B. coopération intercommunale, pays, clarification des compétences

INTERVENTION DE M. DOMINIQUE PERBEN, MINISTRE DE LA FONCTION PUBLIQUE, DE LA RÉFORME DE L'ETAT ET DE LA DÉCENTRALISATION

M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation .- Je voudrais tout d'abord évoquer l'intercommunalité pour faire le point de la situation et évoquer les perspectives dans lesquelles se situe le Gouvernement en cette année 1996.

Les enjeux, sur ce sujet, vont bien au-delà des modalités techniques d'intervention des collectivités territoriales. La question qui se pose est de savoir si la poursuite ou non de l'intercommunalité sous ces formes actuelles va permettre une amélioration de l'action administrative, et en particulier sa simplification.

En effet, ce qui est en cause, ce n'est pas le bien-fondé de la coopération intercommunale. Tout le monde est d'accord sur son intérêt. Il n'est pas une seule commune qui ne soit membre d'au moins un syndicat de communes, et plus de 13.000 communes, correspondant à 28 millions d'habitants, ont aujourd'hui choisi de participer à des groupements à fiscalité propre.

Il faut en même temps reconnaître que le succès de la formule a contribué à rendre encore plus complexe notre système d'administration locale. C'est sur ce point que nous devons porter notre réflexion.

Pourquoi avons-nous un tel foisonnement intercommunal ? C'est bien sûr du fait de la diversité extrême de nos communes, fruit de l'histoire de notre pays. De cette diversité est née une prise de conscience de l'intérêt -voire de la nécessité- de mettre en commun des moyens pour gérer des services publics ou des équipements.

Puis, prolongeant cette dimension, la coopération intercommunale est devenue progressivement un instrument de politique solidaire d'aménagement, de développement économique et de répartition de charges et de ressources.

Aussi, l'intercommunalité permet-elle d'assurer une certaine solidarité entre communes rurales, et, de manière souvent intéressante, un élément de solidarité entre communes rurales et urbaines.

Par ailleurs, le développement de ce qu'il est convenu d'appeler l'intercommunalité intégrée ou de projet est un élément assez novateur, sur lequel nous aurons intérêt à réfléchir, à l'occasion du rapport que j'évoquerai dans quelques instants. Il me semble qu'elle peut constituer un facteur décisif de maillage du territoire, en encourageant la contribution des acteurs publics locaux à la vitalité du tissu administratif, mais aussi social et économique.

Je voudrais, en réponse à Daniel Hoeffel, aborder la question du pays... Le pays, comme cela a été dit avec force par Daniel Hoeffel, n'est pas une institution nouvelle : il est une échelle d'actions autour d'un projet de développement.

La phase d'expérimentation en cours et l'évaluation de ses potentialités pour le développement local se poursuit sous l'impulsion de la DATAR. Il nous faudra, le moment venu, en tirer un certain nombre de conclusions quant au renforcement des capacités de mobilisation et d'initiatives des services publics. C'est un des enjeux importants au niveau local, qu'il s'agisse de l'Etat, mais aussi des collectivités locales.

Selon des expériences concrètes que je connais personnellement, il semble que cette dynamique de pays soit, là où elle est tentée, assez enrichissante. En tout état de cause, elle mobilise les élus, les socio-professionnels, en particulier dans le tissu rural, et je suis convaincu qu'on pourra en tirer des enseignements intéressants sur le mode de fonctionnement de nos services publics et la manière de travailler sur un espace donné, en s'y mettant tous ensemble d'une façon suffisamment coordonnée.

Je crois qu'il faudra néanmoins, s'agissant de l'intercommunalité, que les règles en vigueur ne se traduisent pas par une complexité et par des coûts croissants. C'est la raison pour laquelle j'envisage de mettre au point le rapport prévu dans la loi Pasqua, qui doit être remis au Parlement avant l'été prochain. Nous sommes en train d'en réaliser une première écriture. Lorsque ce projet sera prêt, je le ferai connaître aux grandes associations d'élus, et nous pourrons ainsi ensemble réfléchir à la forme définitive de ce rapport.

