C. AUDITION DE M. MICHAEL COURTNEY, DIRECTEUR SCIENTIFIQUE DE TRANSGENE

M. Michael COURTNEY - Je suis directeur scientifique et directeur général adjoint de la société Transgène basée à Strasbourg. Depuis quelques années, Transgène a fait un effort très important en matière de thérapie génique en Europe ; en termes d'effectifs, nous sommes la plus importante société travaillant dans ce secteur. Créée en 1980, elle compte 180 personnes dont 120 personnes exclusivement concernées par la thérapie génique, en recherche et développement, dans la production de vecteurs. Nous avons commencé deux essais de recherches cliniques l'an dernier.

Notre but est clairement la thérapie génique et non la thérapie cellulaire. Notre stratégie industrielle est la production de vecteurs comme médicaments pour l'utilisation par transfert in vivo chez le malade ou par transfert ex vivo dans des cellules prélevées chez le malade.

J'articulerai mon propos autour de six axes :

1°) La situation de la recherche en France en thérapie génique ;

2°) La situation du développement et de la production de vecteurs pour la recherche clinique ;

3°) L'organisation de la recherche clinique ;

4°) Quelques réflexions sur le système de réglementation des activités ;

5°) La situation de l'industrie en France ;

6°) Quelques réflexions sur le cadre juridique lié à la thérapie génique.

1°) La recherche en thérapie génique en France :

La recherche en thérapie génique en France est probablement la plus avancée en Europe, même si les Anglais s'organisent actuellement et trouvent des financements pour des groupes performants. La France est avancée dans ce secteur surtout parce que notre expertise en virologie est très développée. Nous avons pu développer dès la fin des années 80/90 des vecteurs basés sur des rétrovirus et adénovirus qui sont compétitifs avec ceux développés aux Etats-Unis.

Toutefois, nous sommes très loin des Etats-Unis, avec un écart grandissant lié notamment au développement des biotechnologies aux USA depuis les années 70.

Dans le domaine de la thérapie génique, les liens entre la recherche académique et l'industrie sont essentiels. Transgène a beaucoup de collaborations avec l'INSERM, avec le CNRS, je dirai même que ces liens sont quotidiens.

En conclusion générale sur l'état de la recherche, je pense qu'un problème fondamental vient de ce que nous avons une activité croissante qui se disperse malheureusement en nombreuses équipes de recherche dans le monde académique. Un des points forts des Etats-Unis est l'existence d'équipes avec une masse critique suffisante pour produire une recherche de qualité.

2°) Situation du développement de la production de vecteurs pour la recherche clinique

Dans 5 ou 10 ans, l'utilisation des virus va diminuer de façon très significative, au profit de systèmes plus sophistiqués, non viraux, limitant les problèmes de sûreté. De plus, à l'avenir, nous allons privilégier des systèmes basés sur l'administration in vivo par rapport à l'administration ex vivo. Donc, il y aura moins de vecteurs viraux et davantage de produits injectables, c'est-à-dire moins de problèmes de sûreté et l'utilisation des produits se rapprochant du médicament classique. Ces produits devront être produits dans les conditions de bonnes pratiques de fabrication dans les établissements pharmaceutiques.

Nous avons besoin, pour la recherche clinique française non industrielle, de produire des vecteurs qui doivent à la fois tomber dans les conditions de bonnes pratiques, et dans les conditions de confinement des organismes génétiquement manipulés.

Nous avons évoqué que le récent appel d'offres pourrait inclure la possibilité de financement de création de ce type d'unité. Mais nous n'avons pas encore résolu ce problème.

3°) L'organisation de la recherche clinique

Je suis d'abord impressionné par la qualité et la compétence des équipes de recherche clinique en France.

Les CRTG sont en pleine création, et ce pour définir les centres habilités à poursuivre des essais en thérapie génique. La thérapie cellulaire s'effectue dans un nombre limité de centres ; on peut prévoir que la thérapie génique ex vivo liée à la thérapie cellulaire sera aussi limitée en termes de nombre de centres, parce que c'est extrêmement lourd à gérer (collecte de cellules, transfert de gènes, amplification des cellules, etc ...).

La thérapie génique in vivo est très différente : il faut une chambre de malade isolée, c'est tout.

C'est beaucoup moins lourd et je pense aussi que dans un avenir relativement proche, beaucoup de centres auront les moyens de faire de l'expérimentation en thérapie génique in vivo.

4°) Réflexions sur le système de réglementation des activités

L'important, pour l'industrie et pour l'avancement du domaine en général, c'est la création et le fonctionnement efficace de l'intercommission. Ce qui était prévu par le rapport Cano-Fisher, c'est la possibilité de saisir cette intercommission avec un seul document et d'avoir des réponses rapides. La situation actuelle est aigüe et doit être réglée de manière efficace. Il est important de noter que, à mon avis, des vecteurs non viraux, qui ne sont pas des organismes génétiquement manipulés, ne tombent donc pas sous la juridiction de la commission de génie génétique et génie biomoléculaire. Il faut réexaminer cette situation de près.

