PERSONNELS DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

M. Max LONGERON - Directeur régional de la protection judiciaire de la jeunesse de la région Ile-de-France

M. Bernard CASSAGNABERE - Éducateur au Havre

Mme Marie-Claude DAUPHANT - Éducatrice à Grenoble

M. Bernard CASSAGNABÈRE , éducateur au Havre - Tout d'abord, c'est avec surprise que j'ai appris que j'allais, en compagnie d'autres collègues, m'exprimer devant vous en tant que personnel de la PJJ.

Cela dit, le poids risque d'être lourd, puisque j'arrive d'un gros SEAT, celui du Havre, où nous n'avons pratiquement que des mesures pénales, c'est-à-dire presque tout le champ pénal relatif à l'ordonnance de 1945...

De plus, j'ai la particularité d'être un éducateur qui se pique d'aimer le droit, d'y passer beaucoup de temps et de l'étudier pour le plaisir à l'université. En outre, je ne suis pas un pur produit de la PJJ, puisque j'ai longtemps exercé au sein de l'éducation nationale, dans une zone d'éducation prioritaire, en tant qu'instituteur spécialisé. Ne soyez donc pas surpris si, dans mes propos, se mêlent des bribes de droit et des rappels à mes souvenirs pédagogiques...

Au Havre comme ailleurs, la délinquance a changé, tout comme a évolué le regard porté sur elle. Effectivement, il n'est qu'à lire la presse ces derniers temps pour s'apercevoir que le constat de ce matin est valable au Havre, puisqu'on y brûle des voitures, on y attaque des professeurs, des pompiers, etc.

Cela dit, si je suis d'accord avec ce constat, je voudrais préciser que les éducateurs, au Havre, ont le plus souvent face à eux des mineurs qui ne se posent pas en termes de refus de l'orthodoxie des normes, mais des jeunes tellement « non-intégrés » qu'ils méconnaissent toute autorité, fût-elle morale, politique, religieuse, familiale ou symbolique.

Un éducateur a fait une étude très précise sur les mineurs suivis par le SEAT du Havre et a noté que 80 % vivaient dans des familles dont le père était absent -divorce, enfant naturel, décès- ou manquant -statut de père déchu, à cause du chômage, de l'alcoolisme, ou du conflit de culture pour les enfants d'origine maghrébine et, de plus en plus, noire africaine...

Il est aussi notable que le plus grand nombre de mineurs que l'on suit ont un très faible niveau scolaire. Pour la première fois depuis quatre ans, nous suivons deux mineurs qui ont le niveau bac. La plupart sont à peine du niveau du CE 2-CM 1, et sont souvent à la limite de l'illettrisme. Quand on travaille avec eux, c'est pour leur faire passer le CFG, certificat de fin d'études générales qui reconnaît aux jeunes une qualification minimum -savoir à peu près lire, s'exprimer et faire trois des quatre opérations...

En même temps, la perception a changé, puisqu'on est directement passé de l'adolescence et de l'enfance à un nouveau statut, mal défini, celui de "jeunes", concept flou qui semble se confondre avec l'adolescence, mais recouvre un groupe social qui s'étendrait au-delà de la majorité, jusqu'à 25 ans environ.

C'est ce qu'on a pu constater lors de la consultation "Faites agir vos idées !", où il était accordé aux jeunes un pouvoir réel, puisqu'il était écrit : "Le Gouvernement tiendra compte de vos réponses"... Une frontière symbolique a donc été abolie, puisqu'on passe directement du statut d'enfance qui se tait à celui de jeunes qui semblent avoir une certaine forme de responsabilité reconnue.

L'adolescence étant moins balisée, les éléments symboliques qui marquaient le passage de la rupture avec les parents ont disparu. C'est pour cela, selon moi, que beaucoup de jeunes sont perdus et organisent de nouveaux rites de passage, face à des parents de plus en plus absents ou manquants.

De plus, il faut reconnaître que, dans ce contexte, l'avènement d'instruments juridiques nouveaux, comme la Convention Internationale pour les Droits de l'Enfant, troublent l'image. Même si la CIDE n'est prise en compte que partiellement mais néanmoins dans une large mesure par le droit français, je ne trouve pas choquant, mais plutôt lucide, lorsque plus de 30 % des enfants sont issus de familles monoparentales et que le taux de chômage y est supérieur à 45 %, d'envisager que certains parents et adultes considèrent que les droits des enfants les libèrent de certaines de leurs obligations.

