans un parcours d'AMP et d'autoconservation des gamètes en dehors de tout motif médical.

L'évaluation de la mise en oeuvre de la loi du 2 août 2021 sera consolidée dans les prochains mois. En effet, celle-ci prévoit :

- la remise d'un rapport d'évaluation du Gouvernement au Parlement avant le 31 décembre 2025, portant sur les dispositions de l'article 1er, c'est-à-dire sur les conditions d'accès et de mise en oeuvre de l'AMP (article 1, III) ;

- la remise d'un rapport d'évaluation du Gouvernement au Parlement avant le 31 décembre 2025, portant sur les dispositions de l'article 5, c'est-à-dire sur les droits des enfants nés d'une AMP (article 5, IX) ;

- dans un article non normatif, un nouvel examen de la loi par le Parlement dans un délai de sept ans à compter de sa promulgation et, dans un délai de quatre ans, une évaluation de son application par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (article 41).

La Cour des comptes, dans son rapport relatif à l'application des lois de financement de la sécurité sociale d'octobre 2019, avait consacré à l'AMP un chapitre IX, intitulé « L'assistance médicale à la procréation : une efficience à renforcer ». Elle y soulignait les marges de progression possibles pour améliorer les performances de l'ABM dans le champ de l'AMP, tout en relevant l'importance des moyens consacrés à cette activité par l'assurance maladie. Dans un autre chapitre, la Cour avait porté une attention à l'organisation de la chaîne de la greffe d'organes et de tissus, autre versant des missions de l'ABM, en détaillant ses fragilités2(*). Quatre ans après la publication de ce rapport, on constate que nombre des préoccupations qu'exprimait la Cour en 2019 sont à nouveau formulées, traduisant la persistance des difficultés déjà relevées.

À mi-chemin du quatrième contrat d'objectifs et de performance (COP) portant sur la période 2022-2026, ce nouveau rapport se penche sur l'accomplissement de ses missions par l'ABM et constitue un bilan d'étape au regard des divers objectifs fixés à horizon 2026.

I. L'ÉLARGISSEMENT DES COMPÉTENCES DE L'ABM EN MATIÈRE D'AMP INTERVIENT DANS UN CONTEXTE DE FRAGILITÉS PRÉEXISTANTES

En 2019, la Cour des comptes soulignait les « résultats médiocres » des activités de procréation médicalement assistée (PMA) avec don de gamètes en considérant, dans un contexte de recours croissant à ces procédures, que les enjeux d'efficience étaient insuffisamment pris en compte.

L'activité de PMA souffre depuis plusieurs années de la faiblesse des dons d'ovocytes. Cette situation, qui concerne principalement des couples hétérosexuels, engendre des procédures particulièrement longues et des fuites importantes de patients vers l'étranger3(*).

En 2023, force est de constater que la situation du don d'ovocytes en France ne s'est pas améliorée. Bien que certaines mesures aient contribué à augmenter sensiblement le nombre de dons4(*), leur volume reste très en deçà des besoins nationaux. L'appréciation de la Cour selon laquelle « la rareté des ressources en gamètes impose de demeurer attentif à l'effectivité des droits reconnus aux personnes confrontées à un problème d'infécondité nécessitant le recours à un tiers donneur », formulée en 2019, demeure donc pleinement d'actualité.

A. UN ENJEU : GARANTIR UN ACCÈS EFFECTIF ET ÉGAL AUX NOUVEAUX DROITS RECONNUS PAR LA LOI DU 2 AOÛT 2021

La loi du 2 août 2021 a permis trois avancées principales : elle a ouvert l'AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées, autorisé l'autoconservation des gamètes en dehors de tout motif médical et créé un droit d'accès aux origines pour les personnes conçues à partir d'un don de gamète. Pourtant, les difficultés liées à la mise en oeuvre de ces dispositions fragilisent l'effectivité et l'égalité d'accès à ces nouveaux droits pour les personnes.

Les données chiffrées relatives aux nombres de consultations témoignent de l'attente sociétale à laquelle la loi du 2 août 2021 a répondu. En 2022, 90 % du total des premières consultations d'AMP réalisées concernaient les nouveaux publics éligibles, soit 9 519 sur un total de 10 516 consultations.

La même année, 10 080 demandes de premières consultations ont été enregistrées pour un projet d'autoconservation des gamètes contre 1 464 en 2021 (+ 588 %), et 4 451 consultations réalisées contre 414 en 2021 (+ 975 %)5(*). Un tel volume n'avait pas été anticipé et l'étude d'impact du Gouvernement accompagnant le projet de loi s'était bien gardé d'avancer la moindre estimation. C'est ce qui a conduit à la situation de « mise sous tension des acteurs du secteur » et plus particulièrement, à l'allongement des délais d'accès à ces prestations6(*). Il en résulte une problématique d'accès effectif aux nouveaux droits reconnus par la loi, qu'esquisse le rapport de la Cour des comptes.

Concernant les consultations pour les parcours de PMA, l'ouverture de ce droit à de nouveaux publics a paradoxalement conduit à une augmentation corrélative des demandes de procédures à l'étranger, principalement en Espagne. Celles-ci ont en effet augmenté de 26 % depuis 2021. Cette tendance, qui préexistait à la loi de 2021, n'a donc pas été inversée et apparaît directement liée à la longueur des délais qui complexifie l'accès à certaines procédures d'AMP.

En matière d'autoconservation des gamètes, l'absence de critères nationaux pour prioriser et réguler le flux des demandes est d'autant plus problématique que ces procédures sont encadrées par des conditions d'âge strictes7(*). Ce point, qui fait l'objet d'une recommandation de la Cour, est crucial dès lors qu'il met en jeu l'égalité de traitement des demandeurs et induit un risque de non-accès.

On observe donc que si la loi a répondu à une attente sociale forte, elle échoue aussi à accueillir l'ensemble des demandes.

Enfin, les modalités de mise en oeuvre du nouveau droit d'accès aux origines placent également les personnes concernées dans une situation d'inégalité devant la loi. En effet, le consentement à la communication de son identité ou de ses données non identifiantes par le donneur constitue désormais une condition préalable à tout don de gamète ou d'embryon. Tel n'était pas le cas sous l'empire de la précédente loi de bioéthique et l'archivage de ces données pour les filiations antérieures à 1994 n'était pas prévu.

La reconnaissance du droit d'accès aux origines motive la destruction prochaine du stock actuel de paillettes, lequel représente l'équivalent des trois quarts du stock total. Celle-ci interviendra le 31 mars 2025 et aura des conséquences probables sur la disponibilité des dons de sperme pour les futurs parcours de PMA, alors que les stocks actuels sont à peine suffisants pour couvrir les besoins8(*). D'ici là, la consigne d'attribuer en priorité les dons collectés avant le 1er septembre 2022, cohérente du point de vue de la gestion du stock, aura pour effet de rendre peu opérant le droit d'accès aux origines, compte tenu des difficultés associées à la recherche des donneurs et de leur droit à préserver leur anonymat9(*).

En définitive, pour garantir au mieux l'effectivité des nouveaux droits reconnus par la loi du 2 août 2021, les difficultés rencontrées depuis près de deux ans et demi devront trouver des réponses rapides.

B. UNE EXIGENCE : CONSOLIDER LE PILOTAGE DES ACTIVITES D'AMP

En premier lieu, les centres agréés pour l'activité d'AMP présentent des performances hétérogènes qui ne semblent pas corrélées à la réalité de leur activité ou à l'état de leurs moyens10(*). S'il revient à l'ABM de superviser et de contrôler l'activité de ces centres, un investissement du ministère de la santé sur cette question apparaît également prioritaire pour évaluer le dimensionnement global des moyens dévolus. Ce point, peu développé dans le rapport de la Cour des comptes, devra faire l'objet d'une évaluation attentive et détaillée du Gouvernement dans la perspective du rapport qu'il remettra au Parlement avant le 31 décembre 2025 (cf. supra).

En deuxième lieu, pour mieux accompagner l'activité des centres et remédier aux inégalités territoriales d'accès constatées, la Cour recommande de confier à l'agence une mission de répartition des stocks de gamètes disponibles (Recommandation n° 1) pour faciliter les transferts entre les centres excédentaires et ceux déficitaires. Cette recommandation, qui vise à mutualiser les stocks disponibles, ne pourrait se concrétiser qu'à moyen terme dans la mesure où elle exige l'acquisition préalable d'un système d'information partagé entre centres, et sous réserve de financements dédiés. Dans cette optique, l'ABM a eu l'occasion d'indiquer à notre commission, lors de son audition, qu'elle travaillait actuellement à l'interopérabilité des systèmes d'information des centres.

En troisième lieu, la définition de règles de gestion harmonisées des listes d'attente et de prélèvement des ovocytes (Recommandation n° 2) pour leur autoconservation en dehors de tout motif médical permettrait de remettre de l'équité dans le traitement des demandes, en donnant un cadre lisible et sécurisant à l'ensemble des acteurs. Cette recommandation de la Cour apparaît relativement aisée à mettre en oeuvre et il est raisonnable d'espérer qu'elle se concrétise dans les prochains mois, pour compléter l'arrêté du 5 octobre 2023 modifiant l'arrêté du 11 avril 2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d'assistance médicale à la procréation.

En quatrième lieu, l'ouverture d'une réflexion sur l'association des structures privées lucratives aux activités d'AMP11(*) vise à répondre à la situation d'engorgement des centres autorisés. Au-delà du constat d'une demande qui se maintient à un niveau élevé et qui continue même de progresser selon les dernières données disponibles, il faut souligner que cette question peut revêtir une sensibilité particulière selon les conditions qui l'entourent. La participation du secteur privé lucratif est en effet susceptible de conduire à une surenchère financière peu compatible avec la garantie d'un droit d'accès à l'AMP pour tous. Pour prévenir ce risque, elle ne devrait s'envisager que sous réserve de certaines garanties, par exemple l'interdiction des dépassements d'honoraires. Il serait en outre opportun d'attendre le déploiement des nouveaux projets régionaux de santé (PRS) qui déterminent l'implantation des autorisations d'activités de soins dans les territoires. Dans tous les cas, cette évolution devrait être inscrite dans un vecteur législatif.

En conclusion, l'octroi de nouvelles missions à l'ABM dans le champ de l'AMP, malgré la persistance des fragilités soulignées dès 2019, n'a pas déstabilisé le fonctionnement de l'agence. La mise en oeuvre de la loi du 2 août 2021 s'accompagne néanmoins de difficultés liées à l'importance des attentes suscitées par ses dispositions, qu'il convient de surmonter au plus vite.

II. L'ABM DOIT GAGNER EN EFFICIENCE DANS L'ACCOMPLISSEMENT DE SES AUTRES MISSIONS, MALGRÉ UN ENVIRONNEMENT HOSPITALIER DÉGRADÉ

En 2019, la Cour relevait les bonnes performances de la France en matière de transplantations d'organes qui la classaient en troisième position en Europe, malgré un recul déjà jugé inquiétant de l'activité de greffe entre 2017 et 2018 (- 5,3 %).

En parallèle, l'augmentation significative du nombre de patients en attente de greffe a conduit à une dégradation continue des conditions d'accès à la greffe, l'écart n'ayant de cesse de se creuser entre le nombre de patients inscrits sur la liste nationale d'attente et le nombre de greffes réalisées. D'autres constats mis en lumière par le rapport de 2019 conservent leur pertinence, en l'absence d'évolution substantielle depuis quatre ans : inégalités d'accès à la greffe selon les territoires, absence de lignes directrices pour homogénéiser les conditions d'attribution des greffons, faiblesse du dispositif de biovigilance, réflexion sur les seuils d'autorisation d'activité...

Les analyses et recommandations du présent rapport s'inscrivent donc pleinement dans la continuité des précédentes.

A. UNE POLITIQUE DE PROMOTION DU DON QUI MANQUE DE SOUFFLE ET PÉNALISE LE DÉVELOPPEMENT DES ACTIVITÉS DE GREFFE ET D'AMP

La promotion du don - don d'organes, de tissus, de gamètes - figure au rang des missions prioritaires de l'ABM. Le don est un acte de solidarité, encadré par les principes d'anonymat, de gratuité et de consentement, qui caractérisent la spécificité du modèle français par rapport à celui d'autres pays européens. Comme l'Établissement français du sang (EFS), l'ABM est confrontée à la nécessité d'entretenir une dynamique du don pour pouvoir remplir ses missions et permettre le développement des activités de greffe et d'AMP. Pourtant, près de vingt ans après sa création, l'identité et la vocation de l'ABM demeurent mal connues. Pour atteindre les objectifs qui lui sont fixés, l'ABM doit urgemment oeuvrer à la visibilité de la question du don et amplifier sa communication à l'égard tant du grand public que des professionnels de santé.

Les difficultés que rencontre l'agence dans l'atteinte de ses objectifs confirment la nécessité d'investir ce champ de façon plus résolue :

- selon les données issues du baromètre de février 2023, seules 28 % des personnes interrogées connaissent les règles applicables en matière de consentement présumé pour le don d'organes ;

le taux d'opposition au don d'organes s'établit à 36,1 % en 2023 contre 33 % en 2022 ; il s'élève même à 40 % dans certains territoires, en dépit d'une cible fixée à 25 % par le COP 2022-2026 et malgré le fait que 80 % des Français se déclarent favorables au don de leurs organes après leur mort ;

- concernant la promotion du don d'ovocytes, dont la pénurie persiste depuis de nombreuses années, la Cour relevait déjà en 2019 que l'ABM « a [...] conservé une grande prudence dans sa démarche, qui demeure plus proche de l'information que de la promotion d'un geste qui n'est pas exempt de risque pour les femmes concernées. » ;

- enfin, dans la perspective du changement de cuves au 31 mars 2025, la reconstitution du stock des dons de sperme implique une action volontariste de l'ABM pour ne pas risquer d'être confronté aux mêmes difficultés que pour le don d'ovocytes12(*).

Source : Agence de la biomédecine

La Cour recommande d'agir directement auprès des coordinations hospitalières de prélèvement d'organes et de tissus (CHPOT) dans les établissements, en menant des audits qualité et en multipliant les formations « à l'abord anticipé des proches » auprès des professionnels de santé (Recommandation n° 3). On peut être raisonnablement optimiste concernant l'atteinte des objectifs d'audits qualité. En revanche, on peut penser qu'une difficulté principale devrait s'opposer à la réalisation de l'objectif cible de formations des équipes hospitalières : le manque de disponibilité des professionnels de santé dans les établissements. Face à ce constat, il apparaît que les plans ministériels successifs devraient prioritairement investir les enjeux relatifs aux ressources humaines pour soutenir l'activité des CHPOT.

Alors que l'ABM affiche la démocratie sanitaire comme un modèle d'action et un objectif à poursuivre, les associations d'usagers expriment leur souhait d'être davantage associées aux campagnes pour le don d'organes et de tissus. En 2021, plusieurs de ces associations ont décidé de créer le collectif Greffes+ pour gagner en visibilité et structurer leurs actions.

