III. BILAN GÉNÉRAL

ALLOCUTION DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN,
MINISTRE DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE,
DE LA VILLE ET DE L'INTÉGRATION

M. Jean-Claude Gaudin .- Monsieur le Président du Sénat, Messieurs les Présidents, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs, mes chers amis, le Sénat a pris l'heureuse initiative, un peu plus d'un an après le vote de la loi d'orientation du 4 février, d'organiser ce colloque destiné à faire le point sur l'application de ce que nous avons tous fini par appeler la "loi Pasqua".

Je profite de cette occasion pour rendre hommage à Charles Pasqua et à Daniel Hoeffel, comme le président du Sénat vient de le faire, ainsi que le président Jean François-Poncet, qui ont porté ce projet de loi, ensuite enrichi et voté par le Parlement, à l'issue d'un long débat.

Le rôle qui m'est assigné aujourd'hui consiste à faire un bilan général. Je me prête bien volontiers à cet exercice, sans doute aussi nécessaire qu'il risque cependant d'être un peu fastidieux. Aussi, pour corriger ce que la longue énumération de décrets intervenus, des fonds créés et des conseils mis en place pourrait avoir de rébarbatif, n'ai-je pas hésité, ne respectant peut-être pas exactement le cadre prévu, à compléter mon propos par l'exposé de quelques perspectives.

Mon intervention sera donc organisée en deux parties : le bilan un an après et quelles perspectives pour les années à venir ?

D'abord, le bilan. Il m'est d'autant plus facile de dire que beaucoup a été fait depuis le 4 février de l'année dernière que chacun sait que je ne suis en charge de l'aménagement du territoire que depuis un peu plus de quatre mois.

La plupart des textes réglementaires nécessaires à la mise en application directe de la loi ont été publiés. Dix-huit décrets, dont dix après avis du Conseil d'Etat, ont été pris. C'est ainsi que les instances créées ou rénovées par le législateur, notamment pour animer la réflexion collective et éclairer les choix du gouvernement, sont en place, qu'il s'agisse du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire, des conférences régionales, du Comité interministériel, des Comités de gestion des fonds d'intervention, de l'Observatoire des finances locales.

Le dernier décret des dix-huit publiés délimite les zones de revitalisation rurales dans lesquelles s'appliquent désormais exonérations fiscales et mesures concernant le logement.

Ces fortes incitations au développement de l'emploi et à l'installation des personnes dans les zones rurales les plus fragiles seront prochainement complétées par l'exonération des cotisations de Sécurité Sociale à la charge de l'employeur dans les zones de redynamisation urbaines et de revitalisation rurales pour les nouveaux emplois jusqu'au cinquantième salarié de l'entreprise. Il y a bien entendu équité, équilibre.

Je précède une objection qui ne manquera pas d'être faite tôt ou tard dans la journée : il est vrai que, du fait de la contrainte budgétaire, le fonds national de développement des entreprises, dont l'objet est de favoriser la création et le développement des entreprises dans les zones prioritaires d'aménagement du territoire n'a pu, jusqu'à présent, être mis en place.

En revanche, le fonds national d'aménagement et de développement du territoire, le fonds de gestion de l'espace rural, le fonds de péréquation des transports aériens, le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables ont bien, eux, été créés. Ce dernier, en augmentation de plus de 50 % par rapport à 1995, est doté de 3 milliards de francs en 1996. Voilà qui répond à une des premières préoccupations du président Jean François-Poncet et, j'imagine, du Sénat et de vous tous.

Au total, ces différents fonds mobilisent plus de 5 milliards de francs en faveur de l'aménagement du territoire. Alors, certes, il y a des diminutions ou des gels qui affectent certains d'entre eux. Mais globalement, les moyens sont là, dans une période où le gouvernement doit pourtant réduire les déficits budgétaires. Cela méritait d'être souligné.

Quant à la société chargée d'achever, d'ici à 2010, le canal à grand gabarit entre la Saône et le Rhin, elle est désormais constituée, à parité entre Electricité de France et la Compagnie Nationale du Rhône.

Le Premier ministre a récemment confirmé que les modalités de réalisation de cette liaison devaient, certes, être arrêtées dans la plus grande concertation, mais que cela ne saurait avoir pour effet de retarder le démarrage des premiers travaux.

Deuxième idée concernant la mise en application de la loi : toutes les procédures et les études prévues dans les domaines où la loi renvoie à des rapports, à des propositions ou à des projets de loi ultérieurs, sont engagées.

L'élaboration, monsieur le président, du schéma national d'aménagement et de développement du territoire a commencé dès l'automne dernier par la préparation de synthèses régionales, le recueil des propositions de chacun des départements ministériels et la conduite d'études prospectives sous l'égide du Commissariat général du Plan. Cinq commissions thématiques, présidées chacune par un membre du Conseil national de l'aménagement du territoire, ont engagé leurs travaux sur la base de ces contributions. Leur synthèse par la DATAR constituera l'avant-projet de schéma national qui fera ensuite l'objet de nombreuses consultations avant sa mise en forme définitive.

Pour nombreuses que soient, dans un souci de large concertation, les phases de la démarche, mon objectif est bien de présenter un projet de loi approuvant ce schéma avant la fin de cette année.

Parallèlement, les études préalables à l'établissement des schémas sectoriels de l'enseignement supérieur et de la recherche, des équipements culturels, des infrastructures de transport, des télécommunications et de l'organisation sanitaire, ont été engagées par les ministres responsables.

Je ne crois pas inutile de préciser que ces schémas seront définitivement arrêtés dans le respect des orientations retenues, bien évidemment, par le schéma national.

Avec les directives territoriales d'aménagement, l'Etat dispose par ailleurs d'un nouvel instrument lui permettant d'afficher clairement ses objectifs en matière d'aménagement, de développement et de protection des territoires présentant des enjeux d'intérêt national.

Le caractère novateur de cette procédure m'a conduit à proposer au gouvernement, en accord avec mes collègues chargés de l'urbanisme, des collectivités locales et de l'environnement, de conduire une expérimentation sur cinq sites : la Côte-d'Azur, l'estuaire de la Seine, les Alpes du Nord, l'aire métropolitaine de Marseille et l'estuaire de la Loire.

