N° 110

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 2 décembre 1996.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur les droits de l'enfant ,

Par M. Jacques LARCHÉ,

Sénateur.

1 Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pagès, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Enfants . - Rapports d'information

AVANT-PROPOS de M. Jacques LARCHÉ Président de la commission des Lois

À l'occasion de la journée nationale des droits de l'enfant, nous avons prévu un certain nombre d'auditions sur ce sujet.

Je vous rappelle que nous devons l'initiative de cette journée des droits de l'enfant à une proposition de loi de notre collègue Mme Marie-Claude Beaudeau, et que le rapporteur était M. Robert Pagès.

La commission des Lois a déjà prouvé l'intérêt constant qu'elle porte à ces problèmes de droit de l'enfant face aux difficultés de tous ordres qui peuvent l'assaillir, notamment d'ordre social et quelquefois d'ordre familial. Ces droits de l'enfant sont proclamés, affirmés, mais ils doivent être reconnus au quotidien et c'est là que l'effort du législateur doit peut-être encore se manifester. Je pense en tous cas qu'il est utile que nous entendions, comme nous allons le faire dans un instant, d'éminents spécialistes qui nous feront part à la fois de la vision qu'ils ont des problèmes qui se posent et de leurs préoccupations qui, je m'en doute, sont nombreuses.

Ceux d'entre nous qui sont responsables de collectivités départementales savent avec quelle acuité ces problèmes se posent et combien doivent consacrer des moyens importants, et sans cesse plus importants, pour parvenir à essayer de trouver quelques solutions.

Pour terminer nos travaux, nous entendrons notre collègue Michel Rufin qui a été l'auteur d'un rapport particulièrement remarqué et qui nous dira les considérations générales qui l'ont conduit à faire des propositions dont plusieurs seront certainement retenues.

On nous annonce un projet de loi relatif à la pédophilie. Est-ce le seul aspect qui sera traité ? Je n'en sais rien, je n'ai pas encore vu le texte. En notre qualité de législateur, nous devrons agir avec fermeté et prudence car légiférer est une chose, mais obtenir que la loi soit suivie d'effet en est une autre.

Un problème dramatique s'est posé dans un pays voisin et ami faisant naître une préoccupation majeure dans l'opinion publique. Je me pose une question. Peut-être y répondra-t-on ? À l'heure actuelle, nous constatons une croissance des affaires de maltraitance sexuelle, familiale, etc... Est-ce dû à un accroissement réel des problèmes ou à une connaissance plus approfondie de la société et, en même temps, à la levée d'un certain nombre de tabous qui, jusqu'à présent, empêchaient les infractions d'être connues, soit du fait du silence des victimes, soit du fait des acteurs sociaux qui auraient dû être plus vigilants ?

Ce sera l'une des questions à résoudre dans le cadre de notre travail législatif et je suis persuadé que ces auditions nous aideront de manière concrète au moment où nous aborderons le texte qui doit nous être soumis au début de l'année prochaine.

Je salue le Docteur Bernard Cordier, psychiatre à l'hôpital Foch de Suresnes, Mme Yvette Bertrand, chef-adjoint à la brigade des mineurs de Paris et M. Jean-Louis Sanchez , délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée que je remercie d'avoir bien voulu répondre à notre appel.

Docteur Bernard CORDIER Psychiatre à l'hôpital Foch de Suresnes

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de compléter cette présentation. Je suis psychiatre. Je m'occupe d'adultes et non d'enfants, mais je fais partie de ceux qui se sont engagés depuis de nombreuses années dans la prise en charge de la pédophilie et, en particulier, la prise en charge médicamenteuse. À ce titre, je peux vous faire part de quelques travaux sur cette nouvelle approche qui fait réagir l'opinion.

En introduction, je voudrais souligner que nous avons assisté au cours de ces dernières années à deux faits sociologiques conjugués : une campagne médiatique sans précédent concernant les abus sexuels sur les enfants et les adolescents et, parallèlement, une nette recrudescence des poursuites pour infraction sexuelle sur les mineurs.

On peut donc dire que les victimes (enfants, adolescents) sont maintenant entendues. Leur préjudice est reconnu.

On doit s'interroger sur d'autres phénomènes si l'on veut évaluer l'ampleur réelle du fléau.