L'enjeu porte sur la capacité de l'ABM à s'adresser à l'ensemble des citoyens pour élargir le vivier des donneurs. Une réflexion sur les espaces d'information et de sensibilisation est à mener - lieux professionnels, sites à vocation éducative et culturelle - pour entrer au contact du plus grand nombre, ainsi que sur les messages à diffuser. De ce point de vue, l'ABM a tenu à souligner que les actions développées s'appuient sur un budget d'environ 2 millions d'euros, certes en augmentation, mais limité au regard des ambitions et des attentes formulées.

B. DES PERFORMANCES TOUJOURS INSUFFISANTES AU REGARD DES OBJECTIFS ASSIGNÉS EN MATIÈRE DE GREFFE ET DE PRÉLÈVEMENT

Après des résultats très en deçà des objectifs fixés par le plan ministériel 2017-2021, le COP 2022-2026 fixe à nouveau des objectifs qui apparaissent extrêmement ambitieux à l'horizon 2026, conduisant la Cour à exprimer des doutes sérieux sur la capacité de l'ABM à les atteindre.

Il faut évidemment tenir compte de ce que la dégradation de la situation hospitalière ces dernières années, particulièrement depuis la survenue de la crise de la covid-19, impacte négativement l'activité des CHPOT dans les établissements. On ne peut en revanche admettre qu'avec peine que le ministère de la santé n'ait pas intégré ces contraintes dans la détermination des objectifs fixés au COP.

Alors que l'agence n'a pas les moyens d'agir sur les difficultés liées à cet environnement, l'égarement du ministère sur ce point met inévitablement l'ABM en situation d'échec13(*).

Plusieurs constats inquiétants sont ainsi dressés par la Cour des comptes.

Les besoins en greffes d'organes ont plus que triplé en 25 ans. En 2022, 28 538 donneurs étaient inscrits sur la liste d'attente pour une activité de 5 495 greffes réalisées. En 2022, le nombre de greffes réalisées reste toujours inférieur à l'activité de 2017.

Ce déséquilibre croissant entre l'activité de greffe et le nombre de patients en attente de greffe a des conséquences inévitables sur la mortalité des patients14(*). On observe néanmoins une tendance encourageante avec une remontée d'activité très progressive depuis 2021 +6,8 % de greffes d'organes entre 2021 et 2023).

Source : Agence de la biomédecine

En matière de greffe de tissus, la dépendance de la France à l'égard des greffons étrangers n'a cessé d'augmenter ces dernières années. Elle atteint aujourd'hui 93,5 %, soit une dépendance quasi totale. Alors que le COP 2022-2026 fixe un objectif de 25 %15(*) de greffons provenant de donneurs nationaux à l'horizon 2026, cette ambition, louable, n'en apparaît pas moins illusoire au regard de la trajectoire enregistrée depuis plus de 20 ans.

Sur ce point, la Cour recommande que le pilotage des banques de tissus, dont l'autorisation dépend de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)16(*), soit confié à l'ABM (Recommandation n° 4). Ce rapprochement contribuerait à une meilleure connaissance par l'ABM de l'état des besoins recensés. L'ABM a exprimé sur ce point sa position favorable.

Par ailleurs, la définition de seuils d'autorisation d'activités pour certaines greffes d'organes (Recommandation n° 5) constitue une recommandation réitérée de la Cour, guidée par une préoccupation de qualité et de sécurité des soins, mais aussi d'efficience dans la gestion des moyens consacrés à ces activités. Sa mise en oeuvre emporterait toutefois la suppression d'un nombre non évalué d'autorisations d'activités, avec de potentiels effets sur le volume d'activité des greffes qu'il conviendrait de mesurer.

Enfin, la recommandation de l'utilisation de techniques de typages HLA plus efficientes pour augmenter le nombre de donneurs volontaires inscrits sur le registre France greffe de moelle (Recommandation n° 6) prolonge des réflexions de la Cour exposées dans son rapport de 2019. Si l'enjeu est celui de l'optimisation du coût des analyses réalisées, l'ABM relève toutefois qu'une augmentation substantielle du nombre de donneurs inscrits s'accompagnerait de coûts non négligeables
- mais non chiffrés par la Cour des comptes - de gestion et de suivi des donneurs par les centres, et que le bénéfice financier est loin d'être certain.

Un modèle financier qui interroge

Au-delà du nécessaire accompagnement renforcé des équipes des coordinations hospitalières préconisé par la Cour des comptes, la question du modèle financier des activités de prélèvement et de greffe en établissement de santé, non développée dans le présent rapport, doit être posée.

Le plan ministériel pour le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus 2022-2026 l'esquisse à peine. S'il évoque « l'harmonisation de la rémunération des astreintes chirurgicales, la refonte des modalités de détermination des forfaits « prélèvement d'organes » (PO) et la redéfinition du tarif des prélèvements de rein sur donneur vivant pour mieux valoriser le coût de l'occupation des blocs opératoires », il ne contient cependant aucun engagement précis en la matière.

Les activités de prélèvement et de greffe mobilisent des moyens conséquents et coûteux. Elles exigent de pouvoir disposer en urgence des blocs opératoires, de professionnels de santé formés et en nombre suffisant pour assurer les astreintes de nuit et de week-end... Après avoir été durement éprouvés par la crise sanitaire de la covid-19, les établissements de santé demeurent confrontés à d'importantes difficultés en matière de ressources humaines, qui se répercutent sur leur capacité à assurer pleinement l'ensemble de leurs activités. Les activités de prélèvement et de greffe en pâtissent inévitablement.

L'enjeu est donc d'assurer l'attractivité d'une filière et la soutenabilité d'un modèle pour en garantir la pérennité. Cette ambition, source d'attentes, a été exprimée lors des dernières assises de la Société Francophone de Transplantation (SFT) en septembre 2023. Elle est en effet déterminante pour redynamiser la filière à long terme et soutenir l'ABM dans l'atteinte des objectifs fixés par le COP.

***

L'action de l'ABM implique une grande diversité d'acteurs aux compétences variées. L'animation de cet écosystème, où les préoccupations de sécurité et de qualité des soins sont cardinales, doit conduire l'ABM à rendre accessible au plus grand nombre les enjeux essentiels qui guident l'accomplissement de ses missions, pour inscrire les questions éthiques dans le débat citoyen et pour faciliter leur appropriation par tous.

Le constat que dresse la Cour des comptes s'inscrit dans la continuité de ses observations formulées en 2019. Il exige une réaction rapide des autorités de tutelle de l'ABM pour lui permettre d'assurer ses missions dans les meilleures conditions possibles, en tenant compte d'un contexte hospitalier dégradé, qui pèse inévitablement sur l'activité de l'agence. À mi-chemin du COP 2022-2026, la question d'une mise à jour des objectifs de l'agence mérite d'être posée.

EXAMEN EN COMMISSION

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I. Audition de Mme Véronique Hamayon,
présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes

Réunie le mercredi 31 janvier 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission procède à l'audition de de Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur l'enquête de la Cour sur l'Agence de la biomédecine.

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes. Il s'agit de rendre compte de l'enquête de la Cour des comptes sur l'Agence de la biomédecine, que la présidente Catherine Deroche avait demandée à la Cour en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je précise également aux membres de la commission des affaires sociales que l'enquête de la Cour des comptes est disponible sur l'application Demeter. Elle ne pouvait être rendue publique avant cette audition.

Madame la présidente, je vais sans tarder vous donner la parole afin que vous nous présentiez les travaux et les conclusions de la Cour des comptes.

Je vous poserai ensuite de premières questions en ma qualité de rapporteur de la commission sur ce contrôle. L'ensemble des membres de la commission pourra ensuite vous interroger.

Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes. - Je vous remercie de m'avoir invitée pour présenter le rapport de la Cour des comptes sur les missions de l'Agence de la biomédecine. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, la Cour a été saisie l'année dernière d'une demande d'enquête sur le fondement de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières et la Cour est très attachée à sa mission constitutionnelle d'assistance au Parlement. Sont présents à mes côtés les rapporteurs qui ont mené ce travail : M. François de la Guéronnière, conseiller maître et président de section ainsi que M. Quentin Huby, conseiller référendaire en service extraordinaire, tous deux rapporteurs. Ils pourront être amenés à répondre à vos questions.

Dans ce rapport, la Cour des comptes a examiné, d'une part, les conséquences de la nouvelle loi de bioéthique sur les missions de l'Agence de la biomédecine, en particulier dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation (AMP), et d'autre part, la manière dont l'Agence exerce ses autres missions ayant trait à la greffe et aux prélèvements d'organes. Des diapositives illustrent mon propos.

Le premier constat de la Cour est que les nouveaux droits consacrés par la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation ont entraîné un certain nombre de tensions en matière, tout d'abord, de délai d'accès à l'AMP, ensuite, de délai et de conditions d'autoconservation des gamètes et, enfin, de droit d'accès aux origines.

Premièrement, sur les délais d'accès à l'AMP, si l'ouverture aux couples de femmes et aux femmes non mariées a répondu à un besoin réel - ce nouveau public représente désormais 90 % des consultations réalisées dans le cadre de l'AMP -, elle a dans le même temps conduit, d'une part, à la constitution d'une liste d'attente importante, puisque quelque 5 700 personnes s'ajoutaient, à la fin de l'année 2022, à la liste d'attente relative aux dons d'ovocytes qui comptait environ 2 100 personnes et, d'autre part, à l'allongement des délais d'accès à l'AMP avec don de spermatozoïdes, puisque le délai moyen était de quatorze mois en 2022, soit une augmentation de 20 % par rapport à 2021 ; le délai moyen pour les AMP avec don d'ovocytes étant de 23 mois.

Au total, et ainsi que semblent en témoigner les dernières données disponibles du Centre national des soins à l'étranger, l'ouverture à de nouveaux publics pourrait donc, à l'inverse de ce qui était recherché par la loi de 2021, conduire à un accroissement du nombre de demandes d'AMP faites à l'étranger. Celles-ci ont crû de 26 % depuis 2021 et concernent majoritairement l'Espagne, la République tchèque et la Belgique.

Par ailleurs, l'arrêté du 5 octobre 2023 modifiant l'arrêté du 11 avril 2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d'AMP ne contient pas de dispositions ayant trait aux modalités de gestion des listes d'attente et de prélèvement. Chaque centre est donc entièrement libre de décider des siennes, au risque d'appréciations et de pratiques divergentes selon les territoires. Une telle situation est susceptible d'emporter des incidences non négligeables sur le projet d'AMP en conduisant, par exemple, à un nombre de prélèvements d'ovocytes insuffisant du fait d'une limitation des stimulations hormonales, que pratiquent certains centres, en dehors de tout cadre légal et réglementaire.

Deuxièmement, pour ce qui concerne l'autoconservation des gamètes, si les chiffres témoignent d'un intérêt certain pour la nouvelle possibilité d'autoconservation des gamètes en dehors de toute indication médicale, cet afflux s'est traduit par un accroissement rapide des délais qui sont passés, en 2022, de 5 à 7 mois au niveau national et de 13 à 24 mois en Île-de-France, région qui concentre 25 % des demandes de consultations formulées en France. Cette situation a d'ailleurs obligé l'agence régionale de santé à autoriser, de manière dérogatoire, l'ouverture de nouveaux centres afin de réduire la pression sur les centres franciliens existants.

Troisièmement, la mise en oeuvre du droit d'accès aux origines des personnes nées d'une assistance médicale à la procréation s'avère délicate. D'une part, le nouveau registre géré par l'Agence de la biomédecine ne recense que quelques anciens donneurs de gamètes et d'embryons - cinquante-quatre en septembre 2023, soit quasiment aucun. D'autre part, de nombreux centres sont confrontés à d'importantes difficultés pour retrouver les donneurs anciens, dont certains ont été perdus de vue depuis parfois plusieurs dizaines d'années.

Contrairement aux craintes exprimées, le droit d'accès aux origines, soit la fin de l'anonymat, n'a pas réduit le nombre de donneurs à ce stade. En revanche, il aura des conséquences importantes sur les réserves de paillettes disponibles, en raison de la fin programmée de l'utilisation de l'ancien stock de gamètes. En effet, le ministère de la santé a fixé au 31 mars 2025 le « changement des cuves », date à laquelle le nouveau stock remplacera l'ancien stock. Par conséquent, les centres de don devront attribuer en priorité les paillettes conservées avant le 1er septembre 2022 pour apurer l'ancien stock, qui représente aujourd'hui les trois quarts des paillettes.

Ainsi, selon que le stock de gamètes utilisé a été congelé avant ou après le 1er septembre 2022, la possibilité pour les personnes nées d'une assistance médicale à la procréation de connaître leurs origines divergera : si elle est juridiquement identique, ce ne sera pas le cas en pratique.

Au regard de ces difficultés, qui s'ajoutent à l'insuffisance des dons d'ovocytes, les missions de l'Agence de la biomédecine visant à encourager le don de gamètes sont plus que jamais essentielles. Or, malgré l'attribution de moyens supplémentaires d'environ 2,5 millions d'euros par an, les résultats obtenus sont très insuffisants. Le dernier baromètre réalisé en février 2023 l'atteste : 18 % des personnes interrogées ont le sentiment d'être suffisamment informées et seulement 21 % d'entre elles ont entendu parler de la nouvelle loi de bioéthique. Il appartient, dès lors, à l'Agence de poursuivre et d'amplifier ses efforts de promotion des dons de gamètes.

L'Agence de la biomédecine joue également un rôle important en matière de contrôle de l'utilisation des financements alloués pour faire face aux surcoûts résultant des nouveaux parcours d'AMP, qui sont estimés à 7,3 millions d'euros par an. Les premières enquêtes réalisées ont révélé l'existence de grandes disparités entre les centres, ainsi qu'une absence de corrélation entre les moyens disponibles et le surplus d'activité. Ces enquêtes devront être poursuivies afin, éventuellement, de permettre une révision des montants.

C'est le cas également s'agissant du suivi de l'état de santé des enfants nés d'une assistance médicale à la procréation, ainsi que des femmes y ayant eu recours ; il appartient en particulier à l'Agence d'élaborer le rapport annuel expressément prévu par son contrat d'objectifs et de performance (COP).

Enfin, la nouvelle loi relative à la bioéthique a confié à l'Agence de la biomédecine la tâche de proposer des règles de répartition des gamètes et des embryons. Ainsi, en avril 2022, a été publié un arrêté interdisant la prise en compte de critères discriminants. À terme, la Cour des comptes estime que l'Agence de la biomédecine peut aller plus loin et pourrait utilement se voir confier une mission générale de répartition des stocks de gamètes afin de réduire les disparités de délai d'accès observées entre régions. Aujourd'hui, l'absence de système d'information partagé constitue, à l'évidence, un frein à toute perspective de mutualisation des stocks de gamètes.

Le second constat de la Cour des comptes est que les autres missions de l'Agence de la biomédecine présentent des faiblesses auxquelles il convient de remédier.

Pour ce qui concerne les prélèvements et les greffes d'organes et de tissus, malgré les progrès réalisés ces dernières années, les résultats obtenus sont décevants et les inégalités d'accès sont croissantes, en particulier pour les reins. Si, comme le souligne le rapport de la Cour de comptes, toutes les raisons expliquant cette situation ne relèvent pas directement de la responsabilité de l'Agence de la biomédecine, son pilotage est perfectible à plusieurs égards.

