N° 53

SÉNAT

SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès verbal de la séance du 26 octobre 1995.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) à la suite d'une mission concernant les conditions de développement des thérapies géniques et cellulaires,

Par M. Claude HURIET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Jacques Bimbenet, Claude Huriet, Charles Metzinger, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Michelle Demessine, M. Charles Descours, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jacques Machet, secrétaires ; José Balarello, Michel Barnier , Henri Belcour, Jacques Bialski, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Eric Boyer, Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Georges Dessaigne, Mme Joëlle Dusseau, MM. Guy Fischer, Alfred Foy, Serge Franchis, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Alain Gournac, Roland Huguet, André Jourdain, Pierre Lagourgue, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Simon Loueckhote, Jean Madelain, Michel Manet, René Marquès, Serge Mathieu, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Louis Philibert, André Pourny, Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, André Vézinhet.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Il y a un an, le Parlement adoptait des lois improprement appelées « bioéthiques » dans la mesure où elles ont précisément substitué, pour des techniques médicales nouvelles, des dispositions législatives protectrices à un encadrement aléatoire par l' « éthique ».

La question de la prise en compte, par le législateur, des progrès de la médecine est à nouveau posée par les conclusions du présent rapport.

Certains diront que les thérapies génique et cellulaire sont encore au stade des essais cliniques ou que le sujet est trop neuf pour que le législateur s'en préoccupe. Pour eux, mieux vaut, pour l'instant, s'en remettre à des recommandations éthiques pour assurer la protection des patients, souvent gravement malades, qui se soumettent aux essais plutôt que de prendre le risque d'entraver le développement des recherches par une législation trop contraignante sur le plan sanitaire.

Ces arguments doivent être écartés.

En effet, ceux qui estiment que le législateur doit « laisser faire la science et l'éthique » avant d'intervenir lui reprocheraient sans doute plus tard de n'avoir pas pris à temps ses responsabilités et d'être ainsi complice des désordres sanitaires ou éthiques qui pourraient survenir.

En outre, faut-il rappeler que des textes législatifs existent déjà. Et une législation qui garantit la sécurité sanitaire peut être beaucoup plus simple et, sur le plan procédural, moins contraignante que le désordre des règles auquel conduit l'actuelle législation qui, nous le verrons, ne présente pas les mêmes garanties.

Enfin, au moment où s'engage une véritable « révolution thérapeutique », les décisions de localisation des recherches et des sites de fabrication des produits de thérapies génique et cellulaire se prennent aujourd'hui. Dans ce contexte, la France a tout à gagner à se doter d'une législation claire qui donne aux produits de thérapies génique et cellulaire le statut qui garantit le mieux les conditions de leur développement.

Dans la mesure où le sujet de la mission d'information est technique et où il met en jeu la sécurité sanitaire, le Président de la Commission des affaires sociales a souhaité que la mission utilise une méthode de travail inhabituelle en s'entourant d'un comité de référence.

Aussi a-t-il demandé aux ministres chargés de la recherche et de la santé ainsi qu'au syndicat national de l'industrie pharmaceutique de bien vouloir désigner, chacun pour ce qui les concerne, des représentants scientifiques et juridiques pour constituer un comité de référence de la mission.

Les membres de ce comité, qu'ils soient chercheurs, représentants de l'administration ou de l'industrie, ont participé à toutes les auditions de la mission et ont ainsi permis l'indispensable confrontation permanente des expériences et des points de vue sur tous les sujets abordés par les personnalités auditionnées.

COMITE DE REFERENCE

Chercheurs :

- M. le Professeur Alain FISHER

- M. le Professeur Dominique MARANINCHI

Administrations :

- Mme le Dr. Pascale BRIAND (ministère de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Insertion professionnelle)

- Mme Marie-Thérèse NUTINI (Direction Générale de la Santé, ministère de la Santé publique et de l'Assurance maladie)

- M. Gilles LECOQ (Direction Générale de la Santé, ministère de la Santé publique et de l'Assurance maladie)

- M. le Professeur Jean-Paul CANO (Agence du médicament)

- M. Philippe LAMOUREUX (Agence du médicament)

Industrie :

M. Richard LERAT (Syndicat national de l'Industrie Pharmaceutique)

M. Olivier AMEDEE-MANESME (Syndicat national de l'Industrie Pharmaceutique)

Mme Marie-Paule SERRE (Syndicat national de l'Industrie Pharmaceutique)

I. LA FRANCE EST BIEN PLACEE POUR LES RECHERCHES EN THERAPIES GENIQUE ET CELLULAIRE

Cette première partie, essentiellement factuelle, tend à présenter les thérapies génique et cellulaire et montrer que, dans une compétition mondiale d'ores et déjà engagée, la France est bien placée pour les recherches qui les concernent.