C'est peut-être pour cela que je ne vais pas toujours aller dans le sens des éducateurs... Le mineur délinquant est alors considéré comme ayant de plus en plus de droits, mais aussi de plus en plus de responsabilités, face à la société et face au juge. Dans la relation triangulaire "enfants-famille-État", le mineur délinquant risque d'être une victime des avancées de ses droits et d'être mis très rapidement en face de la contradiction "protection-responsabilité", contenue dans la CIDE.

Face à cela, beaucoup exigent une réponse ferme et que le rappel des contraintes soit fort. Cette aspiration n'est pas sans ambiguïté, puisqu'elle consacre une demande de transfert de la responsabilité de l'entourage éducatif -parents, enseignants, éducateurs- vers le droit et le juge, exprimant ainsi une grande inquiétude de la part de l'ensemble de la société.

Il était envisageable de traiter une délinquance liée à des troubles graves, pathologiques. Il était facile d'accepter une délinquance classique et initiatique liée à l'adolescence. Il est plus délicat de traiter une délinquance que l'on a qualifiée "d'exclusion", finalement plus effrayante, que de faire face à des jeunes qui n'ont plus aucun repère et qui mettent à mal tous les nôtres !

Le projet de loi qui nous est présenté peut-il répondre aux questions que les éducateurs se posent, au Havre comme ailleurs ? L'exposé des motifs cerne bien la situation. Pourtant, pour une grande part, le projet peut sembler inutile au regard des buts poursuivis et peut avoir également des conséquences néfastes...

S'il existe une partie intéressante dans ce projet, c'est bien pour moi la césure pénale. Au regard de la convocation par OPJ, elle constitue un progrès. Cependant, étant aussi un ancien pédagogue, il me semble regrettable que le parquet n'y soit pas associé. En effet, il faut que les jeunes comprennent que la fonction du juge n'est pas la même que celle du procureur. À vouloir tout confondre, on est en train de passer à côté de quelque chose de symbolique, et donc d'important au vu des repères dont manquent ces jeunes...

Par ailleurs, pour moi, l'impunité est mythifiée. Comment ne pas noter que le chiffre des mineurs incarcérés est en augmentation depuis trois ans ? 2.744 en 1993, contre 3.199 en 1995... Pourquoi ne pas dire que depuis le début de l'année, dans certaines cours d'appel, il y a eu pratiquement autant de mineurs incarcérés que pour toute l'année 1995 ? Pourquoi ne pas dire non plus que les circulaires de 1991 et de 1994 concernant les mineurs détenus sont très rarement appliquées ? Les prisons deviennent des États de non-droit, et ce n'est pas concevable ! L'incarcération existe, mais dans des conditions qui la rendent inacceptable !

Au Havre, les mineurs incarcérés sont parfois davantage punis que les majeurs incarcérés, puisque ces derniers peuvent voir leur famille, l'incarcération se faisant au Havre, alors que l'incarcération des mineurs se faisant à Rouen, les jeunes Havrais ne voient que très rarement leur famille ! Pourtant, la volonté de créer des quartiers de mineurs est intéressante...

Que dire encore de la durée des détentions provisoires, qui s'allonge ? Pourquoi ne pas signaler que l'application conjuguée des articles 9 et 11 de l'ordonnance de 1945, d'une part, et des articles 179 et 181 du code de procédure pénale, d'autre part, permettent de rallonger la détention provisoire d'un mineur dont le dossier est renvoyé par un juge d'instruction devant le tribunal pour enfants ? Le mineur peut ainsi rester incarcéré deux mois supplémentaires !

Ces pratiques s'étendent et le mineur se trouve de plus en plus confronté à des détentions longues. Il serait d'ailleurs intéressant que l'on rende inapplicables aux mineurs en détention provisoire les articles 179 et 181 du code de procédure pénale.

Le mythe est pourtant parfois encouragé par d'autres pratiques. Je ne pense pas que l'impunité doive être la règle. Il faut savoir que plus de 54 % des dossiers concernant des mineurs sont classés sans suite, alors que nous sommes nombreux à être persuadés que les actes commis sont révélateurs d'un malaise et, souvent, d'une nécessité de prise en charge. De même, il nous faut nous battre sur le terrain -au Havre comme ailleurs- pour persuader les enseignants de porter plainte en cas de délit à l'intérieur des collèges, et pour les convaincre que la loi et son application sont le signe des valeurs républicaines et démocratiques que l'enseignement est chargé de transmettre ! Cela évolue très rapidement, mais il a fallu se battre...

On peut aussi dire que dans certains quartiers, le refus de la prise de plainte dans certains commissariats complètement débordés existe aussi. C'est d'autant plus dramatique que, dans ces quartiers, c'est un véritable acte de courage que de porter plainte !

Il faut dire aussi -bien que ce soit rare- qu'il existe encore des endroits où la dynamique de 1958 a fait oublier le pénal. Parfois, les juges des enfants ont du mal à prendre en compte l'ordonnance de 1945...