Ainsi, s'agissant des résultats, à l'exception des objectifs prévus en matière de donneurs décédés après arrêt circulatoire, aucune des cibles fixées par le plan ministériel 2017-2021 n'a été atteinte. Si la chute brutale d'activité observée en 2020 du fait de la crise sanitaire explique en partie cette situation, le nombre de greffes d'organes, de donneurs recensés et de prélèvements avait connu une baisse entre 2017 et 2019, témoignant d'une situation déjà dégradée.

Le nouveau plan ministériel 2022-2026 tire les leçons de ces mauvais résultats en définissant des « couloirs de croissance », à savoir des fourchettes à atteindre. Néanmoins, au regard des hypothèses très optimistes retenues, y compris pour les estimations présentées comme basses, et de l'activité relevée en 2022, qui demeure inférieure au niveau constaté en 2019, l'atteinte de ces objectifs paraît peu probable sans évolution majeure.

En ce qui concerne les leviers insuffisamment exploités pour réduire le taux d'opposition, en dépit d'une adhésion majoritaire des Français au prélèvement d'organes et de tissus, le taux d'opposition est régulièrement supérieur à 30 % depuis vingt ans et même à 40 % dans certains territoires comme l'Île-de-France, la Guadeloupe et la Guyane. Ces chiffres sont non seulement très éloignés de l'objectif de 25 % défini par le plan ministériel 2017-2021, mais aussi sous-estimés d'environ sept points par rapport au taux réel en raison de la prise en compte des non-prélèvements pour cause de contre-indications médicales.

De tels niveaux d'opposition s'expliquent notamment par des raisons sociétales et par des déterminants hospitaliers, en particulier les sous-effectifs ou le manque de formation, sur lesquels l'Agence de la biomédecine peut agir au moins en partie. La Cour des comptes estime notamment que la communication sur le don d'organes pourrait être améliorée. Selon les résultats du baromètre 2023 consacré aux Français et au don d'organes, à peine 28 % des Français interrogés connaissent les règles applicables en matière de consentement présumé. Le registre national des refus, qui joue statistiquement un rôle modeste, puisqu'il compte seulement 29 000 inscrits, n'est plus mentionné dans les campagnes de communication de l'Agence de la biomédecine. Cette dernière gagnerait également à agir davantage en direction des professionnels de santé en contact direct avec les donneurs potentiels et leur famille. Cela passe notamment par davantage d'audits de coordinations hospitalières, dont le nombre demeure inférieur aux objectifs fixés par le plan ministériel, et de formations à l'abord anticipé, c'est-à-dire à obtenir l'accord des proches afin de procéder à un prélèvement avant le constat clinique du décès.

Les inégalités d'accès à la liste nationale d'attente gérée par l'Agence de la biomédecine perdurent, en particulier pour les greffes rénales, en raison des différences de pratiques des équipes médico-soignantes. Le taux d'accès à la liste à vingt-quatre mois est, par exemple, inférieur de près de quarante points à la moyenne nationale en outre-mer et de vingt points dans les Hauts-de-France. Des recommandations de bonnes pratiques ont certes été élaborées par la Haute Autorité de santé (HAS), mais elles restent encore très largement méconnues.

Sur le plan quantitatif, le besoin en greffe d'organes a plus que triplé en vingt-cinq ans, passant de 6 000 demandes en 1998 à plus de 23 000 en 2022, dont près de 90 % pour les reins

À la fin de l'année 2022, le nombre total d'inscrits sur la liste nationale s'élevait à 28 500 et celui des décès annuels de patients en attente de greffe à 1 000, alors que l'activité de greffe d'organes n'a plus progressé depuis 2017.

L'Agence de la biomédecine dispose, de surcroît, d'une connaissance limitée des besoins à satisfaire en matière de greffe de tissus, y compris pour les greffes de cornées, qui font pourtant l'objet d'une inscription préalable obligatoire. Cette situation, qui s'ajoute aux problèmes de qualité des greffons prélevés, puisqu'un tissu cornéen sur deux est éliminé en raison d'un défaut de qualité, plaide en faveur d'une réforme du pilotage du réseau des banques de tissus. Ce dernier relève actuellement de 1'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et pourrait utilement être confié à l'Agence de la biomédecine.

Au-delà des besoins croissants non satisfaits, la Cour des comptes a constaté la persistance des disparités territoriales s'agissant de l'accès à la greffe, en particulier rénale. Ainsi, la proportion de patients effectivement greffés vingt-quatre mois après leur inscription sur la liste nationale d'attente est inférieure de près de vingt-huit points à la moyenne nationale en outre-mer et de huit points dans les Hauts-de-France. Des disparités existent également entre établissements, avec les délais d'attente qui peuvent dépasser trois ans, comme c'est le cas en Île-de-France. Selon plusieurs associations que nous avons contactées, ces disparités seraient liées à la pratique dite du rein local, qui consiste à mettre en commun, au niveau national, un seul des deux reins prélevés sur un donneur décédé, l'autre étant conservé par le centre où a eu lieu le prélèvement. Les différents acteurs concernés ne sont pas prêts à renoncer à cette pratique et soulignent les inconvénients qui en résulteraient.

En dépit de leur perfectionnement, les outils utilisés par l'Agence de la biomédecine pour assurer une évaluation de l'activité des équipes de greffes ne permettent pas toujours de réagir rapidement, même en cas de dysfonctionnements graves. Ainsi, neuf décès post-greffe cardiaque ont été constatés entre janvier 2015 et mars 2016 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges, et cinq autres décès post-greffe sont survenus entre février et juin 2019 à l'hôpital Henri-Mondor. Les agences régionales de santé ont certes la possibilité de suspendre ou de retirer une autorisation d'activité de greffe à la suite d'un avis motivé de l'Agence de la biomédecine, mais cette faculté est très peu utilisée. La question des seuils d'autorisation d'activité, déjà évoquée par la Cour des comptes, se pose toujours avec acuité, en particulier pour les greffes coeur-poumon. Leur mise en place est d'ailleurs une de nos recommandations.

Par ailleurs, si le suivi de l'état de santé des donneurs vivants est de plus en plus difficile à réaliser, faute de moyens humains suffisants, l'Agence de la biomédecine pourrait publier plus fréquemment des études sur leur qualité de vie, mission qui lui incombe depuis 2004.

Pour ce qui concerne les activités de prélèvement et de greffe des cellules souches hématopoïétiques (CSH), à savoir les greffes de moelle osseuse, celles-ci sont caractérisées par une très forte dépendance aux registres internationaux. Des marges d'amélioration existent, en particulier grâce au registre France greffe de moelle, géré par l'Agence de la biomédecine, qui permet de rechercher, en temps réel, les meilleurs donneurs et greffons disponibles pour un meilleur appariement.

Sur le plan quantitatif, si les cibles fixées par le ministère ont été dépassées dès les premières années d'exécution, cela s'explique surtout par la faiblesse des ambitions affichées. Avec 369 000 donneurs volontaires recensés en 2022, le registre français ne se classe qu'à la seizième place mondiale, loin derrière les registres américain, allemand et brésilien, qui en recensent respectivement 7,8 millions, 7,4 millions et 5,2 millions.

Des marges de progrès existent pour réduire l'attrition du nombre de donneurs après préinscription ou encore pour augmenter les capacités de réalisation des typages génétiques. Le coût actuel de ces typages demeure un frein important, avec un coût moyen de 110 euros en métropole par donneur inscrit contre 31 euros en Allemagne. De tels écarts s'expliquent par les différences de méthodes utilisées. Or rien ne s'oppose à l'adoption par la France des méthodes allemandes qui ont fait leurs preuves, qui sont efficientes et moins coûteuses.

Sur le plan qualitatif, des objectifs visant à rajeunir, masculiniser et diversifier la population inscrite sur le registre de greffe de moelle ont été définis, afin de disposer de profils plus variés, mais ils sont encore très loin d'être atteints.

Si l'Agence de la biomédecine a abaissé l'âge limite d'inscription de 50 ans à 35 ans à partir du 1er janvier 2021, l'âge médian des inscrits a peu évolué et demeure supérieur à la cible des 35 ans, puisqu'il atteint un peu plus de 38 ans.

Le profil des donneurs reste très peu masculin - 39 % des nouveaux inscrits sont des hommes - et peu diversifié, puisque l'on compte seulement 36 % de nouveaux phénotypes, ce qui atteste des difficultés de l'Agence de la biomédecine à convaincre les publics ciblés.

Faute de disposer d'un registre suffisamment large et diversifié, les médecins greffeurs sont contraints de se tourner vers les registres internationaux, ce qui conduit l'Agence de la biomédecine à acheter des greffons à l'étranger en vue de leur cession aux établissements de santé. La proportion des greffons provenant de donneurs étrangers au bénéfice des patients français atteint 93,5 %, soit une quasi-absence d'autonomie, alors qu'elle était de seulement 3,6 % en 1988.

Les donneurs allemands représentent, à eux seuls, près de 60 % des prélèvements réalisés pour des patients français depuis 2018. Le plan ministériel 2022-2026 entend y remédier en fixant un objectif de 25 % de greffons provenant de donneurs nationaux, qui paraît peu réaliste au regard des chiffres actuels.

Le faible taux de couverture des besoins altère non pas uniquement la santé publique, mais aussi l'équilibre financier de l'assurance maladie. Certains registres internationaux proposent des tarifs particulièrement élevés comme le registre américain, puisque chaque greffon de moelle osseuse ou de sang périphérique est facturé entre 35 000 et 40 000 euros, soit près du double de ce qui est proposé en Allemagne, même si tous les professionnels de santé rencontrés ont indiqué s'orienter, à compatibilité équivalente, vers le greffon le moins cher. Cette activité d'intermédiation de l'Agence de la biomédecine représente, à elle seule, 45 % de son budget et affecte également sa logistique comptable, avec un flux de 15 000 factures à gérer par an.

Pour conclure, j'insisterai sur les principales recommandations formulées dans le rapport de la Cour des comptes.

S'agissant de l'AMP, le nécessaire renforcement du rôle d'accompagnement et de surveillance des principales évolutions de la nouvelle loi de bioéthique par l'Agence de la biomédecine suppose de mettre en place un registre national de gestion des gamètes et des embryons afin de lui permettre de disposer d'une vision consolidée et en temps réel de l'état des stocks et des besoins de gamètes. La Cour préconise aussi d'harmoniser les règles de gestion des listes d'attente et de prélèvement des ovocytes en vue de leur autoconservation en dehors de tout motif médical.

L'amélioration du pilotage de l'Agence de la biomédecine en matière de prélèvement et de greffe d'organes et de tissus implique ensuite de lui confier le pilotage des banques de tissus humains et de fixer des seuils d'autorisation d'activité de greffe, en particulier pour le coeur et les poumons.

Quant à la coordination des activités de prélèvement et de greffe de cellules souches hématopoïétiques, la Cour recommande d'utiliser des techniques de typage génétique plus efficientes afin de revoir à la hausse les objectifs de développement quantitatif du registre France greffe de moelle, c'est-à-dire celles que l'Allemagne utilise.

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous pose les questions suivantes en qualité de rapporteur.

Tout d'abord, votre rapport souligne les difficultés de l'Agence de la biomédecine à assurer ses missions en respectant les objectifs quantitatifs et qualitatifs qui lui ont été fixés par le dernier contrat d'objectifs et de performance et par les plans ministériels.

À mi-chemin du COP 2022-2026, les objectifs qu'il contient vous paraissent-ils encore atteignables ?

Les moyens associés à la montée en charge des missions de l'Agence, en termes de ressources humaines et d'infrastructure informatique, vous paraissent-ils correctement dimensionnés et employés ?

Ensuite, la loi du 2 août 2021 a attribué de nouvelles missions à l'Agence de la biomédecine dans le champ de l'assistance médicale à la procréation. Votre rapport souligne la spécificité des missions de l'Agence par rapport à ses homologues étrangers.

Le modèle français, qui confie à une même agence un large éventail de prérogatives, vous paraît-il présenter un intérêt ou des opportunités, ou à l'inverse, des risques spécifiques ?

Dans un contexte où l'Agence de la biomédecine ne parvient pas totalement à atteindre ses objectifs, l'octroi de ces nouvelles missions vous paraît-il présenter un risque de déstabilisation de l'Agence, alors que celle-ci doit remédier aux insuffisances relevées par votre enquête ?

Enfin, la liste nationale des patients en attente de greffe ne cesse de croître : le besoin en greffes d'organes a plus que triplé en vingt-cinq ans. Les enjeux de qualité et de répartition des greffons prélevés, notamment rénaux, soulèvent deux questions principales : d'une part, celle du modèle financier de l'activité de prélèvement et de greffe ; d'autre part, celle des seuils d'autorisation d'activité, déterminante pour la qualité des transplantations.

Quel est l'état des réflexions sur ces deux questions ?

Dans quelle mesure une révision du modèle financier vous semble-t-elle de nature à soutenir l'activité de greffe d'organes ?

Mme Véronique Hamayon. - Sur les objectifs atteignables, la réponse est double. S'agissant des prélèvements et des greffes d'organes et de tissus, un certain nombre d'entre eux sont pratiquement inatteignables. Par exemple, l'objectif de greffes rénales réalisées à partir d'un donneur vivant est de 20 % ; or le maximum atteint jusqu'alors a été 16 %. J'aimerais que les faits démentent le pessimisme de la Cour.

Sur le nombre de greffes d'organes et de tissus, le constat est en quelque sorte similaire. Les couloirs de croissance fixés par le COP 2022-2026 sont volontairement faibles jusqu'en 2023, mais, à partir de 2024, la pente est raide. Ces objectifs nous paraissent également difficiles à atteindre. Ainsi, en 2023, le nombre de greffes réalisées se situe au même niveau que celui de 2015.

En revanche, pour le nombre d'établissements conventionnés, l'objectif pourrait être atteint. En effet, la cible fixée est de 65. Aussi, si l'on continue à signer quatre conventions par an avec ces établissements, ce devrait être le cas. Il en va de même pour le nombre d'audits de coordinations hospitalières. La cible est de 38 par an, nous en sommes déjà à 36 par an.

Pour ce qui concerne les prélèvements et les greffes de moelle osseuse, certains objectifs nous paraissent également difficilement atteignables, s'agissant notamment de la proportion de donneurs français rapportés au nombre de patients nationaux. En effet, la cible fixée de 25 % n'a jamais été atteinte depuis 2003. En 2023, nous sommes à 10 %, atteindre 25 % d'ici à trois ans semble extrêmement ambitieux. Quant à la masculinisation du registre, les femmes représentant toujours 60 % des nouveaux donneurs, il paraît difficile de parvenir à un équilibre entre hommes et femmes. Cela peut même sembler inatteignable.

En revanche, selon nous, deux objectifs en matière de greffe de moelle osseuse sont atteignables, sans doute parce qu'ils sont peu ambitieux. Ainsi, s'agissant du nombre de nouveaux inscrits chaque année sur le registre, la cible de 20 000 inscrits est atteinte sans difficulté, et, s'agissant du nombre total d'inscrits, la cible de 400 000 inscrits sera atteinte dès 2024, avec deux années d'avance.

