N° 377

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 mars 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) et de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport (2) sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions
dont les
enseignants sont victimes,

Par MM. François-Noël BUFFET et Laurent LAFON,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

(2) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Martin Lévrier, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, M. Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Laurence Garnier, Annick Girardin, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Patrick Kanner, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Gérard Lahellec, Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Pauline Martin, Catherine Morin-Desailly, Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-Gérard Paumier, Stéphane Piednoir, Bruno Retailleau, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.

L'ESSENTIEL

Le 16 octobre 2020, Samuel Paty était assassiné pour avoir accompli son métier d'enseignant, après avoir été confronté à des pressions et des menaces dont une procédure judiciaire en cours doit déterminer si elles ont été prises à leur juste mesure par les autorités de l'État.

Ce drame qui a ému toute la France démontre que la façon dont sont prises en considération et traitées les pressions, menaces ou agressions dont les enseignants peuvent être l'objet au quotidien - dans les écoles, collèges et lycées - est un sujet majeur et qu'à cet égard, une réponse publique adaptée et rapide - au niveau de l'éducation nationale, des forces de sécurité et de l'institution judiciaire - s'impose.

Pour faire toute la lumière sur ces enjeux et sur la situation à laquelle font face les enseignants et l'ensemble du personnel éducatif, la commission des lois et la commission de la culture ont créé une mission de contrôle, dotée des pouvoirs de commission d'enquête.

Les travaux conduits par la mission permettent de dresser le constat d'une violence endémique dans les établissements scolaires, qui touche désormais le primaire comme le secondaire. Les insultes, menaces, pressions et agressions constituent désormais le quotidien des enseignants ainsi que de l'ensemble du personnel administratif. Plus largement, c'est l'école de la République - et ses valeurs - qui doivent faire face à des coups de boutoir réguliers. La laïcité, mal connue, est rejetée et les contestations d'enseignement, tout comme la remise en cause de l'autorité de l'enseignant, sont en forte augmentation.

Il serait erroné de croire que ces problématiques ne se limitent qu'à certains établissements scolaires : tous les territoires, aussi bien ruraux qu'urbains, favorisés ou populaires, sont concernés.

Des outils existent sur les plans administratif, policier et judiciaire pour prévenir les agressions auxquelles sont de plus en plus exposés les agents du personnel éducatif ; du reste, l'assassinat de Samuel Paty a entraîné une certaine prise de conscience de la part des pouvoirs publics, qui s'est notamment traduite par l'instauration de sanctions renforcées et de procédures de signalement accélérées. Pour autant, la protection effective du personnel nécessite d'aller plus loin, en réaffirmant les principes sur lesquels l'école de la République s'est bâtie et en améliorant la coordination entre les différents acteurs institutionnels, de l'éducation nationale à la justice.

Face à ce constat, la mission formule 38 recommandations pour protéger l'école ainsi que l'ensemble du personnel qui y travaille et restaurer l'autorité de l'institution scolaire.

I. PROTÉGER L'ÉCOLE DE LA RÉPUBLIQUE FACE AUX ATTAQUES DONT ELLE EST VICTIME

A. DES CONTESTATIONS DES VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE GÉNÉRALISÉES

L'école joue un rôle central pour transmettre aux élèves les valeurs de la République. Depuis quelques années, leur remise en cause dans la vie quotidienne des établissements tout comme les contestations d'enseignement qui touchent désormais la quasi-totalité des matières sont en forte hausse. Si certains territoires sont plus concernés que d'autres, tout établissement scolaire peut être confronté à ces difficultés.

Profil des enseignants ayant observé au moins une contestation d'enseignements au cours des années scolaires 2021-2022 et 2022-2023

REP

Ville-centre

Banlieue « aisée »

Banlieue « populaire »

Ville isolée

Commune rurale

53 %

32 %

25 %

38 %

25 %

23 %

Lecture : 53 % des enseignants en REP sont dans cette situation - Ifop, les enseignants face à l'expression du fait religieux à l'école et aux atteintes à la laïcité, décembre 2022.

B. LA LAÏCITÉ, UNE VALEUR DE LA RÉPUBLIQUE MÉCONNUE, VOIRE REJETÉE

C'est par l'école de la République que la laïcité est entrée dans la société française, vingt ans avant la loi de séparation des Églises et de l'État. La laïcité, en permettant la stricte neutralité dans l'espace scolaire, participe à l'idéal émancipateur de l'école.

Or, loin d'être perçue comme un outil d'émancipation, la laïcité est comprise par un nombre croissant et désormais majoritaire d'élèves comme une interdiction et un principe conçu contre les religions.

Plus grave, la défense de la laïcité se délite aussi chez les adultes concourant à la vie de l'établissement. Méconnue, mal maitrisée, la laïcité à la française est devenue difficile à défendre pour certains d'entre eux. À cela s'ajoute une rupture générationnelle constatée durant les auditions réalisées au cours des travaux de la mission : un certain nombre de jeunes enseignants s'interrogent sur son utilité et l'opportunité de conditions spécifiques d'application dans le cadre scolaire, bercés par l'émergence de termes tels que « laïcité ouverte », ou encore « laïcité plurielle » ou des débats publics confondant laïcité et tolérance.

C. DÉFENDRE LES VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE : UNE IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ

Il y a urgence non seulement à défendre, mais aussi à promouvoir les valeurs de la République à l'école. Pour cela, la mission a identifié quatre axes :

· permettre au ministère de l'éducation nationale de reprendre la main sur la formation initiale des enseignants afin de s'assurer de l'adéquation entre celle-ci et les attentes du futur employeur sur ce qu'est « être enseignant aujourd'hui » ;

· accentuer les efforts sur la formation continue afin d'atteindre l'objectif ambitieux que s'est fixé le ministère de l'éducation nationale de former l'ensemble de ses personnels en cinq ans ;

· renforcer la culture collective au sein des établissements pour que la promotion de la laïcité soit portée par l'ensemble des personnels ;

· combler les interstices dans l'application de la loi de 20041(*), en prenant en compte les évènements auxquels participe le jeune en raison de son statut d'élève, y compris en dehors du temps scolaire.

II. DÉFENDRE LES ENSEIGNANTS FACE AUX PRESSIONS ET MENACES EN HAUSSE

A. UNE VIOLENCE ENDÉMIQUE, QUI TOUCHE DÉSORMAIS LE PRIMAIRE

 

La problématique de la violence à l'école n'est pas nouvelle : treize plans de prévention et de lutte contre celle-ci ont été pris par les différents ministres de l'éducation nationale depuis 1986.

Mais elle connait ces dernières années une ampleur croissante et généralisée. Pendant longtemps épargnée, l'école primaire est désormais touchée.

des établissements
du secondaire déclarent
au moins un incident grave
(en 2021/2022)

Pour rendre compte de l'ampleur de cette violence scolaire, que le recours aux pourcentages tend à minimiser, la mission a procédé à une estimation en valeur absolue du nombre d'enseignants victimes d'atteintes aux personnes et aux biens, à partir des enquêtes de victimation du ministère de l'éducation nationale.

L'assassinat de Samuel Paty a mis en lumière l'effet amplificateur que jouent les réseaux sociaux dans la propagation des rumeurs et les pressions et menaces contre les enseignants. Aujourd'hui, tout agent public de l'éducation nationale peut se retrouver désigné à la vindicte populaire, à la suite d'un message posté par un élève, un parent d'élève ou même un tiers.

B. L'ENSEIGNANT : DU SPLENDIDE ISOLEMENT REVENDIQUÉ À UNE SOLITUDE DOULOUREUSE

L'enseignant travaille davantage avec ses collègues enseignant la même matière que lui, plutôt qu'avec ceux intervenant sur une même classe mais dans une autre discipline. Il en résulte un travail en silo entre les enseignants des différentes matières. Ainsi, moins de 60 % des enseignants du second degré public ont l'impression de faire partie d'une équipe.

Or aujourd'hui, cet isolement assumé - qui prend également sa source dans la figure de l'enseignant seul face à sa classe - s'est transformé en solitude pesante, dans un contexte de remise en cause de l'autorité de l'école et de l'enseignant.

La coéducation prônée par les textes a progressivement été dévoyée, écartelée entre des parents demandant tout à l'école en termes d'éducation - et rejoints en cela par la dérive de croire que l'école puisse répondre à tous les maux de la société -, et des parents devenus trop intrusifs sommant l'enseignant de justifier une note donnée ou encore les documents pédagogiques utilisés. Il n'est ainsi plus rare pour les chefs d'établissement de recevoir des courriers d'avocats remettant en cause une sanction disciplinaire prononcée contre un élève.

Face aux contestations, pressions voire menaces dont ils sont victimes, les enseignants se sentent peu soutenus par leur hiérarchie. En 2021, seuls 54 % des enseignants disent avoir reçu un soutien total de la part des personnels de direction. Surtout, il existe une profonde coupure entre les agents de l'éducation nationale dans les établissements scolaires et ceux travaillant dans les services centraux ou du rectorat.

 

déclarent s'être déjà autocensurés pour éviter de possibles incidents portant sur les questions de religion en 2021. Ils n'étaient que 36 % en 2018.

Une formation défaillante, conjuguée à un manque de soutien, une hausse de la violence ainsi que des contestations des enseignements expliquent l'explosion de cette autocensure.

des enseignants
du secondaire public

C. UNE PROFESSION ÉBRANLÉE PAR LES ASSASSINATS DE SAMUEL PATY ET DE DOMINIQUE BERNARD

L'assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, dont la soeur Mickaëlle est venue porter le témoignage devant la mission, puis de Dominique Bernard, en octobre 2023, ont profondément ébranlé les enseignants ainsi que les équipes administratives. Ils constituent un point de rupture pour l'institution scolaire.

Il existe désormais une peur dans l'exercice du métier qu'ont exprimée les personnels de l'éducation nationale. Le passage à l'acte à la suite d'une menace verbale est désormais perçu comme une éventualité. Dans plusieurs établissements, y compris de petites écoles rurales, il est fait appel aux forces de l'ordre face à la virulence de certaines familles.

Les démissions des enseignants sont en constante augmentation depuis 2012. En 2021-2022, le nombre de démissions a progressé de 36 % à la fois dans le premier et le second degré par rapport à l'année précédente. Cette hausse s'inscrit dans un tout, en lien avec le manque d'attractivité du métier d'enseignant. Les pressions, menaces ou agressions dont ils sont victimes y participent fortement.

D. UNE NÉCESSAIRE RÉAFFIRMATION DE L'AUTORITÉ DE L'INSTITUTION SCOLAIRE POUR MIEUX PROTÉGER LES ENSEIGNANTS

« Un professeur n'a pas à baisser la tête ni à courber l'échine. Il est le visage de la République, l'incarnation du service public d'éducation. Il est légitime par son savoir, par sa mission, par l'institution à laquelle il appartient et qui lui doit protection » (Pap Ndiaye).

Afin de garantir aux enseignants et aux élèves une scolarité et un environnement de travail sereins, la mission propose d'agir dans trois directions :

· responsabiliser les parents et leur rappeler le respect qu'ils doivent, ainsi que leurs enfants, aux enseignants et plus généralement à l'institution scolaire ;

· mieux prendre en charge les élèves perturbateurs ;

· apporter une réponse cohérente à l'échelle du territoire et systématique de l'institution scolaire face à toute incivilité, atteinte ou fait grave commis à l'encontre d'un personnel de l'éducation nationale.

III. FAVORISER LA COORDINATION ENTRE LES SERVICES DE L'ÉDUCATION NATIONALE, LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE ET L'AUTORITÉ JUDICIAIRE POUR PRÉVENIR ET TRAITER LES AGRESSIONS

A. PRÉVENIR LES AGRESSIONS À L'ENCONTRE DE LA COMMUNAUTÉ ÉDUCATIVE EN IMPLIQUANT DAVANTAGE L'ADMINISTRATION ET LES FORCES DE SÉCURITÉ

1. Améliorer le recours à la protection fonctionnelle en rendant automatique son octroi

Comme tous les agents publics, les membres de la communauté éducative - qu'ils relèvent de l'éducation nationale ou des collectivités territoriales, et qu'ils soient fonctionnaires ou agents contractuels - ont droit à la protection de la collectivité publique qui les emploie lorsqu'ils font l'objet, dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions et en l'absence de faute personnelle, d'attaques ou de mises en cause pénales. Cette protection fonctionnelle est accordée sur demande écrite et expresse de l'agent concerné. En cas d'octroi, l'administration est tenue de prendre les mesures de soutien et de prévention de manière à assurer la sécurité de l'agent, ainsi que fournir à celui-ci une assistance juridique et judiciaire.

Au cours de l'année 2022, 3 733 demandes de protection fonctionnelle ont été formulées par le personnel de l'éducation nationale, dont 80 % par le personnel enseignant des premier et second degrés ; le premier motif de demande correspond aux cas d'atteinte volontaire à l'intégrité de l'agent. Dans plus de trois-quarts des cas, l'administration décide de l'octroi de la protection fonctionnelle, dans des délais moyens qui n'apparaissent toutefois guère compatibles avec le besoin souvent urgent d'une protection effective2(*).

De surcroît, la part des agents de la communauté éducative qui ne demandent pas la protection fonctionnelle - soit par méconnaissance de leurs droits, soit par découragement -, alors même qu'ils pourraient prétendre à son bénéfice, ne doit pas être sous-estimée.

Afin de permettre au régime de la protection fonctionnelle de jouer pleinement son rôle auprès des membres de la communauté éducative victimes de violences et outrages du fait des élèves, des parents d'élèves ou de tiers, la mission propose de rendre automatique son octroi ; l'administration aurait la faculté de la retirer dans un second temps, si elle estime que les conditions ne sont pas remplies.

2. Sanctionner plus systématiquement et efficacement les auteurs de menaces et d'agressions

Si la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a prévu, entre autres, une sanction pénale en cas d'entrave, « d'une manière concertée et à l'aide de menaces », à l'exercice de la fonction d'enseignant, l'application de cette disposition semble à ce jour limitée. En outre, son application effective aux phénomènes favorisés par les réseaux sociaux - à l'image des « défis » TikTok incitant à la contestation d'enseignements et/ou du principe de laïcité - supposerait l'augmentation des moyens dévolus par le ministère de l'intérieur à la surveillance de réseaux sociaux et d'internet en général.

Par ailleurs, afin de garantir la portée dissuasive des sanctions décidées dans le cadre scolaire, il paraît souhaitable de développer les mesures de responsabilisation. Pour favoriser leur mise en oeuvre, la mission invite à conclure, dans chaque département, une convention entre la direction des services départementaux de l'éducation nationale, le conseil départemental et les partenaires locaux afin de créer un réseau de prise en charge des élèves soumis à une mesure de responsabilisation.

3. Assurer la sécurité des établissements scolaires et de leurs abords

Enfin, la prévention des violences en milieu scolaire nécessite de tenir compte de l'environnement de l'établissement. À ce titre, le renforcement de la prévention des agressions à l'encontre du personnel des établissements scolaires suppose d'impliquer davantage les forces de police et de gendarmerie. En particulier, la coopération étroite avec les services de police municipale paraît essentielle pour assurer la sécurité des abords des établissements scolaires.

B. FLUIDIFIER LE PARCOURS JUDICIAIRE POUR LES AGENTS VICTIMES D'AGRESSIONS

1. Rendre les modalités de dépôt de plainte plus accessibles et moins dissuasives pour l'agent

Un certain nombre d'éléments relatifs à la procédure de dépôt de plainte peuvent dissuader l'agent victime de menaces, outrages ou violence de se rendre en commissariat, en dépit d'assouplissements certains3(*). Au-delà du contrôle de la légalité des dépôts de main courante, d'une part, et de la généralisation des référents spécifiques dans les commissariats pour renseigner les agents de l'éducation nationale, d'autre part, la mission est convaincue que les dépôts de plainte seraient davantage garantis s'il était possible à l'administration de déposer plainte elle-même, en lieu et place de l'agent concerné.

2. Répondre à l'incertitude de l'agent victime en lui garantissant l'information sur les suites données à sa plainte et la tenue de l'audience dans des délais raisonnables et cohérents

Si les principes sont bien établis en faveur de l'information des agents de la communauté éducative, des difficultés n'en demeurent pas moins en pratique ; les enseignants entendus par les rapporteurs ont ainsi regretté que la communication sur les suites données aux plaintes soit excessivement lente, lorsqu'elle n'est pas franchement inexistante. Pour la mission, il n'est pas acceptable de ne pas tenir informés ces agents quant aux suites données à leur plainte.

Les délais souvent importants entre le dépôt de plainte et l'audience sont également sources de frustration et d'incompréhension pour les agents de la communauté éducative victimes de violences ou de menaces. Ils contribuent, en outre, à nourrir le sentiment d'impunité des auteurs de menaces et agressions à l'encontre du personnel éducatif. C'est pourquoi la mission invite à réduire ces délais ; sans méconnaître le poids de facteurs circonstanciels - dépôt de plainte tardif de la part de l'agent victime, complexité particulière des investigations -, elle ne voit pas de raison structurelle qui s'opposerait à ce que l'audience puisse, dans la plupart des cas, intervenir dans l'année scolaire suivant la date de commission des faits.

C. FACILITER LA TRANSMISSION D'INFORMATIONS ET LA COLLABORATION ENTRE LES ACTEURS INSTITUTIONNELS CONCERNÉS

1. Favoriser une relation partenariale entre l'éducation nationale et l'autorité judiciaire

Afin de protéger plus efficacement les agents de l'éducation nationale contre les menaces et agressions dont ils font l'objet, il est essentiel d'améliorer la coordination entre les services de l'éducation nationale et les parquets en favorisant un dialogue régulier et la mise en commun de méthodes de travail. En particulier, il est essentiel que les signalements émanant des services de l'éducation nationale soient formalisés de manière à permettre leur traitement efficace et rapide par les parquets. Les conventions signées entre les parquets et les DASEN gagneraient à être généralisées à cette fin.

Plus largement, c'est la connaissance par les parquets du rôle des établissements scolaires, et réciproquement, qui mériterait d'être améliorée. L'approfondissement du dialogue entre les réseaux miroirs que constituent les référents académiques pour la justice, d'une part, et les magistrats référents de l'éducation nationale, d'autre part, constitue un levier possible, de même que les rencontres régulières entre les parquets et les chefs d'établissements de leurs ressorts.

2. Fluidifier le partage d'informations face à la question de la radicalisation en milieu scolaire

Depuis l'assassinat de Samuel Paty, le dialogue entre la direction nationale du renseignement territorial (DNRT) et l'éducation nationale semble s'être fluidifié, avec un circuit d'information désormais bien établi entre les services départementaux du renseignement territorial, les rectorats et le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l'éducation nationale.

Il n'en reste pas moins que les services des renseignements font face, en particulier depuis l'attentat d'Arras du 13 octobre 2023, à une augmentation du nombre de signalements portés à leur connaissance, les contraignant à procéder aux évaluations et levées de doute requises, le cas échéant, dans des délais très contraints. Un nombre important de signalements ne concerne pas, du reste, des cas relevant de la prévention du terrorisme et du maintien de l'ordre public. Dans ce contexte, l'amélioration de la qualité des signalements effectués par les chefs d'établissements aux services du renseignement territorial est essentielle.

Par ailleurs, la mission juge indispensable, pour des enjeux de sécurité publique évidents, que les services des renseignements territoriaux aient accès aux éléments de la procédure judiciaire en cours.

Enfin, la mission regrette que le personnel de direction ne soit aujourd'hui pas informé de la mise en cause ou de la condamnation pour une infraction terroriste (dont l'apologie du terrorisme) d'une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans un établissement scolaire. Dans la même perspective d'améliorer le partage d'informations entre les acteurs intéressés aux fins de renforcer la sécurité globale du personnel éducatif, elle suggère de rendre obligatoire l'information de l'autorité académique et du chef d'établissement dans ces cas-là4(*).

LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION CONJOINTE DE CONTRÔLE

I. Défendre et promouvoir la laïcité au sein de l'institution scolaire

· Recommandation n° 1 : Dans les établissements scolaires publics et privés sous contrat, instaurer tous les ans en octobre dans chaque établissement scolaire un hommage aux enseignants assassinés, dont les modalités tiendraient compte de l'âge des élèves.

· Recommandation n° 2 : modifier la rédaction de l'article L. 312-15 du code de l'éducation, afin de recentrer le contenu de l'enseignement moral et civique sur la connaissance des institutions françaises et européennes, la compréhension des enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux du monde contemporain, ainsi que sur les valeurs de la République et la laïcité.

· Recommandation n° 3 : élaborer dans chaque établissement un projet d'établissement incluant des actions relatives aux valeurs de la République et à la laïcité, afin de fédérer l'équipe pédagogique et administrative autour de leur défense et promotion ; renforcer le dialogue entre les enseignants.

· Recommandation n° 4 : à court terme et pour garantir la formation des futurs enseignants à la promotion des valeurs de la République et de la laïcité dans le cadre spécifique scolaire, faire de celle-ci un module majeur de leurs formations en INSPÉ et prévoir qu'elle soit réalisée par un fonctionnaire de l'éducation nationale.

· Recommandation  5 : rendre obligatoire pour tout contractuel et au plus tard dans le mois suivant sa prise de poste une formation à la défense de la laïcité et des valeurs de la République, s'appuyant sur des cas concrets - et prévoir la remise systématique des guides du conseil des sages de la laïcité.

· Recommandation n° 6 : élargir pour les élèves l'interdiction du port de signes et tenues religieux ostentatoires à toute activité organisée par l'institution scolaire, y compris en dehors du temps scolaire (sortie scolaire le soir, cérémonie de remise d'un prix pour un concours organisé par l'éducation nationale ou en partenariat avec le ministère, participation à un forum d'orientation organisé par l'établissement scolaire , ...).

II. Améliorer la formation du personnel éducatif afin de mieux lui permettre de faire face aux contestations d'enseignement et à la gestion des conflits

· Recommandation n° 7 : rendre la main à l'éducation nationale pour la formation des enseignants en ne faisant plus dépendre la formation initiale de l'université.

· Recommandation n° 8 : mieux préparer les agents de l'éducation nationale et des collectivités territoriales (y compris le personnel d'accueil) aux situations de tension et de conflit en favorisant la mise en place d'une culture partagée de la sécurité : à cette fin, développer notamment les formations communes sur les attitudes à adopter face aux élèves, aux parents et aux tiers dans les classes et au sein des établissements.

III. Réaffirmer l'autorité de l'institution scolaire

· Recommandation n° 9 : Dans les établissements scolaires publics et privés sous contrat, rappeler systématiquement aux parents en début d'année les prérogatives de l'enseignant (en matière de notation, liberté pédagogique, choix des textes), le caractère obligatoire des programmes scolaires en insistant sur les chapitres ou enseignements (natation en EPS) susceptibles d'être source de contestations, ainsi que les sanctions pénales en cas d'entrave à l'enseignement.

Pour cela, faire signer aux parents une « charte des parents » et y inclure spécifiquement le délit d'entrave à l'enseignement, assorti d'exemples concrets ; l'annexer au règlement intérieur.

· Recommandation n° 10 : afin de mettre fin au non-respect répété des règles du vivre ensemble au sein d'établissements scolaires par un élève perturbateur :

o prévoir la signature d'un protocole d'accompagnement et de responsabilisation des parents (PAR) dès la première exclusion, entre les parents et l'autorité académique, en présence du chef d'établissement. Ce protocole précise les engagements des parents de l'élève pour permettre l'amélioration du comportement de leur enfant ainsi que les mesures d'accompagnement mises en oeuvre au sein de l'établissement ;

o créer une sanction pénale, sur le modèle de la sanction pour non-respect de l'obligation d'assiduité scolaire, pour non-respect répété des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements.

· Recommandation n° 11 : sécuriser juridiquement les procédures disciplinaires afin de limiter les risques contentieux ; informer les personnels sur la portée réelle du risque de judiciarisation par les parents.

· Recommandation n° 12 : afin de protéger les enseignants et les élèves et permettre une scolarité dans un climat scolaire apaisé, simplifier les procédures des conseils de discipline.

· Recommandation n° 13 : encourager les conseils de discipline à décider des mesures de responsabilisation ; pour favoriser leur mise en oeuvre, développer dans chaque département une convention entre le DSDEN, le conseil départemental et les partenaires locaux afin de créer un réseau de prise en charge des élèves soumis à une mesure de responsabilisation.

· Recommandation n° 14 : développer les structures d'accueil pour les élèves hautement perturbateurs ou poly-exclus.

· Recommandation n° 15 : garantir l'effectivité des dispositions votées dans le cadre de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ; pour améliorer le suivi des risques posés par les réseaux sociaux, augmenter les moyens dévolus au suivi des réseaux sociaux et d'internet.

IV. Mettre fin au « pas de vague »

· Recommandation n° 16 : afin de conforter les chefs d'établissement dans les signalements d'incidents, rappeler le principe selon lequel ils ne sont pas évalués en fonction du nombre de signalements effectués.

· Recommandation n° 17 : afin de mettre fin au « pas de vague », partager à l'échelle nationale les registres des sanctions des établissements scolaires, pour que toute incivilité, atteinte ou autre fait grave commis à l'encontre d'un personnel de l'éducation nationale fasse l'objet d'une réponse cohérente de la part de l'institution.

· Recommandation n° 18 : rappeler la possibilité ouverte à tout enseignant de signaler directement un « fait établissement » au ministère, sans passer par le chef d'établissement.

V. Assurer la sécurité des établissements scolaires et de leurs abords

· Recommandation n° 19 : généraliser les moyens d'alerte directe entre un établissement scolaire et les commissariats ou gendarmeries (bouton d'alerte, ligne directe, ...).

· Recommandation n° 20 : dans les quartiers marqués par un niveau élevé de violence des mineurs, nouer des partenariats renforcés entre les établissements scolaires, la police et les procureurs.

· Recommandation n° 21 : afin de faire de la police municipale le premier interlocuteur des chefs d'établissement, généraliser les coopérations entre les communes et les collèges et lycées pour permettre le déploiement de la police municipale aux abords des établissements.

· Recommandation n° 22 : étendre aux enseignants et au personnel administratif la formation dispensée par la gendarmerie aux cadres de l'éducation nationale à la « prévention et à la gestion de crise ».

· Recommandation n° 23 : permettre la mise en place de caméras de vidéoprotection filmant l'extérieur de l'établissement scolaire sans l'accord de son conseil d'administration.

· Recommandation n° 24 : garantir l'effectivité de la réalisation du diagnostic de sécurité des établissements scolaires, en lien avec le référent « sécurité » ainsi que les collectivités territoriales, propriétaires du bâti scolaire, et s'assurer de son actualisation régulière.

VI. Rendre les dispositifs administratif et policier de prévention plus efficaces

· Recommandation n° 25 : renforcer l'information du personnel de l'éducation nationale sur la possibilité d'être inscrit dans la base de données de sécurité publique.

· Recommandation n° 26 : afin d'améliorer le recours à la protection fonctionnelle du personnel, rendre automatique l'octroi de la protection fonctionnelle pour les agents de la communauté éducative victimes de violences et outrages du fait des élèves, des parents d'élèves ou de tiers ; l'administration aurait la faculté de la retirer dans un second temps.

VII. Fluidifier le parcours judiciaire pour les agents victimes

Rendre les procédures policières et judiciaires plus simples, rapides et transparentes pour le personnel éducatif

· Recommandation n° 27 : pérenniser ou généraliser les référents identifiés dans chaque brigade de gendarmerie ou de commissariat pour renseigner les agents de l'éducation nationale sur le dépôt de plainte.

· Recommandation n° 28 : afin de faciliter la prise de plainte, permettre à l'administration de déposer plainte elle-même (en lieu et place de l'agent) en cas d'agression d'un agent.

· Recommandation n° 29 : rappeler la possibilité ouverte à tout fonctionnaire de saisir lui-même le procureur de la République d'un signalement sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale.

Renforcer les liens entre autorité judiciaire et éducation nationale

· Recommandation n° 30 : généraliser les conventions signées entre les parquets et les DASEN ou établissements de leur ressort, afin de présenter le rôle de l'autorité judiciaire, préciser le cadre du signalement et élaborer une trame de signalement commune à l'ensemble des DASEN qui soit directement exploitable par l'autorité judiciaire.

· Recommandation n° 31 : systématiser la rencontre annuelle entre les parquets et les chefs des établissements scolaires de leurs ressorts.

· Recommandation n° 32 : renforcer les liens entre les parquets et les services des renseignements territoriaux, afin que ceux-ci aient accès aux éléments de la procédure judiciaire.

Pour une justice plus rapide et transparente pour le personnel éducatif

· Recommandation n° 33 : prévoir que l'audience pour juger l'auteur de violences, menaces ou outrages à l'encontre d'un membre de la communauté éducative ait systématiquement lieu dans le courant de l'année scolaire au cours de laquelle les faits ont eu lieu.

· Recommandation n° 34 : automatiser l'information des membres du personnel éducatif sur les suites données à leur plainte.

· Recommandation n° 35 : automatiser l'information des membres du personnel éducatif sur les suites données aux plaintes déposées contre eux.

VIII. Renforcer la coopération entre l'éducation nationale, les forces de l'ordre et les services de renseignement

· Recommandation n° 36 : généraliser le travail partenarial engagé, dans l'Académie de Versailles, entre le rectorat et les services départementaux du renseignement, à l'ensemble des académies, pour l'ensemble des établissements publics et privés sous contrat.

· Recommandation n° 37 : systématiser les séances de sensibilisation dispensées par les services territoriaux du renseignement territorial auprès de l'ensemble du personnel éducatif, afin notamment d'améliorer la qualité des signalements effectués par les chefs d'établissements aux services du renseignement territorial.

· Recommandation n° 38 : prévoir l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement de la mise en examen ou de la condamnation pour une infraction terroriste (dont l'apologie) d'une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans un établissement scolaire, public ou privé.

AVANT-PROPOS

L'assassinat de Dominique Bernard, le 13 octobre 2023 dans l'enceinte de la cité scolaire Gambetta-Carnot d'Arras, près de trois années jour pour jour après l'assassinat de Samuel Paty, a montré, une fois encore, l'urgence à agir pour protéger les enseignants ainsi que l'ensemble du personnel éducatif du premier et du second degré de l'enseignement5(*) contre les risques d'agressions auxquels ils sont exposés du simple fait de leurs fonctions.

Les commissions de la culture et des lois avaient devancé cette tragique actualité en lançant, dès le 15 juin 2023, une mission conjointe de contrôle, dotée des pouvoirs de commission d'enquête en la matière, afin de vérifier que l'assassinat des enseignants de la République a provoqué le sursaut attendu pour éviter de nouveaux drames dans nos écoles.

Ses travaux ont poursuivi un triple objectif de constat, d'analyse et de préconisation : tout d'abord, dresser l'état des lieux précis et sans concession des pressions, menaces et agressions auxquelles les enseignants et l'ensemble du personnel travaillant dans les établissements sont confrontés au quotidien ; ensuite, comprendre les facteurs à l'origine de cette situation et analyser les forces et les limites des mécanismes ouverts aujourd'hui par le droit et la pratique pour y répondre ; enfin, et surtout, formuler des recommandations à destination de l'ensemble des acteurs concernés - établissements scolaires, rectorats et services de l'éducation nationale, collectivités territoriales, force de sécurité, parquets et procureurs - afin de mieux protéger les agents au quotidien et d'éviter la survenue de nouveaux drames.

Au-delà des actes de terrorisme visant les enseignants en tant que figures d'autorité et d'émancipation, et incarnation des valeurs de la République française, la mission dresse le constat d'une violence quasi-quotidienne et endémique touchant aujourd'hui l'ensemble des établissements, de l'enseignement primaire comme secondaire, publics comme privés, sur l'ensemble du territoire. Marques d'irrespect, insultes et agressions verbales, menaces et intimidations, voire agressions physiques, constituent ainsi le quotidien des membres du personnel éducatif.

Si les enseignants sont en première ligne, par leurs conditions d'exercice professionnel - étant seuls face à une classe -, le reste du personnel est également concerné : chefs d'établissements pris à partie directement par les parents qui surgissent de manière inopinée dans leur bureau ; conseillers principaux d'éducation face à qui les élèves, et de plus en plus leurs parents, contestent le bien-fondé d'une sanction et qui doivent batailler pour imposer l'application d'une heure de retenue ; surveillants au coeur de la mêlée des cours de récréation et de la jungle des couloirs des établissements ; agents d'accueil, qui depuis leur loge, sont souvent au contact direct de la rue, et donc très vulnérables face à des parents d'élèves voire à des personnes parfaitement extérieures à l'établissement qui souhaiteraient entrer à tout prix pour « s'expliquer » avec un membre de l'équipe pédagogique ou administrative ou « régler des comptes » avec un élève.

Les chiffres laissent sans voix : au cours de l'année scolaire 2021-2022, ce sont plus de 222 000 enseignants pour le seul premier degré qui ont été victimes d'atteintes à la personne ou aux biens. Certains membres du personnel éducatif reconnaissent même avoir peur lorsqu'ils traversent la cour ou qu'ils risquent de croiser leurs élèves à l'extérieur de l'établissement.

Or, face à ce climat de tensions voire de danger, le personnel éducatif souffre d'une pesante solitude. Leurs membres se sentent dans l'ensemble peu soutenus par leur hiérarchie ; parfois, c'est le sentiment même d'appartenir à une équipe commune au sein de l'établissement qui fait cruellement défaut. Ce manque de cohésion permet d'autant plus facilement aux parents d'exercer une forte pression sur le personnel éducatif, sous l'effet combiné d'une double tendance.

D'une part, dans un contexte généralisé d'effritement de l'autorité dans la société, les parents s'en remettent toujours plus à l'école, étant parfois eux-mêmes dépassés par leurs propres enfants, voire ayant, pour certains, abdiqué toute velléité éducative.

D'autre part, à l'exact opposé de la situation qui a longtemps prévalu et dans laquelle les parents observaient une attitude de respect à l'égard de l'institution scolaire - la convocation chez le professeur, ou pire encore, chez le principal ou le proviseur était ressentie comme un accident grave dans la scolarité de l'élève, voire comme le signe de son propre échec comme parent -, les parents ont aujourd'hui tendance à considérer l'école publique comme un prestataire de services dont ils seraient les usagers, pour ne pas dire les clients. Dans cette logique, un certain nombre d'entre eux se sentent parfaitement légitimes à demander des comptes aux enseignants et aux autres membres du personnel éducatif pour tout enseignement dispensé, toute note donnée ou toute sanction infligée. Certains parents mécontents n'hésitent pas à brandir la menace de suites administratives et judiciaires, ni même à recourir à l'assistance d'un avocat pour contester une sanction disciplinaire prononcée contre un élève.

En outre, les atteintes aux valeurs de la République (et notamment à l'égalité, à la liberté d'expression et à la laïcité) sont une réalité que connaissent la majorité des établissements scolaires, que ce soit à travers la remise en cause du contenu des enseignements ou même le refus de suivre les cours de certaines disciplines pour des motifs religieux, ainsi que la remise en cause de l'égalité entre les hommes et les femmes et le refus de la mixité.

Ces atteintes résultent de la conjonction de plusieurs phénomènes : la « traditionnelle » révolte adolescente contre l'autorité, y compris parentale ; la montée de revendications identitaires et communautaires et de manifestations de l'islam radical ; l'effet amplificateur et déstabilisateur des réseaux sociaux par la banalisation de la violence et la multiplication des provocations organisées et instrumentalisées par des influenceurs et groupes de pression.

Dans ce contexte, l'heure n'est plus aux tergiversations ni aux compromissions, mais à l'action. Il est du devoir des pouvoirs publics d'apporter à tous ceux chargés de former les citoyens éclairés de demain une protection à la hauteur non seulement de leur engagement, mais aussi des risques et dangers dont on ne connaît aujourd'hui malheureusement que trop bien le caractère avéré.

À cette fin, la mission formule 38 recommandations visant notamment à réaffirmer l'autorité de l'institution scolaire, faciliter le recours à la protection fonctionnelle du personnel, fluidifier le parcours judiciaire pour les agents victimes, favoriser une relation partenariale entre l'éducation nationale et l'autorité judiciaire, et davantage sécuriser les établissements scolaires et leurs abords.

I. L'ÉCOLE DE LA RÉPUBLIQUE FACE À LA VIOLENCE

A. UNE VIOLENCE ENDÉMIQUE MAIS IMPARFAITEMENT DOCUMENTÉE

La violence scolaire est une problématique ancienne, à laquelle trente ans de politiques publiques ont tenté de trouver une solution - sans grand succès.

Comme l'avait alors souligné Pascal Bolloré, secrétaire général adjoint du SNPDEN-Unsa, à l'occasion des travaux de la commission de la culture en 2018, « la problématique des violences scolaires n'est ni ponctuelle, ni nouvelle. [...] En 1982, Le Monde de l'éducation, magazine depuis disparu, citait la thèse de Jacques Niort, sociologue, datant de 1962 et intitulée « Chahut et désordre dans l'enseignement du second degré ». Il y montrait notamment que l'arrivée d'un public différent dans les établissements dans les années 1960 avait conduit à la disparition du chahut au profit du désordre. En 1986, le même magazine titrait sur la violence au quotidien, avec des images assez fortes, des situations ressemblant étrangement à celles que nous connaissons aujourd'hui. 1986 est également l'année du premier plan contre la violence à l'école que nous avons recensé, élaboré par Michèle Alliot-Marie, alors secrétaire d'État en charge de l'enseignement. D'autres plans ont suivi : Lang en 1992, Bayrou en 1995 puis 1996, plan Allègre-Royal en 1997, Allègre en 2000, Lang en 2000, Ferry la même année, Darcos en 2002, de Robien en 2006, Chatel en 2009 et 2010. Le plan présenté par le ministre est donc le treizième depuis 1986 »6(*).

1. Une violence endémique

Malgré l'ensemble des politiques publiques mises en oeuvre pour prévenir et lutter contre la violence à l'école, celle-ci ne faiblit pas. Le taux d'incidents graves dans les établissements scolaires du secondaire pour mille élèves est de 12,3 lors de l'année scolaire 2021-2022. Il est passé à 13,7 incidents graves pour mille élèves en 2022-20237(*).

Source : Enquêtes SIVIS

La violence scolaire est un phénomène généralisé. Selon la dernière enquête du système d'information et de vigilance sur la sécurité scolaire (Sivis) du ministère de l'éducation nationale, portant sur l'année 2021-2022, près des deux tiers des établissements du second degré déclarent au moins un incident grave. Les collèges ainsi que les lycées professionnels sont les principaux établissements touchés. La dernière enquête PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) de 2022, menée par l'OCDE dont les résultats ont été publiés en décembre 2023, révèle des données alarmantes : 12 % des élèves ont déclaré avoir vu un élève avec un couteau ou une arme à feu dans leur établissement durant le mois précédant l'enquête8(*).

Longtemps épargnée, l'école primaire est désormais touchée par la violence. Fort heureusement, la prévalence des violences scolaires y est moindre : le taux d'incident y est de 3 pour mille élèves en 2021-2022 et près de huit écoles sur dix n'ont déclaré aucun incident grave. Mais ce taux progresse de manière constante ces dernières années. En 2022-2023, il bondit à 4,6 incidents pour mille élèves9(*).

Taux d'incidents graves pour 1 000 élèves au primaire
(enquêtes SIVIS)

 

2018-2019

2020-2021

2021-2022

2022-2023

Taux

2,4

2,8

3

4,6

Cette approche en pourcentage utilisée par le ministère minimise l'ampleur de la violence scolaire, ainsi que les pressions et menaces dont sont victimes le personnel éducatif au quotidien. En effet, à l'échelle du territoire, ce ratio de « 4,6 incidents pour 1 000 élèves » peut sembler presque anecdotique. Mais, en nombre absolu, cela représente en 2023-2024 plus de 25 500 incidents graves. Ce sont environ 8 700 incidents graves déclarés de plus que l'année précédente.

Les témoignages recueillis par les rapporteurs font état d'une violence latente dans les établissements scolaires, dont les incidents déclarés ne sont que la partie quantifiable. Qu'il s'agisse du premier ou du second degré, les études de victimation réalisées par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'éducation nationale confirment cet état de fait. Ainsi, si les directeurs d'école et les enseignants du premier degré ont globalement une perception positive du climat scolaire au sein de leur école, 55 % d'entre eux jugent qu'il y a « un peu » ou « beaucoup » de violence.

Ce climat de violence est également ressenti par les élèves : l'enquête réalisée en 2021 auprès des élèves de CM1-CM2 montre que 4 élèves sur 10 signalent avoir été victimes au moins une fois de violences verbales, d'ostracisme ou de vol et 23,1 % ont déjà eu peur de venir à l'école à cause de la violence, cette proportion étant de 27,5 % chez les filles. Plus d'un tiers des élèves ont été pris dans une bagarre, victimes d'un dommage collatéral ou d'une bousculade.

Cette violence du quotidien est également présente au collège : plus de la moitié des collégiens déplorent des vols de fournitures scolaires, et plus d'1 collégien sur 4 estime qu'il y a « un peu ou beaucoup d'agressivité entre les élèves ». 39 % des élèves français (âgés de 15 ans) déclarent, dans la dernière enquête PISA de 2022, que leur temps d'apprentissage en cours de mathématiques est réduit, l'enseignant devant attendre que les élèves se calment. Dans les conclusions de cette étude internationale pour la France, le climat scolaire est jugé « toujours très préoccupant en France », avec « une très légère aggravation entre 2012 et 2022 ».

Entre septembre 2023 et mi-janvier 2024, un peu plus de 41 900 faits ont été signalés, concernant pour la moitié le premier degré, 40 % le collège et 10 % le lycée. Selon les services du ministère, ceux-ci sont en forte augmentation par rapport à l'année dernière. Il en est de même pour leur gravité, les faits étant qualifiés de « parfois très graves et souvent de plus en plus graves ».

Paroles d'enseignants et de personnels administratifs devant la mission d'information : témoignages d'une violence quotidienne dans les établissements scolaires

Les propos tenus par des personnels éducatifs travaillant dans des établissements dont l'indice de positionnement social est supérieur à la moyenne nationale lors de leurs auditions corroborent une banalisation de la violence, « y compris entre élèves se disant amis ». Selon ces personnels10(*) : « pour eux rien n'est grave », « lorsque j'ai interpellé l'élève, il m'a répondu : je l'ai tapé, mais ce n'était pas très fort », « ils se disent bonjour en s'insultant », « il y a un regain d'incivilités : nous déplorons en moyenne 32 000 euros de dégâts chaque année », « le climat scolaire est plutôt apaisé, mais nous sommes constamment sur une ligne de crête : un rien peut faire basculer les élèves dans la violence ».

La violence devient également plus complexe notamment en raison du rôle croissant des réseaux sociaux. 28 % des collégiens ont été confrontés au moins une fois dans l'année à une forme de cyberviolence et pour 25 % des collégiens à au moins une cyberviolence de façon répétée, soit 71 % de ceux exposés. Comme l'a souligné la mission d'information du Sénat sur la lutte contre le cyberharcèlement en 202111(*), « avec l'usage d'internet, des téléphones portables et des réseaux sociaux, le harcèlement est sorti des murs de l'école. Le domicile n'est plus pour la victime le domaine jusqu'alors protégé des agressions. Un élève peut être persécuté « en continu », chez lui, dans sa sphère la plus intime ». Inversement, des échanges et disputes naissant dans le monde virtuel peuvent se prolonger dans l'enceinte scolaire du jour au lendemain, sans signe avant-coureur visible pour les équipes pédagogiques et administratives.

2. Des violences envers les personnels de l'éducation nationale en augmentation : « une anormalité de la normalité »

La violence touche de plus en plus les enseignants. Pour reprendre les propos de M. Jean-Louis Linder, vice-président de l'autonome de solidarité laïque, « les agressions sont somme toute assez quotidiennes et constituent une anormalité dans la normalité ». L'enseignement privé sous contrat est également concerné.

Les données issues de la base des victimes de crimes et délits enregistrées par la police et la gendarmerie nationales démontrent que les violences contre les personnels de l'éducation nationale sont désormais répandues. Selon Mme Cécile Berthon, directrice générale adjointe de la police nationale, « l'année 2022 marque un léger recul par rapport à 2021, mais indique néanmoins une progression par rapport à 2020. Nous observons donc un phénomène qui s'installe et qu'il nous faut, évidemment, prendre en compte ».

 

Violences physiques

Atteintes à la dignité
et à la personnalité

 

2020

2021

2022

2020

2021

2022

Enseignant

1 976

2 244

2 378

1 284

1 590

1 573

Professeur

1 032

1 224

1 340

616

781

881

Professeur de l'enseignement secondaire

258

311

204

270

254

155

Professeur des collèges

211

305

264

262

307

322

Instituteur

113

107

83

54

74

65

Proviseur

95

112

138

107

119

123

Principal de collège

135

171

189

176

273

239

Directeur d'école

303

413

280

327

428

273

Conseiller principal d'éducation

142

180

167

155

190

156

Conseiller d'orientation

18

38

20

13

16

14

Surveillant d'établissement scolaire

172

292

175

59

84

64

Surveillant de l'éducation nationale

22

45

31

11

9

11

Source : Ministère de l'intérieur

Comme le rappelle M. André Petillot, major général de la gendarmerie nationale, devant la mission, les « infractions consistent principalement en des outrages, des menaces, des menaces de mort, des insultes et des injures - la part des violences étant heureusement très minoritaire ».

Les dépôts de plainte ne traduisent que les faits les plus graves dont sont victimes les enseignants. Ils passent sous silence un certain nombre de faits qui ne sont pas portés à la connaissance des forces de l'ordre, notamment parce que l'enseignant ou le personnel administratif s'est limité à un traitement par les instances scolaires, la réponse judiciaire n'étant pas toujours la plus adaptée. C'est le cas par exemple de certaines insultes, gestes obscènes ou attitudes de mépris.

L'enquête nationale de climat scolaire et de victimation 2022 auprès des directeurs d'école et des enseignants du premier degré12(*) permet de mesurer les multiples canaux de violence auxquels ces enseignants sont désormais confrontés. Elle montre également que le volume des plaintes, déjà élevé, ne correspond qu'à une minorité des faits dont sont victimes les enseignants.

Afin de rendre visible une réalité que le recours au pourcentage tend à diluer, une estimation du nombre d'enseignants concernés a été calculée par la mission.

Estimation du nombre d'enseignants du 1er degré publics et privés sous contrat
concernés par diverses atteintes aux personnes ou aux biens en 2021-202213(*)

 

Expression avec arrogance, avec mépris

Menacé avec ou sans objet dangereux

Bousculade intentionnelle, coup et blessure

Vol(s) ou dégradation(s) de votre matériel pédagogique

Dégradation(s) d'objet(s) personnel(s) ou de votre moyen de locomotion

Vol(s) d'objet(s) personnel(s) ou de votre moyen de locomotion

Pourcentage

36,9

10,1

3

9,1

2,5

2

Nombre

137 800

37 700

11 200

34 000

930

740

Les rapporteurs tiennent à le souligner : ces chiffres ne concernent que le premier degré, soit à peine 43 % des enseignants, et pour des niveaux scolaires considérés jusqu'à présent comme moins sujets à la violence.

Pour le second degré, les données disponibles sont plus anciennes - la seule enquête de victimation réalisée auprès des enseignants du second degré date de 201914(*). Néanmoins, ces données permettent de proposer un ordre de grandeur et de brosser à grands traits le climat scolaire dans les établissements du second degré - d'autant que le nombre d'incidents graves pour 1 000 élèves signalés au ministère est pratiquement le même entre 2018-2019 (12,2) et 2021-2022 (12,3).

Estimation du nombre d'enseignants du second degré
publics et privés sous contrat concernés par diverses atteintes aux personnes ou aux biens en 2018-2019

 

Menacé avec ou sans objet dangereux

Bousculé intentionnellement ou/et frappé

Vol ou dégradation de matériel pédagogique

Vol d'objets personnels

Menace avec arme

Pourcentage

11,9

3,5

9,1

2,6

0,2

Nombre

58 500

17 200

44 700

12 700

900

L'enseignement privé sous contrat, certes dans une moindre mesure, est également concerné. Il ressort de l'enquête de victimation de 2019 que 8,2 % des enseignants des collèges et lycées privés sous contrat indiquent avoir été menacés avec ou sans objet dangereux, et 1,2 % avoir été bousculés intentionnellement et/ou frappés. Cela représente respectivement 8 000 et 1 200 enseignants15(*).

Ces faits sont récurrents : les personnels victimes de ces violences indiquent les subir plusieurs fois au cours de l'année scolaire. 82 % des personnels victimes d'attitudes arrogantes ou méprisantes et 70 % des victimes de moqueries ou d'insultes déclarent l'être au moins deux fois par an.

3. Les réseaux sociaux : caisse de résonnance amplificatrice des pressions et menaces sur les enseignants

L'actualité a mis en lumière l'effet boule de neige que peuvent avoir les réseaux sociaux, dans la propagation des rumeurs, et des pressions et menaces sur les enseignants. Ainsi, une enseignante de philosophie à Calais, victime d'une campagne de haine en ligne, et de la publication d'informations personnelles permettant de l'identifier, a dû, par mesure de sécurité, quitter son établissement. En Belgique, à Charleroi, plusieurs établissements scolaires ont été dégradés - certains incendiés - à la suite de rumeurs sur le contenu du nouveau cours (une séance annuelle de deux heures) d'éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle pour les élèves de 6ème primaire (CM2) et de seconde de la région de Wallonie-Bruxelles.

Cette mise en accusation du personnel de l'éducation nationale ne se limite pas aux contestations d'enseignement. Certains enseignants sont également mis en cause pour ne pas être intervenus à la suite de cas de harcèlement d'élèves, avec leurs noms, leurs établissements, voire leurs adresses personnelles dévoilés. Les syndicats enseignants ont indiqué aux rapporteurs que tous les personnels d'un établissement scolaire avaient subi des messages de haine à la suite du suicide d'une élève, en mai dernier.

Cette pression exercée sur les enseignants via les réseaux sociaux est d'ailleurs l'un des moyens d'action privilégié du groupe des « parents vigilants », proche du parti politique « Reconquête ! » ou encore de « collectifs de parents » : dénonciation du contenu d'un enseignement, d'une sortie scolaire, de documents pédagogiques utilisés par un enseignant, « raid » numérique avec publication d'informations relatives à l'établissement scolaire, pression exercée sur le chef d'établissement et le rectorat,...

Les pressions ou menaces via l'outil numérique ne sont pas totalement nouvelles : en 2015, Stéphanie de Vanssay, alors conseillère nationale à l'Unsa-éducation, a été victime de harcèlement en ligne, pour des propos tenus en lien avec la réforme du collège et de la pédagogie. Mais celles-ci sont désormais beaucoup plus nombreuses. Surtout, tout personnel de l'éducation nationale peut se retrouver désigner à la vindicte populaire numérique à la suite d'un message posté par un élève, un parent d'élève ou un tiers remettant en cause ses choix pédagogiques ou son inaction supposée face à des cas de harcèlement d'élèves.

Face à cette modalité de pression en pleine expansion, la loi confortant les principes de la République du 24 août 2021 a créé deux nouveaux délits : le délit d'entrave à l'enseignement prévoyant que « le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la fonction d'enseignant est puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende » (art. 431-1 du code pénal) et le délit de divulgation « d'informations permettant d'identifier ou de localiser une personne, dans le but de l'exposer à un risque immédiat d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique, ou aux biens » (art. 223-1-1 du code pénal). Néanmoins, l'application de ces sanctions reste perfectible (cf. ci-après).

B. LES VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE ATTAQUÉES

Érigée en « première priorité nationale » comme le rappelle le premier article du code de l'éducation, l'école est au centre des politiques publiques. Depuis la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, « outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République ».

Or, les propos de Pap Ndiaye, alors ministre de l'éducation nationale, devant la mission sont sans appel : « tous les acteurs de terrain en conviennent, il existe des entreprises locales d'entrisme religieux dans nos écoles et dans nos établissements ».

1. Des contestations d'enseignement en forte augmentation

L'école fait face à un mouvement croissant de contestations des enseignements. Pendant longtemps occulté, le ministère de l'éducation nationale semble désormais avoir pris conscience du phénomène. Les incidents qui ont émaillé la minute de silence organisée le 8 janvier 2015 dans les établissements scolaires au lendemain de l'attentat de l'hypercasher et de Charlie Hebdo, ont été un électrochoc pour les services centraux du ministère de l'éducation nationale. Le nombre exact d'incidents reste d'ailleurs inconnu : il a été arbitrairement arrêté à 200, mais est largement sous-estimé16(*).

La nomination de Jean-Michel Blanquer comme ministre de l'éducation nationale en 2017 a été le point de départ d'une nouvelle politique en matière de promotion des valeurs de la République et de la laïcité. Il y avait urgence. Pour reprendre les propos d'un enseignant rencontré, « l'État se rend compte depuis quelques années de l'existence de ces contestations et prend conscience que l'on ne peut plus enseigner comme autrefois ».

Ce changement de paradigme de toute l'éducation nationale était indispensable, tant ces contestations sont désormais ancrées dans le quotidien scolaire. Selon un sondage réalisé par l'IFOP en décembre 202217(*), 60 % des professeurs de l'école publique indiquent avoir été confrontés au moins une fois au cours de leur carrière à des contestations d'enseignement pour des motifs religieux et 30 % l'ont été dans les quinze derniers mois précédant la réalisation de ce sondage.

Il serait erroné de croire que seules certaines disciplines sont concernées. Les contestations se sont diffusées dans la quasi-totalité des matières et les valeurs de la République - telles que l'égalité entre les filles et garçons - sont remises en cause dans la vie quotidienne des établissements.

Les exemples ci-dessous, recueillis à l'occasion des auditions de la mission, témoignent de l'ampleur du défi à relever par l'éducation nationale.

Les contestations d'enseignement et les remises en cause des valeurs de la République au sein de l'institution scolaire : exemples d'atteinte

- Demande de dispense de cours le samedi matin pour raison religieuse et absence constatée les deux samedis suivant cette demande ;

- Dispense pour les cours de natation en raison d'une allergie au chlore ;

- Contestation du visionnage du film Persepolis, refus d'étudier Harry Potter, car promotion de la sorcellerie ;

- Éducation morale et civique : refus de faire un exposé sur la déconstruction du complot ;

- Histoire : contestation d'enseignement sur la naissance de l'Islam, remise en cause de l'existence du génocide arménien ;

- Refus lors d'une sortie scolaire : un élève de confession musulmane explique qu'il ne peut pas entrer dans un cimetière catholique ;

- Cours de musique : refus d'écouter de la musique ou de chanter pendant la période du ramadan ;

- SVT : remise en cause de la théorie de l'évolution, élèves qui se cachent les yeux lorsque les organes reproducteurs de l'homme et de la femme sont étudiés ;

- Éducation à la sexualité : à la suite de rumeurs en Belgique sur le contenu des cours d'éducation à la sexualité, des parents se sont inquiétés et ont demandé à ce que leurs enfants en soient dispensés ;

- Sciences physiques : contestation de l'origine du monde ;

- Contestation de l'exposition sur la laïcité présentée dans le hall de l'établissement ;

- Propos selon lesquels une fille ne peut pas discuter avec un garçon sans être victime d'insultes dégradantes et sexuelles.

Contrairement aux idées reçues, les remises en cause des enseignements sont désormais généralisées dans toutes les catégories d'établissements, comme en témoigne le profil des enseignants ayant déclaré avoir observé au moins une contestation d'enseignement au cours des 15 mois précédant le sondage précédemment cité.

Profil des enseignants ayant observé au moins une contestation d'enseignements au cours des années scolaires 2021-2022 et 2022-2023

REP

Ville-centre

Banlieue « aisée »

Banlieue « populaire »

Ville isolée

Commune rurale

Établissement public

Établissement privé

53 %

32 %

25 %

38 %

25 %

23 %

31 %

25 %

(Lecture : 53 % des enseignants REP sont dans cette situation) - IFOP, les enseignants face à l'expression du fait religieux à l'école et aux atteintes à la laïcité, décembre 2022.

L'enseignement privé sous contrat est également concerné. En 2018-2019, 25,6 % des enseignants des collèges et lycées privés sous contrat indiquent avoir rencontré un refus ou une contestation d'enseignement18(*). Or si l'existence d'un caractère propre est reconnue aux établissements privés sous contrat, « l'enseignement [y] est dispensé selon les règles et les programmes de l'enseignement public » (art. L442-5 du code de l'éducation)

2. L'enseignement moral et civique (EMC) : des contenus pléthoriques pour un enseignement strapontin

Les travaux de la mission d'information sur la culture citoyenne19(*) de 2022 ont mis en évidence un contenu des programmes d'éducation morale et civique à la fois confus et disparate. Au gré des préoccupations de la société, le législateur a en effet jugé opportun d'élargir le contenu de cet enseignement - douze fois depuis 2001.

Il en résulte un article du code de l'éducation - l'article L. 312-15 - mettant sur le même plan des thématiques aussi diverses que nombreuses.

Deux ans plus tard, le constat reste le même : comme l'avaient souligné les rapporteurs, « les programmes actuels se caractérisent par une grande profusion. Les professeurs ne savent pas comment les traiter en intégralité. C'est un peu à la carte. Or, un programme national n'est pas à la carte ». De plus, malgré ce champ de thématiques très large à aborder, l'EMC en omet une, qui devrait pourtant être au coeur même de cet enseignement : le fonctionnement de la vie démocratique et des institutions.

Lors de son audition par les rapporteurs, Mark Sherringham, président du conseil supérieur des programmes (CSP), a indiqué que les programmes d'EMC étaient actuellement en cours de modification afin de garantir aux élèves « la connaissance et le fonctionnement des institutions de la République et l'Union européenne ». Les rapporteurs se félicitent de cet objectif visant à donner toute sa part aux institutions et à la vie démocratique. Ils seront attentifs à sa mise en oeuvre, tout comme à celle de la promesse du Président de la République le 16 janvier dernier de doubler le temps consacré à l'EMC au collège.

La place des institutions dans le projet des nouveaux programmes d'EMC

En juin 2023, Pap Ndiaye, alors ministre de l'éducation nationale, a saisi le conseil supérieur des programmes pour une rénovation des programmes d'EMC du CP à la terminale. Sa lettre de mission prévoit spécifiquement, et entre autres, que l'EMC doit garantir pour les élèves « la connaissance et le fonctionnement des institutions de la République et l'Union européenne ». Les projets de programmes d'EMC publiés fin janvier 2024 accordent une place renforcée au fonctionnement des institutions et de la vie démocratique. Voici par classe, les notions qui feraient partie du programme :

- à l'école primaire : en CE2, le président de la République, le maire ; en CM1, le vote, la République française membre de l'UE ;

- au collège : en 6ème : les échelles de la représentation de la commune au Parlement européen ; en 5ème : le défenseur des droits, les missions de solidarité des collectivités locales, le Sénat et la représentation des territoires ; en 4ème : l'État de droit, le Conseil constitutionnel, les institutions judiciaires, l'armée et les forces de sécurité ; en 3ème : la Constitution dans son ensemble, la séparation des pouvoirs, les institutions européennes dont la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), les élections et les campagnes électorales et référendaires ;

- au lycée : en seconde : l'État de droit et la communauté des nations démocratiques (dont l'UE), le bloc de constitutionnalité ; en première : la décentralisation et les collectivités territoriales, le statut des territoires ultramarins ; en terminale : la Constitution, l'éligibilité, les nouveaux espaces de délibération, la délibération dans les institutions internationales, l'UE et l'ONU.

En 1991, le Conseil d'État avait alerté le législateur sur les dérives normatives : « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête qu'une oreille distraite ». Cette remarque face à l'inflation normative s'applique aux contenus d'EMC. Force est de souligner que le contenu des programmes d'EMC restera pléthorique tant que l'article L. 312-15 du code de l'éducation demeurera aussi « bavard ».

Les rapporteurs tiennent à rappeler une position constante de la commission de la culture du Sénat : il n'appartient pas au législateur, mais au conseil supérieur des programmes de définir le contenu de ceux-ci. Aussi, les rapporteurs appellent de leurs voeux une modification de l'article L. 312-15 du code de l'éducation visant à le recentrer sur la connaissance des institutions françaises et européennes, la compréhension des enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux du monde contemporain, ainsi que sur les valeurs de la République et la laïcité. Une réécriture de cet article a d'ailleurs été adoptée au Sénat en ce sens le 23 novembre dernier, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne20(*).

Recommandation : modifier la rédaction de l'article L. 312-15 du code de l'éducation, afin de recentrer le contenu de l'enseignement moral et civique sur la connaissance des institutions françaises et européennes, la compréhension des enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux du monde contemporain, ainsi que sur les valeurs de la République et la laïcité.

3. La laïcité, une valeur de la République méconnue, voire rejetée

Laïcité et école de la République sont intrinsèquement liées. C'est par l'école de la République que la laïcité est entrée dans la société française, bien avant la loi de séparation des Églises et de l'État.

La loi du 28 mars 1882 portant sur l'organisation de l'enseignement primaire fixe le principe de la neutralité des programmes, supprime le droit d'inspection, de surveillance et de direction des écoles publiques dont bénéficiaient les ministres du culte et remplace l'instruction religieuse par l'instruction morale. Quatre ans plus tard, la loi dite Goblet confie à un personnel exclusivement laïc l'enseignement dans les écoles publiques. Ces textes datant de plus de 140 ans constituent toujours l'un des principes généraux de l'enseignement public (art. L. 141-1 et suivants du code de l'éducation).

La laïcité, en permettant la stricte neutralité dans l'espace scolaire, participe à l'idéal émancipateur de l'école. Comme le rappelle l'article 6 de la charte de la Laïcité à l'école, « la laïcité de l'École offre aux élèves les conditions pour forger leur personnalité, exercer leur libre arbitre et faire l'apprentissage de la citoyenneté. Elle les protège de tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix ». L'État doit empêcher que l'esprit des élèves « soit harcelé par la violence et les fureurs de la société : sans être une chambre stérile, l'école ne saurait devenir la chambre d'écho des passions du monde, sous peine de faillir à sa mission éducative »21(*).

Or, loin d'être perçue comme un outil d'émancipation, elle est aujourd'hui comprise par de plus en plus d'élèves comme une interdiction, construite contre la religion.

Plus grave, la défense de la laïcité se délite chez les adultes associés au fonctionnement des établissements. Les rapporteurs constatent en effet que le concept de laïcité est désormais mal connu de nombreux enseignants et personnels de l'éducation nationale. Ce constat inquiétant, déjà souligné dans le rapport Obin de 200422(*), est rappelé quinze ans plus tard par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) en novembre 2019 : « le principe de laïcité, la connaissance de ses racines historiques et juridiques et de sa signification, ainsi que ses règles d'application et sa portée restaient très lacunaires chez beaucoup d'enseignants, certes à des degrés très différents selon leurs disciplines d'enseignement (les professeurs d'histoire-géographie et EMC sont souvent mentionnés comme bien au fait de l'ensemble de ces questions). Plusieurs interlocuteurs de la mission ont en outre souligné que, pour un certain nombre d'enseignants, la conception de la laïcité et de son sens était davantage affaire de positionnement personnel, idéologique et politique, que de droit, ce qui pouvait entraîner des tensions dans l'équipe éducative, lorsque la question de son application dans l'établissement était évoquée »23(*). Il est à noter que 5 % des enseignants considèrent que la définition la plus juste de la laïcité est « un principe mis en oeuvre par la République pour combattre les religions ». Ils n'étaient que 1 % en 2018. 22 % la confondent avec la tolérance24(*).

La mauvaise connaissance de la définition et du contenu de la laïcité s'explique par une formation tant initiale que continue des enseignants et personnels administratifs trop longtemps défaillante. En 2018, 74 % des enseignants interrogés ont indiqué ne pas avoir bénéficié d'une formation initiale sur ce sujet.

À cela s'ajoute une rupture générationnelle. Comme l'a souligné Alain Seksig, secrétaire général du conseil des sages de la laïcité, « les jeunes professeurs sont moins portés vers la laïcité et les principes républicains que nous pouvions l'être, faute de formation. Lorsque j'ai commencé à enseigner à Belleville en 1973, nous ne parlions jamais de laïcité. Ce n'était pas davantage le cas dans les sessions de formation. Ce que nous payons aujourd'hui, c'est cette absence de formation. L'éducation nationale a pris un retard considérable, pensant que c'était une affaire réglée ». Or, tout comme la société s'interroge sur l'utilité de la laïcité, il en est de même pour certains jeunes enseignants, bercés par l'émergence ces dernières décennies de termes tels que « laïcité ouverte », ou encore « laïcité plurielle », et des débats publics qui confondent laïcité et tolérance. Il est ainsi frappant de noter que si 92 % des enseignants sont favorables à la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l'école publique, cette proportion baisse de 6 points chez les enseignants de moins de 30 ans25(*). En 2023, 30 % des enseignants du second degré déclarent que la loi de 2004 fait l'objet de contestations de la part de certains enseignants ou d'autres personnels. C'est 10 points de plus qu'en 201826(*).

Signalement d'atteintes au principe de laïcité du fait de personnels

Entre janvier 2018 et août 2019, 140 faits signalés correspondent à des situations de non-respect du principe de laïcité par des personnels (soit 11 % des auteurs). Toutes les catégories de personnels sont concernées : titulaires ou contractuels, enseignants, personnels d'éducation, personnels administratifs, personnels de santé ou social. Parmi les faits signalés, « les suspicions de prosélytisme devancent légèrement la délivrance d'un enseignement non conforme au principe de laïcité et le port de signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse. [...]

« Dans de très nombreuses situations, la réponse au signalement se résume à un rappel au personnel concerné des obligations du fonctionnaire, assorti d'une explicitation du sens du principe de la laïcité à l'école par le directeur de l'école ou le chef d'établissement ou par un membre de l'EA-VDR [équipe académique - valeurs de la République]. D'après les réponses des académies au questionnaire de la mission, un tel rappel est la plupart du temps suffisant pour dissiper des malentendus résultant d'une insuffisante connaissance de la déontologie des fonctionnaires et des principes qui régissent le service public » (IGESR, rapport 2019-115).

Sur la base des bilans mensuels de l'action des équipes « valeurs de la République » publiés par le ministère, il y a eu entre septembre 2022 et mai 2023 environ 140 faits signalés pour des actes commis par des personnels. Ils sont en augmentation : il passe de 10 signalements mensuels en moyenne de faits commis par des personnels sur la période janvier 2018-août 2019 à 17 entre septembre 2022 et mai 2023.

C. EN RÉPONSE, DES OUTILS QUI SEMBLENT INSUFFISANTS

1. La formation initiale : une indispensable reprise en main par le ministère

À de nombreuses reprises, le Sénat a insisté sur la nécessité pour le ministère de l'éducation nationale de reprendre la main sur la formation des futurs enseignants. La transformation des ESPÉ en Inspé en 2019 - symbolisée par l'ajout du terme « national » dans les noms des organismes de formation au sein des universités - devait marquer la volonté pour le Gouvernement de réaffirmer le rôle de l'État-employeur ainsi que l'unicité de la formation délivrée. Dans cette optique, la loi pour une école de la confiance prévoit un référentiel de formations correspondant au métier du professorat des premier et second degrés arrêté conjointement par les ministères chargés de l'Enseignement supérieur et de l'éducation nationale.

Néanmoins, les leviers d'action de la rue de Grenelle pour influencer le contenu de la formation restent faibles : ils se limitent principalement à la nature des épreuves. C'est d'ailleurs le moyen utilisé par Jean-Michel Blanquer pour forcer les Inspé à mieux former les étudiants aux valeurs de la République et à la laïcité : depuis le concours 2022, la deuxième partie de l'épreuve d'admission de tous les concours d'enseignants - internes, externes et troisième concours - et de conseillers principaux d'éducation, d'une durée de vingt minutes, consiste désormais en deux mises en situation professionnelle, l'une d'enseignement, la seconde en lien avec la vie scolaire, afin de vérifier « l'aptitude du candidat d'une part à s'approprier les valeurs de la République, dont la laïcité, et les exigences du service public (droits et obligations du fonctionnaire dont la neutralité, lutte contre les discriminations et stéréotypes, promotion de l'égalité, notamment entre les filles et les garçons, etc.) ; et d'autre part faire connaître et faire partager ces valeurs et exigences ». Selon les informations transmises aux rapporteurs, ces situations proposées par le jury doivent s'inspirer le plus possible de situations réelles et permettre au candidat de montrer qu'il connaît les différentes fonctions et ressources présentes dans un établissement scolaire ou une école susceptibles d'être mobilisées.

Les tableaux ci-après indiquent la synthèse des notes obtenues par les candidats admissibles à l'épreuve de projection dans le métier de professeur, qui incluent les deux mises en situation précédemment évoquées. Le chiffre de 0 - note éliminatoire - est significativement plus élevé dans le premier degré que dans le second degré. S'il est trop tôt pour évaluer les conséquences de cette réforme du concours sur la manière dont les jeunes enseignants abordent et promeuvent les valeurs de la République dans leurs cours, celle-ci permet néanmoins de mieux les préparer à ces questions, ainsi que d'éliminer des candidats dont la projection dans leur futur métier interroge. Elle a également permis des progrès sur cette thématique dans la formation initiale : 67 % la jugent de bonne qualité contre 47 % en 201827(*).

Tableau 1 - CRPE - Notes attribuées à l'épreuve projection dans le métier de professeur

Tableau 2 - Concours du second degré - Notes attribuées à l'épreuve orale d'entretien avec le jury

La lecture des rapports de jury de la session 2023 est particulièrement révélatrice des lacunes de certains candidats sur les valeurs de la République et de la laïcité, leurs contenus ainsi que leurs déclinaisons spécifiques au sein de l'institution scolaire.

Extraits de rapports du jury du concours de recrutement des enseignants28(*)

Sans être exhaustifs, les rapports des jurys relèvent notamment, une « absence de réflexion réelle et approfondie sur les valeurs mises en jeu et notamment sur le sens de la laïcité à l'école, des confusions notionnelles fréquentes (liberté d'expression / liberté de conscience, obligation de neutralité / devoir de réserve, secret professionnel / discrétion, etc.), une connaissance trop superficielle, voire inexistante, du fonctionnement des établissements, notamment concernant le rôle respectif des différents acteurs, des emboîtements d'échelles d'action et de responsabilité, des carences disciplinaires en histoire et en géographie qui empêchent de saisir les problèmes posés par la situation proposée, une connaissance lacunaire des symboles de la République et de leur histoire, y compris sur des aspects élémentaires ».

« Le jury s'est étonné d'entendre parfois des candidats envisager de répondre aux objections d'un élève en improvisant sur le champ un débat au sein de la classe, à propos de situations convoquant des valeurs non discutables parce que posées dans le cadre de la loi, voire de la Constitution. Ainsi ont pu être proposés des débats pour ou contre l'égalité filles/garçons ou les règles de la laïcité à l'école ! Il est attendu des futurs professeurs qu'ils aient une conscience claire des principes qui régissent notre institution, sur lesquels on ne saurait transiger. Laisser s'exprimer des voix contraires à ces principes même dans le cadre d'un débat contradictoire, au nom de la liberté d'expression et au prétexte que toutes les opinions se vaudraient, constituerait une erreur de positionnement caractérisée de la part du professeur ».

Ces commentaires des jurys soulignent la nécessité d'une modification de la formation, pour être plus professionnelle et en phase avec les situations auxquelles seront confrontés les futurs enseignants.

Par ailleurs, il existe des différences intrinsèques entre le monde universitaire et celui de l'école. Le premier bénéficie d'une plus grande liberté dans l'expression des opinions, issue d'une part des franchises universitaires, mais aussi, parce que l'université, fréquentée par des adultes, est le lieu du débat, des échanges d'idées. Les contraintes auxquelles sont soumis les intervenants dans les Inspé et leurs étudiants sont beaucoup moins strictes que pour les enseignants. Les rapporteurs ont d'ailleurs pu le constater lors des auditions, avec le positionnement d'un intervenant en Inspé sur l'abaya - évoquant une « rentrée sous le signe de la chasse à l'abaya ». Cette déclaration pose la question du discours qu'il tient aux futurs enseignants sur l'application de la laïcité à l'école et sa compréhension des raisons qui sous-tendent l'interdiction des signes et tenues religieux ostentatoires propre au milieu scolaire.