Cependant, la rédaction actuelle de l'ordonnance du 2 février 1945 contient pour moi des éléments de réponse au problème. À son arrivée à la Chancellerie, M. Toubon avait déclaré qu'il fallait utiliser toute la palette des textes existant avant d'envisager une quelconque modification législative. Je suis persuadé qu'il avait raison ! Pourquoi n'utilise-t-on pas plus souvent les déferrements au parquet ? Cette présentation marque une rupture de la dérive délinquante. C'est un acte symbolique et un rappel de la loi ! C'est actuellement possible dans l'ordonnance de 1945... Pourquoi ne l'utilise-t-on plus que lorsque cela se traduit par une détention provisoire ?

Or, la répression semble s'accroître. On sait pourtant que la prison n'est pas curative et qu'elle n'empêche pas la récidive.

À l'inverse, la non-application de la présentation au parquet ou la non-application rapide de la présentation par OPJ donne au mineur, qui peut être conduit à la récidive, le sentiment de l'impunité.

Tout cela pourrait être évité par l'application des articles 5 et 12 de l'ordonnance de 1945. Si ce n'est pas le cas, c'est par lassitude et par manque de moyens. Il est vrai que cela nécessite une mise en place au niveau des parquets, des juges des enfants et des SEAT, ainsi qu'un investissement extraordinaire, d'autant que les placements imposés fonctionnent de moins en moins... Toutefois, quand les juges sont là depuis un certain temps, les délais sont bons ! Là encore, je pense que l'ordonnance de 1945 contient en elle-même des possibilités de régler le problème de l'impunité.

Par ailleurs, pour moi, éducateur, la loi doit être un outil pédagogique avant d'être un outil répressif. La loi est un moyen de normalisation sociale : elle aide à la construction de l'individu. Beaucoup de philosophes l'ont écrit, des psychologues et des psychanalystes l'ont répété depuis longtemps, et l'ordonnance du 2 février 1945 le permet. Le Doyen Carbonnier a écrit en 1979, dans son « Essai sur les lois » : "La loi a vocation à s'adresser aux usagers plutôt qu'aux techniciens de justice". En fait, il semble que les réformes proposées s'adressent plus aux techniciens de justice -juges et procureurs- qu'aux mineurs.

Les promoteurs de l'ordonnance de 1945 n'avaient pas pensé un seul moment que l'ordonnance pouvait résorber le phénomène de la délinquance juvénile. Il s'agissait d'individualiser la réponse éducative aux mineurs délinquants. Or, si on accroit le rôle du parquet, on va transformer la loi en en faisant un outil de politique pénale. Je ne suis pas contre la politique pénale, mais il faut bien dire qu'on prend le chemin d'un retournement de l'ordonnance de 1945 !

Cela a aussi ses nécessités, cependant on risque de connaître un accroissement de l'incarcération des mineurs, dont le nombre est déjà en augmentation. Si on rapproche le délai de jugement, de plus en plus de mineurs n'auront pas le temps de prouver qu'ils ont été capables d'évoluer. À plus forte raison s'ils sont détenus, on les mettra dans les plus mauvaises conditions lorsqu'ils passeront devant le tribunal.

Je crois donc qu'il faut supprimer l'application des prolongements possibles de la détention des mineurs lorsque le dossier est transmis par un juge d'instruction. Je trouve affligeant qu'un mineur ne sache pas quel droit lui est donné. Est-ce le droit des majeurs ? Si son dossier est chez un juge des enfants, cela représente un mois plus un mois, ou quatre mois plus quatre mois ; si son dossier est chez un juge d'instruction, c'est le droit des majeurs, avec un risque de rester deux mois de plus. C'est un cri du coeur....

M. le président - Je vous remercie. La parole est à Mme Marie-Claude Dauphant, éducatrice à Grenoble...

Mme Marie-Claude Dauphant , éducatrice à Grenoble.- Depuis ce matin, j'ai assisté à un large tour d'horizon, complet, et d'une grande tenue.

Je voudrais tout d'abord lever un quiproquo... Monsieur le Présidait, vous avez précisé que la commission allait entendre des éducateurs de rue. Or, je suis entrée à l'éducation surveillée pour être précisément éducatrice de rue, mais ce n'est pas ce que nous faisons. J'espère que ma présentation vous permettra de le comprendre...

J'exerce mes fonctions au Centre d'Action Éducative de Grenoble, et j'interviens concomitamment dans le registre de l'assistance éducative et dans le registre pénal. Dans ce cadre, j'exerce plus particulièrement ce que j'appellerai des "mesures d'aide contrainte", dont je trouve qu'elles ont leur intérêt.