Pour ce qui concerne les moyens de l'Agence de la biomédecine, il ne semble pas que les difficultés pointées dans le rapport soient liées aux moyens financiers ou humains, car ceux-ci ont augmenté. Je pourrais vous transmettre le détail des chiffres, si vous le souhaitez. Néanmoins, plus on s'appuiera sur des donneurs français, plus l'Agence de la biomédecine pourra dégager des marges de manoeuvre financières pour un certain nombre de ses missions, car 45 % de son budget est accaparé par les achats à l'étranger.

Sur la deuxième question ayant trait au modèle français et aux prérogatives larges de l'Agence de la biomédecine comparées à celles dont disposent ses homologues à l'étranger, il ne nous paraît pas évident qu'un champ de compétence plus restreint ou plus spécialisé soit gage d'efficience. Au contraire, la Cour des comptes préconise dans le rapport de rapatrier au sein de l'Agence de la biomédecine une compétence dévolue à l'ANSM.

À propos du modèle financier, je le répète, plus nous dépendons de l'étranger, plus le budget de l'Agence de la biomédecine est ponctionné, et plus nous nous appuierons sur des donneurs français, moins son budget sera sollicité ; elle pourra alors dégager des marges de manoeuvre.

Les seuils d'autorisation d'activité sont un sujet sensible, les médecins-greffeurs eux-mêmes sont partagés et réticents à en fixer. Cela dépend toutefois de la taille de l'établissement dans lequel ils exercent. Ils y sont ainsi moins favorables dans les petits établissements, car cela risquerait de les priver d'une activité qu'ils exercent actuellement.

La Cour des comptes a donc prudemment concentré sa recommandation de fixer des seuils d'autorisation d'activité sur la seule greffe coeur-poumon. En effet, en l'espèce, une corrélation a été établie entre la qualité de la greffe, le taux de mortalité induite par la greffe, et le seuil d'activité. Plus un établissement hospitalier pratique des greffes coeur-poumon, moins l'on recense d'accidents ou de décès.

Mme Florence Lassarade. - Quelles sont les relations de l'Agence de la biomédecine avec l'Établissement français du sang ? Pourrions-nous améliorer la publicité pour les greffes de moelle osseuse par l'intermédiaire de ce dernier ?

Les représentants des associations de greffés du rein insistent sur l'intérêt de disposer de doubles blocs opératoires, permettant de réaliser le prélèvement et la greffe au même endroit et d'éviter les transports d'organes compromettant la survie du greffon. L'Agence de la biomédecine s'intéresse-t-elle à cette question ?

M. Khalifé Khalifé. - Au cours de ma carrière, j'ai assisté à l'évolution de la communication sur les dons d'organes. Depuis quelque temps, nous avons un peu baissé les bras en la matière, peut-être sous l'effet du covid-19, alors que l'on communiquait au plus près des populations, dans les associations voire dans les petites communes. J'ai regretté l'absence d'un point sur ce sujet dans vos recommandations. Nous devons être au plus près des publics et les gens doivent pouvoir en discuter.

Certaines structures hospitalières sont agrées pour réaliser des prélèvements multiorganes (PMO), qui ne sont pas simples. Lorsqu'un PMO arrive, les structures de greffeurs sont prévenues ; tout le monde doit se mettre d'accord et l'équipe doit être présente, car certains médecins souhaitent effectuer eux-mêmes le prélèvement. Un bloc opératoire est alors monopolisé pendant au moins douze heures, alors que les hôpitaux gèrent les soins d'urgence. C'est un frein assez important dont nous devons tenir compte dans nos réflexions.

Sur les seuils d'autorisation d'activité, en dehors des greffes coeur-poumon, l'expérience est certes importante, mais si on empêchait des chirurgiens de greffer faute d'atteindre le seuil nécessaire, peut-être ne resteraient-ils pas motivés pour se battre afin de réaliser des prélèvements pour d'autres. C'est humain.

Au sujet des donneurs étrangers, sommes-nous certains que les prélèvements sont effectués dans les mêmes conditions éthiques qu'en France ? Ces donneurs sont-ils bénévoles ?

M. Olivier Henno. - Les conclusions de ce rapport nous bousculent, si je puis dire, au regard de nos objectifs. Si les difficultés de l'Agence de la biomédecine pour atteindre ses objectifs ne sont pas liées à ses moyens financiers et humains, sont-elles dues à des problèmes d'organisation ou aux principes de bioéthique auxquels nous sommes attachés ? Dans ce dernier cas, si tout en appliquant ces principes, nous achetons dans les pays qui ne les respectent pas, notre modèle est alors remis en cause.

M. Bernard Jomier. - J'ai participé au conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, qui est une des plus belles agences dont nous disposons et qui réalise un travail de très grande qualité. Plusieurs questions soulevées dans votre rapport sont régulièrement débattues en son sein.

Vous avez souligné l'absence de cadre réglementaire s'agissant de la limitation des stimulations hormonales. Quel cadre réglementaire faudrait-il adopter ? Un référentiel de bonnes pratiques vous semble-t-il suffisant ? Appelez-vous au recours à un niveau supérieur de réglementation ? Pour ma part, j'ai pu constater que les acteurs confrontés à cette situation essayaient de trouver des solutions en recherchant un consensus. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose en ces temps de simplification administrative, car cela permet d'éviter l'empilement de normes.

Pour ce qui concerne la palette trop large de missions de l'Agence de la biomédecine, quelle est la position de la Cour ? S'agit-il de scinder les activités et d'en confier certaines à d'autres agences existantes ou de créer une nouvelle agence ?

Sur les greffes, les référents prévus dans toutes les agences régionales de santé, afin de veiller à la bonne application du plan ministériel pour le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus greffe 2022, sont-ils opérationnels ?

Mme Véronique Guillotin. - Avant-hier, un article du journal Le Monde traitait de l'insuffisance rénale chronique dont la greffe est un des traitements, outre les dialyses, et évoquait le difficile respect des bonnes pratiques par certains centres. L'Agence de la biomédecine exerce-t-elle des contrôles sur les dialyses, car l'article y faisait référence ?

Mme Véronique Hamayon. - Pour répondre à Mme Florence Lassarade, des relations existent entre l'Agence de la biomédecine et l'Établissement français du sang et des campagnes de communication ont été réalisées en commun. Toutefois, leurs relations sont parfois complexes et des synergies doivent sans doute être recherchées, comme le suggérait l'expertise que nous avons menée sur l'Établissement français du sang voilà quelques années.

Sur les doubles blocs opératoires, la Cour des comptes ne s'est pas étendue sur cette question, qui présente un réel intérêt, dans son rapport. En outre, à notre connaissance, l'Agence de la biomédecine ne s'est pas prononcée sur ce sujet.

Pour répondre à M. Khalifé sur la communication, nous en parlons dans le rapport. Ainsi, une des recommandations a trait aux outils permettant à l'Agence de la biomédecine de réduire les oppositions aux prélèvements et, parmi eux, figure la communication. Nous insistons sur l'importance de réaliser de véritables campagnes de communication très directes. L'histoire du petit Joseph atteint d'une leucémie aiguë, qui fait l'objet d'un encadré dans le rapport et qui a défrayé la chronique voilà quelques années en atteste. Sa mère avait lancé un appel via les médias pour obtenir un don de moelle. Or les semaines qui ont suivi ont vu les donneurs affluer pour s'inscrire. Vous avez raison, la communication est essentielle pour inciter les Français à s'inscrire sur le registre des donneurs.

Sur les prélèvements multiorganes, vous soulignez les problèmes d'organisation liés au fait que des blocs opératoires sont alors bloqués, je laisse la parole au rapporteur.

M. Quentin Huby, conseiller référendaire en service extraordinaire, rapporteur à la Cour des comptes. - Le rapport traite des missions de l'Agence de la biomédecine et non pas de la politique de la greffe en France. Le problème majeur est que l'Agence n'a pas de prise sur les difficultés rencontrées par les coordinations hospitalières. Nous avons rencontré plusieurs coordinations hospitalières, notamment à Lille et à Rennes, qui nous ont fait part d'enjeux autour de la réservation des salles d'opération et de la place de l'activité de prélèvement d'organes. Cela concerne toutefois moins la greffe : cette activité est reconnue dans les établissements de santé, ce qui est moins le cas pour les prélèvements. Le rôle de l'Agence en la matière passe par les services régionaux d'appui qui viennent, par définition, en appui de ces coordinations hospitalières, ce qui explique un certain nombre des difficultés observées.

Mme Véronique Hamayon. - Sur les seuils d'activité, ils sont pertinents pour les greffes coeur-poumon ; le consensus n'existe pas pour les autres organes.

À propos des donneurs étrangers de moelle osseuse et des conditions éthiques des prélèvements réalisés, nous n'avons pas d'information relative à une rémunération des donneurs. Sur la qualité des greffons, des contrôles rigoureux sont effectués par l'Agence de la biomédecine, mais peut-être également par d'autres organismes ; Quentin Huby pourra peut-être compléter.

M. Quentin Huby. - Le registre France greffe de moelle est membre de la World Marrow Donor Association (WMDA), dont la procédure d'accréditation implique le respect d'un certain nombre de critères de qualité, permettant des garanties internationales sur les greffons donnés aux patients français. Le renouvellement de l'accréditation du registre français figure d'ailleurs également dans le plan ministériel 2022-2026.

En ce qui concerne l'aspect financier, chaque droit est particulier ; l'enquête contient un tableau où figurent les différents tarifs pratiqués. Certains registres américains proposent des tarifs très élevés : il existe donc un vrai risque de dérive commerciale. Les médecins qui réalisent des greffes de cellules souches hématopoïétiques (CSH) nous ont d'ailleurs alertés : à qualité égale, ils privilégient toujours les greffons les moins chers, mais ce n'est pas toujours possible. Quoi qu'il en soit, dans la mesure où il s'agit de droit international, chaque État est libre de réguler ou non les tarifs pratiqués par les différents registres, sachant qu'un certain nombre d'entre eux, comme le registre allemand, ont un caractère privé, contrairement au registre français qui, lui, est géré par une agence publique.

Mme Véronique Hamayon. - M. Olivier Henno a demandé s'il s'agissait d'une question de moyens, d'organisation ou de principes bioéthiques. Les difficultés que nous avons pointées relèvent non pas des moyens dévolus à l'Agence de la biomédecine, mais de questions d'organisation et de choix stratégiques. L'Agence pourrait être plus efficace à moyens égaux par une meilleure stratégie de communication, par des audits de coordination hospitalière, par son implication dans la formation des professionnels de santé amenés à greffer, etc.

M. Jomier a évoqué la question du cadre réglementaire. Un référentiel de bonnes pratiques est-il suffisant ? La Cour des comptes ne se prononce pas sur ce point, elle souligne simplement que l'on ne peut se satisfaire d'une situation dans laquelle les centres auraient la main sur les règles et sur les modalités d'accès à l'AMP. Il faut donc harmoniser ces règles au niveau national pour que les chances des femmes soient les mêmes sur tout le territoire. Peut-être faut-il expérimenter d'abord la piste d'un référentiel de bonnes pratiques avant de passer à un texte réglementaire ?

Nous ne disons pas que la palette des missions de l'Agence est trop large. Ses missions sont effectivement très larges - elles ont d'ailleurs encore été élargies depuis 2021 -, mais elle a les moyens de les exercer. Le fait que ses missions soient beaucoup plus larges que celles de certains de ses homologues à l'étranger n'est pas un problème en soi.

L'insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) n'est pas le coeur du sujet de cette enquête. Je vous renvoie à un rapport publié par la Cour des comptes il y a quelques années qui dénonçait un certain nombre de mauvaises pratiques dans certains centres de dialyse, qui ont d'ailleurs fait l'objet il y a quelques jours d'un article dans Le Monde. Quoi qu'il en soit, en dehors du rôle indirect qu'elle joue en gérant le registre du réseau épidémiologie et information en néphrologie (REIN), l'Agence de la biomédecine n'est pas en première ligne sur la question de l'IRCT.

Mme Corinne Imbert. - Je vous remercie de nous avoir rassurés en nous disant qu'il ne s'agissait pas d'une question de moyens, c'est une bonne nouvelle !...

En complément des remarques d'Olivier Henno, les objectifs du plan ministériel n'ont-ils pas été justement très ambitieux pour justifier les moyens supplémentaires accordés à l'Agence ? La communication est effectivement essentielle pour lever les freins au prélèvement. Quid du taux d'activité des équipes de greffe dans les hôpitaux ? Les services de prélèvement et de greffe sont-ils préservés des difficultés de l'hôpital ?

En ce qui concerne l'AMP, vous soulignez dès le début de votre rapport l'allongement des délais d'attente pour l'accès à la première consultation. Cette hausse, qui n'avait pas été anticipée, met sous tension les structures.

Pour garantir un meilleur accès à ce nouveau droit, l'ouverture à des structures privées lucratives - sous réserve de tarifs encadrés - vous paraît-elle une solution ? Les surcoûts découlant des nouveaux parcours d'assistance médicale à la procréation s'élèveraient à 7,3 millions d'euros par an. Qu'englobe ce chiffre ? Avez-vous pu établir un bilan financier de la réforme ouvrant l'accès à l'AMP aux femmes en couple et aux femmes seules ?

Le terme de démocratie sanitaire est absent de votre rapport. Comment l'Agence devrait-elle se positionner en la matière ? Cela pourrait-il aider l'Agence à être mieux connue du grand public et des professionnels de santé ?

Mme Annick Petrus. - Le plan 2017-2021 n'a pas atteint ses objectifs. La difficulté ne réside ni dans les moyens financiers ni dans les moyens humains. Serait-ce une question de méthode, de réglementation ou d'éthique ? L'importation des gamètes est autorisée en France, mais elle est très encadrée : elle est soumise à l'autorisation de l'Agence de la biomédecine, et doit être effectuée dans des conditions expressément prévues par le code de la santé publique, notamment pour la poursuite d'un projet parental précis. Un assouplissement de ces règles pourrait-il nous aider à reconstituer plus rapidement nos stocks ?

Mme Anne Souyris. - Les chiffres de 2023 de l'Agence de la biomédecine signalent un allongement préoccupant des délais d'attente pour la procréation médicalement assistée, qui atteignent désormais 16 mois pour les dons de spermatozoïdes et 24 mois pour les dons d'ovocytes. Cette situation est particulièrement problématique pour les couples de femmes et les femmes seules auxquels la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique avait promis d'ouvrir l'accès à l'AMP. Quelles sont les réponses à apporter pour améliorer cette situation ?

Mme Annie Le Houerou. - La loi de 2021 relative à la bioéthique a autorisé l'autoconservation des gamètes pour les femmes de 29 à 37 ans. Seuls 41 centres sur les 104 centres d'AMP français sont autorisés à pratiquer cette autoconservation. Pouvez-vous nous éclairer sur ces chiffres ? Certaines directions évoquent le fait que cette activité ne serait pas rentable, mais le nombre de femmes en attente est important. Le droit à cette autoconservation va jusqu'à 39 ans, mais en réalité les femmes n'y ont plus accès à partir de 35 ans. Quelles mesures transitoires préconisez-vous pour que le droit de ces femmes puisse être respecté ?

