N ° 13 5

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996


Annexe au procès-verbal de la séance du 14 décembre 1995.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1)

sur

l ' action communautaire en matière postale

(proposition d'acte communautaire E-474)

Par M. Gérard DELFAU,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : MM Jacques Genton, président ; James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Philippe François, vice-présidents, Nicolas About, Michel Caldaguès, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, François Lesein, Paul Loridant, Charles Metzinger, secrétaires ; Robert Badinter, Denis Badré, Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, MM Charles Descours, Ambroise Dupont, Jean François-Poncet, Yves Guéna, Christian de La Maléne, Pierre Lagourgue, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Guy Penne, Mme Danièle Pourtaud, MM. Jacques Rocca Serra, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, André Rouvière, Jean-Pierre Tizon, René Trégouët, Marcel Vidal et Xavier de Villepin.

INTRODUCTION

Depuis plusieurs années, le modèle français de service public est mis en cause par les initiatives prises au niveau communautaire dans le cadre de la réalisation du marché intérieur européen. Toutes les grandes entreprises françaises de service public - France Telecom, la S.N.C.F., E.D.F. et G.D.F., La Poste - sont aujourd'hui concernées.

L'action de ces grands services publics est fondée sur un certain nombre de principes - universalité, égalité d'accès, adaptabilité, neutralité -qui en font des outils indispensables de la cohésion sociale et de la politique d'aménagement du territoire. Le service public doit naturellement s'adapter pour fournir constamment la meilleure prestation possible aux citoyens, mais il demeure une notion d'avenir ; à ce titre, il mérite d'être défendu.

À cet égard, il est tout à fait positif que les chefs d'État et de gouvernement, réunis à l'occasion du Conseil européen de Cannes, aient reconnu dans une déclaration l'importance de ce sujet : « Le Conseil européen réaffirme son souci que l'introduction d'une plus grande concurrence dans de nombreux secteurs en vue d'achever la réalisation du marché intérieur soit compatible avec les missions d'intérêt économique général qui s'imposent en Europe, concernant notamment l'aménagement équilibré du territoire, l'égalité de traitement entre les citoyens -y compris l'égalité des droits et l'égalité des chances entre les hommes et les femmes- la qualité et la permanence du service rendu au consommateur ainsi que la préservation d'intérêts stratégiques à long terme ».

La Commission européenne a récemment présenté une proposition de directive sur le développement des services postaux communautaires et l'amélioration de la qualité de service. Cette proposition doit faire l'objet de toute l'attention du Sénat, dans la mesure où elle influencera profondément l'avenir de La Poste. Dans de nombreux quartiers urbains, comme dans les zones rurales, celle-ci est bien souvent le seul service public présent ; elle y assure des missions qui vont bien au-delà de l'acheminement du courrier.

C'est l'attachement à cette présence et à ces missions qui guidera le présent rapport dans l'appréciation qu'il portera sur l'action communautaire.

I. UNE AMBITION : RÉALISER LE MARCHÉ INTÉRIEUR EUROPÉEN EN MATIÈRE POSTALE

A. UNE DÉMARCHE RÉCENTE

C'est lors d'une réunion informelle des ministres des télécommunications à Antibes, en décembre 1989, qu'a été évoquée pour la première fois l'opportunité d'une action communautaire en matière postale. Cette démarche, qui s'inscrivait dans le cadre de la réalisation du marché intérieur, se justifiait par l'existence de nombreuses disparités entre les services postaux nationaux. Plusieurs étapes ont depuis lors précédé la proposition de directive aujourd'hui soumise aux institutions communautaires.

1. L'intérêt d'une action communautaire

L'action communautaire en matière postale prend place dans le cadre de la réalisation du marché intérieur européen, qui implique la mise en oeuvre de la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux.