Je n'évoquerai pas les mérites de cet acte fondateur essentiel qu'est l'ordonnance de 1945, n'étant pas technicienne du droit. Si nombreux sont ceux qui, ces temps-ci, ont vanté ses mérites, qu'on pourrait presque oublier que ses visées humanistes étaient souvent contredites par son application concrète dans certains lieux d'accueil !

En tout cas, en 1969, lorsque je suis entrée à l'éducation surveillée, il y avait encore beaucoup à faire pour que ce pari de l'éducabilité prenne corps, L'éducation surveillée ne s'était pas encore totalement dépouillée de son vêtement carcéral. L'uniforme et le rasage de cheveux avaient encore cours dans certains lieux d'hébergement.

Je me souviens de cet élan qui nous portait à imaginer d'autres prises en charge, que nous espérions plus efficaces et plus respectueuses de l'être humain, dans de petites structures de quinze à vingt jeunes. Rappelons qu'à l'époque, la majorité était à 21 ans et que, souvent, c'étaient de jeunes gaillards !

Nous tournions alors le dos aux maisons de redressement. 1968 nous avait apporté une autre idée de l'éducation, imprégnée il est vrai du slogan : "il est interdit d'interdire". Depuis, nos institutions sont traversées par d'autres pratiques. D'un excès à l'autre, nous avons, me semble-t-il, trouvé l'équilibre qui nous permet tout à la fois d'aller à la rencontre de l'adolescent, même s'il ne l'a pas souhaité de prime abord, d'entendre sa souffrance et de l'aider à se responsabiliser.

Mais il s'agit d'un équilibre difficile à tenir, précaire. C'est sans doute pour cette raison qu'une grande attention est portée à tout remaniement de l'ordonnance de 1945, et que, chaque fois, surgit la crainte qu'elle puisse nous entraîner vers une politique sécuritaire.

Pourtant, dès 1951, ce texte recevait un premier toilettage. Bien d'autres tentatives -même si elles n'ont pas toutes abouti- ont suivi. C'est pourquoi, a priori, je ne trouve pas choquant que l'ouvrage soit remis une fois de plus sur le métier.

Il n'empêche que cette hâte, cette urgence pour ainsi dire, ont surpris. En effet, en 1995, Monsieur le Garde des Sceaux, vous vous engagiez à travailler -selon vos propres termes- "à textes constants". De surcroît, ce projet est déposé devant le Parlement sans que soient attendus les résultats de la mission confiée à M. le sénateur Rufin.

J'ajouterai que les statistiques mises en avant par le rapport des commissaires de police, et très largement reprises, semblent contredites par les travaux du centre de recherche sociologique sur le droit des institutions pénales, qui évoquent une stabilité de la délinquance des mineurs.

En revanche, on peut s'inquiéter de la nature de ces délits, de la violence qui les accompagne et de l'âge précoce de leurs auteurs. De plus, nous ne faisons peut-être pas suffisamment de distinctions entre les mineurs et les jeunes, classe d'âge qui tend à s'étendre : où s'arrête la post-adolescence ?

Nous ne différencions pas suffisamment non plus les comportements qui peuvent être incriminés des incivilités, que Sébastien Rocher, chercheur au CNRS, définit comme "une gamme de désordres généralement considérés comme mineurs, d'autant qu'ils ne font pas souvent de victimes nominatives. Nous avons tous à l'esprit les plaintes des habitants des grands quartiers -nuisances sonores, dégradations diverses, insultes, etc. Rien ne se passe", ajoute M. Rocher, "... ou si peu. C'est plutôt un climat qui règne, un marquage de territoire".

Quant à l'impunité dont bénéficieraient ces mineurs, j'ai toutes raisons de douter, d'après ma propre pratique, qu'elle soit si répandue. Le taux de détention s'accroît, la durée de la détention s'allonge, et les sanctions pénales augmentent au regard des mesures éducatives. Je connais des jeunes pour qui la fonction pénale se double de surcroît d'une autre sanction... Je vous parlerai de cette jeune fille qui, condamnée parce qu'elle avait porté un coup de couteau à l'une de ses camarades lors d'une bagarre, ne trouve pas actuellement de place à l'école, alors qu'elle est à peine âgée de quinze ans et qui lui reste un an et demi à faire, bien que cet événement se soit passé en dehors du circuit scolaire et que les investigations psychologiques et psychiatriques soient plutôt bonnes. D'ailleurs, elle n'a été condamnée qu'à une liberté surveillée...