Ma deuxième question concerne la communication sur les dons d'organes. On constate une évolution très timide des donneurs. De nombreux maires s'engagent pour promouvoir ces dons. Ne faudrait-il pas élargir ces campagnes nationales aux entreprises et aux administrations ?

Mme Silvana Silvani. - J'ai été étonnée par le taux de refus, qui dépasse 40 % sur certains territoires, soit près de la moitié de la population. Le don d'organe est une question éminemment intime, personnelle, voire culturelle. La communication et l'information ont donc un impact assez réduit. Comment travaille-t-on sur ces sujets ? Le don était auparavant un acte volontaire. Aujourd'hui, l'acte volontaire est le refus de donner. Quel impact cette inversion a-t-elle eu sur le don ? Il ne faudrait pas non plus tout mettre sur le dos de l'épidémie de covid-19... En tout état de cause, je persiste à ne pas comprendre pourquoi l'on se fixe des objectifs que l'on sait inatteignables.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Ma question concerne le « tourisme de transplantation ». Quel est son impact sur l'accès aux soins pour les malades qui sont soumis, au nom de la solidarité nationale, au principe du consentement ? Ce tourisme ne pourrait-il expliquer un certain nombre de refus ? Vous l'avez souligné, les listes d'attentes sont différentes selon les territoires. Dans le Bas-Rhin, les temps d'attente pour les greffes sont parmi les plus longs, car le département fait face à l'entrée, par des filières étrangères, de malades des pays de l'Est en état d'urgence. Ils sont donc prioritaires. L'Allemagne, elle, ne prend en charge les dialysés que pendant quinze jours, avant de les reconduire à la frontière. Quelles pistes proposez-vous pour mieux encadrer les bénéficiaires ?

Mme Véronique Hamayon. - Madame Imbert, les objectifs fixés à l'Agence n'ont aucun rapport avec les moyens dont bénéficie cette dernière. Vous m'avez interrogée sur le taux d'activité des équipes de greffes et vous m'avez demandé si les services de greffes pouvaient être atteints par les difficultés de l'hôpital. Je n'ai pas de chiffres à vous communiquer, mais il n'y a aucune raison que ces services échappent aux tensions du secteur hospitalier. L'ouverture au privé lucratif pour régler une partie des problèmes liés aux délais d'attente n'est pas un débat tabou. Un groupe de travail au sein de l'Agence de la biomédecine se penche sur ces questions. Des propositions ont été avancées, notamment pour déléguer au privé un certain nombre de tâches en amont, en particulier administratives. Cela pourrait permettre de désengorger les centres et de réduire les délais d'attente.

L'expression « démocratie sanitaire » est absente du rapport, mais pas le concept lui-même, qu'il s'agisse du comité de suivi des principales innovations, des différents groupes de travail, de la préparation des plans ministériels, etc.

Mme Petrus m'a interrogée sur l'importation des gamètes. Les stocks de gamètes sont liés au nombre de donneurs, lui-même en lien avec notre capacité à convaincre les Français de faire un don. Il y a donc là un vrai sujet de communication.

Je n'ai pas de réponse à apporter à la question de Mme Souyris sur les délais. Notre rapport souligne simplement que l'accès à l'AMP se heurte à cette difficulté. Aujourd'hui, les objectifs sont loin d'être atteints. Nous avons formulé un certain nombre de recommandations : meilleure communication, ouverture de davantage de centres, délégation au secteur privé de certaines tâches, etc.

Mme Le Houerou a relevé que seuls quarante et un centres sont aujourd'hui autorisés à pratiquer l'autoconservation de gamètes. D'autres centres devraient-ils être autorisés à le faire ? À quel rythme ? Combien de dossiers sont-ils actuellement instruits en ce sens ? Sur ces points, je cède la parole à Quentin Huby.

M. Quentin Huby. - À titre dérogatoire, un certain nombre de centres d'AMP ont été autorisés à pratiquer l'autoconservation des gamètes pour raison non médicale. Tout cela sera revu à l'issue des nouveaux projets régionaux de santé. L'objectif est donc bien de développer cette activité. Je n'ai pas très bien compris les chiffres que vous citez, madame la sénatrice, vous avez notamment évoqué les coûts ?

Mme Annie Le Houerou. - Certains centres qui pourraient développer cette activité ne le font pas, car ce n'est pas rentable.

M. Quentin Huby. - À ma connaissance, tous les centres qui en ont l'autorisation développent cette activité. L'assurance maladie prend en charge les frais associés à l'autoconservation pour motif non médical. Le seul reste à charge pour les patients est le forfait annuel.

Mme Véronique Hamayon. - Mme Silvani a été interpellée par le taux de refus très important, entre 30 % et 40 % selon les régions. Elle souligne que le refus est aujourd'hui un acte volontaire et se demande s'il ne faudrait pas inverser les choses. Il y a deux écoles en la matière : l'acceptation explicite, comme en Allemagne ; ou l'acceptation implicite, comme en France.

Ce que l'on remarque, en l'état des données dont on dispose, c'est que l'acceptation implicite donne de meilleurs résultats en termes de dons. Ce n'est peut-être pas vrai en France, mais cela l'est dans d'autres pays - à condition, toutefois, de laisser une marge de manoeuvre aux familles, comme c'est le cas d'ailleurs en France. Chez nous, en dépit du fait que l'acceptation est censée avoir été actée dès lors qu'il n'y a pas eu de refus, les équipes médicales de greffes se tournent systématiquement vers les familles, et c'est à ce stade que le taux de refus est extrêmement important. Il n'y a pas de raison que cela ne fonctionne pas en France : nous devons mieux communiquer, mieux expliquer, faire beaucoup d'efforts de pédagogie et mieux former aussi les équipes médicales à convaincre les familles de laisser faire le prélèvement d'organes, en particulier sur les décédés.

Le tourisme médical ne se cantonne pas aux échanges entre la France et l'Allemagne...

M. Quentin Huby. - Vous avez évoqué des durées d'attente très longues dans la région Grand Est. Il y a des disparités entre établissements. Nous avons essayé de faire une cartographie des délais en 2022. Dans certains établissements, les délais sont très courts. Des réponses ont été apportées par l'Agence pour contrecarrer ces difficultés et améliorer la répartition des greffons. Toutefois, les patients sont libres de choisir l'établissement où ils se font inscrire sur la liste nationale... Les garde-fous mis en place ont donc des limites. Même avec des outils de répartition, vous ne pourrez pas empêcher un citoyen de regarder le rapport de l'Agence et d'y trouver l'information sur la durée moyenne. Vous avez évoqué aussi des problématiques liées aux questions transfrontalières. Nous ne les avons pas spécifiquement étudiées.

Mme Véronique Hamayon. - Mme Imbert nous a demandé un bilan de l'application de la loi sur le nombre de femmes seules ou le nombre de femmes en couple qui ont recours à une AMP. Nous n'avons pas de chiffres précis. Évidemment, on ne peut pas poser la question de l'orientation sexuelle des femmes qui se présentent à l'AMP...

Mme Corinne Imbert. - Je pensais surtout au coût financier de l'ouverture de ce nouveau droit aux femmes en couple ou aux femmes seules. J'ai vu dans votre rapport le chiffre de 7,3 millions d'euros...

Mme Véronique Hamayon. - C'est cela.

M. Philippe Mouiller, président. - Merci à la Cour pour la qualité de ses travaux. Nous avons toujours beaucoup de plaisir à vous entendre en commission. C'est un sujet à suivre.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

II. Audition de Mme Marine Jeantet,
directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Réunie le mercredi 14 février 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission procède à l'audition de de Mme Marine Jeantet, directrice générale de l'Agence de la biomédecine, à la suite de l'enquête de la Cour des comptes sur les missions de l'Agence après la dernière loi de bioéthique.

M. Philippe Mouiller, président. - Nous recevons ce matin Mme Marine Jeantet, directrice générale de l'Agence de la biomédecine.

Il s'agit de faire suite à l'enquête de la Cour des comptes sur l'Agence de la biomédecine, que la présidente Catherine Deroche avait demandée à la Cour en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières. Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre, était venue nous en présenter les conclusions le 31 janvier dernier.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Madame la directrice générale, je vais sans tarder vous donner la parole afin que vous nous présentiez la vision de l'Agence sur cette enquête de la Cour des comptes.

Mme Marine Jeantet, directrice générale de l'Agence de la biomédecine. - Je suis heureuse de pouvoir vous donner ma version sur les recommandations formulées par la Cour des comptes. Son rapport, pour lequel les personnels de l'Agence ont consacré plus de 300 heures de travail, comporte malheureusement un nombre non négligeable d'inexactitudes, que je tiens à rectifier ici, dans le prolongement de la réponse que l'Agence a faite à la Cour en novembre dernier.

L'une des critiques majeures de la Cour concerne l'atteinte de nos objectifs sur les plans que l'Agence est chargée de piloter. Or ces mêmes objectifs sont fixés non par l'Agence, mais par le ministère : ce sont des objectifs politiques de santé publique.

L'inspection générale des affaires sociales (Igas), dans le cadre de l'évaluation du précédent contrat d'objectifs et de performance (COP), avait elle-même écrit dans son rapport qu'une partie de ces objectifs, très ambitieux, n'était de toute façon pas atteignable, le système de soins n'ayant pas la capacité d'y répondre. C'est la raison pour laquelle nous avons préféré raisonner sur des courbes de croissance : les chiffres pour 2023, rendus publics hier, montrent que nous sommes bien dans les « couloirs de croissance » prévus.

Une grande partie des objectifs fixés dépendent non pas directement de l'Agence, mais des établissements de santé. Dans son rapport, la Cour ne fait pas une seule fois mention de l'impact de la crise du covid-19, qui a pourtant largement désorganisé l'hôpital et conduit à un départ massif de personnels. Nombreux sont les centres hospitaliers universitaires (CHU) qui ne fonctionnent pas à pleine capacité, pour cause de fermeture de blocs et de lits de soins critiques. Malgré la volonté des médecins et des directeurs d'établissement, qui ont lancé une politique de recrutement et de réorganisation à grande échelle, rien ne se fait facilement. Nous n'avons pas encore retrouvé le niveau de chirurgie d'avant-crise, et le secteur de la greffe ne fait pas exception.

Dans ce contexte difficile, je tiens à remercier l'ensemble des personnels hospitaliers : malgré les tensions et les difficultés que traverse l'hôpital, ils se mobilisent pour nous permettre de parvenir à un niveau somme toute très honorable.

Nous faisons actuellement la tournée des CHU pour analyser les problèmes, propres à chaque établissement, avec l'ensemble des équipes, car les solutions sont locales, régionales, et non nationales. Nous nous sommes rapprochés des agences régionales de santé (ARS) pour mettre en place un réseau de référents - un par agence -, les former et les acculturer à ces sujets techniques. Le démarrage est prometteur.

Concernant l'activité de greffe, je m'appuierai sur un PowerPoint, que je vous ai transmis et qui récapitule les chiffres présentés hier à la presse.

Chaque jour, nous comptabilisons 23 nouvelles inscriptions sur la liste nationale d'attente de greffe : c'est beaucoup et les besoins en la matière sont croissants. Sur ces 23 personnes, 15 peuvent être greffées : après une chute en 2020, la courbe remonte. Sur ces 23, 2,3 personnes décèdent : la mortalité a diminué, mais reste trop importante. Cela tient aussi à l'effet covid : les personnes en attente de greffe étaient particulièrement fragiles ; elles ont payé un lourd tribut. Au total, le nombre de personnes en attente de greffe augmente donc de 6 par jour. Les greffes ne permettent pas de couvrir les besoins, d'où la nécessité d'un effort accru.

Le taux d'opposition au prélèvement d'organes du défunt rapporté par les familles a augmenté l'année dernière, pour s'établir à 36,1 %, soit un niveau bien supérieur à celui des années précédentes. Ce taux est très variable selon les régions. Je n'ai pas d'explication toute faite, les raisons étant à l'évidence multifactorielles. Il y a des déterminants hospitaliers, qui tiennent notamment à la durée de l'hospitalisation, à la qualité de la relation avec l'équipe médicale, au niveau de coordination hospitalière pour ce qui concerne l'abord des proches. D'autres déterminants jouent, sociétaux, sociaux, qu'il faut creuser.

L'année dernière, le nombre des prélèvements a décollé en Île-de-France, mais largement diminué en Auvergne-Rhône-Alpes et en Nouvelle-Aquitaine, alors que ces deux régions ne sont pas celles qui enregistrent le plus haut niveau d'opposition. Une telle diminution est fortement liée à la désorganisation hospitalière. Attention, donc, à ne pas tirer de conclusions hâtives.

Dans son rapport, la Cour a longuement insisté sur l'hétérogénéité d'accès à la liste d'attente. Nous avons plusieurs moyens de la mesurer. Souvent, le critère porté par les associations et par certains professionnels se résume au taux d'inscription, avec l'accent mis sur les disparités régionales.

Nous privilégions un autre mode de calcul. Pour la greffe de rein, nous raisonnons par rapport au début de la dialyse, car c'est le temps écoulé entre le début de la maladie et l'accès à la greffe qui importe. Il y a un réel problème outre-mer et dans le nord de la France, en raison d'une plus grande prévalence de certaines maladies dans ces régions, d'une moindre quantité de prélèvements, d'une offre de soins plus faible.

À ce sujet, la Cour nous reproche de ne pas avoir suffisamment diffusé les recommandations formulées par la Haute Autorité de santé (HAS) en octobre 2015. L'Agence de la biomédecine n'a pas pour mission de faire la promotion des recommandations sur la dialyse. En l'espèce, notre coeur de métier, c'est la greffe. Nous travaillons actuellement avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) en vue du prochain rapport Charges et produits, dans lequel un chapitre sera consacré à la maladie rénale chronique.

Nous avons mis en place des outils permettant aux professionnels de comparer les filières et d'optimiser les prises en charge. Nous avons également élaboré des « scores » d'allocation des greffons, avec des simulations assez poussées, en vue de répartir le moins inéquitablement possible le poids de la pénurie d'organes.

Je prendrai l'exemple du « score coeur ». Nous avons modifié les modalités de calcul du score coeur pour aller vers plus d'équité, pour optimiser l'allocation des greffons et, partant, la durée de vie : cela a permis de faire baisser la mortalité pour l'ensemble des patients tout en conservant une attention particulière pour ceux qui sont en « super-urgence ».

L'activité de greffe d'organes continue de progresser. Le nombre de greffes a augmenté de 2,5 % l'an passé. Nous essayons de diversifier l'origine des greffons : 16 % d'entre eux proviennent de donneurs vivants ; notre objectif est de porter ce taux à 20 %. De même, le nombre de dons d'organes et de tissus provenant de donneurs décédés après arrêt circulatoire de la catégorie 3 de Maastricht - DDAC M3 - a aussi considérablement augmenté. Je salue la forte mobilisation de nos équipes pour diversifier nos sources d'approvisionnement en greffons et pour augmenter le nombre de ces derniers.

En ce qui concerne les prélèvements d'organes et les greffes, notre trajectoire est conforme à nos objectifs. Ceux-ci sont d'ailleurs assez ambitieux pour les années à venir, car les besoins sont élevés. Nous devrons, pour les atteindre, mobiliser l'ensemble des établissements, résoudre les problèmes d'organisation de la filière ou d'accès aux blocs opératoires, par exemple, ce qui n'est pas simple.