Ce constat appelle une reprise en main rapide par l'éducation nationale de la formation initiale aux valeurs de la République et à la laïcité. L'article 46 de la loi pour une école de la confiance prévoit que les équipes pédagogiques des Inspé comprennent « des personnels enseignants, d'inspection et de direction en exercice dans les premier et second degrés ainsi que des enseignants-chercheurs » (art. L. 721-2 du code de l'éducation) 29(*).

Face à une remise en cause croissante des valeurs de la République et de la laïcité à l'école, la mission souhaite que la formation à leur promotion devienne un module majeur de la formation initiale des enseignants, réalisée par un praticien de l'éducation nationale ayant bénéficié récemment d'une formation continue sur le sujet (cf. ci-après).

Recommandation : à court terme et pour garantir la formation des futurs enseignants à la promotion des valeurs de la République et de la laïcité dans le cadre spécifique scolaire, faire de celle-ci un module majeur de leurs formations en INSPÉ et prévoir qu'elle soit réalisée par un fonctionnaire de l'éducation nationale.

Au-delà de cette thématique particulière des valeurs de la République, les rapporteurs ont pu constater des carences dans les formations initiales délivrées au regard des conditions d'exercice actuelles des personnels de l'éducation nationale. Un jeune enseignant a ainsi indiqué ne jamais avoir eu de formation sur la gestion de crise avec les parents - seulement la gestion de crise avec les élèves.

Enfin, les rapporteurs soulignent qu'un nombre significatif de lauréats du concours n'ont pas suivi le master métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation (MEEF) et entrent dans le métier sans aucune formation initiale sur le métier d'enseignant30(*).

Aussi, les rapporteurs recommandent de rendre la main à l'éducation nationale sur la formation initiale des futurs enseignants. Il y a urgence à agir, tant pour s'assurer d'une formation conforme aux attentes du ministère sur ce que doit être un enseignant aujourd'hui et sur les valeurs qu'il doit promouvoir et transmettre, que pour permettre une préparation des futurs personnels de l'éducation nationale au plus près des réalités du métier : le taux de démission des enseignants stagiaires est au plus haut. Notre ancien collègue Gérard Longuet soulignait « qu'en 2020-2021, 3,44 % des stagiaires ont démissionné au cours de leur stage, contre seulement 1 % 10 ans plus tôt »31(*). En 2021-2022, ils sont 3,75 %. Jamais autant d'enseignants stagiaires n'avaient démissionné ces 14 dernières années.

Source : Ministère de l'éducation nationale

Recommandation : rendre la main à l'éducation nationale pour la formation des enseignants en ne faisant plus dépendre la formation initiale de l'université.

2. Un effort à poursuivre en matière de formation continue

À l'initiative de Jean-Michel Blanquer, un vaste plan de formation portant sur la promotion des valeurs de la République a été lancé, avec l'objectif ambitieux de former l'ensemble des personnels en poste sur quatre ans (2021-2025), soit 280 000 personnels par an, pour une formation d'au moins neuf heures. Selon les informations transmises aux rapporteurs, plus de 350 000 personnels ont reçu une formation au principe de laïcité.

Le plan des 1 000 : une structure de formation pyramidale pour irriguer l'ensemble du territoire

Depuis la rentrée 2021, dans le cadre du programme national de formation, presque 1 500 formateurs issus de toutes les académies ont reçu plus de 60 heures de formation, étalées sur deux années. Ils deviennent ensuite formateurs des autres personnels au sein de leur établissement. Les 1 500 formateurs contribuent à assurer la formation continue de l'ensemble des personnels de l'éducation nationale.

En parallèle, 150 formateurs ont reçu une formation renforcée de 120 à 150 heures, sanctionnée par un diplôme universitaire dont le contenu a été élaboré en partenariat avec la DGESCO et le Conseil des sages de la laïcité. Ces formateurs viennent en appui des équipes académiques valeurs de la République, notamment pour accompagner des équipes éducatives confrontées à des situations complexes et requérant une expertise particulière. Ces formations se déroulent sur trois sites (Paris Sorbonne, Université de Cergy-Pontoise, Inspé de Toulouse). 50 personnels suivent une formation certifiante pour l'année 2023-2024.

Par ailleurs, une formation spécifique a été lancée en novembre 2022 à destination des chefs d'établissement. Selon les informations transmises par les services du ministère aux rapporteurs de la mission d'information, à ce jour, 11 000 des 14 000 personnels de direction ont bénéficié d'une formation. À la rentrée 2023, celle-ci a été étendue aux cadres du 1er degré (inspecteurs de l'éducation nationale du 1er degré, DASEN (directeur académique des services de l'éducation nationale) en charge du 1er degré, référents départementaux directeurs d'école et les CPE (conseiller principal d'éducation)).

Enfin, depuis la rentrée 2022, le service de défense et de sécurité du ministère de l'éducation nationale participe à la formation initiale des 1 300 nouveaux cadres pédagogiques (IEN, IA-IPR et personnels de direction) organisée par l'IH2EF sur la laïcité et les valeurs de la République, en lien avec le conseil des sages de la laïcité.

Les rapporteurs appellent à poursuivre l'effort de formation. Celle-ci est en effet nécessaire : de nombreux enseignants et personnels administratifs connaissent mal ce que recouvre la laïcité. Il existe aujourd'hui un taux de formation des enseignants aux valeurs de la République qui varie en fonction des académies. Face aux remises en cause constatées, le maître-mot pour l'enseignant en classe et de manière générale pour tous les agents publics est l'anticipation pour savoir comment réagir lorsqu'une telle situation survient. En cela, une formation continue et régulière, axée sur des exemples concrets, ainsi que la présence d'un référent laïcité dans chaque établissement, est de nature à développer pour chaque personnel des réflexes fermes et justes face à toute remise en cause de la laïcité à l'école.

Par ailleurs, les rapporteurs insistent sur la nécessité de faire bénéficier, systématiquement et rapidement au moment de leur prise de poste, les contractuels d'une formation aux valeurs de la République et à la laïcité. Ils sont en effet un rouage essentiel dans le fonctionnement de l'école. On dénombre 29 855 ETP au 31 décembre 2022 pour l'enseignement secondaire et 5 900 ETP pour l'année 2022-2023 pour l'enseignement primaire. Leur nombre est en augmentation ces dernières années face à la baisse d'attractivité des concours enseignants. Certaines académies sont particulièrement concernées, comme celle de Créteil ou de Versailles. Or, il ressort des auditions que les contractuels ne bénéficient pas tous d'une formation à la promotion des valeurs de la République et à la laïcité. Il est pourtant essentiel que l'ensemble des agents publics d'un établissement scolaire tiennent le même discours et aient les mêmes réflexes face aux remises en cause de celles-ci.

Recommandation : rendre obligatoire pour tout contractuel et au plus tard dans le mois suivant sa prise de poste une formation à la défense de la laïcité et des valeurs de la République, s'appuyant sur des cas concrets - et prévoir la remise systématique des guides du conseil des sages de la laïcité.

3. L'absence de culture collective de protection des valeurs de la République

Lors des auditions, les rapporteurs ont été alertés sur l'enjeu de garantir la cohésion de l'équipe. Il s'agit d'assurer que l'ensemble des adultes de l'établissement partagent la même position vis-à-vis de ce qu'est la laïcité au sein de l'établissement scolaire et que tous s'attachent à faire respecter les valeurs de la République et la laïcité. Comme a pu le dire un enseignant aux rapporteurs : « je ne veux plus être le seul enseignant à demander d'enlever telle ou telle chose. Il faut la même position de la part de tous les encadrants et enseignants ».

Dans son rapport de 2019 précité, l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche a pointé que des divergences de vue sur la laïcité au sein de l'équipe éducative d'un établissement scolaire pouvaient entraîner des tensions lorsque des questions sur son application en son sein sont évoquées.

Si traditionnellement certains enseignants, du fait de la discipline enseignée, sont plus impliqués pour aborder les thématiques liées aux valeurs de la République et à la laïcité, leurs promotion et défense ne peuvent se limiter aux seules actions et responsabilité de ces derniers. En effet, elles sont des valeurs essentielles au vivre-ensemble et ne peuvent se satisfaire d'une approche fragmentée par discipline. Elles doivent irriguer l'ensemble des cours ainsi que la vie scolaire de l'établissement.

Or, aujourd'hui, dans plus de la moitié des établissements scolaires, la question de la laïcité ne fait pas l'objet d'échanges lors des réunions organisées en leur sein (conseil des maîtres ou d'école pour le premier degré, conseil départemental ou académique de l'éducation nationale, inspections, animations pédagogiques, conseil d'administration, conseil pédagogique, conseil de la vie collégienne ou conseil de la vie lycéenne, ...).

Si la laïcité a été désignée par le ministère comme une priorité nationale, elle reste un non-dit au quotidien dans les établissements scolaires, sauf en cas de problème. Il est urgent de passer d'une position défensive face à des attaques dont elle fait l'objet à sa promotion par l'intermédiaire d'une démarche proactive.

C'est la raison pour laquelle les rapporteurs recommandent d'améliorer la rédaction des projets d'établissement et d'y inclure systématiquement des actions collectives de promotion des valeurs de la République. Le projet d'établissement doit en effet être un document fédérateur, ancré dans un territoire et tenant compte des spécificités et des besoins des élèves fréquentant l'établissement. Malheureusement, ce document se limite souvent à une reprise des modèles proposés par les services du ministère, structuré autour d'axes vagues et d'actions sans lien avec les spécificités de l'établissement scolaire, ou à l'agrégation de projets portés individuellement par des enseignants, sans articulation entre eux.

Ils estiment également nécessaire de rendre obligatoire chaque année en octobre, un hommage - adapté à l'âge des élèves - aux enseignants assassinés, et notamment à Samuel Paty et Dominique Bernard. Ces assassinats sont une attaque directe contre l'école et les missions que lui a confiées la Nation. En 2022, seuls six enseignants sur dix ont été concernés par l'organisation d'un temps d'hommage à Samuel Paty dans leur établissement. Quant à ceux pour lesquels un hommage a été organisé, ils sont 21 % - 42 % dans les établissements de REP - à avoir observé des contestations à cette occasion. Ce temps particulier, en début d'année scolaire, pourrait être complété par une réflexion pour présenter la laïcité sous un jour positif. Alors qu'elle est un vecteur d'émancipation, beaucoup d'élèves la perçoivent comme une interdiction des religions.

Cet hommage serait également un premier jalon permettant de mieux préparer la journée de la laïcité se déroulant début décembre, qui trop souvent reste lettre morte : aujourd'hui, les deux tiers des enseignants du public déclarent ne pas mener d'actions spécifiques à l'occasion de celle-ci.

Recommandation : élaborer dans chaque établissement un projet d'établissement incluant des actions relatives aux valeurs de la République et à la laïcité, afin de fédérer l'équipe pédagogique et administrative autour de leur défense et promotion ; renforcer le dialogue entre les enseignants.

Recommandation : Dans les établissements scolaires publics et privés sous contrat, instaurer tous les ans en octobre dans chaque établissement scolaire un hommage aux enseignants assassinés, dont les modalités tiendraient compte de l'âge des élèves.

4. Les sanctions disciplinaires à la main des établissements en cas de violence

Les punitions et les sanctions scolaires doivent répondre à un double objectif : éduquer et responsabiliser les élèves concernés. La liste des sanctions scolaires est définie de manière exhaustive dans le code de l'éducation. Elles recouvrent l'avertissement, le blâme, la mesure de responsabilisation, l'exclusion temporaire de la classe, l'exclusion temporaire ou définitive de l'établissement. Cette liste doit être impérativement rappelée dans tous les règlements intérieurs des établissements scolaires (art. R.111-13 du code de l'éducation). À la différence des punitions, l'initiative de la procédure disciplinaire appartient exclusivement au chef d'établissement, éventuellement à la demande d'un membre de la communauté éducative. S'il décide de ne pas engager de poursuite disciplinaire, il doit motiver sa décision. Enfin, chaque année, le chef d'établissement présente au conseil d'administration un bilan des décisions rendues en matière disciplinaire, ainsi que les suites données aux demandes de saisine du conseil de discipline.

Expulsions définitives en 2021-202232(*)

Collèges

Lycées généraux et techniques

Lycées professionnels

Total

19 178

3 724

4 688

27 590

Depuis 201133(*), le chef d'établissement est tenu d'engager une procédure disciplinaire envers les élèves auteurs de violences verbales à l'encontre d'un membre du personnel de l'établissement ou les auteurs d'un acte grave envers un personnel ou un élève. Il est tenu de saisir le conseil de discipline lorsqu'un membre du personnel de l'établissement a été victime de violence physique (art. R 421-10 du code de l'éducation). Un décret d'août 202334(*) est venu compléter les cas entraînant une réponse obligatoire en cas d'atteintes graves aux principes de la République, notamment la laïcité, ainsi qu'en cas de harcèlement, y compris lorsque l'autre élève est scolarisé dans un autre établissement.

La circulaire du 3 septembre 2019 sur la prévention et la prise en charge des violences en milieu scolaire rappelle le principe selon lequel toute incivilité, atteinte ou fait grave commis à l'encontre d'un personnel de l'éducation nationale doit systématiquement faire l'objet d'une réponse de la part de l'institution, sans préjudice de suites judiciaires éventuelles.

Or, les témoignages recueillis par les rapporteurs montrent que cette réponse est loin d'être systématique, certains enseignants soulignant la nécessité de devoir « monter un véritable dossier de plusieurs faits commis par un élève » avant qu'il y ait une procédure de sanction déclenchée par le chef d'établissement. Une telle situation participe au sentiment de « pas de vague » dénoncé par les enseignants et de remise en cause de l'autorité de l'école.

Les rapporteurs proposent la mise en place d'un partage à l'échelle nationale des registres des sanctions que doit tenir chaque établissement scolaire et qui recensent de manière anonyme les sanctions prononcées avec l'énoncé des faits et les circonstances les ayant justifiées, afin que des faits similaires sur tout le territoire entraînent une réponse cohérente, dans le respect du principe d'individualisation des sanctions.

Recommandation : afin de mettre fin au « pas de vague », partager à l'échelle nationale les registres des sanctions des établissements scolaires, pour que toute incivilité, atteinte ou autre fait grave commis à l'encontre d'un personnel de l'éducation nationale fasse l'objet d'une réponse cohérente de la part de l'institution.

5. L'interdiction de l'abaya et du qamis : face à des tentatives de pression sur la laïcité, une clarification bienvenue et à poursuivre

L'année 2022-2023 s'est caractérisée par une augmentation importante du nombre de signalements d'atteinte à la laïcité, notamment en raison de tenues non conformes à la loi de 2004 sur l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires. Les réseaux sociaux y ont fortement participé : les rapporteurs ont ainsi été informés de l'existence de défis, conduisant à de véritables opérations coordonnées dans plusieurs établissements, ou encore de discours d'influenceurs appelant au port de ces vêtements. La laïcité fait face ainsi à des « coups de boutoirs » auxquels la République se doit de répondre avec fermeté.

Les rapporteurs saluent la position prise par Gabriel Attal, alors ministre de l'éducation nationale, sur l'interdiction de l'abaya et du qamis. Comme ils ont pu le constater au cours des auditions, cette clarification était attendue notamment par les chefs d'établissement. Elle a permis de mettre fin très rapidement à cette pression contre la laïcité : 513 établissements étaient, selon les estimations du ministre à la veille de la rentrée, concernés par le port de l'abaya, 298 élèves se sont présentées ainsi vêtues le jour de la rentrée, seules 67 n'ont pas accepté de l'enlever le premier jour.

Il reste néanmoins quelques zones grises qu'il conviendrait de clarifier par cohérence avec l'esprit de la loi de 2004. Il s'agit notamment des activités organisées par l'institution scolaire, y compris en dehors du temps scolaire, lorsque le jeune y participe du fait de son statut d'écolier, de collégien ou de lycéen. C'est par exemple le cas d'une sortie scolaire organisée et financée par l'institution scolaire le soir (pièce de théâtre par exemple), la cérémonie de remise d'un prix pour un concours organisé par l'éducation nationale ou en partenariat avec celle-ci et qui a eu lieu pendant le temps scolaire, ou encore la participation en dehors du temps scolaire mais organisée par l'établissement (affrètement d'un bus, accompagnement par du personnel de l'établissement scolaire) à un forum d'orientation.

Recommandation : élargir pour les élèves l'interdiction du port de signes et tenues religieux ostentatoires à toute activité organisée par l'institution scolaire, y compris en dehors du temps scolaire (sortie scolaire le soir, cérémonie de remise d'un prix pour un concours organisé par l'éducation nationale ou en partenariat avec le ministère, participation à un forum d'orientation organisé par l'établissement scolaire, ...).

II. L'ENSEIGNANT : DU « SPLENDIDE ISOLEMENT » REVENDIQUÉ À UNE SOLITUDE DOULOUREUSE

A. UN MÉTIER CLOISONNÉ, HÉRITAGE DE DÉCENNIES DE PRATIQUES, NOTAMMENT DANS LE SECONDAIRE

1. Une logique disciplinaire

Le métier d'enseignant se caractérise par son aspect solitaire, seul face à une classe, notamment dans le secondaire.

Par ailleurs, il se définit comme enseignant d'une discipline et travaille prioritairement en lien avec ses collègues enseignant la même matière. La notion de classe est ainsi davantage une structure d'organisation des emplois du temps, que de groupe autour duquel gravitent les enseignants partageant un projet commun. À de rares exceptions, le conseil de classe qui se tient trois fois par an est le seul moment réunissant l'ensemble des enseignants d'un groupe d'élèves spécifiques. Cette absence de réalité transversale entre les différents enseignants atteint son paroxysme en première et terminale, où du fait de la réforme du lycée et des multiples combinaisons possibles de spécialités et options, le « groupe classe » n'existe plus que sur le papier. Le reste du temps, c'est le professeur principal qui peut être amené à faire le lien entre les enseignants, notamment en cas de difficulté d'un élève. Il en résulte un travail en silo entre enseignants intervenant sur une même classe. Moins de 60 % des enseignants du second degré public ont ainsi l'impression de faire partie d'une équipe35(*).

Cette problématique n'est pas nouvelle : dès 1982, et la réforme Legrand, le cloisonnement entre les disciplines est dénoncé. Le rapport de Pierre Bourdieu et François Gros visant à une « révision des savoirs enseignés en veillant à renforcer la cohérence et l'unité de ces savoirs » inscrit d'ailleurs comme sixième principe la nécessité de favoriser des « enseignements donnés en commun » et d'encourager « les professeurs à coordonner leurs actions ».

Face à ce constat, plusieurs ministres de l'éducation nationale ont tenté de renforcer l'interdisciplinarité comme les itinéraires de découverte en 5ème et 4ème en 2002, supprimés en 2004, ou la création en 2013 de quatre parcours éducatifs (parcours avenir, parcours d'éducation à la santé, parcours éducation artistique et culturelle, parcours citoyen), faisant l'objet d'une présentation par l'élève lors du brevet national des collèges. La mise en place des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) en 2015 par Najat Vallaud-Belkacem en est la dernière illustration. Ce dispositif n'a cependant eu que peu de succès. En 2017, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l'éducation nationale, limite le nombre d'EPI obligatoire à un sur l'ensemble du cycle 4 (5ème-4ème-3ème). L'avis du conseil supérieur des programmes du 30 janvier dernier sur l'organisation des enseignements au collège sonne sans doute la fin des EPI : celui-ci propose de « libérer les heures actuellement dévolues de façon obligatoire aux Enseignements pratiques interdisciplinaires et à l'Accompagnement personnalisé (3 h en classe de 6e, 4 h au cycle 4) afin de permettre la mise en place de tout dispositif de soutien ou d'approfondissement à destination de tout ou partie des élèves, notamment en français et en mathématiques » et d'utiliser les marges horaires ainsi dégagées pour cibler les apprentissages fondamentaux.

2. L'enseignant maître dans sa classe : une méfiance vis-à-vis « d'ingérence extérieure »

Si l'éducation nationale est régie par des programmes qui s'appliquent sur l'ensemble du territoire, les enseignants disposent d'une liberté pédagogique pour leur application.

L'exercice de la liberté pédagogique des enseignants
dans le cadre des programmes : un héritage de la Révolution française

Cette dualité trouve son origine dans l'opposition de deux projets d'instruction publique sous la Révolution française, entre celui de Nicolas de Condorcet, distinguant instruction et éducation, et celui de Louis-Michel Le Peletier de Saint-Fargeau et présenté par Robespierre devant la Convention en 1793. De Condorcet, les enseignants tireront la liberté pédagogique du professeur - « les enseignants sont protégés par une indépendance absolue de tout pouvoir social [...] seul moyen de s'assurer que l'instruction se règlera sur le progrès successif des Lumières, et non sur l'intérêt des classes puissantes de la société » et d'ajouter « c'est au professeur de choisir ses méthodes » - et de Le Peletier, naîtront les programmes nationaux : « j'ai adopté un moyen que je crois très efficace, pour donner à nos établissements d'institution publique la perfection dont ils sont susceptibles. C'est de publier des programmes [...] Prescrivez, l'exécution est certaine ; imaginez une bonne méthode, à l'instant elle est suivie ; créez une conception utile, elle se pratique complètement, continûment, et sans effort ».

Comme le souligne le rapport Thélot36(*), « l'autonomie pédagogique est l'un des attraits du métier d'enseignant. C'est à travers sa pédagogie que le professeur fait valoir sa créativité et son professionnalisme. Cette autonomie doit être non seulement préservée mais renforcée dans le cadre de la nécessaire réussite des élèves. »

Les débats lors de la loi de 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école illustrent cette méfiance des enseignants, face à toute impression d'empiétement sur leur liberté pédagogique. Si cette loi consacre la liberté pédagogique tout en en précisant les conditions d'exercice37(*), la création du conseil pédagogique - instance de concertation sur la coordination des enseignements, la notation et l'évaluation des activités scolaires, ainsi que chargée de la préparation de la partie pédagogique du projet d'établissement - a été vivement critiquée par les syndicats enseignants y voyant une instance de contrôle à la main du chef d'établissement.

C'est au regard de la liberté pédagogique que s'expliquent les réactions vives des enseignants face aux injonctions descendantes du ministère préconisant telle méthode d'apprentissage, ou annonçant la fin de certains types d'exercice, comme les « textes à trou » annoncée par Gabriel Attal, alors ministre de l'éducation nationale, en septembre dernier. De même, la parution du guide sur l'évaluation des apprentissages et des acquis des élèves par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche en septembre 2021, dans le cadre de la réforme du baccalauréat et la prise en compte du contrôle continu pour 40 % de la note finale, a été dénoncée par les syndicats enseignants comme une attaque contre la liberté pédagogique des professeurs. Pour ceux-ci, il s'agit « d'une volonté de normer les pratiques en matière d'évaluation » (SNES-FSU) ou encore « une remise en cause de la liberté pédagogique » (SNALC).

B. UNE REMISE EN CAUSE DE L'AUTORITÉ DE L'INSTITUTION

1. Un délitement progressif des prérogatives de l'enseignant en matière d'évaluation

L'évaluation des élèves est une prérogative de l'enseignant, comme le précise l'article L. 912-1 du code de l'éducation. Or, au nom de la co-éducation et d'une « éducation bienveillante » prônée par la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, cette mission intrinsèque au métier d'enseignant s'est délitée.

L'école a été traversée ces dernières décennies par un débat sur « la fin des notes chiffrées », à l'image de la conférence nationale sur l'évaluation, présidée par Étienne Klein et réunie par Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l'éducation nationale. Les conclusions de cette instance ont notamment préconisé la fin des notes chiffrées jusqu'à la classe de 6ème comprise, ainsi que la création d'un guide de l'évaluation par le ministère. Si toutes les recommandations n'ont pas été mises en oeuvre - notamment la fin des notes chiffrées jusqu'en 6ème -, la circulaire du 31 décembre 2015 relative à l'évaluation des acquis scolaires des élèves et au livret scolaire, à l'école et au collège vise « à faire évoluer et à diversifier les modalités de notation et d'évaluation des élèves de l'école primaire et du collège pour éviter une « notation-sanction » à faible valeur pédagogique et privilégier une évaluation positive, simple et lisible, valorisant les progrès, encourageant les initiatives et compréhensible par les familles ».

Afin d'avoir « une école qui ne stigmatise pas les difficultés » et de lutter contre l'orientation subie, la loi de 2013 pour la refondation de l'école de la République a retiré au chef d'établissement la décision d'orientation pour la confier aux parents. Par ailleurs, le décret n° 2014-1377 du 18 novembre 2014 relatif au suivi et à l'accompagnement pédagogique des élèves pris en application de cette loi confère au redoublement « un caractère exceptionnel ».

S'est ainsi développée une remise en cause latente par l'institution elle-même de l'autorité des enseignants et de leurs prérogatives en termes d'évaluation des élèves.

À cela se sont ajoutées la réforme du baccalauréat et la mise en place du contrôle continu qui ont accentué les contestations sur l'évaluation. Il ressort des auditions et des témoignages d'enseignants des remises en cause récurrentes des notes par les élèves, mais aussi par leurs parents ou encore, une absence de certains élèves aux contrôles avec la complicité de leurs parents lorsqu'ils estiment avoir obtenu une moyenne suffisante pour le trimestre.

2. Un comportement de certains parents qui interpelle

Les témoignages recueillis par la mission font état d'un dévoiement de la co-éducation par certains parents devenus trop intrusifs. Ceux-ci somment les enseignants de justifier les punitions, les notes ou encore soutiennent coûte que coûte leurs enfants et remettent en cause la parole de l'enseignant. L'enquête auprès des personnels du 1er degré réalisée par l'autonome de solidarité laïque révèle que 35,4 % des enseignants du 1er degré ont été victimes de diffamation - celle-ci portant dans 9 cas sur 10 sur le travail (et 10 % sur la vie privée) -, les parents en étant les principaux auteurs38(*).

Pour certains enseignants, un basculement est intervenu au moment du confinement, où les parents ont fait, par la force des choses, irruption dans les classes. Par ailleurs, les difficultés de recrutement d'enseignants et les campagnes de « job dating » véhiculent pour ceux-ci l'illusion que tout le monde peut être enseignant.

Les deux tableaux ci-après, issus des travaux de Georges Fotinos, illustrent la place prépondérante occupée par les parents dans les intimidations et agressions verbales ou physiques dont sont victimes les personnels de direction et les directeurs d'école.

Auteurs des agressions dont ont été victimes des directeurs d'école (2018)

Catégories

Élèves

Parents

Personnels

Autres

Insultés

15 %

78 %

4 %

3 %

Bousculés

43 %

51 %

   

Frappés

84 %

13 %

   

Harcelés

1 %

69 %

27 %

3 %

Auteurs des agressions dont ont été victimes des personnels de direction (second degré)
Comparaison 2017 et 2019

Catégories

Élèves

Parents

Intrus

Personnels

2017

2019

2017

2019

2017

2019

2017

2019

Insultés

30 %

30 %

51 %

60 %

13 %

8,5 %

6 %

1,5 %

Bousculés

 

52 %

 

28 %

 

20 %

 

< 1 %

Frappés

 

25,5 %

 

46,5 %

 

28 %

 

< 1 %

Harcelés

3 %

< 1 %

52 %

64 %

3 %

< 1 %

44 %

35 %

Source : La victimation des personnels de direction et des directeurs d'école - Georges Fotinos

Les échanges qu'ont pu avoir les rapporteurs avec des personnels administratifs et notamment des personnes aux accueils témoignent d'une forme de sans-gêne de certains parents, qui se présentent dans l'établissement scolaire sans rendez-vous, avec virulence et demandent à être reçus immédiatement. Afin de disposer d'une réponse unifiée face à ces remises en cause de l'autorité de l'école, les rapporteurs recommandent de mettre en place des formations communes à l'ensemble des agents publics présents dans l'établissement pour les former aux situations de tension et de conflits avec les élèves, mais aussi leurs parents et des tiers. Il est important d'y associer les personnels des collectivités territoriales, notamment les personnels d'accueil, qui sont en première ligne face à des demandes parfois agressives de parents d'élèves ou de tiers de rencontre avec un enseignant ou le chef d'établissement.

Recommandation : mieux préparer les agents de l'éducation nationale et des collectivités territoriales (y compris le personnel d'accueil) aux situations de tension et de conflit en favorisant la mise en place d'une culture partagée de la sécurité : à cette fin, développer notamment les formations communes sur les attitudes à adopter face aux élèves, aux parents et aux tiers dans les classes et au sein des établissements.

L'article L. 111-3-1 du code de l'éducation, issu de la loi pour une école de la confiance, rappelle que le lien de confiance qui doit unir les élèves et leurs familles au service public de l'éducation nationale implique le respect par les élèves et leurs parents des personnels et de l'institution scolaire.

Les parents sont membres de la communauté éducative et leur investissement participe à la réussite scolaire de leurs enfants. Néanmoins, face aux dérives constatées, que ce soit dans la remise en cause des choix pédagogiques de l'enseignant, quels qu'en soient les motifs, un désaccord sur l'évaluation, ou encore des contestations dans le contenu de l'enseignement qui n'est que l'application d'un programme national scolaire obligatoire, il est nécessaire de rappeler chaque année aux parents, au moment de la rentrée scolaire, les prérogatives de l'enseignant, le caractère obligatoire des cours et des programmes et les sanctions encourues en cas de menaces sur le personnel éducatif ou d'entrave à l'enseignement.

La charte des parents, élaborée par le Conseil des sages de la laïcité sur demande du cabinet du ministre courant 2021, pourrait également être utilisée. Restée lettre morte, elle avait pour objet de rappeler les principes du service public d'éducation et les règles à respecter par les parents d'élèves à l'intérieur de l'établissement scolaire.

Les rapporteurs proposent de faire signer aux parents cette charte qui pourrait être annexée au règlement intérieur et complétée par des paragraphes consacrés au délit d'entrave à l'enseignement récemment créé ainsi qu'a des exemples concrets.

La mission tient à rappeler un principe : les programmes de l'éducation nationale ne se discutent pas dans l'enceinte de l'établissement public et privé sous contrat ; ils s'appliquent.

Recommandation : Dans les établissements scolaires publics et privés sous contrat, rappeler systématiquement aux parents en début d'année les prérogatives de l'enseignant (en matière de notation, liberté pédagogique, choix des textes), le caractère obligatoire des programmes scolaires en insistant sur les chapitres ou enseignements (natation en EPS) susceptibles d'être source de contestations, ainsi que les sanctions pénales en cas d'entrave à l'enseignement.

Pour cela, faire signer aux parents une « charte des parents » et y inclure spécifiquement le délit d'entrave à l'enseignement, assorti d'exemples concrets ; l'annexer au règlement intérieur.

Par ailleurs, la mission souhaite renforcer la responsabilisation des parents face aux comportements répétés de leurs enfants qui perturbent le fonctionnement d'un établissement scolaire. C'est en effet l'ensemble d'une classe, voire d'un établissement scolaire, qui peut se voir déstabilisé par un ou plusieurs élèves perturbateurs. Or, chaque enseignant et chaque élève a le droit d'évoluer au sein d'un climat scolaire serein.

Tout comme l'assiduité scolaire, le respect du fonctionnement et de la vie collective de l'établissement scolaire fait partie des devoirs de l'élève prévus à l'article L. 511-1 du code de l'éducation.

Certes, il existe le protocole d'accompagnement et de responsabilisation des parents (PAR) instauré par la circulaire n° 2019-122 du 3 mars 2019 relative à la prévention et à la prise en charge des violences en milieu scolaire. Mais ses conditions de mise en place sont beaucoup trop restrictives pour en faire un outil rapidement mobilisable.

Le protocole d'accompagnement et de responsabilisation (PAR) : un outil de dialogue et de mobilisation des parents, mais difficilement utilisable

Lorsqu'un chef d'établissement accueille un élève ayant fait l'objet au cours de la même année scolaire de deux exclusions définitives, il peut saisir le DASEN pour qu'un protocole d'accompagnement et de responsabilisation soit mis en place. Selon les informations transmises par les services de l'éducation nationale, le PAR « doit permettre de poursuivre un dialogue avec les personnes responsables de l'élève et de les guider, en cas de besoin, vers le service ou le dispositif de soutien adapté ». Les services médico-sociaux sont également associés.

Le représentant légal de l'élève est convoqué pour un entretien avec le DASEN dans les 10 jours qui suivent la saisine par le chef d'établissement pour leur présenter le sens des engagements qu'ils doivent respecter. Le PAR indique les engagements des parents pour l'amélioration du comportement de leur enfant, ainsi que les actions d'accompagnement à mettre en place dans l'établissement scolaire qui l'accueille.

Ce document est signé par le DASEN et les parents de l'élève, en présence du chef d'établissement.

Les rapporteurs regrettent que le PAR ne puisse concerner qu'un élève ayant fait l'objet de deux exclusions définitives au cours de la même année scolaire, ce qui en réduit très fortement son périmètre de recours pour les chefs d'établissement. C'est pourquoi, ils proposent qu'il puisse être utilisé dès la première exclusion de l'élève - temporaire ou définitive.

En complément, et à l'instar de la contravention de quatrième classe qui existe pour non-respect de l'assiduité scolaire (art. R624-7 du code pénal)39(*), ils proposent que soit créée une sanction similaire prenant la forme d'une contravention pour non-respect répété des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements. Celle-ci pourrait être prononcée par le juge judiciaire en tenant compte des engagements pris par les parents dans le cadre de la signature du protocole d'accompagnement et de responsabilisation.

Recommandation : afin de mettre fin au non-respect répété des règles du vivre ensemble au sein d'établissements scolaires par un élève perturbateur :

o prévoir la signature d'un protocole d'accompagnement et de responsabilisation des parents (PAR) dès la première exclusion, entre les parents et l'autorité académique, en présence du chef d'établissement. Ce protocole précise les engagements des parents de l'élève pour permettre l'amélioration du comportement de leur enfant ainsi que les mesures d'accompagnement mises en oeuvre au sein de l'établissement ;

o créer une sanction pénale, sur le modèle de la sanction pour non-respect de l'obligation d'assiduité scolaire, pour non-respect répété des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements.

3. Une judiciarisation des rapports entre les familles et l'école

À l'instar des autres services publics, l'école connaît une judiciarisation des rapports avec les élèves et leurs familles. Les sanctions disciplinaires, en tant que sanction administrative, doivent respecter les principes généraux du droit, notamment l'individualisation et la proportionnalité de la sanction ainsi que le principe du contradictoire, y compris pour des sanctions prononcées par le chef d'établissement décidant seul, pouvant aller de l'avertissement à l'expulsion temporaire d'une durée inférieure à huit jours. L'élève en cause doit pouvoir présenter des observations écrites ou orales à sa demande, se faire assister ou représenter, dans un délai de deux jours - ce délai était de trois jours avant 2019.

Le fonctionnement du conseil de discipline

Réuni par le chef d'établissement, le conseil de discipline peut prononcer toutes les sanctions prévues par le code de l'éducation, y compris celles qui peuvent l'être par le seul chef d'établissement. Il est composé de trois catégories de membres :

- l'équipe de direction : le chef d'établissement, son adjoint, le conseiller d'éducation, le gestionnaire ;

- les représentants du personnel : cinq représentants du personnel, dont quatre des personnels enseignants et un au titre des personnels administratifs, sociaux et de santé, techniques, ouvriers et de services ;

- les représentants des usagers : trois représentants des parents d'élèves (deux en lycée), deux représentants des élèves (trois dans les lycées).

Le chef d'établissement convoque, par pli recommandé ou remise en main propre contre signature, l'élève en cause et s'il est mineur son représentant légal et éventuellement la personne chargée de le conseiller. Le décret n° 2019-906 du 30 août 2019 relatif à la discipline dans les établissements d'enseignement a simplifié les modalités de convocation des membres du conseil de discipline : la convocation est transmise « par tout moyen », y compris télécopie ou courriel.

Le délai de convocation d'un conseil de discipline a également été raccourci de huit à cinq jours. Si le quorum n'est pas atteint, le nouveau conseil de discipline se tient dans un délai minimum de cinq jours et maximum de dix jours, au lieu des huit et quinze jours auparavant.

Le conseil de discipline entend l'élève concerné et sur sa demande son représentant légal et la personne éventuellement chargée de l'assister. Il entend également deux professeurs de l'élève, désignés par le chef d'établissement, deux délégués de la classe de l'élève, la personne ayant demandé au chef d'établissement le déclenchement d'une procédure de sanction contre l'élève, les témoins ou les personnes susceptibles d'éclairer le conseil sur les faits motivant sa convocation, ainsi que toute personne ayant des informations sur l'élève de nature à éclairer les débats. Le procès-verbal doit être transmis au recteur dans les cinq jours suivant la séance.

S'il estime que la réunion du conseil de discipline risque d'entraîner des troubles dans ou aux abords de son établissement, le chef d'établissement peut prendre la décision, après avis de l'équipe éducative - ou de la commission éducative - de le « délocaliser » dans un autre établissement ou dans les locaux de la direction des services départementaux de l'éducation nationale. Les membres du conseil de discipline sont ceux de l'établissement d'origine.

Dans des cas restreints (atteinte grave aux principes de la République, faits graves sur des biens ou des personnes), s'il estime que la sérénité des débats ne peut être assurée, le chef d'établissement peut saisir le conseil de discipline départemental qui statuera à la place du conseil de discipline de l'établissement.

Il n'est ainsi plus rare pour les chefs d'établissement de recevoir des courriers d'avocats défendant un élève contre une sanction, ou encore être confrontés à des dépôts de plainte non fondés. Outre l'aspect déstabilisant pour un chef d'établissement - ou un enseignant - d'une mise en accusation non fondée, cette situation est chronophage : un principal indiquait ainsi être sommé par le rectorat pour la troisième fois et pour les mêmes faits de justifier de ce dont l'enseignant était accusé sans aucun fondement.

Il est impératif d'améliorer l'accompagnement des chefs d'établissement dans la mise en oeuvre des procédures disciplinaires. C'est parfois par crainte d'une remise en cause de la sanction par le juge administratif sapant l'autorité de l'institution scolaire tout entière que le chef d'établissement renonce à agir.

Parallèlement, face à des menaces de procès non fondés qui, dans les faits, sont une forme de pression exercée sur les enseignants et les équipes administratives, il est essentiel d'informer l'ensemble des personnels sur la portée réelle - et souvent nulle - des menaces de poursuites judiciaires de la part des parents.

Recommandation : sécuriser juridiquement les procédures disciplinaires afin de limiter les risques contentieux ; informer les personnels sur la portée réelle du risque de judiciarisation par les parents.

De manière générale, la mission rappelle que si la sanction se doit d'être éducative pour l'élève concerné, elle a également vocation, en le faisant réfléchir et changer de comportement ou le cas échéant en l'excluant définitivement en cas de faits graves, à permettre aux enseignants et aux autres élèves de travailler et poursuivre sereinement leur scolarité dans un climat scolaire apaisé. À trop se focaliser sur l'élève auteur des faits, il convient de ne pas oublier les autres élèves et les personnels de l'établissement. En cela, les procédures des conseils de discipline doivent être simplifiées.

Recommandation : afin de protéger les enseignants et les élèves et permettre une scolarité dans un climat scolaire apaisé, simplifier les procédures des conseils de discipline.

Cette judiciarisation accrue change en profondeur les relations entre les enseignants, les élèves et leurs parents. Un enseignant a indiqué peser chaque mot lorsqu'il répond à un message d'un parent sur « Pronote ». D'autres expliquent toujours recevoir l'élève ou le parent en présence d'un témoin ou a minima pour le chef d'établissement en laissant la porte donnant sur le secrétariat ouverte. Enfin à plusieurs reprises, il a été mentionné que certains parents enregistrent les conversations téléphoniques ou en face-à-face - parfois sans en informer l'interlocuteur - pour disposer d'une preuve des propos tenus pour contester ultérieurement une décision.

4. L'absence de soutien de la hiérarchie

Lors de son discours aux recteurs et aux inspecteurs d'académie en juin 2017, peu de temps après sa prise de poste, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l'éducation nationale, a déclaré « le pas de vague, c'est fini ».

Comme il l'a indiqué devant la mission d'information, « il s'agissait alors de rompre avec cette culture du renoncement au signalement motivé par la volonté de ne pas inquiéter ». Le nombre de conseils de discipline fait partie des critères retenus pour les classements des établissements scolaires établis par la presse : pour éviter de donner une mauvaise réputation au collège ou au lycée, certains chefs d'établissement peuvent avoir tendance à minorer les incidents. Par ailleurs, d'autres, par crainte d'un effet négatif sur leurs évaluations de carrière, ont pu avoir cette même attitude. Face à ce constat, l'ancien ministre a indiqué avoir donné des consignes dès juin 2017 pour que les chefs d'établissement ne soient pas évalués en fonction du nombre de signalements effectués. Il n'en demeure pas moins que rompre avec une culture administrative, ancrée depuis de nombreuses années dans le quotidien des établissements scolaires, prend du temps. Aussi, il est nécessaire de rappeler cette règle clairement établie il y a désormais près de sept ans et indispensable pour mettre fin au « pas de vague ». Comme a pu le rappeler Jean-Michel Blanquer devant la mission, « soit l'établissement est pacifique, et les signalements sont peu nombreux ; soit il ne l'est pas et, signe de la qualité du chef d'établissement, des signalements sont effectués ».

Recommandation : afin de conforter les chefs d'établissement dans les signalements d'incidents, rappeler le principe selon lequel ils ne sont pas évalués en fonction du nombre de signalements effectués.

Parallèlement, le dispositif « Faits établissement » a été renforcé et élargi pour permettre une remontée d'informations plus fluide aux services académiques et au ministère. Des cellules « Valeurs de la République » ont vu le jour dans chaque académie, avec pour mission de pouvoir se rendre dans les établissements et épauler un chef d'établissement ou un enseignant confronté à une atteinte à la laïcité et aux valeurs de la République.

Toutefois, la culture du « pas de vague » perdure ou, à tout le moins, une présomption de défiance des enseignants vis-à-vis de leur hiérarchie lorsqu'ils sont confrontés à une contestation d'enseignement, des pressions ou des menaces. La première enquête de climat scolaire auprès des personnels de l'éducation nationale montre qu'un enseignant du second degré public sur trois estime ne pas bénéficier de soutien suffisant dans les situations difficiles40(*). Dans un sondage réalisé par l'IFOP deux ans plus tard, seuls 54 % des enseignants disent avoir reçu un soutien total de leurs personnels de direction41(*).

Ce taux descend à 21 % pour le soutien apporté par le rectorat, traduisant la coupure qui existe entre les enseignants, et de manière générale les personnels en contact avec les élèves d'une part, et les services déconcentrés d'autre part.

La suppression du temps banalisé sans élève le premier jour de classe suivant l'assassinat de Samuel Paty a été particulièrement mal vécue, laissant les enseignants seuls et sans préparation face à leur classe, aux questions et réactions des élèves.

Au final, pour Iannis Roder, professeur d'histoire-géographie et directeur de l'observatoire de l'éducation de la fondation Jean Jaurès, les causes d'un taux relativement faible de signalement de contestations d'enseignement au personnel de direction (56 %) et de manière notoire au service du rectorat (5 %) est à aller chercher « du côté du sentiment de manque de soutien, et donc de confiance, des enseignants envers leurs personnels de direction ».

Les rapporteurs rappellent que les enseignants ont la possibilité de saisir directement un « fait établissement » sur le site du ministère. Cela permet de faire remonter l'information en cas d'absence de réaction et de transmission de la part du chef d'établissement. Cette procédure reste aujourd'hui très mal connue du corps enseignant.

Recommandation : rappeler la possibilité ouverte à tout enseignant de signaler directement un « fait établissement » au ministère, sans passer par le chef d'établissement.

Les chefs d'établissement se trouvent dans une situation difficile, souffrant également d'une absence de réponse de la part du rectorat, en dehors des questions liées à la contestation de la République pour lesquelles des équipes dédiées ont été créées. Tel est le cas de ce chef d'établissement confronté à une absence de réponse juridique sur des questions relatives au licenciement d'un assistant d'éducation ou de cet autre chef d'établissement faisant face à une menace d'alerte à la bombe.

C. UN MAL-ÊTRE CROISSANT DES ENSEIGNANTS

L'école de la confiance souhaitée par le ministre de l'éducation nationale en 2019 est un échec. Bien au contraire, les doutes sont nombreux sur la capacité de l'institution scolaire à remplir ses missions. Le sondage réalisé à la demande du Sénat dans le cadre de l'Agora de l'éducation en janvier 2022 montre que plus de la moitié des Français et les trois quarts des enseignants estiment que l'école fonctionne mal. S'agissant des missions dévolues à l'école, rares sont celles qui semblent efficacement prises en charge par celle-ci.

« Diriez-vous que le système éducatif est efficace ou pas efficace ? » ( % efficace) - Sondage réalisé dans le cadre de l'Agora de l'éducation du Sénat - janvier 2022

 

Grand public

Enseignants

L'accueil et la prise en compte des parents

52 %

72 %

L'organisation et le fonctionnement des établissements

50 %

42 %

L'acquisition des savoirs fondamentaux

44 %

38 %

La transmission des principes de la République

36 %

52 %

La résorption des inégalités sociales et territoriales

31 %

23 %

L'orientation des élèves

29 %

34 %

La lutte contre le harcèlement à l'école

24 %

37 %

Le remplacement des enseignants absents

19 %

12 %

Près de deux Français sur trois sont pessimistes sur l'avenir de l'école. Cette proportion atteint 8 enseignants sur 10, même plus de 9 sur 10 chez ceux qui ont au moins dix ans d'expérience professionnelle. Le constat est rude : les enseignants eux-mêmes ne croient plus dans l'école.

1. Une autocensure croissante

Les propos recueillis à l'occasion des auditions dressent un tableau alarmant des renoncements par une partie du corps enseignant. Comme l'ont souligné Dominique Schnapper, présidente du conseil des sages de la laïcité, et Alain Seksig, secrétaire général, beaucoup d'enseignants craignent des réactions et occultent un certain nombre de questions, afin d'éviter l'émergence d'incidents.

Interrogé par les rapporteurs sur l'ampleur de l'auto-censure, le ministère n'a pas été en mesure d'apporter de données chiffrées. Les propos tenus par les services du ministère interrogent sur la perception par la rue de Grenelle des réalités dans les établissements. Plutôt que de contestations par les élèves et d'auto-censure par les enseignants, les services du ministère parlent ainsi de « parties du programme scolaire relevant de questions aujourd'hui socialement vives supposant pour les professeurs de faire des choix que certains interprètent comme des formes d'auto-censure ». Ils précisent également que « selon le retour des inspecteurs, il n'y a pas de pans entiers de programmes passés sous silence, mais il peut y avoir des difficultés pour aborder certaines parties du programme », cette deuxième partie étant de leurs aveux extrêmement difficile à quantifier.

Or, les sondages réalisés auprès des enseignants font le constat d'une auto-censure largement répandue et en forte augmentation. Plus d'un enseignant sur deux du secondaire public (56 %) s'est déjà autocensuré pour éviter de possibles incidents portant sur les questions de religion. Ils n'étaient que 36 % en 2018 et 49 % en 2020. La fréquence de cette auto-censure augmente également : alors qu'ils n'étaient que 13 % à déclarer s'auto-censurer régulièrement ou de temps en temps en 2018, cette proportion est passée en 2022 à 29 %.

Les jeunes enseignants ainsi que ceux travaillant au sein d'établissements en réseau d'éducation prioritaire sont les plus concernés : 60 % des enseignants de moins de 40 ans indiquent s'être déjà auto-censurés, soit une progression de 12 points en 2 ans. Il en est de même pour 65 % de ceux travaillant en REP, soit une augmentation de 18 points en deux ans.

Il serait faux de penser que cette auto-censure est le fait de quelques établissements, réputés difficiles : cette problématique est désormais généralisée à l'ensemble du territoire français.

Proportion des enseignants déclarant s'être auto-censurés
par catégorie d'agglomération

Total agglomération urbaine

Ville-centre

Banlieue

Dont « banlieue aisée »

Dont « banlieue populaire »

Ville isolée

Total commune rurale

53 %

54 %

53 %

48 %

56 %

47 %

49 %

Source : Les enseignants face à l'expression du fait religieux à l'école
et aux atteintes à la laïcité, IFOP pour écran de veille, 6 décembre 2022

Certes, comme ont pu le souligner les représentants d'un syndicat enseignant, ces pourcentages ne peuvent être interprétés comme la moitié des enseignants d'histoire-géographie en troisième qui n'enseigneraient pas la Shoah. Mais certains enseignants devant les rapporteurs témoignent d'auto-censure, de stratégie d'évitement ou à tout le moins de renoncement de certains documents pédagogiques jusqu'alors utilisés par crainte de contestations de la part des élèves ou d'incidents à gérer.

Témoignages d'enseignants

« Depuis quelques années, j'enlève des textes - par exemple Mustang. Je me suis interrogé pour savoir si je devais le montrer à mes élèves. Au final, je ne me suis pas senti de le faire. J'en ai parlé à d'autres collègues qui m'ont conseillé d'éviter de l'utiliser ».

« C'est la première année où j'ai supprimé de mes contenus pédagogiques une oeuvre complète. Il s'agit des Fleurs du Coran, car mes élèves cette année n'auraient pas compris le second degré présent dans cet ouvrage ».

2. L'expression d'une tension permanente

Comme le notait alors Jean-Claude Carle, rapporteur en 2004 au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, « le grand débat a montré que l'école doit instruire, mais aussi éduquer, c'est-à-dire apprendre à vivre ensemble, ou plutôt co-éduquer, sans se substituer au rôle premier des parents »42(*).

Or, force est de constater une dérive qui consiste, depuis plusieurs décennies, dès qu'un problème de société est identifié, à demander à l'école de le traiter et de le résoudre. La tentation du législateur est d'ailleurs grande, pour tout texte relatif à une question de société, d'inclure une disposition touchant les programmes scolaires, alors même que leur définition ne relève traditionnellement pas du domaine de la loi. Il en résulte, pour les enseignants, une succession d'injonctions « à éduquer » ou à « former les élèves à », ou encore de « sensibilisation des élèves à ».

De manière insidieuse, la co-éducation prônée par notre ancien collègue Jean-Claude Carle, s'est transformée, dans certains cas, en une quasi-substitution face à des parents démissionnaires ou dépassés, et face à une décharge de la société sur l'école, comme solution à tous les problèmes.

Pour reprendre des propos d'enseignants et de personnels de direction recueillis par les rapporteurs lors des auditions, « je passe un tiers voire la moitié de mes cours à être éducateur - dire bonjour, ne pas parler en même temps qu'un autre élève ou l'enseignant - au lieu d'être enseignant. J'ai déjà deux mois de retard sur le programme, mais je suis obligé de prendre ce temps pour créer un cadre de classe afin de pouvoir faire cours » ou encore « certains parents nous demandent d'être parents à leur place ».

Aujourd'hui, la moitié des personnels de l'éducation nationale indiquent ne pas se sentir capable de faire le même métier jusqu'à leur retraite, et même 58 % des enseignants du premier degré. Cette proportion est significativement plus élevée que pour l'ensemble des salariés en France. D'après l'enquête « Conditions de travail 2019 » de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), seulement 37 % des salariés en France jugent ne pas être capables d'exercer le même travail jusqu'à leur retraite43(*). Comme a pu le dire un enseignant devant la mission : « aujourd'hui, on entre dans notre classe comme on monte sur un ring ».

Les rapporteurs ont également entendu les alertes sur les conditions d'accueil des élèves en situation de handicap et d'une école inclusive qui « craque », des enseignants se sentant impuissants, en proie à un désarroi. Ainsi, dans le premier degré, l'augmentation des difficultés des enseignants avec des élèves « désignés comme perturbés ou à troubles du comportement est drastique entre 2011 et 2023 ». En 2011, 40 % des enseignants du premier degré déclaraient avoir des difficultés fréquentes ou très fréquentes « avec ces enfants ». Ils étaient 60 % en 2016 et 75 % en 202344(*).

3. Une profession ébranlée par les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard

Les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard ont profondément ébranlé les enseignants ainsi que les équipes administratives. La mission rappelle également l'émotion suscitée par le meurtre d'Agnès Lassalle, professeure dans un lycée privé à Saint-Jean-de-Luz.

Quatre enseignants sur dix indiquent que l'assassinat de Samuel Paty a influencé la manière dont ils mettent en oeuvre leurs enseignements. Cela se traduit principalement par « davantage d'attention dans la façon d'aborder ces notions pour ne pas heurter certains élèves », mais aussi par le fait d'insister plus (23 %) ou au contraire moins sur ces notions (26 %). Enfin, près d'un quart des enseignants concernés (23 %) indiquent avoir changé d'approche ou de matériaux pédagogiques pour aborder ces notions45(*).

Ces deux assassinats constituent un point de rupture pour l'institution scolaire. Il existe désormais une peur dans l'exercice du métier qu'ont exprimée les personnels de l'éducation nationale. Le passage à l'acte à la suite d'une menace verbale est désormais perçu comme une réalité possible.

Pire encore, plutôt que de créer une prise de conscience, les conditions de l'assassinat de Samuel Paty - et notamment les conséquences de la vidéo tournée par le père de l'élève exclu - font office pour certains parents de « précédent », de mise en garde malintentionnée des enseignants vis-à-vis de ce qui pourrait leur arriver s'ils ne répondent pas favorablement à leurs exigences.

Là encore les témoignages des enseignants sont édifiants : « nos familles ont peur », « cette petite chose qui est venue depuis l'assassinat de Samuel Paty », « après une discussion houleuse avec un élève, je suis content le soir de ne pas prendre les mêmes transports en commun qu'eux mais d'être venu le matin en voiture ». Dans deux des établissements visités, la direction a fait appel aux forces de l'ordre face à la virulence de parents au sein de l'établissement contre des personnels. Les propos recueillis dans un récent article de presse46(*) d'une enseignante « dans une classe de CM1-CM2 dans une petite école rurale de Seine-Maritime » qui exerce depuis huit ans témoignent de situations similaires : « Rares sont les années où nous ne devons pas appeler la police pour venir nous aider à la sortie avec une famille ».

4. Des démissions en augmentation

Les travaux du Sénat ont mis en avant la hausse constante du nombre d'enseignants démissionnaires, marqueur de ce mal-être croissant. Notre ancien collègue Gérard Longuet faisait l'analyse suivante : « le nombre d'enseignants démissionnaires est en hausse constante depuis dix ans. Chez les enseignants titulaires, le taux de démission est passé de 0,05 % en 2008-2009 à 0,32 % en 2020-2021. Loin d'être conjoncturel, cet accroissement est continu au cours des dernières années et ne peut être relié aux difficultés éprouvées dans le cadre de la crise sanitaire, même s'il est vrai que le rebond de démissions en 2020-2021 en découle partiellement ».

Or, force est de constater que les démissions ont continué à augmenter et même très fortement en 2021-2022 (+ 36 % pour le premier et le second degré). À cela s'ajoutent les ruptures conventionnelles.

Certes, ces départs volontaires de l'éducation nationale restent marginaux par rapport au nombre d'enseignants. Néanmoins, le graphique ci-après issu des travaux de la commission des finances du Sénat illustre l'ampleur de ce phénomène grandissant.

Source : Commission des finances du Sénat
d'après le bilan social 2020-2021 du ministère de l'éducation nationale

Cette hausse de démissions s'inscrit dans un tout, en lien avec le manque d'attractivité du métier d'enseignant. Les pressions, menaces ou agressions dont ils sont victimes y participent fortement. Les rapporteurs ont par exemple échangé avec une enseignante, exerçant ce métier depuis plus de trente ans, qui leur a indiqué vouloir démissionner à la fin de l'année scolaire. Le comportement des parents qui défendent coûte que coûte leurs enfants, leurs accusations infondées de violences physiques et psychologiques et les injonctions du rectorat à se justifier de ces faits à la suite d'un courrier des parents ont été les éléments déclencheurs de cette décision.

III. LA PROTECTION DES AGENTS DE LA COMMUNAUTÉ ÉDUCATIVE : DE L'ÉDUCATION NATIONALE À LA JUSTICE, UNE CHAÎNE INSTITUTIONNELLE DONT LES MAILLONS DEVRAIENT ÊTRE RESERRÉS

A. PROTÉGER PLUS EFFICACEMENT CONTRE LES MENACES EN IMPLIQUANT DAVANTAGE L'ADMINISTRATION ET LES FORCES DE SÉCURITÉ DANS LES ACTIONS DE PRÉVENTION

Face aux menaces auxquelles les agents de la communauté sont aujourd'hui de plus en plus exposés, un certain nombre d'outils existent à des fins de prévention, qui font intervenir aussi bien les employeurs publics que les forces de sécurité. Le renforcement de leur efficacité suppose une meilleure articulation du rôle des acteurs concernés, et dans l'ensemble, une plus grande implication de ceux-ci au bénéfice de la protection de l'agent.

Ainsi, selon la nature des menaces et le degré d'urgence, le membre de la communauté éducative peut solliciter deux types de protection (cumulatifs) : en tant qu'agent public, il peut prétendre à la protection fonctionnelle ; en tant que membre d'une profession dite « menacée », il peut bénéficier d'une protection policière.

Par ailleurs, la mise en oeuvre systématique de certaines sanctions, pénales ou scolaires, constitue une réponse aux risques d'agression auxquels sont exposés les agents, de même que l'apaisement du climat scolaire passe nécessairement par des mesures ciblant les élèves les plus perturbateurs.

Enfin, pour mieux prévenir les menaces à l'encontre des membres de la communauté éducative, la question de la sécurité des établissements scolaires et de leurs abords se pose.

1. La protection fonctionnelle
a) Un droit ouvert au bénéfice de l'ensemble de la communauté éducative
(1) Le champ de la protection fonctionnelle

Comme tous les agents publics, les membres de la communauté éducative - qu'ils relèvent de l'éducation nationale ou des collectivités territoriales, et qu'ils soient fonctionnaires ou agents contractuels - ont droit à la protection de la collectivité publique qui les emploie lorsqu'ils font l'objet, dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions et en l'absence de faute personnelle, d'attaques ou de mises en cause pénales.

Cette protection dans l'exercice des fonctions, ou protection fonctionnelle, doit ainsi être accordée dans les trois cas suivants :

- lorsque l'agent public fait l'objet de poursuites pénales en raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions47(*) ;

- lorsque l'agent public est victime d'atteintes volontaires à l'intégrité de sa personne, de violences, d'agissements constitutifs de harcèlement, de menaces, d'injures, de diffamations ou encore d'outrages, sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée48(*) - cette liste n'étant pas exhaustive49(*). Dans ce cas, la collectivité publique est également tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ;

- lorsque la responsabilité civile d'un agent public est mise en cause du fait d'une faute de service50(*).

(2) La procédure de demande de la protection fonctionnelle

Pour bénéficier de la protection fonctionnelle, l'agent public qui estime remplir les conditions posées par la loi doit formuler une demande écrite auprès de son employeur, accompagnée de la preuve des faits pour lesquels il demande cette protection. Il lui revient ainsi, en particulier, d'apporter la preuve que c'est en raison de sa qualité d'agent public qu'il a subi des attaques.

L'agent public peut présenter sa demande personnellement ou par l'intermédiaire de son avocat ; en outre, aucun texte ne fixe de délai pour introduire une demande.

Pour les agents de l'éducation nationale, les demandes de protection fonctionnelle s'effectuent à partir de la plateforme Colibris, hébergée par chaque portail en ligne d'académie51(*). À tout moment, l'agent dispose de la possibilité de supprimer sa demande, d'y ajouter des pièces et informations complémentaires, et de consulter le statut de celle-ci.

Rien n'interdit évidemment à la collectivité d'accorder sa protection de sa propre initiative, sans que l'agent n'ait formalisé de demande en ce sens52(*).

Par ailleurs, les collectivités publiques peuvent prendre des mesures à titre conservatoire lorsqu'elles sont informées de l'existence d'un risque grave pesant sur l'un de leurs agents.

Les mesures prises à titre conservatoire

Prise deux semaines après l'assassinat de Samuel Paty, la circulaire interministérielle du 2 novembre 2020 visant à renforcer la protection des agents publics face aux attaques dont ils font l'objet dans le cadre de leurs fonctions53(*) prévoit que la protection fonctionnelle doit être accordée sans délai « lorsque les circonstances et l'urgence le justifient [...] afin de ne pas laisser l'agent public sans défense dans une situation pouvant se traduire par une atteinte grave à son intégrité » ; le cas échéant, la protection fonctionnelle peut être accordée à titre conservatoire.

Cette disposition a ensuite été inscrite dans la loi54(*) par l'article 11 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, les rapporteurs de la commission des lois ayant notamment considéré que « l'assassinat de Samuel Paty a mis en lumière la nécessité d'un renforcement de la protection des agents publics face aux attaques qu'ils subissent dans l'exercice de leurs fonctions »55(*) .

Depuis, l'article L. 134-6 du CGFP dispose ainsi que « lorsqu'elle est informée, par quelque moyen que ce soit, de l'existence d'un risque manifeste d'atteinte grave à l'intégrité physique de l'agent public, la collectivité publique prend, sans délai et à titre conservatoire, les mesures d'urgence de nature à faire cesser ce risque et à prévenir la réalisation ou l'aggravation des dommages directement causés par ces faits ».

Depuis l'arrêté du 21 octobre 201956(*), l'instruction des demandes de protection fonctionnelle est déconcentrée auprès des recteurs d'académie et vice-recteurs. Ceux-ci sont ainsi compétents pour statuer sur les demandes de protection fonctionnelle des agents relevant de leur autorité, tandis que la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de l'enseignement supérieur et de la recherche reste compétente pour connaître des recours hiérarchiques contre les décisions des recteurs de région académique et des recteurs d'académie refusant l'octroi du bénéfice de cette protection.

Outre les cas où la faute personnelle de l'agent est reconnue, d'une part, et ceux où l'administration met en avant un motif d'intérêt général, d'autre part, la protection fonctionnelle est refusée lorsque la matérialité des faits dont l'agent public s'estime victime n'est pas établie, lorsque les faits invoqués sont jugés insuffisamment graves et/ou importants par l'administration, ou encore lorsqu'il n'existe aucun lien entre l'attaque et les fonctions de l'agent.

En revanche, le fait que l'auteur des attaques soit inconnu (par exemple, dans le cas de menaces anonymes) ne constitue pas, à lui seul, un motif suffisant pour rejeter une demande de protection fonctionnelle57(*).

La circonstance selon laquelle l'agression a eu lieu en dehors du service est également sans effet sur la décision d'octroyer la protection fonctionnelle : dès lors que le lien entre l'agression et les fonctions est établi, la protection fonctionnelle est due.

Enfin, le fait que l'agent n'ait pas déposé de plainte ne saurait constituer un motif de refus, pas plus que le fait que l'agent fasse l'objet d'une procédure disciplinaire.

L'administration qui reçoit la demande de protection n'est pas tenue d'en accuser réception auprès de l'agent concerné58(*).

La décision de rejet de l'administration peut être explicite ou implicite, en cas de silence gardé par l'administration pendant deux mois après la demande de l'agent59(*).

(3) Les modalités de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle

La mise en oeuvre concrète de la protection fonctionnelle peut prendre des formes diverses non exclusives l'une de l'autre, qui correspondent à trois grands types de mesures.

L'administration est tout d'abord tenue de prendre des actions de soutien et de prévention, visant à assurer la sécurité de l'agent. Dans le cas particulier des agents de la communauté éducative, ces mesures peuvent passer par : l'envoi d'une lettre de soutien ; un entretien personnel avec l'agent ; la proposition d'une prise en charge médicale et/ou d'un soutien psychologique ; la proposition d'un éloignement du lieu des attaques ; le signalement des faits ; la dénonciation au procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale ; ou encore, une enquête.

L'administration est également tenue de fournir une assistance juridique et judiciaire aux agents publics bénéficiant de la protection fonctionnelle, afin de leur permettre d'engager une action en justice ou d'organiser leur défense. L'administration prend ainsi en charge les frais de justice au civil et au pénal et les frais de déplacement, et peut accorder des autorisations d'absence à l'agent pour les besoins de la procédure. L'administration doit également aider l'agent dans le choix d'un avocat, s'il le souhaite, ainsi que dans le paiement des frais d'honoraires.

Deux modalités sont possibles pour le règlement des frais d'avocat :

- soit l'administration règle directement à l'avocat les frais prévus par la convention d'honoraires conclue entre l'administration et l'avocat ;

- soit l'administration rembourse l'agent sur présentation des factures acquittées, et dans la limite de montants qui ne sont pas manifestement excessifs au regard des pratiques tarifaires généralement observées dans la profession pour des dossiers similaires60(*).

Enfin, l'administration doit réparer les préjudices subis (économiques, personnels, matériels, corporels, ou encore moraux) par les agents qui ont été victimes de violences ou de menaces, avant même qu'une action contentieuse ait été engagée contre l'auteur des attaques61(*). L'administration est alors subrogée dans les droits de l'agent contre le tiers responsable62(*).

La protection fonctionnelle a un caractère essentiellement personnel. Pour autant, depuis la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, son bénéfice peut être étendu à certains membres de la famille de l'agent concerné, sur leur demande, dans deux cas :

- au conjoint, concubin, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, aux enfants et ascendants directs pour les instances civiles ou pénales qu'ils engagent contre les auteurs d'atteintes volontaires à l'intégrité de la personne dont ils sont eux-mêmes victimes du fait des fonctions exercées par l'agent public63(*) ;

- au conjoint, concubin, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, qui engage une instance civile ou pénale contre les auteurs d'atteintes volontaires à la vie de l'agent public du fait des fonctions exercées par celui-ci64(*).

b) En pratique, l'effectivité du recours à la protection fonctionnelle pour les agents de la communauté éducative paraît limitée
(1) Derrière des chiffres en hausse ...

Une fois par an, le ministère de l'éducation nationale réalise, à partir d'une enquête adressée aux rectorats, un bilan relatif à la demande et à l'octroi de la protection fonctionnelle au cours de l'année civile précédente. L'enquête relative à l'année 2023 étant actuellement en cours de lancement, les dernières données disponibles portent sur l'année 2022. L'intégralité des 36 rectorats a répondu à cette enquête lors des deux dernières éditions. Ce bilan n'inclut toutefois pas les membres du personnel relevant de la fonction publique territoriale (agents d'accueil)65(*) ni les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH).

Le bilan publié en décembre 2023 au titre de l'année civile 2022 révèle une stabilité du nombre de demandes de protection fonctionnelle par les membres du personnel de l'éducation nationale.

Demandes de protection fonctionnelle formulées
dans les académies en 2021 et 2022

Personnel

2021

2022

Évolution entre 2021 et 2022

Personnel enseignant du premier degré66(*)

1 401

1 338

- 4,5 %

Personnel enseignant du second degré

1 247

1 401

+ 12,3 %

Personnel de direction du second degré

515

470

- 8,7 %

Personnel d'éducation et d'orientation du second degré

313

245

- 21,7 %

Sous-total 1

3 476

3 454

- 0,6 %

Personnel d'inspection67(*)

23

51

+ 121,7 %

Personnel administratif

158

166

+ 5,1%

Personnel médical et social68(*)

54

55

+ 1,9%

Autres

-

7

-

Sous-total 2

235

279

+ 18,7 %

Total

3 711

3 733

+ 0,6%

Source : mission de contrôle à partir des données de la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de l'enseignement supérieur et de la recherche

Les motifs des demandes de protection fonctionnelle recensées par les rectorats sont relativement stables entre 2021 et 2022 ; les cas d'atteinte volontaire à l'intégrité de l'agent (et parmi eux, les cas d'atteinte morale), constituent le premier motif, et de loin : en 2022, ils représentent ainsi 87 % de l'ensemble des demandes de protection fonctionnelle, tandis que les cas d'atteinte morale (diffamation, menace, injure publique, outrage) forment près de 62 % de l'ensemble des demandes. En volume, les demandes de protection fonctionnelle faites en raison d'une atteinte physique sont quant à elle restreintes (moins de 9 %).

Motifs des demandes de protection fonctionnelle

 

2021

2022

Nombre

Part

Nombre

Part

Couverture des condamnations civiles

0

0,00 %

3

0,08 %

Poursuite pénale contre l'agent

204

6,50 %

182

4,87 %

Atteinte volontaire à l'intégrité de l'agent

2 680

85,35 %

3 261

87,15 %

- dont atteinte physique

262

8,34 %

325

8,69 %

- dont atteinte morale69(*)

2 107

67,10 %

2 317

61, 92 %

- dont acte de harcèlement

206

6,56 %

325

8, 69%

- dont autre atteinte volontaire à l'intégrité de l'agent

0

0,00 %

291

7,78 %

Protection des ayants droit

2

0,06 %

3

0,08 %

Atteinte aux biens (dont véhicule)

254

8,09 %

293

7,83 %

Total

3 140

-

3 742

-

Source : mission de contrôle à partir des données de la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et de l'enseignement supérieur et de la recherche

Les auteurs des faits à l'origine de la demande de protection fonctionnelle sont en majorité des « usagers » indirects et directs de l'enseignement, à savoir les représentants légaux des élèves (pour 45 % des demandes), et les élèves eux-mêmes (26 % des demandes).

Auteurs des faits à l'origine de la demande
de protection fonctionnelle

 

2021

2022

Nombre

Part

Nombre

Part

Agents

549

18,20 %

617

18,78 %

Représentants légaux des élèves

1 411

46,78 %

1 469

44,72 %

Élèves

682

22,61 %

842

25,63 %

Autres particuliers

374

12,40 %

357

10,87 %

Total

3 016

-

3 285

-

Source : mission de contrôle à partir des données de la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et de et de l'enseignement supérieur et de la recherche

Dans plus des trois-quarts des cas, la protection fonctionnelle est accordée par l'administration, et ce dans un délai moyen de 29 jours après la demande de l'agent70(*). En outre, la grande majorité des refus est exprimée de façon explicite ; en 2022, les refus ont fait l'objet de 56 recours contre des décisions prises en académie.

Décision de l'administration à la suite d'une demande de protection fonctionnelle

 

2021

2022

Nombre

Part

Nombre

Part

Accord

3 167

85,34 %

2 673

76,97 %

Refus

544

14,66 %

642

18,49 %

- dont refus explicite

409

11,02 %

484

13,94 %

- dont refus implicite

135

3,64 %

158

4,55 %

Source : mission de contrôle à partir des données de la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et de et de l'enseignement supérieur et de la recherche

Parmi les actions mises en oeuvre par l'éducation nationale dans le cadre de la protection fonctionnelle, l'assistance juridique et l'entretien avec l'agent correspondent aux mesures les plus fréquentes (respectivement 37 % et 28 % de l'ensemble des actions).

Les actions mises en oeuvre en cas d'octroi de la protection fonctionnelle

 

2021

2022

Nombre

Part

Nombre

Part

Droit de réponse de l'administration
(par exemple, communiqué de soutien)

71

3,05 %

201

6,72 %

Assistance juridique

1 049

45,12 %

1 121

37,48 %

Entretien avec l'agent

420

18,06 %

740

24,74 %

Sanction de l'élève auteur

206

8,86 %

247

8,26 %

Suspension ou sanction de l'agent auteur

20

0,86 %

55

1,84 %

Action de protection

117

5,03 %

186

6,22 %

Autre action

442

19,01 %

441

14,74 %

Total

2 325

-

2 991

 

Source : mission de contrôle à partir des données de la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et de et de l'enseignement supérieur et de la recherche

Les montants versés au titre de la protection fonctionnelle au sein des académies ont augmenté entre 2021 et 2022 (de 744 003 euros à 834 294 euros). Ces sommes ont servi principalement au remboursement de frais d'avocat et de justice, au règlement de sommes résultant de condamnations civiles, et au remboursement de débours consécutifs à des atteintes aux biens.

(2) Une effectivité insuffisante

Le nombre élevé - et en hausse - de demandes de protection fonctionnelle ne doit pas conduire à oublier la part d'enseignants et d'autres membres de la communauté éducative qui ne font pas de demande alors même qu'ils pourraient prétendre au bénéfice de la protection fonctionnelle.

Lors de son audition par les rapporteurs, l'Autonome de solidarité laïque (ASL), fédération d'associations qui a pour mission principale de protéger les membres du personnel de l'éducation et de prévenir les risques de leurs métiers, a ainsi souligné la grande méconnaissance, chez de nombreux adhérents71(*), de leurs droits et de la procédure à suivre - une grande partie du personnel n'ayant du reste pas conscience qu'ils relèvent de la fonction publique.