Chaque projet de directive est préparé par un préfet coordonnateur, sous la direction d'un Comité de pilotage interministériel dont le secrétariat est assuré par la DATAR.

Un plan pour le développement rural, destiné à compléter le dispositif s'appliquant dans les zones de revitalisation rurales -dont la préparation fait actuellement l'objet d'une consultation- sera présenté à l'automne.

Raymond-Max Aubert, délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, vous en parlera cet après-midi. Là encore, nous y tenons, vous voulons arriver à cette proposition de loi, de manière qu'il y ait toujours équilibre entre les efforts que nous faisons pour la France rurale et ceux en faveur des cités urbaines.

La notion de pays inscrite dans la loi fera l'objet d'une évaluation à l'issue de la période d'expérimentation qui s'achèvera en juillet prochain. J'ai déjà répondu à plusieurs questions sur les pays devant la Haute Assemblée.

La définition de la politique d'organisation du service public sur le territoire est, elle aussi, engagée. Des discussions sont en cours avec les grandes entreprises publiques aux fins de formaliser, notamment au travers des contrats prévus par loi, les objectifs d'aménagement du territoire qu'elles doivent prendre en compte.

Au plan local, les Commissions départementales sont progressivement mises en place en vue de l'élaboration des schémas départementaux de modernisation et d'amélioration des services publics locaux. Cela rejoint l'idée et la notion de pays que j'évoquais à l'instant.

Le Premier ministre a adressé des instructions en ce sens aux préfets et je rappelle ce que j'ai déjà dit devant la Haute Assemblée : ce ne sont pas les préfets qui font les pays, ils aident, ils conseillent, ils mettent à disposition ; les pays sont l'affaire des élus. Si vous avez besoin que je le leur dise moi-même, je le ferai. C'est effectivement à l'initiative des élus et des acteurs économiques et sociaux que les pays doivent se mettre en marche. Comme le Parlement est roi, le Parlement dispose.

(Applaudissements).

Les études nécessaires à l'engagement prochain dans quelques régions volontaires de l'expérimentation, qui doit conduire à confier aux régions la compétence de l'organisation des transports régionaux en matière ferroviaire, sont terminées. Mon collègue Bernard Pons doit rencontrer prochainement les présidents de conseils régionaux pour envisager concrètement le lancement de cette expérimentation, l'affaire est engagée.

Je parle avec la liberté de langage que j'ai apprise au Sénat : on ne refera pas aux régions "le même coup" que pour les lycées. Il y a dix ans, on leur a donné les lycées, mais dans un état de délabrement et de vétusté avancé. Il leur aura fallu dix ans pour rétablir le retard des vingt-cinq années précédentes. Il va de soi que les régions seront, pour certaines, favorables à la mise en place et à l'animation des réseaux de transports ferroviaires, pour autant que la question financière aura été préalablement réglée et qu'on ne leur fasse pas supporter des déficits.

L'une des orientations majeures de la loi, qui consiste à développer fortement la solidarité financière entre les collectivités locales, a reçu un début d'application. Le fonds national de péréquation permettant de conforter les ressources des communes, dont parlait le président Jean François-Poncet -celles-ci souffrant d'une insuffisance de recette de taxe professionnelle- a en effet été créé dès 1995. Il est doté de 615 MF en 1996. La suppression de la dotation globale de fonctionnement de l'Ile-de-France est engagée depuis 1995.

Les études nécessaires à l'établissement du rapport que le gouvernement doit déposer devant le Parlement, concernant la réduction des écarts de ressources entre les collectivités territoriales, sont, par ailleurs, en cours.

L'analyse des critères des charges des communes est pratiquement achevée. De même que celle des liens existant entre la richesse et la pression fiscale.

Des propositions relatives à la réforme du financement des collectivités locales seront formulées dès l'achèvement de ces travaux.

Enfin, le législateur a invité le gouvernement à lui faire des propositions pour simplifier l'intercommunalité et clarifier les compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales. Un prérapport relatif à l'intercommunalité sera prochainement remis aux élus dans la perspective d'une concertation courant avril 1996 et le rapport définitif pouvant servir de fondement à des modifications législatives sera pris avant l'été.

De tous ces sujets et de la clarification des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales qui entrent dans les objectifs de la réforme de l'Etat, Dominique Perben et Alain Lamassoure vous entretiendront plus longuement dans la journée ; c'est de leur responsabilité.

Vous le voyez, monsieur le président du Sénat, messieurs les présidents, mesdames et messieurs, l'effort des différents départements ministériels concernés est rien moins qu'intense, même si la phase de mise en application actuelle est moins spectaculaire que celle des débats qui ont précédé et accompagné le vote de la loi.

Maintenant, nous en arrivons aux perspectives. Voilà tout le bilan d'une année, ce n'est déjà pas mal. Il reste encore beaucoup à faire. La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire a aussi ouvert des perspectives de réformes plus ambitieuses, qui ne pouvaient être sérieusement concrétisées en une seule fois.

En outre, à l'intérieur du cadre et du programme de travail définis par la loi, des choix politiques restent à opérer. C'est ce contenu, pour l'avenir, qui m'importe maintenant.

S'agissant d'aménagement, mais aussi, ne l'oublions pas, de développement du territoire, deux aspects indispensables l'un et l'autre doivent être, selon moi, distingués : les politiques curatives à effet immédiat et les politiques d'anticipation à plus long terme.

Sur le premier plan, celui des politiques curatives immédiates, le gouvernement a fait ce qu'il fallait ; à la mise en place des mesures prévues dans les zones de revitalisation rurales ont correspondu des mesures fortes, prises en faveur des quartiers en difficulté, dont Eric Raoult vous entretiendra.

Le gouvernement a, par ces mesures, commencé de donner corps aux exigences d'équité territoriale et d'égalité des chances posées par l'article 1er de la loi d'orientation.

Il nous faut maintenant aborder une deuxième phase, celle des politiques à long terme, celle de l'anticipation.

S'agissant du long terme, je crois indispensable de dresser d'abord un constat des tendances en oeuvre, puis de caractériser les différents scénarios possibles. Je vous ferai part ensuite de mes propres convictions.

D'abord, s'agissant du constat de ce qui influera sur l'organisation du territoire, je voudrais rappeler une évidence, quelques tendances et tenter de repérer avec vous les prochaines ruptures.