La défense des mineurs, bien qu'elle ait évolué depuis 1993, me semble devoir progresser encore. D'ailleurs, je suis étonnée du nombre de jeunes qui ne connaissent pas la place que peut prendre l'avocat. Nous nous appliquons à leur expliquer. Je pense par ailleurs qu'il est nécessaire qu'il y ait un tiers entre le juge des enfants et le jeune. Cette place me semble avant tout être celle de la défense.

Je ne reviendrai pas sur ce que mon collègue a dit à propos d'institution scolaire. Je me réjouirai plutôt de la convention qui va avoir lieu entre le parquet, la protection judiciaire de la jeunesse et l'éducation nationale.

Pour en terminer, je dirai que, malheureusement, la perte de l'esprit civique me semble bien répandue -et dans tous les milieux. Elle n'appartient pas qu'aux jeunes ! Quels modèles sommes-nous pour nos jeunes ?

Ces précautions étant prises, venons-en aux objectifs assignés à la réforme... Lors de sa présentation à l'Assemblée nationale, le Garde des Sceaux expliquait qu'il s'agissait de parvenir à une meilleure rapidité et efficacité de la réponse judiciaire à la délinquance des mineurs. Raccourcir le délai entre le délit et la comparution devant l'autorité judiciaire me semble un souci ancien et constant de nombre d'éducateurs de la PJJ.

Nous savons bien que lorsqu'il s'écoule un temps trop long entre le délit et la comparution devant l'autorité judiciaire, voire entre le délit et son jugement, le jeune ne comprend pas, ou comprend mal ce qui se passe. Si, en 1946, comme l'a noté M. Chazal, il fallait, dans la Seine, compter six semaines pour qu'un jeune soit jugé en audience de cabinet, et deux mois en tribunal des enfants, j'ai vu -il est vrai il y a longtemps : depuis, les choses se sont bien améliorées sur Grenoble- ce délai culminer à trois ans !

Pour autant, je ne peux manquer de signaler qu'un des premiers remèdes à mettre en oeuvre contre ces lenteurs serait de donner davantage de moyens. Je connais trop bien les cabinets des juges des enfants, surchargés...

Un effort serait également à faire pour les personnels de secrétariat, les greffes : ce sont eux qui assurent la transition des informations. Il n'est pas rare en effet qu'entre le moment où l'ordonnance est prise et celui où elle arrive dans nos institutions, un mois à un mois et demi se soit écoulé. De surcroît, ce n'est pas sans remords ni sentiment de culpabilité que nous sommes parfois amenés à les mettre en attente.

Cela dit, le projet de réforme contient, de mon point de vue, des aspects positifs. Il en est ainsi de la césure du procès pénal. Reconnaître la culpabilité rapidement ne va pas à l'encontre d'un travail éducatif, bien au contraire sans doute ! Ce premier rappel à la loi ouvre la possibilité d'un travail éducatif.

Mais, comme il l'a été rappelé ce matin, l'extension de la césure au niveau du tribunal pour enfants rendrait possible un travail préparatoire au jugement. Je me permettrai de suggérer dans ce cadre un large emploi de la liberté surveillée préjudicielle. C'est une mesure qui a ma faveur, d'une part parce qu'elle permet un double emploi, celui de donner des informations au juge des enfants, mais aussi celui d'aller jusqu'au moment du jugement, c'est-à-dire accompagner ce jeune, l'aider à réfléchir, l'amener à se responsabiliser, éventuellement l'aider à envisager une réparation...

Je donnerai deux exemples où, malheureusement, cette liberté surveillée préjudicielle n'est pas intervenue.

Le premier exemple concerne un jeune, qui, violeur de sa petite soeur, a été l'objet d'investigations, qui sont terminées depuis bien longtemps. Il n'est toujours pas jugé. Il le sera, je pense, en septembre. Le délai sera d'un an environ, ce qui, en soi, n'est pas énorme, mais il se trouve que cela place la famille dans une fragilité extraordinaire, et qu'on va sans doute arriver à une scission complète de celle-ci.

Qui plus est, ce garçon a été décrit par les experts comme un pervers, et il y a lieu de craindre qu'il mette encore sa petite soeur en danger, puisqu'il rentre chez lui tous les week-ends, étant en internat scolaire. Je pense qu'une mesure de liberté surveillée aurait permis d'aider ce jeune, de sécuriser cette petite fille, et d'aider les parents à vivre cette grande difficulté -la mère dit qu'elle a engendré une monstre...

Le deuxième exemple est celui de cette jeune fille dont je parlais tout à l'heure, qui a le sentiment d'avoir gâché sa vie. Je pense que nous allons pouvoir rattraper les choses, mais il me semble que s'il y avait eu une liberté surveillée préjudicielle, il n'y aurait jamais eu rupture de la scolarité, et tout eût été plus facile, sans compter que cette jeune fille -enfermée chez elle par ses parents, qui, eux aussi, ont appliqué à leur manière une sanction- était très proche de la tentative de suicide...