Un deuxième point concerne la question suivante : quel type d'activité de thérapie génique implique une dissémination volontaire d'organismes génétiquement manipulés dans l'environnement, et par conséquent, est du ressort du comité de génie biomoléculaire ?

Par exemple, l'administration d'un adénovirus recombinant par aérosol constitue clairement une dissémination volontaire mais, à mon avis, l'administration d'un vecteur par injection dans une chambre confinée n'en est pas une (voir document III/5863/93 de la commission du CE).

5°) L'industrie en France

Il y a peu de thérapie génique et c'est peut-être notre grande faiblesse : il y a Transgène et Gencell de Rhône Poulenc. Cette situation n'est pas étonnante quand on considère que l'industrie biotechnologique en France est un secteur très limité.

6°) Le cadre juridique lié à la thérapie génique

L'important c'est la définition du vecteur comme médicament. Je pense qu'un consensus commence à se former autour de cette définition tant pour l'ex vivo que pour l'in vivo.

On ne peut pas envisager qu'une préparation de cellules autologues purifiées soit un médicament, mais une cellule immortalisée permet de faire une banque de cellules, et de traiter un grand nombre de malades ; à ce moment-là, on peut tomber dans la définition du médicament.

Les maladies génétiques touchant peu de malades sont un problème. A Transgène nous voulons développer des traitements pour le VIH, le cancer mais aussi les maladies génétiques peu fréquentes. Il est nécessaire de créer un cadre législatif pour les médicaments orphelins comme il en existe déjà aux Etats-Unis et au Japon.

Il y a des questions éthiques, de brevets qui reviennent beaucoup. En terme éthique, je pense que la différence entre la thérapie génique somatique et la thérapie génique de lignée germinale, reste une séparation éthique essentielle. Je signale qu'à l'avenir, la thérapie génique des maladies génétiques, va devoir traiter les enfants précocement, voire avant la naissance d'où des problèmes éthiques.

M. Claude HURIET - Merci beaucoup pour cet exposé très complet.

Je voudrais revenir sur la masse critique des structures de recherches. Selon vous, ces structures sont trop éclatées en France, nuisant ainsi à l'efficacité de la recherche. D'autres intervenants nous ont dit qu'il fallait respecter ces structures qui, pour certaines, pouvaient aboutir à des résultats.

Pouvez-vous définir plus précisément ce concept de masse critique ? Y a-t-il des éléments pour apprécier l'équilibre entre un ou quelques gros pôles et leurs risques et un éclatement ?

M. Michael COURTNEY - La notion "d'identifier" les centres est importante dans ce contexte. Si les petites unités sont exclues, c'est contre productif. La notion de centre en thérapie génique est une bonne notion qu'il faut poursuivre mais c'est plutôt une constatation, car malheureusement je n'ai pas vu d'études détaillées sur la question.

Aux Etats-Unis, l'effort en matière de personnel et d'équipement est bien au-delà de ce que l'on trouve dans nos instituts.

M. Jean-Paul CANO - Vous dites qu'à terme de cinq ans, la nature du véhicule (du vecteur) va changer, pensez-vous que nous nous organisons en France pour faire face à ces évolutions technologiques et être dans la compétition internationale ?

M. Michael COURTNEY - Nos compétences sont pertinentes (en biologie moléculaire, biochimie et immunologie), mais je crains que ce ne soit pas focaliser sur le problème, aussi faudrait-il renforcer l'activité.

M. Jean-Paul CANO - La renforcer ou la réorganiser ?

M. Michael COURTNEY - Nous avons besoin de plus d'activité dans ce domaine, il y a très peu d'équipes de recherche impliquées.

M. Jean-Paul CANO - Vous êtes un des deux rares industriels présents dans ce secteur. Dans dix ou quinze ans, serons-nous des consommateurs de biens de biotechnologie et aussi des producteurs ?

M. Michael COURTNEY - En thérapie cellulaire, nous voyons déjà se dessiner la tendance.

L'avancée américaine dans le domaine des facteurs de croissance des cellules est importante. En thérapie génique, ce n'est pas acquis et il y a plus d'opportunités pour la France et l'Europe d'être compétitifs.

M. Jean-Paul CANO - Une chose m'inquiète : il y a de plus en plus de protocoles en thérapie génique pour le cancer et de moins en moins pour les maladies héréditaires. Ces protocoles représentent plus de 50 % des essais de thérapie génique !

M. Michael COURTNEY - La plupart des essais cliniques, au niveau mondial, ne sont pas des essais industriels et c'est donc le monde scientifique qui oriente la recherche. Dans les maladies génétiques, il y a beaucoup moins d'opportunités de stratégies de thérapie génique et thérapie cellulaire, que dans le domaine du cancer.

Les grands industriels vont certainement se lancer dans le domaine du cancer. En effet, Transgène est le seul industriel à s'intéresser à la myopathie de Duchenne.

Mme Christine-Lise JULOU - Pour les maladies génétiques les problèmes de vecteurs seront certainement résolus par les vecteurs non viraux... Quand nous aurons des vecteurs non viraux, sans problème de réaction immunitaire, cela sera plus facile pour prospecter dans les maladies génétiques. En fait, ces problèmes se retrouvent moins pour le cancer, d'où l'orientation de la recherche dans ce domaine.