L'évidence : le temps n'est plus où l'Etat faisait ce qu'il voulait, comme il voulait, quand il voulait. L'aménagement du territoire est désormais une compétence partagée avec les collectivités territoriales et notamment les régions. La politique régionale européenne pèse, quant à elle, de tout son poids.

Il faut donc s'assurer que ces trois principaux intervenants : l'Etat, l'Europe et les régions, ont bien une vision si possible commune, au minimum compatible du devenir du territoire de l'Europe, des États nations et de chaque région. Cette vision commune n'existe pas en soi, il faut y travailler, il faut l'élaborer.

Les tendances : le 21ème siècle sera marqué par la mobilité, celle des hommes, des capitaux, des entreprises, des marchandises, des informations. La nécessité d'aller plus vite, plus loin, plus fréquemment rendra perméables les frontières et fragiles les souverainetés. Localisations et délocalisations s'accéléreront.

Le 21ème siècle sera marqué aussi, j'en suis sûr -bien que je n'ignore pas qu'il y ait discussion sur ce point- par l'amplification du mouvement de métropolisation et de concentration urbaine.

En 1950, mes chers amis, il n'existait dans le monde que deux métropoles de plus de 10 millions d'habitants ; en 1990, 17 ; en 2015, selon les experts, il y en aura une trentaine.

La multiplication des autoroutes, des TGV, des liaisons aériennes intercontinentales favorise la polarisation des activités dans les lieux privilégiés d'articulation avec l'économie mondiale. L'Allemagne envisage l'émergence de sept à huit noeuds intercontinentaux ; l'Amérique une douzaine. En Allemagne, plusieurs villes déjà millionnaires en habitants sont susceptibles d'accueillir ces mutations : Berlin, Munich, Francfort, Hambourg, Düsseldorf. De même en Italie : Milan, Turin, Naples, Rome peuvent fixer cette évolution.

En France, pour l'instant, seuls Paris et l'Ile-de-France sont capables d'absorber cette vague de concentration et d'attirer, mais en les monopolisant, les flux internationaux. Il nous faut donc créer, sur le territoire, plusieurs aires de métropolisation attractives, pôles stratégiques d'articulation avec l'économie mondiale, de façon à soulager la pression démographique excessive qui s'exerce sur l'Ile-de-France, afin de capter une part plus importante des flux de développements économiques internationaux.

Maintenant, les ruptures : l'émergence des nouvelles technologies de l'information et de la communication constitue une révolution. L'information est déjà -et sera plus encore demain- la principale source de valeur ajoutée. Tout processus de production ira puiser de l'information à distance. Nul ne pourra y échapper, au risque de décliner. Nous devrons, au moindre coût pour l'usager, dans tous les territoires, développer les possibilités qu'offre la télématique et accompagner la révolution culturelle qu'induira inéluctablement l'apprentissage du télé-travail.

J'observe par ailleurs qu'une relation dialectique unit le mondial et le local. Plus la sphère de l'économie mondiale se développera, plus la sphère du local voudra, en réaction, s'organiser. C'est ainsi qu'il faut interpréter les demandes de décentralisation et d'identification locales.

Ce mouvement en faveur de l'organisation d'espaces de dimension modeste est fort. Il nous reviendra d'en tirer le meilleur parti pour structurer le territoire de façon polycentrique.

Enfin, les systèmes hiérarchiques où les instructions descendent du sommet vers la base me paraissent condamnés par les aspirations à plus d'interactivité et de décentralisation. Les réseaux de pouvoirs, de compétences de toutes sortes -systèmes complexes en train d'émerger- se multiplieront. Nous devrons faciliter et accélérer ce passage d'une géographie trop hiérarchisée à une France davantage en réseaux.

Compte tenu de ces tendances et de ces aspirations, quels sont les scénarios possibles pour l'évolution de notre territoire ? C'est bien cela qui nous intéresse.

Trois possibilités pourraient, me semble-t-il, s'affirmer.

La première : le retour à une France fermée sur elle-même, centralisée et hiérarchisée, régulée quasi exclusivement par la loi et l'autorité administrative. Cette tendance existe, elle conduirait à la rupture avec l'Europe et, en termes d'aménagement du territoire, au retour à Paris et au désert français, ce qui est bien connu.

Une France centralisée sous l'autorité de Paris, de la technocratie et de réseaux de savoirs et de pouvoirs qui aboutissent et partent de la capitale. Une France vieillissante en province, surtout au sud de la Loire, et dont les forces vives émigrent vers Paris et l'Ile-de-France pour tenter d'y trouver un emploi.

Nous devons lutter contre ce scénario -tout aussi inacceptable pour la capitale que pour la province- prendre le contre-pied en préconisant un renforcement de la décentralisation, de l'intégration à l'Europe et en mettant en place pour les espaces les plus démunis les aides nécessaires, comme ce qui a été fait pour les zones de revitalisation rurales et pour les zones de redynamisation urbaines sur lesquelles nous reviendrons cet après-midi.

Le deuxième scénario est celui de l'hégémonie de l'économie et de la dérégulation. Il conduirait à l'éclatement du tissu social et à la dislocation du territoire national. Un petit nombre de métropoles, grossissant en tache d'huile autour de quelques villes les plus importantes, se constitueraient sans solidarités avec le respect des territoires. Des villes-États comme le furent Gênes, Venise, Rotterdam apparaîtraient.

Le rêve de certains aménageurs américains n'est-il pas de constituer chez eux une douzaine de mégalopoles de 20 millions d'habitants et de laisser tomber le reste du territoire ? Ce scénario catastrophe est celui du "fil de l'eau" ; ne rien faire serait le choisir.

Reste le troisième, celui d'une France intégrée et maillée ; celui de l'ouverture externe et de la cohésion interne. Une France privilégiant, sur quelques grands espaces qui s'y prêtent, une organisation urbaine polycentrique, avec des villes nombreuses à taille humaine, séparées par des espaces de respiration fortement protégés. Une France possédant des provinces à forte identité, une France de solidarités entre territoires riches et pauvres, une France qui concilie impératif de compétitivité et cohésion nationale.

Pour parvenir à cette France plus polycentrique, que j'appelle de tous mes voeux, trois actions déterminées sont, à mon avis, nécessaires.