Néanmoins, de l'avis de l'ensemble des personnes auditionnées par les rapporteurs, l'assassinat de Samuel Paty a marqué un tournant en donnant une plus grande visibilité au mécanisme de la protection fonctionnelle ; la hiérarchie a elle-même été incitée à rappeler aux agents ce droit par deux circulaires interministérielle et ministérielle récentes72(*). La propre responsabilité de la hiérarchie dans le signalement des menaces auprès des services compétents chargés du traitement des demandes de protection fonctionnelle, avec comme corollaire l'exposition à une sanction disciplinaire en cas de volonté délibérée d'occulter ou de minimiser les faits, a également été soulignée.

Extrait de la circulaire interministérielle du 2 novembre 2023

« La protection fonctionnelle constitue une obligation pour l'employeur public contre toutes les attaques dont les agents publics pourraient être victimes dans l'exercice de leurs fonctions ou en raison de leur qualité. Il revient à l'autorité administrative compétente, qui a octroyé la protection fonctionnelle, de prendre toutes les mesures dans le cadre de celle-ci lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent.

« [...] Partout où les agents publics sont la cible ou les victimes d'attaques dans et pour l'exercice de leurs fonctions, nous vous demandons de vous assurer que les agents concernés bénéficient d'un soutien renforcé et systématique de leur employeur. Cette exigence passe notamment par :

« - une sensibilisation accrue et des formations systématiques à destination des managers et des chefs de service sur les obligations qui incombent à l'employeur en termes de protection ;

« - des mesures de protection renforcées dans l'accompagnement et le soutien d'un agent public victime d'attaques, en particulier lorsqu'il dépose une plainte.

« [...] Dans le cas où une carence ou une négligence caractérisée dans le soutien à l'agent visé par les menaces ou attaques serait avérée, toutes les mesures devront être prises pour y mettre fin, notamment si cette carence devait révéler une volonté délibérée d'occulter ou minimiser les faits, en envisageant l'engagement d'une procédure disciplinaire à l'encontre du responsable hiérarchique fautif ».

En outre, une part non négligeable des membres de la communauté éducative, tout en étant au courant de l'existence de ce droit et de la démarche à suivre, renoncent à demander la protection fonctionnelle, par découragement ou conviction que leur demande sera rejetée ou bien, dans le cas où elle est acceptée, que l'octroi de la protection fonctionnelle se traduira par des mesures dérisoires, inadaptées ou insuffisantes.

À cet égard, le fait pour un enseignant de recevoir, dans le cadre d'une protection fonctionnelle accordée après une agression, un courrier du recteur l'assurant de son soutien et l'informant des modalités de prise en charge financière peut accroître son sentiment de solitude. Comme avancé par Jean-Louis Linder, vice-président de l'Autonome de solidarité laïque, dans une telle situation, les enseignants ont avant tout « besoin de relations humaines », d'un soutien et d'un accompagnement étroits par leur hiérarchie, et de l'assurance d'être effectivement protégés, au-delà de la seule prise en charge des frais d'avocat.

En septembre 2023, dans le cadre de son plan « Protection des agents publics », le ministre Stanislas Guerini a annoncé l'élargissement de la protection fonctionnelle au bénéfice des ayants droit de l'agent public, à titre conservatoire : « les proches de l'agent (conjoint, famille) pourront désormais bénéficier, de manière anticipée (par exemple après des injures ou des menaces d'agression mais avant tout passage à l'acte), d'une protection fonctionnelle, par exemple d'un accompagnement psychologique et juridique »73(*).

À la date de conclusion des travaux de la mission de contrôle, un tel plan n'a pas encore été mis en oeuvre, faute notamment de projet de loi déposé en ce sens74(*).

Du reste, sans négliger l'intérêt d'une telle mesure, la mission estime que celle-ci ne suffira pas à permettre au régime de la protection fonctionnelle de jouer pleinement son rôle auprès des membres de la communauté éducative victimes de violences et outrages du fait des élèves, des parents d'élèves ou de tiers75(*).

Afin de favoriser le recours à la protection fonctionnelle par ces agents, elle considère qu'il serait non seulement nécessaire de renforcer leur information, mais aussi et surtout d'inverser la logique d'octroi à l'oeuvre aujourd'hui, en renversant la charge de la preuve. Ainsi, tout membre de la communauté éducative victime de violences et outrages du fait d'élèves, de parents d'élèves ou de tiers se verrait automatiquement bénéficier de la protection fonctionnelle dès lors qu'il en ferait la demande. L'administration aurait la faculté de la retirer dans un second temps, si elle estime que les conditions ne sont pas remplies.

De surcroît, la mission souligne que les délais moyens d'octroi de la protection fonctionnelle (29 jours en 2022) ne sont guère compatibles avec le besoin souvent urgent d'une protection effective. À l'inverse, l'octroi automatique de la protection fonctionnelle permettrait de remédier à cette difficulté.

Recommandation : afin d'améliorer le recours à la protection fonctionnelle du personnel, rendre automatique l'octroi de la protection fonctionnelle pour les agents de la communauté éducative victimes de violences et outrages du fait des élèves, des parents d'élèves ou de tiers ; l'administration aurait la faculté de la retirer dans un second temps.

La mission souligne, par ailleurs, que l'automaticité de la protection fonctionnelle pour les élus exécutifs locaux victimes de violences, de menaces ou d'outrages a été récemment adoptée par le Sénat et l'Assemblée nationale dans le cadre de la proposition de loi n° 648 (2022-2023) renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux76(*).

2. La protection par la police ou la gendarmerie

Les membres de la communauté éducative confrontés à des menaces pour leur intégrité physique ou la sécurité de leurs biens peuvent, en outre, bénéficier d'une protection par la police ou la gendarmerie, sous la forme de patrouilles aux abords du lieu de résidence ou de garde statique. L'attribution de ces missions de protection dépend de l'accord du préfet territorialement compétent.

En outre, la gendarmerie propose aux membres du personnel de l'éducation nationale qui le souhaitent une inscription au sein du module « sécurisation des interventions et demandes particulières de protection » (SIDPP) de la base de données de sécurité publique (BDSP) au titre des « professions menacées »77(*). En conséquence de cette inscription, dès l'appel au centre opérationnel de la gendarmerie (par le numéro « 17 »), le numéro est identifié immédiatement, donnant à l'opérateur la connaissance de la situation de la personne à l'origine de l'appel (identité, profession, lieux de domicile et de travail, cas précédents éventuels d'appels et d'interventions), et l'intervention est prioritaire.

Au 1er décembre 2023, 756 enseignants et chefs d'établissement du (premier et second degrés confondus) sont inscrits dans cette base de données de sécurité publique 78(*), soit 0,08 % de l'ensemble des enseignants et membres du personnel d'encadrement. Au regard de la part importante de membres de l'éducation nationale qui fait état de menaces de façon plus ou moins régulière, et sans viser nécessairement la même proportion pour autant, la mission considère que le nombre d'inscrits dans cette base pourrait être utilement augmenté, de manière à renforcer, de façon préventive, la protection des enseignants et chefs d'établissement. Aussi invite-t-elle à améliorer l'information du personnel de l'éducation nationale sur la possibilité d'être inscrit dans la base de données de sécurité publique

Recommandation : renforcer l'information du personnel de l'éducation nationale sur la possibilité d'être inscrit dans la base de données de sécurité publique.

3. Pour des sanctions plus systématiques et plus efficaces, et une prise en charge améliorée des élèves perturbateurs

Les évolutions récentes du droit pénal ont cherché à répondre au risque d'agression contre les personnels de la communauté éducative. L'assassinat de Samuel Paty a suscité une terrible prise de conscience conduisant à mieux prendre en compte les mécanismes de signalement à la vindicte et à la violence par l'intermédiaire des plateformes et réseaux sociaux.

Ces mécanismes se heurtent cependant au besoin de moyens d'enquête et aux délais en matière d'enquête et de jugement. Si la mise en oeuvre du code de la justice pénale des mineurs offre la possibilité d'accélérer la décision judiciaire, la mise en oeuvre effective des sanctions adaptées dépend du travail mené conjointement par l'éducation nationale, la protection judiciaire de la jeunesse et les collectivités territoriales pour élaborer des mesures de responsabilisation en lien avec l'infraction et susceptibles de faire sens.

a) Le cadre pénal depuis la loi confortant le respect des principes de la République

L'assassinat de Samuel Paty a été l'un des événements majeurs conduisant à la loi du 24 août 202179(*) confortant le respect des principes de la République. Deux dispositifs de droit pénal destinés à protéger les personnels de l'éducation ont été créés à cette occasion.

Le premier, codifié à l'article 223-1-1 du code pénal, sanctionne la révélation de l'identité d'une personne aux fins de lui nuire. Cette disposition a été conçue pour répondre à une campagne d'intimidation comme celle qu'avait subie Samuel Paty, conduisant à sa mort.

Cette même loi a prévu, à l'article 431-1 du code pénal, une sanction en cas d'entrave, « de manière concertée et à l'aide de menaces » à la fonction d'enseignant. Ainsi l'action d'élèves, de parents ou de groupes de pression tendant à interférer avec la dispensation d'un enseignement par le biais de l'intimidation est passible d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Ces dispositions trouvent notamment à s'appliquer sur les réseaux sociaux par le biais desquels elles sont généralement constituées. Peuvent aussi entrer dans cette catégorie des comportements comme les « défis » TikTok incitant à la violation du principe de la laïcité. Comme le montrent des exemples malheureusement récents, les appels à la haine contre les enseignants et les chefs d'établissement sur internet se perpétuent.

Le cadre pénal paraît désormais susceptible de répondre aux risques les plus graves auxquels font face les agents de la communauté éducative. Pour autant, les forces de sécurité intérieure semblent avoir des difficultés pour suivre les risques posés par les réseaux sociaux et appliquer ces dispositions légales. L'enjeu réside donc dans l'effectivité de celles-ci et les moyens de détection et d'enquête à la main des services de sécurité intérieure et des magistrats.

Le développement de moyens en personnel dédiés à la lutte contre la haine en ligne au sein du site PHAROS (plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements) est une réponse récente au développement de la haine sur les réseaux sociaux et un moyen de détection des infractions visant les personnels de la communauté éducative. L'affectation des moyens est cependant toujours difficile, tiraillée entre plusieurs priorités impossibles à hiérarchiser.

Comme le rappelait le ministre de l'intérieur lors de son audition par la commission des lois le 27 février 2024, les agents de PHAROS ne disposent pas de la possibilité de retirer eux-mêmes les contenus haineux ou illicites, mais doivent l'obtenir des plateformes et réseaux sur lesquels ils ont été diffusés. Or la diffusion des messages et contenus illicites est étroitement corrélée au temps pendant lequel ils persistent sur les réseaux. L'efficacité de l'action se trouve donc limitée.

En dehors de ce service spécialisé, les services de la police et de la gendarmerie et même le service du renseignement territorial ont fait état de leur difficulté à suivre les réseaux sociaux.

En l'absence de possibilité d'agir utilement sur les opérateurs de réseaux sociaux et les plateformes, l'efficacité des mesures dépend donc des moyens humains et matériels des services d'enquête et de la justice.

Recommandation : garantir l'effectivité des dispositions votées dans le cadre de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ; pour améliorer le suivi des risques posés par les réseaux sociaux, augmenter les moyens dévolus au suivi des réseaux sociaux et d'internet.

b) Les mesures de responsabilisation

S'agissant des manquements ou infractions commises par des mineurs, les moins graves, qui marquent une absence de respect pour l'autorité sans entrainer de dommage important et autre que moral à la victime, relèvent légitimement de mécanismes de sanction excluant l'incarcération. Les alternatives aux poursuites et les sanctions alternatives à la prison paraissent devoir être prioritaires. Elles sont plus efficaces si elles sont en lien avec l'infraction commise. Le développement des mesures de responsabilisation et des mesures éducatives80(*) est prôné par plusieurs acteurs, dont le Premier ministre.

Or, il dépend essentiellement des partenariats que l'éducation nationale, par l'intermédiaire des directions des services départementaux de l'éducation nationale (DSDEN) ou des chefs d'établissements, ou le ministre de la justice, en l'occurrence la protection judiciaire de la jeunesse, sont susceptibles de nouer avec les collectivités territoriales. En effet, tant la possibilité de trouver des missions de proximité au service de la collectivité que de mobiliser les personnels techniques capables d'assurer la supervision des travaux accomplis dépendent des collectivités.

Recommandation : encourager les conseils de discipline à décider des mesures de responsabilisation ; pour favoriser leur mise en oeuvre, développer dans chaque département une convention entre le DSDEN, le conseil départemental et les partenaires locaux afin de créer un réseau de prise en charge des élèves soumis à une mesure de responsabilisation.

c) La prise en charge des élèves hautement perturbateurs

L'annonce peu compréhensible faite par la ministre de l'éducation nationale de l'ouverture de classes spécifiques pour les élèves radicalisés, à l'occasion d'un entretien à la télévision le 26 février dernier, a eu le mérite de rappeler l'impossibilité d'enseigner, au sein d'une même classe, aux élèves ne posant aucune difficulté et aux élèves les plus difficiles.

Ces élèves, après plusieurs sanctions disciplinaires, se retrouvent exclus de leur établissement, selon un processus qui peut se répéter. La mission a pu constater les difficultés qui persistent pour l'éducation nationale pour gérer les élèves poly-exclus qui trouvent une nouvelle affectation dans le cadre d'échanges difficiles entre établissements.

Malgré la multiplicité des dispositifs développés depuis les années 1990 (ateliers ou classes relais, école de la seconde chance, établissements de réinsertion scolaire, micro-lycée), aucune solution pérenne n'a pu être trouvée qui permette à la fois une prise en charge adaptée de ces élèves et leur retrait des établissements jusqu'à ce que leur attitude ait évolué positivement.

Recommandation : développer les structures d'accueil pour les élèves hautement perturbateurs ou poly-exclus.

4. Assurer la sécurité des établissements scolaires et de leurs abords

Les établissements scolaires ne sont ni protégés de la violence extérieure par le statut de lieux d'enseignement, ni généralement sources en eux-mêmes de cette violence. Ils sont inévitablement la chambre d'écho des tensions qui traversent leur environnement et la vie quotidienne des élèves. Ils peuvent même devenir l'objet d'une violence sociale extérieure comme l'ont tristement illustré les émeutes de juin 2023 au cours desquelles 168 écoles ont été dégradées.

Si l'on met de côté ces événements paroxystiques, qui interrogent cependant sur le statut de l'école comme seul lieu d'autorité, avec la mairie, dans certains territoires de la République, les agressions du quotidien subies par les personnels découlent souvent de la nécessité de s'opposer aux intrusions, aux rixes et aux violences aux abords immédiats de l'établissement, point focal de la vie sociale des enfants, adolescents et parfois jeunes adultes.

La qualité tant des liens avec les forces de sécurité intérieure que des plans de sécurisation des établissements scolaires est dès lors essentielle pour dissuader, entraver et le cas échéant remédier aux agressions.

a) Le partenariat avec les forces de sécurité intérieure
(1) La police municipale premier acteur de sécurité de proximité

Le phénomène de banalisation des agressions verbales et physiques entre élèves précédemment relevé est parfois le reflet d'un climat général de violence prégnant dans certaines parties du territoire. Conjugué à l'effritement de l'autorité dans la société dans son ensemble, il explique le niveau d'irrespect et de violence verbale, voire physique, à l'encontre des enseignants et autres membres de la communauté éducative.

Pour éviter que la violence extérieure ne pénètre dans les établissements, la coopération étroite avec les forces de sécurité intérieure, au premier rang desquelles les services de police municipale, est essentielle pour les établissements. En effet, là où elle existe, la police municipale est la plus proche du terrain et la plus réactive. Généralement chargée de la police de la circulation et de la sécurisation des arrivées et des sorties scolaires81(*) ainsi que de patrouilles « dynamiques », la police municipale peut voir ses missions largement étendues.

L'implication de la police municipale pour la sécurisation des établissements est un enjeu important de politique locale, au coeur des compétences du conseil local ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), et plusieurs initiatives ont été prises par des communes. Ainsi, en 2018 à Nice, trois écoles primaires se sont vu affecter un agent de police municipale, non armé, expérience étendue depuis à 18 établissements. À Cannes, il est possible pour les établissements de demander à ce qu'un agent de police municipale accompagne les sorties scolaires.

La qualité de la relation entre les responsables d'établissement scolaire et les maires ou leurs adjoints à la sécurité est cruciale. Elle se traduit très concrètement par la possibilité d'obtenir par un simple appel la présence d'agents aux abords de l'établissements afin de désamorcer les tensions, voire d'intervenir si nécessaire. Il est donc important de faciliter ces contacts. C'est pourquoi, au-delà des écoles primaires, qui relèvent de la compétence des communes, il est primordial de généraliser les coopérations entre les communes, d'une part, et les collèges et lycées, d'autre part, afin de faciliter la sécurisation des établissements scolaires par la police municipale.

Recommandation : afin de faire de la police municipale le premier interlocuteur des chefs d'établissement, généraliser les coopérations entre les communes et les collèges et lycées pour permettre le déploiement de la police municipale aux abords des établissements.

(2) Des mécanismes d'appui par la police et la gendarmerie à mobiliser
(i) Pour assurer la sûreté des établissements

Des dispositifs proposant l'appui de la police nationale ou de la gendarmerie aux établissements existent. Les établissements disposent, au moins en théorie sinon toujours en pratique, d'un correspondant identifié au sein des groupements de gendarmerie ou des commissariats de police. En cas de tension interne durable au sein d'une école, d'un collège ou d'un lycée, le chef d'établissement peut demander à un référent de la police ou de la gendarmerie de s'installer temporairement au sein de l'établissement jusqu'au retour au calme82(*). De même, l'intervention de la brigade de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie (BPDJ) ou les groupes mineurs des brigades de protection des familles (BPF) de la police nationale peuvent être sollicités pour expertise ou appui au chef d'établissement.

Le dispositif SAGES (sanctuarisation globale de l'espace scolaire) déployé depuis 2009 par la gendarmerie nationale, qui s'appuie notamment sur les correspondants sûreté, permet de les mobiliser pour conseiller les établissements scolaires dans l'établissement de leur plan particulier de mise en sûreté (PPMS), mais aussi de réaliser des actions de prévention à l'intérieur des établissements et des actions de surveillance à leurs abords, ainsi que des opérations de contrôle dans la profondeur de leurs bassins d'implantation.

Plus largement, l'impact de l'insécurité dans certains territoires sur les établissements scolaires doit être mieux et systématiquement pris en compte par l'intermédiaire d'un partenariat renforcé avec la police nationale ou la gendarmerie, mais aussi avec la justice. Ces partenariats peuvent s'appuyer sur les CLSPD, mais aussi sur les nombreux plans départementaux de sécurité établis par les préfets. Le représentant de l'État pourrait ainsi s'assurer que ces partenariats existent partout où ils sont nécessaires.

Recommandation : dans les quartiers marqués par un niveau élevé de violence des mineurs, nouer des partenariats renforcés entre les établissements scolaires, la police et les procureurs.

(ii) Pour partager une culture commune en matière de sécurité

La pratique des exercices communs participe à la connaissance mutuelle des acteurs, à l'identification des difficultés et à la recherche des solutions. Ainsi les exercices « attentat-intrusion » réalisés chaque année au sein des établissements scolaires, en lien avec les unités de police et de gendarmerie territorialement compétentes, ont une portée qui dépasse la préparation à de tels événements : ils favorisent la création d'une culture commune aux agents de la communauté éducative et aux forces de sécurité intérieure.

La gendarmerie nationale a en outre développé un ensemble de ressources à destination des établissements scolaires. Il existe aujourd'hui un protocole de partenariat entre la gendarmerie nationale et le ministère de l'éducation nationale, visant à former les cadres de l'éducation nationale à la « prévention et à la gestion de crise ». La nouvelle convention signée pour la période 2024-2027 vise à renforcer les modules de formation par des mises en situation et des échanges de bonnes pratiques83(*). Des formations de ce type ne peuvent que permettre une meilleure intercompréhension et favoriser la prévention et la réaction en termes de sécurité.

Recommandation : étendre aux enseignants et au personnel administratif la formation dispensée par la gendarmerie aux cadres de l'éducation nationale à la « prévention et à la gestion de crise ».

b) La sécurisation des établissements scolaires

L'attentat d'Arras a fait émerger à nouveau dans le débat public la question de la sécurisation des établissements scolaires au sens des moyens matériels de contrôle d'accès et d'alerte.

Or, le bilan qui peut être dressé des mesures de sécurisation bâtimentaire aujourd'hui en vigueur dans certains établissements paraît mitigé ; les portiques de sécurité, en particulier, peuvent avoir des effets contreproductifs, soit qu'ils dysfonctionnent, soit qu'ils ralentissent l'accès à l'établissement au point d'affecter l'organisation des établissements, soit enfin qu'ils soient tout simplement ignorés.

Jugés plus unanimement utiles, les dispositifs de vidéoprotection font l'objet d'investissements importants des collectivités territoriales et de l'État. Les référents sûreté des groupements de gendarmerie départementale et de la police nationale jouent un rôle de conseiller sur la mise en place de dispositifs de vidéoprotection. La question se pose cependant, comme pour l'ensemble des dispositifs de vidéoprotection, de l'extension donnée à ces dispositifs et de la capacité de traitement des images.

En effet, la question de la vidéoprotection se pose aujourd'hui autant pour l'établissement lui-même et ses abords immédiats, que pour les bâtiments annexes (notamment ceux abritant les logements de fonction du personnel, qui peuvent être la cible de dégradation ou de tentatives d'intrusion).

S'agissant des dispositifs d'alerte, les auditions de la gendarmerie et de la police nationales ont fait émerger plusieurs difficultés. La première est le risque de déclenchement intempestif. La seconde est la difficulté de mettre en place des dispositifs techniques de raccordement téléphonique supposant un abonnement, police et donc un engagement financier des établissements, pour garantir le lien avec la police. Au regard de la multiplication des incidents survenus au cours des dernières années, la mise en place de dispositifs d'alerte paraît cependant indispensable.

Recommandation : généraliser les moyens d'alerte directe entre un établissement scolaire et les commissariats ou gendarmeries (bouton d'alerte, ligne directe, ...).

La sécurisation des établissements, qui s'effectue nécessairement en lien avec la collectivité territoriale compétente pour le niveau de l'établissement et la commune, s'intègre au plan particulier de mise en sûreté (PPMS) que chaque école, collège ou lycée doit élaborer.

Ce PPMS comporte aussi les adaptations nécessaires pour faire face aux risques naturels et technologiques. La circulaire du 8 juin 2023 du ministre de l'éducation nationale, du ministre de l'intérieur et du ministre de la transition écologique prévoit que le « PPMS est actualisé régulièrement lorsque cela est nécessaire par la DSDEN, à son initiative ou à celle du directeur d'école en ce qui concerne les écoles, ou par le chef d'établissement en ce qui concerne les collèges et les lycées ». Cet élément de souplesse est nécessaire face à une multiplicité de risques par nature évolutifs. L'actualisation régulière des diagnostics doit cependant être garantie. Les rapporteurs recommandent donc que les diagnostics de sécurité soient conduits au maximum tous les cinq ans.

Recommandation : garantir l'effectivité de la réalisation du diagnostic de sécurité des établissements scolaires, en lien avec le référent « sécurité » ainsi que les collectivités territoriales, propriétaires du bâti scolaire, et s'assurer de son actualisation régulière.

L'une des difficultés du déploiement des mesures de sécurisation tient au processus de décision et au caractère parfois contradictoire des décisions prises par les conseils d'administration des établissements. Afin de permettre le recours aux instruments (vidéoprotection, si nécessaire portiques) répondant au diagnostic de sécurité, il est proposé de passer d'une autorisation à une simple information du conseil d'administration. Les décisions en matière de sécurisation reposeraient donc sur le chef d'établissement, en lien avec sa hiérarchie et avec l'accord de la collectivité territoriale concernée.

Recommandation : permettre la mise en place de caméras de vidéoprotection filmant l'extérieur de l'établissement scolaire sans l'accord de son conseil d'administration.

B. DE LA PRISE DE LA PLAINTE AU SUIVI DE CELLE-CI, UN PARCOURS MALAISÉ ET DÉCOURAGEANT POUR L'ENSEIGNANT VICTIME DE VIOLENCES

L'ensemble des enseignants et autres membres de la communauté éducative entendus par les rapporteurs ont fait état des difficultés de taille rencontrées tout au long du parcours judiciaire par les victimes de menaces, d'outrages ou de violences dans le cadre de leurs fonctions.

Quand ils ne contribuent tout simplement pas à dissuader les agents victimes de porter plainte, ces facteurs de lenteur, d'incertitude et de complexité ne peuvent que renforcer le sentiment de solitude de ces derniers, et leur faire l'effet d'une double peine.

1. Des modalités de dépôt des plaintes imparfaitement adaptées

La première étape pour l'enseignant qui souhaite déposer plainte à la suite d'un fait de violence physique ou verbale consiste à se rendre au commissariat. Il ressort toutefois des auditions menées par les rapporteurs que les conditions d'accueil des agents de la communauté éducative ne sont pas toujours adaptées, et ce malgré des assouplissements récents notables apportés aux modalités de dépôt de plainte.

a) Le dépôt de plainte en commissariat : un moment potentiellement dissuasif pour l'agent de l'éducation nationale victime

Certains enseignants ont en particulier indiqué avoir été dissuadés de déposer une plainte, et orientés vers le dépôt d'une main courante. Si la main courante permet de signaler ou dénoncer des faits dont on a été victime (ou témoin), elle n'entraîne toutefois pas automatiquement de poursuites judiciaires - à moins que les services de police ou de gendarmerie estiment que les faits constituent une infraction, auquel cas ils en avisent le procureur de la République qui peut à son tour décider des poursuites pénales à donner. Du reste, la direction générale de la gendarmerie nationale et la direction générale de la police nationale ont souligné, lors de leur audition commune, que les commandants d'unité contrôlaient régulièrement les mains courantes prises au sein de leurs unités, de manière à ordonner la prise de plainte en cas de faits susceptibles d'encourir une qualification pénale.

Au-delà des problèmes particuliers pouvant se poser dans certains commissariats, la mission invite à renforcer ces contrôles, afin qu'aucun membre de la communauté éducative qui se rend en commissariat dans l'objectif de déposer plainte après avoir été victime de violences, de menaces ou d'outrages n'en soit dissuadé et que toute infraction fasse l'objet d'une prise de plainte.

Par ailleurs, l'agent de l'éducation nationale peut se retrouver quelque peu désorienté lorsqu'il arrive au commissariat, et ignorer les modalités pratiques du dépôt de plainte. Afin de lutter contre les réticences des agents à aller déposer plainte, et contribuer ainsi à lever ce qui peut être un véritable obstacle à la protection d'agents menacés, l'instruction avait été donnée, aux lendemains de l'assassinat de Samuel Paty, de désigner un référent dans chaque brigade de gendarmerie ou de commissariat pour « renseigner les agents de l'éducation nationale des modalités pratiques pour déposer plainte, de la suite donnée à cette dernière et des éventuelles mesures prises par les forces de sécurité intérieure »84(*).

Il semblerait que ces référents soient encore loin d'être présents dans chaque brigade de gendarmerie ou commissariat. Aussi la mission invite-t-elle à poursuivre et achever leur généralisation, afin d'offrir un interlocuteur visible et accessible aux agents de l'éducation nationale venus déposer plainte pour des faits de violences ou de menaces.

Recommandation : pérenniser ou généraliser les référents identifiés dans chaque brigade de gendarmerie ou de commissariat pour renseigner les agents de l'éducation nationale sur le dépôt de plainte.

b) Un assouplissement des modalités de dépôt de plainte certain, mais encore insuffisant

En tant qu'agents publics, les membres de la communauté éducative bénéficient de plusieurs mesures récentes d'aménagement dans les modalités des dépôts de plainte.

Tout d'abord, les agents victimes peuvent déposer plainte sur leur lieu de travail, sans avoir à se rendre dans une brigade de gendarmerie : c'est comme indiqué par la direction générale de la gendarmerie nationale, la « prise de plainte en mobilité ».

Par ailleurs, l'agent victime a le choix, dans l'adresse de domiciliation figurant sur le procès-verbal, entre son adresse personnelle, l'adresse de la brigade de gendarmerie ou du commissariat, et l'adresse de son lieu de travail (sans que l'accord de l'administration ne soit nécessaire85(*)).

En outre, l'agent a la possibilité, dans certaines régions, de préparer davantage sa venue au commissariat en prenant rendez-vous au préalable sur le site internet « « Masécurité »86(*). Ce dispositif, comparable au site « Doctolib » pour la prise de rendez-vous médicaux en ligne, est déployé depuis le 4 décembre 2023 dans toute la zone sud-ouest et devrait être étendu en 2024 à l'ensemble du territoire national d'après les informations transmises par la direction générale de la gendarmerie nationale.

Demeure toutefois la question de la place et du rôle joué par la hiérarchie, voire par l'administration, dans la procédure de dépôt de plainte par l'agent.

En pratique, quand les relations entre l'agent et son chef d'établissement sont bonnes, le premier peut se faire accompagner du second pour déposer plainte.

En revanche, l'administration peut, en l'état du droit, déposer plainte elle-même dans deux cas seulement (alternatifs) :

- en cas de dommage matériel ;

- ou bien, depuis la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, lorsque l'administration a connaissance de faits susceptibles de constituer l'infraction définie au premier alinéa de l'article 433-33-1 du code pénal87(*).

Or, il ne fait aucun doute, pour les personnes auditionnées comme pour les rapporteurs, que les dépôts de plainte venant d'agents de l'éducation nationale victimes de violences ou de menaces seraient davantage systématiques s'il était possible à l'administration de déposer plainte elle-même, en lieu et place de l'agent concerné. Tel était du reste le sens d'une des mesures annoncées par le ministre Stanislas Guerini dans le cadre de son plan de protection des agents publics dévoilé en septembre 2023. La mission invite à poursuivre cette piste qui lui semble à même de faciliter les dépôts de plainte et donc d'améliorer la protection des agents de la communauté éducative victimes de violences et de menaces.

Recommandation : afin de faciliter la prise de plainte, permettre à l'administration de déposer plainte elle-même (en lieu et place de l'agent) en cas d'agression d'un agent.

c) Le signalement au procureur de la République : face à certaines inerties, la nécessité de rappeler les règles

Plutôt que de déposer plainte, un certain nombre d'agents de l'éducation nationale préfèrent - par convenance personnelle et/ou en raison des réticences évoquées plus haut - signaler l'agression verbale ou physique dont ils ont été victimes à leur chef d'établissement.

En application du second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, celui-ci est ensuite tenu « d'en donner avis sans délai au procureur de la République ».

Or, certains enseignants ont fait part du refus exprimé par leur chef d'établissement - en accord avec des instructions données par les rectorats - de faire un tel signalement au procureur de la République. La circulaire interministérielle du 2 novembre 2020 avait pourtant souligné la nécessité de « faire respecter l'obligation pour tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, de signaler ces faits au procureur de la République en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale ».

Si la mission ne peut que regretter une telle violation de la loi, elle tient néanmoins à rappeler que le signalement au procureur de la République d'un crime ou d'un délit peut et doit être effectué par tout fonctionnaire, qu'il ait ou non des responsabilités d'encadrement. En l'espèce, tout agent de l'éducation nationale témoin d'un crime ou d'un délit peut saisir lui-même le procureur de la République, sans passer obligatoirement par son chef d'établissement.

Recommandation : rappeler la possibilité ouverte à tout fonctionnaire de saisir lui-même le procureur de la République d'un signalement sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale.

2. Un manque d'informations sur les suites données à la plainte

Après le dépôt de plainte, la suite de la procédure témoigne de sources supplémentaires de difficultés, ou du moins d'incertitudes, pour les agents concernés, en raison notamment de la communication sur les suites données, jugée dans l'ensemble insuffisante.

En théorie, comme indiqué par la direction générale de la gendarmerie nationale, « les coordonnées de l'unité et/ou du gendarme en charge de la procédure sont inscrites sur le récépissé de dépôt de plainte. Ce contact peut permettre à la victime de connaître l'état d'avancement de sa procédure »88(*).

En outre, en application de l'instruction interministérielle du 27 octobre 2020 précitée, le référent présent dans la brigade de gendarmerie ou le commissariat territorialement compétent a la charge d'informer l'agent de l'éducation nationale de la suite donnée à sa plainte.

Par ailleurs, les dispositions de l'article 40-2 du code de procédure pénale prévoient que le procureur de la République avise les victimes, lorsqu'elles sont identifiées, ainsi que les personnes ou autorités mentionnées au deuxième alinéa de l'article 40, des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite de leur plainte ou de leur signalement. Il les informe, le cas échéant, du classement sans suite de la procédure ; dans ce cas-là, il indique, en plus, « les raisons juridiques ou d'opportunité » justifiant le classement sans suite.

Si les règles sont claires et les principes sont établis en faveur de l'information des agents de la communauté éducative, des difficultés n'en demeurent pas moins en pratique ; les enseignants entendus par les rapporteurs ont ainsi regretté que la communication sur les suites données aux plaintes soit excessivement lente, lorsqu'elle n'est pas franchement inexistante.

Pour la mission, il n'est pas acceptable de ne pas tenir informés ces agents quant aux suites données à leur plainte ; l'information relève du niveau de considération minimal dû à toute victime présumée. A contrario, laisser les enseignants victimes de violences dans l'incertitude et l'ignorance des suites données contribue à les maintenir dans le présent de leur agression. C'est pourquoi la mission estime nécessaire de rendre systématique, dans des délais raisonnables, l'information du personnel sur les suites données à leur plainte.

Recommandation : automatiser l'information des membres du personnel éducatif sur les suites données à leur plainte.

Par ailleurs, dans un contexte de judiciarisation accrue des relations entre les enseignants et les parents d'élèves, qui se traduit par l'augmentation du nombre de plaintes déposées contre les membres de la communauté éducative par les parents d'élèves (pour des cas de violence, d'agression sexuelle, etc.), la question de l'information des enseignants sur les suites données à ces plaintes se pose également.

Il est vrai que les règles en la matière diffèrent sensiblement, dans la mesure notamment où le code de procédure pénale ne prévoit pas de notification systématique des décisions de classement sans suite aux personnes mises en cause. Pour autant, de l'avis du ministère de la justice, cette absence de disposition légale « n'empêche pas le procureur, lorsqu'il l'estime opportun, d'informer le mis en cause, notamment lorsqu'il s'agit d'un enseignant, des suites réservées à une plainte déposée contre lui »89(*).

Dans les faits, toutefois, la notification du classement sans suite se fait souvent attendre, plaçant les intéressés dans une situation très inconfortable. Afin d'ôter cette épée de Damoclès du dos des enseignants, Florence Lec, avocat-conseil de l'Autonome de solidarité laïque, a exprimé le souhait que la notification du classement sans suite puisse être envoyée à l'agent concerné dans un délai maximal d'un mois suivant le classement.

Sans se prononcer avec cette précision sur le délai pertinent, la mission suggère également que le classement sans suite d'une plainte formulée à l'encontre d'un enseignant lui soit systématiquement notifié.

Recommandation : automatiser l'information des membres du personnel éducatif sur les suites données aux plaintes déposées contre eux.

3. Des délais importants entre la plainte et l'audience

Les délais entre le dépôt de plainte et l'audience sont également sources de frustration et d'incompréhension pour les agents de la communauté éducative victimes de violences ou de menaces, qui les jugent trop longs. Comme souligné devant les rapporteurs, un jugement intervenant au bout de plusieurs mois, voire plusieurs années après le dépôt de plainte, contribue en effet à nourrir le sentiment d'impunité des auteurs de menaces et agressions à l'encontre du personnel éducatif, tandis qu'un traitement judiciaire rapide permettrait au contraire de rappeler la force de la loi et enverrait, de surcroît, un signal positif en faveur du soutien du personnel éducatif par les pouvoirs publics et l'autorité judiciaire.

Certes, il est régulièrement rappelé aux parquets généraux et parquets que les infractions en milieu scolaire nécessitent un traitement rapide90(*).

S'agissant d'élèves mineurs, ce sont les dispositions du code de la justice pénale des mineurs qui s'appliquent en matière de procédure. Celui-ci, entré en vigueur le 30 septembre 2021, a posé comme principe la césure du procès pénal, destinée à accélérer les jugements et à permettre d'établir rapidement la culpabilité afin de mettre en oeuvre au plus vite les mesures de sanction, mais aussi de réinsertion.

S'agissant des majeurs, des dispositions du code de procédure pénale permettent la comparution immédiate si le maximum de l'emprisonnement est au moins égal à deux ans et que l'affaire est en l'état d'être jugée.

En pratique toutefois, les délais entre le dépôt de plainte et la condamnation à une sanction sont largement supérieurs à six mois dans la majorité des cas. En conséquence, lorsque l'auteur des faits est un élève, il a souvent changé de classe, voire d'établissement - en cas de passage de l'école primaire au collège, du collège au lycée, voire du lycée à l'enseignement supérieur - si bien que la portée de la sanction est considérablement affaiblie : les faits en cause sont déjà lointains.

Afin de ne pas conforter les élèves - et leurs parents - dans l'idée selon laquelle une agression à l'encontre d'un membre de la communauté éducative pourrait rester impunie, et mieux soutenir les agents victimes, les rapporteurs considèrent que ces délais devraient être raccourcis. Sans méconnaître le poids de facteurs circonstanciels - dépôt de plainte tardif de la part de l'agent victime, complexité particulière des investigations - sur lesquels la justice n'a pas la main, ils ne voient pas de raison structurelle pour laquelle la condamnation à une sanction ne pourrait pas, dans la plupart des cas, intervenir dans l'année scolaire suivant la date de commission des faits.

Recommandation : prévoir que l'audience pour juger l'auteur de violences, menaces ou outrages à l'encontre d'un membre de la communauté éducative ait systématiquement lieu dans le courant de l'année scolaire au cours de laquelle les faits ont eu lieu.

C. FACILITER LA TRANSMISSION D'INFORMATIONS ET LA COLLABORATION ENTRE LES ACTEURS INSTITUTIONNELS CONCERNÉS

1. L'éducation nationale et la justice : des mondes évoluant encore trop souvent en parallèle

Si l'enchaînement des étapes à la suite du dépôt de plainte par l'agent pourrait être fluidifié, la procédure découlant des signalements faits directement par le services de l'éducation nationale mériterait elle aussi d'être rendue plus efficace ; de manière générale, la coordination de l'action des services de l'éducation nationale et des parquets devrait être améliorée afin de protéger plus efficacement les enseignants et les autres agents de l'éducation nationale contre les menaces et agressions dont ils font l'objet.

a) Les parquets face à un volume important, et pour partie inexploitable, de signalements

Aujourd'hui, les signalements émanant des services de l'éducation nationale, à la suite notamment d'un « fait établissement » ne peuvent pas toujours être traités efficacement par les parquets, pour un ensemble de raisons.

Tout d'abord, les signalements transmis par les services de l'éducation nationale sont marqués par une forte hétérogénéité et en particulier par une formalisation inadaptée. Le cabinet du garde des sceaux a indiqué aux rapporteurs qu'un travail interministériel est en cours entre la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice, et le ministère de l'éducation nationale afin d'encourager une formalisation des signalements plus adaptée au traitement par les parquets ; ce travail n'a toutefois pas encore porté ses fruits de façon visible.

Plus généralement, les établissements scolaires ainsi que les directions académiques des services de l'éducation nationale (DASEN) ont une connaissance imparfaite du rôle exact des parquets, du fait notamment de la tendance des uns et des autres d'évoluer de façon parallèle.

Des efforts récents afin de rapprocher l'autorité judiciaire de l'éducation nationale et de favoriser leur action coordonnée pour agir contre les infractions survenant dans le cadre scolaire peuvent pourtant être mentionnés.

Ainsi, la circulaire du 16 septembre 2015 relative au partenariat renforcé entre l'autorité judiciaire et les services du ministère chargé de l'éducation nationale a rappelé la désignation par les recteurs, durant l'été 2015, d'un « référent académique justice » dans chaque académie, dont la mission principale est d' « assurer l'interface entre l'éducation nationale et l'autorité judiciaire pour toutes les affaires qui concernent les élèves victimes ou mis en cause pour des faits commis dans le cadre scolaire », d'une part, et « les agents, victimes à l'occasion de l'exercice de leur fonction, mis en cause ou condamnés », d'autre part91(*).

À ce titre, les référents académiques justice sont plus précisément chargés :

- d'analyser les remontées d'incidents et de faits graves au sein des services de l'éducation nationale, et de vérifier les signalements à la cellule de recueil des informations ;

- de recueillir et d'analyser les informations transmises par l'autorité judiciaire, puis de les transmettre à leur tour aux différents acteurs de l'éducation nationale concernés ;

- d'accompagner les services de l'éducation nationale dans les procédures de signalement.

Ces référents académiques justice sont invités à travailler de concert avec les « magistrats référents éducation nationale », qui ont été désignés au sein de chaque parquet par la même circulaire du 16 septembre 2015 pour suivre les relations avec les services de l'éducation nationale92(*).

Le magistrat référent de l'éducation nationale doit notamment s'assurer que les demandes formulées par le référent académique justice sont prises en compte et traitées dans les meilleurs délais ; il lui communique toutes les informations utiles93(*).

En outre, la circulaire interministérielle du 2 novembre 2020 a invité à mettre en oeuvre des partenariats entre les services de l'éducation nationale et les parquets. Un certain nombre de partenariats locaux existent à ce jour.

Le parquet d'Amiens et le directeur académique des services de l'éducation nationale de la Somme ont ainsi conclu en 2020 un protocole prévoyant la centralisation par l'académie de l'ensemble des signalements destinés au parquet ; la communication avec le parquet par le biais d'une adresse structurelle unique (ou par la ligne de permanence de la section en cas d'urgence) ; ainsi que l'information du parquet au bénéfice de l'académie à l'issue des enquêtes les plus significatives.

Les parquets de Colmar et Mulhouse ont également signé en 2022 une convention avec les services de l'éducation nationale destinée notamment à lutter contre les violences scolaires et à renforcer la communauté éducative dans son autorité.

Si la circulaire ministérielle du 5 septembre 2023 relative aux infractions commises en milieu scolaire préconise à nouveau la mise en place d'un partenariat pérenne entre l'éducation nationale et l'autorité judiciaire, matérialisé par la conclusion ou l'actualisation de conventions avec les partenaires, le ministère de la justice a indiqué aux rapporteurs ne pas disposer à ce jour d'informations exhaustives sur le nombre de protocoles conclus entre les parquets et les DASEN.

Convaincue que l'amélioration de la coordination de l'action des services de l'éducation nationale et des parquets est essentielle pour protéger plus efficacement les enseignants et les autres agents de l'éducation nationale contre les menaces et agressions dont ils font l'objet, la mission invite à généraliser les conventions signées entre les parquets et les DASEN ou établissements de leur ressort.

Recommandation : généraliser les conventions signées entre les parquets et les DASEN ou établissements de leur ressort, afin de présenter le rôle de l'autorité judiciaire, préciser le cadre du signalement et élaborer une trame de signalement commune à l'ensemble des DASEN qui soit directement exploitable par l'autorité judiciaire.

b) Une grande méconnaissance de la part des parquets du fonctionnement des établissements scolaires

De même que les services de l'éducation nationale disposent d'une certaine marge de progression pour améliorer leur connaissance du rôle de l'autorité judiciaire, de même, les parquets ne disposent souvent que d'une connaissance partielle du fonctionnement des établissements scolaires. Les réunions où sont conviés tant les chefs d'établissement ou les recteurs que le parquet, comme par exemple les CLSPD, ne sont pas suffisantes pour garantir la connaissance réciproque des institutions et de leur fonctionnement.

Face à ce constat, la circulaire ministérielle du 5 septembre 2023 a invité à organiser, « si possible avant les vacances d'automne, en lien avec les DASEN, une rencontre annuelle avec les chefs d'établissements scolaires ». Le ministère de la justice a néanmoins indiqué aux rapporteurs ne pas disposer d'information sur l'organisation effective par chacun des procureurs de la République d'une telle rencontre.

En outre, le garde des sceaux a réuni le 26 octobre 2023 l'ensemble des procureurs généraux et procureurs de la République afin d'attirer leur attention sur les infractions commises en milieu scolaire, et en particulier sur les cas d'apologie de terrorisme et les infractions commises à l'encontre des membres de la communauté enseignante.

Enfin, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice a indiqué au mois de janvier 2024 qu'une réunion était prochainement prévue avec l'ensemble des magistrats référents éducation nationale désignés au sein des parquets. À la date de conclusion de ses travaux, la mission ne dispose toutefois d'aucun élément lui permettant de dire si cette réunion a bien eu lieu.

En tout état de cause, il apparaît opportun à la mission que les parquets nouent avec les chefs d'établissements scolaires, et pas seulement avec les directeurs académiques des services de l'éducation nationale, des relations incarnées et régulières.

Recommandation : systématiser la rencontre annuelle entre les parquets et les chefs des établissements scolaires de leurs ressorts.

2. Le cas particulier de la menace terroriste et de la radicalisation

L'action tendant à prévenir le passage à l'acte de terroristes ou d'élèves ou parents radicalisés repose sur les services de sécurité intérieure et les services de renseignement, dont la direction nationale du renseignement territorial (DNRT). L'évaluation de la radicalisation est en effet une prérogative de la DNRT qui, dans le contexte de l'enquête qu'elle mène suite à un signalement, va solliciter des interlocuteurs privilégiés au sein des établissements scolaires (souvent au sein de la direction de l'établissement) afin d'évaluer le comportement de l'individu dans le cadre scolaire.

a) Le partage d'informations entre la DNRT et l'éducation nationale

Depuis l'assassinat de Samuel Paty, le dialogue entre la direction nationale du renseignement territorial et l'éducation nationale semble s'être fluidifié. En particulier, l'éducation nationale a amélioré son dispositif de transmission des signalements de radicalisation, via les États-majors de sécurité.

La DNRT a ainsi indiqué aux rapporteurs que la prévention « fait l'objet de partages d'informations réguliers, notamment dans le cadre des groupes d'évaluation départementaux (GED) et des Cellule de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF). De plus, des contacts locaux réguliers existent entre l'éducation nationale et les services du renseignement territorial, en particulier entre les chefs des services départementaux et le rectorat (où un policier est parfois détaché en tant que conseiller sécurité auprès du recteur) ».

La circulation de l'information, qui avait pu manquer dans les jours précédant l'assassinat de Samuel Paty, semble désormais garantie. Lorsque l'administration de l'éducation nationale signale un cas à la DNRT, « le service départemental du renseignement territorial est systématiquement saisi pour une évaluation de la situation sur le terrain ». D'autre part, lorsque les services départementaux informent la DNRT de situations problématiques, celle-ci informe le pôle Valeurs de la République.

Le travail de la DNRT est cependant rendu plus complexe du fait des difficultés rencontrées dans la remontée et le traitement des signalements :

- quelques signalements continuent d'être transmis directement par les agents au Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR), ce qui marque un manque d'appropriation du dispositif de signalement ou un manque de confiance envers la hiérarchie ;

- depuis l'attentat d'Arras du 13 octobre 2023, la DNRT fait face à une augmentation du nombre de signalements. Ceci mobilise très fortement ses ressources pour évaluer rapidement les situations et lever le doute, beaucoup de signalements concernant en fait des cas ne relevant pas de la prévention du terrorisme et des actes violents.

Pour surmonter ces difficultés, dans l'Académie de Versailles, un travail est en cours entre le rectorat et les services départementaux du renseignement territorial du Val d'Oise, des Yvelines et de l'Essonne, avec deux objectifs :

- améliorer et harmoniser les fiches de signalement transmises par les DSDEN (directions du ressort de l'Académie à l'attention des services de renseignement compétents) ;

- construire un dispositif de signalement similaire au bénéfice des établissements scolaires non publics à celui existant avec les DSDEN.

Cette amélioration dans la remontée et le traitement des signalements est de nature à garantir une plus forte réactivité des services de renseignement, une meilleure évaluation des situations et donc une plus forte protection des agents de la communauté éducative.

Recommandation : généraliser le travail partenarial engagé, dans l'Académie de Versailles, entre le rectorat et les services départementaux du renseignement, à l'ensemble des académies, pour l'ensemble des établissements publics et privés sous contrat.

En outre, les services territoriaux du renseignement territorial disposent parmi leurs personnels de « conférenciers » formés, aptes à conduire des sensibilisations sur les phénomènes de radicalisation. La DNRT a indiqué qu'il peut aujourd'hui « être proposé à l'éducation nationale de bénéficier de ce type de sensibilisation, là encore dans une perspective d'amélioration des signalements ».

Recommandation : systématiser les séances de sensibilisation dispensées par les services territoriaux du renseignement territorial auprès de l'ensemble du personnel éducatif, afin notamment d'améliorer la qualité des signalements effectués par les chefs d'établissements aux services du renseignement territorial.

b) Le partage d'informations entre la DNRT et l'autorité judiciaire

La DNRT est confrontée à d'importantes limites dans les informations judiciaires auxquelles elle a accès. Son action repose en effet sur l'exactitude des signalements et des informations dont elle dispose. Or, dans un contexte de tension ou de crise, les propos tenus par les différents acteurs devant les personnels de l'éducation nationale, devant les services de police ou de gendarmerie et devant les juges, peuvent être sensiblement différents et entrainer des décalages de perception particulièrement graves dans l'appréciation du danger.

Si la loi permet désormais aux magistrats de communiquer aux services de renseignement les informations dont ils disposent en matière de terrorisme, de telles transmissions ne sont pas systématiques. Il serait important pour la protection des personnels que les protocoles entre la Justice et les services de renseignement facilitent le travail d'analyse et surtout d'entrave que ceux-ci doivent mener dans l'urgence et pour éviter le pire.

Recommandation : renforcer les liens entre les parquets et les services des renseignements territoriaux, afin que ceux-ci aient accès aux éléments de la procédure judiciaire.

c) Le suivi des cas de radicalisation en milieu scolaire et l'information des enseignants

Les enseignants peuvent avoir connaissance du comportement problématique d'un élève si celui-ci s'est révélé au sein de l'établissement ou dans un établissement précédent (dans le cadre de la communication interne de l'établissement), mais pas de l'existence d'un suivi par la DNRT et encore moins des éléments de l'enquête.

De même, les enseignants ne sont pas informés de la présence de « fichés S » parmi leurs élèves et n'ont pas vocation à l'être, les fiches S étant des mentions portées au fichier des personnes recherchées dont la consultation est réservée à des personnels habilités.

Sans envisager de diffuser ces informations, qui placeraient en réalité les établissements dans de grandes difficultés, la mission a pu constater sur le terrain l'intérêt que les chefs d'établissement manifestent pour l'information concernant la mise en examen ou la condamnation d'un élève pour des faits particulièrement graves relevant de la radicalisation.

Cette disposition a par ailleurs été intégrée à l'article 15 ter de la proposition de loi n° 202 (2023-2024) de François-Noël Buffet instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, adoptée par le Sénat le 30 janvier 2024.

Recommandation : prévoir l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement de la mise en examen ou de la condamnation pour une infraction terroriste (dont l'apologie) d'une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans un établissement scolaire, public ou privé.

EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 5 MARS 2024

___________

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Après neuf mois de travaux, nous avons l'honneur, avec François-Noël Buffet, de vous présenter aujourd'hui les conclusions de la mission conjointe de contrôle sur les pressions, menaces et agressions dont sont victimes les enseignants et les équipes administratives des établissements scolaires, que vous avez bien voulu nous confier en juin dernier.

Vous le savez, cette mission a vu le jour à la suite d'un courrier adressé par Mickaëlle Paty, la soeur de Samuel Paty, au président du Sénat. L'audition de celle-ci, devant nos deux commissions, fut d'ailleurs un moment particulièrement marquant des travaux menés ces derniers mois.

Ces travaux nous permettent aujourd'hui de dresser un constat sans appel : l'école de la République est en danger !

L'institution scolaire continue certes à jouer un rôle central dans la transmission des valeurs de la République ; c'est d'ailleurs l'une des missions que lui confie la loi, avec la transmission des connaissances. Mais on constate, ces dernières années, une hausse alarmante du nombre de remises en cause de ces valeurs, que ce soit par l'intermédiaire de contestations d'enseignement comme à l'occasion de la vie quotidienne des établissements.

À cet égard, il me semble important de souligner deux points. D'une part, les contestations d'enseignement ne se limitent pas à quelques matières identifiées depuis longtemps, comme l'histoire-géographie ou les sciences de la vie et de la terre (SVT) : la quasi-totalité des disciplines fait désormais l'objet de contestations. On nous a ainsi donné des exemples de remises en cause intervenues à l'occasion de cours de musique, de dessin, de lettres, de sport, ou encore de sciences économiques et sociales.

Par ailleurs, tout établissement scolaire peut y être confronté. Près d'un quart des enseignants du secondaire dans des territoires ruraux ont indiqué avoir observé au moins une contestation d'enseignement au cours des années scolaires 2021-2022 et 2022-2023. Cette proportion est la même dans les établissements plus favorisés.

Au-delà d'une approche par matière ou par territoire, nous avons été surpris de constater le décalage existant entre le principe de laïcité tel que voulu par les institutions et sa perception par ceux auxquels il s'applique. Censée garantir la stricte neutralité dans l'espace scolaire et participer à l'idéal émancipateur de l'école, la laïcité est perçue par un nombre désormais élevé et croissant d'élèves comme une interdiction et un principe conçus contre les religions. Plus grave, la défense de la laïcité se délite aussi chez les adultes des établissements, par manque de connaissance, voire de conviction !

Certains jeunes enseignants s'interrogent sur l'utilité de la laïcité et de l'application de règles spécifiques en milieu scolaire. À l'instar d'une partie de la société, ils ont été bercés par l'émergence de termes tels que « laïcité ouverte » ou « laïcité plurielle ». Il n'est d'ailleurs pas rare qu'ils assimilent purement et simplement laïcité et tolérance !

Certes, la laïcité et les valeurs de la République ont été désignées par le ministère comme une priorité nationale. Mais nos travaux nous ont permis de constater qu'elles restent malgré tout des non-dits au quotidien dans les établissements scolaires, sauf en cas de problème. Nous estimons qu'il est donc urgent de passer d'une position défensive à sa promotion par l'intermédiaire d'une démarche proactive. Pour cela, nous avons identifié quatre axes.

Il s'agit, tout d'abord, de permettre au ministère de l'éducation nationale de reprendre la main sur la formation initiale des enseignants.

L'enjeu est à la fois double et crucial. Il faut, d'une part, s'assurer de l'adéquation entre cette formation initiale et les attentes du futur employeur sur ce que doit être un « enseignant aujourd'hui ». Mais il importe également que cette formation corresponde aux réalités du terrain. Je prendrai un seul exemple : un jeune enseignant nous a indiqué ne pas avoir été formé dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) à la gestion des conflits avec les parents, mais seulement à la gestion des conflits avec les élèves. Dans la situation actuelle, ce n'est plus acceptable !

Nous proposons également d'accentuer les efforts concernant la formation continue.

Le ministère s'est fixé un objectif ambitieux : former l'ensemble de ses personnels à la laïcité en cinq ans. Un vaste plan de formation est en cours de déploiement et rencontre de premiers résultats positifs. Mais, selon les académies, il existe d'importantes différences entre les taux de formation continue des personnels. Il convient d'y mettre un terme !

Par ailleurs, la promotion de la laïcité ne peut plus être portée par les seuls personnels traditionnellement en prise, au quotidien, avec sa remise en cause : je pense notamment aux conseillers principaux d'éducation (CPE) ou aux enseignants d'histoire-géographie. Il faut au contraire renforcer la culture collective au sein de l'établissement sur cette thématique.

Enfin, il est nécessaire de combler les « trous dans la raquette » dans l'application de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. En 2022, une très forte augmentation du nombre d'élèves portant une abaya ou un qamis a été constatée. L'interdiction de ces vêtements à la rentrée 2023, à la suite d'une décision du ministre, était bienvenue. La clarté du message politique a d'ailleurs été saluée par l'ensemble des chefs d'établissement que nous avons rencontrés et qui souhaitaient que leur soit adressé un message clair et simple.

Il semble néanmoins important de prendre en compte l'esprit de cette loi et d'inclure les événements auxquels participent les élèves, y compris en dehors du temps scolaire. Je pense aux sorties scolaires le soir - par exemple, une pièce de théâtre -, ou encore à la remise d'un prix pour un concours organisé par l'éducation nationale ou en partenariat avec celle-ci.

Le champ de nos investigations ne s'est pas limité à la remise en cause de la laïcité, qui ne constitue qu'une partie des menaces dont font l'objet les enseignants, comme ceux d'entre vous qui ont participé aux auditions ont pu le constater. De manière générale, il semble que la violence soit endémique à l'école. La problématique n'est pas nouvelle : le premier plan de lutte contre celle-ci date de 1989. Mais elle connaît, ces dernières années, une ampleur croissante et généralisée. Pendant longtemps épargné, le premier degré est désormais touché.

Pour bien saisir l'ampleur du phénomène, il est important de s'intéresser aux nombres absolus. En effet, le recours aux pourcentages, porte d'entrée traditionnelle du ministère, tend à en minimiser la portée.

En 2021 , 3 % des enseignants du premier degré ont déclaré avoir fait l'objet d'une bousculade intentionnelle ou de coups et blessures ; cela représente 11 200 enseignants. Dans le second degré, en 2019, 17 200 enseignants déclaraient avoir été victimes de bousculades intentionnelles ou de coups et blessures, et 37 700 avoir reçu des menaces avec ou sans objet dangereux. Enfin, 0,2 % des enseignants des collèges et lycées déclarent avoir été menacés avec une arme : cela représente plus ou moins 900 enseignants, soit 9 par département, ou encore 3 à 4 enseignants ainsi menacés chaque semaine de cours. Ces chiffres sont loin d'être anecdotiques ! Pour reprendre les mots d'une personne auditionnée, « les agressions sont désormais quotidiennes et constituent une anormalité dans la normalité ».

Nouvelle forme de violence, les réseaux sociaux amplifient les menaces dont sont victimes les enseignants. Aujourd'hui, tout agent public de l'éducation nationale peut se retrouver désigné à la vindicte populaire à la suite d'un message posté par un élève, un parent d'élève ou même un tiers.

L'explosion du nombre de pressions et de menaces intervient dans un contexte d'isolement traditionnel des enseignants ; c'est la figure du professeur seul face à sa classe. D'ailleurs, moins de 60 % des enseignants du secondaire public ont l'impression de faire partie d'une équipe. Or, aujourd'hui, cet isolement assumé s'est transformé en solitude pesante.

Les parents y ont leur part de responsabilité : la coéducation prônée par les textes a progressivement été dévoyée. L'école se retrouve alors écartelée entre, d'une part, des parents dépassés qui en demandent de plus en plus à l'école et, d'autre part, des parents trop intrusifs. Ceux-ci somment les enseignants de s'expliquer sur les notes données à leurs enfants, les choix de documents pédagogiques, ou contestent les punitions. Certains enregistrent les conversations avec les enseignants ou le personnel administratif pour pouvoir ensuite les utiliser comme preuve contre eux. Il n'est plus rare pour les chefs d'établissement de recevoir des courriers d'avocats remettant en cause une sanction disciplinaire prononcée contre un élève. La situation est telle que des enseignants et des personnels administratifs nous ont indiqué ne plus recevoir d'élèves ou de parents sans témoin.

Se pose bien entendu la question du soutien des enseignants par leur hiérarchie, un sujet qui est apparu au grand jour sous les termes « pas de vague » il y a plus de sept ans. Ce qui frappe surtout, c'est la profonde coupure entre les agents de l'éducation nationale dans les établissements scolaires et ceux qui travaillent dans les services centraux ou au rectorat.

Cette augmentation du nombre de contestations, le manque de formation conduisant à un sentiment de malaise pour aborder certains sujets, ce sentiment d'absence de soutien de leur hiérarchie expliquent sans doute la hausse du nombre d'enseignants qui déclarent s'autocensurer : 56 % d'entre eux dans le secondaire ont déclaré l'avoir fait en 2021 pour éviter de possibles incidents sur les questions de religion, contre 36 % en 2018.

Enfin, les enseignants ont été profondément ébranlés par les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard. Il existe désormais une peur : le passage à l'acte à la suite d'une menace verbale est désormais perçu comme une éventualité. Ce constat appelle plusieurs axes d'action.

Tout d'abord, il convient d'apporter une réponse cohérente et systématique face à tout acte commis contre un personnel de l'éducation nationale. Une menace contre un personnel doit faire l'objet de la même réponse dans tous les établissements scolaires. Pour cela, nous proposons qu'il y ait un partage, à l'échelle nationale, du registre des sanctions que doit tenir chaque établissement, et qui recense de façon anonyme les sanctions prononcées avec l'énoncé et les circonstances des faits.

Ensuite, les élèves hautement perturbateurs doivent être mieux pris en charge, au sein de structures d'accueil dédiées. Il en existe quelques-unes à l'échelle du territoire, comme les classes ou internats relais. Il convient d'augmenter leur nombre.

Il faut également responsabiliser les parents et leur rappeler le respect qu'ils doivent, ainsi que leurs enfants, à l'institution scolaire. Pour ce faire, nous proposons une information systématique, en début d'année, sur les prérogatives de l'enseignant et le caractère obligatoire des programmes. Je tiens à le dire avec force : les programmes ne se discutent pas au sein de l'établissement scolaire ; ils s'appliquent ! Cette information se concrétiserait par la signature d'une charte des parents.

Par ailleurs, nous souhaitons faciliter le recours au protocole d'accompagnement et de responsabilisation. Ce document, qui indique l'engagement des parents pour faire évoluer le comportement de leur enfant, ne peut aujourd'hui être mis en place qu'après la deuxième exclusion définitive au cours d'une même année scolaire. Nous proposons sa signature dès la première exclusion.

Enfin, le non-respect répété des règles de vie collective par l'élève et des engagements pris par les parents dans le cadre de ce protocole pourrait faire l'objet d'une sanction pénale, comme c'est le cas pour le non-respect de l'obligation d'assiduité scolaire.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Ce qui m'a le plus frappé lors des travaux menés par notre mission, notamment lors de nos déplacements sur le terrain, c'est la solitude des membres du personnel éducatif face à un quotidien marqué par les tensions, voire les conflits. Leur isolement n'a probablement d'égal que leur engagement au service de leurs élèves et de l'école de la République.

Créer les conditions d'une réponse collective de la communauté éducative aux violences, afin qu'aucun de ses membres ne connaisse le terrible isolement dont Mme Mickaëlle Paty nous a dit qu'il avait marqué les derniers jours de son frère, est l'un de nos objectifs, sinon le premier d'entre eux.

Comme l'a rappelé le président Lafon, les enseignants et l'ensemble du personnel éducatif sont aujourd'hui confrontés à des formes très variées de pressions et d'agressions, allant de l'insulte misogyne à l'agression physique, en passant par la menace et la contestation de certains enseignements. S'ajoutent à cette violence du quotidien, dont les chiffres sont vertigineux, les actes de terrorisme islamique dont l'actualité récente a, hélas, donné un nouvel exemple. Ce terrorisme est lui-même en train de se banaliser : en témoigne la diffusion de l'usage, par certains élèves, de la menace proférée à un enseignant de lui « faire une Paty » - usage d'autant plus choquant qu'il est parfaitement conscient et assumé.

La montée de revendications identitaires et communautaires, de manifestations de l'islam radical et de certaines nouvelles formes de spiritualité ne doit pas non plus être ignorée. Elle est favorisée par l'effet amplificateur et déstabilisateur des réseaux sociaux, à l'origine de défis et de rumeurs qui sont autant de provocations instrumentalisées par des groupes de pression.

Au sein des établissements, c'est l'ensemble du personnel qui est susceptible d'être touché par cette violence. Les enseignants sont naturellement et malheureusement en première ligne. Il faut également mentionner les chefs d'établissement, pris à partie directement par les parents qui surgissent de manière inopinée dans leur bureau ; les conseillers principaux d'éducation face à qui les élèves, et de plus en plus leurs parents, contestent le bien-fondé d'une sanction ; les surveillants, qui se trouvent au coeur de la mêlée des cours de récréation ; les agents d'accueil, personnels des collectivités territoriales qui, depuis leur loge, sont souvent au contact direct de la rue et donc très vulnérables face à des parents d'élèves, voire à des personnes parfaitement extérieures à l'établissement, qui souhaiteraient entrer à tout prix pour « s'expliquer » avec un membre de l'équipe pédagogique ou administrative, ou « régler des comptes » avec un élève. Dans ces conditions, il faut une réponse ambitieuse, globale et rapide. Il incombe aux pouvoirs publics d'apporter à l'ensemble des membres du personnel éducatif une protection qui soit à la hauteur des risques et des dangers qu'ils encourent désormais par le simple exercice de leur profession.

La réaffirmation des valeurs de la République, d'une part, et de l'autorité de l'institution scolaire, d'autre part, constitue un enjeu essentiel afin de mieux prévenir les agressions.

J'insisterai également sur la nécessité, pour traiter plus efficacement les agressions, d'améliorer la coordination entre les services de l'éducation nationale, les forces de sécurité intérieure et l'autorité judiciaire. Il est vrai que l'assassinat de Samuel Paty a entraîné une certaine prise de conscience de la part des pouvoirs publics, qui s'est notamment traduite par l'instauration de sanctions renforcées et de procédures de signalement accélérées.

Pour autant, des efforts peuvent et doivent encore être faits pour améliorer la sécurité des établissements scolaires et de leurs abords ; fluidifier et accélérer les procédures administratives et judiciaires ; faciliter la transmission d'information entre les acteurs clés.

S'agissant du premier point, il est évident que la prévention des violences en milieu scolaire nécessite de tenir compte de l'environnement de l'établissement. Il est clair, à ce titre, que le climat général de violence dans certaines parties du territoire se reflète dans la banalisation de la violence entre les élèves et le niveau d'irrespect et de violence verbale, voire physique, à l'encontre des adultes. Dans ce contexte, il apparaît nécessaire, pour mieux prévenir les agressions à l'encontre du personnel, d'impliquer davantage les forces de police et de gendarmerie dans la sécurité des abords des établissements scolaires. Les partenariats noués entre les communes et les établissements scolaires se révèlent particulièrement efficaces pour permettre un déploiement rapide de la police municipale aux abords de l'établissement dès que la situation l'exige. Nous proposons de généraliser ces coopérations.

S'agissant du deuxième point, qui concerne les procédures administratives et judiciaires, il faut veiller à ce que les agents victimes d'agressions ou de menaces ne soient pas soumis à une double peine : celle, en plus de l'agression en elle-même, d'une procédure judiciaire excessivement complexe, longue et opaque.

Aujourd'hui, un certain nombre d'éléments relatifs à la procédure de dépôt de plainte peuvent dissuader l'agent victime de se rendre au commissariat - peur, méconnaissance de la démarche, crainte des conséquences. Afin de garantir le dépôt de plainte effectif des agents, nous recommandons que l'administration puisse déposer plainte elle-même, en lieu et place de l'agent concerné.

Par ailleurs, il importe de ne pas laisser l'agent victime dans l'incertitude des suites données à sa plainte. Les auditions ont révélé combien la communication était excessivement lente, lorsqu'elle n'est pas franchement inexistante. De façon liée, les délais entre le dépôt de plainte et l'audience sont également source de frustration et d'incompréhension pour les agents victimes de violences ou de menaces. De plus, ils contribuent à nourrir le sentiment d'impunité des auteurs de menaces et d'agressions à l'encontre du personnel éducatif. C'est pourquoi nous invitons à réduire ces délais, afin que l'audience puisse, dans la plupart des cas, intervenir dans l'année scolaire suivant la date de commission des faits.

Enfin, il ressort des travaux de la mission que la protection fonctionnelle ne joue pas pleinement son rôle auprès des membres du personnel éducatif victimes de violences du fait des élèves ou de tiers. Certes, le taux d'octroi par l'administration s'élève à 80 % des demandes. Mais il ne faut pas méconnaître la part des agents qui ne font aucune demande soit par méconnaissance de leurs droits, soit par découragement.

Dans ces conditions, nous proposons de rendre automatique la protection fonctionnelle pour les agents victimes de violences ou de menaces de la part des élèves ou de tiers, sachant que l'administration aurait la faculté de la retirer dans un second temps si elle estimait que les conditions ne sont pas remplies.

J'en viens au troisième point : l'enjeu que constitue la transmission des informations liées aux signalements entre l'éducation nationale, l'autorité judiciaire et les services de renseignement.

Même si des progrès ont été réalisés à la suite de l'assassinat de Samuel Paty, l'éducation nationale et la justice évoluent encore trop souvent en parallèle, avec des procédures et des méthodes de travail distinctes. En particulier, le volume des signalements qui viennent des services de l'éducation nationale et parviennent aux parquets est important ; mais surtout, ceux-ci ne sont pas toujours aisément exploitables par les parquets. C'est pourquoi nous préconisons la généralisation des conventions entre les parquets et les directions académiques, afin de formaliser ces signalements et de permettre ainsi leur traitement efficace et rapide par les parquets.

Plus largement, c'est la connaissance par les parquets du rôle des établissements scolaires, et réciproquement, qui mériterait d'être améliorée. L'approfondissement du dialogue entre les réseaux miroirs que constituent les référents académiques pour la justice, d'une part, et les magistrats référents de l'éducation nationale, d'autre part, constitue un levier possible.

Pour finir, il nous faut nous pencher sur le cas particulier de la menace terroriste et de la radicalisation en milieu scolaire. Depuis l'attentat d'octobre 2020, le dialogue entre la direction nationale du renseignement territorial (DNRT) et l'éducation nationale semble s'être fluidifié, avec un circuit d'information désormais bien établi. Pour autant, ce circuit est aujourd'hui mis à l'épreuve par l'augmentation du nombre de signalements portés à la connaissance des services de renseignement par les chefs d'établissement ; là aussi, il est essentiel d'améliorer la qualité des signalements.

Par ailleurs, il nous apparaît indispensable, pour des enjeux de sécurité publique évidents, que les services des renseignements territoriaux aient accès aux éléments de la procédure judiciaire en cours.

Nous tâchons d'être concrets et opérationnels pour répondre aux attentes des personnels de l'éducation nationale. L'ensemble de la communauté éducative est aujourd'hui en difficulté. Dans les établissements que nous avons visités, nous avons constaté une montée de l'islam radical. Quant aux enseignants, ils ont une conception de la laïcité différente selon la génération à laquelle ils appartiennent.

M. Max Brisson. - L'école n'est plus « l'asile inviolable » dont parlait Jean Zay puisque la violence de la société y est entrée. Par ailleurs, elle n'assume plus sa mission première : transmettre le principe de laïcité.

Vos préconisations, messieurs les rapporteurs, sont concrètes et opérationnelles, et je les approuve largement. Mais il faut poser un préalable indispensable : le pays doit dire de nouveau à l'école ce qu'il attend d'elle et quelle mission il lui confie. Il faut un discours clair et ferme en matière de laïcité, que nous n'avons pu entendre à cause du « zigzag » des derniers ministres de l'éducation nationale. L'école a aussi besoin de moyens qui lui soient propres.

Vos préconisations permettront-elles de réaffirmer que la mission première de l'école est la transmission de la laïcité. Permettront-elles et de protéger les chefs d'établissement, les enseignants, l'institution scolaire, les élèves ? L'école a le droit d'être protégée !

J'approuve la recommandation n° 7, « rendre la main à l'éducation nationale pour la formation des enseignants en ne faisant plus dépendre la formation initiale de l'université ». L'éducation nationale doit en effet reprendre la main en termes de formation au principe de laïcité. Contrairement à ce qu'ont dit les formateurs des Inspé que nous avons auditionnés, la laïcité n'est pas un concept que l'on peut interpréter, une valeur variant selon les croyances de chacun, un marqueur de tolérance et de bienveillance, mais un principe intangible de notre République sur lequel s'est fondé notre vivre-ensemble : l'affirmation d'une stricte neutralité.

La recommandation n° 9, par laquelle vous proposez de faire signer aux parents une « charte des parents » me semble essentielle. Il convient de rappeler à ceux-ci que les professeurs sont des experts, qu'ils sont des fonctionnaires de l'État et que les programmes ne se discutent pas, mais s'appliquent. L'école n'est pas à la carte ! J'aurais souhaité que l'on prévoie un contrat d'engagement réciproque, mais cela ne semble pas juridiquement possible en l'état du droit.