M. Dominique MARANINCHI - On assiste en cancérologie, comme dans le Sida, au niveau des attentes sociales, à des investissements industriels et stratégiques à une nouvelle génération de défis. Est-ce que les industriels sont capables de mettre sur le marché de molécules de thérapeutique dont les bénéfices à long terme ne sont pas garantis ?

Aussi bien à la FDA que dans les commissions d'enregistrement en Europe, pour le Sida et le cancer, maladies extrêmement répandues mais orphelines d'avancée thérapeutique, on accepte de prendre le risque légitime de pouvoir faire bénéficier rapidement ce type de patients de possibles avancées. Pour la thérapie génique du cancer, je pense qu'il y a certes des problèmes de marché, mais d'autre part comme pour d'autres molécules, il y aura un pas à pas qui va se faire. C'est l'ensemble de la communauté qui est obligée d'apprendre les nouveaux procédés.

La question est : quels sont les bénéfices que peuvent tirer nos patients de ce type d'avancée ? En matière de maladies génétiques, je dirai que nous avons un devoir de ne pas passer à l'acte.

M. Claude HURIET - Partagez-vous l'analyse du Professeur Cano qui ne pense pas avoir des résultats évaluables au-delà de la phase II en matière de cancérologie ?

M. Jean-Paul CANO - Je pense que jouer l'avenir de la thérapie génique quant à son efficacité, son activité, uniquement sur la cancérologie, c'est peut-être prendre un risque.

M. Claude HURIET - J'ai trouvé sous la plume du président de l'AFM, une critique très virulente des orientations que vous venez vous-même d'évoquer. Les perspectives, préoccupantes pour "l'orgueil national", montrent qu'avec une évolution rapide de la vectorologie, les sciences fondamentales (virologie, immunologie) qui ont permis à la France d'être placée dans les premiers rangs dans la compétition internationale, supports des progrès en matière de vectorologie non virale, pourraient être un facteur de perte de puissance de la France dans ce domaine. Pouvez-vous nous dire quelles sont ces sciences fondamentales et quels sont les risques ?

M. Michael COURTNEY - Le problème n'est pas le manque de compétences en France.

Le premier problème : la biologie moléculaire de l'expression du gène va devenir de plus en plus importante. Pouvoir définir les structures génétiques permettant une expression des gènes de façon efficace dans différents tissus cibles, et permettant ainsi une persistance de cette expression est essentiel dans les maladies génétiques.

Les équipes ne sont pas vraiment focalisées sur ce type de recherche. On peut envisager un détournement, si on veut une stimulation de cette activité autour des différentes équipes qui sont à haut niveau sur l'expression des gènes.

L'autre domaine important, c'est la formulation de l'ADN pour permettre un transfert efficace de ce dernier dans la cellule. Ceci implique l'encapsulation et la compaction de l'ADN, le ciblage des cellules spécifiques et le transfert de l'ADN intracellulaire vers ce noyau pour l'expression des gènes.

Des compétences multiples sont nécessaires dans ce domaine : comprenant la biologie moléculaire, la biologie cellulaire, la biophysique, la pharmacologie pour l'administration in vivo.

M. Claude HURIET - On voit apparaître dans votre réponse la notion de réseau de compétence.

M. Jean-Paul CANO - En France, nous sommes à un virage et si nous prenions une nouvelle fois du retard, nous serions totalement dépendants de la technologie américaine.

Il faut recentrer sur certains sujets, sur certaines pathologies. Le développement de nouveaux vecteurs est un énorme enjeu.

Mme Marie-Paule SERRE - Je vais revenir sur l'habilitation des centres de recherche où se font des essais de thérapie génique. Vous avez introduit une distinction intéressante entre les protocoles de thérapie ex vivo, et in vivo. La traduction concrète n'est-ce pas dans un cas d'agréer des centres, et dans l'autre cas des protocoles ?

M. Michael COURTNEY - Le nombre, je ne le connais pas. A terme, le nombre de centres va augmenter en thérapie cellulaire in vivo... Les besoins, les conditions sont différents et pour la thérapie génique in vivo c'est certainement beaucoup moins compliqué. De limiter cela à un protocole, je pense que non, car actuellement les chambres des malades doivent être conformes aux confinements des organismes génétiquement modifiés.

M. Richard LERAT - Il a été souligné, lors des diverses auditions, l'importance de la valorisation de la recherche, et notamment le brevet. Quelle est l'approche de Transgène dans ce domaine et les éventuels problèmes ?

M. Michael COURTNEY - L'approche de Transgène, c'est de protéger la propriété intellectuelle et donc de déposer des demandes de brevets correspondant à toute invention sortant de nos laboratoires. Des problèmes particuliers, non, si ce n'est la question pertinente de la brevetabilité de gènes. Cette question a été repoussée en Europe, comme vous le savez.

M. Richard LERAT - Bien que la pratique des offices des brevets soit plutôt ouverte dans ce domaine ?

M. Michael COURTNEY - L'office suit les conventions.

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