D'abord, il nous faut en vingt ans, de 1996 à 2015, redresser l'armature urbaine de notre territoire pour organiser plusieurs aires métropolitaines susceptibles de capter les flux internationaux.

Les projections démographiques, pour 2015, montrent que la population du quart sud-est de la France, avec les régions de Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Languedoc-Roussillon qui pourraient croître de 3 millions d'habitants, Lyon, Saint-Etienne au Nord, Marseille au Sud, mais aussi les villes que sont Grenoble, Montpellier, Clermont-Ferrand et Nice peuvent former une aire de métropolisation polycentrique qui constituerait un nouvel espace fort pour la France. En vingt ans, c'est possible.

De même de Toulouse à Bordeaux, dans le Val de Garonne, pourrait émerger un autre axe fort d'équilibre du territoire.

Dans l'Ouest : Rennes, Nantes, Angers peuvent créer, avec 3 millions d'habitants en 2015, une capitale à plusieurs têtes.

Dans l'Est : Nancy, Metz, Strasbourg peuvent constituer un quatrième pôle et Lille, Roubaix, Tourcoing, Arras, Calais, Dunkerque pourraient former un cinquième ensemble.

Cette organisation permettrait de constituer, de consolider un socle dynamique de PME-PMI qui trouveraient dans ces aires les services de haut niveau dont elles ont besoin pour être compétitives à l'échelle européenne, si ce n'est même mondiale.

Elle permettrait aussi d'entraîner les territoires environnants dans une dynamique de développement et de revitalisation par une meilleure irrigation des territoires ruraux.

Outre la constitution de quelques grandes aires métropolitaines, il faudra, dans un même temps, encourager l'émergence d'espaces pertinents de développement du territoire, c'est-à-dire d'espaces qui, par leur dimension et leur organisation, seraient susceptibles de ne pas freiner et même de porter le développement et de créer des emplois.

La France doit admettre que son organisation, avec 36.000 communes auxquelles nous sommes très attachés, ne fournit pas le meilleur support au développement de son territoire. L'organisation efficace pour ce développement, ce sont désormais les agglomérations dans les zones de forte densité et les pays dans les zones de plus faible densité. C'est un fait. Nous devons l'admettre et accélérer en conséquence l'organisation de ces nouveaux espaces, sauf à vouloir épuiser nos forces à contrer des évolutions de toute façon inéluctables.

Cette nouvelle organisation du territoire qui, je le précise, ne remet en cause dans mon esprit ni les communes, ni les départements, doit nous permettre de compléter la politique d'aménagement du territoire reposant trop exclusivement sur des zonages, avec les problèmes de frontières qu'ils posent, par une politique de promotion de projets de développement, projets concernant des espaces économiques qui dépassent le plus souvent nos actuelles frontières administratives.

Mon souhait le plus cher, c'est donc que les Commissions thématiques d'élaboration du schéma national d'aménagement et de développement du territoire, puis le gouvernement et enfin le Parlement, retiennent l'idée d'organiser en communautés de villes les 100 plus grandes agglomérations.

Le Général de Gaulle avait innové en créant 6 communautés urbaines en 1966. Nous devrions, en 1996, étendre l'idée aux 100 plus grandes agglomérations, les doter de pouvoirs et de compétences accrus leur permettant de lutter efficacement contre l'apparition de ghettos et de créer collectivement des emplois, de l'unité et de l'organisation.

A côté de ces agglomérations, il faudra créer, au cours des vingt années, de l'ordre de 4 à 500 pays pour mieux structurer l'espace rural.

Si, en vingt ans, d'ici à 2015, nous pouvions doter la France de quelques grandes aires métropolitaines bien organisées, de 100 agglomérations disposant d'un véritable pouvoir et de 500 pays coordonnés, notre projet "France 2015" constituerait une des grandes réformes accomplies dans notre pays. L'efficacité économique au service de l'emploi y gagnerait, la vie quotidienne en serait améliorée.

Voilà pour ce qui concerne ma vision de l'armature à long terme nécessaire au pays.

Une deuxième action me paraît vitale à engager, elle consiste, dans un contexte où les préoccupations concernant le plein emploi et la maîtrise des finances publiques seront durables, à concilier la nécessaire égalité des différentes parties du territoire avec la non moins nécessaire constitution de pôles de développement internationalement compétitifs.

La solidarité nationale est constitutive de la nation. Voilà pourquoi, dans le cadre de la réforme de la fiscalité, il faudra impérativement organiser une péréquation qui transfère automatiquement des crédits budgétaires des régions riches vers les régions pauvres et à l'intérieur de chacune des régions, des pays et des agglomérations riches vers les pays et les agglomérations pauvres. La cohésion territoriale doit contribuer à la cohésion sociale, même -comme le faisait remarquer Jean François-Poncet tout à l'heure- si c'est plus facile à dire qu'à mettre en oeuvre.

La politique d'aménagement est aussi, il ne faut pas l'oublier, une politique de développement du territoire. Elle doit certes assurer -ceci passe sans doute par des zonages- une discrimination positive en faveur des territoires les plus défavorisés, de façon à assurer à leurs habitants l'égalité territoriale. Mais elle doit aussi, dans un contexte de compétition économique internationale exacerbée et de sous-emploi qui ne disparaîtra pas à court terme, favoriser le développement des atouts spécifiques des différents territoires qui composent le pays et qui ne peuvent tous avoir la même vocation. Egalité ne signifie pas uniformité, encore moins nivellement par le bas.

Enfin, troisième idée qui m'est chère : il nous faudra aussi entre dix et vingt ans pour arriver à des documents de planification stratégique établis par pays et par agglomération et non plus au niveau communal.

Promouvoir le développement durable passe en effet par l'élaboration, par exemple, de documents d'urbanisme à l'échelle des espaces pertinents que sont ces pays et ces agglomérations.

Voilà quelles sont, à grands traits, mes conceptions de l'organisation du territoire pour le 21ème siècle.

C'est toutefois, mes chers amis, aux cinq Commissions thématiques d'élaboration du schéma national présidée par des élus qu'il appartiendra de présenter, lors de ce printemps 1996, des propositions au gouvernement.

Il reviendra à la DATAR d'en faire la synthèse qui sera soumise à l'avis du Conseil national d'aménagement et de développement du territoire et de présenter un projet global, cohérent et prospectif pour 2015, puis, au cours de l'été et de l'automne 1996, les régions et les autres collectivités territoriales exposeront leurs avis et formuleront leurs amendements.