Je suis plus hésitant s'agissant de la journée d'hommage prévue dans la recommandation n° 1. Je considère, pour ma part, que la laïcité se transmet en classe, au travers des programmes d'enseignement moral et civique (EMC) et d'histoire.

Pour ce qui concerne la protection de l'école, j'approuve toutes les recommandations relatives à l'harmonisation des sanctions, la transmission rapide des signalements, l'information des autorités académiques, la sécurisation des établissements, l'accompagnement des chefs d'établissement et des professeurs. Mais l'école a-t-elle aujourd'hui les moyens d'affirmer l'autorité du professeur et du chef d'établissement. A-t-elle les moyens d'empêcher de nuire ceux qui veulent la déstabiliser ? Il faut s'interroger sur la composition des conseils de discipline et des conseils de classe, au sein desquels la place des professeurs est de plus en plus réduite, et redonner des prérogatives à ces instances.

Les propositions relatives aux protocoles d'accompagnement vont dans le bon sens, mais il faut aller plus loin. Des élèves et des parents d'élèves qui veulent perturber, voire détruire, l'école de la République n'y ont pas leur place !

Mme Marie-Pierre Monier. - Lorsque nous avons entamé les travaux de cette mission, les attentes étaient très fortes. Nous ne pouvions prévoir que l'inimaginable se reproduirait, avec l'assassinat de Dominique Bernard. Les conclusions auxquelles aboutissent les rapporteurs sont-elles à la hauteur de ces attentes ? J'ai ressenti un malaise au fil de nos auditions face à une institution scolaire et à des membres ou ex-membres du Gouvernement ayant du mal à concevoir l'ensemble du problème.

Ce rapport fera oeuvre utile en permettant une nouvelle appréhension de ce phénomène et en avançant des solutions concrètes pour protéger et accompagner les professeurs. Je pense notamment à la recommandation relative à l'automaticité de la protection fonctionnelle pour les agents de la communauté éducative - c'est un signal fort -, ainsi qu'à la facilitation et au renforcement de l'information en matière de suivi des dépôts de plainte.

La protection fonctionnelle prend essentiellement la forme d'un accompagnement juridique. Il nous faut veiller à ce que les solutions recouvrent aussi la sécurisation des agents concernés - mise à l'abri ou en sécurité - en cas de menace imminente.

La sécurisation des établissements scolaires en liaison étroite avec les forces de l'ordre et les collectivités territoriales est une proposition qui va dans le bon sens.

L'équilibre général du rapport n'est cependant pas satisfaisant. Les recommandations constituent une réponse relevant de la répression et de l'autorité, lesquelles prennent le pas sur la pédagogie, la prévention, l'accompagnement des élèves et des familles. Ce tout-sécuritaire est de nature à renforcer la défiance entre élèves et corps enseignant, plutôt qu'à renouer le lien.

Nous sommes défavorables à la création d'une sanction pénale pour le non-respect répété des règles de fonctionnement de la vie collective des établissements, ainsi qu'à la création de structures d'accueil pour les élèves hautement perturbateurs ou plusieurs fois exclus. Serait-ce le retour des maisons de correction ? Regrouper ces élèves dans un même lieu fermé risque d'augmenter leur rejet du système. Quels professeurs voudraient enseigner dans de tels établissements, dont le principe est en contradiction avec l'esprit de l'école de la République ?

Quant à la simplification des procédures des conseils de discipline, ne remettra-t-elle pas en cause l'équilibre actuel du processus de prise de décision ?

L'installation de caméras aux abords des établissements sans autorisation du conseil d'administration pose quant à elle question sur le plan juridique.

La recommandation n° 7 s'inscrit en dehors du champ d'études visé par ce rapport.

Les établissements privés sous contrat sont mentionnés seulement dans la partie VII du document. Les recommandations relevant des autres parties s'appliqueraient-elles uniquement aux établissements publics ? Je rappelle que la professeure Agnès Lassalle, qui a été assassinée, enseignait dans un établissement privé. Une approche globale est nécessaire sur ce sujet.

Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont préoccupés par la dégradation des conditions de travail des enseignants, qui doivent faire à des menaces et des agressions de plus en plus nombreuses. Leur sécurité doit être assurée à tout prix. Il faut prévoir une tolérance zéro pour les atteintes à la laïcité dans les enseignements scolaires publics ou privés sous contrat.

Nous saluons les avancées prévues dans ce rapport, mais nous nous abstiendrons lors du vote sur son adoption au regard des lignes rouges franchies pour certaines recommandations.

M. Pierre Ouzoulias. - Mon groupe partage le constat terrible et alarmant des rapporteurs. Les principes républicains sont réinterprétés en vertu d'une idéologie libérale anglo-saxonne selon laquelle l'identité de l'individu prime le projet collectif. Or, comme le disait Ferdinand Buisson, le projet de l'école de la République est de former des républicains.

Je suis favorable à la protection fonctionnelle de droit que vous proposez, laquelle est très importante et pourrait faire l'objet d'une proposition de loi.

Je regrette que vous n'ayez pas prévu de mieux garantir la liberté académique des enseignants, notamment vis-à-vis des parents d'élèves. J'avais déposé des amendements en ce sens.

Je regrette également que les délégués départementaux - institution qui date de 1886 -, ces bénévoles nommés par les inspecteurs d'académie dont le rôle de lien est fondamental, ne soient pas mentionnés. Rendre obligatoire leur présence au sein des conseils d'administration des collèges aurait été utile.

Je le dis en tant que nostalgique des écoles normales : il faut revoir la formation dispensée aux enseignants. À cet égard, les recommandations nos 4 et 7 sont antinomiques...

M. Max Brisson. - La recommandation n° 4 est une réponse à court terme et transitoire. La recommandation n° 7 propose une réponse structurelle.

M. Pierre Ouzoulias. - Par ailleurs, on ne peut pas laisser les établissements privés sous contrat en dehors du dispositif, surtout si l'on considère, à l'instar du Gouvernement, qu'ils font partie du service public de l'éducation. Ces établissements rencontrent aussi les problèmes que nous avons évoqués et leurs syndicats d'enseignants souhaitent une formation à la laïcité. Eux aussi sont confrontés à des élèves qui contestent les enseignements. Je souhaiterais que vous explicitiez le fait que les établissements privés sous contrat soient compris dans ces recommandations.

Mme Monique de Marco. - J'ai moi aussi fait le constat, au cours de ces travaux, de la grande solitude des enseignants.

Quels sont les moyens et la mission de l'école ? Il serait intéressant de partager les recommandations qui nous sont soumises, voire de les amender. À moins qu'elles ne soient figées ? Je suggère les modifications suivantes : mentionner les écoles privées sous contrat ; supprimer la précision selon laquelle la formation à la laïcité dans les Inspé doit être réalisée par un fonctionnaire de l'éducation nationale ; préciser, à la recommandation n° 7, que l'on en revient aux « écoles normales » ; définir ce que seraient les établissements destinés à accueillir les élèves hautement perturbateurs.

Pour ce qui concerne la recommandation n° 23, qui décidera de l'installation de caméras à l'extérieur des établissements ? La municipalité ? L'éducation nationale ? Pourquoi prévoir que cette installation pourra se faire sans l'accord du conseil d'administration de l'établissement ?

Je ne trouve pas grand-chose dans le rapport à propos de la prolifération de la haine en ligne. Qu'en est-il du pôle national de lutte contre la haine en ligne ? Les enseignants le connaissent-ils et lui adressent-ils des signalements ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - J'ai une pensée pour Samuel Paty et Dominique Bernard. Nous payons lourdement ce que nous avons laissé faire : la laïcité ouverte, qui a suscité les discours anti-laïcité d'aujourd'hui ; le « pas de vague » ; l'ouverture de l'école aux parents ; la remise en cause de l'autorité. Or, sans autorité, on ne peut pas enseigner, on fait de la garderie, et les élèves ne peuvent pas se construire.

Ces recommandations ne me choquent pas et je les voterai toutes. Au Sénat, nous avons souvent tiré la sonnette d'alarme, face à Jean-Michel Blanquer, ou à Pap Ndiaye dont le passage au ministère de l'éducation nationale a été catastrophique sur ce plan. Il est temps de passer à autre chose. À cet égard, beaucoup s'interrogent sur la formation des enseignants : il s'agit de les aider à transmettre le principe de laïcité et à ne pas se censurer.

Je suis attachée à la redéfinition du rôle des parents d'élèves, que souhaitent tous les enseignants. La parole d'un enfant et celle d'un adulte ne doivent pas avoir la même force au sein de l'école !

Je suis très critique à l'égard des politiques menées depuis de nombreuses années par le ministère de l'éducation nationale, qui ont mêlé idéologie, démagogie et déni. Ce sont les élèves des quartiers populaires qui en souffrent le plus. Les familles de ces quartiers rêvent d'envoyer leurs enfants dans les établissements privés sous contrat : demandons-nous pourquoi !

J'espère que ces préconisations seront rapidement effectives.

M. Hussein Bourgi. - Les membres de la commission des lois n'ont pas été informés de la disponibilité de ces recommandations des rapporteurs ; il nous est donc difficile de nous prononcer sur ce projet, comme nous l'ont demandé ce matin nos collègues de la commission de la culture. Cela pose un problème d'égalité entre les sénateurs !

Sur le fond, je ne suis pas d'accord avec ma collègue Marie-Pierre Monier. Pour ma part, je ne suis pas défavorable à la création de centres spécialisés pour les élèves fauteurs de troubles. On a bien créé des écoles de la deuxième chance... Mais qu'en sera-t-il de ces structures ?

L'écrasante majorité des conseils d'administration des établissements est favorable à l'installation de caméras de vidéoprotection afin de lutter contre le racket et le trafic de drogue. Mais comment les collectivités financeront-elles le déploiement de ces équipements ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Je vous prie de nous excuser. Effectivement, le courriel d'information sur la disponibilité des recommandations sur l'application dédiée n'a pas été adressé comme il aurait dû l'être.

Mme Annick Billon. - J'adresse mes félicitations aux rapporteurs pour la qualité des auditions qui ont été organisées et du rapport qui nous est présenté. Les recommandations de cette mission, qui s'inscrivait dans une actualité triste et inquiétante, étaient très attendues. Le rapport balaye de nombreux sujets. La situation est telle et l'école est dans un tel état qu'il était impossible de présenter des recommandations « molles ». Les enjeux de sécurité auxquels l'école est confrontée appellent des réponses. On nous reproche souvent de répondre par des bougies et des hommages à une actualité grave et tragique. Si les hommages sont évidemment nécessaires, il faut aussi adapter nos outils à ce qu'est devenue notre école.

La laïcité est notre point de départ : comment en sommes-nous arrivés là ? Comment redresser la barre ? La formation continue est à ce titre essentielle. Max Brisson et moi-même, qui devons conduire une mission d'information sur les modalités de formation et la place des enseignants, veillerons à travailler sur ce sujet.

La charte des parents est un point important. Les parents ont pris dans l'école une place qu'ils n'auraient probablement pas dû prendre. Il faut à la fois les informer et les rassurer et mettre des garde-fous pour éviter qu'ils ne se montrent trop intrusifs.

Pour mettre fin à la tendance au « pas de vagues », l'harmonisation des grilles de sanctions entre établissements me semble bienvenue. À titre de comparaison, l'harmonisation des grilles relatives à la lutte contre les violences faites aux femmes a été très bénéfique.

Recommander qu'il faut prévoir des moyens pour répondre aux enjeux de sécurité des établissements ne me choque pas.

Je partage en outre les mesures proposées pour simplifier le parcours judiciaire, mais m'interroge sur les outils qui seront mobilisés pour les mettre en oeuvre.

Enfin, comment faire pour que les fonctionnaires du ministère de l'éducation nationale qui travaillent dans les bureaux et décident des mesures mises en oeuvre au sein de l'institution soient davantage confrontés à la réalité des établissements, et pour que les décisions prises par l'administration correspondent davantage à la réalité vécue par les enseignants ?

Le groupe Union Centriste votera ce rapport.

Mme Colombe Brossel. - L'état des lieux qui ressort des passionnantes auditions que nous avons menées est un peu désespérant, et l'état d'esprit de certaines personnes ou organisations auditionnées peut laisser perplexe. Les recommandations qui nous sont présentées vont dans le bon sens. Il fallait effectivement des propositions marquantes et sensées.

Je regrette cependant qu'il soit peu fait mention de l'éducation et de la prévention dans le rapport, alors que cela pourrait raffermir certaines préconisations. Ainsi, ne pas mentionner les médecins scolaires, les infirmiers scolaires, les conseillers principaux d'éducation ou les psychologues scolaires dans les recommandations relatives aux atteintes à la laïcité, au climat scolaire ou encore à la place des parents dans l'école me semble poser problème. Le champ éducatif devrait être davantage présent dans le rapport, pour que les recommandations soient vraiment opérationnelles.

De même, il serait bon d'ajouter les acteurs de la prévention à la recommandation n° 20, qui préconise, « dans les quartiers marqués par un niveau élevé de violence des mineurs », de « nouer des partenariats renforcés entre les établissements scolaires, la police et les procureurs. »

Je me permettrais par ailleurs une petite taquinerie sur la recommandation n° 5, où il est fait mention d'une formation obligatoire des contractuels à la laïcité. Puisqu'il est question de leur formation, n'hésitons pas également à les former sur la pédagogie !

Enfin, une clarification est requise concernant le caractère obligatoire de l'ensemble des programmes dans l'ensemble de l'enseignement, y compris les écoles privées sous contrat.

Mme Laure Darcos. - Je remercie également nos deux présidents pour la bonne tenue de nos réunions. J'ai été souvent émue par les témoignages que nous avons reçus.

Je regrette que nous ne soyons pas plus sévères à l'égard des chefs d'établissement. De nombreux professeurs se sentant menacés disent ne pas recevoir de protection de la part de leurs chefs d'établissement. Dans mon département, l'Essonne, plusieurs chefs d'établissement visés par une enquête administrative et contre lesquels des critiques ont été émises, voire des manifestations de professeurs organisées sont couverts par la direction académique des services de l'éducation nationale (Dasen). Il faut faire cesser cette impunité.

Par ailleurs, des recommandations plus fortes auraient été bienvenues concernant les réseaux sociaux. On nous dit que des paroles ou des menaces proférées en dehors de la classe ne peuvent être prises en compte. Une surveillance et un contrôle spécifiques seraient donc souhaités sur les réseaux sociaux ; je pense notamment aux groupes WhatsApp. C'est sur les réseaux que les choses ont dégénéré avant l'assassinat de Samuel Paty.

Mme Sonia de La Provôté. - Merci pour ce travail et les auditions marquantes que nous avons vécues. Je m'interroge sur l'absence de recommandation relative à la formation des élèves via l'enseignement moral et civique. Les problèmes de violence en milieu scolaire ne sont pas tous liés à des questions de laïcité, mais touchent aussi au respect de l'école et du rôle de l'institution scolaire. Les élèves doivent savoir qu'aller à l'école est une chance. De même, vous avez évoqué des croyances alternatives et une forme d'obscurantisme qui émerge au-delà même des questions religieuses. Nous devons agir, par l'éducation à la science, si nous ne voulons pas voir grandir une génération de platistes !

Concernant le dépôt de plainte systématique, les enseignants disent qu'ils doivent prendre sur eux parce que l'institution ne les encourage pas à porter plainte. Les chefs d'établissement sont quant à eux démunis et deviennent la cible de nombreuses attaques, notamment sur les réseaux sociaux, sans soutien de l'institution. Il faut donc insister sur ce sujet.

On observe en outre une concentration des problèmes dans certains établissements, confrontés à des formes diverses de ségrégation et à une rotation importante des équipes éducatives, alors que la stabilité de celles-ci est un élément de sécurisation et de protection pour les enseignants. Or cette question n'est pas évoquée dans vos propositions.

Mme Agnès Evren. - En octobre dernier, Gérald Darmanin a révélé le chiffre de 1 000 mineurs radicalisés fichés S pour islamisme. Les enseignants de ceux d'entre eux qui étaient scolarisés n'étaient pas informés de cette radicalisation. Comment peut-on les protéger ? Le malaise de l'éducation nationale est partout visible. À Paris, 163 chefs d'établissement ont manifesté pour soutenir un proviseur du XXe arrondissement menacé de mort. Les menaces dont ce dernier a été victime ont été proférées sur les réseaux sociaux, comme cela avait été le cas pour Dominique Bernard. C'est un sujet stratégique. Comment pourrait-on le réguler ? Les professeurs, démunis et livrés à eux-mêmes, nous indiquent qu'ils ne signalent même plus les menaces qu'ils reçoivent, car ils ne se sentent pas soutenus par leur hiérarchie.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Ce que nous avons écrit dans le rapport s'applique aussi bien à l'école publique qu'à l'école privée sous contrat. Nous retiendrons donc la modification suggérée par Monique de Marco pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté à ce sujet.

Nous partageons tous le diagnostic sur la situation et l'inquiétude qu'il suscite. C'est un point positif. Quelques bémols, peu nombreux, mis à part, nos recommandations n'ont rencontré guère d'oppositions.

Au travers de celles-ci, nous avons essayé de couvrir le spectre d'intervention et d'action le plus large possible. Nous avons donc pu manquer parfois de précision. La mission d'information conduite par Max Brisson et Annick Billon sera certainement amenée à préciser certaines recommandations et à les rendre plus opérationnelles.

Nous tenions par ailleurs à inscrire dans nos recommandations l'organisation d'une journée d'hommage à Samuel Paty, Agnès Lassalle et Dominique Bernard. L'émotion et l'incompréhension suscitées par leurs assassinats sont telles qu'une journée spécifique pour honorer leur mémoire au sein des établissements scolaires nous semble importante. Cela complète le travail qui doit être fait dans chaque établissement. Il nous a paru d'autant plus nécessaire de dire clairement que cette journée d'hommage devait avoir lieu que nous avons constaté une sorte de flottement à ce sujet au sein du ministère de l'éducation nationale.

La formation initiale est un enjeu essentiel. Compte tenu de certaines évolutions du métier d'enseignant, il faut professionnaliser encore davantage la formation et préparer les professeurs à des situations auxquelles personne n'est préparé : contestations de certains sujets, contestations de la part des parents, contestations physiques parfois. Il paraît logique que le ministère de l'éducation nationale, qui définit l'école de la République, soit davantage présent dans la formation initiale des enseignants. C'est pourquoi nous formulons deux recommandations à ce sujet : pour une refonte intégrale de cette formation, tout en étant conscients que cela ne se fera pas en un jour, et pour augmenter le nombre de cadres de l'éducation nationale mis à disposition pour la formation sur les valeurs de la République prévue par Jean-Michel Blanquer et qui n'est pas assez mise en oeuvre pour l'instant.

Il faut parler par ailleurs des élèves poly-exclus, car ce sujet est très présent à l'esprit des chefs d'établissement et des enseignants. Nous nous sommes inspirés à leur propos des conclusions de la mission conjointe de contrôle sur la délinquance des mineurs, qui allaient dans le même sens que nos recommandations. Il faut insister de nouveau sur ce sujet et sur la nécessité de déployer des lieux spécifiques pour mener, en liaison avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), un travail de fond à destination de ces jeunes en situation de rupture.

Nous n'avons pas de réserve sur la notion de liberté académique. Un malaise profond s'observe chez les enseignants, accru par les menaces et les pressions qu'ils subissent. Le respect de la liberté académique est essentiel. La responsabilité de l'enseignement s'applique au niveau des enseignants, et les enseignants doivent être respectés dans leur travail.

J'ai plus de réserves en revanche sur le rôle des délégués départementaux, mais il était bon de les mentionner.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - La surveillance des menaces proférées sur les réseaux sociaux est prévue depuis 2021, par la loi confortant le respect des principes de la République. La commission des lois examinera demain un rapport d'information de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien sur l'application de cette loi.

Les proviseurs disent souvent qu'ils ne peuvent déployer de caméras à l'entrée de leurs établissements en raison de la désapprobation des parents d'élèves qui siègent dans leurs conseils d'administration. Ce blocage est regrettable, car ces caméras leur rendraient vraiment service. Notre idée est que les proviseurs puissent décider d'en installer, en accord avec la puissance publique, et en informer ensuite leurs conseils d'administration. Ce sujet a été abordé au cours de presque tous nos déplacements sur le terrain.

Nous clarifierons la rédaction du rapport pour préciser qu'il concerne toutes les écoles, y compris les écoles privées sous contrat. Nos travaux ont bien porté également sur ces établissements.

De nombreux professeurs d'histoire ou de sciences nous ont dit qu'ils se censuraient et n'enseignaient plus comme ils le faisaient auparavant, car les élèvent contestent leurs propos et parce qu'ils reçoivent aussi la visite de leurs parents. Avant une sortie au théâtre, les parents les interrogent désormais systématiquement sur la nature de l'oeuvre que les élèves iront voir. C'est inacceptable !

Les proviseurs et chefs d'établissement ont par ailleurs souligné qu'ils avaient besoin de clarté de la part de leur hiérarchie. La décision récente relative à l'interdiction de l'abaya était claire et précise. Les situations ont donc pu être gérées calmement et sans drame.

Concernant la formation, je n'ai pas religion particulière. Mettons en place le système qui fonctionne le mieux. Il y a une attente très forte à ce sujet.

Les professeurs ont peur d'aller travailler, ou lorsqu'ils sortent de leur établissement, ce qui est inacceptable. On observe une progression réelle de l'islam radical, y compris dans l'école privée, même si cela se fait à une intensité différente. Personne n'est à l'abri. La communauté éducative a de fortes attentes à cet égard.

Nos recommandations permettent de progresser sans mettre la poussière sous le tapis.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Concernant les chefs d'établissement, ce qu'a dit Laure Darcos n'est pas faux. Pour autant, il nous a semblé important de protéger leur rôle, car ils se trouvent dans une position intermédiaire souvent difficile à tenir, écartelés entre les directives ou l'absence de directives rectorales et une insatisfaction forte des enseignants. Dans certains établissements, cela fonctionne mieux que dans d'autres, en fonction de la personnalité des chefs d'établissement concernés.

Nous avons essayé, pour cette raison, de dépersonnaliser la réflexion et l'action concernant la transmission des valeurs de la République, qui doit être partagée par l'ensemble des personnels éducatifs.

Mme Monique de Marco. - Ne pourrait-on pas ajouter « une information en début d'année à tous les fonctionnaires afin qu'ils puissent saisir directement le pôle national de lutte contre la haine en ligne » à la recommandation visant à « fluidifier le rapport judiciaire pour les agents victimes » ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - L'enjeu est d'encourager les signalements sur la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Nous pouvons l'ajouter, bien sûr.

Mme Monique de Marco. - Je m'abstiendrai tout de même, en définitive.

Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.

La commission de la culture et la commission des lois adoptent le rapport d'information ainsi modifié et en autorisent la publication.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Je vous rappelle qu'aucune communication n'est possible sur le présent rapport avant un délai de vingt-quatre heures, conformément à la réglementation applicable aux commissions d'enquête.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Auditions des rapporteurs

Lundi 16 octobre 2023

- Audition commune de professeurs d'université : M. Benjamin MOIGNARD, professeur en sociologie à l'université Cergy-Paris, Mme Geneviève ZOÏA, professeur en ethnologie à l'université de Montpellier, M. Éric DEBARBIEUX, professeur émérite de sciences de l'éducation à l'université Paris-Est Créteil.

- Audition de représentants de la mission académique « Valeurs de la République » : Mmes Christine DARNAULT, ancienne responsable de la mission « valeurs de la République » de l'Académie de Créteil, inspectrice générale de l'éducation, du sport et de la recherche, et Sandra MEUNIER, référente académique « valeurs de la République » à l'Académie de Créteil, inspectrice d'académie, inspectrice pédagogique régionale Établissements et Vie scolaire.

Lundi 23 octobre 2023

Audition commune de représentants des syndicats d'enseignants :

- SNEP-FSU (syndicat national de l'éducation physique de l'enseignement public - Fédération syndicale unitaire) : Mme Coralie BÉNECH et M. Benoît HUBERT, co-secrétaires généraux ;

- FSU (Fédération syndicale unitaire) : Mme Ludivine DEBACQ, secrétaire nationale ;

- SNES-FSU (syndicat national des enseignements de second degré - Fédération syndicale unitaire) : M. Hervé MOREAU, secrétaire national en charge des questions de santé, de travail et de protection sociale ;

- SNALC (syndicat national des lycées, écoles et du supérieur) : M. Jean-Rémi GIRARD, président national ;

- FNEC-FP-FO (Fédération nationale de l'enseignement, de la culture et de la formation professionnelle Force Ouvrière) : M. François POZZO, membre de la commission exécutive fédérale et secrétaire général du SNFOLC (syndicat national Force ouvrière des lycées et collèges).

Lundi 23 octobre 2023 (suite)

Audition commune de représentants des syndicats des personnels de direction de l'éducation nationale :

- SGEN-CFDT (syndicat général de l'éducation nationale) : Mme Sylvie PERRON, secrétaire nationale, et M. Vincent LOUSTAU, secrétaire fédéral ;

- SNPDEN-UNSA (syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale) : Mme Christelle KAUFFMANN, membre de l'exécutif national ;

- ID-FO (Indépendance et Direction - FO) : Mme Agnès PROUTEAU, conseillère technique auprès du secrétaire général.

Lundi 13 novembre 2023

Audition commune de représentants d'associations :

- Fondation Jean Jaurès : M. Jean-Yves CAMUS, Observatoire des radicalités politiques ;

- Association Solidarité Laïque : M. Georges FOTINOS, ancien chargé de mission d'Inspection générale de l'éducation nationale « Établissements et vie scolaire », responsable du dossier « Violences à l'École » ;

- Autonome de Solidarité Laïque : M. Jean-Louis LINDER, vice-président, Mmes Florence LEC, avocat-conseil national, et Cihem GHARBI, directrice du pôle Influence.

Audition d'un enseignant94(*).

Mercredi 15 novembre 2023

Audition commune d'enseignants1.

Lundi 20 novembre 2023

- Conseil des sages de la laïcité : Mme Dominique SCHNAPPER, présidente, M. Alain SEKSIG, secrétaire général.

- Audition commune de recteurs : Mme Valérie CABUIL, recteur de l'académie de Lille, M. Étienne CHAMPION, recteur de l'académie de Versailles, M. Richard LAGANIER, recteur de l'académie de Nancy-Metz.

Lundi 18 décembre 2023

- Fondation Jean-Jaurès : M. Iannis RODER, directeur de l'Observatoire de l'éducation, professeur agrégé d'histoire.

- M. Jean-Pierre OBIN, inspecteur général honoraire de l'éducation nationale.

Mardi 9 janvier 2024

Ministère de l'Intérieur - Direction nationale du renseignement territorial (DNRT) : M. Bertrand CHAMOULAUD, directeur national.

Mardi 16 janvier 2024

Conseil supérieur des programmes (CSP) : M. Mark SHERRINGHAM, président.

Lundi 22 janvier 2024

Ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des JOP :

- Direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) : M. Jean HUBAC, chef du service de l'accompagnement des politiques éducatives

- Direction générale des ressources humaines (DGRH) : Mme Florence DUBO, cheffe de service, adjointe au directeur général des ressources humaines

- Haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) : M. Christophe PEYREL, haut fonctionnaire adjoint de défense et de sécurité, chef du service de défense et de sécurité auprès de la Secrétaire générale

Auditions plénières

Mardi 4 juillet 2023

M. Pap NDIAYE, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Mardi 11 juillet 2023

Mme Sylvie RETAILLEAU, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mardi 17 octobre 2023

Mme Mickaëlle PATY, soeur de Samuel Paty.

Mercredi 15 novembre 2023

M. Stanislas GUERINI, ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Mardi 5 décembre 2023

M. Jean-Michel BLANQUER, ancien ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Mercredi 13 décembre 2023

Ministère de l'Intérieur :

- Direction générale de la Police nationale : Mmes Céline BERTHON, directrice générale adjointe, et Virginie BRUNNER, directrice nationale de la sécurité publique

- Direction générale de la Gendarmerie nationale : Général de corps d'armée André PETILLOT, major général de la gendarmerie nationale, M. Antoine LAGOUTTE, chef du bureau de la synthèse budgétaire, et M. Denis NAURET, adjoint au sous-directeur de l'emploi des forces.

Mercredi 20 décembre 2023

M. Éric DUPOND-MORETTI, Garde des sceaux, ministre de la justice.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Jeudi 11 janvier 2024 : Conflans-Sainte-Honorine (78)

Collège du Bois d'Aulne : Mme Marianne VIEL, principale

Échanges avec les équipes pédagogique (professeurs de lettres, anglais, EPS, histoire-géographie) et administrative (CPE, secrétaire de direction).

Jeudi 18 janvier 2024 : Oullins (69)

- Cité scolaire Parc Chabrières (lycée professionnel et lycée Général et technologique) : M. Raoul SAVEY, proviseur.

Échanges avec les équipes pédagogique (professeurs de théâtre, économie-gestion, français, philosophie, espagnol, physique-chimie, lettres-histoire géographie) et administrative.

- Centre scolaire Les Chassagnes (collège-lycée privé) : Mme Anne PASTUREL, directrice.

Échanges avec les équipes pédagogique (histoire-géographie, anglais, français, économie-gestion, sciences économiques et sociales) et administrative.

TRAVAUX EN COMMISSION

AUDITION DE M. PAP NDIAYE, MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE ET DE LA JEUNESSE

Mardi 4 juillet 2023

___________

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Monsieur le ministre, Monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le 16 octobre 2020, Samuel Paty était assassiné pour avoir accompli son métier d'enseignant. Cet attentat, qui a choqué la France, a tragiquement mis en lumière les pressions, menaces et agressions dont peuvent être victimes les enseignants au quotidien. Quelques jours après ce drame, nos deux commissions avaient interrogé Gérald Darmanin et Jean-Michel Blanquer sur les circonstances ayant conduit à ce meurtre et sur les réponses mises en place par le ministère de l'éducation nationale, les forces de sécurité et l'institution judiciaire pour y faire face. Plus de deux ans après les faits, l'émotion reste vive ; les pressions et les menaces exercées sur les enseignants demeurent plus que jamais d'actualité.

Afin de faire toute la lumière sur cette situation, nos deux commissions ont souhaité créer une mission conjointe de contrôle consacrée aux modalités de signalement et de traitement, par les pouvoirs publics, des pressions, menaces et agressions subies par les enseignants et les personnels de direction des établissements.

Pour notre première audition, il nous semblait important de vous entendre, Monsieur le ministre, pour évoquer plusieurs sujets relevant de vos compétences.

D'abord, nous souhaitons objectiver les pressions, menaces et violences recensées dans l'éducation nationale et comptons sur vous et vos services, non seulement pour connaître le nombre et la nature des actes commis chaque année à l'encontre des personnels enseignants et administratifs, mais aussi pour comprendre leur évolution.

Nous souhaitons également savoir comment sont pris en charge les personnels victimes d'intimidation, de menace ou d'agression. Quelles mesures concrètes ont-elles été mises en place à cet égard depuis octobre 2020 ?

Par ailleurs, des sondages réguliers soulignent le développement alarmant de l'autocensure chez les enseignants, en particulier du secondaire, dans le cadre de leur enseignement.

Enfin, nous souhaitons connaître les mesures qui ont été prises depuis deux ans et demi pour aider nos professeurs à faire face aux pressions auxquelles ils sont confrontés, que ce soit de la part d'élèves ou de parents d'élèves, à l'énoncé de simples connaissances, historiques, biologiques ou philosophiques.

Telles sont quelques-unes des questions que nous aurons l'occasion d'aborder au cours de cette audition, qui est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Nos travaux ayant obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête, je vous rappelle qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Aussi, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pap Ndiaye prête serment.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - La mission conjointe de contrôle que nous menons avec le président Laurent Lafon, munis des pouvoirs d'enquête qui nous ont été accordés par le Bureau du Sénat, a pour objectif de travailler sur les conséquences de l'assassinat dont a été victime Samuel Paty, notamment en matière de protection et d'organisation des services de l'État pour accompagner et aider dans leur mission les professeurs de l'enseignement secondaire et universitaire.

On demande beaucoup aux enseignants et aux chefs d'établissement, notamment de former notre jeunesse à l'esprit critique et à la citoyenneté. Cela n'a jamais été facile et cela l'est encore moins aujourd'hui. Dès lors, le soutien de leur hiérarchie, mais aussi de tout l'appareil d'État, nous paraît absolument essentiel.

En complément des questions du président Lafon, je souhaite vous interroger sur les relations entre l'institution scolaire, les services de sécurité intérieure et ceux de la justice. Dans le cadre de la loi confortant le respect des principes de la République, une infraction spécifique d'entrave à la fonction d'enseignant a été créée ;elle figure à l'article 431-1 du code pénal. Par ailleurs, les menaces sont réprimées par l'article 433-5 du même code. Enfin, la diffusion malveillante d'informations personnelles est désormais réprimée par l'article 223-1-1 du code pénal. Disposez-vous d'éléments sur le nombre de plaintes déposées et de poursuites engagées pour ces motifs ?

Plus largement, les échanges avec, d'une part, les services de police et de gendarmerie et, d'autre part, les renseignements territoriaux, permettent-ils un suivi des situations à risque ? Comment se passent l'accompagnement vers le dépôt de plainte et la prise en compte des menaces en cas d'incident ? Enfin, comment jugez-vous la prise en charge de ces questions par la justice ?

La question se pose au niveau des établissements comme au niveau des rectorats, et l'articulation des services est essentielle pour définir des priorités communes et échanger des informations. À l'inverse, en l'absence de ces échanges, l'enseignant risque de se retrouver seul, renvoyé d'un service à un autre, chacun ayant son objectif propre.

Nous espérons donc que des progrès ont été accomplis sur ces points.

En outre, les modalités de signalement des agressions et des formes de pression par des collègues qui en auraient été témoins méritent également notre attention. En théorie, la visée de l'article 40 du code de procédure pénale est claire et devrait conduire tout fonctionnaire témoin d'une agression dans l'exercice de ses fonctions à saisir directement le procureur de la République. En pratique, toutefois, il semble que le recours à ce mécanisme soit finalement marginal. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? Comment garantir l'effectivité de cette disposition ?

Enfin, permettez-moi de rappeler à nos collègues que le ministre ne peut pas répondre sur les faits qui font l'objet d'une enquête en cours, c'est-à-dire sur l'organisation de la protection à laquelle Samuel Paty avait droit. Notre objectif est ici de voir quelles conséquences pratiques ont été tirées de ce drame pour protéger les enseignants.

M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. - Messieurs les présidents, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord pour la création de cette mission d'information sur un sujet crucial pour les personnels de l'éducation nationale. Ce sont eux qui font notre école : nous leur devons reconnaissance, respect et protection. Garantir la protection de nos personnels est la condition sine qua non de l'exercice de leurs fonctions. Vous le savez - et l'actualité récente nous le démontre encore -, notre époque connaît de graves menaces sur nos institutions, les empêchant parfois de mener à bien leur mission. Qu'elles touchent des professeurs, des élus locaux ou des forces de l'ordre, les menaces et les pressions dont ils peuvent être l'objet sont des atteintes directes à notre République et à nos valeurs.

Certains drames nous le rappellent douloureusement, et même si la mission ne porte pas, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, sur l'assassinat de Samuel Paty et que je ne pourrai pas évoquer directement cette affaire dans la mesure où des procédures judiciaires sont en cours, j'aimerais néanmoins en préambule lui rendre hommage. Vous l'avez dit, Monsieur le président, l'émotion reste vive.

L'éducation nationale et ses personnels ne sont malheureusement pas épargnés par les multiples formes de violences - terrorisme, cyberharcèlement, délinquance, mais aussi violences liées à une pathologie mentale - qui traversent la société et qui dépassent le seul lieu de l'école. C'est pour cette raison que l'éducation nationale ne peut agir seule en ces domaines et que des coopérations renforcées existent, principalement avec le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice. Je crois savoir que vous auditionnerez mes deux collègues ministres. Ils pourront également revenir sur le travail que nous menons en coordination.

Si vous me le permettez, j'organiserai mon propos liminaire en trois grandes parties : premièrement, les constats et les chiffres ; deuxièmement, une rapide présentation des procédures de signalement ; et troisièmement, quelques pistes de consolidation de nos procédures.

Je commencerai par le constat : quelles sont les menaces, pressions et agressions qui s'exercent à l'encontre des professeurs et des agents de l'éducation nationale ? Les personnels de l'éducation nationale sont exposés depuis toujours à la violence que nous pourrions qualifier d'ordinaire. Par exemple, les professeurs des écoles subissent parfois des agressions lorsqu'ils jouent leur rôle en matière de protection de l'enfance et signalent des situations d'enfants en danger. Je pense aussi aux pressions que subissent certains professeurs de lycée au sujet des notes et de leurs conséquences plus ou moins avérées sur Parcoursup.

Avec le phénomène du harcèlement entre élèves, qui a pris une ampleur préoccupante dans sa version cyber et qui dépasse désormais largement le cadre de l'école, les équipes peuvent être régulièrement menacées ou accusées de situations de souffrance d'enfants ou d'adolescents, que ces situations relèvent réellement de harcèlement ou non. Récemment, nous avons connu un emballement médiatique et des propos d'une grande violence, notamment à l'encontre de chefs d'établissement.

Nous voyons également émerger des menaces émanant de l'extrême droite. Le collectif « Parents vigilants » n'hésite pas à dénoncer sur les réseaux sociaux et les médias la propagande LGBT ou encore « l'étude de textes immigrationnistes » dont certains professeurs seraient les responsables.

Parmi les phénomènes nouveaux, il faut ajouter les violences des élèves - parfois gravissimes et parfois en lien avec des troubles mentaux -, comme l'assassinat d'Agnès Lassalle, il y a quelques mois.

Il faut aussi évoquer les violences que des parents font subir aux enseignants par leurs menaces, de plus en plus fréquentes et décomplexées. Par exemple, le 22 juin 2023, en maternelle, une mère a menacé de mort une enseignante pour un pull oublié. L'enseignante a déposé plainte et demandé la protection fonctionnelle.

Enfin, il y a les atteintes aux principes de laïcité, qui se traduisent notamment par le port de tenues manifestant une appartenance religieuse ou par des contestations d'enseignement. Ces atteintes ont objectivement augmenté, comme en attestent les chiffres publiés tous les mois par le ministère de l'éducation nationale. Elles conduisent à des situations de tension dans les établissements, parfois à des menaces ou à des agressions qui s'exercent à l'encontre des personnels.

Comment mesurons-nous ces phénomènes ?

La direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) a mis en place deux outils statistiques pour mesurer et caractériser les atteintes envers les personnels : d'une part, l'enquête Sivis - système d'information et de vigilance sur la sécurité scolaire - et, d'autre part, les enquêtes de victimation.

L'enquête Sivis est centrée sur les faits graves portés à la connaissance des inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) chargés des circonscriptions du premier degré et des chefs d'établissement dans le second degré.

Toute atteinte portée à l'encontre d'un personnel est considérée comme un fait grave. C'est une mesure mensuelle qui porte sur un échantillon représentatif de chefs d'établissement et d'inspecteurs de l'éducation nationale. Ce dispositif mesure l'évolution de la violence en milieu scolaire, en ramenant le nombre d'atteintes graves à 1 000 élèves.

Le nombre d'atteintes déclarées est stable dans les écoles publiques et les établissements scolaires privés sous contrat. Nous ne connaissons pas encore les chiffres pour l'année scolaire 2022-2023. Ceux que nous avons portent sur l'année scolaire 2021-2022, avec 3 %o de signalements dans le premier degré, 13,5 %o de signalements dans les collèges, 5,1 %o de signalements dans les lycées d'enseignement général et technologique et 20,1 de %o signalements dans les lycées professionnels.

Dans le premier degré, 54 % des faits de violence déclarés sont commis à l'encontre d'un enseignant, 5 % le sont envers d'autres personnels. Les autres faits déclarés concernent les violences entre élèves.

Dans le second degré, 25 % des faits de violence déclarés sont commis à l'encontre d'un enseignant ; 14 % à l'encontre des autres personnels.

Dans le premier degré, les principaux auteurs de violences sont les familles. Dans, le second degré, ce sont les élèves.

Les violences signalées sont majoritairement des violences verbales : 61 % dans le premier degré, contre 78 % dans le second degré. Les violences physiques représentent 32 % des signalements dans le premier degré, 12 % dans le second degré.

En complément de ces données fournies par Sivis, qui se fondent uniquement sur des faits déclarés aux chefs d'établissement et aux inspecteurs de l'éducation nationale, nous avons des enquêtes de victimation, menées directement auprès des personnels. Elles permettent d'évaluer le climat scolaire et de mesurer les atteintes subies par les personnels, qu'elles aient été ou non signalées aux autorités académiques et/ou policières.

Le non-signalement ne doit pas être interprété systématiquement comme la crainte d'un chef d'établissement de voir la situation empirer. En fait, 65 % des cas non signalés le sont parce que l'agent de l'éducation nationale a traité lui-même la situation.

La DEPP a constitué un échantillon de 45 000 personnels du second degré, soit à peu près 10 % de la population concernée, et un échantillon de 21 000 personnes dans le premier degré. Ces enquêtes existent depuis 2011. Étendues à partir de 2019, elles montrent, à titre d'enseignement principal, que les violences les plus graves - agressions sexuelles et agressions avec arme - représentent 0,5 % de l'ensemble des déclarations, soit environ 500 faits par an.

Nous observons une augmentation des atteintes à la laïcité. Comme je le soulignais, cette augmentation s'explique en partie par un développement de la culture du signalement, que nous encourageons, qui s'installe auprès des établissements, auprès des écoles, et que nous diffusons auprès des recteurs, des chefs d'établissement et de tous les personnels.

Cependant, tous les acteurs de terrain en conviennent, il existe des entreprises locales d'entrisme religieux dans nos écoles et dans nos établissements. Depuis 2017, le ministère a renforcé ses moyens afin de soutenir ses personnels confrontés à des atteintes à la laïcité.

Premièrement, il a créé les équipes académiques « Valeurs de la République et laïcité », soit 600 personnes désignées pour répondre à tout signalement d'atteinte aux principes de laïcité et à toute demande de conseil, sur place ou par téléphone.

Deuxièmement, il a conçu « Faits Établissement », une application de signalement pour smartphone créée en 2015, accessible aux directeurs d'école et aux chefs d'établissement.

Troisièmement, enfin, il a rendu accessible sur le site officiel du ministère de l'éducation nationale un formulaire qui permet à des personnels de signaler toute difficulté directement à l'administration centrale, sans passer par la voie hiérarchique.

À partir des signalements, un état des lieux national des atteintes à la laïcité est réalisé afin d'identifier les phénomènes, de regarder les évolutions et d'adapter les réponses.

Depuis la rentrée 2022, j'ai décidé de publier mensuellement, et non plus trimestriellement, les données chiffrées relatives aux atteintes aux principes de laïcité. Cet outil de suivi et de pilotage a permis de quantifier l'augmentation des atteintes aux principes de laïcité, notamment la part croissante des ports de tenues non conformes au regard de la loi de 2004. Les signalements d'atteintes aux principes de laïcité ont progressé depuis la création de l'application, passant de 235 en mars 2018 à 625 en mai 2023.

Pour faire face à la hausse des signalements, j'ai lancé en novembre 2022 un plan de soutien aux personnels directeurs d'école et chefs d'établissement. Il trace plusieurs axes : la sanction systématique et graduée du comportement des élèves qui portent atteinte à la laïcité lorsque ce comportement persiste et après une phase de dialogue avec l'élève et la famille ; le renforcement de la protection et du soutien aux personnels ; l'appui aux chefs d'établissement en cas d'atteinte à la laïcité ; le renforcement de la formation des personnels et, en premier lieu, celle des chefs d'établissement. Sur ce point, je précise que nous aurons formé près de 10 000 chefs d'établissement à la fin de cette année scolaire ; l'année prochaine, ce sera le tour des IEN et des conseillers principaux d'éducation (CPE).

En ce qui concerne le pilotage national et déconcentré, ainsi que l'évaluation des risques, nous avons des instances à tous les échelons et une organisation des processus pour améliorer la sécurité des personnels.

Tout d'abord, au niveau national, depuis 2012, la prise en charge des phénomènes de violence au sein de l'institution scolaire s'est structurée autour du haut fonctionnaire de défense et de sécurité, placé sous l'autorité du secrétaire général, toujours issu de l'encadrement supérieur du ministère de l'intérieur.

Cette organisation est ensuite déclinée dans les académies au travers des directeurs de cabinet et des conseillers à la sécurité des recteurs, ainsi que des équipes mobiles de sécurité.

Depuis la rentrée 2021, les directions des services départementaux de l'éducation nationale (DSDEN) ont désigné à leur niveau un référent violence. Ce service de défense et de sécurité du ministère est en lien constant avec le ministère de l'intérieur. Après les attentats de 2015, la coopération a été renforcée avec les ministères de l'intérieur et de la justice grâce à des circulaires et à la mise en place de plans particuliers de mise en sûreté (PPMS). Depuis 2002, un premier PPMS concernait les événements naturels ou technologiques ; depuis 2015, un deuxième PPMS concerne les événements d'intrusion ou d'attentats. Par ailleurs, chaque rectorat dispose de son référent justice, chaque magistrature de son magistrat référent de l'éducation nationale.

Enfin, le ministère de l'éducation nationale siège à la cellule de lutte contre l'islamisme et le repli communautaire (Clir).

Au niveau local, des services déconcentrés sont également parties prenantes du pilotage de la lutte contre la violence et de la lutte contre le séparatisme. Dans chaque département, le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) siège dans différentes commissions. À l'échelon local, nous avons également une Clir, une cellule de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF) et un état-major de sécurité placé sous l'autorité du préfet de département. À l'échelle des communes, c'est le chef d'établissement qui siège dans les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

Concernant la procédure, que fait-on quand un professeur ou un personnel de l'éducation nationale est victime de pressions, de menaces ou d'agressions ?

J'ai mentionné l'application « Faits Établissement » créée en 2015 et généralisée à partir de 2017. Cette application permet aux chefs d'établissement et aux directeurs d'école de signaler des faits graves survenus dans l'espace scolaire, qu'il s'agisse de violences entre élèves, de violences envers un personnel ou d'atteinte aux valeurs de la République.

Il existe plusieurs niveaux de signalements, qui peuvent se doubler, selon l'urgence et la gravité, d'une prise de contact du chef d'établissement avec la police, la gendarmerie et la hiérarchie académique. En 2017, le ministère de l'éducation nationale a créé la cellule ministérielle de veille opérationnelle et d'alerte (CMVOA), qui reçoit les signalements pour l'enseignement scolaire et supérieur. Elle en produit une synthèse qui est communiquée chaque soir à mon directeur de cabinet, lui-même étant en lien constant avec les autorités académiques - il m'arrive également de lire ces signalements quotidiens. Dans chaque académie et en fonction de leur taille, entre quatre et dix personnes assurent la fonction de signalement et de réaction face aux faits de violence.

Pour mémoire, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République crée trois nouvelles infractions : la menace pour obtenir une dérogation aux règles de service ; l'entrave à la fonction d'enseignant par des menaces ; la diffusion d'informations à caractère privé susceptibles d'exposer un agent.

La consigne est claire : face à un fait de violence ou une atteinte aux valeurs de la République dans une école ou dans un établissement, le chef d'établissement, le directeur d'école ou l'inspecteur de circonscription est tenu de faire un signalement. Les outils conçus à cette fin sont accessibles et parfaitement connus.

De récentes enquêtes, réalisées notamment par l'Institut français d'opinion publique (Ifop), ont révélé un phénomène d'autocensure de la part des professeurs et des personnels de direction. Un professeur n'a pas à baisser la tête ni à courber l'échine. Il est le visage de la République, l'incarnation du service public d'éducation. Il est légitime par son savoir, par sa mission, par l'institution à laquelle il appartient et qui lui doit protection. J'ai eu l'occasion de l'affirmer à de nombreuses reprises, il ne saurait y avoir d'omerta dans l'éducation nationale et je serai intraitable sur cette règle.

Enfin, pour être plus forte, l'institution doit à tout prix porter un seul et même message. C'est dans cet objectif que nous avons créé, en novembre 2022, un plan de formation « Valeurs de la République et laïcité » inédit pour les personnels de direction, les proviseurs, les proviseurs adjoints les principaux et les principaux adjoints. Comme je vous le disais, près de 10 000 personnels de direction sur 14 000 ont bénéficié de ces sessions de formation. Le message est très clair : signaler, traiter et sanctionner.

Les procédures disciplinaires pour toute atteinte aux personnels sont engagées lorsqu'un personnel est victime de pressions, de menaces ou d'agressions, y compris verbales, de la part d'un élève. Le chef d'établissement est tenu d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de l'élève et, en fonction de la gravité des faits, il dispose d'un pouvoir de sanction pouvant aller jusqu'à huit jours d'exclusion. Il peut également réunir le conseil de discipline et l'échelle de sanctions permet d'aller jusqu'à l'exclusion définitive.

Concernant la protection fonctionnelle, la circulaire ministérielle du 14 août 2020 rappelle les principes de cette garantie que l'administration doit accorder dès lors qu'un agent est victime, dans l'exercice de ses fonctions, d'agissements pouvant être qualifiés d'atteinte à l'intégrité de la personne, de violence, d'injures ou de diffamation. En novembre 2022, cette circulaire a été complétée par le plan « Laïcité dans les écoles et les établissements scolaires », qui rappelle sous forme de fiches, d'une part, la marche à suivre en cas de menace sur un personnel, et d'autre part, la nécessité de proposer la protection fonctionnelle. Celle-ci consiste en la prise en charge financière des frais de justice. Elle donne la possibilité de saisir la justice et, le cas échéant, d'accompagner l'agent pour déposer plainte, de lui proposer un soutien psychologique, d'autoriser une absence en cas de besoin. Lors du dernier séminaire sur le harcèlement la semaine dernière, le porte-parole du ministère de la justice a confirmé la nécessité de ces signalements et du rapprochement entre les services de l'éducation nationale et les parquets pour faciliter le traitement de ces signalements.

Beaucoup d'étapes ont donc été franchies. Beaucoup a été fait depuis 2015, et je veux rendre hommage à mes prédécesseurs dont je poursuis le travail en adaptant l'action du ministère de l'éducation nationale aux évolutions que nous observons. J'ai demandé aux recteurs de s'assurer de la mise en oeuvre effective, dans chaque école et dans chaque établissement, des instructions relatives à la lutte contre la violence et aux atteintes aux personnels. Une instruction le précisera à la rentrée scolaire. Je ne le répéterai jamais assez : toute violence, toute atteinte aux valeurs de la République, doit être signalée et, le cas échéant, sanctionnée.

J'ai évoqué le projet de décret actuellement soumis au Conseil d'État, qui rendra obligatoire la mise en place d'une procédure disciplinaire en cas d'atteinte aux valeurs de la République. Ce décret vise à renforcer la légitimité des équipes et à montrer la détermination de l'institution. Je crois beaucoup dans la formation des personnels. Comme le montre la récente enquête de l'Ifop, il y a encore à faire dans ce domaine. Elle montre aussi, cependant, que les professeurs formés se sentent plus légitimes et plus outillés pour aborder les parties des programmes susceptibles d'être contestées. C'est pourquoi - sans vouloir aucunement relativiser des phénomènes réellement inquiétants - l'augmentation des signalements d'atteintes aux principes de laïcité manifeste sans doute aussi la prise de conscience des chefs d'établissement que le signalement n'est pas un aveu de faiblesse.

Voilà donc les étapes que nous suivons. Du point de vue de la mise en oeuvre des mesures, de la formation, de la protection des personnels, beaucoup a été fait. Nous avons certainement encore à faire.

M. Jacques Grosperrin. - Monsieur le ministre, au moment du drame du 16 octobre 2020, vous n'étiez pas en poste, mais vous avez dit depuis qu'il est de votre devoir d'assurer la protection de vos personnels. Vous avez cité des chiffres du ministère auxquels je voudrais répondre par un sondage de l'Ifop concernant les atteintes à la laïcité dues à l'expression du fait religieux à l'école, entre 2018 et 2022. Durant cette période, le nombre de professeurs qui affirment s'être autocensurés, pour éviter tout incident, est passé de 36 % à 56 %. Ces éléments font naître en moi le sentiment qu'il y a un problème de ligne au sein du ministère de l'éducation nationale : en règle générale, il s'agit de ne pas blesser quiconque. D'ailleurs, depuis le rapport que j'avais produit en 2015, intitulé Faire revenir la République à l'école, jusqu'au drame du 16 octobre 2020, rien n'a changé.

L'institution scolaire est encore et toujours sous l'emprise des préceptes de Jules Ferry. En effet, feriez-vous encore vôtre la recommandation qu'il a adressée aux instituteurs dans sa lettre du 27 novembre 1883 ? « Avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre sagesse, c'est la sagesse du genre humain. »

En faisant, bien sûr, la part des changements qui se sont produits depuis lors, j'ai le sentiment que les services du ministère suivent cette philosophie de Jules Ferry. Or tant que l'on n'arrivera pas à la dépasser, on n'arrivera pas non plus à éviter ces drames.

M. François Bonhomme. - Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt. Vous avez évoqué les moyens de développer une culture du signalement. Cet ensemble de mesures va au moins permettre de mesurer le phénomène nouveau qui concerne l'enregistrement des atteintes à la laïcité. En revanche, ce que j'attends de vous, monsieur le ministre, c'est que vous preniez des décisions claires.

À la rentrée 2022, à Montauban, des élèves de plus en plus nombreuses sont venues vêtues d'une abaya. Nous avons engagé une médiation, laquelle n'a pas abouti. Une professeure qui avait fait une remontrance à l'une des élèves portant une abaya a été menacée de mort et a été mise sous protection policière. Je vous ai interrogé en novembre dernier sur la directive claire que vous entendiez donner quant à l'appréciation du caractère religieux du port d'un vêtement spécifique. Vous aviez alors répondu que cette appréciation relevait du chef d'établissement. Cela signifie que la pression s'est déplacée sur le chef d'établissement. Or, depuis 1989, avec l'affaire du collège de Creil, les signes et manifestations religieux sont de plus en plus prégnants. La loi de 2004 sur le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse ne concerne que l'école pour la protéger contre ce type d'influence de la société.

Vous dites vouloir défendre l'école publique et ses principes. Malheureusement, vous ne prenez pas de décisions. Cet atermoiement, ce refus de trancher, donne lieu à une situation de confusion qui ne fait qu'aggraver les choses. Vous vous abritez derrière une question juridique, Monsieur le ministre - l'abaya est-elle un signe religieux ? -, au motif qu'une interdiction serait susceptible d'entraîner des recours, et donc une annulation de la décision. Mais, en attendant, les chefs d'établissement ne peuvent plus supporter la pression extérieure.

Nous avions déposé une proposition de loi pour rendre obligatoire le port d'une tenue commune. C'est un facteur de cohésion, une cohésion qui fait actuellement défaut, et qui permet de résoudre le problème des signes religieux à l'école. Cela permet, surtout, de relégitimer l'autorité du professeur en sanctuarisant, si j'ose dire, ce lieu tout à fait particulier que nous devons protéger.

Monsieur le ministre, j'aimerais que vous preniez des décisions claires pour rompre cette ambiguïté et rendre ainsi concret le principe de laïcité. C'est ce que l'on attend d'un ministre !

Mme Sylvie Robert. - Monsieur le ministre, je vous remercie pour la présentation des diverses mesures qui ont été prises depuis ce drame : des préconisations intéressantes dans le rapport de 2020, la circulaire de novembre de la même année, ainsi que la loi du 24 août 2021. J'aimerais ainsi vous poser trois questions.

Premièrement, à propos de la protection fonctionnelle, disposez-vous d'éléments statistiques sur le recours à ce dispositif pour les enseignants ? Connaissez-vous le nombre de demandes, la proportion des mécanismes mis en oeuvre, le pourcentage de refus et, surtout, le délai moyen de réponse ? Il importe de mesurer leur efficacité.

Deuxièmement, l'article 431-1 du code pénal prévoit, depuis la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, de sanctionner, comme vous l'avez mentionné, le fait d'entraver l'exercice de la fonction d'enseignant. À votre connaissance, cet article a-t-il déjà donné lieu à des condamnations ?

Troisièmement, dans le domaine du numérique, l'ensemble des services académiques est-il désormais pourvu de cellules de veille des réseaux sociaux ?

M. Henri Leroy. - Monsieur le ministre, selon L'Autonome de solidarité laïque, sur 50 000 professeurs sondés, 55 % affirment qu'il est porté atteinte à la laïcité à l'intérieur de l'école, et 51 % veulent quitter leur métier. Que prévoit le ministère de l'éducation nationale pour protéger un professeur et son établissement face à des menaces proférées par des parents d'élèves motivées par des considérations religieuses ?

Près de trois ans après l'assassinat de Samuel Paty, les professeurs disposent-ils d'un kit pédagogique sur les éléments de langage à tenir, sur les attitudes de solidarité à avoir, sur la manière de s'opposer à une menace extérieure et sur les procédures spécifiques à suivre pour accéder rapidement à un service interne ou externe de protection ?

Avons-nous renforcé, en période de crise, l'accompagnement des chefs d'établissement et du corps enseignant ?

Au collège du Bois d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, un signalement pour fait d'établissement est remonté à l'académie de Versailles et au ministère. Aujourd'hui, près de 50 faits d'établissement sont relayés au ministère, semble-t-il. Comment et par qui sont-ils traités ?

Enfin, pouvez-vous nous parler des actions et des résultats du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République dont vous avez considérablement étendu les missions ?

M. Pap Ndiaye, ministre. - Je commence par cette belle citation de Jules Ferry : « Parlez hardiment de la sagesse du genre humain. » Je ne vois pas en quoi cette citation serait aujourd'hui dépassée. Au contraire, c'est une manière de dire aux professeurs : n'ayez crainte, adressez-vous directement aux élèves, ne reculez pas devant les menaces ni les contestations pédagogiques.

À cet égard, je souligne que les contestations pédagogiques tendent à passer dans l'ombre, si j'ose dire, par rapport aux signalements de tenues religieuses. Nous y prêtons pourtant une très grande attention, compte tenu du fait qu'elles se logent dans des disciplines et des questions parfois inattendues, telle la contestation de la préhistoire.

Je peux donc reprendre à mon compte le propos de Jules Ferry. En revanche, nous disposons désormais de services déconcentrés de l'éducation nationale et nous sommes aux antipodes d'une politique qui nous dicterait de ne pas faire de vagues. Si c'était le cas, nous ne publierions pas chaque mois les chiffres relatifs aux atteintes à la laïcité ni ceux qui concernent les violences subies par les agents de l'éducation nationale. Il est évident qu'il faut procéder à ces signalements, ces faits doivent être connus parce que la connaissance est la première étape pour combattre et faire reculer les forces hostiles au savoir et à l'école de la République.

Monsieur Bonhomme, au lycée Bourdelle à Montauban, au moment des vacances de la Toussaint, il y avait de mémoire une vingtaine de cas de jeunes filles portant des abayas, contre deux à la rentrée de novembre, puis un seul cas, qui a donné lieu à un conseil de discipline en novembre. L'académie de Toulouse s'est penchée avec beaucoup de vigueur sur le cas du lycée Bourdelle.

C'est pour moi l'occasion de dire que nous avons besoin d'une cartographie nationale sur ce sujet. Il ne concerne d'ailleurs qu'un certain nombre d'établissements, peu nombreux, mais qui concentrent un nombre élevé de signalements.

La circulaire de novembre 2022 visait à répondre à la hausse des signalements pour tenue religieuse. Depuis la loi de 2004 et a fortiori depuis le début des années 2000, les tenues ou les signes religieux à l'intérieur de l'école ont évolué. À l'époque, il s'agissait du voile, dont le port est devenu aujourd'hui anecdotique. Nous rencontrons à l'heure actuelle des tenues qui manifestent une intention religieuse. C'est sur ce point que nous nous heurtons à des difficultés d'interprétation.

La règle, pourtant, à laquelle je suis très attaché, doit rester l'application stricte de la loi de 2004.

Quant à votre proposition d'une tenue commune, si vous avez la curiosité de regarder ce qui se passe à l'étranger, vous observerez que les élèves parviennent à contourner la contrainte en agrémentant leur tenue de signes. D'ailleurs, libres aux établissements, par modification du règlement intérieur, de proposer le port d'une tenue commune !

M. François Bonhomme. - La loi peut le faire aussi.

M. Pap Ndiaye, ministre. - Comme je vous le disais, je n'y suis pas favorable dans la mesure où elle ne résout pas le problème.

Madame Sylvie Robert, nous avons recensé, pour l'année 2022, 2 739 demandes de protection fonctionnelle pour les personnels enseignants des premier et second degrés et 994 demandes pour les autres personnels ; 77 % de ces demandes ont été approuvées. Les situations de refus sont notamment liées au fait que la protection fonctionnelle doit être accordée à un agent se trouvant dans l'exercice de ses fonctions, non pas en dehors de celles-ci.

En outre, et c'est très net depuis l'assassinat de Samuel Paty, la protection fonctionnelle peut être accordée directement par l'administration de l'éducation nationale sans que l'agent ait à en formuler la demande.

À propos des cas d'entrave à la fonction d'enseignant, une première condamnation a été prononcée le 13 septembre 2022 par le tribunal correctionnel du Puy-en-Velay contre un parent d'élève. La peine était de douze mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits commis à l'encontre de l'institution et d'un principal de collège - il s'agit là d'un cas d'entrave à la fonction de personnel de direction. D'autres affaires sont peut-être en cours d'instruction à l'heure actuelle.

À propos des cellules de veille des réseaux sociaux, une cellule de veille existe à l'échelle du ministère et dans chaque académie, ce travail étant confié au service de communication. Toutefois, il faut rappeler avec modestie que l'intégralité des violences et du cyber-harcèlement n'est pas facile à détecter sur les réseaux sociaux. J'ai rencontré les responsables des grands réseaux sociaux il y a quelques semaines pour voir comment nous pourrions avancer ensemble sur ces questions, car, même avec l'entrée en vigueur du règlement européen sur les services numériques (DSA) le 25 août prochain, nous avons besoin de leur aide pour identifier les menaces susceptibles de peser sur les agents de l'éducation nationale ou sur les élèves.

Monsieur Henri Leroy, la protection des professeurs passe par la formation de nos personnels : entre 250 000 et 300 000 personnels sont aujourd'hui formés. Elle passe aussi par le travail des équipes du plan Valeurs de la République et laïcité, auxquelles je voudrais rendre hommage : elles se déplacent fréquemment sur le terrain pour assister les personnels.

L'application « Faits Établissement » permet aussi d'avoir une photographie de la situation, avec plusieurs niveaux d'alerte, y compris un niveau maximal, le niveau 4, qui déclenche l'attention de notre cellule nationale. Le niveau 3 alerte le rectorat ; le niveau 2 alerte la direction académique ; le niveau 1 concerne des faits moins importants et appelle des réponses au niveau de l'établissement.

Monsieur le sénateur, je ne dis pas que tout est parfait. Je vous présente nos actions en vous disant que nous allons aussi loin que possible, et je salue la fluidité des liens de coopération qui fonctionne de manière satisfaisante avec les ministères de l'intérieur et de la justice, au niveau tant national que départemental. Nous devons certes continuer d'avancer, mais nous avons déjà beaucoup progressé.

- Co-présidence de Mme Agnès Canayer, secrétaire de la commission des lois -

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Monsieur le ministre, face à la recrudescence des actes de violence envers les enseignants, qui se dévouent chaque jour pour transmettre le savoir à nos enfants, il est crucial que des mesures soient mises en oeuvre pour garantir leur sécurité. Il est inconcevable, dans notre République, que certains d'entre eux vivent dans la peur, subissent des intimidations et des violences verbales et parfois physiques. Les politiques publiques doivent être adaptées à un climat social devenu imprévisible, plus instable, plus violent.

Ainsi, j'aimerais connaître les actions entreprises par votre ministère pour détecter les signaux faibles en vue d'agir rapidement en cas de situations à risque. J'entends par là les premiers signes de contestation d'un élève ou d'un parent. En effet, il ne faut pas attendre un geste physique pour caractériser une agression. Quelles sont les directives transmises aux enseignants ? Dans la mesure où chaque enseignant - en particulier quand il débute - peut avoir sa propre analyse de ce type de signaux, proposez-vous un référentiel ?

Il est urgent que le Gouvernement mette en place une politique de tolérance zéro pour que les auteurs de pressions, menaces et agressions soient poursuivis et condamnés avec la plus grande fermeté.

Mme Monique de Marco. - Monsieur le ministre, vous avez dit croire en la formation du personnel de l'éducation nationale. Quelque 10 000 chefs d'établissements ont déjà été formés, nous dites-vous, ainsi que 250 000 professionnels de l'éducation. De quel type de formation s'agit-il ? Cette formation est-elle volontaire ? Se déroule-t-elle sur le temps d'exercice ou le temps libre des personnes concernées ?

Les résultats de l'enquête Sivis sur les atteintes graves, notamment au collège, inquiètent l'ancienne enseignante que je suis. Vous avez évoqué les sanctions infligées aux élèves, soit une procédure disciplinaire graduée pouvant aller jusqu'à l'exclusion. Or, un collégien exclu est transféré vers un autre établissement, ce qui déplace le problème sans le résoudre. Ne faudrait-il pas plutôt repenser la question des sanctions ? Pourrait-on imaginer une sanction qui lui soit profitable sans recourir à l'exclusion ?

Mme Céline Brulin. - Ma question fait écho à celle du président Buffet, puisqu'elle porte sur les liens avec les renseignements territoriaux. Comment l'éducation nationale peut-elle aider ces derniers à prendre la mesure des menaces ? Pouvez-vous nous partager des exemples concrets d'interventions de référents laïcité auprès des enseignants ? Quelle est la nature des aides et des conseils qu'ils sont à même de leur prodiguer ?

Vous avez expliqué que la veille effectuée sur les réseaux sociaux était menée par une cellule spécifique à l'échelle nationale, puis par les services de la communication des rectorats. Quels sont les effectifs dédiés à cette mission ? Vous paraissent-ils suffisants ? Je n'ai pas l'impression que ce soit le cas.

Enfin, ma dernière question pourra sembler un peu provocante : le fait que le Président de République soit amené à faire des annonces qui ne relèvent pas de sa fonction ne participe-t-il pas à l'affaiblissement de l'autorité de l'éducation nationale ?

Mme Marie Mercier. - Monsieur le ministre, j'aimerais avoir des éclaircissements sur un cas pratique.

Un élève a fait preuve d'un comportement inadéquat envers un professeur ; une sanction est décidée et appliquée. La semaine suivante, il récidive. Cependant, lorsque le professeur réclame une sanction, le chef d'établissement refuse sous prétexte que l'élève a déjà été sanctionné. En résumé, il a appliqué la règle du droit commun du non bis in idem. Mais un collège n'est pas un tribunal ! Est-il vrai qu'une directive interdit de sanctionner deux fois un élève pour la même chose ? Sinon, je vous prie de rétablir la vérité auprès des chefs d'établissement qui, peut-être, opèrent des transpositions du droit sans fondements, sans quoi certains comportements inacceptables seront de plus en plus difficiles à sanctionner.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Monsieur le ministre, vous avez affirmé que l'école n'est pas épargnée par les courants qui traversent la société. En effet, j'estime que l'école n'est pas en marge de la société, elle en est le fondement. Or, vos prises de position sont catégoriques sur certains sujets, mais hésitantes sur d'autres. Certes, il n'est pas demandé aux ministres d'être omnipotents, mais lorsque la situation l'exige, leur main doit faire preuve de fermeté.

Vous avez dit à plusieurs reprises que l'abaya était un « vêtement religieux par destination », d'où la difficulté de trancher sur le fait qu'il puisse ou non être porté dans les établissements scolaires. Or, en 2004 notamment, le Parlement a été en mesure de légiférer sur le port du voile. Bien que vous hésitiez au sujet de l'abaya, votre position semble tranchée sur le port d'un vêtement commun aux établissements scolaires. J'ai aussi beaucoup défendu cette idée, qui n'est sans doute pas la panacée, mais qui permet néanmoins de renforcer le sentiment d'appartenance et constitue un outil pour la communauté éducative. Les établissements auraient la souplesse nécessaire dans le choix de la tenue réglementaire. Il reste que, sans loi, la tenue commune ne va pas s'imposer. En effet, des expérimentations ont montré que cette mesure n'est pas suivie d'effets. Nous souhaitons qu'un débat soit mené sur cette question, et sommes soutenus sur ce point par des députés de votre majorité. Or, vous le refusez catégoriquement, au prétexte que la question pourrait être détournée. Si chaque fois qu'il nous fallait légiférer, nous nous abstenions face au risque de « détournement », aucune loi ne serait jamais adoptée. Je vous demande donc, monsieur de ministre, de revenir sur votre position et de dire si vous êtes disposé à ouvrir un dialogue sur ce sujet, qui me paraît important et peut s'avérer un outil efficace dans les situations difficiles que nous connaissons.

Mme Toine Bourrat. - Les enseignants éprouvent de plus en plus de difficultés à faire respecter leurs décisions, notamment en raison des parents qui, s'ils remettent rarement en cause la parole de leurs enfants, contestent celle de l'enseignant, ses remarques, ses sanctions, le contenu de ses cours, les notes qu'il attribue. Ce phénomène s'est amplifié depuis la réforme du baccalauréat et l'instauration du contrôle continu, puisque les enseignants subissent désormais des pressions des parents, voire de leur hiérarchie, pour améliorer les notes.

Cette remise en cause de l'autorité de l'enseignant est nouvelle. Pourquoi, selon vous, se développe-t-elle aujourd'hui ? Comme l'impunité entraîne la récidive, je souhaite également connaître vos propositions pour restaurer le respect envers les enseignants et mettre fin à la dérive actuelle.

M. Stéphane Piednoir. - À l'évidence, sur le papier du moins, de nombreux dispositifs et structures existent pour écouter et recueillir la parole des enseignants. Moi aussi, j'ai été enseignant et je sais donc qu'à la source des remontées de terrain et des sanctions éventuelles à l'encontre des élèves se trouvent les conseils de discipline. Or les chefs d'établissement essaient parfois de les étouffer afin de ne pas nuire à leur réputation ou à celle de leur établissement.

Comme l'indiquait M. Bonhomme précédemment, peut-être manque-t-il une volonté politique qui efface les hésitations entourant la tenue de conseils de discipline lorsque des dérives sont constatées, qui mette fin à l'omerta et la résignation.

Quelles directives claires donnez-vous aux enseignants et aux chefs d'établissement pour enclencher les procédures dès l'apparition des premiers troubles et se confronter le plus tôt possible aux agressions dont ils sont victimes ?

Mme Sonia de La Provôté. - Monsieur le ministre, vous avez parlé d'un taux de signalement de 3 %o, ce qui, concrètement, représente tout de même près de 21 000 signalements. Il faut afficher les chiffres tels qu'ils sont, non pas pour faire peur, mais pour nous faire prendre conscience de la situation telle qu'elle est.

Une étude est-elle réalisée au sujet de ces signalements ? Elle pourrait porter, par exemple, sur l'âge des élèves mis en cause, sur la mise en évidence d'une sectorisation géographique, sur des différences de taux selon que les établissements concernés se situent dans un quartier en difficulté ou privilégié, ou, à l'inverse, pourrait pointer le caractère systémique de ce phénomène, observable dans des établissements de tout type. Lorsque le diagnostic est précis, le traitement choisi est le bon.

La commission de la culture a organisé de nombreuses auditions, notamment lors de l'émergence du hashtag #PasDeVague, encore très utilisé sur Twitter. J'ai en mémoire une audition difficile à vivre, un témoignage à huis clos, au cours duquel fut formulée la proposition de ne pas affecter les enseignants novices dans les établissements repérés comme les plus violents ou les plus exposés aux risques d'entrisme religieux et d'atteintes à la laïcité, où l'enseignement de certains éléments de notre histoire commune, comme la Shoah, est rendu difficile. Est-il envisagé d'affecter les enseignants les plus expérimentés à ces établissements, par exemple par des postes à profil ?

Je souhaite également évoquer la question des écoles hors contrat. Ces dernières signalent-elles également des incidents, des accidents, voire des délits ? Entre-t-il dans les attributions de votre ministère d'opérer une surveillance particulière de ces établissements sur ces sujets ?