Je citerai, pour répondre à votre question, Monsieur le président, tout d'abord, des moyens modernes de communication qui favorisent l'extension du problème. Je veux parler des systèmes tel qu'Internet, tous les moyens qui permettent de constituer des réseaux. De même, les transports ont favorisé les voyages dans des pays où il est plus facile de réaliser sa pédophilie et ceci doit être pris en compte. Je pense qu'il n'est pas prouvé qu'il y ait plus de pédophiles mais il semble que, dans sa « carrière », le pédophile ait plus de victimes car plus de facilité à rencontrer des mineurs. C'est tout de même très inquiétant, même si l'on procède de l'hypothèse que la pédophilie fait partie d'une anomalie qui a toujours existé chez l'être humain.

Nous savons aussi que, parmi les pédophiles, un certain nombre disent avoir été victimes d'actes de pédophilie au cours de l'enfance ou de l'adolescence. S'il y a une relation de cause à effet, nous avons de fortes raisons de nous inquiéter, mais ceci n'est pas prouvé car cet argument est souvent utilisé pour la défense du pédophile. Je ne rencontre plus un pédophile qui n'ait pas été victime d'un attouchement ou qui n'ait pas été troublé par l'attitude ambiguë d'un adulte au cours de son enfance.

Je ne suis pas un spécialiste des victimes, mais je suis motivé par la protection des enfants en m'engageant dans le traitement difficile des auteurs des faits dont ils sont victimes.

Je dirai qu'il n'est plus contestable ni contesté qu'un enfant qui a des relations de nature sexuelle avec un adulte subit un préjudice, même si ce contact se fait dans une atmosphère de consentement apparent.

Je souligne simplement que nous n'avons pas observé sur l'animal des habitudes similaires.

Nous savons aussi que, physiologiquement, même si Freud a parlé de la sexualité infantile au sens de la recherche du plaisir et de la libido dans son acception la plus générale, neurophysiologiquement, le cerveau de l'enfant n'est pas préparé à recevoir des informations correspondant à des stimuli sexuels. Ils lui sont nocifs.

Tout cela pour souligner que, contrairement à ce qu'on a pu entendre, il y a, quelle que soit la manière, un traumatisme. Je dirai, pour s'en convaincre définitivement, que l'on n'oublie pas, même un geste tout à fait anodin mais équivoque vécu dans l'enfance.

Il est évident que l'on doit se mobiliser et que c'est une bonne chose que des lois soient adoptées. Depuis quelques années plusieurs ont été proposées. Il est temps que les médecins s'impliquent. Nous sommes en retard par rapport à d'autres pays comme le Canada. Nous faisons oeuvre utile car notre avenir ce sont nos enfants. Si nos enfants ne sont pas respectés, tout ce qui leur arrive s'inscrit dans leur mémoire et peut avoir des conséquences qui peuvent être irréversibles.

En tant que psychiatre pour adultes, je reçois des personnes déprimées, anxieuses qui finissent par révéler que les difficultés existentielles qu'elles rencontrent seraient en relation avec un abus sexuel subi dans l'enfance.

En ce qui concerne les auteurs, je vais faire quelques remarques préalables qui me paraissent essentielles pour les situer :

1° Il n'y a pas de "portrait-robot" du pédophile. Ils ont des personnalités, des quotients intellectuels très divers. Certains ont l'âge mental de leur victime. Il n'a pas été mis en évidence de cause biologique à cette orientation sexuelle particulière, propre à l'homme, vers ce qui n'est véritablement pas un excitant naturel, c'est-à-dire le corps non formé de l'enfant.

Nous avons affaire à des gens qui peuvent être pédophiles homosexuels ou hétérosexuels mais, en l'état actuel de nos connaissances, ils ne présentent pas d'anomalies biologiques. Le traitement auquel je vais faire allusion ne peut donc annihiler un comportement que le sujet maîtrise plus ou moins mais seulement le freiner.

2° Sont-ils malades mentaux ?

Là-dessus, il faut être clair : il y a une anomalie dans la mesure où nous sommes programmés à être stimulés par la vision de corps sexués matures, formés. Il y a donc une anomalie, et personne ne peut le contester, dans le fait d'être attiré par le corps immature de l'enfant et parfois même du bébé. Ce n'est pas un choix d'orientation comme pour l'homosexualité.