Pour finir, c'est le Parlement qui tranchera au nom de la nation et définira les options pour 2015, qui trouveront leur application dans les schémas sectoriels et schémas régionaux.

L'enjeu, allez-vous me dire, est considérable. C'est dire que les grandes formations politiques de la majorité et de l'opposition devront s'exprimer très clairement sur ces sujets. L'aménagement du territoire ne peut, en effet, s'accommoder d'ambiguïtés ou d'improvisations. L'Union européenne, l'Etat et les collectivités locales devront tirer dans le même sens, certes à des niveaux différents, mais forts, et pendant longtemps.

Soyez assurés que, pour sa part, l'Etat fera les choix difficiles, mais nécessaires, qu'exigent les importantes réformes de l'organisation de notre territoire que nous devons impérativement entreprendre.

Je me suis peut-être laissé aller, sans doute, monsieur le président du Sénat, mes chers amis, parce que nous sommes là au Sénat, à communiquer mon sentiment un peu personnel sur cette affaire. Je répète aux membres éminents de la Haute Assemblée, à Daniel Hoeffel, que j'ai pris un texte tel que vous l'avez voulu, préparé, façonné. C'était sous les regards de la France entière par l'intermédiaire des médias.

Depuis douze mois -et moi depuis quatre mois- nous ne nous sommes pas croisé les bras. Nous avons fait le maximum pour mettre en place cette loi du 4 février. Il reste encore beaucoup à faire. Ma détermination, ma volonté, je les mets au service, en particulier, de la Haute Assemblée, même si j'ai toujours un regard amical sur l'Assemblée nationale, mais ici, comme le disait le président, "on prend son temps, mais on travaille et on ne le fait pas sous la pression extérieure et quelquefois, il faut savoir s'en dégager".

Voilà, monsieur le président, même si j'ai été un peu long -mais c'est la première fois que je m'exprime dans un colloque sur l'aménagement du territoire- ce que je voulais vous dire.

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet .- Monsieur le ministre, mille mercis. Vous n'avez pas été trop long, bien au contraire. Vous avez été particulièrement clair et, m'a-t-il semblé, convaincu. J'ai cru sentir une flamme dans votre discours. Nous y avons tous été extrêmement sensibles, nous avons besoin de savoir qu'à la tête de ce dossier difficile, parce qu'il concerne la plupart des ministres, nous avons un ministre qui y croit et qui se bat. C'est le double sentiment que vous nous avez donné.

Pour commencer à vous questionner, je me tourne vers le rapporteur de la loi, M. Ollier, à qui je vais donner la parole.

Je voudrais toutefois vous dire que mon collègue, le président Gonnot, fera au début de l'après-midi, au nom de l'Assemblée nationale, une déclaration analogue à la mienne ce matin pour vous exprimer les interrogations du Sénat. C'est lui qui présidera la séance.

RÉPONSE DE M. PATRICK OLLIER,
DÉPUTÉ DES HAUTES-ALPES,
RAPPORTEUR DE LA LOI D'ORIENTATION À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

M. Patrick Ollier .- Monsieur le Président, Messieurs les Ministres, chers amis, permettez-moi d'abord de saluer ici ceux avec qui nous avons effectivement travaillé pendant près de huit mois pour construire cette loi. Ce fut un travail d'équipe. Je voudrais tout particulièrement, monsieur le président du Sénat, rendre hommage au président Jean François-Poncet et à mes collègues rapporteurs et co-rapporteurs M. Larcher, M. Belot et M. Girault, avec un hommage tout particulier à M. Hoeffel qui, en tant que ministre à l'époque, a subi les attaques "en piqué" de l'ensemble des rapporteurs et des parlementaires. Je suis heureux qu'il soit là.

Ce que vous avez dit est très positif. J'ai constaté, en tant que rapporteur, mais toujours très actif dans l'aménagement du territoire, que depuis que vous êtes en place, vos services n'avaient pas chômé. M. Perben a également engagé des travaux correspondant parfaitement à nos souhaits.

Il est vrai que si nous faisons le bilan de l'application de la loi par rapport aux 88 articles, en nombre de décrets aujourd'hui promulgués, en nombre de rapports engagés, en nombre de chantiers mis en oeuvre, vous avez parfaitement rempli le contrat et nous sommes là pour vous en donner acte et vous en remercier.

Nous avons voulu, lorsque nous avons soutenu cette loi, faire en sorte qu'il y ait des instruments à la disposition d'une politique. Aujourd'hui, au-delà des décrets d'application, nous voulons être bien certains que cette politique est mise en place pour les vingt ans à venir, que les instruments créés vont évoluer au fur et à mesure de sa mise en oeuvre.

Vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, nous ne faisons que commencer. C'est une loi d'orientation qui regarde vingt ans devant elle et ce genre de colloque doit avoir à se reproduire très souvent. On ne peut pas dire que parce qu'une loi est votée, vingt ans de politique d'aménagement du territoire sont engagés. Elle est évolutive en fonction des circonstances et on doit être capable de la faire évoluer.

Monsieur le ministre, vous inscrivez-vous bien dans cette évolution ? J'ai cru comprendre tout à l'heure que vous le souhaitiez. Nous avons quelques inquiétudes, il faut les dire.

Tout d'abord, nous avons le sentiment que pour ce qui concerne l'application de la loi votée, dont les décrets sont sortis, il y a des réticences sur le terrain et, au niveau des administrations de terrain, des interrogations et des délais beaucoup trop longs pour mettre en oeuvre les dispositions prises.

Je voudrais rendre hommage à la DATAR, parce que sa charge n'est pas facile. Je salue un délégué qui est aussi un homme de terrain, ce qui rend la situation plus efficace.

Dans les départements, il faudrait que les responsables administratifs sur place se sentent beaucoup plus motivés pour que la mise en oeuvre des décrets d'application soit plus rapide.

Nous sommes confrontés à des discussions très dures sur le terrain, sur la mise en place, par exemple, des schémas départementaux des services publics qui se télescopent avec la préparation de l'ensemble des dispositions que nous devons prendre, notamment dans le monde rural, pour préserver la présence des services publics et, bien souvent, les solutions ne sont pas faciles à trouver. Il y a là, peut-être, un peu plus de dynamisme à mettre en place.