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Un communiqué du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République daté du 14 janvier 2022 relatait un incident au cours d'une formation sur les valeurs de la République, qui illustrait un problème d'entrisme au sein des enseignants dans un établissement de l'académie de Créteil. Les enseignants ont dénoncé un contenu qu'ils estimaient islamophobe. Les formateurs ont par la suite déposé plainte et l'affaire s'est propagée sur internet. Ces faits sont-ils marginaux ou vous a-t-on signalé d'autres faits similaires ? Quelles sont les réponses déployées par le ministère lorsque de telles dérives sont constatées ?

Je souhaite également aborder la question des programmes, non pas de leur application, mais de leur rédaction, notamment de vos liens avec le Conseil supérieur des programmes. Au cours de vos échanges, a-t-il été question de sujets à éviter pour ne pas mettre les enseignants en difficulté lors de leurs cours ? Le Conseil souhaitait-il supprimer des thématiques pourtant nécessaires ?

Enfin, le Conseil des sages de la laïcité avait demandé qu'une journée du temps scolaire, au cours de la semaine du 16 octobre, soit consacrée à la commémoration de l'attentat contre Samuel Paty ainsi qu'à la transmission des valeurs de la République. Quel est votre point de vue sur cette proposition ?

M. Pap Ndiaye, ministre. - Madame Borchio Fontimp, nous avons en effet une grille d'indicateurs de la violence, qui prend en compte les signaux faibles. Par exemple, elle comprend une rubrique pour les « moqueries ou insultes », mais aussi une qui concerne les refus ou contestations d'enseignement. Nous sommes très attentifs à ce que les chefs d'établissement signalent des altercations, même les plus mineures, notamment avec des parents inhabituellement agressifs venus contester une note ou une appréciation de fin de trimestre. Nous répertorions ces signes, même en l'absence de réponse immédiate. En effet, je pense qu'il est important d'être attentif aux signaux faibles, sans pour autant réagir de manière exagérée dans des établissements scolaires qui connaissent des tensions, des éclats de voix, à l'instar de n'importe quelle autre communauté humaine. Notre niveau d'attention reste néanmoins élevé à l'égard de tout ce qui pourrait être perçu comme un début de menace.

Madame de Marco, la formation est obligatoire pour le personnel enseignant et le personnel de direction. Sauf erreur de ma part, elle est d'une journée pour les chefs d'établissement et de deux jours pour les professeurs - je vous le confirmerai.

Vous avez souligné que le niveau de signalements dans les collèges était préoccupant. En effet, les résultats de nos enquêtes indiquent que les collèges présentent des phénomènes de violences et des atteintes à la laïcité bien plus nombreux que les autres établissements, primaires et lycées.

Au cours de l'année scolaire 2021-2022, nous avons enregistré 19 178 exclusions définitives en collège, 3 724 en lycées généraux et technologiques et 4 688 en lycées professionnels, soit un total de 27 590 exclusions définitives. Ces chiffres n'incluent pas les exclusions temporaires ni les autres sanctions, mais ils montrent, monsieur Piednoir, que les conseils de discipline se réunissent bel et bien de manière fréquente.

Lorsque les élèves exclus sont encore soumis à l'obligation de scolarisation, ils sont transférés vers un autre établissement, avec suivi. Ainsi, depuis quelques années, émerge le phénomène d'élèves poly-exclus, qui ne restent jamais longtemps dans un établissement précis compte tenu de leur comportement. Pour eux, l'éducation nationale a développé des « classes relais », dont j'ai pu découvrir le fonctionnement lors d'une visite dans l'académie de Besançon, afin de tenter de mettre fin à ce cycle infernal d'exclusions à répétition. Nous devons porter une attention particulière à ces élèves poly-exclus dont le comportement perturbe les communautés éducatives dans lesquelles ils s'inscrivent, et qui cumulent souvent les difficultés : enfants placés, situations sociales précaires...

Madame Brulin, les liens avec les renseignements territoriaux, notamment les services de police et de gendarmerie, s'établissent au niveau des Dasen. Des demandes d'habilitation « défense » ont d'ailleurs été faites et accordées. Tous les Dasen et leurs adjoints, ainsi que les recteurs et leur directeur de cabinet - je suppose -, peuvent donc accéder à des informations très confidentielles.

L'organisation de la veille sur les réseaux sociaux dépend de la taille des académies. Au ministère, nous avons des équipes dédiées, aussi bien au sein de la délégation à la communication (Delcom) que de la CMVOA. Je pourrai vous transmettre des précisions écrites avec les effectifs détaillés par académie.

Madame Mercier, un même acte ne peut pas être jugé deux fois. Néanmoins, si l'acte se répète deux fois, il sera sanctionné deux fois. J'échangerai avec vous sur l'exemple spécifique que vous mentionnez, mais il est évident qu'un acte répréhensible, lorsqu'il est réitéré, peut faire l'objet de sanctions répétées, y compris s'il est strictement identique.

Madame Boulay-Espéronnier, vous m'invitez à un débat sur la tenue commune d'établissement. Sachez que je suis un homme de dialogue. J'ai d'ailleurs pu échanger avec des députés, qui ont constitué un groupe de travail sur cette question, et je serai heureux d'échanger également avec vous. Je ne suis pas réticent au débat, y compris sur la question des uniformes. Vous avez mentionné, avec pertinence, la notion de sentiment d'appartenance. Les études internationales dont nous disposons soulignent l'importance de cette notion.

Madame de La Provôté, votre question concernant une lecture géographique et sociologique est très intéressante, mais je ne suis pas certain d'être en mesure d'y répondre. Je vais me pencher sur la question, car je n'ai pas à l'esprit des données qui permettraient d'établir des profils particuliers des responsables de violences ou de menaces. Je reviendrai vers vous par écrit.

Si nous ne comptions que sur les volontaires pour enseigner dans les établissements difficiles, nous aurions bien du mal à réunir les effectifs nécessaires. Pour pallier cette situation, nous proposons des incitations, par exemple des primes, qui peuvent être élevées : plus de 5 000 euros par an pour les enseignants en réseau d'éducation prioritaire renforcé (REP+). J'en profite pour présenter un dispositif récemment développé en Seine-Saint-Denis : une prime de 10 000 euros versée à tous les agents publics ayant exercé cinq ans dans le département. Cette dernière a pour objectif de stabiliser les effectifs, notamment dans les établissements scolaires. Néanmoins, parce que le dispositif est nouveau, nous ne disposons pas encore d'étude sur ses effets.

Les écoles hors contrat font l'objet d'une surveillance de notre part, car, depuis l'instauration de la loi pour une école de la confiance, elles doivent obéir à un socle minimal de valeurs et d'enseignements. Une infraction peut justifier une mise en demeure, voire la fermeture de l'établissement concerné. Par exemple, s'il est permis de séparer les élèves filles et garçons, il est interdit de proposer un enseignement différent selon le sexe. Ce contrôle des établissements hors contrat se fait en lien avec les préfectures. Dans chaque département, à l'échelle des Dasen, un inspecteur est spécifiquement dédié à ce profil d'établissements, dont les effectifs sont encore marginaux, mais en croissance légère. Ils ne sont donc pas hors de nos radars, mais font l'objet d'un travail conjoint des équipes de l'éducation nationale et des préfectures, qui nous ont d'ailleurs remonté certaines alertes.

Madame Bourrat, votre question sur le rôle des parents m'invite à une remarque plus générale sur la contestation de l'autorité du savoir. Un certain nombre de professions font actuellement face à des contestations nouvelles. Je pense notamment aux médecins, à l'hôpital ou en cabinets libéraux, qui font état de relations dégradées avec leurs patients. Cette contestation va donc bien au-delà de la seule éducation nationale. Nous avons en effet besoin de réaffirmer l'autorité du professeur. J'aime à dire que la finalité de l'école, c'est l'éducation et la réussite des élèves. Cependant, ce sont moins les élèves qui sont au coeur de l'école, que les savoirs et ceux qui les transmettent. J'accorde donc une place centrale aux professeurs. Par conséquent, la question que notre société doit se poser est la suivante : quelle place souhaitons-nous donner collectivement aux enseignants ? De la réponse apportée dépend l'avenir de l'éducation nationale. Revaloriser cette profession est nécessaire, et nous le ferons dès la rentrée prochaine par des augmentations de rémunération, mais nous ne pourrons faire l'économie d'une revalorisation morale et symbolique des professeurs et des savoirs qu'ils transmettent aux élèves, savoirs qui ne sauraient faire l'objet de contestation, de moquerie ou de remise en cause. Nous avons à revaloriser la place qui est due aux professeurs.

Monsieur Piednoir, j'ajoute aux chiffres mentionnés au sujet des conseils de discipline la circulaire de novembre 2022, qui indique qu'en cas de pressions exercées sur les enseignants ou le chef d'établissement un conseil de discipline peut être délocalisé dans un autre établissement ou un service départemental de l'éducation nationale, afin d'échapper à une situation entravant la sérénité et les libertés des échanges. Nous sommes donc attentifs aux conditions dans lesquelles se tiennent ces conseils de discipline et les chiffres montrent que, malheureusement, ces derniers se réunissent fréquemment.

Monsieur le président, je n'ai pas connaissance des faits que vous évoquez et vous répondrai donc à l'écrit sur ce sujet.

Le conseil supérieur des programmes établit les programmes en toute liberté, et heureusement ! Il compte d'ailleurs des parlementaires parmi ses membres, qui permettent d'attester de sa liberté. Une autocensure de ce conseil serait parfaitement inadmissible. Malgré tout, au-delà de la rédaction, il faut faire preuve de vigilance sur l'application des programmes, une mission confiée à l'inspection générale.

J'en profite pour préciser que j'ai saisi le président du conseil supérieur des programmes à propos de la réforme de l'enseignement moral et civique. Les heures consacrées à cet enseignement seront doublées au collège, passant de 18 heures à 36 heures par an, et son contenu sera entièrement repensé. Le conseil s'est donc saisi de cette réforme indispensable.

Je n'avais pas souvenir de cette proposition du Conseil des sages au sujet d'une possible commémoration de l'assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre. Dans tous les établissements, cette date fait déjà l'objet d'une commémoration, dont le déroulé est laissé au libre soin de chaque établissement. J'indique également la date du 9 décembre, qui marque la journée annuelle de la laïcité et offre donc l'occasion d'insister sur ce principe fondateur.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Je vous remercie, monsieur le ministre.

AUDITION DE MME SYLVIE RETAILLEAU, MINISTRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE

Mardi 11 juillet 2023

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M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Madame la ministre, madame le président, mes chers collègues, nous reprenons nos travaux engagés la semaine dernière avec l'audition du ministre de l'éducation nationale. Le corps enseignant est victime au quotidien de pressions, de menaces et d'agressions, que l'assassinat de Samuel Paty en octobre 2020 a tragiquement mis en lumière. Plus de deux ans après les faits, ces violences morales et physiques restent d'actualité.

Afin de faire toute la lumière sur cette situation, la commission des lois et la commission de la culture ont souhaité créer une mission conjointe de contrôle consacrée aux modalités de signalement et de traitement des pressions, menaces et agressions subies par les enseignants. Il nous a semblé important d'inclure dans cette analyse la situation de l'enseignement supérieur, bien qu'elle soit peu comparable à celle de l'éducation nationale. C'est pourquoi nous vous remercions, madame la ministre, d'avoir accepté notre invitation pour aborder cette problématique.

Nous souhaitons tout d'abord définir objectivement les pressions, menaces et violences dont sont victimes les chercheurs, les enseignants-chercheurs et le personnel de l'enseignement supérieur dans sa globalité. Pour ce faire, nous aimerions connaître le nombre et la nature des actes commis chaque année à l'encontre des personnels enseignant et administratif, mais aussi comprendre leur évolution.

Nous souhaitons également savoir comment sont pris en charge les membres du personnel victimes d'intimidations, de menaces ou d'agressions. Des mesures concrètes ont-elles été prises à ce sujet depuis octobre 2020 dans votre champ de compétences ?

Le code de l'éducation promet une protection spécifique pour permettre aux personnels de l'enseignement supérieur d'« exercer leur activité d'enseignement et de recherche dans les conditions d'indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle ». Constatez-vous des menaces sur les libertés académiques, qui nous sont particulièrement chères ? Quelles mesures ont été prises pour les protéger ?

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Nos travaux ayant par ailleurs obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête, je vous rappelle qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Aussi, je vous invite, madame la ministre, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sylvie Retailleau prête serment.

Mme Catherine Di Folco, vice-président de la commission des lois, rapporteur, en remplacement de M. François-Noël Buffet. - Je tiens tout d'abord à excuser l'absence du président François-Noël Buffet.

Madame la ministre, la liberté est le principe de l'enseignement supérieur et de la recherche : liberté d'enseignement, liberté des étudiants adultes. C'est par nature un monde de débats, voire de controverses. Mais l'actualité des dernières années a aussi été marquée par des événements dans les universités tendant à interdire le débat, en faisant pression pour empêcher l'expression des points de vue.

Des groupes ont ainsi jugé légitime de désigner à la vindicte populaire des enseignants, d'empêcher des conférences ou d'interrompre des pièces de théâtre dont la mise en scène ne leur convenait pas. La pression de groupes radicaux sur les universités, sur les enseignants et sur les chercheurs nous conduit à nous interroger sur les moyens mis en oeuvre pour les protéger.

Je souhaite donc vous interroger sur les relations entre l'enseignement supérieur, la recherche, les services de sécurité intérieure et la justice.

Plus largement, les échanges avec les services de police et de gendarmerie et avec les renseignements territoriaux (RT) permettent-ils un suivi des situations à risque ? Comment se passe l'accompagnement vers le dépôt de plainte et la prise en compte des menaces en cas d'incident ? Comment jugez-vous la prise en charge de ces questions par la justice ?

En outre, les modalités du signalement des agressions et des formes de pression par des collègues qui en auraient été témoins méritent également notre attention. En théorie, l'objectif de l'article 40 du code de procédure pénale est clair et devrait conduire tout fonctionnaire témoin d'une agression dans l'exercice de ses fonctions à saisir directement le procureur de la République. En pratique, toutefois, il semble que le recours à ce mécanisme soit marginal. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? Comment garantir l'effectivité de cette disposition ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez souhaité élargir le champ de votre commission d'enquête aux signalements et traitements des pressions, agressions et menaces que peuvent subir les chercheurs et enseignants-chercheurs. Vous avez décidé de dédier une partie de vos travaux à la question de leur protection et de leur sécurité, et je tiens à vous en remercier.

Garantir la sécurité de nos personnels, c'est la condition indispensable au bon exercice de leurs fonctions, des fonctions importantes, car ils ont pour mission de repousser toujours les frontières de la connaissance et d'en garantir la transmission.

Je commencerai mon propos en présentant les spécificités de l'enseignement supérieur.

Tout d'abord, les universités sont autonomes. Je souhaite insister sur ce point, car il implique d'importantes différences de fonctionnement et d'organisation par rapport aux établissements relevant de l'éducation nationale.

Je ne suis pas l'autorité hiérarchique des chefs d'établissements d'enseignement supérieur. Je suis à la tête d'une administration qui accompagne ces établissements, mais leurs présidents et directeurs disposent de pouvoirs propres, notamment en matière de police, et je ne peux pas réformer leurs décisions, sauf en cas de manquement grave. Ils ne sont pas non plus tenus de communiquer des rapports réguliers au ministère.

C'est la raison pour laquelle je ne dispose pas d'un certain nombre de données, comme le nombre exact d'actes de violence commis à l'encontre des enseignants-chercheurs et du personnel de l'enseignement supérieur.

Les données dont je dispose relèvent le plus souvent d'enquêtes que nous menons. Si je suis en mesure de vous donner des éléments chiffrés sur le nombre de protections fonctionnelles - je vous les fournirai ultérieurement -, c'est grâce à notre direction des affaires juridiques, qui, depuis deux ans, réalise une enquête sur le sujet.

Il convient de distinguer les décisions que peuvent rendre les chefs d'établissement au nom de l'État, de celles liées au pouvoir de police propre dont ils disposent.

Les chefs d'établissement reçoivent une délégation du ministre chargé de l'enseignement supérieur pour prendre un ensemble d'actes, dont certains peuvent s'inscrire dans le cadre des mesures prises pour la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle ou pour les compléter utilement. Je pense, par exemple, à la suspension de fonctions à titre conservatoire, qui peut avoir pour objet d'écarter du service un agent auteur de menaces ou de pressions dirigées contre un autre agent, ce dernier pouvant se voir octroyer la protection fonctionnelle.

Si l'essentiel des autres mesures qu'un président d'université prend au nom de l'État intéresse surtout le déroulement de la carrière des agents, il lui est toutefois possible d'autoriser la mutation, le détachement ou la mise à disposition d'un enseignant-chercheur qui le souhaiterait et verrait, dans son éloignement, un moyen de se prémunir des attaques ou pressions dont il fait l'objet.

Les chefs d'établissement d'enseignement supérieur disposent en outre d'un pouvoir de police propre. En vertu de l'article L.712-2 du code de l'éducation, le président d'université est responsable du maintien de l'ordre et de la sécurité dans l'enceinte de son établissement.

Il est nécessaire de préciser que l'ordre public universitaire est spécifique, car il entraîne la prise en compte des franchises universitaires, qui impliquent que les forces de l'ordre ne peuvent pénétrer dans l'établissement qu'après l'accord de son représentant légal. La liberté d'expression, le bon déroulement des cours, l'activité de recherche peuvent se voir attribuer une place prépondérante dans la matérialité de cet ordre public. Il convient de préserver un cadre intellectuel et matériel propice au bon accomplissement des missions qui sont conférées par la loi aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP).

Toutefois, lorsqu'il estime qu'il existe un désordre, ou une menace de désordre, dans les enceintes et locaux affectés directement à l'établissement ainsi que dans les locaux mis à la disposition des usagers ou des personnels, le président de l'université doit en informer immédiatement le recteur chancelier. Le conseil d'administration et le conseil académique doivent également être informés des décisions prises dans ce cadre.

Plusieurs actions lui sont ouvertes pour agir contre ces désordres. Il a l'obligation de prendre toute mesure utile pour assurer le maintien de l'ordre, finalité qui englobe les aspects classiques de la police administrative : bon ordre, sûreté, sécurité et salubrité publique, adaptés aux circonstances universitaires. Il peut prendre toute mesure préventive, comme des mesures réglementaires concernant les attroupements dans les bâtiments d'enseignement, des règles relatives à l'accès dans les locaux, ou non réglementaires, comme l'interdiction d'une conférence. Il peut interdire à toute personne l'accès aux locaux, voire suspendre l'enseignement dispensé par un personnel, pour une durée n'excédant pas trente jours. Cette durée peut être prolongée jusqu'à l'issue des poursuites disciplinaires ou judiciaires qui seraient éventuellement engagées. Dans l'hypothèse où un personnel ou un usager fait l'objet de menaces graves contre sa personne, le président d'université peut interdire l'accès des locaux à l'auteur des menaces, si celui-ci est identifié. Cette interdiction doit s'accompagner d'un signalement au parquet, ou éventuellement d'une plainte, permettant de signaler les faits à l'autorité judiciaire et de prolonger l'interdiction au-delà du délai de trente jours. Le président d'université peut engager des poursuites disciplinaires contre les membres du personnel et les usagers qui auraient contrevenu aux dispositions législatives et réglementaires, au règlement intérieur ou aux mesures de police prises, ou qui se seraient livrés à des actions ou des provocations contraires à l'ordre public. Il peut enfin recourir à l'article 40 du code de procédure pénale.

Une autre spécificité de l'enseignement supérieur réside dans la liberté d'expression et les libertés académiques dont jouissent les enseignants-chercheurs. Elles tempèrent les obligations déontologiques, notamment l'obligation de neutralité auxquelles ils sont en principe soumis en tant qu'agents publics, et justifient une application moins stricte du devoir de réserve qui s'impose à tout agent public.

En effet, les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs bénéficient, au titre de l'article L. 952-2 du code de l'éducation, « d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche », étant également rappelé que le Conseil constitutionnel reconnaît une valeur constitutionnelle à la garantie de leur indépendance.

« Un universitaire n'est pas un fonctionnaire comme un autre. » Telle est la conclusion du rapporteur public du Conseil d'État dans une décision du 15 novembre 2022. Citant une décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de 2009, il poursuit en rappelant que « la liberté d'expression des universitaires n'est pas seulement celle de l'enseignant dans le choix du contenu de ses cours, et celle du chercheur dans le choix de ses thèmes de recherches, mais leur donne aussi la liberté d'exprimer librement leur opinion sur l'institution et le système dans lesquels ils travaillent. »

Cette entière liberté d'expression garantie aux enseignants-chercheurs s'explique par les publics plus critiques et plus âgés - la grande majorité des étudiants sont majeurs -auxquels ils s'adressent. Cette distinction s'apprécie en comparaison des élèves mineurs du scolaire, qui ne disposent pas de la maturité d'esprit permettant d'apprécier l'impartialité d'un enseignement dispensé.

La liberté d'expression dont jouissent les enseignants-chercheurs n'est toutefois pas absolue, elle est encadrée par la loi et la jurisprudence. Ainsi, l'article L. 952-2 du code de l'éducation précise qu'elle s'exerce « sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité ». Le principe d'objectivité invite l'universitaire à faire connaître son opinion autant que celles qui lui sont contraires, et le principe de tolérance, à admettre que les étudiants puissent penser différemment. La jurisprudence comporte peu d'illustrations de manquements à ces obligations de tolérance et d'objectivité. Je pourrai vous en citer un cas si vous le souhaitez.

En ce qui concerne le devoir de réserve, si la liberté d'expression dont jouissent les enseignants-chercheurs leur offre une grande latitude dans leurs propos, ceux qu'ils tiennent dans l'espace public, notamment sur les réseaux sociaux, doivent toutefois être prononcés avec mesure et ne pas revêtir un caractère insultant, injurieux ou outrancier, ni porter atteinte à la réputation d'une institution, ni dénigrer l'administration ou un autre collègue.

Au-delà de la liberté d'expression, les enseignants-chercheurs jouissent de libertés académiques, qui découlent du principe d'indépendance des enseignants-chercheurs et que le Conseil constitutionnel a érigées en principe fondamental reconnu par les lois de la République. Elles comprennent trois points : la liberté d'expression et d'opinion, qui permet aux enseignants de jouir d'une liberté plus grande que les autres agents publics dans l'expression de leurs opinions, y compris dans l'exercice de leur fonction ; la liberté d'enseigner - un universitaire n'est pas tenu par un programme, ce qui constitue une nouvelle différence fondamentale avec l'éducation nationale - , et la liberté de choisir son thème de recherche et la liberté de publication.

Les libertés académiques relèvent d'un cadre juridique étoffé par le législateur en 2020, et leur protection est garantie à l'échelle européenne. Ainsi, en 2020, la loi de programmation de la recherche a précisé que « les libertés académiques sont le gage de l'excellence de l'enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s'exercent conformément au principe constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs ».

Des exigences similaires existent au niveau européen. Ainsi, l'article 13 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prévoit que « les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée. » Par ailleurs, la CEDH a jugé, dans une décision rendue en 2014, que la liberté académique comprenait, pour les enseignants-chercheurs, la liberté « d'exprimer clairement leurs opinions, fussent-elles polémiques ou impopulaires, dans les domaines relevant de leurs recherches, de leur expertise professionnelle et de leur compétence ».

L'atteinte portée aux libertés académiques ouvre droit à protection pour les agents qui en sont victimes. Je voudrais également préciser que les libertés académiques, bien que très protégées, ne sont toutefois pas absolues. Elles s'accompagnent de responsabilités et s'exercent, comme l'a rappelé le Conseil d'État dans une décision rendue en 1998, « dans le respect des règles de prévention des conflits d'intérêts et des impératifs de l'intégrité scientifique ». Les enseignants-chercheurs, enseignants et chercheurs, jouissent d'une entière liberté dans leur enseignement et leurs travaux de recherche, mais ne sont pas pour autant affranchis de leurs obligations déontologiques, comme le respect du principe de neutralité, dont l'appréciation reste toutefois délicate. Un rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) datant de juin 2023 sur des faits signalés à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (Inspé) de Paris a relevé que « les contre-vérités juridiques et la confusion du support des cours publiés et commentés révèlent l'incapacité des deux professeurs à restituer un débat philosophique complexe et ne peuvent être regardées comme l'expression d'opinions personnelles de chacun d'eux ».

Un avis du collège de déontologie du 21 mai 2021 relatif aux libertés académiques précise également que « la liberté académique s'exerce dans le respect tant des personnes que des cadres définis collectivement pour l'obtention des diplômes. Elle s'accompagne de l'évaluation par les pairs. En toutes circonstances, elle implique la tolérance et la courtoisie. Elle exclut toute forme d'attaque des personnes et tout comportement violent. »

J'en viens à la deuxième partie de mon propos : la nature des menaces ou pressions dont peuvent être victimes les enseignants-chercheurs. En plus des situations de harcèlement et des violences sexistes, les enseignants-chercheurs et les chercheurs peuvent faire l'objet de pressions, de menaces ou d'autres formes d'attaques ou de dénigrement, notamment sur les réseaux sociaux. Ces violences peuvent être liées, par exemple, aux activités de recherche qu'ils mènent. Je pense notamment aux chercheurs qui, dans le cadre de leurs recherches, sont amenés à faire des expérimentations animales. Elles peuvent aussi découler des thèses soutenues dans des publications scientifiques ou de l'exercice de leur liberté académique. Un enseignant-chercheur peut ainsi subir des pressions en raison des propos qu'il a tenus ou du contenu de ses cours. Les sujets relevant des sciences humaines et sociales, comme les sujets religieux, politiques ou sociétaux, comme le sujet trans-LGBT, sont les plus concernés. Enfin, les enseignants-chercheurs et les chercheurs peuvent faire l'objet de pressions et de menaces pour avoir signalé de graves manquements à l'intégrité scientifique.

En particulier, ils peuvent faire l'objet de « procédures bâillons ». Ces dernières désignent des procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives, qui se traduisent par des plaintes, en diffamation ou en dénigrement, à la suite de la publication de leurs travaux. Il s'agit pour les auteurs de ces procédures de censurer, d'intimider ou de faire taire leurs détracteurs en leur imposant le coût d'une défense en justice, jusqu'à ce qu'ils renoncent à leurs critiques ou à leurs oppositions.

Le troisième point de mon propos porte sur les réponses apportées à ces pressions, menaces, attaques ou dénigrements. Différents acteurs sont mobilisés et mobilisables. Conformément aux dispositions de l'article L.124-3 du code général de la fonction publique, les universités ont l'obligation de nommer un référent laïcité, chargé d'apporter tout conseil utile au respect du principe de laïcité à tout agent public ou chef de service qui le consulte. Il est également fait obligation à tout établissement de mettre en place un référent à l'intégrité. L'Office français de l'intégrité scientifique (Ofis), département du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) assure la coordination de ces référents et les accompagne dans l'accomplissement de leurs missions en leur fournissant ressources et éléments de cadrage et d'harmonisation.

Par ailleurs, la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires fait obligation à tout établissement public de mettre en place un référent déontologue, qui peut être aussi référent lanceur d'alerte et se voir chargé d'une mission de veille à l'égard de l'intégrité scientifique.

Le collège de déontologie de l'enseignement supérieur et de la recherche, institué en 2018 et présidé depuis sa création par Bernard Stirn, conseiller d'État, est compétent pour les services de l'administration du ministère, ainsi que pour les établissements publics placés sous sa tutelle. Il peut être saisi par tout établissement sous tutelle, et par tout agent qui souhaiterait disposer d'un avis sur sa situation, notamment en matière de conflits d'intérêts.

D'une manière générale, le président ou le directeur d'établissement doit faire usage des prérogatives qui lui sont reconnues, le cas échéant en saisissant les juridictions ou instances compétentes. Dans l'enseignement supérieur, la politique de défense et de sécurité relève de la responsabilité des présidents qui, dans le cadre de l'autonomie des établissements, sont responsables du maintien de l'ordre et de la sécurité dans l'enceinte de leur établissement.

Mon ministère appuie les établissements dans la mise en oeuvre de ces obligations, avec un réseau d'acteurs référents : le réseau des hauts fonctionnaires de sécurité et de défense (HFSD) et des référents radicalisation. Existe également une habilitation au secret des présidents, des directeurs de cabinet, des hauts fonctionnaires de sécurité et de défense, des référents radicalisation, des recteurs de région académique et de leur directeur de cabinet. Sont également des formations de la gouvernance des établissements à la gestion de crise - une soixantaine d'entre elles ont déjà eu lieu.

À côté des mesures de police qu'un chef d'établissement d'enseignement supérieur peut prendre, les attaques d'une certaine gravité donnent droit au bénéfice de la protection fonctionnelle dès lors qu'aucune faute personnelle de l'agent demandeur et qu'aucun motif d'intérêt général n'y fait obstacle.

Encore une fois, ce sont les chefs d'établissements d'enseignement supérieur qui sont compétents pour instruire les demandes de protection fonctionnelle des agents de leur établissement, sans que ne puisse y faire obstacle le fait qu'ils sont nommés et rémunérés par l'État.

Les recteurs de région académique sont compétents pour instruire les demandes qui ne peuvent être traitées par les chefs d'établissement, c'est-à-dire celles qui mettent en cause des chefs d'établissement, ou celles qui émanent de chefs d'établissement. Jusqu'à très récemment, ces deux situations relevaient de la compétence ministérielle, mais depuis l'entrée en vigueur d'un décret de mars 2021, elles font l'objet d'un traitement de proximité, par l'intervention des recteurs de région académique.

Bien que je dispose d'un pouvoir de tutelle sur les établissements d'enseignement supérieur, je ne dispose d'aucun pouvoir hiérarchique m'autorisant à réformer des décisions prises par ces établissements en matière de protection fonctionnelle. Mon ministère conserve toutefois un rôle actif d'accompagnement, de conseil et d'expertise, en apportant son appui aux établissements et aux rectorats pour l'instruction des situations les plus complexes ou soulevant des questions de droit nouvelles.

Concrètement, mon directeur de cabinet peut, par exemple, être sollicité par un président d'université sur des faits de danger grave et imminent qui peuvent peser sur un enseignant-chercheur, qu'il s'agisse de menaces à l'intégrité physique et morale, de violences sexuelles ou de harcèlement, ou de menaces à l'intégrité scientifique.

En fonction de la nature des faits, il peut, sous mon autorité, saisir l'IGÉSR pour approfondir le sujet, en lançant une enquête administrative. Cette enquête doit permettre d'éclairer notre décision et celle du chef d'établissement. Si les faits remontés sont graves et objectivés, je peux les signaler au procureur de la République compétent en vertu de l'article 40 précité.

Pour ce qui est des enquêtes administratives, en complément de l'IGÉSR, mon directeur de cabinet mandate le recteur compétent pour accompagner le chef d'établissement, et demande au HFSD de suivre la situation à la fois sur les réseaux sociaux avec la délégation à la communication (Delcom) du ministère, mais également en lien avec le HFSD de l'établissement, ou le référent sur place.

Depuis deux ans, la direction des affaires juridiques de mon ministère réalise une enquête annuelle sur la protection fonctionnelle auprès des établissements d'enseignement supérieur. Elle vient de recevoir les chiffres pour l'année 2022. Notez que 143 établissements publics d'enseignement et 27 centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) ont été interrogés, et que, pour la première fois, cette enquête inclut aussi 12 établissements de recherche. Les taux de réponse par les établissements variant d'une année à l'autre, les comparaisons sont à prendre avec précaution.

La première conclusion de cette enquête est que les enseignants-chercheurs représentent plus des deux tiers des demandes de protection fonctionnelle : 265 agents ont demandé la protection fonctionnelle parmi les personnels des établissements de l'enseignement supérieur. Parmi eux, 69 % sont des enseignants-chercheurs, soit 182 agents, et 31 % des bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé (Biatss), soit 83 agents. Dans les établissements de recherche, 43 agents ont demandé la protection fonctionnelle ; 33 d'entre eux sont des chercheurs et 10 sont des personnels administratifs.

Le deuxième enseignement de cette enquête est que l'administration accorde la protection fonctionnelle dans la majorité des cas. Ainsi, 71 % des demandes de protection fonctionnelle font l'objet d'un accord par l'administration dans les établissements de l'enseignement supérieur. Le taux d'octroi de la protection fonctionnelle est un peu plus faible dans les établissements de recherche puisqu'il atteint 56 %.

La troisième conclusion de l'enquête est qu'environ 80 % des demandes de protection fonctionnelle concernent des atteintes volontaires à l'intégrité de l'agent : les atteintes morales concernent 67 % des demandes dans les établissements d'enseignement, et un tiers dans les établissements de recherche. Les atteintes physiques concernent 7 % des demandes dans les établissements d'enseignement supérieur et 8 % des demandes dans les établissements de recherche. Les cas de harcèlement concernent une part importante des demandes : 21 % des demandes dans les établissements d'enseignement, contre 28 % dans les établissements de recherche. Les poursuites pénales constituent un autre motif de demande de protection fonctionnelle ; elles concernent 15 % des demandes dans les établissements d'enseignement, contre 20 % dans les établissements de recherche.

Le quatrième enseignement de cette étude est que les demandes de protection fonctionnelle concernent principalement des faits dont les agents sont les auteurs : 86 % dans les établissements de recherche, contre 65 % dans les établissements d'enseignement.

La protection des enseignants-chercheurs et des chercheurs face aux pressions, menaces et agressions dont ils peuvent être victimes s'inscrit donc dans un cadre particulier, qui est celui de l'autonomie des établissements et des libertés académiques. Des réponses existent pour protéger les personnels attaqués. Ce phénomène est désormais plus visible grâce à l'avènement des réseaux sociaux.

L'université est un lieu du savoir et de la curiosité, de la confrontation d'idée et du débat. Elle doit le rester. Mais ce débat se doit d'être apaisé, et se dérouler dans le respect de la légalité et des principes de la République. Avec l'évolution du cadre législatif et la mise en place de plusieurs référents, c'est une véritable communauté de vigie qu'anime mon ministère, et j'y suis particulièrement attentive.

Mme Laure Darcos. - Madame la ministre, je vais revenir sur certains faits, notamment sur l'intégrité scientifique. Pendant la crise de la covid-19, il y a eu des réflexions, dans le sud de la France sur les promesses de guérison rapide permises par certaines substances. Des chercheurs éminents relayaient des propos controversés ou non vérifiés. Les agressions verbales sur les réseaux se multipliaient. Souvent ces chercheurs se présentent sous l'étiquette d'un établissement. Comment le ministère prend-il les choses en main, dans de telles situations, vis-à-vis des instances et des directions de ces établissements ? À quels contrôles pouvez-vous procéder ?

Vous avez parlé de l'indépendance de ces établissements. J'ai été confrontée, pendant les discussions lors de la loi de programmation de la recherche, aux conséquences de la liberté académique si chère à l'université. Lorsque des personnes comme Sylviane Agacinski se trouvent dans l'incapacité de tenir leurs conférences, comment pouvez-vous rétablir l'expression libre de personnes extérieures à l'établissement ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Il est vrai qu'il existe différentes procédures. Tout d'abord, une enquête administrative est menée, ou l'on saisit l'IGÉSR ou l'inspection générale des affaires sociales (Igas) pour établir des faits. L'enquête administrative peut être menée en interne et diligentée par le président d'établissement ou des inspections générales. Ensuite, selon les conclusions des rapports d'inspection, des auditions peuvent être menées, qui peuvent déboucher sur un recours à l'article 40 du code de procédure pénale.

Pour répondre à votre seconde question, je répète qu'il revient au président d'université, lorsqu'il est informé, d'autoriser ou non la tenue de conférences. L'interdiction doit découler d'une menace réelle à l'ordre public, mais je tiens à ce que l'université reste un lieu de débats, d'expression libre. C'est pourquoi, en règle générale, ces conférences ont lieu, à condition que le président et l'administration de l'université soient informés pour permettre le déroulement de ces conférences dans de bonnes conditions. Il n'y a pas de procédure directe, mais en cas de poursuites ou d'actes répétés, il est aussi possible d'engager une enquête administrative. Je peux, moi aussi, requérir l'inspection générale, mais la responsabilité première est celle du président, en raison de l'autonomie des établissements.

M. Pierre Ouzoulias. - Madame la ministre, j'aimerais vous féliciter pour la qualité juridique de votre avant-propos. Vous avez raison : le professeur n'est pas un fonctionnaire comme les autres. C'est d'ailleurs le seul à pouvoir cumuler son emploi avec un mandat parlementaire, et le Sénat en a déjà connu quelques exemples.

Je voudrais revenir sur un texte important : la déclaration de Bonn, signée par plusieurs pays européens le 20 octobre 2020. Celle-ci donne une définition de la liberté académique qui est intéressante : « la liberté de recherche comprend le droit, dans le respect des normes professionnelles de la discipline concernée, de déterminer : ce qui doit ou ne doit pas faire l'objet d'une recherche ; comment cela doit être fait ; qui doit faire la recherche, avec qui et dans quel but ; les méthodes par lesquelles et les voies par lesquelles les résultats de la recherche doivent être diffusés. »

Je souhaite savoir si un projet européen existe pour transformer cette déclaration en un règlement ou un projet d'ordre législatif à échelle européenne ? Considérez-vous que cette définition de la liberté académique est intégralement reprise par le droit français ou que ce dernier présente des lacunes à combler ?

Enfin, vous savez qu'il existe une distorsion de protection, s'agissant des libertés académiques, entre les chercheurs, qui relèvent des articles L. 422-1 et L. 422-2 du code de la recherche, et les enseignants-chercheurs, qui relèvent de l'article L. 952-1 du code de l'éducation, alors que tous exercent au sein des mêmes unités mixtes de recherche (UMR). Avez-vous l'intention de travailler à homogénéisation de leurs statuts ?

M. Jacques Grosperrin. - Quand je vous écoute, madame la ministre, je m'interroge sur le ministère de l'enseignement supérieur. En 2007, j'ai voté la loi sur l'autonomie des universités. J'étais de ceux qui souhaitaient que le président d'université ne soit pas un ancien enseignant-chercheur, ce qui ne fut pas adopté, mais qui aurait grandement changé la situation que nous connaissons aujourd'hui.

En effet, vous dites ne pas être le chef hiérarchique et la liberté académique primerait. Cette situation me semble insupportable. Vous indiquez que l'enseignant-chercheur n'est pas un fonctionnaire comme les autres ; je comprends cette idée d'un point de vue intellectuel et juridique, mais je pense que les Français ne le comprennent pas. Ils vous diront qu'un enseignant-chercheur est un fonctionnaire comme les autres, qui exerce dans un service public. Nous sommes en train de biaiser le débat.

La semaine dernière, j'ai évoqué cette question avec le ministre de l'éducation nationale. Il n'a pas tout à fait répondu aux questions que soulevait la lettre que Jules Ferry avait écrite aux instituteurs, qui soulignait qu'il ne fallait pas dire une parole susceptible de blesser autrui. Aujourd'hui, des conférences n'ont pas pu avoir lieu, des directeurs d'établissements ayant préféré éviter tout problème. Je suis choqué par ce mode de fonctionnement et j'estime que le Parlement a un rôle à jouer, qui consiste peut-être à réformer ou à proposer une autre loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, car la situation actuelle n'est plus acceptable, au regard notamment du budget qui est consacré à ce service public.

Vous indiquez avoir la possibilité de diligenter une inspection générale, mais il s'agit non pas de réagir, mais d'anticiper. Des études existent sur l'autocensure dans l'enseignement scolaire public, qui montrent une augmentation de 36 % à 56 % entre 2018 et 2022. Nous ne disposons pas de statistiques dans l'enseignement supérieur. Vous avez le droit de demander une inspection sur ce sujet. Je suis persuadé que l'autocensure est plus répandue qu'on ne le croit. Si on laisse faire, de nombreux enseignants n'oseront plus parler et notre enseignement, notamment notre enseignement supérieur, perdra en qualité. On marche sur la tête, une réforme de l'enseignement supérieur est nécessaire, le législateur doit agir.

M. Henri Leroy. - Je souhaite évoquer un sujet particulièrement préoccupant qui, depuis près de vingt ans, gangrène nos universités, celui des dérives islamo-gauchistes. Cette idéologie a prospéré à l'ombre des instances universitaires qui ont choisi, semble-t-il, de composer avec elle.

Prenons le cas de l'Union nationale des étudiants de France (Unef), syndicat subventionné par l'État et censé représenter les étudiants. Il s'est égaré avec une présidente voilée et des campagnes ambiguës sur la laïcité. Prenons également le cas de Florence Bergeaud-Blackler, gravement menacée après avoir publié un ouvrage sur les Frères musulmans et leur entrisme au sein de l'université française. En 2019, l'université Paris1 Panthéon-Sorbonne a cédé aux pressions de syndicats et d'universitaires en supprimant un cycle de formation sur la prévention de la radicalisation. À Lille, les représentations de la pièce écrite par Charb, directeur de Charlie Hebdo, ont été annulées au prétexte que celle-ci serait islamophobe. Et que dire du Hijab Day organisé par des étudiants de Sciences Po Paris depuis 2016, qui encourage le port du voile et banalise son usage ?

Madame la ministre, peut-être est-il temps d'agir avec fermeté. Le temps de la tolérance ou de la compréhension paraît révolu. Il importe de défendre la laïcité et de protéger les professeurs d'université. Qu'avez-vous prévu ou que pouvez-vous faire pour contrer ces dérives et ces atteintes à la laïcité ? Que faites-vous pour affronter le sujet, le mesurer, le quantifier, pour en prendre toute la mesure et lutter concrètement avec les présidents d'université contre ces atteintes aux principes républicains de l'enseignement supérieur ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Monsieur Ouzoulias, je ne sais pas s'il existe un projet européen pour prolonger la déclaration de Bonn. En revanche, à l'échelle du conseil scientifique du Conseil européen de la recherche (ERC), en particulier à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, ou au sein du G7, nous avons fortement rappelé les principes, les valeurs et les libertés académiques.

Sur le sujet des libertés académiques des enseignants-chercheurs et des chercheurs dans les UMR, de leur liberté d'expression et de leur indépendance, il est intéressant de constater, en procédant à un historique, que les choix français se retrouvent à un niveau européen ou international et que les modes de fonctionnement des États se font écho. En France, le point de départ est celui de la loi Savary. Le code de l'éducation traite des enseignants-chercheurs, entendus comme enseignants et chercheurs, c'est-à-dire pour leurs activités d'enseignement et de recherche. Peu importe que les chercheurs entretiennent un lien plus ou moins étroit avec l'enseignement. Il leur assure pleinement leur liberté d'expression et leur indépendance, ce que le Conseil constitutionnel a réaffirmé. Le code de l'éducation inclut donc les chercheurs, en particulier ceux des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) ou des UMR ; il en va peut-être différemment des chercheurs du secteur privé ou des établissements publics à caractère industriel et commercial (Épic), pour lesquels une transposition directe des dispositions du code pose un problème.

Aux termes de l'article L.141-6 du code de l'éducation, « le service public de l'enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ». Cet article illustre la notion de liberté d'expression académique, laquelle suppose un cadre, que le code précité rappelle.

Comme l'encadrement des libertés académiques, la responsabilité des présidents d'université et l'autonomie de leurs établissements inscrites dans la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), et qu'on retrouve dans les différents articles du code de l'éducation, correspondent à un modèle international, non à une spécificité française.

Monsieur Grosperrin, les chiffres des enquêtes que nous pourrons vous communiquer, notamment de l'enquête de 2022, très complète et représentative, nous montrent que ces problématiques, que nous ne devons certes pas négliger, restent fort heureusement minoritaires par rapport à l'ensemble que représentent la recherche et l'enseignement supérieur. Les référents qui interviennent dans les établissements en matière de déontologie, de laïcité et d'intégrité scientifique contribuent à ce résultat. Nous en animons le réseau, avec la responsabilité de porter leur mission à la connaissance de tous les agents qui peuvent les saisir de problèmes divers, dont ceux que vous avez cités. Nous assurons la formation de ces référents qui sensibilisent aussi les communautés enseignantes et scientifiques, ainsi que les agents, au sein des établissements d'enseignement supérieur.

Je tiens à dire que Florence Bergeaud-Blackler a bénéficié - et c'est bien normal - de la protection fonctionnelle de son employeur, en l'occurrence le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de même que d'une protection policière personnelle par le ministère de l'intérieur avec lequel nous entretenons des relations de travail.

La conférence dans les locaux de Sorbonne Université dont vous faites état n'a pas été annulée, mais reportée. La doyenne de l'université, informée très tardivement de sa tenue, a demandé son décalage dans le temps pour des raisons d'organisation. La conférence a d'ailleurs eu lieu dans de bonnes conditions à la nouvelle date proposée. Certes, il nous faut être vigilants pour que ces conférences ne soient pas annulées et se déroulent dans les meilleures conditions possible. Au sein des établissements, nous disposons de leviers avec les enquêtes administratives et leur suivi, les commissions disciplinaires et les procédures juridiques.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je suis assez frustrée par cette audition. La mission conjointe de contrôle porte sur les violences qui interviennent dans un cadre scolaire ou universitaire. J'ai appris beaucoup de choses intéressantes sur le cadre législatif applicable aux enseignants et les règlements universitaires, mais là n'est pas le coeur de cette audition.

J'appartiens à une génération pour laquelle l'université correspondait à la liberté d'expression la plus totale. En dépit des combats d'idées entre extrême gauche et extrême droite, nous pouvions nous exprimer sans menace, ce qui faisait la richesse de l'université. Il n'en est plus de même aujourd'hui, et vos propos ne me rassurent pas, madame la ministre. Soit votre ministère joue un rôle en matière de liberté d'expression dans nos universités, soit le phénomène inquiétant qui est à l'oeuvre ne vous concerne pas et je comprends alors que vous vous contentiez de nous rappeler un cadre général.

Quand Sylviane Agacinski n'a pas pu tenir sa conférence à Bordeaux, cela m'a heurtée. Quand la représentation de la pièce de Charb a été annulée, cela m'a heurtée. Permettez-moi de revenir sur la conférence de Florence Bergeaud-Blackler, car vous n'avez pas retracé le déroulé exact. La conférence a été annulée, puis reprogrammée sous l'effet de la pression. Mais dans quelles conditions ! Il a fallu une surveillance exceptionnelle et des inscriptions préalables. Si telle est l'université que nous prévoyons pour demain, si nous ne pouvons plus y parler de tout, je m'interroge. Votre rôle politique, me semble-t-il, consiste à vous exprimer sur ces sujets, non de rappeler le cadre légal de la protection accordée. Oui, Florence Bergeaud-Blackler vit désormais sous protection. Je voulais précisément entendre votre position publique sur le fait qu'une chercheuse doive vivre sous protection et que la liberté d'expression à l'université est menacée. Et je regrette de vous le dire, on ne vous entend pas clairement, publiquement, condamner cette situation. L'absence de parole claire favorise la continuité des menaces dans les universités.

Mme Marie-Pierre Monier. - J'aimerais connaître le délai moyen de réponse aux demandes de protection fonctionnelle, savoir s'il arrive qu'elle soit refusée et, dans l'affirmative, quelle est la proportion des refus.

Lors de son audition la semaine dernière, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, Pap Ndiaye, nous a indiqué qu'en matière de menaces contre le personnel le travail de veille des réseaux sociaux était du ressort des académies. Qu'en est-il pour l'enseignement supérieur ?

Estimez-vous que la formation initiale des enseignants sur la laïcité délivrée par les Inspé a progressé ces dernières années et que les futurs professeurs sont désormais mieux armés en la matière ?

Enfin, comment le référent laïcité et peut-être des commissions spéciales au sein des universités sont-ils désignés ? Existe-t-il une charte régissant leur bon fonctionnement et des formations délivrées dans ce cadre ?

M. Yan Chantrel. - Depuis quelques années, nous observons une résurgence des groupuscules d'extrême droite dans nos universités, et même, depuis l'élection présidentielle de 2022, une augmentation très préoccupante du nombre d'agressions physiques. Plusieurs exemples de vagues de violence ou de commandos armés ont été recensés, notamment à Montpellier, Nanterre ou Tours. Le 7 juillet dernier, les principales organisations syndicales de l'enseignement secondaire, dont certaines représentent aussi les personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche, ont alerté le ministre chargé de l'éducation nationale sur l'offensive menée par l'extrême droite contre l'école et ses agents. Elle prend la forme d'insultes, de menaces, de pressions sur la mise en oeuvre des programmes ou sur les pratiques pédagogiques des enseignants. Pour ce dernier cas, il s'agit surtout d'une menace de l'extrême droite, dont nous ne parlons jamais ici. Vous avez à juste titre relevé le rôle des réseaux sociaux. Ces groupes d'extrême droite y sont particulièrement actifs. Face à ces menaces inacceptables, le ministre a travaillé avec les organisations syndicales à une meilleure protection des personnels et à la mobilisation de la communauté éducative contre ces attaques contre l'école progressiste et émancipatrice. Avez-vous, vous aussi, reçu les organisations syndicales de l'enseignement supérieur et de la recherche sur ce sujet spécifique des attaques de l'extrême droite contre le contenu des formations, contre les choix épistémologiques et méthodologiques des enseignants du supérieur ?

Mme Catherine Di Folco, vice-président de la commission des lois, rapporteur. - Je vous remercie, madame la ministre, de répondre précisément aux questions de nos collègues ; je ne suis pas certaine que vous ayez répondu aux questions de M. Leroy.

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - En effet, je vous prie de m'en excuser, monsieur le sénateur, j'ai oublié de vous répondre.

Sur le principe de laïcité dans l'enseignement supérieur, je rappelle qu'il implique une obligation de neutralité, comme dans l'ensemble des services publics. La différence, notamment par rapport à l'éducation nationale, tient à ce que, dans l'enseignement supérieur, l'obligation s'applique aux seuls agents, et non aux usagers, en l'occurrence les étudiants. Ceux-ci ne sont pas tenus par les dispositions de la loi de 2004.

Depuis les années 2000, mon ministère a mis en place des dispositifs pour veiller au respect du principe de laïcité et des valeurs de la République. J'en citerai quelques-uns, auxquels les établissements recourent communément. Un guide a été élaboré avec France Universités dès 2004. Nous le mettons à jour régulièrement en suivant les évolutions des pratiques et les éventuelles dérives. Depuis 2015, les référents laïcité interviennent dans les établissements. La pratique se généralise. La loi promulguée le 24 août 2021 conforte le respect des principes de la République. Le dispositif permettant de signaler les atteintes à la laïcité sera lui-même progressivement renforcé. D'ici à 2025, tous les établissements devront avoir nommé un référent laïcité et tous leurs agents publics suivront auprès de lui une formation à la laïcité. Dans l'enseignement supérieur, nous croyons beaucoup à l'importance de la formation et à celle du suivi des pratiques. Le réseau des référents a commencé depuis mai 2022 ces formations et ces sensibilisations en partenariat avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Les référents interviennent également dans les Inspé.

Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche contribue à l'animation de leur réseau. Son propre référent ministériel en recueille les retours d'expérience.

J'insiste sur ce que, en matière de laïcité comme pour d'autres problématiques, les outils disponibles sont clairs. Nous disposons des enquêtes administratives, des commissions disciplinaires et de l'article 40 du code de procédure pénal. D'un point de vue législatif, les rôles sont bien répartis à chaque niveau de responsabilité. On dit souvent qu'il ne faut pas tout concentrer au niveau de l'État, mais qu'il faut responsabiliser les territoires et les institutions. Je pense qu'il est primordial de rappeler dans quel cadre nous travaillons. Les difficultés viennent souvent de ce qu'on ignore les responsabilités des uns et des autres. Les formations, le réseau des référents, l'accompagnement et l'expertise du ministère aident les établissements et leurs présidents à mettre en oeuvre les procédures existantes. Dans mon propos, j'ai voulu montrer combien il importe d'avoir un cadre, au risque, s'il vient à faire défaut, de ne s'en tenir qu'à des affirmations.

Je vous rejoins pour dire que l'université doit rester un lieu de débat, d'expression et d'enseignement libres. Contrairement à l'éducation nationale, l'enseignement supérieur n'a pas de programme national défini, pas de maquette. C'est pourquoi nous n'avons pas les mêmes remontées de terrain sur les cours.

Au sujet de Florence Bergeaud-Blackler, nous ne devons pas lire, Madame Eustache-Brinio, la même presse. Je me suis en effet largement exprimée sur cette affaire dans différents médias. Tous mes propos s'insurgeaient très clairement contre le fait que des chercheurs et scientifiques subissent des pressions, voire des attaques personnelles. Je défends depuis trente-cinq ans les libertés académiques et la libre expression des travaux universitaires. Je m'y suis attachée à la tête de mon université et je continue de le faire comme ministre. Mais j'ajoute, et c'est important, que je m'y attache dans un cadre législatif. L'université représente un lieu de débat à partir de faits étayés.

Le jour même où devait se tenir cette conférence de Florence Bergeaud-Blackler, à 17 heures, dès que j'ai été avertie, j'ai joint la présidente de l'université concernée, qui m'a exactement dit : « j'ai eu la doyenne en ligne, elle vient d'apprendre la tenue de la conférence, ce qui nous pose un problème en raison de l'organisation d'examens après leur report ; nous voyons comment proposer à la conférencière un décalage de la date de son intervention ». Que vous contestiez le décalage de cette date est une chose ; de là à dire qu'elle a d'abord été annulée, puis décalée, je le conteste. Voilà les faits, et j'en ai été personnellement le témoin. La présidente de l'université m'a tout de suite parlé d'une reprogrammation de la conférence, et jamais d'une annulation ! Si je n'ai pas convoqué les médias à 17 h 05, je me suis directement occupée de la situation. Nous sommes restés attentifs au ministère à la manière dont la conférence allait être reprogrammée.

Peut-être la réponse à apporter, afin de garantir que l'université reste un lieu de débat et de libre expression des opinions politiques, réside-t-elle dans notre aide aux présidents des établissements et à leurs équipes dans l'application des dispositions de la loi si importante de 2021, en particulier par le moyen de la formation. En cela consiste mon rôle. Je dois apporter ce qu'il faut, là où il faut, quand il faut. Certainement, des efforts sont à faire. Pour autant, les derniers débordements de violence orale ou physique que notre pays a connus, que ce soit lors de la réforme des retraites ou au cours des récentes émeutes, ne se sont pas déroulés dans les universités. Nous avons accompagné les présidents pour qu'ils fassent usage de leurs pouvoirs en matière de maintien de l'ordre dans leurs établissements, en coopération avec les préfets et les forces de police. Visiblement, la mise en oeuvre du cadre légal ne manque pas d'efficacité. Consciente des alertes que vous signalez, je veille à la formation des acteurs et à prévenir les excès par le rappel de la loi.

Le taux d'octroi de la protection fonctionnelle dans les établissements publics d'enseignement supérieur s'élevait à 86,5 % en 2020, à 85,7 % en 2021, contre 71 % en 2022. Dans les établissements de l'enseignement supérieur, les motifs de refus tiennent pour un quart d'entre eux à des faits non établis, et pour 11 % à des faits qui ne relèvent pas des cas légaux d'octroi de la protection fonctionnelle au sens du code général de la fonction publique. Les autres refus s'expliquent principalement par l'absence de lien avec le service - approximativement 15 % des refus - ou par la faute personnelle de l'agent. Environ 14 % des demandes font l'objet d'une décision implicite de rejet.

Le taux d'octroi atteint 56 % dans les établissements publics de recherche, dont les EPST. Les refus concernent à hauteur de 42 % des faits non établis ; 37 % des faits ne relèvent pas des cas légaux d'octroi de la protection fonctionnelle. Les autres motifs de refus se répartissent entre l'absence de lien avec le service - environ 10 % des cas - et l'incompétence de l'autorité saisie, dans la même proportion.

Les auteurs des demandes de protection dans les établissements publics d'enseignement supérieur sont dans plus de 65 % des cas des agents, dans 12 % des cas des étudiants, et pour 20 % à peu près d'autres particuliers. Je précise que l'absence de réponse à la demande de protection fonctionnelle dans un délai de deux mois vaut refus implicite d'accorder cette protection.

Nous vous transmettrons les données précises dont nous disposons dans ce domaine.

M. François Bonhomme. - Nous sommes évidemment tous favorables à ce que l'université soit un lieu de débat. Si la liberté académique est un principe important, encore faut-il savoir quelle traduction on en donne. Devant la multiplication des cas dont la presse se fait l'écho, il apparaît que l'université est traversée de convulsions. Sylviane Agacinski est une philosophe universaliste qui défend les femmes, considère que le voile est un signe de soumission, et parle de marchandisation du ventre avec la procréation médicalement assistée (PMA). C'est son droit le plus absolu, et il n'a pas été respecté. La violence, la menace et, en définitive, la censure l'ont emporté. Par la faiblesse de votre réaction, vous alimentez ce phénomène. Les facultés françaises ne sont pas menacées par des mouvements fascistoïdes. Nous savons bien quels autres mouvements la traversent plutôt. Ils prennent différentes formes, par exemple la généralisation de l'écriture inclusive. Celle-ci représente une idéologisation de la langue, outre qu'elle en compromet la syntaxe et l'apprentissage.

Plus grave, nous avons assisté à l'occupation violente de locaux de l'université Bordeaux Montaigne pour que s'y tienne une conférence à laquelle était invité Jean-Marc Rouillan, condamné pour les lâches assassinats de Georges Besse et du général Audran. Après avoir bénéficié d'une libération anticipée, il a de nouveau été condamné pour apologie du terrorisme. Il a ainsi pu tenir une conférence au cours de laquelle il a tranquillement fait état de sa conception du terrorisme, dénoncé, avec d'autres, comme Philippe Poutou, la violence d'État ainsi que la répression policière sous toutes leurs formes, et parlé de prisonniers politiques dans une démocratie comme la France ! Or, de votre part, madame la ministre, je n'ai entendu qu'un silence assourdissant. Je sais que votre poste est difficile, mais défendez un tant soit peu l'honneur de notre démocratie, de l'État que vous représentez et qui doit soutenir ses enseignants et son université !

M. Max Brisson. - Mes propos différeront un peu de ceux qu'ont tenus un certain nombre de mes collègues de mon groupe politique, quoique je ne nie pas les menaces extrêmement dangereuses qui planent sur les libertés académiques.

Ces menaces, cette terreur intellectuelle ne sont pas nouvelles. À la fin des années 1960, les mouvements maoïstes faisaient régner la terreur dans les universités, menaçaient les libertés académiques et contrariaient la marche sereine de la recherche et de l'enseignement supérieur. Ces faits passés ne justifient pas les faits actuels, mais nous ne découvrons rien de nouveau. Et l'université a résisté à la terreur intellectuelle de personnes qui cautionnaient en leur temps les pires holocaustes. Il ne faudrait donc pas que les dangers qui pèsent à présent sur elle remettent en cause son autonomie. Je n'ai aucune nostalgie des facultés de la IIIe République, alors sous les ordres des recteurs chanceliers ; je voudrais au contraire que les lycées deviennent autonomes ! Je me réjouis que les lois adoptées à l'instigation d'Edgar Faure puis de Valérie Pécresse aient restauré les franchises et l'autonomie universitaires garantes de la liberté académique, car elles ont honoré notre démocratie. Je ne cesserai de les défendre ici au Sénat aussi longtemps que mon mandat m'en donnera la possibilité.

Ce sont aujourd'hui ces franchises qui sont menacées, comme elles l'ont été déjà à plusieurs reprises dans notre histoire. Je veux dire avec force que l'école n'est pas l'université et que l'université n'est pas l'école. De longue date, la neutralité s'impose aux usagers de l'école, ce qui distingue cette dernière des autres services publics, dont celui de l'université. L'école est centralisée, beaucoup trop à mon goût ; l'université est décentralisée et profondément girondine.

L'équilibre est rompu dans un enseignement supérieur laïc depuis Bonaparte, qui l'avait remis des mains de l'Église catholique à celles de l'État, État qui s'est lui-même laïcisé. L'université est le lieu où se confrontent les idées pour nourrir la recherche. Madame la ministre, vous êtes la garante de l'Université ; je préciserai une question que mes collègues ont posée : le cadre législatif actuel vous permet-il d'assurer ce rôle ? Les présidents d'université disposent-ils des moyens, sinon du courage, d'assurer l'équilibre entre laïcité et autonomie qui protège les libertés académiques ? Au contraire, faut-il faire évoluer ce cadre législatif ?

M. Jean Hingray. - N'y a-t-il pas un manque de sensibilisation aux risques de conflits dans la formation des enseignants et des professeurs d'université ?

Pour ce qui est des étudiants, je pense à mon tour que les combats idéologiques demeurent, au fil des époques, les mêmes à l'université. Sans en revenir à l'université de la IIIe République, et sans programme national prédéfini, une journée de sensibilisation, commune à l'ensemble des étudiants, sur les grands principes qui régissent l'université ne serait-elle pas opportune au moment de la rentrée universitaire ?

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Vous nous transmettrez, madame la ministre, les résultats de l'enquête effectuée par la direction juridique de votre ministère sur l'octroi de la protection fonctionnelle. À ce stade, une précision me serait utile. Vous utilisez l'expression de faits dont les agents sont les auteurs. Que voulez-vous dire précisément ?

Un thème n'a pas été abordé, celui du recrutement des enseignants, avec l'intervention du Conseil national des universités (CNU) qui, en la matière, jouit d'une large autonomie. Avez-vous eu connaissance, depuis que vous êtes en fonction, de nominations dans des disciplines ou des établissements particuliers qui se seraient éloignées des dispositions de l'article L. 141-6 du code de l'éducation ? Le recrutement par le biais du CNU assure-t-il bien le respect de ces dispositions ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Nous n'avons pas eu de retours relatifs à l'application par le CNU de l'article précité.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Mais n'avez-vous jamais eu de craintes, voire de suspicions, sur des désignations ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Parlez-vous du recrutement ?

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Oui.

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Le CNU ne procède pas au recrutement, il décerne une qualification à partir de productions scientifiques, comme des travaux de thèse. À ma connaissance, ses études des dossiers n'ont pas donné lieu à des contestations qui allégueraient la prise en compte de motifs d'ordre politique ou religieux. Ce qui, en revanche, nous est remonté tient à des aspects d'intégrité scientifique. Nous pourrons vous communiquer les données relatives aux saisines qui nous concernent pour ce motif, y compris à propos d'enseignants en cours de mission.

Au sujet des auteurs de conflits, j'évoquais les conflits entre enseignants-chercheurs ou entre agents.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Il ne s'agit donc pas de remises en cause par les étudiants de l'enseignement délivré ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - En effet. Il est plutôt question ici de conflits sur des aspects de ressources humaines ou sur des problèmes de harcèlement.

Monsieur Hingray, l'idée de sensibiliser les étudiants aux problématiques dont nous traitons est excellente. Peut-être pourrions-nous nous appuyer sur le réseau des différents référents dont je parlais précédemment et que nous utilisons déjà pour les agents des établissements. Au-delà, les référents pourraient apporter aux étudiants des connaissances sur les règles qui régissent le fonctionnement de l'université. Nous mettons actuellement en place l'obligation à partir de 2025, et pour tous les étudiants de premier cycle, d'un enseignement à la transition écologique. Dans le cadre de l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur, j'aborde cette notion d'obligation en travaillant avec l'ensemble des réseaux, dont France Universités, la Conférence des grandes écoles (CGE) et la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (Cdefi), sur des thématiques à ce point partagées qu'elles conduisent à une acceptation unanime de l'obligation et à sa mise en oeuvre. Sans maquette, sans programme imposé, dans le respect de la liberté pédagogique des établissements, nous pourrions nous inspirer de cette approche en vue d'accueillir nos étudiants en leur apportant ces informations et cette sensibilisation que nous évoquons. J'en retiens en tout cas l'idée.

Monsieur Brisson, je vous remercie de votre discours et, en particulier, de sa première partie, dont je partage l'analyse. La France partage les notions d'autonomie et de liberté académique avec tous les pays démocratiques. C'est une parole que j'ai portée en tant que ministre lors d'un déplacement à l'université de Galatasaray en Turquie.

Cela étant, il importe de maintenir l'équilibre. Y contribue le rappel des règles constitutionnelles, législatives et inscrites dans le droit européen sur la liberté d'expression, l'autonomie et la liberté académique, de leur cadre, de leurs limites et des outils qui permettent d'en assurer le respect. À mon sens, le cadre normatif et les procédures existantes suffisent. Nous n'envisageons pour l'heure pas d'évolution législative. Il convient de mettre l'accent sur la formation et sur l'accompagnement à la mise en oeuvre des procédures.

Les enquêtes montrent que les dérives, si elles existent et pour révoltantes qu'elles soient, restent minoritaires. Dans le cas de la venue de Marc Rouillan à l'université de Bordeaux, l'université et son président n'ont été prévenus que quelques heures avant par les réseaux sociaux, la conférence ayant été tenue secrète jusqu'au dernier moment par ses organisateurs. Le président s'est donc trouvé dans l'incapacité de l'interdire, ce qu'il aurait sinon fait, comme il l'a ensuite expliqué. Pour ma part, j'ai aussi condamné fermement les propos de l'orateur dès que j'en ai pris connaissance, en particulier devant les médias le lendemain. Les universités sont des lieux ouverts et il importe de resituer les faits dans leur exactitude.

Mme Catherine Di Folco, vice-président de la commission des lois, rapporteur. - Merci, madame la ministre, de votre participation.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Merci des réponses que vous nous avez apportées. Outre l'enquête que vous avez évoquée, nous sommes intéressés par tout autre élément que vous pourriez nous fournir.

Je précise que les travaux de notre mission conjointe de contrôle reprendront au mois d'octobre prochain.

AUDITION DE MME MICKAËLLE PATY

Mardi 17 octobre 2023

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M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Il y a quatre jours au lycée Gambetta d'Arras, Dominique Bernard, professeur de lettres, a été assassiné. Un professeur d'éducation physique et sportive, un agent d'entretien et le chef de l'équipe technique de l'établissement ont également été blessés. Tous tentaient de protéger leurs collègues et leurs élèves contre un assaillant dont les motivations islamistes ne font plus de doute. Il semble que cet attentat devait prolonger celui ayant conduit à l'assassinat de Samuel Paty voilà trois ans. Il montre cruellement l'actualité de la mission de contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes, créée sur l'initiative commune de la commission des lois et de la commission de la culture.

Je remercie Mme Mickaëlle Paty, soeur de Samuel Paty, d'avoir bien voulu accepter notre invitation. Cette audition, prévue de longue date, est retransmise en direct sur le site internet du Sénat et ouverte à la presse.

Je l'ai déjà précisé à plusieurs reprises, cette mission d'information ne peut se pencher sur des faits qui font l'objet d'une enquête en cours. Elle se concentre sur les mécanismes devant permettre de prévenir de tels drames à l'avenir, notamment l'évaluation et le traitement des menaces. C'est pourquoi votre témoignage, madame Paty, est essentiel.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Comme vient de le souligner François-Noël Buffet, cette audition s'inscrit dans un contexte pesant. Le drame qui s'est déroulé dans l'enceinte du lycée Gambetta d'Arras nous a rappelé la menace que font planer l'obscurantisme et le fanatisme sur nos sociétés. Il nous rappelle également que les écoles, lieux de transmission des savoirs et de formation à la citoyenneté, sont devenues des cibles pour les intégristes islamistes. .

Avant de débuter cette audition, nous avons bien entendu une pensée pour Dominique Bernard, lâchement assassiné, pour sa famille, pour ses proches ainsi que pour les personnels de l'éducation nationale blessés vendredi dernier à Arras.

Nous tenons aussi à vous remercier, madame Paty, d'avoir accepté de venir témoigner devant nos commissions au moment où cet assassinat ravive des souvenirs douloureux pour vous-même et pour l'ensemble de la communauté éducative.

Vos différentes prises de paroles ont été scrutées et commentées depuis l'assassinat de votre frère. Vous interveniez hier, trois ans jour pour jour après le drame, au sein du collège Françoise-Giroud à Vincennes et sur la scène du théâtre de l'OEuvre ; vous avez prononcé à cette occasion des mots particulièrement poignants.

Certains de vos propos se sont avérés tristement prémonitoires, comme lorsque vous déclariez, il y a quinze jours, dans Marianne, que « nous n'étions pas dans l'après-Samuel Paty, mais dans le pendant ».

D'autres résonnent avec une acuité toute particulière, comme lorsque vous indiquiez, à l'occasion de la remise d'un prix créé en l'honneur de votre frère, qu'« enseigner, c'est expliquer et non se taire ! ».Aujourd'hui, un enseignant sur deux déclare dans notre pays s'autocensurer par peur des contestations d'enseignements.

C'est dans ce contexte que nous conduisons cette mission commune de contrôle, destinée non pas à juger des faits - cette tâche relève des procédures judiciaires en cours -, mais à les comprendre, à les mettre en perspective et à apprécier si la situation a évolué depuis trois ans afin de formuler des propositions visant à améliorer la réactivité et l'efficacité des services publics concernés, qu'il s'agisse de la police, de la justice ou de l'éducation nationale.

Nous essayons, à notre tour et dans notre rôle, « d'expliquer et de ne pas nous taire » pour prévenir non plus l'occurrence, mais la multiplication des drames.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Au préalable, madame Paty, je dois vous rappeler que nos commissions s'étant dotées des pouvoirs de commission d'enquête, un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Mickaëlle Paty prête serment.

Mme Mickaëlle Paty. - Je dédie mon intervention à Dominique Bernard, professeur assassiné le 13 octobre dernier lors d'une attaque terroriste islamiste durant laquelle ont été exécutés les ordres de ceux qui veulent détruire notre école pour détruire notre démocratie. Oui, je la dédie à celui qu'on n'a pas sauvé : Dominique Bernard.

Je vous remercie pour l'ouverture de cette mission de contrôle parlementaire dotée des pouvoirs de commissions d'enquête afin de comprendre les failles administratives et politiques ayant pu concourir à l'assassinat de Samuel Paty, d'analyser les mesures correctives qui ont suivi et d'en tirer des recommandations.

En voulant vous écrire ces quelques mots, je me suis retrouvée face à l'angoisse de la page blanche. En fait, j'ai compris que cette angoisse venait non pas de la peur de n'avoir rien à dire, mais, au contraire, de celle d'avoir trop à dire. Je me suis ensuite perdue dans les méandres du politiquement correct : à trop mettre les formes, on en oublie le fond. Il m'a fallu revenir à l'essentiel : le simple fait qu'un professeur ait pu être décapité pour blasphème en France en 2020 montre bien que des failles existent.

Je vous demande de mener cette enquête au nom de mon frère : il faut partir du singulier pour comprendre ce qui nous concerne tous, car partir d'un ensemble ne permettra jamais de comprendre le destin tragique d'un homme, d'un professeur, mon frère, Samuel Paty.

Je vous demande d'enquêter bien au-delà du cercle d'imputabilité défini par la justice. La justice traite le crime en fonction du champ des possibles, mais la vérité judiciaire ne condamne que ce qui est pénalement répréhensible et néglige la responsabilité politique, celle qui prône le respect des droits fondamentaux, de l'ordre républicain et de l'intérêt commun. Cette vérité est mise entre guillemets et minimisée par tous ceux qui se retrouveraient face à leurs responsabilités s'ils devaient l'affronter sans fard. Ce comportement d'irresponsabilité illimitée est légitimé par une meute de courtisans prêts à toutes les compromissions, notamment lorsque ceux-ci délivrent des certificats de probité sans examen de conscience. Il est également encouragé par l'attribution de promotions et de décorations, même en cas d'échec ou de fiasco : ceux qui les reçoivent ont le sentiment d'avoir fait ce qui devait être fait et cela procure une immunité de fait à ceux qui les distribuent. Les inconséquences qui en découlent renforcent la méfiance et la défiance d'un peuple qui ne croit plus en ses représentants.

Ce renoncement à l'intégrité, qui ne s'explique pas par une quelconque incapacité intellectuelle, ne permet plus de mettre en harmonie la parole et les actes. Seule subsiste cette probité de façade qui laisse ouvertes des brèches immenses permettant la réalisation des actes les plus odieux. C'est bien dans ce contexte que l'absurde est devenu réalité : mon frère a été décapité le 16 octobre 2020.