De même, l'amendement adopté par l'Assemblée nationale, qui permet d'informer les parents de l'évolution de la procédure, me semble aller dans le sens d'une responsabilisation souhaitable. Que penser en effet de ces mineurs mis en examen ou sanctionnés pour avoir conduit sans permis la voiture d'un de leurs parents en présence de celui-ci ? Que penser de ces parents qui ne voient pas que leur fils revient avec une nouvelle paire de baskets coûteuse, ou qui ne s'émeuvent pas du matériel entreposé dans leur cave ?

Pourtant, là encore, il convient d'être prudent. Certaines familles, qui touchent le RMI, peuvent difficilement se présenter à chaque audience du TGI lorsque celui-ci n'est pas proche de leur domicile. De surcroît, on ne naît pas parent, on le devient, on apprend à le devenir, et ces parents-là méritent aussi une aide. On ne peut pas seulement les renvoyer à leurs responsabilités.

En ce qui concerne la convocation par officier de police judiciaire, bien qu'elle soit déjà en place, je ne peux pour l'instant formuler un point de vue critique en partant de ma pratique. Il me semble cependant que sa mise en oeuvre permettrait que ne soient pas classés sans suite une multitude de dossiers ! En effet, bien que la plus grande partie des mineurs -plus de 70 % je crois- ne commettent pas de deuxième délit, un certain nombre d'entre eux ne seraient pas venus réinterroger la justice par le mode de l'infraction s'ils avaient pu avoir une réponse rapide !

Je voudrais terminer en évoquant ma pratique, qui n'est pas celle d'une grande ville. J'interviens dans un secteur rural. Or, la carte du RMI se juxtapose parfaitement à la carte de nos interventions.

Certes, la justice ne peut pas remédier à tous les maux de la société, mais c'est pourquoi, pour moi, la première des urgences est de d'abord s'occuper de nos jeunes, de leur insertion dans le monde professionnel, dans le monde tout coule, afin qu'ils puissent -alors que la majorité est fixée à 18 ans- prendre leurs responsabilités, avoir un logement, un travail...

M. le Président - Je vous remercie. La parole est à M. Max Longeron, directeur régional de la PJJ de la région Ile-de-France...

M. Max LONGERON - En tant que directeur régional d'Ile-de-France, je ne ferai pas une analyse du projet de texte modificatif de l'ordonnance du 2 février 1945, mais je dirai comment, à partir de ce projet, en faisant des projections sur le fonctionnement des services et les équipements, on peut prévoir un certain nombre de propositions nécessaires.

Pourquoi y a-t-il aujourd'hui un projet de modification de l'ordonnance de 1945 ? L'élément central semble être le fait que les juges ne décident plus au titre de 1945, en tout cas pas en ce qui concerne l'action éducative.

Le second élément est le sentiment d'impunité. Les élus locaux affirment que seuls quelques jeunes créent l'ensemble des perturbations, et qu'il suffirait de résoudre cette situation pour régler l'ensemble des problèmes...

Parallèlement, le rapport d'un syndicat de commissaires de police va tout à fait dans le même sens, et accuse la justice et les éducateurs de ne plus traiter la délinquance des mineurs. D'où la nécessité d'intervenir, et le ministre de la justice, comme c'est son rôle, fait une proposition pour résoudre cette crise de société, qui fait que, depuis une vingtaine d'années -et j'utiliserai l'image d'un balancier- l'ensemble du traitement des mineurs se fait au civil.

Aujourd'hui, ce qui caractérise en grande partie ces mineurs en déshérence et ces délinquants réitérants, c'est le fait de n'avoir pas rencontré un adulte responsable. Or, les premiers responsables sont les parents. Je ne reviendrai pas sur la responsabilité primordiale de la famille dans ce domaine...

En second lieu, des institutions ont été mises progressivement en place pour aider les parents à prendre ces responsabilités. Il existe deux "circuits" : le circuit civil -la prévention- et le circuit pénal, où intervient depuis quelques années une transformation de la manière d'aborder les problèmes.

Depuis la décentralisation en 1986, les conseils généraux, les collectivités, ont en charge tout ce qui relève de la prévention spécialisée. Or, nous nous sommes rendu compte -et le préfet de la région Ile-de-France m'a chargé d'une mission sur ce thème- que sur l'ensemble des contrats de ville de l'Ile-de-France, très peu de lignes concernent la prévention spécialisée.

