II. UNE RÉFORME DU RÉGIME DES CULTES QUI N'A ENCORE QUE PEU FAVORISÉ LEUR RESTRUCTURATION OU LA LUTTE CONTRE LE SÉPARATISME

A. UNE MISE EN CONFORMITÉ EN DEÇÀ DES OBJECTIFS

1. Un processus complexe pour des administrations territoriales souvent trop peu préparées

L'article 69 de la loi CRPR constitue une évolution majeure des relations entre l'État et les cultes en imposant une reconnaissance préalable obligatoire du caractère cultuel des associations qui souhaitent relever du statut prévu par la loi de 1905. L'article 88 entraînait l'obligation de déposer ce dossier de cultualité avant le 30 juin 2023 pour les associations constituées avant le 25 août 2021.

Cette mesure était centrale au projet de loi. Elle avait un double objectif. Le premier était de police administrative : s'assurer que les avantages fiscaux et financiers liés au statut d'association cultuelle ne bénéficient pas à des officines séparatistes. Le second, plus essentiel, était de favoriser la restructuration du culte en France en utilisant les dispositions combinées des articles 69 et 7310(*) de la loi pour inciter à la transformation des associations mixtes, privilégiées par les nouvelles spiritualités et le culte musulman, en associations relevant de la loi de 1905.

Les résultats obtenus, au prix d'importantes difficultés administratives, ne sont pas à la hauteur des attentes. Sans entraîner, au moins pour le moment, de bascule vers le régime de 1905, la nouvelle procédure de déclaration préalable a essentiellement conforté le sentiment de défiance des cultes, cette impression étant même partagée désormais par ceux qui étaient les plus engagés dans l'élaboration de la loi.

Les chiffres communiqués aux rapporteures font état de plus 3 000 associations actuellement reconnues ou dont le dossier est en cours d'instruction, dont 300 relevant du culte musulman. Or il existait préalablement à la loi de 2021 environ 5 000 associations cultuelles (les plus nombreuses étant les protestantes).

Les auditions conduites par les rapporteures leur ont permis de constater le traitement très disparate selon les préfectures des procédures de déclaration préalable et une multitude d'obstacles administratifs liés à l'impréparation des préfectures, sans doute faute d'information et de formation. Cela a abouti à des demandes non conformes à la loi, comme la convocation de ministres des cultes par la police ou la demande de signature des contrats d'engagement républicains. La méconnaissance des spécificités des associations cultuelle a aussi pu entraîner des incompréhensions, comme la demande de modification par certaines préfectures du statut des associations diocésaines qui leur était soumis, alors que ceux-ci sont définis par un accord international. La charge administrative pesant sur les membres des associations s'est donc révélée particulièrement pesante, ainsi que l'avait anticipé le Sénat lors de la discussion du texte. La difficulté pour les bureaux en charge des cultes au sein des préfectures de faire face à l'afflux des demandes (plus de 1 800 dossiers instruits entre début 2022 et juin 2023 plus de 1 200 nouvelles demandes entre juin 2023 et février 2024) s'est traduite dans de nombreuses instances, partout sur le territoire, par des délais particulièrement longs pour obtenir l'attestation de qualité cultuelle que l'association est en droit de demander.

Ainsi que le Sénat l'avait adopté en 2021, les rapporteures souhaitent donc que le renouvellement de la reconnaissance du statut cultuel des associations puisse se faire par tacite reconduction suite à la réception des demandes, les préfectures conservant la possibilité de soumettre à nouveau l'association à la procédure de déclaration.

2. Des effets paradoxaux qui demandent un travail de concertation et une mobilisation des services de l'État pour accompagner les structures les plus éloignées du cadre de 1905

La nouvelle procédure a également entraîné un effet paradoxal mais sans doute inévitable : l'obligation faite à des associations bénéficiant depuis parfois plusieurs décennies du statut d'association 1905 de se séparer d'une partie de leurs activités considérées comme sociales ou culturelles et dont la nature ou l'ampleur faisaient qu'elles ne pouvaient être considérées comme accessoires à l'activité cultuelle. Des associations relevant de la loi 1905 se sont donc trouvées face à l'obligation de créer des structures relevant de la loi de 1901 pour ne pas se voir refuser le caractère cultuel. C'est sous la seule forme d'associations de loi 1901 qu'elles pourront continuer à conduire des activités qu'elles assumaient historiquement. Ces cas, auxquels s'ajoute l'incertitude liée à la notion d'activité annexe, susceptible d'être interprétée différemment selon les préfectures, ont renforcé le sentiment d'associations cultuelles de se trouver soumises à des contraintes disproportionnées au regard de l'ancienneté de leur engagement républicain.