Trois ans plus tard, il est temps de prendre conscience que la fameuse phrase de Jean-Michel Blanquer - « il y aura un avant et un après Samuel Paty » - n'aura pas eu les effets attendus. Cet après laisse régner la violence et bloque tout débat : cela revient à imposer le respect des croyances et non plus des croyants. Nous basculons ainsi d'une démocratie laïque à une théocratie. La parole est définitivement bâillonnée lorsque le mot laïcité est objectivé afin d'en dénaturer le sens et de le transformer en une injonction à l'athéisme.

Si la référence n'est plus la loi, mais le fait de ne pas offenser certains musulmans, qui mettent leur créateur au-dessus de tout, cela n'entraînera que censure et immanquablement une application différenciée des règles en fonction de l'appartenance religieuse : tel est le véritable ferment de la discorde et du séparatisme.

Prôner la tolérance et invoquer toujours plus de bienveillance revient à sous-entendre que le professeur est un être malveillant par nature : cela ouvre la voie à des dérives incontrôlables et cela renforce les extrêmes. Peut-être faut-il cesser de dire que c'est le résultat qui est erroné, mais plutôt de reconnaître que c'est la méthode qui est mauvaise.

Je vous invite à essayer de mettre le mot empathie à la place de bienveillance et d'adopter la perspective d'autrui. La culture de l'empathie favorise la lutte contre le harcèlement - Gabriel Attal l'a souligné le mois dernier. Mais l'empathie ne se résume pas à cela : cette attitude favorise également un climat scolaire propice aux apprentissages, conforte le respect de la pluralité des opinions et permet de se prémunir contre des pensées dogmatiques. L'empathie émotionnelle, celle utilisée par mon frère dans son cours, est la seule capable d'induire un comportement moral et de favoriser l'acquisition de la notion du bien et du mal. La responsabilité morale, qui manque cruellement, consiste à reconnaître émotionnellement les préjudices ou la douleur causés. Le Danemark l'a bien compris, depuis 1993, les cours d'empathie y sont obligatoires ; les jeunes de six à seize ans bénéficient d'une heure de cours d'empathie par semaine. Sans empathie, il est impossible de comprendre les principes de la laïcité, les valeurs de la République ou la liberté d'expression. Sans empathie, on n'accorde aucun crédit à la vie de l'autre, qui est alors relégué au rang d'ennemi. C'est non pas le contenu des réseaux sociaux qui pose problème, mais bien la culture de la tête baissée : celle-ci nous ferme au monde par le biais d'un repli narcissique et elle nous empêche de dépasser la peur de l'inconnu.

L'empathie identifie qui est la victime et qui est le bourreau : grâce à elle, nous n'avons pas à nous confronter à des bourreaux prétendument victimes, sinon c'est ainsi que l'on finit avec des crimes sans coupables, voire avec des victimes un peu responsables.

L'éducation à l'empathie restaure le sens du mot fraternité : Omar Zanna, docteur en sociologie et en psychologie, professeur des universités en sciences de l'éducation au Mans, rappelle que l'empathie s'éduque. Certes, elle est inhérente à l'espèce humaine, mais si elle n'est pas éduquée, elle ne se développe pas. J'estime que les parents et l'ensemble du personnel des établissements scolaires devraient aussi en bénéficier.

Qu'est-ce qu'on devient après ça ? C'est cette question que je me suis posé le lendemain de la mort de mon frère, lorsqu'il a bien fallu que je fasse quelque chose de ce « ça » - un « ça » sans nom, juste un visuel. À l'institut médicolégal, ma première réaction a été de dire : « ce n'est pas lui » ; je ne voulais pas que ce corps meurtri soit celui de mon frère. Ce « ça » innommable ne prendrait sens que lorsque j'aurai eu toutes les vérités - même celles dont je n'aurais pas voulu qu'elles soient vraies. En règle générale, nous choisissons nos vérités. Dans certains cas, on observe toutefois que ce n'est pas nous qui choisissons nos vérités, mais ce sont les vérités qui nous choisissent : c'est ce qui se passe quand certains veulent nous imposer leurs vérités, celles qui sont agréables et rassurantes - peut-être pour eux, mais pas pour moi.

Tel est le sentiment que j'ai ressenti à la lecture du rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche. Celui-ci s'intitule - avec une sobriété forcée et anonyme - : « Enquête sur les événements survenus au collège du Bois d'Aulne (Conflans-Sainte-Honorine) avant l'attentat du 16 octobre 2020 ». Ce titre retire à mon frère la plus simple dignité ; celle que cette enquête soit menée en son nom. On y évoque la gestion d'un trouble, dont le cours de mon frère sur la liberté d'expression serait à l'origine. La formulation choisie trahit l'intention véritable de ce travail : il s'agit non de faire la lumière sur les responsabilités et les éventuelles erreurs des uns et des autres, mais avant tout de dédouaner l'institution de toute responsabilité éventuelle.

Je m'interroge sur la conception très particulière du dialogue de cette mission d'inspection avec les acteurs du terrain : seuls trois professeurs sur cinquante et un ont été entendus, contre quatre représentants des parents d'élèves. Ainsi, le rapport de force est inversé. Comment ne pas s'interroger également sur la rapidité avec laquelle le rapport a été rédigé ? Celui-ci a été bouclé - ou bâclé - en quinze jours.

Je tiens également à souligner la volonté constante de l'éducation nationale de faire totalement abstraction d'une quelconque notion de péril grave et imminent - comme ce fut le cas la semaine précédant l'attentat - et de continuer de transformer une campagne islamique en problème pédagogique. Cette procédure a sans doute été utilisée pour empêcher tout exercice du droit de retrait. Celui qui oserait se retirer en de telles circonstances commettrait alors un abandon de poste et serait sous le coup d'une menace de radiation. Quid des non-dits de l'éducation nationale ? On parle d'élèves et de familles compliquées, jamais difficiles, ou tout simplement impossibles à gérer et refusant de s'insérer dans la société française. Pourtant, l'administration juge que les professeurs sont en difficulté et que les chefs d'établissement sont insuffisants.

On a demandé à Samuel de formuler des excuses auprès de ses élèves. Ce comportement donne tout pouvoir aux parents d'élèves qui ont un compte à régler avec l'institution : on se retrouve avec des élèves victimes et s'ils n'y avaient pas encore pensé, on les désigne obligeamment comme tels. Le professeur devient coupable aux yeux de tous - même auprès de certains de ses collègues. L'un d'eux, faisant du zèle pour l'accabler, se mettra en scène devant ses élèves de classe de troisième ce qui aura certainement motivé ceux-ci à se retrouver à 17 heures le 16 octobre 2020 pour livrer mon frère à son bourreau. Ce petit professeur, meurtri d'avoir perdu son titre de coordinateur de matière au profit de mon frère, adoptera à son tour une posture victimaire au retour des vacances de la Toussaint, sans doute victime de ses collègues, spectateurs complices, qui se sont inventé une conscience post-attentat. Pourtant, ils ne trouvaient rien à redire à son comportement avant le drame, au moment où il aurait fallu resserrer les rangs. Comble de l'ironie, ce professeur bénéficiera ensuite de la procédure de mise en retrait de l'éducation nationale, peu après la rentrée du 2 novembre 2020. Même lorsque la vérité éclatera le 9 octobre 2020 - c'est-à-dire l'absence de la petite menteuse dans le cours incriminé -, tout le monde sans exception continuera à propager la calomnie et traitera mon frère en coupable : l'imaginaire s'est donc substitué au réel.

Je souhaite revenir maintenant sur le comptage des atteintes mensuelles à la laïcité - sans doute un terme pudique pour ne pas parler d'offensive islamique. L'ancien ministre de l'éducation nationale, Pap Ndiaye, préférait parler de la culture du signalement afin de minimiser la gravité du phénomène. Il indique tout de même deux pics annuels : l'un au moment du Ramadan, l'autre en octobre, à la date anniversaire de l'attentat contre mon frère - confirmant ainsi qu'il s'agit bien de revendications identitaires de la mouvance islamiste. Selon lui, il s'agit de phénomènes inéluctables, auxquels il faudra bien s'habituer, tout en se refusant d'admettre que le nombre réel d'atteintes à la laïcité est sous-évalué, que nombre de faits ne sont pas signalés et que l'on assiste à une recrudescence de ces actes depuis l'assassinat de mon frère. À quoi cela sert-il de jouer le jeu de la transparence sans même reconnaître que l'on navigue en eaux troubles ?

Les signalements des atteintes à la laïcité relèvent de la responsabilité des chefs d'établissement. Ceux-ci sont rédigés sur une fiche « Fait établissement », relevant du niveau 3, c'est-à-dire un fait d'une extrême gravité entraînant obligatoirement une réaction de l'institution. Contrairement aux propos tenus par Pap Ndiaye lors de son audition par vos commissions le 4 juillet dernier, tous les faits de niveau 1 à 3 remontent au ministère ; le niveau 4 relève du national et ne peut donc être traité au niveau académique. Pour les niveaux 2 et 3, sont alertés l'inspecteur d'académie- directeur académique des services de l'éducation nationale (IA - Dasen), le recteur, le référent justice et l'équipe mobile de sécurité. Pour le cas spécifique du niveau 3, les chefs d'établissement doivent, au préalable, prendre attache téléphonique auprès du Dasen ou de son adjoint, le cas échéant, avant toute retranscription de l'événement. Sur la fiche « Fait établissement », les chefs d'établissement doivent effectuer une courte narration des faits, préciser si l'événement est susceptible d'avoir un retentissement médiatique - je vous demanderais de noter ce paramètre - et remplir deux cases :« victime » et « coupable présumé ».

Comment retire-t-on l'octroi de la protection fonctionnelle ? C'est assez simple : il suffit de noter « groupe d'élèves » à côté de la case « victime », et « personnel de l'établissement » à côté de la case « coupable » ; ainsi, la faute est imputée à l'agent, faisant obstacle à l'octroi de la protection fonctionnelle, et ce même si elle est demandée par l'agent. Même cette protection dérisoire aura été refusée à mon frère.

Le 9 décembre 2022, alors que je m'exprimais à l'occasion de la Journée de la laïcité, je posais la question suivante : pourquoi laisse-t-on encore le soin aux chefs d'établissement de décider si une tenue est ostensiblement religieuse ? Cela n'a qu'un seul effet : renvoyer dos à dos les « gentils »- ceux qui les tolèrent -, et les « méchants » - ceux qui s'y opposent.

Les abayas, les qamis et même le voile affichent ostensiblement l'appartenance religieuse islamique de ceux qui les portent. Il n'y a pas besoin de savoir si ces tenues vestimentaires s'accompagnent de discours ou d'attitudes qui contestent la laïcité et s'il s'agit d'un comportement prosélyte ou communautariste. Le simple fait de les porter est un acte de défiance à l'égard de la règle commune. Il s'agit ni plus ni moins d'un appel à la désobéissance civile ; sans règle commune, sans structure, la société s'écroule. Je félicite Gabriel Attal de rejoindre mes convictions et d'avoir renoncé à la pratique du cas par cas : il faut arrêter de croire que ceux qui ne respectent pas la laïcité ne comprennent pas le sens de leurs actes. Ils le comprennent trop bien : c'est pour cela qu'ils veulent la détruire.

Il est inutile de parler de chantier, comme l'a fait le président Macron le 24 juillet dernier : les travaux coûteux de rénovation négligent les vices cachés. Il faut préciser s'il s'agit d'un chantier de construction ou de démolition.

Depuis l'attentat dont mon frère a été victime, les enseignants quittent massivement le navire de l'éducation nationale. Un rapport de votre commission des finances indique que, entre 2020 et 2022, le nombre de démissions est passé de 30 959 à 39 270, soit une augmentation de 26 %. À cela s'ajoutent les quelque 20 000 départs à la retraite chaque année qui ne sont pas remplacés intégralement par le recrutement sur concours. Pour l'année scolaire 2023-2024, 16 % des postes offerts au concours sont restés vacants, soit 3 100 postes non pourvus supplémentaires. Conséquence immédiate : le ministère doit faire appel à des contractuels non formés. On ne peut que s'interroger sur les modalités de recrutement, alors que M. Sefrioui, fiché S et mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle dans l'assassinat de mon frère, a été maître auxiliaire en informatique pour l'éducation nationale pendant quinze ans à Paris.

Les enseignants restants se retrouvent avec des classes surchargées et ne sont plus en mesure de dispenser un enseignement de qualité. Pour pallier ce problème, le ministère demande aux enseignants de multiplier les astreintes dans le cadre du pacte enseignant ou aux assistants d'éducation d'assurer le cours grâce à un support numérique. Chacun connaît l'expression « qui peut le plus peut le moins ». En procédure dégradée, c'est « qui peut le moins fait ce qu'il peut ». Ce ne sont plus la pédagogie ni la qualité de l'enseignement qui sont attendues, mais le simple fait de fournir un service minimum. En procédure dégradée, il y a une tolérance sur les pertes.

Selon l'enquête menée par l'Institut français d'opinion publique (Ifop) en décembre 2022, plus d'un professeur sur deux avoue s'être déjà censuré. Or l'ancien ministre estimait qu'il ne saurait y avoir d'omerta dans l'éducation nationale et qu'il serait intraitable à ce sujet. Que voulait-il dire concrètement ? Qu'il ne sanctionnerait pas le professeur qui n'appliquerait pas tout le programme ? Mais quel soutien le ministère apporte-t-il au professeur qui relève le défi d'enseigner tout le programme ? Il faut bien reconnaître que le fait de défendre les valeurs républicaines est bel et bien une prise de risque ; la menace de se prendre « une Samuel Paty » est devenue l'arme de toute censure islamique.

La circulaire du ministère de l'éducation nationale « Plan laïcité dans les écoles et établissements scolaires » du 9 novembre 2022 tente d' apporter une réponse. Le premier volet consiste à sanctionner systématiquement et de façon graduée les élèves portant atteinte à la laïcité lorsqu'ils persistent dans leur comportement après une phase de dialogue. Or c'est mal connaître ces jeunes que de penser qu'un rappel à l'ordre sert à quelque chose. Ce qui est perçu comme une sanction pour l'éducation nationale est perçu tout au plus comme une humiliation aux yeux de cette jeunesse, qui n'accorde aucun crédit à l'autorité. Ces sanctions, qui ne débouchent sur rien, développent un sentiment d'impunité et entraînent des actes de récidive ou de vengeance. On traite les symptômes sans traiter le mal. Le problème est l'absence générale d'autorité envers cette jeunesse, qui n'a plus de limites et qui ne peut ni ne veut faire société. Or l'école ne peut pallier la carence de figures représentant l'autorité auprès de ces jeunes, mais il faut lui rendre celle qui lui est propre.

Il faut que l'institution endosse les rôles qui lui incombent, c'est-à-dire sa capacité à prendre sous sa responsabilité les sujets les plus fragiles. Il faut également qu'elle réponde des erreurs commises dans le dossier de mon frère, sinon pourquoi les enseignants prendraient-ils le risque de défendre les valeurs républicaines s'ils ne sont pas assurés d'être protégés ? En restaurant une République ferme sur ses principes, exemplaire et responsable, on pourra alors parler d'autorité légitime et ainsi obtenir l'adhésion par respect et non par soumission en infantilisant ou en manipulant nos sentiments de peur. Perdre l'école, ce n'est pas perdre une bataille ni offrir une prise de guerre à l'adversaire, c'est perdre la guerre.

Il convient maintenant de se pencher sur l'action du ministère de l'intérieur. La plateforme Pharos est censée effectuer une veille sur les réseaux sociaux, en s'appuyant notamment sur les signalements des citoyens. Quelques mois après l'assassinat de mon frère, Laurent Nunez, alors coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, se félicitait d'avoir triplé les effectifs de Pharos, pour atteindre un peu plus de 90 policiers et gendarmes. Mais les signalements ont eux aussi triplé entre 2020 et 2021 : mathématiquement, cela revient au même. Je m'interroge également sur les capacités et les modalités d'analyse des données et sur le traitement qui en découle.

Que dire également des réseaux sociaux, qui semblent être devenus le lieu privilégié de la calomnie et de toutes les propagandes ? La modération de ces médias est très limitée, et ses critères en sont incertains. Il m'a fallu trois mois, assistée de mon avocate, pour obtenir la suppression par Facebook France d'une vidéo de Brahim Chnina, mis en examen pour complicité d'assassinat terroriste. Étrangement, Pharos, qui avait pourtant reçu de nombreux signalements à cet égard, n'a pas agi pour la supprimer ou n'a pas été en capacité de le faire.

J'ai voudrais vous faire part de quatre articles de presse. Le premier est un article paru dans Libération le 17 octobre 2020 intitulé : « Conflans : une note de renseignement retrace la chronologie des jours précédant l'attentat ». Le deuxième est un article publié dans Marianne le 28 octobre 2020 intitulé : « Dans les Yvelines, la grande compromission d'élus avec l'islam radical ». Le troisième est un article du Parisien, paru le 30 octobre 2020, intitulé : « Après l'attentat de Conflans, le Conseil des instances musulmanes des Yvelines (Cimy) dans la tourmente ». Enfin, un article de la Gazette en Yvelines du 13 novembre 2020 est intitulé : « Mis en cause, le CIMY répond à ses détracteurs ». J'ai extrait des éléments factuels de ces articles. Les renseignements territoriaux des Yvelines - ou RT 78 - dépendent de la direction centrale du renseignement intérieur. Leur note du 12 octobre 2020 indique que « la communication a vivement permis d'apaiser les tensions. Pour l'heure, les responsables de la communauté musulmane locale ne se sont pas manifestés ». Pourtant, du propre aveu des RT, le Conseil des institutions musulmanes des Yvelines avait eu connaissance de l'affaire des caricatures, les RT rappelant que « des démarches amiables avaient eu lieu et [que] la situation s'était apaisée. » Ces propos ont été tenus avant le 16 octobre 2020. Le Cimy s'attribue un rôle de médiateur entre la communauté musulmane et l'État. Abdelaziz El Jaouhari, ancien secrétaire du Cimy, a déploré que « nos instances avaient failli avant l'attentat, car elles n'avaient pas permis d'éteindre la polémique et d'intervenir auprès de ce père de famille ». Il mentionnera également avoir reçu la vidéo du père, Brahim Chnina, le 12 octobre 2020, par l'un des membres du Cimy. Le Conseil ne démentira pas ce partage de vidéo, mais parlera d'une « pure erreur matérielle » et condamnera cet acte a posteriori. Le Cimy a estimé avoir rempli sa part du contrat en effectuant des « démarches amiables » et en constatant que la situation était apaisée.

Quelle était donc la nature du contrat ? Quels ont été les critères objectifs pour affirmer que la situation était « apaisée » ? Ce terme et cette analyse fallacieuse se retrouvent dans la note des RT 78 mentionnée ainsi que dans le rapport du référent laïcité, également daté du 12 octobre 2020.

Je m'interroge sur le rôle de médiateur et l'impartialité d'une organisation musulmane pour mener une négociation entre deux parties adverses, ce qui sous-entend la légitimité des revendications religieuses d'un côté, et républicaines de l'autre. Les parties prenantes doivent alors effectuer des compromis pour trouver un accord. Est-ce pourtant le rôle de l'État ou de ses représentants, étant donné leur obligation de neutralité, de composer avec des revendications islamistes ?

Je vais tenter de vous montrer la fausseté de l'ensemble et comment un groupe confessionnel a réussi ce coup de maître en dupant l'État. Si l'on se fonde sur la note des RT 78, la situation a été évaluée en fonction du seul paramètre suivant : que les responsables de la communauté musulmane locale se manifestent avec une probable médiatisation de l'affaire, à savoir « une menace de sit-in ou de manifestation »

Pour rappel, ce risque de médiatisation est également important pour l'éducation nationale. Les menaces de troubles à l'ordre public sont devenues le cheval de Troie d'intégristes musulmans prétendument offensés. Chaque offense se traduira par des manifestations bruyantes, voire violentes. C'est ainsi que l'on vide le délit de blasphème de tout caractère religieux ; le blasphème trouve ainsi sa traduction séculière La préservation de l'ordre public fait partie des prérogatives d'un État de droit, si bien qu'au nom de la préservation de l'ordre public, on finit par prôner le concept de préservation de la paix religieuse en demandant des avis, des conseils et des actions aux représentants de la communauté musulmane. Ce faisant, on réhabilite inévitablement le délit de blasphème et la condamnation par décapitation qui en découle. La neutralité de l'État en France aurait dû pourtant nous en prémunir.

Je reviens maintenant sur les propos tenus par M. Gérald Darmanin le 7 avril 2022 sur BFMTV. Celui-ci a souhaité faire écho à notre dépôt de plainte contre son ministère. Il a précisé que nul ne pouvait prévoir le passage à l'acte d'Abdoullakh Anzorov, qui habitait à plus de 80 kilomètres du collège où enseignait mon frère, qualifiant ainsi l'événement de fatalité, ajoutant que son ministère n'aurait pas à en rougir. Il indiquera également que « l'État n'a rien à cacher. L'État était au rendez-vous, il a protégé et il continue de protéger ».

Or je rappelle que les forces de police sont soumises à l'obligation de moyens, obligation en vertu de laquelle celles-ci doivent déployer tous les efforts pour atteindre l'objectif visé. Il y a eu manifestement un défaut de moyens, à moins que l'objectif visé ne fût pas de sauver mon frère.

Dans son livre intitulé Notre Solitude, Yannick Haenel, chroniqueur à Charlie Hebdo depuis 2015, évoque sa couverture du procès de janvier 2015 durant deux mois et demi. À la lecture de ce livre, je me suis sentie tantôt comme lui, dans son désarroi d'être narrateur, tantôt comme les victimes de l'attentat contre Charlie qui sont victimes sans accepter de l'être, ce que je suis aussi. Il y aura toujours un lien qui ne sera pas à la limite de la raison, mais au-delà. C'est ce qui me permet, non sans une certaine révolte, de prendre la hauteur nécessaire pour comprendre et que dans nos nuits sans sommeil, on se retrouve dans notre solitude.

Je vous lis les pages 132 à 134. « Le téléphone sonna (...) j'ai décroché. C'était Julien, il me dit qu'il avait une bonne nouvelle et une mauvaise nouvelle.

« La mauvaise, c'était que depuis la republication des caricatures, suite aux menaces qui ne cessaient de s'amplifier, le niveau de tension était monté si haut que le ministère de l'intérieur avait décidé de nous donner, à [François] Boucq et à moi, une protection.

« Je ne comprenais pas : quelle protection ? Julien précisa : « Une protection policière. Vous aurez chacun un officier de sécurité. » (...)

« Il n'y avait pas de menace précise à l'encontre de Boucq et moi, me dit-il, le risque n'était que diffus, mais la tension internationale était à son comble, le président Erdogan et son gouvernement déchaînaient le monde musulman contre la France, et comme le président Macron lui avait résisté en défendant la laïcité à la française, nous étions entrés dans une période d'affrontement : sur les réseaux sociaux, les appels au meurtre se multipliaient, Charlie Hebdo était en première ligne, et le fait que se tienne en ce moment un procès contre le terrorisme islamiste exacerbait les passions négatives.(...)

« [Le 24 septembre] je suis allé place Beauvau, où le commissaire François B. m'a reçu pour me faire signer une lettre officielle de prise en charge par le [service de la protection] SDLP (...) ».

Les deux chroniqueurs qui ont retracé le procès de l'attentat de Charlie Hebdo ont bénéficié d'une mesure de protection par le SDLP le 24 septembre 2020, alors qu'il n'existait pas de menace précise à leur encontre. Le 25 septembre 2020, un projet d'attentat avorté contre Charlie a eu lieu à leur ancienne adresse. Deux personnes de l'agence de presse Premières Lignes ont été blessées avec une feuille de boucher.

Le mois d'octobre suivant a également été sanglant - je pense à Vincent, Simone et Nadine, assassinés dans la basilique de Nice le 29 octobre.

Si je résume, le contexte était-il différent les jours précédant le 16 octobre, jour de la mise à mort de mon frère ? La réponse est non.

Samuel avait-il reçu des menaces précises par des individus proches de la mouvance islamiste ? La réponse est oui.

Est-ce qu'il y avait rupture d'anonymat ? La réponse est encore oui.

Était-il question de caricatures de Charlie Hebdo ? La réponse est encore et encore oui.

Alors qu'avait-il de moins ou qu'avait-il de plus ? Une personne anonyme ne court-elle pas les mêmes risques qu'un sujet connu ? Une personne anonyme n'est-elle pas traitée avec autant d'égard qu'un sujet connu ? S'il y a une différence de traitement entre les individus, que devient la notion d'égalité ?

Je vous propose de vous pencher maintenant sur les propos tenus par M. Éric Dupond-Moretti, actuel ministre de justice, dans l'hémicycle du Sénat le 2 avril 2021 : « c'est toujours difficile de réécrire l'Histoire, mais nous nous sommes dit : qu'est-ce qui aurait permis d'éviter ça ? Si je vous dis « rien », c'est désespérant, mais c'est la réalité. C'est la raison pour laquelle nous avons conçu l'article 18. »

L'article 18 du projet de loi confortant le respect des principes de la République, devenu l'article 223-1-1 du code pénal, sanctionne le fait de révéler des informations relatives à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public. Les peines encourues sont de 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je m'interroge bien évidemment sur les informations détenues par M. Dupond-Moretti à cette date pour tenir de tels propos. Certes, un témoignage ne fait pas enquête, mais dire que rien n'aurait pu éviter le drame, c'est déjà un grand exercice de réécriture des faits. Le ministre, avocat au Barreau de Paris, ne peut nier l'existence d'un puissant arsenal juridique qui aurait pu protéger mon frère s'il avait été mis en oeuvre. Certes, le code pénal est perfectible, mais cela ne sert à rien de l'étoffer si la force de la loi n'est pas restaurée pour lutter contre la loi de la force. Sans doute le consensus politique manquait-il pour que les services de sécurité intérieure soient autorisés à intervenir. Ce consensus ne semble exister que lorsque l'état d'urgence est déclaré, soit après chaque attentat, et non avant.

J'invite le Président de la République à honorer les propos tenus sur Brut le 8 avril 2022, lorsqu'il affirmait : « On va tout mettre à plat et regarder ». Sur BFMTV, le 7 avril 2022, M. Darmanin disait quant à lui : « Il faudra que l'État dise tout ce qu'il a pu faire. C'est normal dans un État de droit ». Eh bien, j'attends.

Je ne peux conclure : il y aurait encore tant à dire.

Oui, j'en veux bien évidemment à ceux qui croyaient accomplir un travail, alors qu'ils avaient un métier, laissant de côté leur savoir-faire, lui préférant un « savoir se taire », et, au besoin, un « savoir faire taire ». La décence était de le reconnaître et de faire amende honorable. C'est la base du savoir-être. Mais ce n'est plus le cas en ce monde : on a substitué le paraître à l'être.

Oui, j'en veux également à ceux qui choisissent une vérité alternative, défendue par quelques courtisans cherchant carrière. Cette vérité erronée est rassurante pour eux et les maintient dans l'entre soi. On n'éprouve jamais de la honte face à soi-même. Lorsque certains craignent le regard des autres, le jugement, c'est bien que celui-ci les renvoie à leur propre culpabilité. Dans ce monde, on détourne le regard de l'autre, ou bien on ferme carrément les yeux.

Oui, j'en veux à ces éternels adeptes de l'idéologie du « pas-de-vaguisme », ceux qui sont les premiers à se mettre à genoux et à regarder tomber ceux qui sont restés debout. Ils se murmurent à l'oreille : « tu vois, on a bien fait de se coucher. » Dans cette partie géante de « 1, 2, 3, Soleil », le maître mot est « T'as bougé, tu dégages ». Cette pathologie paralysante et tétanisante semble avoir atteint par contagion l'État tout entier.

C'est la culture du « pas de vague », de l'alibi et de la soumission - termes injurieux mais surtout inavouables : pour être capables et coupables du pire, il faut bien se trouver des raisons.

Dans ce monde, on valorise le sujet obéissant, passif, parfois lâche, mais on dénigre le sujet rebelle en le qualifiant de traître, alors que celui-ci a pourtant agi comme il convient au sens de la morale. Au sein d'une société fortement hiérarchisée, agir comme il convient, c'est d'abord, au contraire, faire ce que l'autorité exige, de sorte que quiconque s'oppose à elle s'expose à la réprobation générale.

Loin d'être considéré comme un héros - un terme que le président Emmanuel Macron a pourtant utilisé pour qualifier mon frère lors de l'hommage national tenu à la Sorbonne le 21 octobre 2020 -, le sujet résistant est considéré comme un paria, tenu à l'isolement et livré à la vindicte populaire. Ainsi, Samuel a été livré seul en pâture à la mouvance islamiste.

=Mon frère a été reconnu par certains, et à tort, coupable de déloyauté. Il a payé cette désobéissance en finissant seul : l'État n'honorera pas sa part du contrat social en lui assurant sa protection.

Le dernier condamné à mort pour blasphème en France n'est plus François-Jean Lefebvre de la Barre, exécuté en 1766 à Abbeville. C'est désormais Samuel Paty, exécuté en 2020 à Conflans-Sainte-Honorine.

Combien de temps vous faudra-t-il pour comprendre que la culture de l'alibi, soit religieuse, soit ethnique, est utilisée pour commettre les pires exactions ? Finalement, à vouloir éviter discrimination et stigmatisation, cette attitude amalgame et réduit au silence ceux qui, comme mon frère, pensent que « la vie de l'homme est le droit le plus sacré ».

Qu'ont-ils appris après ça ? Si je vous dis : rien, c'est désespérant, mais c'est la réalité.

Est-ce qu'il n'y a que l'horreur de ce vendredi 13 octobre qui va me donner raison ?

M. Henri Leroy. - Nous avons été très attentifs au courrier que vous avez envoyé au président du Sénat et au président de la commission des lois. Celui-ci a suscité la création de cette mission d'information dotée des prérogatives d'une commission d'enquête.

Merci pour votre témoignage d'une émouvante dignité.

Votre famille a-t-elle été informée, associée ou consultée dans les discussions concernant la sécurité de Samuel après qu'il a été menacé ?

Votre dramatique expérience vous permet-elle aujourd'hui de suggérer des mesures préventives vous paraissant indispensables à la protection et à l'accompagnement des enseignants qui vivraient actuellement la même situation que votre frère avant son assassinat ?

M. Jacques Grosperrin. - Il est difficile de réagir après des propos aussi poignants, courageux et qui incitent au respect.

Vous avez parlé de faillite politique et administrative. Vous avez indiqué vouloir vous affranchir du politiquement correct. Qu'est-ce qui vous met le plus en colère trois ans après l'assassinat de votre frère et quelques jours après celui de Dominique Bernard ? Votre frère a été attaqué à l'extérieur de l'établissement scolaire ; Dominique Bernard, aux portes de celui-ci ; il est malheureusement à craindre qu'un jour, un drame similaire survienne dans la classe.

Que pensez-vous des mesures prises depuis l'assassinat de votre frère pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Merci pour vos propos : il faut savoir dénoncer l'horreur avec les bons mots alors même que nous avons tendance, depuis longtemps dans notre pays, à ne pas employer les bons mots.

Je connais votre souffrance ainsi que celle de votre famille. Je sais que témoigner aujourd'hui devant nous tous était une manière pour vous de dire : « mon frère a donné sa vie parce que la République ne l'a pas défendu ».

Nous ne sommes pas suffisamment nombreux à dénoncer ce qui met en péril notre démocratie et notre liberté. A travers l'assassinat de votre frère, tel est pourtant également l'enjeu. Merci pour les mots très forts que vous avez prononcés aujourd'hui. Vous avez mon entière admiration.

Vous vous engagez pour protéger l'école. Hier soir, vous vous êtes exprimée admirablement à ce sujet à Paris. Pensez-vous que les enseignants qui prennent aujourd'hui leur poste sont conscients des menaces pesant sur eux et l'école ? Sont-ils suffisamment armés pour défendre la laïcité et l'école de la République ? L'école devrait être le lieu où les enfants se construisent dans la liberté, et où il est possible de s'exprimer et de critiquer sans être menacé. Quelle analyse faites-vous de l'école d'aujourd'hui, où certains enseignants se censurent, ou encore refuseraient de travailler dans une école ou un collège qui porterait le nom de votre frère ? Cela vous inquiète-t-il ? Quelle est votre position sur cette vague d'offensives islamiques que subit notre école ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Je salue votre courage et votre abnégation dans le combat que vous menez depuis trois ans. Dans le contexte actuel, nous sommes menacés par l'impuissance ; face à l'ampleur de la tâche, il faut savoir entendre les électrochocs tels que votre voix

L'obscurantisme s'attaque à la seule institution capable de former des adultes qui aimeront la différence, le dialogue, la complexité et qui chercheront l'intérêt général. Comment lutter contre cet obscurantisme pour que nos enfants deviennent des citoyens éclairés ?

Comment redonner corps à la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » pour qu'elle soit une réalité pour tous ? Voilà d'immenses défis qu'il nous faut relever au-delà des clivages partisans.

Êtes-vous toujours en contact avec des membres de la communauté enseignante, que ce soit celle qui travaillait avec votre frère ou d'autres personnes ? Font-ils appel à vous ? Au-delà de l'approche sécuritaire, quelle réponse faut-il, selon vous, apporter aux maux de l'école républicaine ?

Au coeur de l'attentat contre votre frère, se pose la question de la laïcité. Les enseignants se sentent-ils suffisamment armés pour transmettre la laïcité d'un point de vue pédagogique ? Comment réduire les incompréhensions entourant cette notion dans l'espace public ?

Mme Mickaëlle Paty. - Notre famille n'a jamais été informée des menaces pesant sur mon frère ; lui-même ne nous en avait pas fait part, se pensant protégé Dans un mail qu'il avait adressé à la principale de son collège, il disait croire à la justice. Malheureusement, il est mort avant que les propos calomnieux de MM. Chnina et Sefrioui n'aient été jugés.

Le risque encouru par les enseignants est aujourd'hui malheureusement avéré. En conséquence, il faut que l'éducation nationale propose d'emblée une mise en retrait aux enseignants menacés, sans multiplier les formulaires à remplir. Du reste, le droit de retrait a été accordé à d'autres enseignants, qui n'encouraient pourtant pas les mêmes risques que mon frère. Le SDLP peut intervenir dans un deuxième temps, pour accorder une protection.

J'en viens aux actions menées depuis l'assassinat de mon frère. De nombreuses circulaires ont été publiées par le ministère de l'éducation nationale ; la dernière en date est certes très bien faite. Mais elle n'apporte rien de plus. Elle prévoit des actions réflexes, telles que prévenir la police, contacter le rectorat, mais cela existait déjà auparavant. Je n'ai pas vu d'amélioration. Pire, certaines procédures sont très complexes : cet aspect fastidieux empêche des réactions efficaces, et je le déplore.

Je pense que les jeunes professeurs ont conscience des difficultés. Certains sont très motivés, mais nombre d'entre eux ont une conception ouverte, à l'anglo-saxonne, de la laïcité : ils ne comprennent pas la loi de 2004. Les jeunes professeurs font figure de gentils, et les moins jeunes, de méchants :l'école d'aujourd'hui est fracturée entre les générations.

Dans les jours ayant suivi la mort de mon frère, il m'avait été dit qu'un collège porterait son nom. Rapidement, certaines personnes s'y sont opposées, notamment le personnel sur place. On ne peut certes aller contre la volonté des gens. Il me semble pourtant que c'était un beau symbole - à l'heure où nous manquons précisément de symboles en France. ... Initialement, on avait mis en avant la nécessité d'attendre que l'ensemble des élèves ayant connu mon frère aient achevé leurs années de collège et quitté l'établissement, ce qui sera effectif à la fin de l'année scolaire 2023-2024. J'ai néanmoins appris par voie de presse que le maire de Conflans-Sainte-Honorine aurait trouvé un square - non encore construit - auquel donner le nom de mon frère, ce qui permettra de dire qu'il est inutile de donner le nom de Samuel Paty à un collège.

Un an après l'assassinat de Samuel, une partie de ma famille s'est rendue dans son collège, dans le cadre du travail organisé par des membres de la communauté éducative avec les élèves. En ce qui me concerne, une fracture a eu lieu lors de l'enquête pénale. L'inspecteur chargé de l'enquête m'a demandé trois noms de professeurs du collège qui pourraient témoigner ; les enseignants en question m'ont répondu qu'ils ne voulaient pas y aller J'ai vécu leur refus comme ce qu'a vécu mon frère lorsqu'il a été lâché par ses collègues. Je leur ai précisé que s'ils recevaient une convocation pour témoigner, ils seraient obligés de se présenter. Je ne m'attendais pas à une telle réponse de la part de personnes qui avaient, depuis le mois d'octobre 2020, tenu des propos auxquels qui étaient très bien J'ai alors ressenti cette grande solitude que mon frère avait vécue lui aussi.

J'ai rencontré de très nombreux enseignants lors de mes interventions, que ce soit à l'occasion de la journée de la laïcité ou sur d'autres sujets comme les fake news ; certains sont des gens formidables. Ma présence leur fait beaucoup de bien, car nombre d'entre eux se sentent terriblement seuls.

Sur la laïcité, on leur en demande trop. Certaines interventions doivent être menées à deux. La venue d'intervenants extérieurs, en renfort des professeurs, est une bonne chose. Il me semble que c'était là le principe de la réserve citoyenne, créée en 2015 ; l'objectif était de faire appel à des acteurs de la vie civile. Or, on ne le fait pas suffisamment. À titre d'anecdote, je travaille avec des sages-femmes qui souhaiteraient parler aux élèves d'éducation à la contraception, mais cela leur est impossible.

M. Hussein Bourgi. - Je salue la mémoire de votre frère, un homme qui avait choisi son métier et qui était un enseignant épanoui.

J'ai été profondément marqué par vos propos graves et forts qui ont résonné chez moi comme un réquisitoire, totalement justifié contre une institution qui me fait penser à la « Grande Muette », enfermée dans un splendide corporatisme, et qui ne sait pas être à la hauteur quand l'un des siens est en danger.

Avez-vous le sentiment que la mort de votre frère a servi à quelque chose ?

Mes collègues vous ont interrogée sur les mesures utiles pour venir en aide aux enseignants. Mais que pourrait-on faire pour prendre en charge un élève ou un parent d'élève qui se serait opposé à un professeur, en proférant des menaces voire en attentant à sa vie ? Protéger l'enseignant en lui permettant, le cas échéant, de faire usage de son droit de retrait ne règle pas tout le problème. Je conclurai mon propos en vous disant qu'une école Samuel-Paty a été inaugurée à Montpellier en septembre 2022. C'est un honneur et nous en sommes très fiers.

M. Max Brisson. - En tant que professeur d'histoire, je suis particulièrement sensible à votre témoignage. J'ai du mal à trouver les mots après votre intervention empreinte de colère et de dignité.

Selon vous, avant l'assassinat de votre frère, l'institution a nié la menace islamique et invoqué des problèmes d'ordre pédagogique. Cela renvoie à la terrible injonction du « pas de vague » que nous dénonçons mais que l'institution continue de nier.

Vous mettez également en avant un problème de formation des professeurs au principe de laïcité que promeut notre République et sur lequel celle-ci s'est fondée. Comme le montrent de nombreux rapports, dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), c'est souvent une version de la laïcité à l'anglo-saxonne plus relative, plus ouverte, qui est enseignée. Or, cette conception de la laïcité ne correspond pas à notre Histoire.

Ce qui s'est passé, et se passe encore actuellement, n'est-il pas le signe de la faillite, de la part de l'université, de la formation des professeurs du primaire et du secondaire ? N'est-il pas temps, à l'heure où le ministre Gabriel Attal évoque une École normale du XXIe siècle, que l'Éducation nationale reprenne en main la formation des professeurs ?

Mme Colombe Brossel. - Madame, c'est le coeur lourd que je me permets de vous interroger. L'Association des professeurs d'histoire et de géographie (APHG) a créé en 2021 un prix Samuel-Paty pour rendre hommage à votre frère - vous participez, je crois, aux travaux de son comité de pilotage. Ce prix vise à récompenser des travaux collectifs sur la laïcité menés par des collégiens. Quel est votre regard sur ce type d'action ?

M. Pierre Ouzoulias. - Je dois vous avouer mon émotion, mais aussi ma honte, devant la force et la dignité de votre discours. Vous parlez de votre frère avec une humilité qui force le respect.

Je suis d'accord avec la comparaison avec le chevalier de La Barre : votre frère est un martyr de la laïcité républicaine. Pour Ferdinand Buisson, l'école de la République devait former des Républicains. Or aujourd'hui, nous manquons d'une morale républicaine.

Depuis plusieurs mois, je porte, mais en vain, l'idée d'accorder de droit à chaque enseignant la protection fonctionnelle, quitte à la lui retirer si elle ne se justifie en fait pas. Ce serait à mon sens une marque de confiance importante pour les professeurs.

Je partage votre sentiment s'agissant des périls qui menacent la laïcité. Comme déjà souligné, nous sommes menacés par l'idéologie islamiste, qui s'attaque à ce qui fait le coeur de notre République, c'est-à-dire l'esprit critique et la raison. Mais nous sommes également menacés par les institutions européennes, qui promeuvent actuellement la neutralité religieuse. Mais ce n'est pas la laïcité !

Il serait donc temps, dans un grand mouvement national, que nous puissions débattre de façon souveraine de ces questions. La solution ne passerait-elle pas par la constitutionnalisation de la loi de 1905, ce qui permettrait à la Nation de se réapproprier la laïcité à la française ?

Mme Mickaëlle Paty. - La mort de Samuel a-t-elle servi à quelque chose ? Si tel avait été le cas, peut-être M. Dominique Bernard serait-il encore là.. Aucune véritable analyse de l'attentat contre mon frère n'a été faite.

Certes, on peut pointer diverses responsabilités ; mais il faut surtout comprendre l'ampleur de l'entrisme islamiste dans nos écoles. Après les menaces de décapitation, à quand les menaces de bombe ? La société est devenue un chaos.

Face aux revendications exprimées par certains élèves et leurs parents, il faut également mener un véritable combat idéologique. Exclure un élève ou le changer d'établissement ; convoquer le parent, le juger et le condamner, souvent à des peines négligeables ... Aucune de ces mesures correctives ne suffit. Elles ne peuvent qu'entraîner récidive. On se contente de déplacer les problèmes, de la même façon qu'en appuyant sur une tumeur cancéreuse, on dissémine des cellules cancéreuses partout.

L'islamisme est en pleine offensive. Le combat contre lui doit être mené par tous. J'ai pu constater que certains formateurs des Inspé se fourvoient dans une laïcité ouverte, qu'ils transmettent en conséquence aux nouveaux enseignants

Pour ma part, je ne comprends pas que l'enseignement supérieur et l'éducation nationale soient séparés entre deux ministères. La loi de 2004 ne s'applique pas à l'université, ce qui pose un problème de cohérence et de continuité notamment dans l'appréhension de la laïcité.

M. Brisson a évoqué le « pas de vagues » dans l'éducation nationale. Il y a une véritable peur de la médiatisation de la part du ministère de l'intérieur comme de celui de l'éducation nationale, conduisant minimiser les incidents par peur de réactions de la mouvance islamique Au final, on dessert la cause.

Concernant le prix Samuel-Paty dès le mois de décembre 2020, la secrétaire générale de l'APHG m'a demandé mon accord pour sa création. J'ai accepté et j'ai été très présente lors de la première année, même si, n'étant pas enseignante, je ne me considère pas assez légitime pour évaluer les travaux. La deuxième année, la participation a été ouverte aux lycées généraux et professionnels ; ma soeur et mes parents ont pris le relais auprès de l'APHG.

Il y a, à l'évidence, un intérêt à faire réfléchir les enfants, ce que leur défend l'islam politique. Le sujet abordé cette année portait sur les fake news. Les enfants endoctrinés doivent être sauvés ! Ils ont besoin d'entendre un contre-discours qui soit différent de celui entendu chez eux et dans leur entourage. Le rôle de l'école est de leur donner la chance d'avoir une autre vie.

Ce prix Samuel-Paty a du sens. Il renforce également la cohésion entre les professeurs en leur permettant de se retrouver : cette année, ils étaient près d'une centaine. Ce faisant, ils se sentent moins seuls. À défaut d'avoir le soutien de l'institution, ils ont le sentiment d'avoir le soutien de certains de leurs collègues qui partagent leur point de vue.

S'agissant de la protection fonctionnelle, elle est en fait accordée de façon systématique, à condition qu'aucune faute personnelle ne soit imputable à l'agent. À partir du moment où mon frère a été considéré comme coupable, il ne pouvait pas l'obtenir.

Mme Françoise Gatel. - Je salue votre témoignage et votre dignité avec beaucoup de respect et d'émotion.

Perdre l'école, c'est perdre la guerre, avez-vous dit. Hier, j'ai assisté à l'hommage rendu à Dominique Bernard dans le lycée Émile-Zola de Rennes. Le recteur nous a rappelé cette phrase d'Émile Zola : « La société sera demain ce que sera l'école ».

Vous avez parlé d'autocensure, qui est aussi celle de la société tout entière. Elle nous conduit à nous bâillonner et à nous faire penser qu'en taisant les choses, nous les effaçons. Albert Camus disait : « Mal nommer les choses, c'est ajouter du malheur au monde ».

On demande aux enseignants de transmettre nos valeurs sacrées dans ce sanctuaire qu'est l'école. Or, la communauté éducative, par peur, fonctionne plus par procédure que par affirmation de nos valeurs.

J'ai l'impression que le discours que nous tenons aujourd'hui n'est pas partagé par les jeunes générations. La défense de la laïcité à la française est ressentie par elles comme une atteinte à la liberté d'autrui. Hier, j'ai pu mesurer que certains élèves, tout en sachant qu'un homme venait d'être assassiné, trois ans après l'assassinat de votre frère, ne comprenaient pas qu'il s'agissait d'une attaque massive pour écraser notre société et nos valeurs.

Au-delà de l'école, toute la société ne devrait-elle pas porter avec force l'affirmation de nos valeurs, cesser d'être timide et d'avancer, comme vous le disiez Madame, tête baissée ?

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Nous ressentons bien évidemment une émotion particulière cet après-midi.

Pour ma part, je regrette que certains élus renoncent à rebaptiser des établissements scolaires du nom de votre frère, alors même que nous devrions en faire un exemple, comme nous l'avons fait dans les Alpes-Maritimes. Vous étiez d'ailleurs présente lorsque nous avons baptisé une école maternelle à Cap-d'Ail.

À la suite du drame, l'État vous a-t-il proposé un accompagnement pour votre santé mentale et votre sécurité ?

Selon vous, l'État est-il au rendez-vous des enjeux ? Vous écoute-t-il suffisamment ? Tient-il assez compte de vos propositions pour réussir l'après Samuel Paty, et désormais, l'après Dominique Bernard ?

Mme Monique de Marco. - Je salue votre courage. Merci de ne pas lâcher. Vous avez évoqué le manque de soutien envers votre frère de la part de ses collègues et de l'administration, Vous avez également rappelé que ses collègues avaient refusé de témoigner. Selon vous, pour quelles raisons ? Ont-ils eu peur de représailles, peur d'être menacés eux aussi ?

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - En janvier 2022, le Conseil des sages de la laïcité avait souhaité l'organisation d'une journée de commémoration de la mort de votre frère chaque année, la semaine du 16 octobre. À ma connaissance, il n'en a rien été. Par ailleurs, selon le sondage de l'Ifop paru en novembre 2022 que vous évoquiez, 40 % des enseignants interrogés disaient qu'aucun temps d'hommage n'avait été organisé en octobre 2022, soit deux ans après l'assassinat de votre frère. Ce chiffre ne traduit-il pas une difficulté, du côté des établissements mais également de l'éducation nationale, à parler de l'assassinat de Samuel Paty ?

Mme Mickaëlle Paty. - La grande majorité des enseignants qui s'autocensurent le font par peur. Mais il y a également un manque de courage, ainsi qu'un manque de connaissances. Il me semble que les nouveaux professeurs reçoivent une formation succincte sur la laïcité. Souvent, on les jette dans la fosse en leur demandant de se débrouiller par eux-mêmes. Parfois, ces jeunes professeurs peuvent trouver appui, dans leur établissement, auprès de collègues ; des formations ponctuelles existent aussi, mais elles sont assurées par des formateurs de l'Inspé qui privilégient une conception ouverte de la laïcité. Pour moi, la conception historique française de la laïcité doit être réaffirmée et approfondie.

Pour cela, il faut, comme je l'ai déjà dit, reprendre la main sur l'enseignement supérieur, pour pouvoir contrôler les formations données aux futurs enseignants.

Pour ce qui est de mon accompagnement, je n'ai pas bénéficié de mise sous protection, n'ayant pas reçu de menace.

La sécurité sociale m'offre pendant trois ans, je crois, un suivi psychiatrique ou psychologique régulier. Les frais de consultation sont entièrement pris en charge, mais le montant correspondant est déduit du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, ce qui me semble étonnant.

Un an après l'assassinat de mon frère, dans le cadre de l'enquête, le juge d'instruction Richard Foltzer m'a demandé si j'étais suivie ; je lui ai répondu : « j'ai essayé ». J'avais bien d'autres combats à mener que de consulter.

J'attends un « après » qui ressemble à quelque chose. Je ne suis pas venue aujourd'hui devant vous par plaisir, mais contrainte et forcée, parce que j'ai besoin de vous, Mesdames, Messieurs les sénateurs.

Beaucoup des enseignants qui ont refusé d'aller témoigner ont refusé par peur - non pas par peur du terrorisme, mais par peur de l'éducation nationale ! Le respect du devoir de réserve a été invoqué : ces enseignants craignaient, s'ils témoignaient, de subir des pressions de la part de l'éducation nationale. Ils craignaient des représailles, comme des mutations forcées.

J'ai rencontré les membres du Conseil des sages de la laïcité, qui voulaient effectivement organiser une journée d'hommage par an consacrée à la mémoire de Samuel Paty, à la laïcité et à la liberté d'expression, Mais Pap Ndiaye est passé par là et a repris la main sur cette instance, ce dont je me suis d'ailleurs émue par voie de presse. La capacité autonome d'agir de façon autonome a été retirée au Conseil, qui ne peut désormais agir que sur ordre du ministre. Leur indépendance me semblait pourtant pertinente.

Parmi les raisons aux difficultés à organiser les journées d'hommage, citons la peur, mais aussi et surtout des difficultés à mettre en oeuvre des consignes arrivées tardivement.

En 2021 et 2022, les consignes du rectorat ont été émises une semaine avant la date anniversaire ; cette année, elles ont été envoyées par mail jeudi dernier à 20h02, soit trois jours avant la date à laquelle les recteurs étaient censés organiser l'hommage. Je vous laisse juges de cette situation rocambolesque...

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Madame, merci de votre témoignage sans concession. Nous avons auditionné hier des enseignants, et nous avons été frappés par le sentiment de solitude dont ils ont fait part. A été également souligné le fait que les jeunes générations de professeurs n'ont pas le même rapport à la laïcité que les générations plus anciennes. Nous devons réfléchir au fait que la conception de la laïcité que la France a défendue jusqu'à présent est en train de vaciller.

AUDITION DE M. STANISLAS GUERINI, MINISTRE DE LA TRANSFORMATION ET DE LA FONCTION PUBLIQUES

Mercredi 15 novembre 2023

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M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Notre mission de contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes a été créée près de trois ans après l'assassinat de Samuel Paty et l'actualité récente montre que les questions soulevées à l'époque conservent malheureusement toute leur pertinence. Monsieur le ministre, nous souhaiterions savoir en quoi les annonces que vous avez récemment faites pour la protection des agents publics peuvent concerner également les agents de l'éducation nationale, qui subissent pressions et menaces dans un climat de travail qui n'est pas rassurant.

Pourriez-vous en particulier décrire le travail engagé pour leur assurer une protection fonctionnelle renforcée ?

Je dois vous rappeler que nos commissions s'étant dotées des pouvoirs de commission d'enquête, un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Stanislas Guerini prête serment.

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. - Je commencerai par une pensée pour la famille de Dominique Bernard et pour nos agents publics assassinés ou tués cette année dans l'exercice de leurs fonctions : Agnès Lassalle, professeure à Saint-Jean-de-Luz, Ludovic Montuelle, agent de la direction générale des finances publiques (DGFiP) et Carène Mezino, infirmière dans un hôpital de Reims. Au-delà de ces drames, des dizaines de milliers d'agents publics sont quotidiennement menacés, agressés ou violentés, dans tous les lieux et derrière tous les guichets de service public. J'ai souhaité m'engager de façon transversale. En matière d'attractivité ou d'efficacité de la fonction publique, la première considération due aux agents est de les placer dans une situation qui leur permette d'exercer leur mission. L'enjeu de la protection physique est central et doit nous mobiliser de façon absolue.

L'approche transversale que j'ai souhaité développer dans toutes les administrations doit être déclinée et approfondie de façon sectorielle, notamment dans l'éducation et la santé. Agnès Firmin Le Bodo a missionné des personnalités qualifiées pour travailler à ces questions dans le domaine de la santé. Toutes les administrations, tous les opérateurs - même quand ils sont délégataires de service public, et tous les agents, qu'ils soient fonctionnaires ou contractuels doivent être concernés.

Avant l'été, le comité de protection des agents publics s'est réuni pour la première fois, rassemblant des administrations mais aussi des opérateurs, tels que Pôle emploi, la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) ou La Poste, pour réfléchir aux moyens de mutualiser les initiatives et les approches. En effet, ces acteurs n'échangent pas suffisamment sur ce qu'ils pourraient mettre en commun et ne partagent pas les initiatives intéressantes qu'ils mènent. À titre d'exemple, la CNAF a déployé un outil de recensement en ligne qui permet à chaque agent de signaler une agression de manière immédiate. De la même façon, La Poste a diffusé un guide sur le dépôt de plainte pour accompagner ses agents. Nous faisons face à un enjeu important de partage d'expérience et de mutualisation.

Les drames des derniers mois doivent nous amener à lutter avec d'autant plus de vigueur contre les agressions que ces faits jouent aussi sur le rapport des agents envers les usagers, puisqu'ils créent un sentiment d'agressivité, qui n'est pas bon pour le service public. Notre regard doit être le plus lucide possible et il nous faut qualifier les faits avec humilité.

Nous ne mesurons les phénomènes de violence que de façon parcellaire. Je vous donne quand même quelques chiffres parlants : après remontée, 35 000 agressions de professionnels de santé ont été recensées en 2021 et 12 000 actes d'incivilité en 2022. Nous rencontrons une difficulté à bien mesurer et un halo existe autour de ces chiffres.

Quand on réunit les réseaux et les administrations, tout le monde fait le même constat : l'enjeu concerne non seulement le nombre d'agressions mais aussi leur intensité. J'ai décidé de bannir le terme « incivilité » quand j'évoque ces sujets, car il peut être contre-productif ; les agents publics subissent non pas des incivilités mais des menaces et des agressions. Il y a quelques années, les échanges commençaient par un dialogue un peu irrité, qui se terminait par des menaces. Aujourd'hui, on commence par des menaces et on aboutit parfois à des agressions, à des coups ou pire.

Ces problèmes ont des causes exogènes et les services publics sont les témoins des dérives de notre société. Ainsi, le sujet de la santé mentale était sous-jacent au drame de Saint-Jean-de-Luz, comme le terrorisme et l'islamisme étaient sous-jacents au drame d'Arras. Mais il faut aussi avoir la lucidité de reconnaître la présence de causes endogènes. Parfois, les agents se retrouvent face à des usagers qui doivent accomplir des démarches administratives trop complexes, à qui on ne répond pas au téléphone et qui doivent patienter pendant très longtemps, ce qui peut créer de l'irritation et de l'agressivité. Dans le secteur hospitalier, les agents publics racontent comment ils sont confrontés à des patients qui ont attendu neuf heures aux urgences et deviennent ensuite plus vite agressifs. Le sujet doit être traité avec humilité et il nous faut travailler sur toutes les causes.

En septembre, j'ai présenté le plan de protection des agents publics, qui comporte trois axes et un fil rouge : ne jamais laisser les agents seuls. Jamais seuls pour mieux mesurer les violences et les menaces, ce qui constitue le premier axe. Jamais seuls pour que les administrations puissent mutualiser dans une logique de prévention - et ce deuxième axe se traduira par de la formation, du déploiement de matériels et un accompagnement humain. Enfin, jamais seuls pour mieux protéger dès lors que des faits sont avérés.

Le premier axe correspond à la nécessité de mieux qualifier et mesurer la situation. Toutes les administrations ne mesurent pas les faits de violence et, quand elles le font, elles n'utilisent ni un langage commun ni les mêmes curseurs.

Par ailleurs, il faut pouvoir mesurer de façon continue pour être en mesure d'identifier les signaux faibles, de réagir et d'anticiper en menant des actions de prévention et en renforçant la sécurité.

Nous travaillerons donc en deux temps. D'abord, il s'agit de mettre en place un baromètre commun à l'ensemble des administrations pour mesurer précisément le nombre et la nature des actes de violence subis par les agents publics et suivre leur évolution. Nous nous appuierons sur un dispositif mis en place par les services statistiques du ministère de l'intérieur, déployé auprès de 25 000 agents publics, ce qui représente une base large et ce qui nous permettra d'obtenir une granularité fine dans la majorité des administrations. Nous publierons une première édition de ce baromètre au premier semestre 2024 et assurerons un suivi annuel.

Ensuite, il faut aller plus loin et mettre en place des instruments dans chaque administration pour remonter les faits en continu ; il s'agit de l'une des missions premières du comité de protection des agents publics. Cet outil commun sera complémentaire du baromètre annuel.

Dans le deuxième axe, nous nous attachons à mieux prévenir et à mettre en commun les outils de prévention : formation, matériels, moyens financiers et humains. La formation est essentielle et l'accompagnement des agents dans les actions de prévention et de formation a un impact important sur leur capacité à gérer l'agressivité et à organiser les services pour mieux prévenir les actes de violence.

Nous travaillons donc à mutualiser l'ensemble des offres de formation existantes, y compris chez les opérateurs, dont certains sont très avancés sur ces questions, comme La Poste. J'ai demandé à la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) de mener un travail de mutualisation des offres de formation, ce qu'elle a fait. Le dispositif de formation est prêt. Il sera à la fois en présentiel et en ligne, et nous le testons actuellement auprès d'agents publics. Ces dernières semaines, nous l'avons déployé à Marseille auprès de 40 agents d'administrations diverses et nous en percevons déjà toute l'utilité. Nous allons également tester cette formation en Seine-Saint-Denis dans les prochains jours et nous la mettrons à disposition sur notre plateforme de formation en ligne pour les agents de la fonction publique, Mentor, afin que le dispositif soit complet. Je citerai quelques chapitres de ce module, qui montrent l'approche concrète qui est à l'oeuvre : « connaître ses droits et ses devoirs », « organiser la prévention », « intervenir et soutenir les agents », « signaler, parler, écouter » ou encore « prendre en charge et prévenir la récidive ». Nous travaillons avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et l'Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) pour déployer ces outils.

Le deuxième axe comprend aussi une accélération du déploiement de matériels et de dispositifs de protection tels que les caméras de vidéoprotection et les boutons d'alerte, dont certains se révèlent très efficaces : ils permettent de prévenir les personnes du service quand on appuie une fois, la hiérarchie quand on appuie deux fois et la police ou la gendarmerie quand on appuie trois fois. Nous avons travaillé avec l'Union des groupements d'achats publics (UGAP), la plateforme d'achat de la fonction publique, pour avoir accès à des marchés prêts à l'emploi. J'ai souhaité allouer des fonds pour accélérer ce déploiement sans rencontrer de blocage à court terme. J'ai d'abord débloqué 1 million d'euros cet été et j'ai annoncé cette semaine une augmentation de ce budget à 3 millions d'euros lors d'une réunion rassemblant l'ensemble des organisations syndicales et des employeurs publics, convoquée pour que nous travaillions ensemble sur ces sujets.

Enfin, des moyens humains doivent être mis à disposition de l'administration. Nos référents accomplissent déjà un travail très utile dans les commissariats de police et les gendarmeries, pour accompagner des administrations, comme c'est le cas dans des centres hospitaliers universitaires (CHU), pour travailler sur la sécurisation des bâtiments, l'organisation des services ou la situation d'agents qui sont seuls lorsqu'ils doivent se déplacer dans le cadre de leur mission. Nous travaillons à une convention entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la transformation et de la fonction publiques, pour systématiser la mise à disposition des référents dans les commissariats et les gendarmeries, afin qu'ils puissent accompagner les administrations qui le souhaitent.

J'en viens au troisième axe du plan : mieux protéger les agents. Nous avons amélioré nos dispositifs, notamment en ce qui concerne la protection fonctionnelle. Cependant, ils comportent encore deux angles morts.

Le premier correspond à la difficulté des agents à aller au bout des dépôts de plainte. Souvent, ils subissent le fait de devoir déposer plainte comme une double peine. En effet, ils vivent une agression sur leur lieu de travail et doivent déposer plainte le lendemain, parfois sur leur temps de repos. Parfois, ils le vivent aussi comme une exposition supplémentaire et ont l'impression de se mettre de nouveau en première ligne.

Cette problématique essentielle comporte deux enjeux. D'abord, il faut déployer un bon accès au droit et généraliser les bonnes pratiques. Ainsi, il est déjà possible pour un agent déposant plainte d'inscrire l'adresse de son administration plutôt que celle de son domicile. Par ailleurs, un blocage demeurait au niveau de la loi, puisque les administrations - à part certaines exceptions très restreintes - n'ont pas la possibilité de porter plainte en lieu et place de leurs agents agressés. Il faut corriger ce dispositif législatif et nous avons travaillé avec la Chancellerie à un article de loi : je le soumettrai dans le cadre de la concertation sur un futur projet de loi sur la fonction publique que je souhaite présenter. Cet article donnera la possibilité aux administrations de porter plainte à la place des agents publics ou des délégataires de service public.

Pour mettre fin au deuxième angle mort, il faut étendre aux ayants droit la protection fonctionnelle à titre conservatoire, que vous aviez adoptée en 2021. En effet, les menaces portent parfois sur les familles des agents publics et la capacité de mobilisation immédiate de la protection fonctionnelle doit pouvoir les concerner.

En la matière, la question du droit, de l'accès au droit et de son effectivité se pose. Il s'agit là de l'une des missions du comité de protection des agents publics. Un travail doit être mené ministère par ministère, versant par versant, pour parfaire notre dispositif d'accès à la protection fonctionnelle. N'ayant pas de statistiques sur le nombre de protections demandées et accordées, j'ai lancé un travail de recensement, lequel doit être mené de façon rapide dans tous les ministères. Gabriel Attal y procède déjà.

Ces axes de travail demandent des efforts fournis dans le temps et doivent mobiliser tous les acteurs, notamment les organisations syndicales et les employeurs. Bien sûr, le travail parlementaire que vous menez est essentiel pour enrichir l'approche et approfondir ces travaux.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Merci pour cette présentation du cadre de votre action, monsieur le ministre. Nous aimerions cerner plus spécifiquement les problématiques rencontrées par les personnes travaillant pour l'éducation nationale, dans la diversité de leurs fonctions.

Comment travaillez-vous avec l'éducation nationale pour appréhender les spécificités de ses métiers ? Selon l'objectif que vous avez évoqué, il faut faire en sorte qu'un fonctionnaire ne soit jamais seul. Cependant, par définition, un enseignant se trouve seul dans sa classe ; comment intégrer ces spécificités ? Quelles sont les modalités de dialogue et de travail dans ce domaine ?

Vous avez évoqué les personnels de guichet, c'est-à-dire les agents qui sont en contact avec le public. Les mesures que vous envisagez de prendre pour eux seront-elles transposables au personnel de l'éducation nationale, qui est aussi en contact avec le public ?

Enfin, nous avons beaucoup entendu parler de la protection fonctionnelle depuis le début de nos auditions. Comment peut-on accélérer son déploiement ? Jusqu'où étendre ce dispositif ? Je pense notamment aux contractuels, qui ne sont pas concernés par cette protection alors que, nous le savons, l'éducation nationale y a recours de façon croissante.

Mme Marie-Pierre Monier. - La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République comporte deux articles qui m'intéressent. L'article 9 introduisait comme un délit, puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, le fait d'user de menaces ou de violences à l'égard de toute personne participant à l'exécution d'une mission de service public. L'article 36 introduisait comme un délit puni des mêmes peines le fait de révéler des informations relatives à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public. Ces deux articles sont à disposition ; ont-ils déjà donné lieu à des condamnations ?

Par ailleurs, l'éducation nationale semble plus que jamais en prise avec les vifs débats et clivages qui traversent notre société sur la laïcité, comme en témoignent la recrudescence des atteintes au principe de laïcité et la forte autocensure des enseignants. Cette lame de fond est-elle également visible dans la fonction publique dans son ensemble ? L'attentat ayant conduit à la mort de Dominique Bernard a enclenché une nouvelle réflexion sur la sécurisation des établissements scolaires ; l'éducation nationale pourrait-elle s'inspirer de bonnes pratiques déjà à l'oeuvre dans d'autres lieux publics ?

Dans le rapport Bilan des mesures éducatives du quinquennat, que j'ai signé avec Max Brisson et Annick Billon, nous avons mis en lumière le sentiment qu'ont les enseignants de ne pas être assez soutenus par l'institution, en cas de remise en cause de leur autorité, et de voir leurs plaintes insuffisamment prises en compte par la police et la justice, comparativement à d'autres personnes dépositaires de l'autorité publique. Dans nos recommandations, nous appelions notamment à l'automaticité de la protection fonctionnelle pour les enseignants, ainsi qu'à la garantie de la même célérité dans le suivi des dépôts de plainte des enseignants que pour d'autres personnes chargées d'une mission de service public.

En matière d'exposition aux agressions et menaces, disposez-vous d'éléments de comparaison entre les enseignants et l'ensemble des agents de la fonction publique ? De la même manière, avez-vous des données comparatives pour le suivi par les institutions en cas d'agressions ou de menaces, ainsi que pour le suivi des plaintes déposées ?

Combien d'agents demandent la protection fonctionnelle chaque année ? Quel est le pourcentage de refus ? Quel est le délai moyen de réponse ? Quels sont les principaux motifs de refus ?

Mme Laurence Garnier. - Je voudrais revenir sur les causes des problèmes qui nous occupent. Vous avez précisé que la question de la radicalisation n'était pas seule responsable et qu'il fallait aussi prendre en compte les problématiques de santé mentale. Après la crise du covid, nous avons beaucoup entendu que nos collégiens, lycéens et étudiants avaient été particulièrement impactés et fragilisés psychologiquement et mentalement ; disposez-vous des chiffres quant à l'évolution de ces problèmes, qui pourraient être à l'origine d'agressions d'agents de l'éducation nationale ? Quelles sont les pistes pour y répondre, compte tenu du manque patent de places dans les services de psychiatrie des hôpitaux ?

M. Stéphane Piednoir. - Pourriez-vous revenir sur l'origine des menaces et des agressions touchant les agents publics ? L'éloignement réel ou supposé des services publics par rapport à la population joue-t-il un rôle prépondérant ? Vous avez mentionné les « dérives de notre société » ; quelles sont-elles ?

J'en viens plus particulièrement à l'éducation nationale. Vous avez évoqué l'offre de formation et le déploiement de matériels de protection mais, en tant qu'ancien enseignant, je ne peux me résoudre à recommander d'enseigner derrière une vitre de protection, un bouton d'alerte à portée de main. La plupart du temps, les enseignants se trouvent seuls face à leurs élèves et seuls devant les parents d'élèves ; comment appréhender cette spécificité ?

Vous avez mentionné la possibilité pour les administrations de déposer plainte en lieu et place de leurs agents ; est-ce envisagé pour les enseignants ? Parfois, ils se retrouvent aussi dramatiquement seuls au sein de leur établissement ; peut-on leur garantir un soutien, quelles que soient les conditions ? Peut-on envisager un droit de retrait plus automatique qu'il ne l'a été dans les cas dramatiques que nous avons en tête ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Les dérives de la société que vous avez mentionnées touchent le métier d'enseignant, ce qui est triste. Ce métier, qui est l'un des plus beaux, ne fait plus rêver parce qu'on ne peut plus l'exercer de manière apaisée, et ce à peu près partout. Il s'agit d'un problème de fond qu'il nous faut régler.

Vous avez évoqué la mise en place d'un baromètre, mais avez-vous aussi l'intention de dresser une cartographie chiffrée des agressions commises ? Cet exercice me semble essentiel car il existe sans doute, dans notre pays, des endroits dans lesquels on observe plus de violences et de menaces qu'ailleurs. Il faut identifier ces différences pour trouver des solutions, lesquelles ne seront peut-être pas les mêmes partout.

M. Pierre Ouzoulias. - Je voudrais revenir sur la protection fonctionnelle. Selon la pratique actuelle, notamment dans le domaine de l'éducation nationale, l'agent adresse sa demande de protection à son supérieur hiérarchique, qui a le pouvoir discrétionnaire de la lui accorder ou non. Ne pourrait-on pas imaginer un système dans lequel nous renverserions la charge de la preuve ? La protection fonctionnelle serait accordée de droit au fonctionnaire qui la demande et, ensuite, son supérieur hiérarchique pourrait la lui retirer en fonction des conditions. Nous renforcerions ainsi le soutien aux fonctionnaires et leur indiquerions que l'État les protège. Par ailleurs, cette inversion permettrait au fonctionnaire de déclencher un recours si la protection ne lui était pas accordée, ce qu'il ne peut pas faire aujourd'hui.

J'ai plusieurs fois essayé de proposer des amendements en la matière mais les parlementaires ne peuvent pas le faire, étant bloqués par l'article 40 de la Constitution. Pourrait-on en discuter dans le cadre des consultations prévues autour des révisions législatives que vous envisagez ?

Enfin, de grandes disparités existent à ce sujet entre les fonctionnaires. Pour les policiers, la protection fonctionnelle est attribuée quasiment d'office. Pour les enseignants, les choses sont plus compliquées.

M. Hussein Bourgi. - La complexification des démarches administratives née d'internet joue sur les relations entre les usagers et les agents publics, et contribue aux violences. À titre d'exemple, entrer en contact avec la Caisse d'assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) relève parfois du parcours du combattant. Il arrive aussi que des demandeurs d'emploi reçoivent des convocations du jour pour le lendemain ; n'ayant pas reçu le courrier à temps, ils ne peuvent se rendre à l'entretien et se retrouvent ainsi radiés. Je cherche non pas à excuser les tensions, mais à les expliquer. Il faut humaniser le service public, s'assurer que la possibilité d'un recours existe et ne pas se contenter de lignes téléphoniques, de messages préenregistrés et de sites internet.

J'en viens au sujet de la violence qui s'exprime dans le monde éducatif. Il existe plusieurs types de violences, de nature différente, en fonction des niveaux scolaires. Dans les écoles primaires, si j'en crois les informations qui me parviennent, ces violences s'expriment sur fond de contentieux parentaux : divorces, gardes alternées, procès en cours. Très souvent, les enseignants et les directeurs d'école se retrouvent ainsi à gérer des situations que la justice n'a pas encore tranchées.

Un deuxième type de violences concerne les collèges et les lycées. Avant même les enseignants, les agents des collectivités se retrouvent en première ligne. L'image du proviseur ou du principal accueillant les élèves devant l'entrée du collège ou du lycée ne correspond plus, la plupart du temps, à la réalité ; ces derniers, requis par une surcharge de travail et une complexification de leurs missions, sont désormais davantage dans leurs bureaux qu'à l'accueil des établissements. Or, devant l'entrée de l'établissement, les élèves sont des proies pour un certain nombre de personnes mal intentionnées - dealers, racketteurs et autres chapardeurs ; les seules personnes susceptibles de s'interposer dans ces situations sont les agents du département ou de la région.

Enfin, nous déplorons les cas de radicalisation, avec les conséquences que cela engendre lorsque ce type de violences fait irruption à l'intérieur des établissements scolaires. Cela peut prendre la forme de parents courroucés par un programme scolaire ou une sortie pédagogique. Parfois, ce sont des parents loin de toute radicalisation, qui viennent contester une sanction infligée à leur fils ou leur fille ; après avoir obtenu un rendez-vous, ils commettent des violences à l'intérieur de l'établissement scolaire.

Monsieur le ministre, je formule deux voeux : mon premier serait que vous puissiez associer les collectivités territoriales à votre réflexion, afin que les mesures ne bénéficient pas uniquement aux agents de l'éducation nationale ; et mon deuxième serait de faciliter le dépôt de plainte par l'administration. Lorsque ces violences sont commises autour d'une école, les relations souvent privilégiées entre le directeur d'école et la municipalité accélèrent le dépôt de la plainte. Au collège et au lycée, c'est plus compliqué, on demande aux professeurs ou aux agents des collectivités de prendre rendez-vous ; c'est un parcours du combattant pour eux, et un casse-tête pour les établissements qui doivent les remplacer.