Les excellents rapports rédigés, pour la thérapie génique, par MM. les Professeurs Jean-Paul Cano et Alain Fischer, et pour la thérapie cellulaire, par M. le Professeur Dominique Maraninchi assisté par MM. les Professeurs Jean-Paul Cano et Patrick Hervé présentent des définitions, établissent un état des lieux des essais et des structures impliquées et formulent des propositions tendant à favoriser les recherches. Il convient de s'y référer pour avoir une vue exhaustive des techniques et des recherches actuellement utilisées et menées.

Il s'agit ici, dans une perspective plus modeste, de donner les éléments indispensables à la compréhension des problèmes posés par le droit actuellement applicable aux thérapies génique et cellulaire et des moyens de les résoudre.

A. DEFINITIONS ET PATHOLOGIES CONCERNEES

1. Définitions

a) La thérapie génique

Selon le rapport Cano-Fischer, la thérapie génique se définit comme « le transfert à des patients d'ADN recombinant contenant au moins un gène à des fins diagnostiques, thérapeutiques ou comme marqueur ».

Il s'agit donc d'introduire un gène dans les cellules du patient, dont plusieurs effets peuvent être attendus.

L'introduction de ce gène peut d'abord avoir pour objet de compenser une anomalie génétique chez le patient.

Elle peut également être réalisée en vue de modifier les fonctions de la cellule dite « cible » (celle qui recevra le gêne). En effet, le gène a pour propriété de coder pour la fabrication de protéines. Son transfert dans une cellule pourrait ainsi être utilisé comme vaccin s'il aboutissait à la fabrication d'une protéine immunogène. Il pourrait également servir de traitement pour les maladies qui peuvent être guéries grâce à des protéines produites grâce à certains gènes.

Enfin, l'introduction d'un gène peut avoir pour objet d'induire le « suicide », l'autodestruction de la cellule cible.

En théorie, deux types de thérapies géniques sont envisageables : les thérapies « germinales » et « somatiques ».

Les thérapies géniques germinales ont pour effet d'intervenir, non seulement sur le malade, mais aussi sur sa descendance.

En revanche, les thérapies géniques somatiques ont un effet sur le seul malade auquel elles sont administrées, le patrimoine génétique de ses descendants n'étant pas affecté.

En droit, les thérapies géniques germinales sont interdites -ainsi qu'il sera dit plus loin - par le code civil tel qu'il a été modifié par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain.

Deux techniques de thérapie génique font actuellement l'objet de recherches. Il s'agit des thérapies géniques in vivo et ex vivo .

En effet, le transfert du gêne peut être réalisé « à l'intérieur » ou « à l'extérieur » du patient.

Dans une thérapie génique in vivo , le gêne est directement injecté dans les cellules du patient.

Dans une thérapie génique ex vivo , ces cellules sont d'abord prélevées, puis modifiés par l'introduction d'un gène, puis ré-administrées au patient.

La thérapie génique fait intervenir des « vecteurs », qui vont transporter le gène et parvenir à le transférer dans la cellule cible. Ces vecteurs peuvent être viraux ou non viraux.

Les vecteurs viraux ont été, jusqu'ici, les plus utilisés pour leur propriété bien connue de transfert génétique dans les cellules qu'ils attaquent. Ils sont préalablement traités afin d'éviter tout effet pathogène.