Concernant le circuit pénal, on a tendance à penser que celui-ci commence au tribunal. Or, le premier maillon de la chaîne pénale, c'est la police. En Ile-de-France, jusqu'à ces dernières années, il existait une institution policière spécialisée dans l'approche des mineurs délinquants. Il s'agissait des brigades départementales de police, rattachées aux directeurs départementaux de la sécurité publique.

Ces brigades ont totalement disparu en Ile-de-France, qui, sur une population totale de 13 millions d'habitants, compte pourtant près de 4 millions de jeunes de 0 à 19 ans. Or, la police a transformé les brigades des mineurs pour s'occuper des mineurs en danger et, depuis la loi de 1989, des enfants maltraités, et i1 n'y a plus d'organisation, avec des personnels volontaires, qualifiés, permanents, pour le traitement de la délinquance des mineurs. En fait, toute une population de mineurs délinquants échappe ainsi à la justice !

On ne peut bien évidemment que souhaiter que cette impunité cesse et que la responsabilité des mineurs soit véritablement prise en compte. De ce point de vue, le projet de modification de l'ordonnance de 1945 peut tenter de répondre à cette attente de la société...

La PJJ d'Ile-de-France, depuis 1945, a toujours trouvé des réponses adaptées à la société. C'est son rôle, mais les besoins sont aujourd'hui énormes. Rien que pour l'Ile-de-France, 75.000 jeunes par an environ sont suivis par l'ensemble des services de la PJJ, secteurs public et associatif habilité compris.

Ce n'est donc pas la PJJ qui va pouvoir répondre à l'ensemble des difficultés résultant de la délinquance ou du mal-être profond des adolescents. Que doit donc faire la PJJ, dont l'un des fondements premiers est l'intervention, et dont l'une des légitimités est l'ordonnance de 1945 ? ... Nous constatons aujourd'hui qu'aucune institution, à elle seule, ne peut trouver de réponse. Cette première constatation doit devenir un postulat.

Ces jeunes étant dans des situations fort complexes, il n'existe pas de solution simple. Prétendre le contraire, c'est avoir une vue très courte de la manière dont il faut répondre. Une des solutions enclenchées aujourd'hui est la mise en commun des solutions des uns et des autres, tout en sauvegardant la personnalité de chaque réponse, sous forme de classes-relais, montage entre les services de la PJJ et le ministère de l'éducation nationale.

Les classes-relais ont été inventées par l'éducation surveillée il y a plus de dix ans. Aujourd'hui, cette idée est reprise pour en faire une solution véritablement reconnue et appuyée par l'éducation nationale, qui dispose de moyens très importants.

Des conventions ont également été prises dans le secteur de la santé et dans les milieux psychiatriques. On sait en effet que beaucoup de ces adolescents réitérants ont à la fois des troubles du comportement, parfois de la personnalité.

Une des réponses est la délinquance, mais ils ont aussi d'autres types de réponses, qui doivent être prises en compte en même temps, voire alternativement, ce qui correspond totalement à l'esprit de l'ordonnance de 1945.

J'en viens maintenant plus directement aux incidences des articles 8-1, 8-2 et 8-3 que le projet de loi prévoit d'insérer dans l'ordonnance. C'est déjà le cas en Ile-de-France avec le traitement direct, mais il va être demandé de plus en plus d'interventions aux services éducatifs auprès des tribunaux. On a vu qu'ils devraient intervenir à des moments différents de la procédure. On peut donc imaginer que les interventions demandées au SEAT vont être multipliées par un nombre que l'on imagine mal...

Ce n'est pas qu'un problème de moyens. Le directeur régional de la PJJ ne peut que se tourner vers son administration pour demander des moyens. Cela peut toucher aussi au fondement même de l'intervention des éducateurs : à partir du moment où ils ne pourraient plus réfléchir pédagogiquement à la situation du mineur, ils seraient instrumentalisés et deviendraient de simples chercheurs de placements. On peut alors craindre qu'il n'y ait très rapidement plus besoin d'être éducateur pour pouvoir faire ce travail.

En second lieu, il faudra bien évidemment que les mesures de liberté surveillée préjudicielle -ou autres- puissent être prises en charge par d'autres éducateurs que ceux du tribunal. C'est déjà le cas aujourd'hui, d'une manière relativement minime. Cela peut le devenir de manière prioritaire, auquel cas les services de l'action éducative répartis dans les départements devront prendre ces mesures en charge. Serait-ce au détriment des mesures prises au titre de l'assistance éducative ? Il faut y réfléchir... Est-ce que cela risque d'occasionner un transfert de charges sur les conseils généraux ? C'est une question qu'il faut se poser dès aujourd'hui...

