1.2. La CIPR développe également ses propres estimations de risque

1.2.1 La CIPR est une organisation non gouvernementale

Je ne voudrais pas commencer mon propos sans rappeler quelques éléments de base relatifs à la CIPR. Créée en 1928 sous le nom de Comité international de Protection contre les Rayons X et le Radium à la suite d'une décision du deuxième Congrès international de Radiologie, la Commission a été restructurée et rebaptisée en 1950. Elle a progressivement élargi son domaine d'intérêt pour tenir compte des utilisations croissantes des rayonnements ionisants et des pratiques qui génèrent des rayonnements et des matières radioactives.

Comme l'UNSCEAR, la Commission ne conduit pas elle-même ni ne commande de travaux de recherche. Elle étudie les publications existantes et s'appuie sur l'expertise de ses membres.

La Commission comporte près de 80 membres au total, nommés par cooptation et absolument indépendants de toute influence gouvernementale. La Commission s'attache cependant à maintenir un certain équilibre entre les nations. La Commission principale comporte 18 membres ; son président et son vice-président sont élus par leurs collègues pour des mandats de 4 ans ; le président actuel est le Pr. Roger H. CLARKE, directeur du National Radiological Protection Board (Royaume Uni), le vice-président est le Pr. Charles B. MEINHOLD, président du National Council on Radiation Protection and Measurements (États-Unis). Le mandat actuellement couru s'étend sur la période 1993-1997. Dans son travail, la Commission est épaulée de 4 comités spécialisés rassemblant chacun une quinzaine de membres :

- le Comité 1 est spécialisé dans l'évaluation des effets biologiques des rayonnements ; il est actuellement présidé par W. SINCLAIR (États-Unis) ;

- le Comité 2 travaille à l'établissement des limites dérivées ; il est actuellement présidé par A. KAUL (Allemagne) ;

- le Comité 3 traite de la protection dans le domaine médical ; il est actuellement présidé par H. JAMMET (France) ;

- le Comité 4 s'intéresse à la mise en pratique des recommandations de la Commission ; il est actuellement présidé par D. BENINSON (Argentine).

La Commission a publié son premier rapport en 1928, puis a organisé ses publications en série numérotée. La Publication 1 - ou également CIPR 1 - (1959) contenait les recommandations adoptées en septembre 1958 ; par la suite ces recommandations générales ont été revues et éventuellement modifiées dans les Publication 6 (1964), 9 (1966) et 26 (1977). La CIPR 26 fut amendée et élargie par une déclaration en 1978 et de nouveau par d'autres déclarations en 1980, 1983, 1984, 1985 et 1987. La CIPR publie également des recommandations sur des sujets plus particuliers : principes de surveillance de l'environnement liée à la manipulation de matières radioactives, protection contre les sources de rayonnement utilisées en médecine, protection radiologique dans les activités d'enseignement, évaluation des doses reçues du fait de l'irradiation interne, métabolisme du plutonium et d'autres actinides, protection des patients en radiothérapie, risque de cancer du poumon dû au radon et à ses produits de filiation, etc. Ce ne sont là que quelques exemples parmi les 70 publications publiées ce jour par la Commission ou certains de ses comités.

Le Paragraphe 10 de la Publication 60 définit précisément les objectifs des rapports de la Commission qui présentent des recommandations générales, et les limites de son intervention : "La Commission considère ce rapport comme devant aider les autorités réglementaires et consultatives aux niveaux nationaux, régionaux et internationaux en fournissant des orientations sur les principes fondamentaux sur lesquels on peut baser une protection radiologique pertinente. Compte tenu des conditions différentes qui prévalent dans les divers pays, la Commission n'entend pas fournir de texte réglementaire. Les autorités devront développer leurs propres systèmes de législation, de réglementation, d'autorisations, de codes de [bonne] pratique et de guides en accord avec leurs pratiques et leurs politiques habituelles. [...] "

1.2.2 La CIPR a développé le concept de « détriment »

L'un des objectifs de la Commission a été d'évaluer l'ampleur du tort causé à une population (et à ses descendants) par une exposition aux rayonnements ionisants. Pour cela il lui fallait aller au delà des estimations de risque fournies par l'UNSCEAR dans ses rapports successifs. Celles-ci ne concernent que le risque de décès par cancer radioinduit.

Dans sa Publication 26, la Commission a introduit le concept de détriment pour identifier, et si possible quantifier, tous les effets délétères des rayonnements. Le détriment doit ainsi prendre en compte non seulement la probabilité d'occurrence d'un effet délétère mais aussi sa gravité estimée. Le détriment devrait normalement intégrer les effets non sanitaires (stress, pertes économiques...). Dans la pratique il est nécessaire de se limiter à l'évaluation du détriment sanitaire uniquement. Celui-ci a donc pour objet de mesurer l'espérance mathématique de la gravité des effets sanitaires à subir par la population exposée, c'est-à-dire la somme, pour tous les effets sanitaires considérés, de la gravité de cet effet multipliée par sa probabilité d'occurrence :

détriment = Ó (probabilité d'occurrence x gravité)

effets sanitaires

On peut également interpréter le détriment (en lisant chaque produit en sens inverse) comme la moyenne des probabilités d'apparition des effets sanitaires, pondérés par la gravité attribuée à chacun de ces effets.