3° Y a-t-il aliénation mentale ?

Je réponds non. Il y a une proportion infime (0,1 %) de sujets poursuivis pour acte de pédophilie qui bénéficient de l'article 122-1 du code pénal, qui correspond à l'article 64 de l'ancien code. Ils évoquent souvent des pulsions incoercibles qui les submergent. Le pédophile peut perdre son contrôle au-delà d'un certain degré d'excitation, comme quiconque dans la colère. Mais il peut le plus souvent faire en toute liberté le choix de ne pas cultiver cette orientation. Il n'y a donc pas d'aliénation dans ce domaine.

En ce qui concerne la prise en charge actuelle, elle est au coeur du débat. L'avant-projet, avec une certaine audace, propose de mélanger "le caducée" et "la balance" avec un projet de "peine de suivi thérapeutique".

Ceci n'est pas sans évoquer la loi de 1970 et son injonction thérapeutique pour les toxicomanes : soit ils subissaient une peine de répression pour usage de stupéfiants, soit ils se soignaient. Mais là, c'est d'une peine de suivi thérapeutique dont il s'agit. Dans le monde psychiatrique, une telle formulation risque d'entraîner des réactions négatives. Je préférerais pour ma part l'injonction thérapeutique, mais je suis d'accord sur le fond.

Autre problème : on va légiférer, on a déjà légiféré, on a parlé d'évaluation au cours de la détention, d'obligation de soins. Il serait intéressant de savoir si ce que le corps médical peut offrir est valable. Quelles sont les garanties ? N'y a-t-il pas un risque d'alibi si le traitement échoue ? Le corps médical serait poursuivi pour échec thérapeutique, ce qui serait désagréable pour tout le monde !

En France, nous sommes en retard. Le corps médical a eu tendance à considérer que de tels comportements relevaient de la justice. Cette matière est très peu enseignée : un médecin généraliste a peut-être entendu parler une heure dans sa vie des pédophiles, et encore !

Sur le plan des psychothérapies, nous savons que le seul fait d'être suivi, de rencontrer quelqu'un avec qui parler de ce problème est un bien ; un numéro de téléphone suffit parfois. Mais il nous faut inventer de nouvelles formes de psychothérapies adaptées à la diversité des cas.

En ce qui concerne les traitements physiques, il faut se rappeler que les castrations chirurgicales ont commencé à la fin du 19 è siècle et que les Eunuques existaient déjà dans l'Antiquité. On connaît les résultats de cette castration : les Eunuques n'étaient pas aussi impuissants qu'on le pensait.

Il y a eu des castrations physiques en Allemagne et dans d'autres pays d'Europe du Nord. En Allemagne, sur 105 castrations "volontaires" entre 1960 et 1990, il y a eu 4 récidives. Après une castration chimique, il n'y a pas de garantie car un tiers de ces personnes avaient encore des envies sexuelles.

En ce moment, dans le contexte émotionnel que nous rencontrons on reparle de castration physique et certains détenus nous la demandent. Ce n'est pas efficace à 100 % et rien n'empêche un sujet qui a négocié ainsi sa sortie de se procurer de la testostérone qui annihile les effets de la castration.

En ce qui concerne l'usage de médicaments, les sédatifs ont des effets sur la libido mais le sujet est dans l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle. Ce n'est donc pas valable.

Les anti-hormonaux : ils sont utiles. Nous avons fait des études qui le prouvent mais ce n'est pas non plus une garantie absolue.

Il ne faudrait pas que les magistrats croient que nous avons entre nos mains des moyens qui permettent de prévenir avec certitude la récidive. Quand je dis que c'est utile, je veux dire que les sujets auxquels j'ai prescrit ces traitements en redemandent. Un de mes patients prend depuis 15 ans ces anti-hormonaux.

Les sujets confrontés à ce type de conflit intérieur éprouvent donc un soulagement. Ces traitements existent déjà sur le marché pour soigner les cancers de la prostate, l'hirsutisme féminin, etc... Mais nous les prescrivons sous notre entière responsabilité. Les laboratoires qui fabriquent ces médicaments estiment que le fait de le donner dans cette indication en donne une mauvaise image de marque. Nous utilisons un effet secondaire qu'ils préféreraient minimiser.