Il me semble qu'il existe des éléments très positifs dans ce projet de loi : importance de la responsabilisation des parents par rapport aux mineurs qui commettent des délits, place de la défense -et, dans ce domaine, il y a encore énormément de progrès à faire- et place de la victime qui, il faut bien le dire, est récente dans la justice des mineurs et surtout dans l'intervention éducative.

Depuis la rentrée de septembre-octobre 1995, on assiste, dans plus de la moitié des départements d'Ile-de-France, à une remontée spectaculaire des mesures ordonnées par les juges des enfants au titre de l'ordonnance du 2 février 1945, comme s'il y avait anticipation sur le projet de loi de la part des juges. Je ne sais s'il y a corrélation, mais on constate dans le même temps une montée importante de l'incarcération des mineurs : en effet, il n'y a jamais eu autant de mineurs incarcérés en Ile-de-France que ces jours-ci...

Par ailleurs, le nombre des mineurs incarcérés dans le cadre d'une procédure criminelle est de l'ordre d'une centaine, à un jour donné dans les quatre maisons d'arrêt d'Ile-de-France. N'y a-t-il pas en fait aujourd'hui une "criminalisation" de certaines procédures, pour permettre l'incarcération des mineurs de moins de seize ans, alors qu'il y aura à nouveau correctionnalisation devant le tribunal ? Il convient d'y être attentif, car si c'était le cas, cela pourrait avoir des conséquences éducatives dramatiques...

D'autre part, pour près des deux-tiers des mineurs de moins de seize ans, l'entrée dans la délinquance se fait directement par le crime, alors qu'ils étaient jusque là inconnus de tous les services sociaux, de police ou de justice. C'est un phénomène sur lequel il faudra continuer de se penche .... Dans ce domaine, la PJJ travaille en collaboration étroite avec les services pénitentiaires. Or, en Ile-de-France, seule une des quatre maisons d'arrêt -celle de Fleury-Mérogis- possède un véritable quartier pour les mineurs. Dans les trois autres, les mineurs sont incarcérés dans des conditions qui ne sont parfois même pas conformes à la loi et qui n'apportent malheureusement pas garanties éducatives minimum.

Je veux terminer en disant que l'incarcération n'est jamais un aboutissement, mais un passage, et il faut toujours penser, lorsqu'un mineur incarcéré, non au moment où il entre en prison, mais au moment où sortir !

M. le Président - Merci. La parole est au rapporteur...

M. le rapporteur - Je voudrais rassurer Mme Dauphant. Effectivement, j'ai été chargé par le Gouvernement d'une mission, qui a un double objectif, dans une première partie : tout d'abord, faire la mise a plat toute la législation qui couvre la protection judiciaire de la jeunesse ; en second lieu, "mener des analyses et des réflexions qui, grâce a l'implication des personnels de la PJJ, doit permettre de trouver les moyens de répondre au défi que représentent les difficultés croissantes rencontrées par une importante partie de la jeunesse, à un moment où celle-ci doit prioritairement être associée à la restauration du pacte républicain". Ce sont les extraits intégraux de la lettre de M. le Premier ministre...

Cette mission n'a toutefois rien à voir avec le rapport dont m'a chargé la commission des Lois concernant le projet de loi relatif à 1'ordonnance du 2 février 1945 sur la délinquance juvénile.

Il y a donc coordination parfaite, puisqu'il s'agit d'une complémentarité de la mission qui m'est confiée par le Gouvernement et du rapport dont le président de la commission des Lois et ses membres ont bien voulu me charger, concernant la délinquance juvénile et 1 application de l'ordonnance de 1945.

Par ailleurs, M. Longeron s'inquiète de la remontée spectaculaire des condamnations des jeunes délinquants, du nombre et de l'âge des mineurs, et du fait que ceux-ci tombent rapidement dans le crime. N'y a-t-il pas opposition entre la première partie de vos réflexions et la seconde, à propos de la montée de la délinquance, et notamment des crimes perpétrés par les jeunes délinquants ?

À travers les statistiques que j'ai pu réunir, votre réponse me permettrait une étude spéciale, et j'aurais voulu que vous me confirmiez plus précisément votre pensée sur ces deux points...

M. Max LONGERON - Les mineurs n'arrivent pas plus vite au crime. Un peu moins des deux-tiers, sur la centaine de mineurs incarcérés sur procédure criminelle en Ile-de-France, le sont pour un premier délit. Or, lorsqu'on veut s'attaquer à l'impunité des mineurs réitérants, on ne touche pas à cette catégorie...

Concernant le premier volet de votre question, les chiffres montrent effectivement une progression très importante de l'incarcération des mineurs en Ile-de-France : pour certains tribunaux, elle est de l'ordre de 300 % en deux ans...

M. le Président - Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention...

(La séance est levée à 18 heures 30).

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