Le trafic postal dans la Communauté représente environ 80 milliards d'objets par an, dont environ 3 milliards pour les échanges entre États de la Communauté. Les activités postales réalisent un chiffre d'affaires dépassant les 60 milliards d'Écus, soit 1,3 % du P.I.B. ; elles emploient plus de 1.500.000 personnes. Il s'agit donc d'une activité fondamentale au sein de l'Union. Par ailleurs, les services postaux présentent un caractère vital pour l'ensemble des activités économiques et sociales.

Il est donc important qu'une activité de cette importance puisse être exercée dans de bonnes conditions dans l'ensemble de l'Union européenne et que les flux d'objets postaux ne soient pas entravés par les grandes disparités existant entre les services postaux nationaux. Or, à cet égard, la situation au sein de l'Union européenne est aujourd'hui peu satisfaisante.

En premier lieu, il existe de nombreuses différences opérationnelles entre les opérateurs postaux, de sorte que l'interopérabilité entre les réseaux postaux des États membres est encore imparfaite, malgré les actions d'harmonisation entreprises par les postes elles-mêmes.

En second lieu, la qualité des services postaux est très inégale dans les pays de l'Union européenne, ce qui crée un effet frontière pénalisant les entreprises qui commercialisent leurs produits par la poste dans un autre État membre que celui où elles sont installées.

Dans le Livre vert sur le développement du marché unique des services postaux qu'elle a publié en 1992, la Commission européenne a donné quelques indications chiffrées sur les disparités existant entre les États membres en matière de qualité de service. En ce qui concerne le trafic interne aux États, la Commission observait que dans certains États la distribution le lendemain du jour de postage était assurée dans 90 % des cas, tandis que dans d'autres cet objectif n'était atteint que dans 15 % des cas. En ce qui concerne le courrier transfrontalier, le constat dressé par la Commission n'était guère plus positif puisque l'objectif d'une distribution dans les trois jours ouvrables suivant le postage n'était atteint que dans 40 % des cas, avec des différences notables suivant les opérateurs postaux.

Une étude plus récente (avril 1994) réalisée par le Bureau européen des Unions de consommateurs (B.E.U.C.) a montré de manière plus précise l'ampleur de ces disparités. À la fin de 1993, cette organisation a procédé à 6.240 envois entre 13 grandes villes, une dans chacun des États membres de l'Union à cette époque et une en Suisse. Seulement 53,2 % des lettres envoyées sont arrivées à destination trois jours ouvrables après leur postage. Seuls quatre pays ont, en moyenne, atteint le délai unique de J + 3 : l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France et le Luxembourg. Les Pays-Bas et le Danemark n'étaient pas loin de cet objectif, mais la Grèce était à la traîne avec un délai de J + 5,41.

Cette étude a en outre montré l'ampleur des disparités existant en matière de prix de l'affranchissement. Ainsi, pour les envois intra-communautaires, le tarif d'une lettre de 20g maximum varie entre 0,29 Écu en Espagne et 0,52 Écu en Allemagne. Pour les envois intérieurs, cet écart est plus important encore : 0,18 Écu en Espagne contre 0,52 Écu en Allemagne.

Il est tout à fait évident que les grandes disparités existant entre les services postaux au sein de l'Union européenne nuisent aux échanges intra-communautaires. C'est pour faire face à cette situation que les institutions communautaires ont souhaité entreprendre une action dans ce domaine au niveau européen.

Par ailleurs, la mise en oeuvre de textes au niveau communautaire présente l'avantage d'éviter que la réglementation applicable soit définie à la suite de litiges par la Cour de justice des Communautés européennes. La Cour a été saisie, au cours des dernières années, de nombreux différends relatifs à l'étendue des droits exclusifs ou spéciaux attribués aux entreprises exerçant une mission d'intérêt économique général. Jusqu'il y a peu de temps, la Cour faisait une interprétation très restrictive des possibilités de réserver certaines activités à un opérateur pour faire face aux obligations de service public qu'il assure. Dans ces conditions, il était préférable de définir un cadre réglementaire au niveau communautaire.

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