La CIPR 26 a considéré que la mesure de la gravité des effets pouvait être fixée à 1 pour les cancers mortels ainsi que pour la survenance d'effets héréditaires graves chez les descendants. D'autres facteurs, plus réduits, avaient été évoqués mais jamais précisés pour les autres effets. Les probabilités d'occurrence étaient tirées des rapports de l'UNSCEAR.

Cette conception du détriment, plutôt rudimentaire, s'est élargie et affinée dans la Publication 60. La Commission a en effet jugé que l'approche précédente s'était révélée utile mais trop limitée. En particulier le concept de détriment au sens de la CIPR 26 ne prenait pas en compte les causes de mort concurrentes, l'exclusion mutuelle de certains effets des rayonnements ainsi que des difficultés pratiques dans la détermination effective des probabilités et gravités à utiliser.

Cependant la Commission a souhaité conserver le détriment comme instrument de mesure du risque pour trois raisons :

- il est utile pour déterminer les conséquences d'expositions continues ou cumulatives aux rayonnements ;

- il peut être utilisé pour comparer les conséquences de différentes distributions de dose à l'intérieur de l'organisme et par là même conduire à la détermination des facteurs de pondération pour les tissus ;

- il peut fournir une référence pour certains procédés de protection radiologique (principalement la mise en pratique des principes de justification et d'optimisation).

Sauf pour la détermination des facteurs de pondération dans les tissus, la Commission a abandonné l'approche intégrée du détriment, qui consistait à exprimer en une seule valeur numérique le tort causé à la population. Elle a adopté à sa place un "concept multidimensionnel" qui intègre quatre composantes principales pour le détriment entraîné par une exposition du corps entier à de faibles doses de rayonnement :

- risque de cancer mortel dans tous les organes concernés ;

- prise en compte spécifique des différences dans les périodes de latence (25 ( * )) qui conduisent à des pertes de durée de vie différentes selon les organes frappés par les cancers mortels ;

- morbidité due à l'induction de cancers non mortels ;

- risque de maladie héréditaire grave dans toutes les générations futures qui descendront de l'individu irradié.

Les résultats issus des évaluations de ce détriment sont utiles pour forger un jugement sur la gravité globale de l'exposition.

1.2.3 La CIPR a procédé à diverses évaluations du risque « vie entière »

J'ai indiqué précédemment que les études épidémiologiques donnaient des résultats relativement bruts. Par exemple l'étude des survivants japonais permet - entre autres - d'établir des tableaux donnant le taux de mortalité par cancer à un âge donné en fonction de la dose reçue, pour divers âges à l'exposition (ou pour diverses tranches d'âge, pour des raisons pratiques). L'interprétation et l'utilisation de tels résultats nécessitent la construction d'indicateurs numériques beaucoup plus complexes. Il est en particulier intéressant de construire un indicateur de risque « vie entière » qui sera utile pour déterminer le risque supporté par une population composite d'âges diversifiés. Ce risque peut être défini et calculé de différentes façons.

La première évaluation effectuée par la CIPR a les mêmes objectifs que celles faites par l'UNSCEAR et d'autres institutions : il s'agit d'évaluer un risque vie entière pour une exposition unique. La Commission forge son jugement (§ Bl13 de la CIPR 60) sur la comparaison de diverses estimations : celle de l'UNSCEAR, celle du comité spécialisé de l'Académie des sciences américaine et une estimation pratiquée semble-t-il pour les besoins propres de la Commission, fondée sur la prise en compte des sensibilités différentes des divers organes et de l'influence de paramètres tels que le sexe, l'âge, les modèles de transfert entre différentes populations... Cette dernière estimation a été publiée en 1991 sous la signature de MM. LAND et SINCLAIR.

La seconde évaluation a pour objectif de déterminer le risque vie entière pour des personnes subissant des expositions continues :

- tout au long de leur vie (0 à 100 ans) en vue de fournir des éléments d'appréciation pour les besoins de la protection du public ;

- tout au long d'une vie professionnelle (18 à 65 ans) pour les besoins de la protection des travailleurs.

Les calculs nécessaires à ces évaluations sont complexes. Ils sont présentés à l'annexe C de la Publication 60 et je ne me hasarderai pas à les présenter ici. Le Dr. ESTEVE en fait une appréciation plutôt critique dans l'annexe qu'il a rédigée pour le rapport 1995 de l'Académie des sciences : "En pratique, considérant la méthode de calcul et le fait qu'elle revient plus ou moins à considérer que le risque pour une personne dépend essentiellement de sa dose cumulée, on pourrait [opérer différemment] ce qui éviterait de donner une fausse apparence scientifique à ce genre de calcul. "

Quoi qu'il en soit, ces risques vie entière pour des expositions prolongées ont été calculés à partir de coefficients fondamentaux donnés par l'UNSCEAR dans son rapport de 1988. Rien d'étonnant alors à ce que les modifications intervenues à l'occasion du rapport UNSCEAR de 1988 aient profondément influencé les références de jugement de la CIPR dans sa Publication 60.

* 25 Un cancer provoqué par une exposition unique ne s'exprime qu'après une période de latence, qui dépend de la nature de ce cancer, on retient généralement 2 à 5 ans pour les leucémies, une dizaine d'années pour les cancers solides.

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