Tant la Fédération protestante de France que le Grand Rabbin ont fait part à vos rapporteures de difficultés techniques et juridiques persistantes. Certaines sont susceptibles de faire obstacle à la location des biens immobiliers, possibilité qui découle de la loi CRPR (article 71), d'autres sont relatives à la difficulté de mobiliser les fonds destinés à la rénovation des bâtiments religieux.

Au regard des difficultés rencontrées par les associations, il est également important que le ministre de l'intérieur puisse envisager avec les cultes des solutions aux difficultés liées à l'utilisation des dons pour la rénovation des bâtiments, à la location des immeubles et aux activités sociales historiques des associations cultuelles.

Il apparaît également particulièrement important aux rapporteures que le travail engagé avec le bureau des cultes du ministère de l'intérieur se poursuive pour publier au plus vite les textes réglementaires et fiches pédagogiques nécessaires à la bonne appropriation par les associations cultuelles de leurs nouvelles obligations.

L'accompagnement des associations mixtes vers le statut de 1905 doit être une mission prioritaire mobilisant l'action des préfectures. Les exemples de la Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise où les préfets ont mené une politique active d'incitation, et parfois de sanction avec le prononcé d'astreintes en cas de non mise en conformité des statuts, mais aussi d'accompagnement, montrent que des actions de ce type sont efficaces. Il exige la mobilisation des services de l'État.

Ce travail est d'autant plus nécessaire que, face à la complexité des démarches à accomplir, une activité de conseil et d'accompagnement s'est développée au sein du secteur, qui ne peut que renforcer la crédibilité et le poids de ceux qui s'y consacrent. Or si ce travail est utile et pleinement légitime s'agissant des fédérations interlocutrices habituelles de l'État, ou du groupe de travail constitué au sein du forum de l'islam de France il est susceptible de poser question s'agissant de structures moins établies, voire de favoriser l'entrisme.

3. Une structure de dialogue avec l'islam de France encore en mal de légitimité : le forum de l'islam de France (FORIF)

Parallèlement à la loi du 24 août 2021, le Président de la République a souhaité relancer le dialogue avec le culte musulman et rompre avec une « personnalisation trop forte » des structures précédentes, dans l'« objectif de faire aboutir concrètement des projets portés par des acteurs de terrain et de faciliter la structuration d'un Islam de France, émancipé des ingérences étrangères et de l'entrisme de ceux qui s'opposent à la République et sont des propagateurs de haine ». Lancé en février 2022 au palais d'Iena, réuni au Palais de l'Élysée en février 2023 et au ministère de l'intérieur en février 2024, le FORIF est une structure dont le devenir interroge les rapporteures. Constitué de groupes de travail, le forum se voit appelé par l'État à se pencher sur des sujets d'une particulière importance, les violences anti-musulmanes ou le statut des imams par exemple. Il doit même être le porteur d'un projet de fédération des associations musulmanes, selon le souhait de ministre de l'intérieur formulé lors de son discours du 26 février dernier.

Pourtant, comme l'indique le ministre, le FORIF est une méthode et non une structure ; ni sa composition, ni les modalités de participation de ses membres ne sont connues, malgré des demandes répétées. Sans minimiser l'intérêt des travaux qui peuvent être conduits par les groupes de travail du FORIF, la transition d'une méthode fluide vers une fédération solide est un défi qui appelle plus de transparence de la part de l'État.

Les rapporteurs souhaitent donc que la composition du FORIF soit rendue publique dans les meilleurs délais.


* 10 L'article 73 a soumis les activités cultuelles des associations dites mixtes relevant de la loi de 1907 aux mêmes obligations comptables que celles des associations loi 1905 sans leur accorder les avantages fiscaux et financiers.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page