Au vu de l'analyse de ce qui s'est passé depuis quatre ans, un effort de simplification de l'intercommunalité apparaît possible. La diversité des formes d'organisation, des mécanismes de fonctionnement, de représentation des communes sont excessives. Nous devrions définir avec les différentes associations qui connaissent bien ces sujets, dans ce qui pourrait prendre la forme d'un projet de loi pour l'automne, des éléments de simplification de ces structures, voire de réduction du nombre de formules intercommunales.

Je voudrais également évoquer l'environnement financier de l'intercommunalité. Les mécanismes applicables en matière de fiscalité doivent permettre un réel renforcement des solidarités, et la mise en commun véritable des compétences au sein des groupements. Cette phrase, qui paraît anodine, encore faut-il que nous la respections dans l'esprit et concrètement. La fiscalité doit évidemment en même temps garantir un traitement neutre et homogène des entreprises.

C'est pourquoi, malgré la difficulté de l'exercice, j'accorde une priorité à l'examen des moyens permettant de développer, notamment en agglomération, le régime de mise en commun de la taxe professionnelle. Ces instruments financiers doivent être considérés comme de vrais outils de la politique d'aménagement du territoire, et c'est pourquoi il nous faut avancer sur ce terrain.

Parallèlement, il nous faut approfondir l'évaluation des critères actuels de mesure de l'intégration des groupements, sur la base desquels sont calculées les dotations de l'Etat. Mon objectif est de privilégier toutes les formes d'intercommunalité qui traduisent une véritable mobilisation des communes représentées.

Aussi, l'intégration fiscale doit-elle être en adéquation avec l'intégration des compétences. C'est un sujet sur lequel le Comité des finances locales a attiré mon attention. Il faudra que nous l'intégrions également dans le texte législatif que j'envisage pour l'automne.

Un rapport sera disponible dans les prochaines semaines, dont nous discuterons avec les grandes associations d'élus concernées, pour mettre au point sa forme définitive permettant de déboucher sur un texte ayant deux objectifs. Le premier est un objectif de simplification du système intercommunal, avec subsidiairement, un objectif déontologique, afin d'éviter la poursuite de l'intercommunalité d'aubaine, dont chacun a quelques exemples en tête.

Le second objectif est celui de la taxe professionnelle dans sa dimension spatiale. Je laisse Alain Lamassoure évoquer éventuellement des évolutions de la taxe professionnelle quant à ses mécanismes de calcul et à sa relation avec le monde économique.

Pour ce qui me concerne, je crois que nous renforcerons l'intercommunalité dans la durée si nous donnons aux différentes formes de coopération intercommunale la possibilité de mettre en oeuvre une harmonisation progressive des taux sur un espace économique homogène.

Le second volet de mon intervention concernera les compétences. C'est un sujet extrêmement difficile dans sa dimension politique.

Toute entreprise de clarification des compétences devrait au moins respecter deux principes simples : d'une part rechercher pour chaque catégorie de collectivités des compétences claires et homogènes, et d'autre part accompagner les transferts de compétences des ressources et des personnels correspondants.

Nous sommes en effet dans une situation financière globale de gêne, et tout transfert devient encore plus difficile. Lorsqu'il y a contrainte financière généralisée, aussi bien pour un partenaire que pour un autre, toute hypothèse de transfert devient un problème extrêmement difficile. Il faut que nous en soyons conscients, car cela peut peser lourdement sur toutes les idées que nous avons les uns ou les autres.

Rechercher des compétences claires et homogènes implique qu'elles soient adaptées à la nature, à la taille et aux objectifs de chaque collectivité. Sur ce dernier point, le Gouvernement ne fera pas abstraction des souhaits et des préoccupations des collectivités et des associations qui les représentent.