Une autre question concerne les crédits. M. Jean François-Poncet vous en a parlé. Vous avez ouvert des perspectives parfaitement suffisantes, nous les approuvons et nous vous soutenons. Mais comment pouvons-nous nous engager si, au même moment, il n'y a pas une autorité qui, au niveau de l'Etat, doit être celle du Premier ministre -et il sera interrogé cet après-midi sur ce point précis- qui tranche dans les choix d'aménagement du territoire et peut permettre à cette politique de disposer des moyens financiers dont elle a besoin ? Car au moment où nous nous engageons dans cette perspective, nous avons fixé des objectifs, monsieur le ministre, et les vôtres nous donnent totale satisfaction.

Si, sur le terrain, nous sommes privés des fonds nécessaires pour la mettre en oeuvre, il est bien évident que parmi les élus locaux, il y aura dans les prochains mois quelques sentiments de frustration.

Alors, j'appelle l'attention du gouvernement et du Premier ministre qui doit arbitrer en la matière. Il doit bien faire attention que les crédits nécessaires au déroulement normal de la politique que nous avons engagée ensemble puissent être libérés et surtout ne soient pas gelés. A partir de là, nous nous heurterons à des contraintes insurmontables sur le terrain.

Ensuite, vous avez parlé de la responsabilité des élus. J'estime que cette loi est une loi de responsabilisation des élus et nous sommes tout à fait d'accord pour l'assumer.

Au fur et à mesure de l'accélération de la décentralisation, autre question : est-ce que la loi va jusqu'au bout de ce qu'il aurait fallu faire pour achever la décentralisation ?

Au moment où on s'engage dans une déconcentration plus forte, il faut que l'Etat garde son rôle prioritaire au niveau de l'harmonisation, de l'incitation et de la coordination. L'équité entre les territoires, c'est le rôle de l'Etat.

Quid de la mécanique nationale mise en place à travers le plan, la DATAR et la répartition des compétences des ministères ? Nous souhaiterions que celui de l'Aménagement du Territoire voie s'élargir le champ de ses compétences, afin d'avoir les véritables moyens de préserver ses équilibres indispensables.

Nous parlions à l'instant de l'achèvement de la décentralisation. Nous avons manqué de courage -j'assume totalement la responsabilité du côté Assemblée nationale- j'ai manqué de courage en tant que rapporteur, parce que je n'ai pas pu ou je n'ai pas su aller plus loin en matière de clarification des compétences.

Nous n'avons pas su ou pas pu aller plus loin non plus en matière d'équilibre financier et de justice. Je rends hommage au sénateur président Jean François-Poncet qui a pu mettre en place le système de péréquation à travers cette fourchette 80-120.

Je vous pose une question, monsieur le ministre. J'ai, pour ma part, créé l'indice synthétique qui permet d'évaluer les richesses et les ressources et l'écart entre les deux.

Dans l'année qui vient, allons-nous véritablement savoir si toutes les mesures prises, si toutes les lois aux discussions desquelles nous avons participé très récemment s'inscrivent dans la fourchette 80-120 et dans quel délai serons-nous en mesure de proposer aux collectivités territoriales un dispositif qui, véritablement, permettra de respecter cet objectif fixé ?

C'est très important et la péréquation riches-pauvres ne peut pas se faire par un coup de baguette magique, mais il faut fixer des objectifs aux élus locaux et un calendrier de travail. C'est une question supplémentaire que je vous pose.

Pour terminer -pas parce que je suis élu des zones de montagne, on sait ici que je les défends et le sénateur Jean François-Poncet défend avec beaucoup d'autres le monde rural, ce n'est pas un plaidoyer pro domo- je voudrais qu'on soit bien sûr, monsieur le ministre, que les objectifs que vous avez fixés s'inscrivent bien dans cette perspective de rétablissement des équilibres, de compensation des handicaps, de telle sorte que les deux parties des territoires soient traitées d'une manière réellement équitable.

Nous approuvons la politique en faveur de l'avenir, nous soutenons les décisions que vous avez prises. D'ailleurs, je les ai votées en assemblée avec mes collègues avec enthousiasme. Bravo !

Nous voudrions au même moment, en termes d'affichage mais aussi de réalisation, être bien certains que tout n'est pas fondé sur les zonages. Nous sommes parfaitement conscients qu'une politique de soutien à la revitalisation rurale n'est pas seulement une politique de zonage, ce n'est qu'un moyen. Nous en avons inventé un autre, révolutionnaire : la fiscalité dérogatoire. Nous voudrions que la combinaison de ces moyens -renforcés par d'autres que vous aller nous aider à inventer pour les consolider- et cette complémentarité soient préservées.

Une question : n'est-il pas possible de lancer dans les zones rurales de revitalisation des zones franches ? M. Jean François-Poncet l'a proposé au Conseil national de l'aménagement du territoire. 600.000 personnes sont prises en charge dans le cadre des zones franches urbaines. Pourquoi ne pas tenter les mêmes expériences dans le cadre des zones franches rurales ?

Vous avez terminé sur trois propositions pour l'avenir. J'ai le souvenir d'une proposition tenace issue du fin fond de l'administration française. En 1985, l'INSEE proposait de créer de grandes mégalopoles et des regroupements urbains avec, à côté, des territoires écologiquement protégés. C'est une tendance qui existe, elle est réelle. Nous nous heurtons, dans le rural profond, en permanence à elle.

Le jour où on aura saisi -c'est le principe de la loi, vous l'avez compris, monsieur le ministre, et je vous en remercie- que ce que nous voulons, ce n'est pas développer le monde rural pour le plaisir, mais casser le principe ou le processus des migrations internes et faire en sorte que soient proposées -dans l'activité qui crée la richesse et qui met en oeuvre le développement- les mêmes possibilités dans le monde rural que dans le monde urbain, afin d'aider les maires des grandes villes à éviter la surabondance de population dans les banlieues, on aura bien avancé.

Ce que vous avez dit en choisissant la troisième proposition nous convient : "France intégrée et maillée". D'accord. "Une solidarité des territoires riches et pauvres". Parfait.