M. Alain Marc. - Dans les départements ruraux, les secrétaires de mairie sont souvent confrontés, sinon à des violences physiques, du moins à des actes d'incivilité. Par quels canaux serez-vous informé de ces violences qui ne font pas forcément l'objet de plaintes ? Le baromètre que vous souhaitez mettre en place en 2024 servira-t-il à cela ?

M. Stanislas Guerini, ministre. - Sur un certain nombre d'éléments, les réponses vous seront apportées par le ministre de l'éducation nationale ; mon objectif n'est pas de vous frustrer, mais je préfère ne pas répondre si je ne dispose pas des informations nécessaires. Mon travail, très transversal, consiste à poser un cadre, formuler une doctrine, mutualiser des outils, et ensuite mener un travail en interaction avec mes collègues dans le cadre du comité de protection des agents publics. Nos cabinets, avec le ministre de l'éducation nationale, travaillent ensemble à l'approfondissement des mesures.

L'objectif est de ne pas laisser les agents seuls, c'est un fil rouge et un principe transversal guidant mon action. Il arrive parfois que les professeurs, du fait de l'organisation hiérarchique des établissements, se sentent isolés. Beaucoup d'éléments de mon action peuvent s'appliquer à l'éducation nationale ; je pense, par exemple, à la mise en place de ce baromètre commun à l'ensemble des administrations, qui doit servir à mesurer les niveaux de violences, en distinguant ce qui relève de l'incivilité, de la menace ou de l'agression. Il est important d'avoir des outils de mesure communs. Les enseignants sont des agents publics, avec tous les droits et l'attention que cela implique.

Les dispositifs de formation concernent aussi les enseignants. J'ai précisé devant vous les différents modules des formations ; certains, comme ceux liés à la connaissance des droits et des devoirs, ou encore à la gestion de l'agressivité face à un professeur ou un tiers dans un établissement, peuvent être utiles à la formation des agents de l'éducation nationale ; c'est une façon, en tout cas, de ne pas les laisser seuls.

Concernant la sécurisation des établissements, l'État et les collectivités ont investi 170 millions d'euros depuis 2017. Les trois quarts des collèges et des lycées sont aujourd'hui équipés de systèmes d'alarme. Certaines collectivités ont été plus loin, notamment à Marseille, afin d'équiper les professeurs de systèmes d'alerte portatifs ; est-ce pour autant nécessaire de déployer un tel dispositif dans tous les établissements ? Le ministre de la fonction publique ne veut pas apporter de réponse ; ce travail doit être mené avec le ministère de l'éducation nationale, afin de connaître l'utilité spécifique des dispositifs en fonction des territoires et des établissements.

M. Alain Marc. - Ces dispositifs sont-ils financés par l'État ou les collectivités ?

M. Stanislas Guerini, ministre. - Les collectivités ont la charge des travaux de construction, de rénovation et d'aménagement des bâtiments pour les établissements, et souvent des fonds de l'État les accompagnent. Les 170 millions d'euros correspondent à un investissement commun.

Les dispositifs de protection contribuent également à soutenir les professeurs qui portent plainte. En faisant mieux appliquer les dispositifs de protection fonctionnelle, comme le ministre de l'éducation nationale s'y est engagé, nous aiderons les agents à ne plus se sentir seuls.

Vous m'avez interrogé sur l'élargissement de la protection fonctionnelle. Je ne dispose pas des éléments pour vous répondre sur les suites judiciaires, notamment avec les nouvelles dispositions apportées par la loi de 2021. L'enjeu est de faciliter l'accès aux dispositifs existants. En fonction des ministères ou des administrations de la fonction publique, l'application de cette protection fonctionnelle peut s'avérer trop différenciée. Certains vides juridiques doivent sans doute être comblés ; j'ai notamment évoqué la capacité à porter plainte et la protection fonctionnelle à titre conservatoire pour les ayants droit. Par ailleurs, le débat sur le fait d'inverser la charge de la preuve ne me semble pas illégitime. Mais ma conviction profonde est qu'il faut d'abord faire appliquer le droit existant. Pour cela, il s'agit de passer des consignes aux administrations, de manière à rendre plus effective cette protection fonctionnelle.

Naturellement, l'éducation nationale a ses complexités propres. Vous aborderez toutes ses actions avec le ministre, notamment celle contre le harcèlement scolaire, dont il a fait une de ses priorités. Sur ces sujets, nous devons avoir une approche équilibrée. Protéger, ce n'est pas non plus couvrir ; la protection des agents ne peut s'effectuer au détriment du droit.

Je ne dispose pas d'éléments chiffrés pour vous répondre, madame la sénatrice, sur les évolutions concernant la santé mentale dans le champ de l'éducation nationale ; vous pourrez interroger mon collègue Gabriel Attal sur ce sujet.

Des causes différentes - certaines exogènes, d'autres endogènes - peuvent expliquer la situation actuelle. Parmi les causes exogènes, j'ai évoqué le fait que nos services publics subissaient les dérives de notre société. Les enjeux de santé mentale, particulièrement après la période de la covid, sont très importants. Le Président de la République a souhaité que l'on dédie un conseil national de la refondation (CNR) à cette question de la santé mentale, de manière à mobiliser la société sur le sujet.

Ces profils de personnes, avec des problèmes de santé mentale, peuvent entraîner des violences sur les agents ; j'ai évoqué le cas dramatique d'Agnès Lassalle, l'enseignante assassinée dans un lycée de Saint-Jean-de-Luz.

Nous observons également des atteintes en matière de laïcité, qui peuvent entraîner des situations d'agressivité ou de violence. Cette question de la radicalisation, de l'ensauvagement, de la « décivilisation » pour reprendre une expression du Président de la République, se pose également dans le cadre de nos services publics ; il faut donc être en mesure de protéger leurs agents.

Nous n'allons pas non plus mettre un plexiglas devant chaque enseignant ; il s'agit de trouver une solution adaptée, en fonction de chaque situation et de chaque administration. Veillons notamment à ne pas installer de panneaux agressifs pour l'usager, comme cela a pu être le cas dans certains services administratifs. Nous travaillons actuellement avec la DITP, riche en personnels compétents en sciences comportementales, afin de bien ajuster nos messages dans nos formations et dans l'accompagnement des différentes administrations.

Nous pourrions consacrer une audition entière à la question de l'attractivité de la fonction publique. Je mentionnerai trois points.

D'abord, le réinvestissement salarial : l'enveloppe s'élèvera à 6 milliards d'euros effectifs en année pleine, concernant le déploiement des mesures annoncées avant l'été ; celles-ci s'ajoutent aux mesures catégorielles, afin que les professeurs de notre pays soient mieux rémunérés.

Ensuite, l'évolution professionnelle. Il convient de donner davantage de perspectives d'évolution à nos enseignants, en menant un travail sur les parcours et les grilles de carrière.

Enfin, les conditions de travail. J'ai mené, ces derniers mois, une consultation auprès des agents de la fonction publique sur ce point : nous avons reçu 110 000 réponses -jamais autant de fonctionnaires n'avaient répondu à une telle consultation. Nous les avons interrogés sur des sujets concrets : la santé au travail, l'égalité entre les femmes et les hommes, la simplification de leurs tâches au quotidien, les enjeux de management ou de logement. La seule réponse que nous puissions apporter est de donner les moyens à nos fonctionnaires de réaliser leurs missions.

Vous m'interrogez sur l'opportunité de disposer d'une cartographie pour le baromètre ; c'est précisément ce que je souhaite faire. Avec l'appui du service statistique du ministère de l'intérieur, 25 000 agents publics seront concernés à l'échelle nationale. Les chiffres qui remonteront de ce baromètre seront rendus publics, avec une cartographie précise selon les différents territoires et les différentes administrations qui subissent des agressions ou des menaces.

Je souhaite que l'on ne s'arrête pas non plus à cette photographie annuelle et que chaque administration dispose d'un outil de mesure. Nous avons besoin de repérer les signaux faibles, en identifiant le guichet ou l'établissement scolaire qui a subi des menaces. Il existe déjà un Observatoire national des violences en milieu de santé ; c'est lui qui a recensé en 2021 les 25 000 agressions que j'évoquais tout à l'heure.

On doit s'appuyer sur les outils existants et les élargir, afin de disposer d'un outil de mesure quotidien, commun à l'ensemble des administrations, permettant de faire remonter tous les chiffres à la hiérarchie, y compris ceux impliquant nos secrétaires de mairie. Dans ma démarche, je souhaite associer les collectivités territoriales, à savoir l'ensemble des employeurs territoriaux, l'ensemble des centres de gestion représentés par la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG) et le CNFPT. Ces outils ne doivent pas être pensés au niveau de l'État et déclinés ensuite, comme cela a pu arriver pour la fonction publique territoriale ou la fonction publique hospitalière ; j'ai donc proposé un travail collégial, impliquant l'ensemble de la fonction publique territoriale.

L'inversion de la charge de la preuve pour l'obtention de la protection fonctionnelle n'est pas, à mes yeux, un sujet tabou. Mais, encore une fois, il s'agit d'abord de favoriser l'accès à la protection fonctionnelle. Un rapport a été remis au ministre de l'intérieur sur ce sujet. Je souhaite approfondir le travail avec l'ensemble de mes collègues du Gouvernement, afin d'apporter des réponses pour l'ensemble des fonctionnaires.

M. Laurent Lafon, président de la commission culture, rapporteur. - Monsieur le ministre, nous avons bien compris votre cadre transversal. Nous allons approfondir le sujet avec le ministre de l'éducation nationale, afin de comprendre comment tout cela se traduira, plus spécifiquement, dans son ministère. Nous avons également noté un projet de loi sur la protection fonctionnelle : à quelle période l'envisagez-vous ?

M. Stanislas Guerini, ministre. - D'ici à la fin de l'année, un travail de concertation va être conduit dans la perspective d'un projet de loi pour la fonction publique, travail qui devrait voir le jour en 2024. Dans ce cadre, nous pourrions envisager un chapitre lié à la protection des agents. Assez vite, je soumettrai à la concertation les articles sur la protection fonctionnelle à titre conservatoire pour les ayants droit et sur la capacité pour l'administration à porter plainte pour le compte de son agent.

AUDITION DE M. JEAN-MICHEL BLANQUER, ANCIEN MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS

Mardi 5 décembre 2023

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M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - En juillet dernier, la commission des lois et la commission de la culture ont lancé une mission conjointe de contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes. Monsieur Blanquer, vous avez été ministre de l'éducation nationale de 2017 à 2022, ce qui fait de vous le ministre ayant occupé cette fonction le plus longtemps sous la Ve République.

Vous étiez en fonction au moment de l'assassinat de Samuel Paty et c'est à ce titre que nous vous entendons aujourd'hui, trois ans après les faits et votre première audition sur le sujet. Nos travaux ne visent pas à nous pencher sur les faits qui font l'objet d'une procédure de justice ; nous nous concentrons sur la définition d'éventuelles procédures permettant de prévenir la répétition de ces drames qui endeuillent notre pays.

Votre témoignage nous sera précieux pour nous remémorer les mesures prises à la suite de l'assassinat de Samuel Paty et pour mesurer l'évolution des pressions, menaces et agressions constatées à l'égard des enseignants au cours des trois dernières années.

Par ailleurs, nous avons récemment auditionné le Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République, institution que vous avez créée en janvier 2018. À cette occasion, nous avons entendu des propos forts, laissant craindre l'existence d'une rupture générationnelle chez les enseignants dans la défense de la laïcité à l'école. De votre point de vue, comment faire pour que la défense de la laïcité et des valeurs de la République fédère l'ensemble de la communauté éducative ?

Enfin, les témoignages d'enseignants que nous avons pu recueillir montrent les difficultés rencontrées par certains d'entre eux pour obtenir le soutien de leur hiérarchie face aux pressions, contestations ou insultes proférées par des élèves, mais aussi par des parents. Nous serions heureux d'entendre votre analyse concernant l'évolution du « pas de vague » au sein de l'éducation nationale, et les moyens qui permettraient de soutenir tant les enseignants que les équipes administratives face à la remise en cause de leur autorité.

Nos travaux ayant obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête, je vous rappelle qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Aussi, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Michel Blanquer prête serment.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Nous souhaiterions également avoir des éléments sur la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle. Par ailleurs, vous avez pris des mesures pour renforcer la sécurité physique au sein et aux abords des établissements scolaires. Pouvez-vous rappeler leurs modalités d'application ?

M. Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l'éducation nationale. - Messieurs les présidents, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, je suis heureux de répondre à votre invitation et de contribuer à éclairer non seulement l'affaire Samuel Paty, mais également tout ce qui forme son environnement, afin de permettre à la fois de comprendre les enjeux et de suggérer quelques pistes d'amélioration.

Pour bien situer les choses, il est important de distinguer ce qui est antérieur et ce qui est postérieur à l'assassinat de Samuel Paty ; ce qui s'est passé après ne peut se comprendre qu'à la lumière de ce qui s'est passé avant. Naturellement, j'ai à coeur de vous dire que beaucoup de choses ont été réalisées dès 2017 ; vous avez notamment évoqué la création du Conseil des sages de la laïcité. Dans mon propos, je m'efforcerai de distinguer ce qui relève du droit, de la culture, de l'éducation nationale ou d'autres entités. Dans ces situations complexes, il s'agit à la fois de démêler les fils et de montrer les connexions.

Dès ma prise de fonction en 2017, j'ai évoqué l'inquiétude par rapport aux atteintes à la laïcité, la vigilance concernant le phénomène « pas de vague », et enfin la création de dispositifs permettant de faire face à ces situations. Dès mes premiers discours aux recteurs et aux inspecteurs d'académie, notamment celui de juin 2017 à la Sorbonne, j'utilise cette formule, que je n'aurai de cesse de répéter ensuite : « Le pas de vague, c'est fini. » Il s'agissait alors de rompre avec cette culture du renoncement au signalement motivé par la volonté de ne pas inquiéter. Naturellement, on ne rompt pas avec cette culture du jour au lendemain mais, dès juin 2017, j'ai indiqué que les chefs d'établissement ne seraient, en aucune manière, évalués en fonction du nombre de signalements effectués. Autrement dit : soit l'établissement est pacifique, et les signalements sont peu nombreux ; soit il ne l'est pas et, signe de la qualité du chef d'établissement, des signalements sont effectués. Ce qui ne va pas, c'est lorsque l'on dénombre peu de signalements alors que l'établissement n'est pas pacifique.

Cette règle, clairement établie, a eu des conséquences. Certes, les résultats sont encore imparfaits, mais la tendance est imprimée. La dimension de la tonalité générale est fondamentale. L'autorité politique doit, en permanence, tenir une position forte, afin que tout le monde comprenne que le sujet est prioritaire et que chaque acteur jouant le jeu sera protégé. L'enjeu était de développer une culture de la vérité pour aller vers davantage d'efficacité.

J'ai également créé, au sein du ministère, à quelques mètres de mon bureau, une cellule de crise. Celle-ci avait pour fonction de répondre à toutes les crises, celles entraînées aussi bien par les catastrophes naturelles que par les troubles à l'ordre public, avec, à disposition, l'ensemble des moyens de communication permettant de coordonner l'action de l'État. Dans le même temps s'est ouverte une ère de coopération sans nuages entre le ministère de l'éducation nationale et celui de l'intérieur. Mon message était alors le suivant : ces deux institutions, visant exactement les mêmes buts, doivent se parler et travailler ensemble. Cela s'est traduit par la nomination d'un préfet à la tête de cette cellule de crise, élargie à la gestion de l'ensemble des enjeux de sécurité.

Précédemment, il existait un dispositif « Faits établissement », avec quatre niveaux de signalement, du moins grave au plus grave, le niveau 4 étant le niveau le plus grave. Ce système avait le mérite d'obtenir une remontée des faits, mais il ne mettait pas l'accent sur les faits les plus graves. Par ailleurs, celle-ci dépendait de la pratique de chaque académie. J'ai demandé que les faits de niveau 4 fassent l'objet d'une saisine immédiate et directe de cette cellule de crise ; ce fut notamment le cas s'agissant de Samuel Paty, puisqu'un fait avait été signalé à la cellule en amont de l'assassinat.

La création de cette cellule, qui a représenté une nouveauté importante, a fait l'objet d'une circulaire de ma part à la fin du mois d'août 2017. Toutes ces décisions semblent, a posteriori, naturelles, mais elles ne l'étaient pas alors. À l'époque déjà, ont pointé des critiques concernant mon esprit jugé sécuritaire et la priorité excessive que j'accordais à ces questions. Comme toujours avec ce genre de dispositif, on ne voit pas ce qu'il permet d'éviter. Dans ce cadre, s'est épanouie une étroite collaboration entre la police et l'éducation nationale, dont on a pu voir les effets à l'échelle de chaque établissement. À plusieurs reprises, je me suis rendu au ministère de l'intérieur afin de préciser tous ces éléments devant les préfets.

Concernant la question des atteintes à la laïcité et aux valeurs de la République, d'autres actions sont venues compléter mon engagement. La création du Conseil des sages de la laïcité a été un événement important ; elle a envoyé un signal, démontrant ainsi l'importance de la « re-républicanisation » de l'éducation nationale, de la même manière que j'ai insisté sur la « re-scientificisation », c'est-à-dire la nécessité de lancer et de promouvoir des politiques publiques et éducatives inspirées par les enjeux scientifiques.

L'autre mérite, non moins important, de ce conseil a été de créer des normes de référence pour l'éducation nationale. Les sujets de laïcité sont souvent l'occasion d'exercices de casuistique, comme l'affaire de l'abaya l'a montré par la suite - je précise que, lorsque j'étais ministre, l'abaya était considérée comme un signe ostentatoire et était à ce titre interdite. Le Conseil a effectué un important travail permettant d'établir un vade-mecum et de concevoir une stratégie sur la question de la laïcité. Ce vade-mecum ne cesse d'évoluer, au gré des nouveaux problèmes qui se posent.

En parallèle, des équipes Valeurs de la République ont été créées dans chaque académie. Celles-ci sont pensées pour être opérationnelles sur le terrain. J'avais à l'esprit le dispositif des équipes mobiles de sécurité, que j'avais initié et expérimenté en 2008, lorsque j'étais recteur de l'académie de Créteil. Celui-ci, permettant à des équipes d'intervenir physiquement sur le terrain à l'appel des établissements, existe toujours et a même été étendu au territoire national ; contesté à sa création, il est aujourd'hui très demandé sur le terrain, car il apporte une certaine sécurité. Les équipes Valeurs de la République ont rempli le même rôle, de manière à rompre avec cette culture du « pas de vague » et avec ce sentiment de solitude ressenti par les enseignants lorsqu'émergeait un problème de laïcité.

Ces deux dispositifs combinés - la cellule ministérielle de veille et d'alerte (CMVA) et le Conseil des sages de la laïcité - permettent une évaluation constante de la situation. Chaque trimestre, à l'exception de la période particulière liée à la covid-19, on recensait en moyenne 600 signalements d'atteinte à la laïcité.

Avec ces dispositifs, mon ministère a envoyé un signal à la fois philosophique, politique et administratif : désormais, nous regardions en face les sujets d'atteinte à la laïcité, et cela a permis d'enclencher une dynamique opérationnelle qui s'est déployée durant les années 2018, 2019 et 2020.

La semaine précédant l'assassinat de Samuel Paty, tous ces dispositifs ont été mobilisés ; la principale du collège, au fait de ces règles, a notamment accompagné Samuel Paty pour le dépôt de la plainte, et des inspecteurs sont également intervenus. Beaucoup de choses ont été écrites dans les rapports d'inspection. Dans la chaîne de causalité débouchant sur ce drame, il est important de préciser que ces dispositifs ont existé. Certes, cela n'a pas suffi, puisque l'assassinat a eu lieu. Sur ces sujets, la question de la connexion entre l'éducation nationale et la police, et celle de la société qui environne l'éducation nationale sont à regarder de près ; il y a ce que l'on pouvait prévoir et ce que l'on n'a pas su prévoir. Chacun, rétrospectivement, voudrait avoir empêché cet assassinat, d'autant que les mécanismes existaient.

Cela renvoie à une autre question : qu'avons-nous fait, après l'assassinat de Samuel Paty, pour renforcer ces dispositifs ? Cela a représenté un tel choc, pour tous les Français et pour l'éducation nationale en particulier, que la culture du signalement s'est installée. Il est apparu également nécessaire d'aller plus loin dans la formation de l'ensemble des personnels de l'éducation nationale. Je tiens à rappeler ce chiffre : cela concerne un million de fonctionnaires. L'homogénéité des compétences et des réflexes ne se décrète pas, et un tel gigantisme suppose de rechercher des effets matriciels dans la conduite de l'action.

Sous la responsabilité de l'inspecteur général honoraire Jean-Pierre Obin, nous avons créé un système de formation, le « système des 1 000 ». Celui-ci a permis de former 1 000 personnes qui, à leur tour, sont devenues les formateurs de formateurs à l'échelle du pays. Au total, des centaines de milliers de gens ont été concernés par cette formation, aussi bien des cadres que l'ensemble des professeurs et personnels administratifs de l'éducation nationale.

À la Sorbonne, avec l'aide du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), il y a eu également la création par Pierre-Henri Tavoillot d'un diplôme contribuant à cette formation des cadres, de manière à obtenir une homogénéité de culture et de réflexes. Cette homogénéité, qui n'est pas nécessaire sur d'autres thématiques, est indispensable concernant la laïcité.

Cela nous renvoie à l'hétérogénéité concrète sur le terrain. Vous avez évoqué un possible problème générationnel, les moins de 35 ans ayant une interprétation peut-être différente de ce que recouvrent les valeurs de la République. C'est un sujet auquel je suis très sensible ; celui-ci est global, systémique, et ne concerne pas que la question des valeurs de la République. J'ai été très critiqué pour avoir dénoncé certaines choses qui se passent à l'université et qui ont ensuite une influence sur nos futurs professeurs, avec des positions sur certains sujets ne correspondant pas à la norme telle qu'elle s'énonce dans le cadre de l'éducation nationale.

L'éducation nationale se nie dès qu'elle s'éloigne de ses principes républicains fondateurs. Ces principes n'ont pas vocation à varier dans le temps ; naturellement, ils peuvent tenir compte des évolutions de la société, mais la laïcité n'a pas changé de sens depuis 1880 et la fondation de l'école de République. Des façons de penser différentes de cette tradition républicaine innervent aujourd'hui notre débat public ; il s'agit de les combattre.

Au-delà des enjeux procéduraux, juridiques et administratifs, les enjeux de formation sont fondamentaux. Pour parler en termes presque marxistes, il faut s'enquérir des superstructures et même des infrastructures. Nous devons être attentifs à la diffusion de la culture publique sur ces questions, car celle-ci permet d'établir des réflexes civiques communs. Nous pouvons établir les meilleures procédures du monde, si nous n'agissons pas sur ces aspects culturels, nous n'obtiendrons pas de résultats satisfaisants.

Si l'on est fonctionnaire de l'éducation nationale, sans parler des autres champs, cela veut dire que l'on adhère à ces principes républicains ; et de même, si l'on est élève ou parent d'élève. Lors de la formation des 1 000, j'avais utilisé des termes forts, qui m'ont été reprochés à l'époque, pour dire en substance que si l'on n'était pas d'accord avec ces principes on n'était pas obligé de travailler pour l'éducation nationale. Le respect des principes républicains fait partie des devoirs incontestables d'un fonctionnaire de l'éducation nationale.

Du côté des procédures, j'ai travaillé à l'accentuation du lien entre l'éducation nationale et la police. Cela s'est concrétisé par la recherche de réflexes plus rapides et par une plus grande sévérité en cas de menaces ou d'attaques vis-à-vis de professeurs. Dans l'académie de Versailles, qui a été beaucoup montrée du doigt sur ces sujets, cela a conduit à un renforcement de la protection des professeurs à la suite de l'assassinat de Samuel Paty. Un certain nombre de parents d'élèves menaçants, comparables à ceux à l'origine de l'enchaînement des faits ayant mené à l'assassinat de Samuel Paty, ont également fait l'objet de gardes à vue plus rapides et systématiques ; naturellement, il s'agit de faire preuve de discernement dans l'exercice de cette réactivité, mais, de ce point de vue également, les choses ont changé après l'assassinat de Samuel Paty.

M. Jacques Grosperrin. - En 2015, un rapport du Sénat évoquait déjà le fait de faire revenir la République dans l'école. À l'époque, nous nous étions déplacés au lycée Averroès, établissement d'enseignement privé musulman de Lille, et un ensemble de choses nous avait alors choqués, notamment le fait que les élèves ne pratiquaient pas l'éducation physique ensemble. Et pourtant, lorsque nous les avions rencontrés à l'époque, les inspecteurs n'avaient pas relevé cela. Depuis longtemps donc, la culture du « pas de vague » domine à l'éducation nationale.

Je m'interroge sur l'état d'esprit qui règne au ministère de l'éducation nationale. Dans ce ministère, on cherche toujours à défendre l'opprimé. Nous avons auditionné la soeur de Samuel Paty, et celle-ci était en colère, précisant que son frère avait également été lâché par les enseignants. En France - peut-être est-ce le syndrome Vichy ? -, on n'ose rien dire, on craint toujours la délation ; mais il s'agit de civisme.

Que faudrait-il ajouter aux différents dispositifs pour changer cet état d'esprit ? Certains ont évoqué une présence policière. Faut-il placer un policier devant chaque établissement scolaire afin de contrôler les allées et venues ? L'éducation nationale semble rétive à cela.

Mme Marie-Pierre Monier. - Après la mort de Samuel Paty en octobre 2020, le rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (Igésr) consacré à ce drame a été publié dès décembre la même année. Comment expliquez-vous cette temporalité très resserrée ?

Par ailleurs, comment s'est opéré le choix des personnes interrogées pour ce rapport ? Lors de son audition par notre commission d'enquête, Mickaëlle Paty a relevé, à raison, la surreprésentation des parents interrogés par rapport aux professeurs - quatre pour les premiers, et trois seulement pour les seconds. Dans ce rapport, on observe beaucoup d'autosatisfaction de la part de l'institution et une mise en cause insistante de Samuel Paty, supposément maladroit dans sa manière d'enseigner la laïcité. N'est-il pas choquant de voir ces points prioritairement retenus ? Ne faut-il pas s'alarmer que le principal entretien de Samuel Paty avec sa hiérarchie ait porté sur cela plutôt que sur son état psychologique après les menaces dont il fut victime ?

On se focalise souvent sur les violences les plus graves, mais les violences verbales forment la majorité de celles-ci et peuvent conduire à une dégradation significative des conditions de travail des enseignants concernés. La dimension répétée de ces agissements, constitutive d'un harcèlement moral, apparaît insuffisamment prise en compte dans la réponse apportée par la hiérarchie, à la fois en interne et à l'extérieur de l'établissement, au professeur en souffrance. De nombreux professeurs entendus dans le cadre de la commission d'enquête déclarent avoir fait part de ces menaces et insultes à leur hiérarchie, qui les a ignorées. Contrairement à ce que vous dites, monsieur le ministre, le « pas de vague » semble toujours de mise.

Dans notre rapport concernant le bilan des mesures éducatives du quinquennat, réalisé avec mes collègues Annick Billon et Max Brisson, nous avions mis en lumière le sentiment des enseignants de ne pas être soutenus par l'institution en cas de remise en cause de leur autorité, ainsi que la moindre prise en compte de leurs plaintes par la police et la justice, comparativement à d'autres dépositaires de l'autorité publique. Avez-vous constaté cet état de fait lorsque vous étiez ministre ?

Enfin, je vous alerte sur la protection fonctionnelle. Cet outil se déploie principalement sous la forme d'un accompagnement de nature juridique. Si l'on veut tirer les leçons de ce qui est arrivé à Samuel Paty, ne faudrait-il pas apporter des solutions concrètes de protection, afin de sécuriser les professeurs destinataires de menaces imminentes ? Récemment, on m'a rapporté le cas d'un professeur victime de menaces de mort ; le rectorat n'a ni pris en charge sa sécurité ni évoqué l'existence d'une procédure permettant de répondre à une situation aussi dramatique.

M. Henri Leroy. - Samuel Paty a été entendu par la principale du collège et des inspecteurs. Il a témoigné de ses craintes, notamment pour sa sécurité. Il a même, le jour précédant son assassinat, glissé un marteau dans son sac pour se défendre. Par ailleurs, l'assassin est resté vingt minutes devant le collège avant que des jeunes gens, aujourd'hui entre les mains de la justice, ne lui désignent celui qu'il fallait abattre. Pourquoi Samuel Paty n'a-t-il pas été mis en indisponibilité ? Quand on lit le déroulé de l'affaire, on se rend compte qu'il appelait au secours et qu'il avait besoin de protection. Pourquoi n'a-t-il pas été protégé par l'éducation nationale ? Pourquoi a-t-il été pratiquement abandonné à lui-même ?

M. Martin Lévrier. - Nous parlons du « pas de vague » comme un fait, mais d'où vient-il ? Pourquoi s'est-il installé dans notre système scolaire au point de devenir une philosophie pendant près de vingt ans ? A-t-on réussi aujourd'hui à rompre avec cette culture ? Je n'en suis pas certain.

Ma deuxième interrogation porte sur les chefs d'établissements et les proviseurs de lycée. Quelle est leur part de responsabilité dans l'éducation à la laïcité ? Comment peuvent-ils travailler avec le personnel enseignant et les parents ? Se sentent-ils suffisamment soutenus par une hiérarchie qui, du fait de sa verticalité, donne le sentiment de déresponsabiliser les personnes ?

Enfin, quelle a été la position de la fédération des parents d'élèves dans l'affaire Paty ? Et comment peut-on impliquer les associations de parents d'élèves afin d'agir de façon positive sur la laïcité, en lien avec les enseignants et les chefs d'établissements ?

M. Max Brisson. - Monsieur le ministre, vous avez indiqué que le « pas de vague » n'existait plus depuis votre passage rue de Grenelle, et je veux saluer votre engagement réel sur le sujet. Mais l'ensemble de la hiérarchie a-t-elle été guérie de ce mal ? Je pense à tous ces professeurs qui, comme Samuel Paty, ne transigent pas sur l'enseignement des principes de la République et notamment sur celui de la laïcité, inscrit dans notre Constitution.

Je rejoins ce qui a été exprimé par Martin Lévrier, Jacques Grosperrin et Marie-Pierre Monier. Pour un professeur, il peut être plus facile de s'autocensurer afin de s'assurer du soutien de sa hiérarchie plutôt que d'appliquer intégralement les programmes.

Vous avez évoqué de manière approfondie le Conseil des sages de la laïcité. Que pensez-vous des transformations de son périmètre et de sa composition décidées par votre successeur ? Cette instance est-elle toujours capable de jouer le rôle que vous lui avez assigné ?

Enfin, concernant la formation des professeurs, il s'agit de les armer afin qu'ils puissent enseigner le principe de laïcité. L'ensemble des programmes nécessite une formation claire et cohérente. Leur formation actuelle, dispensée sous l'égide de l'université, les prépare-t-elle efficacement à enseigner ce principe et l'ensemble des programmes qui touchent aux valeurs de la République ? Ne serait-il pas opportun que l'éducation nationale reprenne la main, sur tout ou partie de cette formation ?

Mme Monique de Marco. - Je reviens sur l'audition de Mickaëlle Paty au cours de laquelle elle a vivement critiqué la conduite de l'enquête de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche sur l'attentat perpétré contre son frère : selon elle, seuls trois professeurs sur 51 auraient été entendus et le rapport aurait été bouclé en quinze jours. Certains enseignants n'auraient pas souhaité témoigner par peur, non pas de menaces terroristes, mais de répercussions sur leur mutation ou leur notation. Cette remarque est préoccupante. Avez-vous des informations sur les conditions de production de ce rapport ?

M. Gérard Lahellec. - Merci d'avoir recontextualisé les choses. Je n'ai pas le moindre doute quant à l'authenticité et l'ampleur de votre engagement. Aborder un sujet aussi complexe que la République et ses valeurs, notamment la laïcité, avec des défis insidieux et parfois violents, est indéniablement difficile. Vous avez souligné que les principes fondamentaux sont restés les mêmes depuis 1880. Je nuancerai ce propos, car si l'école de la République, laïque, a fait de moi ce que je suis aujourd'hui - et je lui en suis reconnaissant -, ce n'est peut-être pas le cas de tout le monde. L'école ne peut pas tout, mais elle peut beaucoup. Elle reflète les problèmes de notre société, comme les phénomènes de violence. Il est donc naturel de lui demander beaucoup.

En ce qui concerne la violence, je me demande si la protection fonctionnelle ne devrait pas être de droit pour les enseignants, pour éviter les lourds inconvénients qui ont été évoqués. Cela pourrait contribuer à rétablir la confiance du monde enseignant. D'autant que, pour nous parlementaires, il est compliqué d'amender tout texte dans ce sens puisqu'on nous opposerait l'article 40. Le Gouvernement pourrait-il envisager cette procédure ?

Mme Annick Billon. - Merci pour vos propos liminaires. Vous avez affirmé qu'il était important que les fonctionnaires de l'éducation nationale adhèrent aux valeurs républicaines, aux valeurs de laïcité, vis-à-vis desquelles ils ont des droits et des devoirs. Comment concrètement cela est-il mis en oeuvre ? Cette demande d'adhésion, légitime, doit-elle être partagée avec tous les fonctionnaires, au-delà de l'éducation nationale ?

Ma deuxième question concerne la mise à mal de la laïcité ces dernières années, tant dans l'espace public que dans l'école de la République. Comment envisagez-vous des programmes visant à redresser la barre ? Ne pensez-vous pas que la laïcité a souffert de tergiversations et de renoncements depuis un certain nombre d'années, créant chez les enseignants, les fonctionnaires, les parents, les élèves aussi, un doute sur ce que le terme recouvre vraiment ?

Mme Françoise Gatel. - Comme mes collègues, je ne doute pas du tout de votre engagement. Je partage la question de Gérard Lahellec sur le caractère automatique de la protection fonctionnelle qui pourrait libérer la hiérarchie de doutes et de craintes. Par ailleurs, sur le sujet de la laïcité, n'y a-t-il pas un conflit d'interprétations ? Pour nous tous ici, elle est la protection des libertés individuelles et la règle qui nous permet de vivre ensemble. Est-ce que cette conception n'est pas aujourd'hui totalement dépassée dans l'esprit d'une jeunesse qui conçoit la laïcité comme une entrave à la liberté individuelle ?

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Dans l'application des principes de la laïcité, ne pensez-vous pas qu'il subsiste des zones grises dont font état certains enseignants ? Vous avez mentionné la différence d'appréciation de votre successeur sur le port de l'abaya, ainsi que les débats sur les sorties scolaires. Ne serait-il pas opportun de préciser au-delà du vade-mecum, ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas ?

M. Jean-Michel Blanquer. - Je remercie ceux d'entre vous qui ont reconnu la stabilité de mon action sur le sujet de la laïcité.

La question de l'état d'esprit du ministère renvoie à ce que j'ai dit en débutant mon intervention sur la question culturelle, à distinguer de la question juridique et administrative. Nous nous trouvons effectivement au coeur d'une problématique culturelle dans notre pays et, plus largement, dans les sociétés modernes. La matrice républicaine est une chance inouïe. Contrairement à ce que certains laissent entendre, cette matrice n'est ni obsolète ni strictement française. Elle correspond en réalité aux défis de notre temps, qui requièrent humanisme, universalisme et égalité de traitement entre les êtres humains, avant de s'intéresser à leurs appartenances diverses et variées.

Il est crucial de ne plus faire du logiciel de la victimisation la clé de lecture des rapports en société. La surenchère de revendications victimaires crée une compétition sans fin et alimente beaucoup d'attitudes. Dans l'école de la IIIe République, malgré ses défauts, la foi dans le progrès prédominait, notamment par le système éducatif, et personne ne cherchait le statut de victime. L'émulation liée à la méritocratie républicaine favorisait les plus faibles, soulignant les vertus de la logique d'égalité et de l'universalisme.

Quand vous examinez en détail chaque affaire, y compris celle ayant mené à l'assassinat de Samuel Paty, vous voyez que la rhétorique des acteurs, et notamment de certains élèves, emprunte à ce registre de la victimisation. Nous avons donc besoin de matrices intellectuelles dans lesquelles ancrer le débat public, l'enseignement, les paradigmes de nos institutions. La logique républicaine doit occuper une place centrale dans la formation initiale et continue de chaque enseignant comme élément consubstantiel au métier de professeur. Naturellement, cette approche devrait s'appliquer à l'ensemble des fonctionnaires. Ce n'est pas nouveau puisque toute la jurisprudence du Conseil d'État du XXe siècle nous a appris que les valeurs républicaines faisaient intrinsèquement partie des droits et des devoirs des fonctionnaires. Il faut le réaffirmer.

Faut-il avoir un policier dans chaque établissement scolaire ? Nous devons adopter une approche très pragmatique : tel collège rural n'en a absolument pas besoin, mais en milieu urbain, dans certaines circonstances, il ne faut pas interdire certaines interactions. Sur l'initiative du maire de Nice, après l'attentat meurtrier de 2016, la police municipale a noué un dialogue pacifique avec les jeunes générations dans les écoles de la ville. Pour autant que je sache, c'est une réussite à dupliquer, en particulier là où la police nationale ne peut pas toujours agir sur ces questions, en développant un dialogue entre gendarmerie, police, justice, professeurs et élèves.

Pour répondre à Marie-Pierre Monier, sans entrer dans le détail des faits ayant conduit à l'assassinat de Samuel Paty je dirai que les rapports des inspections générales, bien qu'imparfaits, représentent un travail de professionnels engagés par leur formation et leur déontologie à rechercher l'objectivité maximale. Tout désaccord sur ce rapport doit être confronté à d'autres éléments de l'enquête. Mais il faut être prudent sur les interprétations. Avant de dire que l'éducation nationale aurait lâché Samuel Paty, il faut étudier de très près, de manière impartiale et sereine, chacune des étapes, afin de détecter les failles de tous les acteurs impliqués, au-delà de l'éducation nationale.

Le fait que ce travail ait été réalisé rapidement répondait à une exigence normale compte tenu de l'importance des événements, pour recueillir immédiatement les déclarations des acteurs. Cependant, il doit être confronté aux travaux de longue durée, notamment ceux de la justice, pour garantir une compréhension complète des événements et éviter des interventions médiatiques parfois biaisées dans la sphère publique.

Le phénomène du « pas de vague » a toujours cours, je n'en disconviens pas. La situation est encore imparfaite, en raison notamment de la taille colossale de notre système éducatif et du territoire très vaste de notre pays. Mais personne ne peut contester que j'ai eu des propos très clairs et pris diverses mesures pour mettre fin à cette logique tout au long des cinq années de ma fonction. Malgré cela, certains ont intériorisé ce principe du « pas de vague ».

Je partage votre préoccupation, madame la sénatrice, sur le sentiment de solitude qu'un enseignant peut ressentir face à des menaces ou au non-respect de son autorité. Avant, et encore plus après l'assassinat de Samuel Paty, j'ai cherché les moyens de prévenir ce sentiment d'isolement et d'accompagner au mieux les enseignants concernés, notamment par la mise en place de dispositifs de signalement.

Il est essentiel de reconnaître que l'esprit d'équipe est fondamental. Les établissements où tout fonctionne bien sont ceux où une solidarité organique existe entre tous les adultes face à de tels incidents. C'est la responsabilité de l'éducation nationale de créer cet esprit d'équipe et de soutenir les équipes quand c'est nécessaire.

Parmi les mesures prises à la suite de la loi de 2019 pour une école de la confiance, l'une porte sur l'évaluation du système scolaire, qui fonctionne par cohortes successives d'établissements depuis 2020. Près de 20 % des établissements entrent chaque année dans cette autoévaluation, incluant le climat scolaire et donc la question de la sécurité des professeurs et des élèves. Ce sont des pistes d'amélioration, même s'il reste encore des marges de progrès. Tant qu'un professeur fera face à de telles difficultés, nous continuerons d'oeuvrer dans ce sens.

Une direction a été prise et il est important de reconnaître les effets de temporalité également. Aujourd'hui, le paradigme de la laïcité a changé. Il est plus fort car il fait référence, même lorsque la laïcité est malmenée. L'éducation nationale n'a pas adopté de conception dénaturée de la laïcité, ses références sont très claires, malgré les écarts que l'on peut rencontrer dans sa mise en oeuvre. Dans cette perspective, je suis assez favorable au passage d'une protection fonctionnelle attribuée de nos jours assez systématiquement, à une protection fonctionnelle automatique. La question est tout à fait pertinente.

Concernant les remarques de Henri Leroy, j'y ai partiellement répondu et il m'est difficile d'en dire davantage. Mais vous pourriez interroger la principale du collège du Bois d'Aulne ; il serait injuste de dire qu'elle a abandonné Samuel Paty. J'encourage fortement à examiner les faits de manière objective.

À propos des origines du « pas de vague », il s'agit d'un état d'esprit qui n'est pas spécifique à l'éducation nationale et peut être condamné à divers degrés. Sa justification la moins critiquable pourrait être la volonté de résoudre localement les problèmes, suivant un principe de subsidiarité. C'est tout à fait recommandable pour des questions mineures, de petits incidents, afin de ne pas encombrer le système. Cependant, il est crucial de distinguer les faits mineurs des problèmes de grande envergure. Pendant longtemps, les modalités d'évaluation du système ont pu encourager des comportements indésirables, comme on le voit ailleurs : si vous voulez faire progresser votre carrière, vous ne voulez pas être associé à des difficultés, à des incidents. La structure très pyramidale de notre système éducatif a pu encourager une forme d'infantilisation des personnels, mais c'est un problème d'ordre culturel qui doit être appréhendé comme tel.

Nous avons fait tout ce qui était possible pour mettre un terme à cet état d'esprit, et si, bien sûr, du chemin reste à faire, il est bon également de reconnaître les progrès accomplis. Le changement dans l'éducation nationale exige une approche continue et cohérente sur le long terme. Les efforts entrepris en matière pédagogique, en matière éducative et en matière de sécurité doivent être poursuivis.

Comment les professeurs peuvent-ils agir sur la laïcité ? Il est essentiel de tenir compte des phénomènes que nous constatons, par exemple les problèmes intergénérationnels. Ainsi, il s'agit non pas seulement d'affirmer des principes, mais de les illustrer, de les faire vivre et de comprendre les problématiques sous-jacentes. Les jeunes sont très sensibles à la question de la discrimination. Il est crucial de démontrer que la laïcité et les valeurs de la République sont les meilleurs remparts contre la discrimination. Il faut raisonner par objectif et faire vivre les valeurs républicaines par des actes. Les cours d'éducation civique sont indispensables, mais insuffisants. D'où l'importance de faire vivre le civisme dans les établissements scolaires. C'est un facteur d'union, au travers des initiatives diverses dans lesquelles les jeunes choisissent de s'investir, dont le service national universel (SNU) fait bien sûr partie.

Au sujet du rôle des parents d'élèves, notamment dans le cadre des faits ayant conduit à l'assassinat de Samuel Paty, je m'abstiendrai de commenter les aspects judiciaires, mais il est essentiel d'avoir un regard large et objectif sur la réaction de l'ensemble des acteurs. Dans le débat public, j'ai remarqué que le projecteur n'était pas toujours braqué au bon endroit. Par facilité, surtout lorsque les personnes visées ont du mal à se défendre, ou par habitude, on se focalise toujours sur les mêmes choses.

Vous l'avez constaté, je n'interviens pas beaucoup dans la vie publique - un peu plus ces derniers temps et peut-être davantage dans le futur. Je me suis astreint à ne pas émettre de jugement. Tout ce que je peux en dire en ce qui concerne le Conseil des sages de la laïcité, c'est que j'ai pleine confiance dans la présidente que j'ai nommée, Dominique Schnapper, une personne de grande valeur. Je ne doute pas qu'elle puisse faire vivre la diversité des points de vue de manière conforme aux enjeux de la laïcité et des valeurs de la République.

Les travaux du Conseil des sages de la laïcité sont de bonne qualité, tout comme ceux du conseil scientifique de l'éducation nationale. Ces deux institutions doivent faire référence, l'une sur le plan des valeurs de la République et l'autre sur le plan pédagogique car elles ont gagné en légitimité au fil du temps, au travers du pluralisme des idées qui y sont échangées et de la respectabilité de leurs membres. Je suis très confiant dans l'utilité de ces deux instances pour favoriser sur le long terme un débat serein, objectif, dépolitisé, mais respectueux en dernier ressort de l'autorité politique.

Quant à la formation des professeurs, bien que j'aie abordé ce sujet dans mon introduction, il est indispensable d'insister davantage. Les questions du sénateur Brisson, notamment sur la possibilité pour l'éducation nationale de reprendre entièrement le contrôle de cette formation, méritent notre attention. Sans être trop nostalgique de la IIIe République, il est indéniable que l'école de la République s'est construite selon l'esprit des écoles normales, dans un modèle très intégré. L'esprit du temps a conduit à « l'universitarisation » de la formation des enseignants, car c'est là que le savoir se crée et se diffuse. Il est nécessaire que, sur les sujets qui sont les siens, la formation d'un professeur se fasse en lien avec l'excellence que la recherche peut produire.

On n'imagine pas un futur professeur dans le domaine scientifique, par exemple, ignorant les avancées de sa discipline. C'est une évidence. Cependant, au sein de l'université, il est crucial d'avoir une véritable école. C'est pourquoi nous avons fait évoluer les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (Espé) en instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), mettant en avant leur dimension nationale tout en restant localement intégrés à l'université. Leurs cahiers des charges sont nationaux et incluent un temps dédié aux savoirs fondamentaux - au moins la moitié du temps des futurs professeurs des écoles - ainsi qu'à l'enseignement de la laïcité.

Cependant, l'évaluation des compétences concrètes des futurs professeurs à la sortie du système doit orienter les décisions, et je suis favorable à de nouvelles évolutions, après celles que nous avons déjà entreprises : la création des Inspé afin de garantir une qualité homogène de la formation sur l'ensemble du pays et la mise en place des parcours préparatoires au professorat des écoles (PPPE), qui concernent quelques milliers de jeunes après le baccalauréat, leur offrant une formation solide en français et en mathématiques, ainsi qu'un temps dédié à la laïcité et aux valeurs de la République.

Nous sommes actuellement dans la troisième année du dispositif ; dans deux ans nous aurons une première cohorte de jeunes professeurs formés pendant cinq ans au lieu de deux. Je souhaite que cela devienne la norme dans le futur, bien que ce ne soit plus de ma compétence.

J'ai déjà répondu à la question relative aux conditions de production du rapport, je pourrai en dire plus ultérieurement. Je tiens à souligner que tous les témoignages et rapports complémentaires seront les bienvenus pour avoir une vision complète. Certes, il y a des avantages et des inconvénients à avoir été rapides, mais je suis convaincu que les inspecteurs généraux qui l'ont rédigé peuvent répondre à ces questions.

Merci pour vos réflexions sur l'éducation nationale. L'éducation nationale vit dans la société telle qu'elle est. Et celle-ci a tendance à lui demander beaucoup, souvent trop. Il faut savoir réfléchir aux liens entre l'éducation nationale et la société, d'une part, et entre l'éducation nationale et les autres institutions, d'autre part. Enfin, l'éducation nationale ne doit pas être mise en position défensive : elle est facilement critiquée dans le débat public, mais il est important de mettre aussi en avant les réussites, les établissements qui fonctionnent, les enseignants qui font correctement leur travail. Les deux professeurs assassinés étaient des personnes remarquables.

Pour que l'éducation nationale puisse progresser, il faut aimer cette institution, et de manière transpartisane. Nous nous devons de travailler avec elle pour remédier à ses imperfections, sans tout lui demander. Je ne cesserai de le dire : les sociétés qui se portent le mieux sont celles qui ont confiance dans leur système éducatif. Sortons de cette mode qui consiste à donner un coup de pied permanent à cette belle maison.

Comment renforcer la laïcité ? Un accord le plus large possible de la représentation nationale et, plus largement, des Français, sur une politique publique de la laïcité est nécessaire. J'ai la conviction que 80 % à 90 % des Français partagent les valeurs républicaines que nous portons, même si la présence médiatique des idées anti-laïques nous donne presque l'impression que la proportion est inversée et que ces idées dominent. Nous devons faire preuve d'un consensus républicain autour des principes de la laïcité avec sérénité, sans jamais en dévier. La continuité est essentielle. En matière de laïcité, le Conseil des sages de la laïcité fait office d'institution de référence dans l'appareil d'État.

Concernant les jeunes, je rappelle que nous avons mené en septembre 2021 une campagne de publicité inédite pour la laïcité en leur direction. Elle illustrait parfaitement mes propos précédents : l'immense majorité des Français sont convaincus que la laïcité est nécessaire pour nous permettre de vivre fraternellement ensemble. Malheureusement, aujourd'hui, le dire provoque des propos insensés de la part des 10 % d'activistes qui veulent critiquer la laïcité, lui donner des coups de boutoir.

Cette campagne est typique du travail à mener : aller vers la jeunesse, développer les thèmes qui sont les siens, et raisonner avec elle sur le fait que la laïcité est la voie qui nous permet d'atteindre les objectifs de liberté, d'égalité et de fraternité que nous nous sommes fixés.

J'ai par ailleurs eu l'honneur de me rendre récemment dans la partie syrienne du Kurdistan, dans une société qui a réussi à s'organiser autour de la laïcité, bien que la plupart de ses membres soient musulmans. Cela prouve que les principes républicains ne sont pas l'apanage de la France, et que croire aux vertus de la neutralité du service public et de l'interdiction du prosélytisme à l'école n'est pas le fait d'une France qui se replierait sur elle-même, mais relève au contraire d'idées très modernes qui peuvent et acceptables par d'autres pays.

S'agissant de votre question sur le flou des normes, monsieur le président Lafon, j'insiste : la création du Conseil des sages de la laïcité vise précisément à éviter ce flou. Je ne dis pas qu'il n'en existe pas, mais que, quand c'est le cas, le Conseil doit être saisi pour sortir de cette situation. C'est son rôle, qu'il a par ailleurs rempli en rendant jusqu'à présent des avis pertinents. Il faut ensuite que ceux-ci soient mis en oeuvre.

Sur les sorties scolaires - sujet pour le moins compliqué -, ma position est connue. Mais il ne faut pas en faire un sujet central en ce qui concerne la laïcité. Nous devons tendre à l'unité sur ces questions. Ce sujet relève, me semble-t-il, finalement davantage de la jurisprudence que de la législation. Les accompagnateurs sont, me semble-t-il, des collaborateurs bénévoles du service public, avec les droits et devoirs afférents. À ce titre, un accompagnateur qui est victime d'un accident dans le cadre d'une sortie scolaire a droit à une indemnisation de l'État. C'est le professeur de droit qui parle, même si j'entends que ces propos puissent être en contradiction avec les récents avis du Conseil d'État.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Nous avons souvent échangé sur la laïcité et les valeurs de la République lorsque vous étiez ministre. Certains ont présenté l'assassinat de Samuel Paty comme « la chronique d'une mort annoncée ». Certes, nous sommes dans un moment judiciaire particulier qui m'empêche d'évoquer plus avant ce sujet. Pour autant, un mot n'a pas été prononcé lors de cette audition. Je le dirai : l'islamisme tue, l'islamisme égorge les professeurs en France - Samuel Paty, Dominique Bernard -, l'islamisme fait reculer la laïcité et la République. On ne peut pas conclure cette audition sans le dire. Si l'on ne reconnaît pas que cette idéologie mortifère perturbe toutes nos relations, y compris à l'école, on n'avancera pas.

M. Jean-Michel Blanquer. - Merci, madame la sénatrice, de le rappeler. J'aurais parfaitement pu prononcer le mot « islamisme » - je le fais maintenant sans difficulté. Nous avons en effet un problème avec l'islamisme politique en France. J'ai passé cinq ans à le dire, non sans coups portés à mon égard.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Merci pour les réponses précises que vous nous avez apportées.

AUDITION DE LA POLICE NATIONALE ET DE LA GENDARMERIE NATIONALE

Mercredi 13 décembre 2023

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Audition de
Mmes Céline Berthon, directrice générale adjointe de la police nationale,
et Virginie Brunner, directrice nationale de la sécurité publique,
et de M. le général de corps d'armée André Petillot,
major général de la gendarmerie nationale,
et MM. Antoine Lagoutte, chef du bureau de la synthèse budgétaire, et Denis Nauret, adjoint au sous-directeur de l'emploi des forces, de la direction générale de la Gendarmerie nationale

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - La commission des lois et la commission de la culture vous entendent aujourd'hui dans le cadre de leur mission conjointe de contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes.

Je vous prie d'excuser le président Buffet qui est contraint d'assister à une autre réunion.

Si cette mission d'information ne peut se pencher sur les faits qui font l'objet d'une enquête en cours, son objectif est de s'intéresser aux modalités de prévention, d'évaluation et de traitement des menaces exercées à l'encontre des enseignants et, au-delà, de l'ensemble des membres de la communauté éducative.

Notre premier axe d'interrogation porte sur les modalités de dépôt de plaintes et de mains courantes de la part des enseignants victimes d'agressions, ainsi que leur traitement. Disposez-vous en particulier d'éléments relatifs au délai moyen de traitement de ces plaintes ? Comment les agents concernés sont-ils informés de leur stade d'avancement ?

En second lieu, nous souhaiterions avoir des précisions quant aux suites policières qui sont données à ces plaintes. Dans quelle mesure celles-ci donnent-elles lieu à des arrestations ? En outre, dans quels cas l'agent enseignant ou administratif menacé peut-il bénéficier d'une mesure de protection policière ?

Une autre forme de pression que subissent les enseignants retient également notre attention dans le cadre de nos travaux : celle que constituent les plaintes déposées à l'encontre des enseignants par les parents d'élèves. Disposez-vous d'éléments à ce sujet ?

Enfin, nous serions intéressés par toute précision que vous pourriez apporter concernant les partenariats qui existent entre les préfectures, les services de police et de gendarmerie, les parquets et les rectorats : comment les services de police et de gendarmerie et le ministère de l'éducation nationale coordonnent-ils leur action pour agir contre les menaces et agressions à l'encontre des enseignants ?

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Nos travaux ayant par ailleurs obtenu du Sénat l'obtention des prérogatives des commissions d'enquête, je vous rappelle qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Céline Berthon et M. André Petillot prêtent serment.

Mme Céline Berthon, directrice générale adjointe de la police nationale. -Je suis accompagnée de Virginie Brunner, directrice nationale de la sécurité publique et, à ce titre, responsable de la totalité des commissariats de police hors compétence territoriale de la préfecture de police.

Les missions de la police nationale consistent à engager les mesures de prévention, d'identification des auteurs d'infraction et de poursuites des enquêtes judiciaires aux fins de présenter les auteurs devant la justice. Cela nous conduit à interagir avec le milieu enseignant et plus largement avec la communauté éducative, dans le cadre d'un partenariat qui s'est renforcé au fil du temps, des crises et des drames pour prendre en compte de la manière la plus adaptée possible les enjeux de sécurité rencontrés dans ce milieu.

Plusieurs volets traduisent ce partenariat.

Le premier porte sur la prévention, qui s'appuie sur l'instauration d'une relation de confiance et s'exprime dans le cadre d'une coordination avec les établissements et les services départementaux de l'éducation nationale. La mise en place d'un écosystème pluridisciplinaire est nécessaire pour prendre en compte les problématiques rencontrées par la communauté enseignante et la communauté éducative, et pour y apporter des solutions. Cela se fait sous l'autorité du préfet et du rectorat, suivant plusieurs axes de travail, souvent via une convention partenariale afin de permettre l'échange d'informations très concrètes sur un certain nombre de situations.

Un de nos premiers axes est la prise en compte des risques et des menaces auxquels sont confrontés les établissements. Nous travaillons dans ce cadre avec l'autorité préfectorale, le rectorat et les services de renseignement. Nous coopérons également avec les parquets, qui sont régulièrement sollicités, par exemple pour émettre des réquisitions nous autorisant à mener des contrôles aux abords des établissements scolaires. Ce partenariat s'étend aux municipalités qui disposent évidemment de pouvoirs d'intervention et peuvent aussi mobiliser leurs propres services.

Nous avons des correspondants spécialisés et identifiés dans la totalité des circonscriptions. Ce sont des interlocuteurs privilégiés pour les chefs d'établissement, avec lesquels ils ont des contacts réguliers. En dehors des crises, la préparation des rentrées scolaires nous donne l'occasion de faire avec l'établissement un point d'ensemble sur les perspectives et sur la nature des difficultés rencontrées, et d'aménager si nécessaire des mesures de sécurisation passive des établissements. On y associe bien souvent d'ailleurs les services municipaux afin de réfléchir aussi à des enjeux d'urbanisme extérieur.

Ce volet préventif permet le développement d'un réseau de proximité dense qui facilite l'action opérationnelle quand elle est malheureusement nécessaire.

L'action opérationnelle est un volet ancien qui s'est évidemment renforcé au regard des menaces à l'encontre de la communauté enseignante, après l'assassinat de Samuel Paty, l'attentat d'Arras ou la situation à Rennes évoquée par la presse depuis le milieu de la matinée.

Un autre axe majeur est le traitement prioritaire des appels police secours qui parviennent sur le 17 pour intervenir le plus vite possible. Mme Brunner dispose d'informations, si vous souhaitez, sur les délais d'intervention à Arras et aujourd'hui à Rennes, qui témoignent de la réactivité des services. Cette réactivité repose notamment sur le déplacement systématique des équipes, en prenant en compte à chaque fois les appels avec le même sérieux et la même diligence, car ils peuvent être parfois bruyants ou imprécis.

Nous avons également renforcé la coordination afin de préparer les modalités d'intervention dans les établissements scolaires, qui ont la spécificité d'abriter de nombreux enfants. L'objectif est évidemment d'intervenir vite et bien. Dans le cadre de la menace terroriste qu'a connue notre pays ces dernières années, nombre de plans d'exercice ont été menés dans les établissements, souvent avec les policiers municipaux et les services de la police nationale. Nous avons recueilli les plans des établissements, de manière à pouvoir intervenir en cas de crise ou les mettre à disposition des services primo-intervenants, comme les unités spécialisées d'intervention.

Après le temps de l'intervention, ou en parallèle, selon la gravité des faits, vient la prise de plainte. Elle est déterminante en ce qu'elle ouvre un champ judiciaire qui rend possible un levier d'action plus large. Depuis plusieurs années, nous sommes engagés dans une démarche d'accompagnement qualitatif pour faciliter la prise de plainte des personnes victimes d'infraction, par exemple en fixant un rendez-vous, voire en délocalisant la prise de plainte. Nous pouvons solliciter des services d'accompagnement des victimes et le soutien d'associations qui peuvent être nécessaires pour les enseignants.

Nous essayons aussi d'associer tant que possible la communauté éducative dans le travail que l'on mène de manière très concrète sur des problématiques identifiées à l'échelle territoriale : je voudrais évoquer ici l'initiative développée par la sécurité publique des groupes de partenariat opérationnel (GPO). Ce sont des réunions pluridisciplinaires de tous les acteurs ayant vocation à conduire une action sur une problématique concrète autour des établissements scolaires. Elles peuvent concerner des squats aux abords d'établissements scolaires ou la circulation. Cela peut sembler marginal par rapport à la sécurité de la communauté éducative ; cependant, les chefs d'établissement sont préoccupés par tout ce qui se passe devant leurs établissements.

L'intensification du partenariat et des modalités de notre réaction aux phénomènes dont sont victimes les enseignants répond à l'accentuation et à la diversification des menaces. Nous vous fournirons les données du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) qui indiquent une augmentation des violences physiques, mais également des atteintes à la dignité et à la personnalité de la communauté enseignante. Sur les trois dernières années, 2021 a vu une hausse importante de ces problèmes, probablement en lien avec l'assassinat de Samuel Paty, avec à la fois des incidents et des signalements plus nombreux. L'année 2022 marque un léger recul par rapport à 2021, mais indique néanmoins une progression par rapport à 2020. Nous observons donc un phénomène qui s'installe et qu'il nous faut, évidemment, prendre en compte.

Ce phénomène est de plus en plus protéiforme. Nous avons tous fréquenté des établissements scolaires où les enseignants pouvaient être victimes de violence ou d'insultes. Mais l'assassinat de Samuel Paty a mis en exergue une nouveauté : la dimension numérique ou virtuelle des menaces avec les réseaux sociaux, qui sont un facteur de propagation de fausses informations et de menaces, visant des personnalités individuelles ou des établissements. Nous avons eu à connaître, notamment depuis l'attentat d'Arras, une multiplication des phénomènes de menaces parfois virtuelles et d'alertes à la bombe, qui ont conduit à un nombre significatif d'évacuations d'établissements. Ces menaces, combinées au rôle des réseaux sociaux, peuvent aboutir au pire.

Il faut, à cet égard, souligner la mobilisation de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Elle est animée par la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ). Cet outil nous permet de mieux détecter et de judiciariser les violences et les menaces dans l'espace numérique. Pharos exploite les signalements relatifs aux contenus illicites diffusés en ligne, qui incluent un certain nombre de menaces et d'apologies du terrorisme.

En recoupant et en analysant les signalements, nous conduisons deux types d'actions.

La première action, à dimension administrative, vise à permettre la suppression ou le déréférencement des contenus illicites qui sont identifiés. C'est important car un contenu retiré se diffuse moins, ce qui peut nous laisser espérer qu'il produira moins de dégâts en viralité ou influence sur des publics fragiles.

L'autre action se situe sur le terrain judiciaire : il s'agit d'identifier les auteurs des infractions et de rechercher les preuves pour conduire les intéressés devant la justice. Je souligne d'ailleurs qu'après l'attentat commis au lycée Gambetta d'Arras, nous avons connu une augmentation du nombre de signalements à traiter, mais aussi des interpellations que nous avons pu réaliser.

Ce phénomène nous conduit à ne pas négliger la dimension dangereuse que peut prendre une menace et à développer un travail d'évaluation. Nous mobilisons pour cela l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), qui dépend de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Une fois les menaces évaluées, nous pouvons être conduits à mettre en oeuvre des mesures de protection de deux types.

D'une part, des mesures de protection rapprochée par le service de la protection (SDLP) peuvent être mises en oeuvre au bénéfice principalement de personnalités ou de membres du Gouvernement et, plus rarement, d'enseignants comme cela fut le cas en 2021, après des dépôts de plainte et l'évaluation par l'Uclat des menaces pesant sur trois membres du personnel de l'éducation nationale. En 2022 à l'inverse, cinq personnes issues de la communauté éducative et ayant déposé plainte ont fait l'objet d'évaluations qui n'ont pas conduit à ce que des mesures de protection rapprochée soient mises en oeuvre.

D'autre part, les mesures de protection peuvent être territoriales, c'est-à-dire qu'elles reposent sur des patrouilles plus régulières aux abords des établissements scolaires et sur des présences fixes aux heures sensibles comme les heures d'arrivée et de départ d'un personnel menacé. Nous pouvons décliner ces mesures de vigilance aux abords du domicile, et nous collaborons souvent avec nos camarades de la gendarmerie nationale en fonction des lieux de résidence ou d'emploi des personnes menacées.

Dans la mesure du possible, nous recueillons les coordonnées des personnes ayant manifesté des inquiétudes dans nos centres d'information et de commandement, de manière à ce que, en cas d'appel d'urgence, leur numéro puisse être immédiatement identifié. Cela nous permet de déterminer tout de suite le niveau de la menace et d'intervenir aussitôt.

Depuis l'attentat commis à Arras qui a conduit à la mort de Dominique Bernard, dans le cadre du plan Vigipirate « urgence attentat », nous avons organisé des réunions avec les établissements scolaires afin de refaire un point sur leurs attentes particulières et d'être en mesure d'y répondre, si besoin en réactivant des dispositifs spécifiques. Le conflit israélo-palestinien nous a également conduits à identifier de nouveaux points de vigilance, la communauté éducative pouvant être particulièrement ciblée. Toutes ces mesures s'inscrivent, une fois encore, dans une logique d'accompagnement qualitatif que nous souhaitons développer.

M. le général de corps d'armée André Petillot, major général de la gendarmerie nationale. - J'essayerai de compléter sans redite le propos de Mme Berthon, puisque tout ce qu'elle a évoqué se décline de manière très similaire pour la gendarmerie nationale.

La question de la sécurité dans l'espace scolaire a émergé il y a presque trente ans. Les premiers dispositifs ont été mis en place en 1996. Il s'agissait d'un premier rapprochement entre les forces de sécurité et le milieu éducatif, centré principalement sur la question de l'usage des stupéfiants qui posait problème au sein des établissements, mais qui a aussi permis de développer la connaissance mutuelle de ces deux mondes et des actions de prévention.

L'année 2009 a ensuite été une étape importante, car la question des violences dans les établissements scolaires, ou autour de ces derniers, a pris une dimension beaucoup plus vaste que la simple question des stupéfiants. Les violences contre les enseignants et autour des établissements scolaires existaient déjà. On a donc créé un référent scolaire dans chaque brigade de gendarmerie. Ce dispositif existe toujours. Ces référents jouent le rôle de point de contact pour l'ensemble des établissements implantés sur la circonscription de la brigade et sont des interlocuteurs parfaitement identifiés par les enseignants et les chefs d'établissement, avec lesquels ils doivent entretenir des relations régulières. Ils effectuent ainsi des visites d'établissement et, en cas de difficulté, peuvent conseiller ou orienter vers les référents chargés de la prévention technique de la malveillance, par exemple s'il y a des diagnostics à faire.

Les années 2015-2016, marquée par des attentats terroristes, constituent l'étape suivante : on s'est beaucoup penché sur la sécurisation de l'espace scolaire en lui-même, afin d'empêcher des actions comme les tueries de masse. L'effort s'est porté sur la sécurisation passive des établissements, le rehaussement des contrôles d'accès... Nous appuyons les communautés éducatives et les collectivités territoriales responsables des travaux de ces établissements scolaires par la mise en place de procédures avec les chefs d'établissement sur les modalités de confinement des élèves et comment nous intervenons dans ce cadre.

L'assassinat de Samuel Paty a constitué un tournant : désormais, la menace à l'encontre des enseignants n'est plus circonscrite à l'enceinte du lycée, du collège ou de l'école. Deux thématiques coexistent : la violence contre les enseignants, liée à des comportements individuels ; et une dimension idéologique liée au séparatisme, qui est, je suppose, au coeur de vos travaux. La nouveauté aujourd'hui, c'est qu'on ne doit plus s'intéresser seulement à l'établissement lui-même, à sa sécurisation, au lien avec la communauté éducative, mais également à la sécurité d'un enseignant, y compris dans sa vie personnelle. Mme Berthon a rappelé les dispositifs en place, qui sont suivis avec une très grande vigilance pour assurer la protection des enseignants.

Quelques éléments chiffrés : 56 % des écoles sont en zone gendarmerie, ce qui représente 23 800 écoles ; de même pour le second degré, nous gérons 7 700 établissements, soit 43 % de l'ensemble ; et 2 144 établissements du supérieur, soit 19 % de l'ensemble de ceux-ci. Les enseignants et membres de la communauté éducative représentent quant à eux plus d'un million de personnes. Le volume est extrêmement important, et il est évidemment partagé avec la police nationale.

Le nombre d'agressions et de menaces à l'encontre du monde éducatif est clairement en hausse, comme les violences en général. Nous ne voyons pas de singularité dans l'évolution du nombre d'agressions contre les enseignants ou contre les représentants de l'autorité au sens large.

Les départements les plus concernés sont, pour la gendarmerie, ceux à très forte population : la Gironde, la Haute-Garonne, l'Isère, le Nord, l'Oise, l'Hérault et le Pas-de-Calais. Il n'y a pas de déterminisme géographique.

S'agissant des auteurs, 45 % d'entre eux sont mineurs, ce qui veut dire que 55 % sont majeurs. Hormis certains qui ont peut-être un parcours scolaire un peu retardé, il ne s'agit donc pas d'élèves. Ce sont des parents, des frères et soeurs, ou encore des tiers. Une part importante des auteurs sont extérieurs à l'établissement scolaire et n'ont donc pas vocation à y pénétrer, sauf les parents quand ils sont invités à des réunions. Cela aussi a une incidence sur la réponse pénale à apporter.

Les infractions consistent principalement en des outrages, des menaces, des menaces de mort, des insultes et des injures - la part des violences étant heureusement très minoritaire. Pour autant, quand on menace aujourd'hui un enseignant de mort, c'est loin d'être anodin. C'est une épée de Damoclès parce qu'on sait très bien que cela peut se traduire par un acte réel.

On élucide les affaires à 40 %, ce qui peut sembler relativement faible. Mais il faut savoir qu'un certain nombre de faits sont des insultes, des tags, des dégradations. Quand on crève les pneus du véhicule de l'enseignant sur le parking devant l'école, quand on écrit « M. Machin est ceci ou cela », c'est très compliqué à élucider. En revanche, quand il s'agit d'atteintes physiques ou de violences, les auteurs sont beaucoup plus simples à identifier.

Le texte de référence en matière de prise en compte de ce phénomène est l'instruction interministérielle du 27 octobre 2020 relative à la sécurisation de l'espace scolaire et aux mesures d'accompagnement du corps enseignant. Ce texte, postérieur à l'attentat qui a visé Samuel Paty, met en place un accompagnement des enseignants avec une incitation forte au dépôt de plainte. Nous avons observé que, contrairement à ce qui a été mis en place pour la lutte contre les violences intrafamiliales, l'enquête judiciaire n'est pas systématique. En cas de violence intrafamiliale, qu'il y ait plainte ou pas, à partir du moment où l'enquêteur a connaissance de faits susceptibles d'une qualification pénale, il doit ouvrir une enquête judiciaire et en aviser le parquet. Ce n'est pas aussi clair pour les atteintes aux enseignants. On peut le comprendre car une partie importante des auteurs sont des mineurs : il appartient souvent au parquet de privilégier des traitements administratifs tels que le travail disciplinaire propre à établissement. Par ailleurs, une enquête judiciaire n'est pas toujours indispensable ou même opportune.

Mais il y a peut-être une réflexion à avoir sur un éventuel angle mort ; lorsqu'un enseignant signale des faits mais ne souhaite pas déposer plainte, l'incident peut passer sous les radars, même si, en principe, quand les faits sont d'une nature grave, l'enquêteur doit en rendre compte au parquet.

Néanmoins, de leur côté, les chefs d'établissement sont censés faire un signalement suivant l'article 40 du code de procédure pénale pour tous les faits de nature susceptibles de recevoir une qualification pénale. Il ne s'agit pas de paralyser le système judiciaire avec des faits de nature anecdotique, mais si l'on veut vraiment sécuriser les choses et s'assurer qu'il n'y ait pas de faille dans le dispositif, il faut être le plus précis possible dans les actions mises en oeuvre.

L'attention particulière portée à ces faits se traduit également dans les modalités de dépôt de plainte et de traitement : le reporting est systématique et national. Toute atteinte à un enseignant ou un membre de la communauté éducative fait l'objet d'une remontée d'information au niveau central, priorisée. La hiérarchie des unités est chargée de vérifier qu'à chaque fois les plaintes sont prises et les investigations menées, sous l'autorité des magistrats.

Les délais de traitement sont variables selon la complexité des investigations. Si vous avez l'auteur sous la main et que les faits sont caractérisés, ils peuvent être extrêmement rapides. Quand il s'agit de menaces en ligne, un signalement à Pharos peut prendre des semaines, voire parfois des mois, pour identifier l'auteur, quand il n'a pas été suffisamment prudent pour masquer son identité. Il y a toujours des difficultés, mais dans l'ensemble, c'est une véritable priorité pour tout le monde, enquêteurs comme magistrats. Les délais sont donc les plus courts possible, de manière à ce que la réponse soit la plus rapide possible.

Je ne reviens pas sur les mesures de protection, que Mme Berthon a largement développées.