Le Comité Consultatif National d'Éthique a recommandé l'application de la loi Huriet. Le protocole est prêt, mais considérant que les recommandations du Comité national d'éthique ne font pas loi, je continue à prescrire, pour protéger les enfants dès que cela est nécessaire, sans me soumettre à la rigidité de la loi Huriet. Nous avons l'intention dans plusieurs centres en France de prouver ce que nous savons déjà, c'est-à-dire que le traitement est efficace.

Le même traitement en Allemagne, fabriqué par le même laboratoire, à l'autorisation de mise sur le marché pour cette indication. En France, certains considèrent encore qu'en touchant à la virilité, on touche à la dignité...

J'en arrive aux problèmes éthiques qui sont de plusieurs natures. Ce traitement doit être prescrit chez un sujet consentant, il n'est pas pensable qu'il soit administré de force. Des sorties de prison peuvent certes être négociées par le juge d'application des peines en échange d'une prise en charge mais il n'appartient pas à ce dernier de choisir le traitement. Obligation de soin ne veut pas dire obligation de tel soin. Dans les affaires d'inceste, le mal est fait et ce traitement n'est pas indiqué.

Le consentement doit être libre et éclairé, c'est le premier impératif. Il y a d'autre part un problème de secret médical par rapport au suivi, surtout avec la nouvelle loi. Mais on reste dans les limites de la déontologie quand on remet un certificat au sujet prouvant qu'il est venu se faire soigner. Il peut l'utiliser auprès du comité de probation. Si quelqu'un ne remplit pas son contrat, il doit être remis en détention ou menacé de l'être. Il ne paraît pas normal que les psychiatres qui prendront en charge ces gens-là se retrouvent seuls à porter sur leurs épaules la responsabilité du risque de récidive. Je suis là pour prescrire, pour soigner, mais pas pour vérifier ce qui devrait l'être par le comité de probation.

Les problèmes éthiques sont aussi au niveau de la protection des victimes potentielles. N'y a-t-il pas un leurre à faire croire que nous soignons quelque chose qui est à la frontière d'un choix d'orientation sexuelle, un choix condamné par notre société ?

M. le Président Larché disait qu'il faut être prudent. Nous sommes dans un domaine où l'on peut déraper, soit dans le sens d'un amalgame entre les maladies mentales et les dépravations, soit dans le sens où l'on considérerait qu'il n'y a rien à faire. On sait que la justice échoue car la récidive est fréquente. Les peines n'intimident pas ces personnes. La justice traite le violeur comme celui qui fait un hold up. Il faut individualiser la prise en charge pénale.

M. le Président - Docteur Cordier, nous vous écouterions pendant des heures. Je voudrais vous remercier vivement pour les éclairages que vous nous avez donnés. Voyez ce que peut-être l'ignorance d'un législateur ! Il n'y a pas de pédophilie chez les animaux. C'est évident, semble-t-il, mais voilà une situation à laquelle personnellement je n'avais jamais songé lorsque j'entends autour de moi parler du problème de la pédophilie. Je pense que beaucoup d'entre nous souhaiteront vous interroger.

Pour ma part, je vous demanderai s'il est vrai que le pédophile n'a aucun scrupule, qu'il ne regrette pas son geste.

Docteur Cordier - Il y a de nombreux profils de pédophiles.

Certains sont très culpabilisés. Je vois des gens qui ne sont jamais passés à l'acte. Ils sont très émus à la proximité d'un jeune garçon au point de ressentir des troubles physiques... Ils ont des scrupules. Entre deux hommes qui ont cette orientation, pour des raisons inconnues, certains ont un "sur-moi" qui évitera le passage à l'acte et vont vouloir qu'on les soulage. D'autres, de par leur éducation, leur personnalité, dénient l'altérité, c'est-à-dire qu'ils ne reconnaissent pas l'autre. Il n'y a que leur plaisir et leur satisfaction qui comptent. Il n'y a pas de relations avec l'autre, l'autre est objet. Dans ces moments-là, ce sont ceux-là qui sont les plus dangereux, mais ils ne sont pas la majorité.

Il y a des déficients intellectuels, quoique peu nombreux, dont le destin est l'hôpital psychiatrique s'ils n'ont pas une prise en charge thérapeutique.