Un espace de respiration : je voudrais que nous soyons bien d'accord pour que le monde rural dispose des moyens nécessaires à son développement -nous sommes capables de l'assumer. Nous voulons que les instruments créés soient renforcés et faire en sorte qu'à Paris, au gouvernement -nous vous faisons confiance pour cela- les choix opérés soient toujours parfaitement équilibrés, afin que la confiance qui, depuis une dizaine d'années, a disparu au niveau des élus, soit rétablie.

Monsieur le ministre, est-ce bien le troisième schéma ? Le respect des équilibres que vous avez assuré vouloir défendre et enfin un calendrier que l'Assemblée et le Sénat, bien sûr, s'engagent à soutenir pour vous aider à réussir dans cette nouvelle politique d'aménagement du territoire.

Je vous remercie du fond du coeur, en quatre mois, avec le gouvernement d'Alain Juppé, d'avoir réalisé ce travail considérable. Nous vous soutenons.

Il y a des questions à poser, je ne les ai peut-être pas toutes évoquées, mais je souhaiterais maintenant pouvoir ouvrir le débat. Merci.

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet .- Monsieur le ministre, je vous propose, avant de répondre aux questions de Patrick Ollier, de voir s'il y en a d'autres dans la salle.

Un intervenant . - Créer d'autres aires de métropolisation, cela m'amène à vous poser la question suivante : faut-il laisser des espaces interstitiels qui seront un autre poumon ? Est-ce que ces aires ne sont pas en contradiction avec l'équilibre vis-à-vis monde rural ?

M. Jacques Larché Président de la Commission des lois du Sénat.- Une remarque sur le principe d'une loi qui, dans son essence, est évidemment positive. Il restera le problème de sa mise en oeuvre, bien sûr.

Toute bonne mesure, à un moment quelconque, peut avoir des effets pervers. Nous sommes en train de vivre un système qui se manifeste dans bon nombre de parties du territoire ; il est en train de transformer la mentalité des entreprises. Actuellement, pas une seule ne cherche à s'installer quelque part sans aller, au préalable, à la chasse aux primes, avec comme ligne directrice de comparer les avantages acquis, d'obtenir le maximum d'aide de la puissance publique, sans pour autant qu'elle soit toujours strictement nécessaire et absolument justifiée.

C'est un système que nous vivons, dont nous voyons le développement avec une certaine inquiétude, car l'entreprise qui, normalement, doit fonder son avenir sur un projet strictement économique, est en train de se transformer, à certains égards -je ne veux pas généraliser- en mécanisme à la recherche d'une assistance. Je ne sais pas si, économiquement, ceci sera positif à long terme.

(Applaudissements).

M. Pierre Laffitte. - Comme tout le monde, monsieur le ministre, j'ai apprécié votre engagement et votre compétence, en particulier en ce qui concerne l'entrée dans la société d'information, ce qui est probablement la meilleure des réponses à la question : "Ne va-t-on pas fabriquer cinq micro-bananes bleues ? "J'aimerais avoir des précisions sur vos intentions, notamment en ce qui concerne la politique des sites numériques pour laquelle la DATAR a pris quelques indications sur certaines régions, voire même certains départements.

M. Jean François-Poncet .- Je donne tout de suite la parole au ministre. Je veux simplement dire à Patrick Ollier que je m'associe à ses questions, ainsi qu'aux suivantes de nos collègues sénateurs.

Je voudrais faire une observation sur la métropolisation. C'est une peu une "tarte à la crème". Je mets en garde, notamment le délégué à l'aménagement du territoire, parce qu'à mon avis, cette tendance ne tient pas compte des toutes dernières indications venant des Etats-Unis. On assiste au contraire -pour diverses raisons dont quelques-unes n'ont rien d'économique, elles tiennent à la sécurité, l'immigration, etc.- au début d'un retour du pendule qui quitte les grandes agglomérations pour aller vers des zones beaucoup moins habitées.

Ce n'est pas l'espace rural au sens où on l'entendait, il est hyper-moderne, c'est celui de Pierre Laffitte, mais pas celui de nos grands-parents. Je sais qu'en disant cela, on heurte les credo fixés. Quand on met en discussion les arguments contraires, ils sont en général balayés.

Par conséquent, je ne suis pas sûr que la métropolisation indéfinie -sauf dans le tiers-monde où elle provoque les conséquences que nous connaissons- soit aussi évidente que certains l'affirment.

Je partage quelques-unes des inquiétudes, en vous entendant décrire cette France métropolisée avec, entre les métropoles, des espaces de respiration. Il y a là, me semble-t-il, une interrogation.

Si je peux me permettre une observation à mon collègue Larché, qui rejoint nos constatations : si on veut attirer dans les zones fragiles, par opposition aux zones attractives, il faut bien des discriminations positives ou alors, on abandonne tout esprit de volontarisme.

Par ailleurs, dans le monde entier, ces pratiques existent. Si, dans sa grandeur, la France traçait une croix sur les siennes, elle ne serait pas suivie par les autres.

Aujourd'hui, la première question que pose une entreprise japonaise ou américaine qui veut s'installer en France, c'est : "Ne ferais-je pas mieux d'aller en Irlande, en raison des privilèges fiscaux ou en Ecosse, en raison de telle ou telle disposition sociale plus avantageuse ?".

M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration. - Monsieur le Président, toutes ces questions sont très intéressantes. J'ai employé un terme peut-être provocateur, mais je ne le regrette pas, car cela nous permet un débat très au fond sur toutes ces questions.

Concernant les crédits, je répondrai à M. Ollier que nous sommes quand même à 6 milliards d'engagements dans l'année 1996. Bien entendu, on peut toujours demander plus, mais, dans le contexte budgétaire et économique qui est le nôtre, avec la ligne directrice fixée par le Président de la République et le Premier ministre sur la monnaie unique à l'horizon 1999, il est certain que tous les ministères doivent faire un effort financier. Nous y sommes prêts aussi !

En échange de la demande qui nous est formulée, nous voudrions avec la DATAR bien cerner tous les projets. Souvent, par facilité, par habitude, les gouvernements successifs -personne n'y échappe, et les collectivités territoriales pas davantage- vont quelquefois vers le saupoudrage. Je prends l'engagement que nous allons éviter cela ! Sur le FNADT, nous ne retiendrons que des projets d'importance, des projets sérieux. Je serai donc amené à répondre positivement quelquefois. Quand ce sera négatif, c'est le délégué à la DATAR qui le fera...