L'activité de prélèvement de tissus a progressé, l'année dernière, de plus de 11 % par rapport à 2022. L'organisation des banques de tissus constitue un enjeu important. La Cour des comptes le souligne à juste titre dans ses recommandations, et je pense que nous devons travailler sur cette question. Contrairement à ce que dit la Cour, toutefois, ce n'est pas l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui pilote les banques de tissus, car personne ne les pilote. L'ANSM est simplement chargée de les inspecter, et cela ne devrait pas changer. Nous allons étudier la recommandation de la Cour, pour comprendre ce qu'elle signifie de manière concrète.

J'en viens à l'activité d'allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH). On effectue environ 2 000 greffes de moelle osseuse par an en France. L'Agence s'occupe des greffes non apparentées. Cette activité se développe. Nous essayons de trouver des donneurs à l'étranger ou en France qui soient compatibles avec les patients : dans 90 % des cas de greffes non apparentées, le greffon provient de l'étranger, mais inversement, dans 54 % des cas, les donneurs français sont sollicités pour greffer des patients étrangers. Ce pourcentage élevé témoigne de la qualité du registre français des donneurs volontaires de moelle osseuse.

La Cour estime que ce registre n'est pas assez masculinisé. Je tiens toutefois à rappeler que nous avons réalisé un travail très important pour faire évoluer notre communication, en recourant à des stratégies d'influence ou de marketing ethnique, afin de toucher des hommes issus de la diversité, ce qui n'est pas si simple. La proportion d'hommes inscrits est ainsi passée de 24 % en 2021 à plus de 36 % en 2023. Nous avons inversé la tendance en deux ans, alors qu'il est très difficile de trouver des donneurs parmi les hommes ; c'est vrai aussi pour les dons des gamètes, les femmes sont plus généreuses.

Je voudrais revenir sur l'intermédiation, sujet sur lequel, selon moi, la Cour se trompe fortement. Elle n'a pas compris en quoi consistait cette activité. L'Agence ne fait qu'acheter les greffons à l'étranger et les revendre aux établissements. C'est tout à fait neutre financièrement. L'Agence joue simplement un rôle de « passe-plat » ou de courtier pour le compte des établissements, afin de faciliter leurs démarches. En tout cas, ce n'est pas en réduisant cette activité que l'on augmentera nos marges de manoeuvre financières. Cette activité, j'y insiste, est neutre financièrement pour nous. Nous avons essayé de l'expliquer à la Cour, mais celle-ci n'a pas tenu compte de nos remarques.

Je rappelle aussi que lorsque nous achetons des greffons à l'étranger, nous respectons tout à fait les règles éthiques. Nous n'achetons pas directement auprès des donneurs. Le coût d'un greffon correspond au coût de son prélèvement, de sa préparation, de son typage, de sa conservation, de son transport, etc. Nous-mêmes, nous vendons des greffons, alors qu'ils sont issus d'un don anonyme et gratuit, même si les greffons français sont un peu moins chers - de l'ordre de 12 000 euros, quand le prix est plutôt de l'ordre de 20 000 euros dans les registres européens. Je souhaite que l'on revoie ce prix de vente en 2024, afin de récupérer des ressources, non pas pour l'Agence, mais pour les établissements de santé - là encore, nous transférons les recettes aux établissements, l'Agence ne fait aucune marge.

La Cour se demande pourquoi nous sommes à ce point dépendants de l'étranger. Je rappelle que cette dépendance vaut dans les deux sens. Elle est bijective. En effet, nous nous inscrivons dans le cadre d'un réseau mondial de 73 registres. Les autres pays font aussi appel à notre registre.

Pourquoi ne pas essayer d'augmenter notre registre pour acheter moins à l'étranger et profiter du fait que nos coûts de production sont inférieurs ? C'est une piste intéressante, certes, mais encore faut-il calculer ce que coûterait l'augmentation de ce registre. La critique est facile, et j'aurais aimé que la Cour chiffre le coût de cette augmentation, malheureusement elle ne l'a pas fait... Je vais donc essayer de le faire.

Selon nos calculs, doubler la taille de notre registre, pour le porter de 400 000 à 800 000 donneurs, coûterait a minima 100 millions d'euros. Recruter des donneurs coûte cher. Il faut mener des campagnes de communication. Il est nécessaire aussi de mobiliser du personnel pour accueillir les donneurs dans les établissements de santé, faire le typage, la conservation, le classement, tenir les archives, entretenir le registre - un donneur est contacté en moyenne huit ans après son inscription, il importe donc de maintenir les liens avec les donneurs pour être sûrs qu'ils seront présents le jour J. Tout cela a un coût. Est-ce rentable ? Je ne sais pas.

En outre, le doublement du registre ne garantit pas que l'on pourra répondre aux besoins de tous les patients français, parce que l'objectif sera toujours de trouver la meilleure typologie pour le patient. Même les Allemands, qui ont un registre de 7 millions de donneurs, importent des greffons. Je ne pense donc pas que, sur le plan stratégique, cette option soit forcément la plus pertinente pour nous. L'an dernier, lorsqu'un appel au don de moelle osseuse a été lancé pour sauver le petit Joseph, l'Établissement français du sang (EFS) n'était pas en capacité de faire tous les typages. Si l'on veut doubler la taille du registre, il faut donc embaucher des gens dans les CHU ! Cette démarche a donc un coût et des risques qu'il faut évaluer.

Enfin, je voudrais aborder l'assistance médicale à la procréation (AMP), sujet qui nous a beaucoup mobilisés ces derniers temps. La demande a été multipliée par huit depuis la promulgation de la loi relative à la bioéthique, il y a deux ans et demi. Le nombre de demandes de rendez-vous après les premières consultations augmente très fortement, tout comme le nombre des premières tentatives. Les femmes non mariées qui demandent une première consultation sont majoritairement âgées de plus de 35 ans, ce qui est assez logique : il s'agit de femmes qui consultent lorsqu'elles n'ont pas pu faire des enfants de manière classique avant. En revanche, les femmes qui consultent et qui sont en couple avec une autre femme sont plus jeunes. Pour autant, parmi les femmes non mariées, près de 7 % d'entre elles ont moins de 29 ans et 1 % d'entre elles ont moins de 25 ans, ce qui n'est pas rien.

Les délais pour une AMP avec don de spermatozoïdes ont augmenté et s'élèvent à 16 mois en moyenne. Le nombre de demandes d'autoconservation des ovocytes s'est également fortement accru, notamment en Île-de-France. Les délais entre la prise de rendez-vous et la conservation effective des ovocytes s'élèvent à 14 mois en moyenne, mais ce chiffre est sans doute sous-estimé, car beaucoup de femmes vont à l'étranger. La grande majorité des femmes qui ont recours à l'autoconservation ont entre 35 et 37 ans.

Étant donné l'importance des délais, la question qui se pose est celle de l'ouverture au privé de ces activités. Le Parlement n'avait pas souhaité le faire. Mais, en dépit de l'ouverture de nouveaux centres, on peine à absorber la demande. Peut-être faudrait-il se poser la question d'une ouverture au privé pour l'autoconservation à des fins personnelles - il faut être plus prudent dans le cas des dons. La moitié de l'offre en matière d'AMP relève du privé. La situation actuelle crée des disparités entre les femmes qui peuvent aller à l'étranger et celles qui ne le peuvent pas.

M. Philippe Mouiller, président. - La Cour décrit, dans son rapport, une situation de mise sous tension des acteurs de la filière de l'AMP. Elle formule deux recommandations : la première, de mettre en place un registre national de gestion des gamètes et des embryons pour mutualiser les stocks, ce qui suppose le déploiement d'un système d'information partagé entre les centres ; la seconde, de définir des règles de gestion des listes d'attente pour l'autoconservation des ovocytes en dehors de tout motif médical. Dans quelles conditions et à quelle échéance ces recommandations vous paraissent-elles pouvoir être mises en oeuvre ?

La Cour des comptes exprime aussi ses doutes quant à la possibilité d'atteindre les objectifs fixés dans le COP 2022-2026. Pensez-vous que ces objectifs devraient être revus ?

Enfin, pour dynamiser la politique du don d'organes, de tissus ou de gamètes, on évoque souvent la nécessité d'améliorer la visibilité des institutions chargées de ces politiques par des actions de communication plus larges. Pensez-vous que la communication pourrait conduire à une augmentation substantielle du nombre de dons ? Le problème n'est-il pas surtout culturel ? Le modèle du don français, qui repose sur l'anonymat, le consentement et la non-rémunération, ne trouve-t-il pas ses limites ? D'autres pays ont fait le choix de rémunérer les dons.

Par ailleurs, je vous soumets une idée : l'Agence de la biomédecine ne pourrait-elle pas mener des actions de communication conjointement avec l'EFS pour gagner en visibilité ?

Mme Marine Jeantet. - En ce qui concerne les besoins en gamètes, la France est autosuffisante pour les spermatozoïdes, mais pas pour les ovocytes. On manque de donneuses pour répondre aux besoins. Les délais pour réaliser une AMP avec don d'ovocytes sont de plus de deux ans.

Il est vrai que donner ses ovocytes constitue un acte très engageant pour les jeunes femmes, même si tous les frais relatifs au don sont entièrement pris en charge, notamment par l'assurance maladie. Notre système de soins n'est pas non plus très adapté aux disponibilités des jeunes femmes actives : il n'est pas toujours aisé, quand vous travaillez, de prendre un rendez-vous à onze heures du matin pour faire un don ! Il faudrait s'intéresser à cette question, mais ce n'est pas si simple : cela pose la question des ressources humaines à l'hôpital.

Nos stocks de spermatozoïdes étaient importants, mais ils étaient très hétérogènes. Ils sont gérés dans chaque centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (Cécos) : certaines régions disposaient donc de stocks importants, tandis que d'autres en étaient dépourvus. Il n'existe pas de système d'information centralisé. Nous pouvons utiliser les anciens stocks jusqu'au mois de mars 2025.

L'objectif est d'optimiser les stocks pour respecter les donneurs et éviter de les détruire. Nous sommes en train d'organiser une mutualisation entre les centres. Les premiers transferts auront lieu dans les quinze prochains jours.

Toutefois, à l'occasion de cette mutualisation, on s'est rendu compte que les pratiques et les systèmes d'information étaient extrêmement divers selon les centres. Or nous sommes confrontés à un risque de pénurie, car les stocks ne se reconstituent pas de manière homogène sur le territoire. Les dons n'ont pas augmenté suffisamment pour suivre la demande. L'accès à l'AMP risque d'être inégal selon les régions.

Nous allons devoir travailler sur le système d'information. Nous y réfléchissons. Pour l'instant, ce n'est pas une mission de l'Agence. Nous verrons si nous obtenons l'accord du ministère.

En tout cas, le nouveau système devra être interopérable, car chaque Cécos a son système d'information. Il faut trouver une solution pour éviter que chaque centre ne doive ressaisir toutes ses données. Il convient aussi de garantir la traçabilité des gamètes. Je rappelle qu'on limite à dix le nombre d'enfants nés grâce à un même donneur. Il faut donc connaître l'issue des autres tentatives d'AMP faites avec un don d'une personne, pour savoir si on peut toujours utiliser ses gamètes. C'est un peu compliqué à gérer.

Nous devons mettre en place un nouveau système d'information. Cela prendra du temps - au moins dix-huit mois - et de l'argent.

Pour autant, il n'est pas impossible de parvenir à l'autosuffisance. Nous avons commencé à faire des campagnes sur le don de gamètes. Cette démarche est très récente, j'y insiste. La Cour déplore que seulement 18 % des Français aient connaissance de la loi sur le don de gamètes, mais nous ne faisons ces campagnes que depuis deux ou trois ans. On ne peut pas demander aux gens d'avoir une connaissance parfaite de la loi quelques années seulement après son adoption ! Et puis, il faut bien savoir qu'en communication, on travaille soit sur la notoriété, soit sur l'efficacité : on ne peut pas, à la fois, faire connaître la loi et inciter les gens à faire des dons. Il faut choisir ses objectifs de communication ; à chaque fois qu'on développe la notoriété, on baisse l'efficacité, et inversement.

Je pense qu'il sera possible d'importer des gamètes. Certains appellent à lever les blocages, mais il n'existe aucun blocage en la matière, l'importation de gamètes est déjà possible. Des patients qui ont commencé un parcours d'AMP à l'étranger avec un donneur et qui veulent procéder à une nouvelle tentative en France avec le même donneur, peuvent le faire. Il n'y a aucun blocage administratif ou législatif.

Vous m'interrogez sur les objectifs du COP. La Cour émettait des critiques quant à l'atteinte des objectifs du précédent plan, dans lequel ils n'étaient pas définis par un couloir de croissance, mais par des chiffres absolus. C'est pour cette raison que nous avons préféré définir, dans le nouveau COP, des couloirs de croissance. C'est un peu comme lorsque les enfants grandissent, tous ne grandissent pas au même rythme, mais tous arrivent à l'âge adulte avec une taille normale. Tel est l'esprit des couloirs de croissance.

Je ne pense pas qu'il faille réviser ces couloirs ; d'abord, cela ne relève pas de moi et, surtout, ils représentent une ambition politique et une réponse à un besoin de santé publique. Il faut garder en tête notre objectif pour répondre aux besoins des patients et, si l'on ne l'atteint pas, on l'expliquera ; se pose notamment un problème d'organisation des hôpitaux. Je serai donc plutôt prudente à ce sujet, d'autant que nous suivons notre couloir de croissance. Il ne faut pas désespérer, il faut au contraire encourager les établissements et les familles, et valoriser le don.

Sur la communication, il y a des confusions dans le discours de la Cour. Il faut bien distinguer entre la communication sur les greffes d'organes et de tissus et la communication sur les greffes de CSH.

Pour les CSH, nous avons besoin d'hommes jeunes et issus de la diversité ; pour les dons d'organes, nous nous adressons à tout le monde. Les hématologues préfèrent en effet prélever les CSH chez les hommes, car cela donne de meilleurs résultats médicaux qu'avec les femmes, dont les grossesses entraînent des immunisations de la moelle. Ainsi, pour les CSH, nous avons engagé un travail de marketing local dans les quartiers et même de marketing ethnique. Nous avons choisi d'insister plutôt sur la qualité, sur le profil de personnes visées, que sur la quantité d'inscrits. C'est un choix politique, qui correspond aux attentes des hématologues, mais nous sommes ainsi passés en deux ans de 24 % à 36 % d'hommes inscrits.

Pour la communication sur les greffes d'organes et de tissus, on nous reproche d'avoir baissé les bras, mais ce n'est pas vrai du tout, nous avons fait un effort important. Simplement, c'est difficile car nous visons tout le monde - nous sommes tous donneurs et receveurs potentiels -, ce qui est rare en matière de communication, et nous avons un budget de communication de 2 millions d'euros par an. Pour comparaison, sachez que l'opération Mois sans tabac, qui ne vise que les fumeurs, représente une dépense de 10 millions d'euros par an ; la communication de Nutella, c'est 150 millions d'euros par an...