M. Nicolas About - Si les thérapeutiques étaient appliquées avant la transgression de l'interdit, donneraient-elles des résultats beaucoup plus élevés ? On a en effet l'impression que le pédophile qui est passé à l'acte a acquis un réflexe pavlovien, qu'il a pris goût à cette forme de plaisir qui l'incite à recommencer.

Docteur Cordier - La castration chirurgicale la plus efficace serait celle qui aurait lieu au cours de la puberté. Il n'est bien entendu pas question de former un diagnostic dès la puberté.

Il y a chez les pédophiles comme une sorte de drogue. Les cas les plus difficiles ont commencé par de l'exhibition avant de commettre des actes de plus en plus graves. Il ne s'agit pas d'un problème hormonal car les taux sont normaux.

Cela étant, j'ai eu des résultats chez des gens qui sont déjà passés à l'acte. L'objectif est de diminuer l'envie sexuelle. La réaction la plus physiologique est freinée, l'envie ne change pas mais elle est moins prégnante. Le sujet a beaucoup plus de facilités à se dominer.

Après deux ou trois années de traitement, on peut espérer un effet de déconditionnement. La testostérone est la condition nécessaire à l'activité sexuelle, mais elle n'est pas suffisante. La sexualité est très complexe. Elle implique la culture, la notion d'interdit, etc...

M. le Président - Y a-t-il une pédophilie féminine ?

Dr Cordier - Il y a des femmes masculines ! La sexualité féminine est de nature différente de la sexualité masculine.

La sexualité féminine n'a pas la même orientation de « possession ». Indépendamment du fait qu'entre l'enfant et la femme se passent des choses plus intenses, il peut y avoir quelque chose d'ordre sensuel qui n'a pas la même signification.

L'homme a une sexualité active dans notre société. Il prend l'initiative.

On n'a jamais eu de plaintes d'enfants qui aient prétendus avoir été traités par une femme comme ils auraient pu l'être par un homme sur le plan sexuel, même si on a pu parler d'érotisation de certains gestes, notamment de la toilette.

M. Pierre Fauchon - Marie-Antoinette a fait une déclaration sur ce sujet.

M. le Président - « J'en appelle à toutes les mères ! »

Dr Cordier - Ce que j'ai dit n'est pas valable pour ce qu'on pourrait trouver dans les pensions, dans les couvents, dans les prisons ou chez des gouvernantes "frustrées". Il s'agit de compensations sexuelles et non pas d'orientation vers la pédophilie.

M. Michel Dreyfus - Schmidt - Je suis un peu choqué que la journée de l'enfant, l'actualité aidant, tourne à la journée de la pédophile. D'un autre côté, je me souviens que lorsque nous avons discuté de la loi « Méhaignerie », nous avions entendu un seul expert, ce qui m'avait paru un peu court. Nous avons appris beaucoup de choses aujourd'hui.

Mais qu'on nous annonce un texte sur un sujet dont on a déjà parlé cela me choque. Ce problème était latent. On l'a déjà abordé au moment de la loi Méhaignerie.

M. le Président - Je me souviens de l'audition d'un expert à propos de la perversité et cet éminent psychiatre nous a dit : « le pervers récidive toujours ».

Dr Cordier - Je ne suis pas d'accord avec une déclaration aussi péremptoire. C'est démotivant. C'est comme l'adage « pédophile un jour, pédophile toujours ». Il est important de prévoir de longs traitements. Cela doit se faire en secteur public avec des psychiatres agréés.

M. Michel Dreyfus - Schmidt - Je remercie le Président d'avoir précisé mes souvenirs. Démonstration vient d'être faite que l'audition d'alors avait été tout à fait insuffisante. L'actualité aidant, on va rediscuter de problèmes dont on a déjà discuté à propos de la peine incompressible. L'actualité qui a conduit à la loi Méhaignerie c'était le cas d'une personne d'abord condamnée pour des faits qui n'étaient pas trop graves et qui était ensuite arrivée à un cas très grave.