Il faut donc savoir à la fois faire une chose et le dire en même temps. Nous devons faire un effort, et nous allons le faire dans ce domaine. Six milliards constituent malgré tout une somme importante. Néanmoins, le président Jean François-Poncet et Patrick Ollier pourront en toucher un mot à Alain Lamassoure. Cela m'aidera ! J'ai compris que tel était votre état d'esprit. Bien entendu, la solidarité gouvernementale existe, mais quand les messages sont répétés, ils finissent par être entendus !

S'agissant des compétences, Dominique Perben vous en parlera tout à l'heure. Quant à notre texte sur le monde rural, Raymond-Max Aubert y reviendra bien évidemment.

Patrick Ollier a posé une question très franche et très loyale : créerez-vous des zones franches dans les zones de revitalisation rurale, à l'instar des quartiers urbains ? La réponse est non. La volonté du Gouvernement est de traiter avec équité les parties les plus fragiles du territoire, qu'elles soient urbaines ou rurales.

La problématique n'est cependant pas la même dans les deux cas. Les zones franches urbaines concerneront des espaces géographiques très restreints et moins de 1 % de la population française.

Néanmoins, nous sommes sensibles à votre argumentation et nous pensons que le Parlement -aussi bien l'Assemblée nationale que le Sénat- y reviendra. Notre projet de loi sur le monde rural doit donc offrir les mêmes garanties, les mêmes possibilités, les mêmes avantages. Déjà, dans les zones de revitalisation rurale, il y a exonération des charges fiscales et sociales.

Nous ferons en sorte, si c'est nécessaire, d'établir complètement la parité. Il n'est pas dans notre intention de faire des zones franches dans les zones de revitalisation rurale, mais, par contre, de donner d'une autre manière les mêmes avantages, de façon à ce qu'il y ait effectivement équité.

(On dit : "C'est insuffisant !").

M. Jean-Claude Gaudin .- Commençons par là ! Il faut faire des efforts et nous les ferons ! Six milliards, ce s'est pas si mal ! Vous me l'avez déjà dit au Sénat : je ne partage pas votre sentiment ! Je vous réponds avec toute la courtoisie qui sied à un membre de la haute Assemblée ! Attendez de voir comment cela fonctionne dans les zones de revitalisation rurale, attendez de voir tous les avantages. S'ils ne sont pas suffisants, vous me le direz, et s'il y a inégalité de traitement, je prends l'engagement que nous rétablirons l'égalité !

Je réponds à M. Gerbaud, qui a parlé de "banane bleue", qu'il faut organiser les aires métropolitaines pour rééquilibrer les choses par rapport à Paris. Il faut les créer pour irriguer le monde rural. C'est mieux si nous les contrôlons que si nous n'arrivons pas à les contrôler ! Or, organiser les aires métropolitaines ne signifie pas favoriser la concentration urbaine : c'est composer avec elle pour en tirer le meilleur parti. Voilà dans quel esprit nous sommes actuellement. Tout cela va mériter échanges et débats.

Le Président Larché, suivant son habitude, nous met en garde. Il a raison : aider une entreprise qui veut créer des emplois, supporter la pression des gens qui vous demandent des créations d'emplois, engager les ressources des collectivités locales, et arriver où ? A Gigastorage ! ... Je me permettrai de conseiller aux élus locaux -et j'en suis un- de faire effectivement très attention à la façon dont on procède.

Puisque j'ai cité cet exemple, qui est d'actualité, j'y reviens, avec l'autorisation de Jean François-Poncet. Le 7 novembre dernier, un conseil interministériel accorde une prime d'aménagement du territoire de 13,5 millions à l'entreprise Gigastorage. Je m'en rappelle bien, car c'est le jour où Alain Juppé m'a demandé d'entrer au Gouvernement !

Le 20 décembre, j'ai signé cette prime d'aménagement du territoire. Mais, comme vous le savez tous, la prime d'aménagement du territoire n'est donnée que pour autant qu'il y ait la création d'emplois. Or, quel n'a pas été mon étonnement lorsque, le 22 décembre, j'apprends que, tout d'un coup, arrivent dans un avion 50 Malais, pour aller travailler dans cette entreprise ! Je téléphone au ministre de l'intérieur, qui me répond : "De toute manière, les Malais ne resteront pas ici. Ils descendent de l'avion prendre l'air, reprennent l'avion et repartent dans leur pays. Parce que la prime d'aménagement du territoire était plutôt faite pour les Belfortains que pour les Malais !".

Bien que la DATAR ne soit pas un juge d'instruction, nous nous sommes renseignés et nous avons appris que ce chef d'entreprise, à Belfort, avait rencontré pas mal de difficultés et de problèmes. Etant donné qu'on ne créait pas les emplois et que nous avions des doutes, nous n'avons pas versé un centime. Pas un franc de l'Etat n'a été versé dans cette entreprise !

Bien entendu, j'ai rencontré le député-maire de Belfort. Lui-même insistait beaucoup -et de bonne foi- pour pouvoir créer des emplois dans cette ville. On me dit que c'est sur la foi de la lettre annonçant la prime d'aménagement du territoire que j'ai signée que le conseil général de Belfort a aidé cette entreprise. Il l'aidait, en fait, depuis 1994 ! C'était son droit de le faire, mais c'était alors de sa seule responsabilité, et le Gouvernement n'y est pour rien.

Néanmoins, il faut être extrêmement prudent, car, sous la pression locale, on peut accepter d'engager des financements de nos collectivités territoriales, et nous retrouver dans la situation dans laquelle se trouve le président du conseil général du territoire de Belfort !

(Applaudissements)

M. Jean François-Poncet, président .- Je remercie le ministre qui, a avec une grande liberté et un grand feu, a réagi à nos différentes interrogations.

Je donne tout de suite la parole à Daniel Hoeffel, qui était avec, Charles Pasqua, aux commandes au moment de l'élaboration de la loi. Nous avons beaucoup travaillé avec lui et nul mieux que lui ne pourra introduire les propos qui font venir maintenant sur la coopération intercommunale d'une part et sur le problème de la péréquation et des fonds d'autre part, qu'Alain Lamassoure traitera devant nous...

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