Nous avons visé les jeunes l'année dernière, au travers de la minisérie Les Organes sur TikTok, qui a été vue 12 millions de fois ; un tiers des moins de 25 ans l'a donc vue. Globalement, 80 % des Français acceptent de donner leurs organes ; on devrait donc avoir 20 % d'opposition, et non 36 %. Le problème, c'est que les gens n'en parlent pas avec leurs proches. Il ne s'agit pas de connaissance de la loi et, pour ma part, je ne cherche pas à convaincre les indécis. Simplement, il faut que les gens expriment leur souhait, que les familles sachent, car elles respectent très souvent la volonté du défunt. Au contraire, si les gens ne savent pas, ils adoptent une attitude prudentielle.

Ce sujet n'est pas simple. Le film Revivre, de Karim Dridi, parle de la greffe chez de jeunes enfants. Le producteur a eu du mal à le financer, car cette question ne suscite pas beaucoup d'intérêt, et ce film ne sort que dans une seule salle, à Paris. J'y insiste, il est facile de dire que nous avons baissé les bras, mais ce n'est pas vrai. Tout le monde se mobilise, les élus locaux s'impliquent au travers des villes ambassadrices du don d'organes, nous essayons de développer la communication pour banaliser le sujet. Cela étant, ce n'est pas parce que l'on communique que les gens passent à l'acte ; nous ne pouvons que sensibiliser.

Mme Florence Lassarade. - En matière de greffe rénale avec prélèvement sur donneur vivant, on recommandait que le bloc opératoire soit doublé pour maximiser les chances de succès de la greffe. Sait-on combien de blocs ont appliqué cette recommandation et quels sont les résultats des greffes réalisées dans ces conditions ?

Mme Corinne Imbert. - Vous avez évoqué l'AMP et l'association du secteur privé lucratif à cette activité. Vous l'envisagez pour l'autoconservation à des fins personnelles. L'ouverture de l'AMP aux femmes seules ou aux couples de femmes a peut-être entraîné une hausse des demandes. Pourtant, l'AMP a aussi augmenté à l'étranger, notamment en Espagne. L'arrivée du secteur privé lucratif ne devrait-elle pas être envisagée sur un temps plus long ?

Le manque de dons d'ovocytes, déjà pointé par la Cour en 2019, ne s'est pas résorbé. Comment l'expliquer ?

En matière d'accès à la greffe, notamment rénale, il y a d'importantes disparités territoriales et la Cour soulignait l'absence de règles pour l'attribution de greffons. Vous avez indiqué un ratio de 2,3 % de décès faute de greffon ; est-ce faute de greffon ou plutôt d'accès à un établissement de santé ? Peut-on mourir faute d'accès au bloc ou de lit, alors même que l'on a un greffon ?

Dernière question : quel contrôle applique-t-on sur les greffons achetés à l'étranger ?

Mme Marine Jeantet. - Pour les CSH ?

Mme Corinne Imbert. - On n'importe pas de greffons ?

Mme Marine Jeantet. - Non.

Mme Corinne Imbert. - Je craignais des greffons issus de chimères.

Mme Marine Jeantet. - Il n'y en a pas.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Vos propos confirment ce que nous constatons dans les territoires : l'hôpital public traverse une grave crise, accentuée par le covid-19, qui a désorganisé l'hôpital.

Les refus de greffe atteignent des sommets en France, avec 29 % en 2019 et 36 % en 2022. Dans ma région, les Hauts-de-France, ce taux explose, puisqu'il a atteint 42 % en 2022. C'est l'une des régions les plus affectées par le refus : il y avait 550 personnes en attente d'une greffe à la fin de 2022, mais il n'y a eu que 180 greffes.

J'ai rencontré certaines associations agissant dans ce domaine et je suis convaincue qu'il faut développer la communication en la matière. En effet, nombre de familles refusent le don d'organes parce qu'elles ne connaissent pas la volonté du défunt : il est alors délicat de donner son accord au prélèvement.

Il faudrait donc engager une campagne importante de sensibilisation. Qu'en pensez-vous ? Ne pourrions-nous lancer une telle campagne, afin que chacun exprime son souhait ? Quel outil mettre en place pour sensibiliser la population ?

En outre, il y a beaucoup d'idées reçues sur le don d'organe. On redoute que le corps soit souillé. Il faudrait axer la campagne là-dessus.

À cet égard, votre budget affecté à la communication suffit-il ? Pour communiquer, il faut des ressources importantes. Par ailleurs, pour viser les plus jeunes, il faut passer par de nouveaux canaux : internet, les réseaux sociaux. Nous sommes en recul par rapport à cela.

M. Bernard Jomier. - Merci pour votre exposé.

Comme Cathy Apourceau-Poly, je veux évoquer les refus de prélèvement. Notre corpus législatif est très favorable à l'activité de greffe. En effet, pour qu'une personne ne soit pas prélevée, il faut qu'elle soit inscrite sur le registre d'opposition à la greffe - très peu de personnes le sont, me semble-t-il - ou que la famille fasse jouer son droit d'opposition, lequel est encadré. Les familles, quand elles expriment une opposition, doivent attester qu'elles relaient l'opposition de la personne décédée, et non leur propre opinion. Or ce n'est manifestement pas ce qui se passe. Les équipes sont confrontées à des situations où elles ne peuvent pas gérer cette conflictualité. Ce n'est pas ce qu'a voulu le législateur. Dans ces conditions, estimez-vous qu'il faille faire évoluer le cadre législatif ? Car finalement des personnes meurent parce qu'elles n'ont pas de greffe. De quoi avez-vous besoin, en amont des campagnes de communication, pour avancer sur ce sujet ?

Il était prévu que chaque ARS désigne un référent greffe. L'ont-elles toutes fait ? Sont-ils fonctionnels ?

L'extension des chaînes de dons croisés d'organes a-t-elle, ou non, un impact ?

Mme Marine Jeantet. - La transplantation à partir de donneur vivant donne de très bons résultats. En général, les personnes concernées sont apparentées, ce qui assure une meilleure compatibilité immunologique. Comme les opérations sont programmées, elles sont faites au bon moment pour le receveur par rapport à l'évolution de sa maladie : on peut faire des greffes préemptives, avant le début de la dialyse, ce qui préférable car le receveur est en meilleur état de santé. Le temps d'ischémie froide, la période pendant laquelle le greffon n'est pas irrigué, est très faible - les deux blocs étant côte à côte. Certes, cela peut poser problème en matière d'organisation hospitalière, car il faut mobiliser deux blocs dans un même hôpital, alors que normalement un prélèvement se fait dans un hôpital et la greffe dans un autre.

Des nouvelles recommandations ont été publiées par l'Agence au début de l'année. Elles ont permis de remettre à jour les connaissances, le corpus scientifique, sur le sujet. Le don du vivant a connu une augmentation de 8,3 % en 2023. Nous avons missionné une personne qui fait la tournée de tous les CHU. Pour autant, les résultats sont encore très disparates, car les équipes ont des cultures différentes. Ce n'est pas en un an que les choses vont changer. Certaines équipes font plus de 37 % de leurs greffes avec un don à partir d'une personne vivante ; d'autres, moins de 1 %. En 2024, notre objectif est d'améliorer ces résultats.

Pour ce qui concerne l'AMP, pour l'instant, on ne voit pas du tout l'effet stock s'arrêter ! En matière d'autoconservation, on est plutôt sur un plateau haut, qui continue à augmenter. La loi n'a que deux ans. Je pense, à titre personnel, que l'autoconservation va devenir la norme pour les jeunes femmes : on note un effet générationnel culturel. Au début, ce phénomène touchait surtout l'Île-de-France. L'information des jeunes femmes s'est améliorée et la demande augmente maintenant partout. Nous devons attendre l'effet des nouveaux projets régionaux de santé (PRS) publiés par les ARS, qui ont pris en compte cette augmentation des besoins. De nouvelles salves d'autorisations vont avoir lieu, ce qui permettra d'augmenter l'offre.

M. Michel Tsimaratos, directeur général adjoint chargé de la politique médicale et scientifique de l'Agence de la biomédecine. - Les décès sur liste d'attente ne sont pas liés directement au problème de disponibilité des hôpitaux, mais on ne peut pas dire que cela soit indépendant. Pour faire une greffe, il faut un greffon : le prélèvement peut être freiné par le taux de refus.

Il faut aussi tenir compte de la disponibilité des lits de réanimation ou de la réorganisation des filières. Après la crise du covid-19, des personnes qui ont par exemple souffert d'un AVC majeur débouchant sur un décès ont été orientées non pas vers la réanimation, mais plutôt vers des secteurs d'hospitalisation moins « chauds ». Ce phénomène échappe au recensement. Le problème de la disponibilité des lits impacte le recensement des personnes qui pourraient faire des dons.

L'opposition des familles limite aussi le nombre de griffons disponibles, et la disponibilité des blocs peut aussi avoir des conséquences. Si, pour des raisons d'organisation des blocs opératoires, on décide de ne faire les prélèvements qu'entre telle et telle heure, il est évident qu'un certain nombre de possibilités de prélever des organes seront perdues.

Aujourd'hui, 3,8 organes sont en moyenne prélevés sur une personne après son décès, mais le chiffre peut aller jusqu'à 7. Si des personnes décèdent encore aujourd'hui sur liste d'attente, c'est parce qu'il est difficile pour trouver le bon greffon au bon moment. La greffe avec donneur vivant est une situation unique : il est très rare d'avoir la possibilité d'agir concrètement pour sauver quelqu'un que l'on aime. C'est ce message de solidarité très forte entre humains qui doit nous permettre de faire progresser ce type de greffe.

Dans les équipes qui ne rencontrent pas de difficultés pour greffer l'ensemble des patients qui sont sur leur liste, la greffe avec donneur vivant peut apparaître comme une situation de dernier recours. Toute notre communication vise à faire comprendre que ce n'est pas le cas : c'est la meilleure situation pour greffer ! Les deux blocs sont mobilisés en même temps : la durée d'ischémie ne dure que deux ou trois heures, alors que l'ischémie moyenne est plutôt de l'ordre de dix heures.

Mme Marine Jeantet. - Je voudrais vous rassurer : il n'y a pas de greffons, d'organes, qui viennent de l'étranger en France. L'ischémie froide ne le permet pas. Ce qui vient de l'étranger, ce sont des greffons de moelle osseuse, et c'est alors une course contre la montre. Une agence internationale, la World Marrow Donor Association (WMDA), gère les accréditations des registres participants. Nous avons été accrédités en septembre dernier - le renouvellement se fait tous les quatre ans -, l'audit se faisant suivant des critères extrêmement exigeants de qualité et d'éthique.

Je voudrais aussi rassurer la commission sur la question des personnes étrangères qui se font greffer en France.

Un étranger résidant en France peut être greffé, tout comme il peut se faire prélever des organes. En tant que résident français, il est soumis à la loi française.

Des personnes étrangères qui ne sont pas résidentes en France se font aussi greffer dans notre pays. Elles représentent moins de 0,7 % des greffes depuis au moins quinze ans. Il s'agit de cas très rares, et le cadre est strict : le pays d'origine doit accepter de rembourser, un engagement financier est pris. Nous ne voyons pas de cargaisons de personnes débarquer pour se faire greffer, je préfère le redire car la presse a publié des articles mensongers sur ce sujet. Le processus d'inscription sur la liste nationale d'attente de greffe est très long. Et on ne greffe pas une personne étrangère si elle ne peut pas suivre ensuite un traitement immunosuppresseur dans son pays.

M. Michel Tsimaratos. - Je citerai l'exception qui confirme la règle. Lorsqu'un greffon ne trouve pas de receveur en France, il n'est pas mis à la poubelle : des conventions permettent de proposer le greffon à un patient qui serait le meilleur receveur, dans un autre pays. De façon exceptionnelle, il peut y avoir des greffons qui viennent d'un autre pays en France.

Mme Marine Jeantet. - Il est arrivé que des greffons français soient utilisés en Suisse parce qu'il n'y avait pas de receveurs en France. Mais ces cas se comptent sur les doigts d'une main durant les quinze dernières années.

Pour répondre à M. Jomier, les référents ARS ont tous été désignés, et nous les avons formés.

L'inscription sur le registre national des refus concerne 0,7 % de la population française : ce n'est donc pas cela qui bloque. Ce sont plutôt les nombreuses idées reçues qui nous inquiètent. Nous avons publié notre baromètre hier : certains Français pensent encore que les greffons ne sont pas répartis de manière équitable, que certaines catégories sont exclues. C'est faux ! Les critères qui rentrent en ligne de compte ne sont ni l'origine ethnique, ni le lieu géographique, ni l'origine socioéconomique des patients ; ce sont des critères médicaux. On essaie d'optimiser les critères d'âge, de durée d'ischémie, de capacité de survie, de risque d'aggravation selon des algorithmes assez complexes pour allouer au mieux le greffon.

Certains pensent qu'il existe des limites d'âge pour les prélèvements. Ce n'est pas le cas : on peut prélever des reins en très bonne santé sur des gens de 80 ans pour les greffer à des personnes de 65 ans ou 70 ans.

Les greffons ne sont pas utilisés à des fins scientifiques : ils le sont à des visées thérapeutiques. Il faut le répéter, car c'est une crainte qui est régulièrement formulée.

Enfin, je veux dire que les corps sont restitués avec un grand respect, et que tous les rites funéraires sont possibles après un don.

Des budgets importants de communication ont été prévus. Nous ne baissons pas les bras. Nous devons aussi agir auprès de la communauté soignante, ce que nous n'avons peut-être pas assez fait. Les soignants sont de très bons relais d'opinion, de très bons prescripteurs. Je pense aux personnels non pas des coordinations hospitalières de prélèvement, mais des services de réanimation, des urgences...

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous prie de m'excuser, mais je dois me rendre à l'hommage rendu à Robert Badinter.

- Présidence de M. Jean Sol, vice-président -

Mme Annick Petrus. - Merci, madame la directrice générale, pour votre présentation. Ma question est simple : y a-t-il eu une modification de la catégorie des donneurs ? Nos jeunes se sentent-ils concernés ?

Mme Silvana Silvani. - Merci pour votre exposé qui nous a permis de mesurer le décalage avec la présentation qui nous a été faite par la Cour des comptes.

Merci également d'avoir mis en évidence le poids de la dimension politique. J'ai eu l'occasion de m'étonner, lors de cette présentation, des objectifs fixés dont on sait qu'ils sont inatteignables.

Enfin, merci d'avoir rappelé que, sans organisation hospitalière efficace, les dons et greffes pouvaient être impactés. Si le service public hospitalier est en difficulté, cela a forcément des conséquences.

Évoquer le don sous l'angle de la solidarité, comme vous l'avez fait monsieur Tsimaratos, est intéressant aussi : cet axe de communication peut être pertinent.

Ma première question porte sur le refus du don. La suppression de la carte de donneur, qui était un acte explicite, a-t-elle eu un effet ? Car on s'appuie maintenant sur l'avis des proches.

Ma seconde question est très ouverte : quelles sont les perspectives ? Sur quoi travailler pour faire évoluer la situation ?

Mme Annie Le Houerou. - Je vous remercie également pour votre exposé.