J'ai eu, en tant qu'avocat, le cas d'un jeune homme, poursuivi pour des attouchements sur enfant, qui niait, alors qu'à la lecture du dossier il n'était pas possible de nier. Il est allé voir l'un de vos confrères qui m'a dit qu'étant donné qu'il niait, il ne pouvait pas le soigner. Ce qui n'a pas empêché de donner des certificats comme quoi il était venu le voir. Le tribunal l'a condamné avec obligation de se soigner. Mais est-il possible de soigner quelqu'un qui nie devant son médecin ?

Dr Cordier - J'ai été confronté à une situation similaire la semaine dernière : une épouse amène son mari qui est grand-père et condamné pour des gestes déplacés sur ses petits enfants. Comme il niait, je lui ai dit que je ne pourrais pas parler du problème avec lui et que nous n'allions pas faire semblant de croire que c'était faux. J'ai dit à ce monsieur que je le reverrais en espérant que nous pourrions avoir une relation plus approfondie.

Ce sont des gens qui nient à tous les stades. Il existe un apprentissage de la dénégation. Il y en a qui nient pendant vingt ans. Ce n'est pas impossible de soigner, mais il faut un minimum de bonne volonté et tout au moins le consentement à être soigné, ce qui constitue un aveu implicite.

M. Michel Rufin - Je voudrais poser trois questions. À travers la clarté de votre exposé, vous avez laissé certaines questions en suspens et je serais heureux si vous pouviez y apporter une solution.

1° Vous nous avez dit que les pédophiles n'étaient pas des malades mentaux mais qu'ils avaient une anomalie. Médicalement, cette anomalie résulte-t-elle d'une malformation ? Pourriez-vous me dire quelle est l'origine de cette malformation par exemple si, comme pour la trisomie 21, elle est ordre chromosomique ? Dans le cas de la pédophilie, y a-t-il une malformation physique ?

2° Vous nous avez dit : on ne peut impliquer la procédure judiciaire dans le traitement médical. Autrement dit, si le juge peut infliger une peine de prison à un pédophile notoire, par contre il ne peut imposer un traitement médical. Je suppose donc qu'en ce qui concerne les avancées de la médecine dans ce type de traitement, vous n'avez pas trouvé la solution qui permette de soigner efficacement ces personnes. Certains sont des gens malades, d'autres des criminels.

3° Pensez-vous que, compte tenu des recherches faites dans tous les pays, notamment sur le plan médical, à ce sujet, on puisse espérer qu'un traitement positif sera trouvé et aura une portée efficace vis-à-vis de ces problèmes qui créent une perturbation forte dans notre société et dans un pays voisin de mon département ?

Dr Cordier - 1° Il n'y a pas de malformation. Biologiquement, morphologiquement, nous n'avons trouvé aucune anomalie qui puisse expliquer que des hommes s'orientent vers ce type de sexualité.

Vous laissez entendre que certains sont de grands malades. Ce n'est pas parce que des personnes commettent des actes dont on dit qu'il faut être "fou" pour les commettre, qu'ils sont des malades mentaux.

Il est important de faire une distinction entre la véritable "démence" et une anomalie dans un secteur donné, entretenue, cultivée. Même si ils n'ont pas choisi d'être pédophiles. Et s'ils ont subi eux-mêmes la pédophilie dans leur enfance, ils sont encore plus conscients du mal qu'ils font ou qu'ils ont fait.

2° En ce qui concerne le traitement imposé et le traitement dans l'avenir.

Les juges prononceront un traitement mais ne pourront pas l'imposer. En France, les médecins ne participeront pas à des traitements de force. Ils le feront en urgence pour calmer quelqu'un, ils isoleront la personne, mais il est impensable que quelqu'un reçoive durablement une injection contre son gré.

Il serait par contre tout à fait réaliste de négocier la liberté de quelqu'un avec un traitement. Cela s'est déjà vu ailleurs. En Allemagne, cela est allé jusqu'à la négociation de la liberté contre la castration. Aux États-Unis, c'était peine de mort contre castration.

3° Y a-t-il un espoir pour l'avenir ?

Il n'y aura pas un traitement de la pédophilie car il y en a une quantité de formes. La pédophilie ne disparaîtra jamais, il ne faut pas se leurrer. Elle fait partie des errances de l'être humain qui a une sexualité plus sophistiquée que l'animal et qui en arrive à cultiver ce genre de déviation. On ne peut diriger médicalement l'orientation sexuelle. Nous serions dans « Le Meilleur des mondes » et il n'y aurait plus qu'à prescrire des pilules pour tout ce qui nous gène.