Plus récemment, des vecteurs non viraux ont été utilisés. Il s'agit en particulier des liposomes. Mais la voie la plus prometteuse demeure bien sûr le transfert d'ADN « nu » dans les cellules cibles.

b) La thérapie cellulaire

Selon le Professeur Dominique Maraninchi, la thérapie cellulaire « consiste en l'injection de cellules autologues, allogéniques ou xénogéniques à des êtres humains dans le but de prévenir, traiter ou atténuer une maladie ».

En d'autres termes, il s'agit d'utiliser, dans un but thérapeutique, soit les cellules du patient (autologues), soit encore des cellules humaines (allégéniques), soit enfin des cellules animales (xénogéniques). Ces cellules auront été prélevées puis triées et sélectionnées ; elles auront ensuite subi un traitement avant d'être administrées au patient.

Cette définition est très large : elle englobe ainsi une partie de la thérapie génique, à savoir la thérapie génique ex vivo.

En effet, l'intersection entre les thérapies génique et cellulaire est constituée par celles des thérapies géniques qui font intervenir un prélèvement de cellules, puis l'administration de ces mêmes cellules modifiées.

La différence entre la thérapie cellulaire stricto sensu et la thérapie génique ex vivo réside dans le fait que, dans le premier cas, les cellules ont été transformées grâce à des procédés pharmacologiques, alors que, dans le second, elles ont été génétiquement modifiées.

Les cellules utilisées actuellement dans le cadre de la thérapie cellulaire sont principalement des cellules souches hématopoïétiques ou des cellules mononuclées. Les premières sont prélevées, soit dans la moëlle, soit dans le sang de cordon ou le sang périphérique, alors que les secondes proviennent quasi exclusivement du sang périphérique.

2. Les pathologies concernées

La thérapie génique a été imaginée, dans une première étape, pour lutter contre les maladies dites « génétiques », c'est-à-dire des maladies qui résultent, soit de l'absence d'un gène, soit du dysfonctionnement ou de l'anomalie d'un ou plusieurs gènes.

A la différence de la thérapie cellulaire, la thérapie génique se situe actuellement exclusivement à un stade expérimental.

Parmi les maladies génétiques les plus graves qui sont l'objet de recherches en thérapie génique, l'on peut citer la myopathie de Duchenne, la mucoviscidose ou le déficit en adénosine désaminase.

Les indications ont été, depuis, très notablement élargies. Font ainsi, ou feront prochainement l'objet d'essais de thérapie génique le cancer bronchique, les tumeurs cérébrales (gliome kystique), le mélanome malin et le cancer du sein.

Dans le cas de ces maladies, la thérapie génique utilise diverses logiques, telles que le renforcement du système immunitaire, une logique de gène suicide ou encore une action sur les oncogènes qui prédisposent au cancer. Dans ce dernier cas, il s'agit de bloquer la division cellulaire.

Des essais devraient également être entrepris sur le SIDA, grâce à l'injection de gènes qui diminuent les facultés de réplication du VIH.

Enfin, la maladie de Parkinson, les maladies cardiovasculaires et l'hypercholestérolémie intéressent aussi les chercheurs en thérapie génique.

Pour l'instant, les résultats des essais menés en France et dans le monde continuent à être prometteurs sans satisfaire pour autant le fol espoir suscité chez certains patients par l'enthousiasme mal contrôlé de certains médias.

La revue « Nature Médecine » du mois d'octobre 1995 présente, avec prudence, un résultat encourageant pour le traitement du déficit en adénosine-désaminase (ADA). L'équipe du professeur Kohn, en Californie, a ainsi procédé à la manipulation de cellules souches hématopoéïtiques qui ont été transfectées par un vecteur apportant le gène codant. Ces cellules ont été greffées chez des nouveaux-nés malades. Les résultats à 18 mois semblent bons, ces enfants ne présentant pas les signes de l'ADA.

Cependant, les résultats de cette étude montrent bien la portée et les limites des thérapies entreprises jusqu'ici :

- d'une part, l'étude n'été entreprise que sur trois enfants ;

- d'autre part, les enfants ont été traités simultanément par la thérapie génique et par des injections médicamenteuses, ces dernières ayant été réduites progressivement;

- enfin, la technique du transfert de gène doit être améliorée.

Il convient donc de rester prudent, même si les hypothèses théoriques qui sous-tendent la thérapie génique ne sont pas démenties.

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