Je veux revenir sur la difficulté d'accès des femmes de plus de 35 ans à l'autoconservation des gamètes. Seuls 41 centres sur les 104 centres d'AMP ou Cécos français ont été autorisés. On a assisté à un afflux inattendu de candidates, qui semble perdurer. Vous avez indiqué qu'une nouvelle salve d'autorisations allait être accordée : dans quel cadre ? Quelles sont les raisons de ce faible nombre de centres autorisés ? Est-ce un problème de tarification des actes, de manque de professionnels de santé affectés à ces centres ?

Vous attendez les PRS. Les orientations et les priorités seront-elles différentes d'une région à l'autre ?

Quelle solution pour rendre effectif le droit à l'autoconservation des gamètes ? Les femmes y ont droit de 29 à 39 ans, mais à partir de 35 ans cela n'est plus possible.

M. Olivier Henno. - Merci pour la qualité de vos propos. Vos réponses créent une forme de dialectique avec la présentation faite par la Cour des comptes. Notre système de santé connaît non seulement une crise d'organisation et de moyens, mais aussi une crise de sens. Or nous sommes là dans un domaine où les valeurs et les principes sont solides : anonymat, consentement, altruisme et gratuité.

Une mission d'information sera bientôt menée au sein de notre commission sur le risque de financiarisation du système de santé. Ne subit-on pas aussi dans ce domaine une forme de crise de sens ? Quel regard portez-vous sur ce qui se passe dans d'autres pays ? Importer des gamètes de pays qui n'ont pas nos valeurs et nos principes crée une distorsion.

Mme Laurence Rossignol. - Mes questions concernent l'AMP.

Le Président de la République a annoncé un grand plan de lutte contre la fertilité. Quelles conséquences en tirez-vous ?

Le taux d'échec est élevé en matière de grossesse post-vitrification. Comment le faire baisser ?

Enfin, quelles propositions pouvez-vous faire pour favoriser l'égalité d'accès et la prise en charge globale des femmes en parcours d'AMP ? Il faut non pas seulement des médecins spécialisés en AMP, mais aussi des nutritionnistes, des psychologues...

Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je vous remercie pour votre exposé. Ma question porte plus particulièrement sur les inégalités territoriales. Votre présentation met en évidence un taux d'opposition singulièrement important en outre-mer et en Corse. Les besoins sont tout de même importants dans ces territoires. Avez-vous identifié des obstacles, notamment culturels, liés à la spécificité de ces territoires et, si c'est le cas, lesquels ? Envisagez-vous alors des campagnes d'information ou de communication renforcées et adaptées ?

Le nombre de décès liés à une insuffisance d'accès à la greffe en 2023 est, me semble-t-il, de 823. Disposez-vous d'une ventilation territoriale de ces décès ?

Mme Marine Jeantet. - L'âge moyen des donneurs augmente : il est de 58 ans en 2023. Cela pose la question de la qualification des donneurs : il faut être sûr de prendre des organes de bonne qualité. Je précise que les reins représentent 63 % des greffes.

Les jeunes sont concernés. Nous utilisons des outils de communication modernes, puisque nous développons une importante stratégie digitale que vous ne voyez pas forcément si vous n'êtes pas sur TikTok, Twitch ou sur des sites de gaming. Nous menons des actions avec des influenceurs. La minisérie que j'évoquais a été faite avec les voix de certains influenceurs très connus, comme Natoo, et cela a beaucoup joué pour toucher les jeunes. Nous allons continuer ce genre d'action.

Les jeunes ont découvert le sujet avec nos campagnes. Le taux d'opposition est inversement proportionnel à l'âge des donneurs : pour les enfants, le taux d'opposition des parents est de plus de 60 %, ce que l'on peut comprendre vu la sensibilité du sujet. Nous menons un travail sur les prélèvements et les greffes pédiatriques afin de sensibiliser les réanimateurs.

M. Jomier m'a demandé s'il fallait faire évoluer le cadre législatif. Honnêtement, je ne le pense pas, car la loi ne fait malheureusement pas tout. Il existe encore des idées reçues sur une loi qui n'a pas changé depuis 1976 et sur laquelle on a pourtant beaucoup communiqué. Toute modification législative, comme on l'a constaté au moment des débats parlementaires sur l'amendement de M. Touraine, entraîne un pic d'inscriptions sur le registre des refus. Il faut donc passer par d'autres moyens.

La carte de donneur a été abandonnée il y a quelques années. Tous les pays européens qui ont un système similaire ont un taux d'opposition plus élevé, car très peu de personnes s'inscrivent sur un registre du « oui ». De nombreux pays sont en train de passer au don présumé. Par ailleurs, on ne trouve jamais la carte de donneur au moment où le problème se pose. Le plus simple, c'est d'en parler et de dire à ses proches si l'on est d'accord ou pas.

J'en viens à la question relative à la crise de sens. Il est intéressant de noter que, derrière les 0,7 % de la population qui s'inscrivent sur le registre de refus, il y a l'idée que les gens ne veulent pas être solidaires d'une société qui les a abandonnés. On a constaté par exemple un regain d'inscriptions au moment de la loi sur les retraites ou de l'instauration du passe vaccinal. Ces inscriptions traduisent une colère, même si, je le redis, le phénomène est très limité : le taux d'adhésion des Français aux dons d'organes est de 80 %. Mais on entend cette petite musique. Les gens préfèrent donner à un proche que faire preuve de solidarité. C'est la raison pour laquelle nous avons changé notre slogan : « Tous donneurs. Tous receveurs. » Les gens donnent parce qu'ils en auront peut-être un jour besoin. C'est une évolution sociétale que l'on peut regretter.

M. Michel Tsimaratos. - Dans le rapport d'information au Parlement et au Gouvernement, nous faisons le point tous les deux ans sur ces aspects d'opt-in et d'opt-out : choisir de dire si l'on veut ou si l'on ne veut pas donner ses organes. S'il faut dire que l'on souhaite être donneur, on considère que si l'on n'a rien dit, on est opposé au prélèvement. Comme peu de personnes se manifestent, le nombre de donneurs n'est pas important.

Tout n'est pas qu'une affaire de budget de communication : nous sommes souvent plus sensibles à un argumentaire venant d'une personne non concernée. L'Agence de la biomédecine peut inciter les gens de parler du don d'organes, mais le résultat ne sera pas le même si ce message vient d'un ami ou d'une connaissance. Ce que nous voulons, et nous le déclinerons dans toutes les campagnes avec un point d'orgue le 22 juin, c'est de faire en sorte que les gens s'en parlent entre eux sans que nous soyons au milieu.

Cela rejoint la question sur le nombre de personnes qui décèdent en étant inscrites sur la liste : si le taux d'opposition était de 25 %, on grefferait tout le monde ! Les enjeux ne sont pas anodins : en parler une fois suffit. Vous n'oublierez jamais l'avis d'un proche : il sera très difficile de transgresser sa décision, même dans un moment de grande émotion. Car nous voulons respecter le plus possible les volontés de la personne décédée.

Mme Marine Jeantet. - Nous vous communiquerons la répartition par territoire des décès. Nous avons publié hier notre un baromètre spécial pour les départements et régions d'outre-mer. L'adhésion est un peu moindre qu'en métropole, mais elle existe. Nous allons faire des campagnes de communication adaptées, car il y a des idées reçues et des freins culturels spécifiques.

En ce qui concerne l'AMP, oui, il n'y a que 41 centres autorisés, qui sont ceux qui pratiquaient déjà les dons d'ovocytes. Comme je l'ai dit, 50 % de l'offre d'AMP en France relève du privé. Nous n'avons autorisé que les centres publics. Nous avons communiqué aux ARS les données relatives à chaque région : elles ont organisé une planification de l'offre adaptée aux besoins tels qu'on les a mesurés. Nous espérons maintenant une augmentation de l'offre.

Nous sommes en train de travailler avec une quarantaine de professionnels sur la fluidification des parcours d'AMP. La loi prévoit que certaines étapes ne peuvent se faire que dans le public. Mais la partie bilan avant l'AMP pourrait, par exemple, se faire dans le privé. Cela pose la question du système d'information : actuellement, il n'y a pas de suivi du parcours complet des personnes en AMP. Le groupe de travail, qui a commencé ses travaux en septembre et les achèvera fin juin, cherche à créer des réseaux, pour développer un système d'information permettant d'optimiser les parcours.

En ce qui concerne le plan infertilité, nous attendions d'avoir un ministre. Je n'ai pas encore d'éléments pour savoir quelles suites vont lui être données. Le travail est en cours au sein du ministère. Le sujet de l'infertilité est plus large que la seule AMP : il englobe des questions de prévention et un aspect environnemental et sociétal, qui ne dépendent pas que de l'Agence de la biomédecine. Nous allons voir comment contribuer à ce plan.

J'indique à M. Henno que l'importation des gamètes doit respecter le cadre posé par les directives européennes. Se pose ensuite la question de l'indemnisation des donneurs. Il s'agit toujours d'une indemnisation, et non d'une rémunération, et elle peut être plus généreuse dans certains cas que d'autres. Pour les donneuses d'ovocytes, il ne faut pas négliger l'impact sur leur vie professionnelle - le temps de faire les échographies, les ponctions, etc. Une jeune femme qui aurait le statut d'indépendante n'est pas forcément dédommagée de sa perte d'activité. La question de la juste indemnisation devra se poser à l'avenir.

M. Alain Milon. - Merci pour l'ensemble des informations que vous avez données. Je suis déçu de constater que, depuis maintenant une bonne vingtaine d'années que je suis au Sénat, les problèmes sont toujours les mêmes...

Vous avez évoqué le recours aux influenceurs pour faire votre communication, ce qui m'inquiète beaucoup. Le recours à ces personnes répond-il à des critères spécifiques ?

Mme Marine Jeantet. - Les jeunes suivent les influenceurs, alors si l'on veut les toucher il faut avoir recours à ces derniers. Nous travaillons avec des agences de communication qui les connaissent bien. Les influenceurs sont rémunérés - même si Natoo l'a fait gracieusement -, via des partenariats payants, avec des contrats. Nous avons donc un moyen de contrôle. Pour l'instant, les effets ont été positifs. Nous faisons par exemple des live sur Twitch pour évoquer le don de moelle osseuse avec des influenceurs très connus : cela permet d'attirer une audience que nous n'aurions pas eue autrement.

Nous cadrons le contenu, et nous n'avons eu pour l'instant aucun dérapage, ce qui est plutôt rassurant. J'y insiste, c'est le moyen par lequel les jeunes s'informent. Si l'on ne veut pas travailler avec ces personnes, on ne touchera pas toute une frange de la population qui n'écoute plus la radio et ne lit pas les journaux. Il faut trouver une ligne de crête pour parvenir à toucher les jeunes tout en contrôlant l'information.

Mme Jocelyne Guidez. - Je veux évoquer les villes ambassadrices du don d'organes. L'idée est peut-être intéressante, mais, à l'entrée de la ville, le panneau est mis tout en bas, en dessous de tous les autres... Cela ne sert à rien ! La communication, c'est ce qu'il y a de plus dur. Le but est d'interpeller les gens qui passent, mais si on ne voit pas le panneau, de surcroît parce qu'il est souvent entouré d'herbes que l'on n'enlève plus, il y a de quoi se poser des questions !

Mme Marine Jeantet. - Le statut de ville ambassadrice du don d'organes, un dispositif créé sur l'initiative du collectif Greffes+, ne se résume pas aux panneaux. La municipalité s'engage à faire des actions de sensibilisation. Nous souhaitons que le 22 juin, une fois par an, comme le 1er décembre pour la lutte contre le sida, les villes fassent une campagne de communication sur leurs panneaux d'affichage du style « parlez-en à vos proches ».

On commence à faire des partenariats avec la RATP et la SNCF. Si un message est diffusé dans toutes les gares de France le 22 juin pour que chacun fasse connaître à ses proches sa position sur le don d'organes, on touche quasiment toute la population française ! Les petits ruisseaux font des grandes rivières, et toutes les initiatives sont bonnes pour mobiliser et relayer le message.

M. Jean Sol, président. - Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

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Consultable uniquement en version pdf


* 1 La diversité des champs de compétences de l'ABM, en particulier sa compétence en matière d'AMP, la distingue de ses homologues étrangers, dont le périmètre est le plus souvent restreint aux prélèvements et aux greffes d'organes et de tissus.

* 2 Cour des comptes, Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, Chapitre VIII : La politique des greffes : une chaîne de la greffe fragile à mieux organiser et Chapitre IX : L'assistance médicale à la procréation : une efficience à renforcer, octobre 2019

* 3 Les patients qui sollicitent une PMA à l'étranger bénéficient d'un remboursement des actes réalisés par l'assurance maladie sous réserve d'une procédure d'entente préalable sollicitée auprès du Centre national des soins à l'étranger (CNSE) et à condition que le couple remplisse les conditions d'une prise en charge en France.

* 4 L'ouverture du don de gamètes à des personnes sans enfant, prévue par la loi de bioéthique du 7 juillet 2011, est entrée en vigueur en 2015 seulement.

* 5 La prise en charge intégrale des actes d'AMP et des actes liés au prélèvement des gamètes par l'assurance maladie contribue certainement au succès de ces dispositions, au-delà de l'attente sociétale évidente à laquelle elle répond.

* 6 S'agissant des procédures d'AMP, le délai s'établissait à 14,4 mois fin 2022. Pour l'autoconservation des gamètes, il s'établissait à 7 mois en moyenne à l'échelle nationale, mais à 24 mois en Île-de-France.

* 7 L'autoconservation des gamètes peut être réalisée entre 29 ans et 37 ans pour les femmes et entre 29 ans et 45 ans pour les hommes.

* 8 Les estimations conduisent à anticiper un épuisement de l'ancien stock de paillettes d'ici à décembre 2024.

* 9 En septembre 2023, le nouveau registre des donneurs géré par l'ABM ne contenait les informations que de 54 donneurs.

* 10 Sur ce point, voir la page 21 du rapport de la Cour.

* 11 Les activités cliniques et biologiques d'assistance relatives aux gamètes en vue du don ne peuvent être faites que dans des établissements publics de santé ou des établissements privés à but non lucratif. Aucune rémunération à l'acte ne peut être perçue par les praticiens au titre de ces activités (article L. 2142-1 du code de la santé publique).

* 12 La reconnaissance d'un droit aux origines par la loi du 2 août 2021 faisait craindre une diminution du nombre de dons de sperme. Tel n'a pas été le cas jusqu'à présent puisque 2022 a enregistré le plus haut niveau de dons depuis 2017.

* 13 On relèvera par ailleurs que la direction du prélèvement et de la greffe d'organes et de tissus de l'ABM a enregistré une diminution substantielle de ses effectifs entre 2010 et 2019, la hausse de près de 4 % des effectifs de l'ABM depuis 2021 étant principalement liée à l'élargissement de ses missions dans le champ de l'AMP.

* 14 Le nombre de patients décédés en attente de greffe serait supérieur à 1 000 selon la Cour des comptes.

* 15 Le plan greffe 2012-2016 fixait un objectif de 35 % des besoins à couvrir par des greffons français.

* 16 L'activité de conservation des tissus fait l'objet d'une autorisation délivrée pour une durée de 5 ans par l'ANSM.

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