On peut aussi noter que notre arsenal juridique est assez robuste. Pour toutes les infractions commises à l'encontre d'un enseignant, les circonstances aggravantes sont retenues. Des mesures judiciaires comme l'exclusion d'établissement scolaire peuvent être prises. La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, a également créé une infraction peut-être insuffisamment connue, mais répondant aux menaces qui défrayent la chronique actuellement : l'article 433-3-1 du code pénal a trait à la répression des menaces, violences et actes d'intimidation à l'égard « de toute personne participant à l'exécution de la mission de service public, afin d'obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ». Cela concerne principalement les hôpitaux, mais peut s'appliquer assez précisément à un certain nombre de situations dans des établissements scolaires. Il faut sans doute mieux faire connaître et mieux déployer cet outil juridique.

Nous répondrons de manière très précise et détaillée aux questions qui nous ont été adressées sur les chiffres et les différents dispositifs. J'ai fait imprimer l'ensemble des faits qui ont émaillé l'année 2023 pour vous donner quelques exemples de ce à quoi sont confrontés aujourd'hui nos enseignants. Les cas sont extrêmement variés et nombre d'entre eux n'ont rien à voir avec ce qui est rapporté dans les médias.

Par exemple, pendant un cours d'espagnol, un élève tire sur la professeure à l'aide d'un pistolet à eau. La professeure demande à l'élève de lui remettre le pistolet à eau. L'élève refuse à plusieurs reprises avant de finir par le poser sur la table. La professeure le confisque. Un deuxième élève intervient, lui dit que le pistolet à eau lui appartient et qu'elle n'a pas le droit de le lui prendre. Les deux jeunes filles continuent à réclamer et à ordonner que la professeure leur rende le pistolet à eau. L'affaire se termine par des intimidations à l'encontre de la professeure et du conseiller principal d'éducation (CPE).

Un autre exemple : l'auteur des faits se trouve en salle de classe, prend une photographie de sa professeure alors qu'elle donne son cours et diffuse la photo sur le réseau social Snapchat en écrivant « grosse pute » sur l'image. Les élèves constatent la publication, en informent la professeure. Celle-ci demande à l'auteur de lui montrer son téléphone. L'élève refuse de le donner et refuse la confiscation du téléphone.

Dernier exemple : le mis en cause insulte sa professeure en cours d'histoire-géographie, lui disant qu'elle l'emmerde et la traitant de « pétasse » à la fin du cours. À la suite de ces faits, le mineur fait l'objet d'une exclusion du collège. Le soir même, le mineur envoie un message à sa CPE pour l'informer qu'il avait dit à Mme Untel qu'elle allait mourir.

Voilà le quotidien de nos enseignants.

Comme pour les violences intrafamiliales, nous incitons les enseignants à déposer systématiquement plainte. Dans ces deux cas de figure, la victime a tendance à relativiser les faits ; or le système ne peut se mettre efficacement en place et apporter une réponse exemplaire sans dépôt de plainte.

Mme Marie-Pierre Monier. - Dans quels cas les protections sont-elles mises en place ? Nous avons des exemples d'enseignants menacés qui n'ont pas bénéficié de protection.

À la suite de la mort de Dominique Bernard, il était question de généraliser dans les écoles un bouton d'alerte pour prévenir directement les commissariats et les gendarmeries. Cela existe déjà dans certains établissements scolaires. Quels sont les retours ? De manière générale, que préconisez-vous en matière de sécurisation des établissements ?

Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les référents que vous avez évoqués ? Est-ce qu'une gendarmerie est chargée de tous les établissements d'un secteur ?

Y a-t-il une approche spécifique à la police et à la gendarmerie ?

Enfin, dans le cadre des travaux ayant conduit au rapport Bilan des mesures éducatives du quinquennat que nous avons publié en juillet 2023, les enseignants nous ont exprimé le sentiment d'une moindre prise en compte de leurs plaintes, comparé à celles d'autres représentants du service public. Comme pour les violences faites aux femmes, un travail de sensibilisation est-il mené auprès de vos forces de police ? Les dépôts de plaintes sont-ils toujours enregistrés ? Une enseignante nous signalait récemment que sa plainte ne l'avait pas été. Des critères précis ont-ils été fixés ? Les agissements verbaux que vous avez cités sont-ils pris en compte, et de quelles façons ?

M. André Petillot. - Concernant la gendarmerie, un référent est nommé par brigade territoriale. Il est chargé de l'ensemble des établissements scolaires implantés sur la circonscription de la brigade.

Ces référents scolaires relèvent du dispositif mis en place en 2009, appelé « sanctuarisation globale de l'espace scolaire » (Sages). Il vise à rassurer la communauté scolaire, à entraver l'action des fauteurs de troubles et à interpeller les auteurs pour les traduire en justice.

Un autre dispositif appelé « sécurisation des interventions et de protection » (SIP) vise à inscrire les enseignants dans notre base de données. En cas d'agression ou de menace, leur appel est ainsi priorisé par le centre opérationnel et permet d'intervenir très rapidement si la menace est caractérisée. Tout enseignant victime se voit proposer ce dispositif. Il peut s'inscrire s'il le souhaite, mais nous ne l'imposons pas. Ce dispositif intègre également les domiciles des enseignants inscrits dans les programmes de patrouilles des unités, de manière à détecter et dissuader les individus suspects.

Des points d'écoute de gendarmes existent dans les établissements les plus exposés. À l'origine, ils ont vocation à lutter contre le harcèlement scolaire, mais peuvent tout à fait servir aux enseignants qui souhaiteraient se confier là plutôt qu'à la brigade.

L'Uclat évalue le dispositif de protection pour les faits les plus graves, mais les autorités préfectorales peuvent aussi prescrire des mesures de protection. Elles ne sont pas aussi musclées que celles de l'Uclat mais peuvent concerner des passages réguliers à proximité du domicile, voire du statique si des menaces sont avérées. Nous faisons tout notre possible pour renforcer la protection des enseignants ou d'établissements scolaires sujets aux menaces.

S'agissant du dépôt de plainte, nous ne sommes pas à l'abri d'un raté, mais les consignes sont claires : les plaintes doivent être systématiquement enregistrées. Les cas évoqués sont des outrages, qui relèvent du délit. On peut considérer que ce sont des faits banals, mais s'ils ne sont pas recadrés, ils se répéteront et l'impunité s'instaurera.

Mme Céline Berthon. - Même chose pour la police : un fait pénal qui nous est déclaré est suivi d'un dépôt de plainte automatique. Il peut y avoir des enjeux d'appréciation lorsque les faits relèvent de l'infra-pénal. Si les faits sont mal qualifiés, confus ou mal caractérisés par l'agent, cela peut éventuellement conduire à un accueil inapproprié.

Le délai de traitement pourra être variable selon la nature des faits. On ne traitera peut-être pas avec la même diligence une insulte qu'un fait de violence ou une menace. Le contexte des faits, la personnalité de l'auteur ou encore le profil social de l'établissement est aussi à prendre en compte. Bien souvent, les chefs d'établissement confrontés à ce type de situation incitent à déposer plainte, mais peine à convaincre. Certains faits récents, largement couverts par la presse, ne sont par exemple pas suivis d'une plainte.

Le gage de notre efficacité réside dans la complémentarité entre les mesures disciplinaires prises par l'établissement et l'action étatique, notamment enclenchée par la plainte. D'où l'importance de référents à même de conseiller la meilleure approche à adopter.

On distingue deux catégories de protection : la protection rapprochée, avec des agents au contact permanent d'une personne. Elle est très coûteuse et n'est donc appliquée qu'en cas de menace avérée. C'est à l'Uclat, qui dépend de la DGSI, qu'il revient de déterminer si une menace relève de cette dimension. Je ne suis pas en mesure de vous détailler ce qui conduit précisément à la mise en oeuvre de cette mesure exceptionnelle et exorbitante : cela peut par exemple tenir à la personnalité de l'auteur de la menace. Dans d'autres cas, une autre forme de protection individualisée peut rassurer un enseignant inquiet pour sa sécurité. Nous l'avons mise en place à chaque fois que cela était nécessaire.

Enfin, le bouton d'alerte supposerait à la fois un raccordement direct entre un établissement scolaire et un commissariat ou une gendarmerie, et une intervention immédiate à son déclenchement. On sait par habitude qu'une alarme peut se déclencher de manière inopportune, aussi le dispositif ne semble-t-il pas tout à fait judicieux.

En revanche, nous disposons dans nos centres de l'alarme Ramses (réception des alarmes et des messages des sites et établissements sensibles), qui identifie des correspondants privilégiés. C'est par ce dispositif, par exemple, que nous prenons en compte les alertes émanant des téléphones dit « grave danger ». Il consiste en un abonnement à un service raccordé. Ce n'est pas à proprement parler un bouton d'alarme.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Madame Brunner, je vous demande à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Virginie Brunner prête serment.

Mme Virginie Brunner, directrice nationale de la sécurité publique. - Il existe quatre correspondants spécifiques : le correspondant « police sécurité », en lien avec tous les chefs d'établissement d'une circonscription, à l'échelon local ; le référent départemental « police-éducation nationale » travaille sur l'ensemble du département ; le chef de circonscription est en lien avec les équipes de direction du monde enseignant ; enfin, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) travaille plutôt avec le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) ou le rectorat.

D'autres référents peuvent être affiliés à des thématiques spécifiques, comme les référents « sureté », chargés d'analyser la menace extérieure et de développer la culture de la sûreté au sein des établissements. Ils sont accompagnés du correspondant « sureté », dont le rôle est décliné au niveau local, mais aussi de policiers formateurs antidrogue (PFAD).

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Combien d'établissements sont abonnés au dispositif Ramses ?

Mme Céline Berthon. - Actuellement, aucun. Il s'agit d'un dispositif de gestion des alarmes « agression ». Il suppose un raccordement et entraîne par conséquent un coût d'installation et d'abonnement.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Est-ce la police qui le propose, ou bien les établissements qui en font la demande ?

Mme Céline Berthon. - À ce jour, nous ne le proposons pas aux établissements scolaires. Il cible plutôt des bâtiments publics qui nécessitent des mesures de réaction particulière en cas d'agression, tels que la Banque de France.

M. Jean-Michel Arnaud. - Certains témoignages passent en effet au travers des mailles du filet. Je vous transmets celui d'un professeur d'histoire-géographie de mon département : « Au mois de juin, j'ai déposé une plainte contre un de mes élèves qui avait posté une photo de moi en cours sur un réseau social. Pas bien méchant certes, mais le même s'est révélé harceleur de camarade. Conseil de discipline, élève exclu définitivement et menace de la part de parents me rendant responsable de son exclusion. Nouvelle plainte contre les propos des parents et puis plus rien. Plus de nouvelles de mes plaintes... »

Dans ces situations, vous préconisez une réponse disciplinaire en interne : or les exclusions qui découlent d'un conseil de discipline peuvent avoir un impact extérieur, avec des parents qui sont menaçants sur les réseaux sociaux, voire physiquement. Pourquoi la plainte de cet enseignant n'a-t-elle pas eu de suite, alors que chaque établissement est doté de référents censés accompagner un enseignant en danger, ou qui se sent en danger ? Les forces de police étant extérieures à l'établissement et la direction extérieure à la classe, l'enseignant semble plus en mesure de jauger la gravité de la situation. Sinon comment juger si celle-ci plutôt qu'une autre relève du cas d'alerte ? Comment être sûr de ne pas passer à côté d'un cas grave, comme c'est souvent le cas lorsqu'un drame survient ?

Les collectivités locales n'ont pas été citées, alors qu'il s'agit du réseau de proximité principal en cas d'emprise scolaire, familiale ou de comportement séparatiste dans les clubs de sport. Dans les établissements du premier et du second degrés, ce sont notamment les communes, les départements et les régions qui ont la main sur la vidéosurveillance, la sécurisation des entrées au moyen de portiques et sur la police de proximité - complémentaire à la vôtre. Les conseils municipaux ont même leurs propres référents « sécurité ». Comment cette architecture globale se met-elle en mouvement pour limiter le risque ?

Mme Colombe Brossel. - Faut-il élargir aux deux zones de police et de gendarmerie les conventions signées avec les rectorats, ou sont-elles déjà généralisées ?

L'une des difficultés est d'arriver à convaincre de l'utilité du dépôt de plainte. Les services de gendarmerie sont-ils sollicités pour en parler aux futurs enseignants ou sont-ils proactifs ? Ces sujets sont-ils abordés au cours de la formation des professeurs ?

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Existe-t-il des procédures spécifiques lorsqu'un élève ou un parent est fiché S ?

M. André Petillot. - La gendarmerie a signé une convention nationale avec l'éducation nationale, qui arrive par ailleurs à échéance. Nous intégrerons de nouveaux compléments au vu de l'évolution de la menace qui frappe le monde éducatif. La prochaine échéance est celle de 2024-2027. Elle sera déclinée dans les territoires, sous l'autorité des préfets départementaux.

Nous n'intervenons pas sur la formation des enseignants, mais ce pourrait être intéressant de démontrer, dans ce cadre, l'importance de déposer plainte. Un autre axe de progression serait même de nous permettre d'investiguer sans qu'une plainte soit forcément déposée. C'est aujourd'hui le cas pour les violences intrafamiliales pour lesquelles, même sans plainte, une enquête est lancée quand la situation l'impose.

Pour autant, il faut faire attention à ce que l'enquête ne soit pas contre-productive, dans le cas, par exemple, d'un jeune dont le comportement problématique relève de simples mesures disciplinaires. Si la police a un doute sur la nature des faits, c'est au magistrat qu'il revient d'évaluer ce qui relève d'une infraction pénale ou non. Si l'infraction pénale n'est pas qualifiée, il n'y a pas lieu de poursuivre l'enquête. Si tout le monde fait son travail, il ne devrait pas y avoir d'angle mort.

Les collectivités locales sont bien évidemment concernées et associées au conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), dans le cadre de son volet « établissements scolaires ». L'éducation nationale peut être associée aux états-majors de sécurité dans le cadre de travaux spécifiques au monde éducatif, mais cela concerne davantage les directeurs départementaux des services de l'éducation nationale que les collectivités territoriales.

Mme Céline Berthon. - Dans le témoignage évoqué, l'enseignant ne dit pas que le suivi est inexistant, mais qu'il n'en a pas connaissance, ce qui n'est pas nécessairement la même chose. Pour autant, un meilleur partage d'informations entre les services de police et de gendarmerie et ceux de l'autorité judiciaire paraît nécessaire. Il faut rassurer le plaignant sur le fait que sa plainte a bien été traitée avec la célérité nécessaire et qu'elle a reçu une réponse, quelle qu'elle soit. Mais dès lors qu'il s'agit de faits commis pour la plupart par des mineurs, dont, pour certains, le casier judiciaire est vierge, le niveau de réponse pénale doit être adapté.

Les conventions de partenariat mentionnées sont les conventions « éducation nationale-justice », qui ont vocation à traiter des signalements réalisés au titre de l'article 40 du code de procédure pénale sur la survenance d'une infraction. Elles visent à favoriser l'articulation entre la réponse judiciaire et disciplinaire. Ces outils sont éventuellement intéressants pour informer les victimes. Compte tenu du nombre massif de ces faits, il n'y a pas de suivi systématique.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Ces conventions ne sont donc pas systématiques ?

Mme Céline Berthon. - Elles ne le sont manifestement pas, mais je compléterai mes éléments de réponse par écrit sur ce sujet.

Enfin, la fiche S couvre des situations extrêmement variables, dont la radicalisation. Nous n'avons pas vocation à indiquer ces éléments aux établissements scolaires. En revanche, il existe dans tous les départements des cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF), qui prennent en compte le cas de mineurs radicalisés, ou en voie de radicalisation. Elles réunissent, sous l'autorité du préfet, les acteurs dans ce domaine, y compris les correspondants de l'éducation nationale, membres de ces CPRAF.

À la suite de l'assassinat de Dominique Bernard, les ministres de l'intérieur et de l'éducation nationale ont demandé à réunir les CPRAF ; à cette occasion, des informations protégées ont pu être partagées.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Nous vous remercions pour les réponses précises que vous avez apportées et que vous vous êtes engagés à compléter plus précisément par écrit.

AUDITION DE M. ÉRIC DUPOND-MORETTI, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

Mercredi 20 décembre 2023

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M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois. - Mes chers collègues, Monsieur le garde des sceaux, la mise en place de cette mission conjointe de contrôle par la commission de la culture et par la commission des lois traduit une volonté : voir si des leçons ont été tirées de l'agression dramatique du professeur Samuel Paty, singulièrement par le ministère de la justice, et dans l'affirmative, lesquelles. Quelle organisation votre ministère et l'éducation nationale ont-ils depuis mise en place ?

Je précise que cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Nous nous intéressons tout particulièrement à l'articulation des différents acteurs - police, justice, éducation nationale - et à la façon dont la chaîne pénale s'enclenche dès lors qu'un enseignant est menacé ou victime d'une agression.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. - Trois ans après l'assassinat de Samuel Paty, l'attentat contre Dominique Bernard démontre à quel point la menace terroriste continue de peser sur les professionnels de l'éducation nationale. Personnel et élèves des établissements scolaires sont devenus des cibles privilégiées, et ces atteintes portées dans l'espace scolaire sont insupportables - doux euphémisme...

Elles viennent violer le sanctuaire républicain. Nous nous devons de préserver l'école de toute forme de radicalisation, d'obscurantisme et de violence, car elle est le premier espace de transmission des valeurs de notre République. Elle mérite une mobilisation sans faille pour que les enseignants continuent à éveiller l'esprit de nos enfants sans craindre pour leur vie ou pour celle de leurs proches. Tous les acteurs de l'État sont unis pour protéger l'école républicaine ; mon ministère ne fait pas exception.

Nous nous devons d'apporter, à tous niveaux de menace, une réponse coordonnée, immédiate, ferme et dissuasive. Pour cela, il est essentiel que tout acte répréhensible à l'encontre de la sphère scolaire soit porté à la connaissance de l'autorité judiciaire ou administrative. Si la justice n'est pas saisie, elle ne peut intervenir ! Il faut donc fluidifier les circuits d'information pour apporter la meilleure réponse possible.

J'ai été amené à prendre un certain nombre de circulaires pour renforcer les partenariats entre l'éducation nationale et le ministère de la justice. Il a fallu pour cela changer de paradigme. En effet, certaines alertes n'étaient pas toujours portées à la connaissance de la justice. Cette remontée d'informations doit être rapide et l'autorité judiciaire efficiente.

Une première disposition précédait ma nomination comme ministre : la circulaire du 8 avril 2005 relative à la prévention et au traitement des infractions commises au sein et aux abords des établissements scolaires. Avec ce texte et la circulaire du 11 octobre 2019 relative à la lutte contre les violences scolaires, le ministère de la justice a souligné l'impérieux besoin d'établir des conventions départementales entre services de l'éducation nationale, forces de l'ordre et parquets. De telles conventions sont essentielles, notamment dans les situations d'urgence, pour convenir des modalités de transmission des signalements aux procureurs de la République. En effet, il importe que le chef d'établissement, pour faire face à un danger, sache quoi faire et comment contacter le parquet.

Dès le 17 octobre 2020, au lendemain de l'assassinat de Samuel Paty, j'ai diffusé une circulaire relayant le télégramme adressé le même jour par le ministère de l'intérieur. Ce texte appelait à accroître notre vigilance en matière de protection des établissements scolaires et du personnel de l'éducation nationale. Il fallait agir vite et de manière ciblée pour que les magistrats du parquet et les membres de l'éducation nationale soient en mesure d'identifier les signaux, fussent-ils les plus faibles, d'une radicalisation violente. Le message derrière cette circulaire était clair et accessible à tous. Il fallait valoriser ce partenariat solide entre l'éducation nationale, l'intérieur et la justice, afin que ce dialogue constant devienne un rempart pérenne contre le terrorisme.

De même, j'ai rappelé le 17 octobre 2020, aux côtés du ministre de l'intérieur, la nécessité d'analyser l'état de la menace pesant sur les établissements scolaires et sur le personnel qui y exerce, et de partager l'information pour coordonner la réponse administrative et judiciaire.

Cette coordination devait s'illustrer par le dynamisme des instances de lutte contre la radicalisation : groupes d'évaluation départementaux (GED) et cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF). Non seulement les procureurs de la République sont mobilisés systématiquement au sein de ces instances présidées par le préfet de département, mais encore l'éducation nationale y est représentée au travers des directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen). Les services de renseignement y partagent ainsi leurs informations avec les autorités préfectorale et judiciaire ainsi qu'avec l'éducation nationale ; à l'inverse, le procureur de la République et les représentants de l'éducation nationale peuvent transmettre des informations aux services de renseignement. En assurant une telle circulation régulière des connaissances entre les acteurs des départements, nous sommes mieux à même d'anticiper les menaces et violences terroristes.

Mon ministère veille à ce que tout fait significatif visant la sphère scolaire soit porté à la connaissance de l'autorité administrative ou judiciaire. Ainsi, les chefs d'établissement doivent faire systématiquement remonter aux directeurs académiques des services de l'éducation nationale toute menace pesant sur le personnel et sur leur établissement, toute forme de radicalisation et même tout discours portant atteinte à la laïcité. De telles informations sont ensuite transmises au préfet de département, qui évalue chaque situation et décide des mesures les plus adaptées. Le recteur ou le directeur académique des services de l'éducation nationale signale également au procureur de la République les faits susceptibles de constituer une infraction, en application de l'article 40 du code de procédure pénale.

Par l'instruction interministérielle du 27 octobre 2020 relative à la sécurisation de l'espace scolaire et aux mesures d'accompagnement du corps enseignant, nous avons rappelé que, dès la commission des faits, les membres de la communauté éducative doivent signaler à leur hiérarchie toute menace ou atteinte à leur personne. J'insiste : ils « doivent ». Nous avons connu des situations où les enseignants sont victimes et n'osent pas dire les choses. Dès lors, la justice ne peut intervenir.

Dès le signalement des faits, les agents du personnel éducatif font l'objet d'un soutien spécifique. Ils sont informés de leur droit de déposer plainte et peuvent être accompagnés dans cette démarche par la direction des services départementaux de l'éducation nationale. Dans chaque brigade de gendarmerie ou commissariat de police, un référent sécurité scolaire identifié renseigne les agents sur les modalités pratiques d'un tel dépôt de plainte. Une orientation vers l'association locale d'aide aux victimes est également proposée. Lorsque la protection de la victime paraît nécessaire, sa domiciliation peut être celle de son adresse professionnelle ou de l'adresse du service de police ou de la brigade de gendarmerie.

Dans la circulaire du 5 septembre 2023 relative aux infractions commises en milieu scolaire, j'ai de nouveau invité les parquets généraux et les parquets à renforcer les partenariats avec l'éducation nationale et les établissements scolaires par la conclusion de protocoles, destinés à formaliser les circuits de signalements à l'autorité judiciaire. De façon générale, j'ai toujours demandé à ce que l'on abandonne la culture du « couloir de nage » : il est dans notre intérêt de travailler ensemble, et non pas de manière séparée.

J'ai rappelé le rôle des magistrats assurant le rôle de référent éducation nationale. Cette fonction, créée récemment, vise à assurer l'efficacité de la transmission des informations. Ces magistrats spécialisés veillent à maintenir, en lien avec le référent justice désigné par le recteur, des contacts réguliers avec leurs correspondants au sein des établissements scolaires pour déceler, en faisant le tour des établissements, d'éventuelles difficultés et pour mieux les anticiper. Ils sont également en contact avec les référents désignés au sein des services de police et de gendarmerie. Tous ensemble, ils communiquent pour déceler les signaux les plus faibles et pour éviter des drames indicibles.

En outre, les procureurs de la République assurent un lien opérationnel entre les magistrats qui assurent le rôle de référents éducation nationale et ceux qui sont identifiés comme référents radicalisation violente et terrorisme afin de coordonner parfaitement les actions. Pour rendre le traitement quotidien des informations encore plus utile et rapide, nous sommes en train d'élaborer avec l'éducation nationale une trame harmonisée de signalements directement exploitables dès lors qu'un comportement dénoncé constitue une infraction pénale.

Au-delà de la lutte contre la radicalisation et le terrorisme, il nous faut protéger nos écoles et nos enfants des dérives séparatistes en combattant à la racine de tels discours, sources de déstabilisation majeure. Je pense à la présentation de ce tableau, voilà quelques jours, à des élèves ; les réactions ont été extraordinairement choquantes ! Minorer ces difficultés est à mon avis une faute morale et politique majeure.

L'école, en ce qu'elle incarne la promesse républicaine d'égalité des chances, est au coeur de la stratégie interministérielle de lutte contre les séparatismes. Cette lutte devrait commencer au sein des familles, ce que j'ai résumé par une formule un peu familière : « tenez vos gosses ! ». Il faut rappeler à ses enfants que nous vivons dans un pays laïc, dont les seules valeurs sont républicaines. Après les familles, la lutte passe par l'éducation nationale puis par la justice, dans son volet préventif et répressif. Une synergie doit se mettre en place, mais certains jettent de l'huile sur le feu... Ainsi, j'en veux beaucoup à Jean-Luc Mélenchon et à ses séides. Raconter aux Musulmans de notre pays que nous les détestons est totalement irresponsable !

Les cellules de lutte contre l'islamisme radical et le repli communautaire (Clir) assurent localement le contrôle des structures identifiées comme porteuses de discours et de comportements séparatistes. Dans le même objectif, un nouvel arsenal a été consacré par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Il vise à faire face à la prolifération des discours haineux et des contenus illicites sur internet et sur les réseaux sociaux.

Par la circulaire du 22 octobre 2021, j'ai sensibilisé les parquets généraux et les parquets à la nécessité de se saisir des infractions incriminant des comportements susceptibles de viser les enseignants. J'ai également invité les procureurs à renforcer la répression à l'encontre des auteurs et des diffuseurs de contenus haineux sur les réseaux sociaux. La mobilisation de mon ministère se fonde dès lors sur l'arsenal législatif suivant.

Premièrement, nous avons mis en place le délit d'entrave à la fonction d'enseignant. Le fait d'entraver de manière concertée à l'aide de menaces l'exercice de cette fonction est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Deuxièmement, par la circulaire du 5 septembre 2023 relative aux infractions commises en milieu scolaire, j'ai assuré la large diffusion aux procureurs généraux et aux procureurs de la République de la note du ministre de l'éducation nationale du 31 août 2023. Celle-ci invite les chefs d'établissement à veiller au respect de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ; je pense évidemment aux abayas. Les parquets généraux et les parquets se sont vu rappeler dans cette même circulaire que l'infraction prévue à l'article 433-3-1 du code pénal, qui incrimine les menaces et les violences séparatistes, peut être retenue en cas de comportement menaçant, violent ou intimidant commis dans le but d'obtenir une adaptation des règles. Retirez cette toile que je ne saurais voir !

Troisièmement, il a été rappelé que les pressions sur les croyances des élèves ou les tentatives d'endoctrinement sont constitutives d'une contravention, relevant d'une infraction de cinquième classe lorsque ces agissements sont commis dans les écoles publiques, dans les locaux d'enseignement ou à leurs abords immédiats au cours de toute activité liée à l'enseignement.

Quatrièmement, j'ai invité les parquets généraux et les parquets à apporter une réponse ferme et immédiate à toutes les infractions commises à l'encontre des enseignants et du personnel de l'éducation nationale. Les menaces ou violences dirigées contre les professionnels de ce secteur portent atteinte non seulement à leur autorité, mais aussi au fonctionnement de notre système éducatif.

À ce titre, la loi pénale protège spécifiquement le personnel de l'éducation nationale et le sanctuaire scolaire. Il existe à cet égard de nombreuses infractions pour lesquelles la qualité d'enseignant ou le lieu de commission des faits sont constitutifs de circonstances aggravantes, comme les faits de violences dans leur ensemble. Les lieux éducatifs bénéficient dès lors d'une protection supplémentaire en raison de la sécurité devant être assurée aux usagers dans ces espaces.

Cinquièmement, le délit de mise en danger par diffusion d'information a été créé par la loi du 24 aout 2021. Le nouvel article 223-1-1 du code pénal incrimine les comportements individuels visant à nuire gravement à une personne, à sa famille ou à ses biens en dévoilant des informations personnelles la concernant. Ce nouveau délit est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Ces peines sont portées à cinq ans et à 75 000 euros lorsque les faits sont commis au préjudice de certaines catégories de personnes, dont celles qui sont chargées d'une mission de service public. En 2022, trente-quatre affaires relevant de ce délit ont été orientées par les parquets, contre six en 2021.

Répondant à un vide juridique, cette infraction vise les messages véhéments qui diffusent sur les réseaux sociaux des éléments permettant d'identifier une personne, tels que ceux qui avaient été proférés à l'encontre de Samuel Paty. Après ce drame, nous nous sommes rendu compte que nous avions un « trou dans la raquette » - : il n'était pas possible de judiciariser ce comportement.

Il n'existe pas de législation parfaite. Chaque affaire mène à une réflexion, bien au-delà des irresponsables « y'a qu'à, faut qu'on » ! Ceux qui promettent la disparition de ces crimes, comme s'ils pouvaient ne plus exister, sont des menteurs : le risque zéro n'existe pas. À ce titre, je rends hommage aux forces de sécurité intérieure et à nos équipes de renseignement, notamment pénitentiaire.

Les dispositions de la loi de 2021 sont notamment mobilisées par le pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH). Celui-ci a été créé à droit constant par la circulaire du 24 novembre 2020 relative à la lutte contre la haine en ligne et par le décret du 24 novembre 2020. Le tribunal judiciaire de Paris a été désigné pour centraliser, sous la direction du procureur de Paris, le traitement des affaires de cyberharcèlement et de haine en ligne. Entre janvier 2021, date d'ouverture effective du pôle, et le 13 novembre 2023, le PNLH s'est saisi de 2 009 procédures. Ce chiffre signifie que cet acteur est bien identifié dans le paysage judiciaire et qu'il tourne à plein régime.

Le pôle national de lutte contre la haine en ligne a notamment vocation à traiter les infractions suivantes lorsqu'elles sont commises en ligne : discours de haine réprimés par la loi de juillet 1881 ; provocations directes à un acte de terrorisme et apologie publique d'un acte de terrorisme ; toute forme de menace, harcèlement moral et sexuel, et cyberharcèlement en l'absence de relations interpersonnelles ou professionnelles entre la victime et l'auteur des faits dès lors que les messages comportent des éléments permettant de retenir une circonstance aggravante des articles 132-76 ou 132-77 du code pénal, ou qu'il y a expression ou exposition publique de la victime. Dans ce cadre, le parquet de Paris est l'interlocuteur privilégié de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos).

La création du pôle national de lutte contre la haine en ligne a permis à l'institution judiciaire de nouer un véritable dialogue avec les opérateurs de réseaux sociaux, dialogue indispensable à l'efficience de l'action judiciaire. Grâce à l'identification de personnes « ressources », le pôle a effectivement pu intervenir directement auprès de ces opérateurs, afin de faciliter l'exécution de réquisitions judiciaires. Le blocage de sites diffusant ces messages de haine a par ailleurs été renforcé.

À ce sujet, les dispositions du règlement européen sur les services numériques, le Digital Services Act (DSA), seront applicables au 17 février 2024. Ce règlement vise à lutter contre la diffusion de contenus illicites et à instaurer plus de transparence entre les plateformes en ligne et leurs utilisateurs.

Le législateur français a pris des dispositions afin d'adapter le cadre légal national à ce règlement : c'est l'objet du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 17 octobre 2023. Ce texte prévoit un ensemble de mesures concrètes visant à renforcer l'ordre public dans l'espace numérique, en permettant par exemple un durcissement des sanctions pour cyberharcèlement, phénomène qui se propage sur les réseaux sociaux.

Enfin, la formation des magistrats en matière de lutte contre le séparatisme a été renforcée, et ce pour pouvoir combattre tous les crimes de haine visant à déstabiliser nos institutions et à diviser notre population.

En définitive, je veux vous assurer de l'entière mobilisation du ministère de la justice pour protéger le monde de l'éducation de la menace terroriste islamiste et de tout comportement incompatible avec les valeurs qui sont les nôtres.

Mme Monique de Marco. - Dans le cas d'un enseignant qui, menacé oralement ou physiquement, que ce soit en cours, à l'extérieur de l'établissement ou en ligne, saisit son chef d'établissement, quel sera le déroulé du processus hiérarchique ? Dispose-t-il d'autres possibilités que celle de la voie hiérarchique pour pouvoir donner l'alerte ?

S'agissant du pôle national de la lutte contre la haine en ligne, pouvez-vous nous donner le nombre d'enseignants concernés parmi les 2 009 procédures en cours ? Ces derniers peuvent-ils directement alerter le pôle ?

Mme Colombe Brossel. - Vous avez mentionné le renforcement de la coopération interministérielle et je comprends que des protocoles spécifiques ont été conclus dans certains départements, comme la Somme ou le Nord. Quel bilan peut-on en tirer, s'agissant du nombre de plaintes ou de délits traités, mais aussi d'efficacité ? Envisagez-vous la généralisation de ces protocoles ?

Mme Marie Mercier. - Une anecdote pour compléter celle - qui n'en est pas vraiment une - du tableau que vous avez évoqué. Elle remonte à l'époque où j'étais maire d'une petite commune de 6 300 habitants. Dans le cadre d'un atelier chant de la mi-journée, un animateur musical propose de faire chanter aux élèves d'une classe de CE2 la chanson Armstrong de Claude Nougaro. Les enfants rapportent les paroles à la maison pour les apprendre. Un élève revient à l'atelier chant le lendemain et explique que ses parents ne veulent pas qu'il chante cette chanson, à cause des paroles : « Allez Louis, alléluia ». Il y avait confusion totale entre le champ profane et le champ sacré. Consultée par l'animateur, rémunéré sur les fonds communaux, je décide que l'enfant ne participera pas à l'activité musicale et fera l'activité pâte à sel. Mais l'instituteur, de son côté, consulte sa hiérarchie, qui lui répond que l'enfant doit rester dans la classe de chant et n'aura qu'à chanter « lalalala » au lieu de « alléluia ».

J'observe que, depuis cet incident, les choses se sont aggravées ; désormais, on ne propose même plus cette chanson, qui est pourtant une chanson antiraciste, appartenant à notre patrimoine et qui n'a absolument rien de sacré.

Les parents jouent donc un rôle important. Dans l'anecdote que je mentionne, ce sont eux qui ont pris la main sur l'éducation nationale.

M. Stéphane Piednoir. - Merci, monsieur le ministre, d'avoir présenté l'ensemble des dispositifs et expliqué le durcissement de la législation, notamment des peines encourues par les auteurs d'insultes et de menaces.

Les conventions sont très positives. L'audition des responsables de la police et de la gendarmerie montre que les partenariats fonctionnent. Mais je m'interroge sur l'agilité du processus : quand il faut au préalable contacter le référent laïcité, comme ce fut le cas pour Samuel Paty, puis le rectorat, puis le ministère, cela prend du temps - je rappelle d'ailleurs que Samuel Paty se sentait menacé au point d'avoir un marteau dans son sac à dos. Comment permettre aux enseignants de se mettre en retrait immédiatement, sans qu'il n'y ait la moindre contestation du chef d'établissement ?

M. Martin Lévrier. - Les enseignants du secteur privé sous contrat et hors contrat sont-ils inclus dans les systèmes de protection et d'aide pour les enseignants ? Qu'en est-il dans la filière de l'apprentissage, où les formateurs ne sont pas des enseignants ?

Mme Annick Billon. - L'actualité nous rappelle en permanence que l'école de la République est attaquée. Le 30 novembre 2023, une trentaine d'enseignants ont manifesté devant le collège Kléber à Strasbourg pour soutenir un de leurs collègues menacés de mort par un élève quelques jours plus tôt. Le 13 décembre 2023 - deux mois, jour pour jour, après l'assassinat du professeur Dominique Bernard et quasiment trois ans après l'assassinat du professeur Samuel Paty -, une enseignante a été menacée avec un couteau en classe par une élève à Rennes.

Les syndicats et les professeurs réclament plus de moyens, notamment pour la prévention. Un professeur sur deux dit avoir été victime d'agression physique ou verbale, selon l'Institut français d'opinion publique (Ifop). Le droit de retrait est de plus en plus utilisé par les enseignants et l'école semble devenue un territoire où le terrorisme est très présent.

Vous avez évoqué deux dispositifs : le délit d'entrave à la fonction d'enseignant, adopté dans la loi confortant le respect des principes de la République, auquel le Gouvernement, me semble-t-il, n'était initialement pas très favorable, d'une part, et le délit d'intrusion dans les établissements scolaires, de l'autre. Quel bilan faites-vous de ces mesures ? Quels moyens supplémentaires sont envisagés pour renforcer la prévention et répondre aux demandes des enseignants ?

Mme Laure Darcos. - Ma question porte sur les parents - on parle beaucoup des élèves, mais assez peu d'eux - qui viendraient agresser ou menacer des professeurs. Aucun règlement intérieur ne s'applique à eux et, si le secteur privé a pu mettre en place une forme de contractualisation entre les familles et les établissements, ce n'est pas le cas dans l'école de la République. Comment peut-on sanctionner ces parents ?

À cet égard, je réitère ma demande auprès de nos deux présidents de commission : j'aimerais bien que nous puissions entendre les associations de parents d'élèves, notamment la Fédération des Conseils de Parents d'Élèves (FCPE), qui s'est illustrée à plusieurs reprises par des campagnes assez anti laïques.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - S'agissant de la prise en charge des victimes, voici ce que prévoit l'instruction interministérielle du mois d'octobre 2020 : l'enseignant victime doit signaler les faits à sa hiérarchie ; celle-ci l'informe alors de son droit de déposer plainte et d'être accompagné dans sa démarche par la direction du service départemental de l'éducation nationale. La plainte doit être enregistrée par un policier ou un gendarme référent, ce qui permettra de porter une attention particulière à la situation. L'enseignant est ensuite orienté vers l'association locale d'aide aux victimes. Lorsque sa protection apparaît nécessaire, on le domicilie à l'école, au commissariat ou à la gendarmerie.

Les agents de l'éducation nationale disposent par ailleurs de la protection fonctionnelle mise en oeuvre par leur administration, à laquelle s'ajoute la prise en charge offerte à toutes les victimes d'une infraction : la possibilité d'être accompagné tout au long de la procédure pénale par une association d'aide aux victimes susceptible d'apporter un concours juridique, une assistance sociale ou psychologique, le premier contact pouvant se faire via les bureaux d'aides aux victimes situés dans les tribunaux judiciaires.

Enfin, la protection fonctionnelle relève de la compétence du ministère de l'éducation nationale, mais les recteurs doivent mettre en oeuvre, chaque fois que cela est nécessaire, la protection juridique prévue par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui précise que la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, injures, diffamation, outrages dont ils pourraient être les victimes dans le cadre de leurs fonctions et de réparer le cas échéant, le préjudice qui en résulte.

Madame Mercier, je suis bien triste qu'on ne puisse plus entendre cette très belle chanson de Nougaro, qui porte en plus un message antiraciste. La réponse dans ces situations, c'est la CPRAF. Il faut découvrir ce que peut dissimuler ce refus obstiné d'entendre une chanson. La CPRAF, comme je l'ai expliqué, a vocation à déceler des signaux qui pourraient nécessiter une intervention. Si l'on en venait, par ailleurs, à considérer que l'enfant est en danger, on pourrait évidemment saisir la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et, si nécessaire, le placer en foyer.

Par ailleurs, des expériences ont été conduites à Amiens, par l'intermédiaire du Dasen de la Somme en 2020, ainsi qu'à Colmar et Mulhouse au travers de conventions avec les services de l'éducation nationale pour lutter contre les violences scolaires en 2022. Je dispose d'excellents échos sur ces expériences, que je ne peux malheureusement pas encore objectiver par des données chiffrées.

Notre action est guidée par l'idée que l'éducation nationale ne peut pas gérer seule des menaces, des invectives, des violences ou malheureusement des actes beaucoup plus graves. Évidemment, le parquet sera nécessairement saisi en cas d'actes de nature criminelle, mais face à toutes ces petites entorses, qui parfois constituent des infractions, et qui nous choquent, tous les partenariats doivent être encouragés.

Comme je l'ai déjà dit, on ne peut plus accepter la culture du silo. Dans les affaires de violences intrafamiliales, pour prendre cet exemple, ce fonctionnement a pu conduire à des catastrophes. Tout le monde a à l'esprit le drame de Mérignac... L'expertise très approfondie de l'inspection générale de la justice a mis en évidence l'absence de faute individuelle, mais il subsiste malheureusement une culture professionnelle où manque la transmission d'informations. Par conséquent, ces protocoles et ces conventions ont pour objectif de favoriser l'échange à la moindre alerte, voire même s'il n'y en a pas, par un dialogue étroit entre les différents acteurs.

Pour répondre à Martin Lévrier, tous les établissements de formation sont concernés par les mesures de protection des enseignants.

En revanche, monsieur Piednoir, je vous invite à interroger Gabriel Attal sur la question du droit de retrait.

Je précise que les partenariats entre les forces de sécurité intérieure, les magistrats et les parquets sont déclinés également pour les affaires de harcèlement scolaire. D'ailleurs, avec Gabriel Attal et Gérald Darmanin, nous avons réuni les procureurs sur ce sujet - cela ne s'était jamais vu au sein de la Chancellerie -, qui ont été particulièrement réceptifs à l'implication d'autres ministères que ceux sous leur tutelle. Nous avons mis en place des référents ainsi qu'un dispositif de lutte contre ces attaques, afin d'aider aussi les chefs d'établissement à distinguer une chamaillerie d'un harcèlement et les conseiller sur la manière d'agir rapidement pour éviter des suicides de jeunes, qui sont des drames insupportables.

Je suis convaincu que le partage d'informations à tous les niveaux permet une action plus efficace.

Mme Monique de Marco. - Pour un enseignant, il n'est pas toujours facile de solliciter sa hiérarchie et de relayer ses problèmes d'agression. Je me permets donc de reposer mes questions en les précisant : un enseignant peut-il avoir un policier référent ou un référent dans le secteur de la justice qu'il puisse solliciter directement ? Peut-il saisir directement le pôle national de lutte contre la haine en ligne ? Enfin, combien d'enseignants parmi les 2 009 procédures enregistrées ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Vous avez raison de me reposer la question car j'ai oublié de mentionner le site masecurité.fr, sur lequel un enseignant peut signaler un problème directement.

Mme Monique de Marco. - Que se passe-t-il alors ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Une fois que les faits ont été portés à la connaissance des gendarmes ou des policiers, on essaie bien évidemment d'identifier l'auteur, si ce n'est pas déjà fait, puis le parquet est saisi pour apporter une réponse, qui peut être un classement sans suite, par exemple en cas de faits insuffisamment caractérisés.

Voici un exemple très précis : des enseignants se plaignent et dénoncent des faits ; le parquet estime que ceux-ci ne sont pas constitutifs d'une infraction pénale, mais il tarde trop à expliquer les raisons du classement sans suite ; cela suscite évidemment une frustration chez les enseignants. Ceux-ci n'attendent pas forcément qu'on reconnaisse les faits comme avérés ou sont prêts à accepter un classement sans suite. En revanche, il faut leur donner toutes les informations, d'où l'importance des référents.

Par ailleurs, c'est Pharos qui saisit le pôle national de lutte contre la haine en ligne.

Enfin, je ne peux pas répondre à la question de la part des enseignants dans les procédures en cours. Les faits sont répertoriés comme constitutifs de haine en ligne, mais nous ne pouvons pas différencier les cas en fonction des victimes. Le ministère de l'intérieur doit avoir ce chiffre.

Madame Darcos, votre question concernait les enseignants du privé...

Mme Laure Darcos. - Dans l'éducation privée, les familles contractualisent avec l'école en signant le règlement intérieur. Ce n'est pas le cas pour l'école laïque : les parents restent « extérieurs » à elle. Cependant, nous constatons un nombre grandissant d'agressions verbales et physiques commises par des parents sur des professeurs. Dans un cas comme dans l'autre, est-on dans la même configuration ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Oui.

Quelques mots, également, sur les comportements d'enfants qui nous inquiètent, comme le non-respect des minutes de silence. Nous avons mis en place des mesures avec Gabriel Attal. La première réaction est, bien sûr, d'ordre disciplinaire. Mais, ensuite, il faut à nouveau avoir le réflexe de la CPRAF pour comprendre ce qui se passe : si cet enfant est soumis à des pressions islamistes dans le cercle familial, alors il est en danger et il faut l'extraire du milieu dans lequel il se trouve, ce qui justifie l'intervention de la protection judiciaire de la jeunesse.

Nous souhaitons donc aller assez loin pour lutter contre ces comportements. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une petite sanction à l'école ou d'un changement d'établissement scolaire. En même temps, nous devons exercer un regard attentif sur le volet préventif.

Mme Annick Billon. - Quel bilan dressez-vous du délit d'entrave à la fonction d'enseignant et du délit d'intrusion dans un établissement scolaire ? Quels moyens supplémentaires pourraient-être consacrés à la prévention dans les établissements ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je n'ai pas les chiffres, mais je vous les communiquerai. Si des condamnations sont intervenues, elles sont effectivement répertoriées au casier judiciaire national. En tout cas, je sais que ces textes ont été appliqués.

J'en viens à votre question sur ma circonspection. Je ne me souviens plus précisément du débat parlementaire, mais j'avoue avoir été convaincu par les arguments de la députée Annie Genevard. Dans mon souvenir, nous avions d'abord envisagé la protection des forces de sécurité intérieure (FSI). Ensuite, la question d'autres protections s'était posée. Mais si tout le monde fait l'objet d'une protection, alors il n'y a plus d'exception. Très vite, nous avons compris l'intérêt d'inclure les enseignants dans la protection qui s'adressait aux FSI.

Mme Pauline Martin. - Nous avons beaucoup parlé des partenariats entre les ministères de la justice, de l'intérieur et de l'éducation nationale. Mais quel rôle les élus locaux peuvent-ils jouer ? Comment l'articuler sur le terrain avec l'action des ministères concernés ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'ai justement rédigé une plaquette à l'attention des maires pour essayer de les aider dans les difficultés qu'ils rencontrent, notamment quand ils sont victimes de comportements antirépublicains. Le livret revient aussi sur la fonction d'officier de police judiciaire. Il permet donc d'aborder de manière très complète certaines questions.

En matière de rôle des élus locaux, je pourrai citer la médiation avec les familles, qui peut parfois s'avérer extraordinairement utile. Avec la Première ministre, nous avons annoncé certaines mesures post-émeutes, comprenant un volet lié à la parentalité - il s'agit bien de sanctionner les parents défaillants, non les parents dépassés. Il faut aller sur ce terrain de la parentalité et les élus locaux peuvent nous y aider. C'est en lien direct avec notre sujet car ce que font les parents défaillants et désinvoltes, qui mettent en danger la moralité de leurs gamins, on le retrouve bien sûr à l'école.

Pour ne rien vous cacher, l'idée de la médiation est née d'une réunion conduite sous l'égide de la Première ministre, au cours de laquelle des maires ont expliqué comment il leur arrivait d'intervenir comme médiateurs entre les familles. Cette action est tout à fait utile pour l'atteinte de l'objectif commun.

M. Jean-Gérard Paumier. - Je voudrais revenir sur l'anecdote concernant la chanson de Nougaro. Vous avez expliqué qu'il fallait creuser derrière la réaction des parents. Mais celle de l'inspecteur me pose aussi problème. Sur le papier, les dispositifs semblent fonctionner ; dans la réalité, les choses sont différentes. En tant que président de département, j'ai été confronté maintes fois à l'injonction de ne pas faire de vague. Je crains que l'éducation nationale ne soit tentée de gérer les problèmes en silo et d'enjoindre au « pas de vague », considérant que les faits ne sont pas si graves, qu'il s'agit d'un premier signe et qu'on verra bien la prochaine fois.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il est effectivement sidérant que l'éducation nationale cède devant un enfant qui ne veut pas entendre une chanson appartenant à notre patrimoine. Avec Gérald Darmanin et Gabriel Attal, nous agissons pour que le « pas de vague » n'ait plus de raison de perdurer. Nous faisons tout pour qu'il y ait des vagues et qu'elles soient portées à la connaissance de tout le monde.

M. François-Noël Buffet, président. - À cet égard, l'enjeu est de ne jamais reculer. Nous avons l'impérieuse nécessité de réarmer moralement, intellectuellement et politiquement l'ensemble de nos concitoyens et de nos services pour ne pas reculer ; un pas en arrière représente déjà une défaite.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI DES RECOMMANDATIONS

N° de la recommandation

Recommandations

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

I. DÉFENDRE ET PROMOUVOIR LA LAÏCITÉ AU SEIN DE L'INSTITUTION SCOLAIRE

1

Dans les établissements scolaires publics et privés sous contrat, instaurer tous les ans en octobre dans chaque établissement scolaire un hommage aux enseignants assassinés, dont les modalités tiendraient compte de l'âge des élèves.

Ministère de l'éducation nationale,

Établissements scolaires

Dès la rentrée 2024

Circulaire

2

Modifier la rédaction de l'article L. 312-15 du code de l'éducation, afin de recentrer le contenu de l'enseignement moral et civique sur la connaissance des institutions françaises et européennes, la compréhension des enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux du monde contemporain, ainsi que sur les valeurs de la République et la laïcité.

Ministère de l'éducation nationale

6 mois

Loi

3

Élaborer dans chaque établissement un projet d'établissement incluant des actions relatives aux valeurs de la République et à la laïcité, afin de fédérer l'équipe pédagogique et administrative autour de leur défense et promotion ; renforcer le dialogue entre les enseignants.

Établissements scolaires

1 an

Projets d'école ou d'établissement

4

À court terme et pour garantir la formation des futurs enseignants à la promotion des valeurs de la République et de la laïcité dans le cadre spécifique scolaire, faire de celle-ci un module majeur de leurs formations en INSPÉ et prévoir qu'elle soit réalisée par un fonctionnaire de l'éducation nationale.

Ministère de l'éducation nationale

Dès la rentrée 2024

Instruction ministérielle

5

Rendre obligatoire pour tout contractuel et au plus tard dans le mois suivant sa prise de poste une formation à la défense de la laïcité et des valeurs de la République, s'appuyant sur des cas concrets - et prévoir la remise systématique des guides du conseil des sages de la laïcité.

Ministère de l'éducation nationale

Dès la rentrée 2024

Instruction ministérielle

6

Élargir pour les élèves l'interdiction du port de signes et tenues religieux ostentatoires à toute activité organisée par l'institution scolaire, y compris en dehors du temps scolaire (sortie scolaire le soir, cérémonie de remise d'un prix pour un concours organisé par l'éducation nationale ou en partenariat avec le ministère, participation à un forum d'orientation organisée par l'établissement
scolaire, ...).

Ministère de l'éducation nationale

6 mois

Loi

II. AMÉLIORER LA FORMATION DU PERSONNEL ÉDUCATIF AFIN DE MIEUX LUI PERMETTRE DE FAIRE FACE AUX CONTESTATIONS D'ENSEIGNEMENT ET À LA GESTION DES CONFLITS

7

Rendre la main à l'éducation nationale pour la formation des enseignants en ne faisant plus dépendre la formation initiale de l'université.

Ministère de l'éducation nationale et ministère de l'enseignement supérieur

Septembre 2025

Loi

III. RÉAFFIRMER L'AUTORITÉ DE L'INSTITUTION SCOLAIRE

9

Dans les établissements scolaires publics et privés sous contrat, rappeler systématiquement aux parents en début d'année les prérogatives de l'enseignant (en matière de notation, liberté pédagogique, choix des textes), le caractère obligatoire des programmes scolaires en insistant sur les chapitres ou enseignements (natation en EPS) susceptibles d'être source de contestations, ainsi que les sanctions pénales en cas d'entrave à l'enseignement.

Pour cela, faire signer aux parents une « charte des parents » et y inclure spécifiquement le délit d'entrave à l'enseignement, assorti d'exemples concrets ; l'annexer au règlement intérieur.

Ministère de l'éducation nationale ;

Établissements scolaires

Dès la rentrée 2024

Circulaire

10

Afin de mettre fin au non-respect répété des règles du vivre ensemble au sein d'établissements scolaires par un élève perturbateur :

- prévoir la signature d'un protocole d'accompagnement et de responsabilisation des parents (PAR) dès la première exclusion, entre les parents et l'autorité académique, en présence du chef d'établissement. Ce protocole précise les engagements des parents de l'élève pour permettre l'amélioration du comportement de leur enfant ainsi que les mesures d'accompagnement mises en oeuvre au sein de l'établissement ;

- créer une sanction pénale, sur le modèle de la sanction pour non-respect de l'obligation d'assiduité scolaire, pour non-respect répété des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements.

Ministère de l'éducation nationale

Septembre 2024

Décret et circulaire

11

Sécuriser juridiquement les procédures disciplinaires afin de limiter les risques contentieux ; informer les personnels sur la portée réelle du risque de judiciarisation par les parents.

Ministère de l'Éducation nationale ;

Établissements scolaires

Dès la rentrée 2024

Circulaire

13

Encourager les conseils de discipline à décider des mesures de responsabilisation ; pour favoriser leur mise en oeuvre, développer dans chaque département une convention entre le DSDEN, le conseil départemental et les partenaires locaux afin de créer un réseau de prise en charge des élèves soumis à une mesure de responsabilisation.

Ministère de l'Éducation nationale

Dès la rentrée 2024

Circulaire

14

Développer les structures d'accueil pour les élèves hautement perturbateurs ou poly-exclus.

Ministère de l'Éducation nationale en lien pour les publics sous main de justice avec la protection judiciaire de la jeunesse

Dès la rentrée 2024

Arrêté du ou des ministres concernés ; collectivités territoriales

15

Garantir l'effectivité des dispositions votées dans le cadre de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ; pour améliorer le suivi des risques posés par les réseaux sociaux, augmenter les moyens dévolus au suivi des réseaux sociaux et d'internet.

Ministère de l'Intérieur

6 mois

Loi de finances

IV. METTRE FIN AU « PAS DE VAGUE »

17

Afin de mettre fin au « pas de vague », partager à l'échelle nationale les registres des sanctions des établissements scolaires, pour que toute incivilité, atteinte ou autre fait grave commis à l'encontre d'un personnel de l'éducation nationale fasse l'objet d'une réponse cohérente de la part de l'institution.

Ministère de l'Éducation nationale ;

Établissements scolaires

6 mois

Circulaire

V. ASSURER LA SÉCURITÉ DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES ET DE LEURS ABORDS

19

Généraliser les moyens d'alerte directe entre un établissement scolaire et les commissariats ou gendarmeries (bouton d'alerte, ligne directe, ...).

Ministère de l'Éducation nationale ; Ministère de l'Intérieur ; établissements scolaires

6 mois

Circulaire

20

Dans les quartiers marqués par un niveau élevé de violence des mineurs, nouer des partenariats renforcés entre les établissements scolaires, la police et les procureurs.

Ministère de l'Éducation nationale, Ministère de l'Intérieur, Ministère de la Justice

6 mois

Circulaire, accords entre autorités territorialement compétentes

21

Afin de faire de la police municipale le premier interlocuteur des chefs d'établissement, généraliser les coopérations entre les communes et les collèges et lycées pour permettre le déploiement de la police municipale aux abords des établissements.

Communes ; établissements scolaires

6 mois

Accord entre communes et établissements scolaires

22

Étendre aux enseignants et au personnel administratif la formation dispensée par la gendarmerie aux cadres de l'éducation nationale à la « prévention et à la gestion de crise »

Ministère de l'éducation nationale ; ministère de l'intérieur

6 mois

Accord

23

Permettre la mise en place de caméras de vidéoprotection filmant l'extérieur de l'établissement scolaire sans l'accord de son conseil d'administration.

Établissements scolaires

1 an

Décision du chef d'établissement

24

Garantir l'effectivité de la réalisation du diagnostic de sécurité des établissements scolaires, en lien avec le référent « sécurité » ainsi que les collectivités territoriales, propriétaires du bâti scolaire, et s'assurer de son actualisation régulière.

Collectivités territoriales ; ministère de l'intérieur

Dès à présent

Conventions

VI. RENDRE LES DISPOSITIFS ADMINISTRATIF ET POLICIER DE PRÉVENTION PLUS EFFICACES

25

Renforcer l'information du personnel de l'éducation nationale sur la possibilité d'être inscrit dans la base de données de sécurité publique.

Ministère de l'Éducation nationale ; Ministère de l'Intérieur

Dès à présent

Information

26

Afin d'améliorer le recours à la protection fonctionnelle du personnel, rendre automatique l'octroi de la protection fonctionnelle pour les agents de la communauté éducative victimes de violences et outrages du fait des élèves, des parents d'élèves ou de tiers ; l'administration aurait la faculté de la retirer dans un second temps.

Ministère de la Transformation et de la Fonction publiques

1 an

Loi

VII. FLUIDIFIER LE PARCOURS JUDICIAIRE
POUR LES AGENTS VICTIMES

Rendre les procédures policières et judiciaires plus simples, rapides et transparentes pour le personnel éducatif

28

Afin de faciliter la prise de plainte, permettre à l'administration de déposer plainte elle-même (en lieu et place de l'agent) en cas d'agression d'un agent.

Ministère de l'éducation nationale, Ministère de la transformation et la fonction publiques

1 an

Loi

29

Rappeler la possibilité ouverte à tout fonctionnaire de saisir lui même le procureur de la République d'un signalement sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale.

Ministère de l'Éducation nationale ; Ministère de la Justice

 

Information

Renforcer les liens entre autorité judiciaire et éducation nationale

30

Généraliser les conventions signées entre les parquets et les DASEN ou établissements de leur ressort, afin de présenter le rôle de l'autorité judiciaire, préciser le cadre du signalement et élaborer une trame de signalement commune à l'ensemble des DASEN qui soit directement exploitable par l'autorité judiciaire.

Parquets ; DASEN ; établissements scolaires

1 an

Conventions

31

Systématiser la rencontre annuelle entre les parquets et les chefs des établissements scolaires de leurs ressorts.

Parquets ; chefs d'établissements

Dès à présent

-

32

Renforcer les liens entre les parquets et les services des renseignements territoriaux, afin que ceux-ci aient accès aux éléments de la procédure judiciaire.

Parquets ; services des renseignements territoriaux

Dès à présent

Convention

Pour une justice plus rapide et transparente pour le personnel éducatif

33

Prévoir que l'audience pour juger l'auteur de violences, menaces ou outrages à l'encontre d'un membre de la communauté éducative ait systématiquement lieu dans le courant de l'année scolaire au cours de laquelle les faits ont eu lieu.

Ministère de la justice

Dès à présent

Circulaire

34

Automatiser l'information des membres du personnel éducatif sur les suites données à leur plainte.

Ministère de la justice

Dès à présent

Circulaire ministérielle

35

Automatiser l'information des membres du personnel éducatif sur les suites données aux plaintes déposées contre eux.

Ministère de la justice

Dès à présent

Circulaire ministérielle

VIII. RENFORCER LA COOPÉRATION
ENTRE L'ÉDUCATION NATIONALE, LES FORCES DE L'ORDRE
ET LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT

38

Prévoir l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement de la mise en examen ou de la condamnation pour une infraction terroriste (dont l'apologie) d'une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans un établissement scolaire, public ou privé.

Gouvernement ; Parlement

6 mois

Loi


* 1 Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

* 2 En 2022, le délai moyen d'octroi s'établit à 29 jours après la demande de l'agent ; il était de 32 jours en 2021.

* 3 Par exemple, l'agent victime a le choix, dans l'adresse de domiciliation figurant sur le procès-verbal, entre son adresse personnelle, l'adresse de la brigade de gendarmerie et l'adresse de son lieu de travail (sans que l'accord de l'administration ne soit nécessaire).

* 4 Conformément à ce que prévoit l'article 15 ter de la proposition de loi n° 202 (2023-2024) instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, adoptée par le Sénat le 30 janvier 2024.

* 5 La mission conjointe de contrôle ne s'est pas penchée sur le cas de l'enseignement supérieur, compte tenu de ses spécificités s'agissant aussi bien du statut particulier des enseignants à l'université, qui ne sont pas soumis aux mêmes règles que les autres agents de la fonction publique, que du public des étudiants, majoritairement majeur, et de la place des parents dans les relations entre les étudiants et les enseignants.

* 6 Rapport n° 226 de Mme Catherine Morin-Desailly, « #PasdeVague : la détresse des enseignants face à la violence scolaire », session 2018-2019.

* 7 Les signalements d'incidents graves dans les écoles publiques et les collèges et lycées publics et privés sous contrat en 2022-2023, note d'information n° 24.04, DEPP, février 2024.

* 8 Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) : principaux résultats pour la France du PISA 2022, OCDE, version française. Les élèves interrogés dans le cadre du PISA dans les différents pays participants ont 15 ans.

* 9 Note d'information précitée n° 24.04, DEPP, février 2024.

* 10 Les rapporteurs remercient l'ensemble des personnels de l'éducation nationale pour leurs témoignages reçus à l'occasion de cette mission d'information.

* 11 Harcèlement scolaire et cyberharcèlement : mobilisation générale pour mieux prévenir, détecter et traiter, rapport d'information n° 843 de Colette Mélot, session 2020-2021.

* 12 Résultats de l'enquête nationale de climat scolaire et de victimation 2022 auprès des directeurs d'école et des enseignants du premier degré, note d'information n° 23.15, DEPP, mars 2023.

* 13 Selon les publications du ministère de l'éducation nationale (notamment l'Éducation nationale en chiffres, édition 2022), il y avait 373 600 enseignants dans le premier degré en 2021-2022. Ce nombre est rapporté au pourcentage d'enseignants du 1er degré se déclarant confrontés à une violence dans l'enquête de climat scolaire et de victimation réalisée par la DEPP (note d'information n° 23.15 - Mars 2023).

* 14 Résultat de la première enquête de climat scolaire auprès des personnels du second degré de l'éducation nationale, DEPP, note d'information n° 19.53, décembre 2019.

* 15 Calcul réalisé sur la base de 96 650 enseignants dans le second degré privé sous contrat, L'éducation nationale en chiffres 2019, DEPP

* 16 Cf. les conclusions de la commission d'enquête sénatoriale Faire revenir la République à l'école, rapport n° 590 de M. Jacques Grosperrin, session 2014-2015.

* 17 Les enseignants face à l'expression du fait religieux à l'école et aux atteintes à la laïcité, IFOP pour écran de veille, décembre 2022.

* 18 Note 19.53 DEPP précitée.

* 19 Comment redynamiser la culture citoyenne, rapport d'information n° 648 d'Henri Cabanel, session 2021-2022.

* 20 Proposition de loi n° 437 tendant à renforcer la culture citoyenne, session 2022-2023.

* 21 Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République présidée par Bernard Stasi, rapport au Président de la République, 11 décembre 2003.

* 22 Les signes et manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, rapport de Jean-Pierre Obin, juin 2004.

* 23 L'application du principe de laïcité dans les établissements scolaires publics, IGESR n° 2019-115, novembre 2019.

* 24 Les enseignants du public et la laïcité, IFOP pour le comité national d'action laïque, mai 2023.

* 25 Observatoire des enseignants : les positions sur la laïcité et la place des religions à l'école, IFOP pour la fondation Jean Jaurès, décembre 2020.

* 26 Les enseignants du public et la laïcité, IFOP pour le comité national d'action laïque, mai 2023.

* 27 Sondage IFOP pour le comité national d'action laïque, les enseignants du public et la laïcité, mai 2023.

* 28 Rapports de jury de la section histoire-géographie et de la section lettres : lettres classiques et lettres modernes, concours : Capes externe, Cafep-Capes, 3ème Capes et 3ème Cafep-Capes, session 2023.

* 29 Lors de l'examen du projet de loi, la commission de la culture s'était prononcée en faveur de pourcentages minimaux de professionnels de terrain et d'enseignants-chercheurs au sein des intervenants des Inspé.

* 30 Leur année de stage est en mi-temps avec une formation à l'Inspé.

* 31 Crise d'attractivité du métier d'enseignant : quelles réponses des pays européens ?, rapport d'information n° 649 de M. Gérard Longuet, session 2021-2022.

* 32 Audition de M. Pap Ndiaye, ministre de l'Éducation nationale le 4 juillet 2023.

* 33 Décret n° 2011-728 du 24 juin 2011.

* 34 Décret n° 2023-782 du 16 août 2023.

* 35 Résultats de la première enquête de climat scolaire auprès des personnels du second degré de l'Éducation nationale, DEPP, note n° 19.53, décembre 2019.

* 36 « Pour la réussite de tous les élèves », commission du débat national sur l'avenir de l'École présidée par Claude Thélot, octobre 2004.

* 37 La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l'éducation nationale et dans le cadre du projet d'école ou d'établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection (art. L. 912-1-1 du code de l'éducation).

* 38 École primaire, école pour tous ? enquête auprès des personnels, évolution 2011-2023, Éric Debarbieux, Benjamin Moignard, pour l'autonome de solidarité laïque, octobre 2023.

* 39 Art. R624-7 du code pénal « Le fait, pour l'un ou l'autre parent d'un enfant soumis à l'obligation scolaire ou pour toute personne exerçant à son égard l'autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, après avertissement donné par le directeur académique des services de l'éducation nationale agissant sur délégation du recteur d'académie et mise en oeuvre des procédures définies à l'article R. 131-7 du code de l'éducation, de ne pas imposer à l'enfant l'obligation d'assiduité scolaire sans faire connaître de motif légitime ou d'excuse valable ou en donnant des motifs d'absence inexacts est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe ».

* 40 DEPP, n° 19.53, décembre 2019.

* 41 Les enseignants face aux contestations de la laïcité et au séparatisme, fondation Jean Jaurès, janvier 2021.

* 42 Rapport n° 234 sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, Jean-Claude Carle, session 2004-2005.

* 43 DEPP n° 2024.03.

* 44 École primaire, école pour tous ? enquête auprès des personnels, évolution 2011-2023, Éric Debarbieux, Benjamin Moignard, pour l'autonome de solidarité laïque, octobre 2023.

* 45 Sondage IFOP pour le comité national d'action laïque, les enseignants du public et la laïcité, mai 2023. Total supérieur à 100, les interviewés ayant pu donner plusieurs réponses.

* 46 Article de presse de France 3 Normandie publié le 26 février intitulé : Témoignages : « rares sont les années où nous ne devons pas appeler la police », ces deux enseignants sont à bout de souffle.

* 47 Aux termes du premier alinéa de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique.

* 48 Aux termes du premier alinéa de l'article L. 134-5 du code général de la fonction publique.

* 49 Les atteintes aux biens de l'agent public (véhicule garé sur le lieu de travail, par exemple) sont ainsi susceptibles d'entrer dans le cadre de la protection fonctionnelle dès lors que le lien avec les fonctions est établi.

* 50 Conformément à l'article L. 134-3 du code général de la fonction publique.

* 51 Voir par exemple la plateforme Colibris de l'académie de Versailles : https://portail-creteil.colibris.education.gouv.fr/demande-de-protection-fonctionnelle/

* 52 CE, 10 juillet 2020, n° 427002.

* 53 Signée par le ministre de l'intérieur, le garde des sceaux, la ministre de la transformation et de la fonction publiques et la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

* 54 À l'alinéa IV de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, codifié à l'article L. 134-6 du CGFP par l'ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021.

* 55 Rapport n° 454 (2020-2021) de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien, fait au nom de la commission des lois, déposé le 18 mars 2021, p. 65.

* 56 Arrêté du 21 octobre 2019 portant délégation de pouvoirs aux recteurs d'académie et aux vice-recteurs pour accorder la protection prévue par l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée.

* 57 CAA Paris, 25 avril 1996.

* 58 L'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration, en vertu duquel « toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception » ne s'appliquant pas aux relations entre l'administration et ses agents (article L. 112-2 du même code).

* 59 La règle selon laquelle « le silence vaut acceptation » ne s'appliquant pas aux relations entre l'administration et ses agents, conformément à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration.

* 60 C.A.A. Paris, 19 juin 2012, n° 10PA05964.

* 61 CE, 18 mars 1994, Rimasson, n° 94410.

* 62 Article L. 134-8 du CGFP.

* 63 Alinéa 1er de l'article L. 134-7 du CGFP.

* 64 Alinéa 2 de l'article L. 134-7 du CGFP.

* 65 En outre, la direction générale des collectivités territoriales a indiqué ne pas effectuer de suivi de la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle par les collectivités territoriales.

* 66 Le personnel enseignant du premier degré inclut les directeurs d'école, qui sont la plupart du temps également enseignants (en étant partiellement déchargés d'enseignement).

* 67 Hors jeunesse et sports.

* 68 Médecins, infirmiers, psychologues, assistants sociaux.

* 69 Atteinte verbale : diffamation, menace, injure publique, outrage.

* 70 En 2021, ce délai s'établissait à 32 jours après la demande de l'agent.

* 71 L'ASL compatibilisant près de 500 000 adhérents en octobre 2023.

* 72 La circulaire interministérielle prise par le ministre de l'intérieur, le ministre de la justice, le ministre de la transformation et de la fonction publiques ainsi que la ministre déléguée charge de la citoyenneté, le 2 novembre 2020 à la suite de l'assassinat de Samuel Paty ; la circulaire prise par le ministre de la transformation et de la fonction publiques le 3 juillet 2023 dans le contexte des émeutes urbaines.

* 73 Actualité du 18 septembre 2023 sur le site internet du ministère de la transformation et de la fonction publiques : https://www.transformation.gouv.fr/ministre/actualite/stanislas-guerini-lance-le-plan-de-protection-des-agents-publics

* 74 Les mesures relatives à la protection fonctionnelle seraient en effet de nature législative.

* 75 Les cas de violences et d'outrages exercés par des membres de la communauté éducative à l'encontre de collègues justifient d'être traités à part.

* 76 Adoptée le 10 octobre 2023 au Sénat et le 7 février 2024 à l'Assemblée nationale ; la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, réunie le 27 février 2023, est prévue pour le 14 mars 2024 au Sénat.

* 77 Les autres demandes et opérations particulières de protection concernent les témoins protégés, l'opération « tranquillité vacances » ou encore les personnes âgées isolées.

* 78 D'après les chiffres communiqués par la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale.

* 79 Loi n° 2021-1109.

* 80 Les mesures de responsabilisation relèvent du cadre scolaire ; les mesures éducatives relèvent du cadre pénal.

* 81 La police municipale peut voir cette mission confiée à des agents dédiés des collectivités comme à Montpellier ou Paris.

* 82 Le guide de la « sécurité dans la ville » publié en janvier 2022 par l'agence nationale de la cohésion des territoires précise également que le chef d'établissement peut, dans ces situations, solliciter le CLSPD pour qu'un groupe de travail soit réuni pour identifier les motifs des tensions et proposer des mesures pour y répondre.

* 83 Ces formations se déroulent au sein des écoles de gendarmerie CNEFG (Saint-Astier), École des officiers de la gendarmerie nationale (Melun), école de gendarmerie de Rochefort, école de gendarmerie de Tulle.

* 84 Instruction INTK2023920J interministérielle du 27/10/2020 relative à la sécurisation de l'espace scolaire et aux mesures d'accompagnement du corps enseignant dans le cadre des mesures post attentat d'Éragny-Conflans-Sainte-Honorine (diffusion limitée aux préfets, parquets et rectorats).

* 85 Les articles 10-2 (9°) et 40-4-1 du code de procédure pénale permettent en effet à un agent public de déclarer son adresse professionnelle plutôt que son adresse personnelle.

* 86  https://www.masecurite.interieur.gouv.fr/fr

* 87 « Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait d'user de menaces ou de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation à l'égard de toute personne participant à l'exécution d'une mission de service public, afin d'obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ».

* 88 Réponse écrite au questionnaire des rapporteurs.

* 89 Réponse écrite au questionnaire des rapporteurs.

* 90 Voir la circulaire ministérielle du Garde des sceaux en date du 5 septembre 2023 relative aux infractions commises en milieu scolaire et la circulaire interministérielle du 11 octobre 2019 relative à la lutte contre les violences scolaires.

* 91 Circulaire adressée aux procureurs généraux près les cours d'appel, au procureur de la République près le tribunal supérieur d'appel, aux procureurs de la République, et aux recteurs d'académie.

* 92 Les magistrats référents de l'Éducation nationale sont aujourd'hui au nombre de 173, d'après les chiffres transmis par le ministère de la justice.

* 93 Le référent académique justice n'ayant pas lui-même accès à l'application de gestion de la chaîne pénale, dite Cassiopée (pour « chaîne applicative supportant le système d'information orienté procédure pénale et enfants »).

* 94 Pour des raisons de confidentialité, les noms des personnes auditionnées ne sont pas communiqués.

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