Il existe trois grandes catégories de compétences. La première regroupe les compétences qui font intervenir les collectivités locales en tant que financeurs. Ces compétences se traduisent par la répartition de crédits et l'instruction de demandes de financement. C'est le cas des interventions économiques qu'évoquait Jean-Claude Gaudin, ou des domaines comme l'animation culturelle ou l'action touristique, qui, souvent, se résument à instruire des dossiers et à répartir des crédits.

L'effort de rationalisation, dans ce premier cas de figure, devrait être assez simple à mettre en oeuvre, à condition qu'on le décide et qu'on le veuille. Sur ce type de compétences, on pourrait appliquer le concept de collectivité locale " chef de file ". Une piste pourrait être la délégation à une seule collectivité, pour instruire le dossier et déclencher les cofinancements, si on estime qu'on ne peut se passer de ceux-ci. Ce pourrait être une première étape.

Une convention pourrait par exemple confier l'instruction au service régional. Les départements apporteraient leur cofinancement sur déclenchement de l'instruction au niveau régional. Cette piste me paraît pouvoir éviter certains gaspillages budgétaires et surtout gagner du temps, qui, comme chacun sait, vaut de l'argent !

Seconde catégorie de compétences où les choses se compliquent : celles qui correspondent aux domaines où la collectivité ne se contente pas seulement de financer mais gère des équipements nécessitant la mise en place de moyens budgétaires et de personnels. Tel est le cas des compétences que les conseils généraux assument en matière de routes ou d'équipements scolaires. C'est sans doute dans ce cas de figure qu'il nous faut raisonner de façon rigoureuse en termes de bloc de compétences homogènes.

Enfin, troisième cas de figure -de loin le plus complexe : celui où l'exercice de la compétence se traduit également dans le respect de la législation nationale, par la définition de politiques locales particulières. Il s'agit bien évidemment pour l'essentiel du domaine de l'action sociale.

Il faut éviter dans ce domaine les dispositifs de cogestion, et je sais que c'est une de vos préoccupations. Mais il est des domaines, comme l'action sociale, qui ne peuvent être, pour au moins un certain temps, financés exclusivement par un seul niveau de collectivité. Je citerai le RMI, ou un certain nombre de modalités d'attribution d'allocations, dont les caractéristiques ne peuvent être que nationales.

L'évolution constatée ces dix dernières années a montré la limite de la clarification opérée en 1983. Il faut incontestablement faire l'effort d'avancer sur ces sujets, en tenant compte des trois types de compétences que j'ai énumérées.

La seconde exigence est évidemment celle de la compensation financière. Nous avons atteint un équilibre entre dotations et ressources fiscales des collectivités territoriales, et il me paraît bien difficile de continuer d'aller au-delà. Pourra-t-on parler d'autonomie de gestion des collectivités territoriales si l'on dépasse la barre des 50 % de dotation ? La compensation d'éventuels nouveaux transferts pose ce problème, l'autre hypothèse étant le transfert d'impôts. Or, on sait aujourd'hui qu'en matière d'impôts localisables, on a atteint la limite de ce qui est disponible. Nous buterons donc incontestablement sur cette difficulté en cas de transfert de compétences.

La clarification des compétences est indispensable, en particulier dans le domaine social, où nous avons à faire aux populations les plus en difficulté, qui vivent le plus mal la complexité administrative.

Il nous faudra avancer sur ces sujets, sous peine de voir apparaître -un peu comme est née depuis quelques années une critique assez sévère de l'opinion quant à l'efficacité de l'Etat- un sentiment critique à l'égard de la gestion superposée des collectivités territoriales.

Le paradoxe serait que cette réforme toute neuve à l'échelle de l'histoire devienne assez rapidement un motif de critiques quant à l'efficacité de nos institutions. Un des moyens de l'éviter consiste à faire au plus vite un effort de clarification des compétences.

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Il me semble que nous n'avons pas abordé le sujet de la poursuite de la décentralisation, mais nous aurons d'autres occasions. La parole est maintenant au sénateur Jean-Marie Girault...

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