En considérant ces traitements comme des "coupe-faim", on peut arriver à freiner la boulimie sexuelle de certains pédophiles.

M. Guy Allouche - La pédophilie atteint toutes les catégories sociales : y a-t-il une raison qui explique ce besoin de pédophilie ? Autrement dit, y a-t-il des points communs entre les pédophiles ? Que se passe-t-il si un pédophile cache sa pédophilie à son conjoint : est-il condamné à ne plus avoir de relations sexuelles ?

Dr Cordier - Nous avons plusieurs catégories de pédophiles :

- les malades mentaux : ils sont rares ;

- les victimes de pédophiles dans l'enfance : il existe un processus paradoxal de répétition chez l'être humain déjà identifié en matière de maltraitance ;

- les personnes qui ne se sentent pas à l'aise dans le monde adulte et qui retournent vers l'enfance comme vers la jouvence, dans un milieu où ils sont sûrs d'eux-mêmes. D'autres sont restés dans l'adolescence, sans sexualité avec des adultes.

J'ai plusieurs patients mariés que je rencontre avec leur épouse. Ils ont généralement tous les deux volontaires pour participer à l'abstinence. Si l'épouse n'est pas au courant, le mari peut invoquer des raisons médicales qui le rendent impuissant momentanément.

M. Jacques Mahéas - Je me félicite que ce sujet tabou soit sur la place publique. Des statistiques ont-elles été faites pour savoir dans quel milieu se situe le pédophile, son niveau d'éducation, la communauté dont il est issu ? Pourriez-vous nous indiquer un certain nombre de critères qui pourraient, nous législateurs, nous orienter vers tel ou tel domaine ?

En ce qui concerne les soins, on va de solutions légères en solutions coercitives. Vous nous avez parlé des soins en milieu ouvert. La question se pose de savoir s'il faut introduire l'internement dans la loi.

Nous assistons à une diffusion extraordinaire de l'information dans notre pays. Avez-vous des indications sur les conséquences des réseaux du type Internet, propices à faciliter le travail des pédophiles ?

Mme Nicole Borvo - De votre point de vue de médecin, y a-t-il un lien entre l'augmentation de la pédophilie et une certaine permissivité ou crise de la société ?

M. Nicolas About - Il est souvent dit que les métiers qui tournent autour de l'enfant sont concernés par la pédophilie. Est-ce confirmé ? Ceux qui s'occupent des enfants fuient-ils le monde des adultes ? Y a-t-il eu débat au Conseil de l'Europe sur les problèmes de la pédophilie ? À partir de quand n'est-on plus un enfant ?

M. Robert Pagès - Tout d'abord, permettez-moi de dire que je regrette que l'on ait dans cette maison deux réunions en même temps sur cette même question.

M. le Président - Je n'ai été informé qu'au dernier moment de la réunion du COFRADE qui se tient aujourd'hui, en même temps que la nôtre, sur les droits de l'enfant.

M. Robert Pagès - Ma question est différente des autres car elle concerne les victimes. Pensez-vous, en tant que psychiatre, qu'une sorte de préparation psychologiques ou pédagogiques des victimes potentielles peut être de nature à ce que l'enfant se protège lui-même contre la pédophilie ?

Par ailleurs, lorsqu'un enfant est victime de la pédophilie, existe-t-il des moyens, psychiatriques, psychologiques ou pédagogiques qui lui permettent d'effacer autant que faire se peut les conséquences de cette pédophilie puisqu'on sait qu'un certain nombre de pédophiles seraient des anciennes victimes ?

Dr Cordier - Sur les caractéristiques sociales, les Américains ont été très forts. Ils ont recherché tout point commun par rapport à l'éducation, l'origine sociale, le niveau scolaire, le quotient intellectuel, le milieu, etc... Il n'y a pas de population ciblée. On retrouve des pédophiles dans tous les milieux, certains ayant bénéficié d'une éducation banale sans traumatismes apparents et d'autres ayant subi dans leur enfance des carences affectives ou éducatives graves.

Le problème de la pédophilie se pose aussi dans les institutions religieuses car la religion ne prémunit pas contre la pédophilie.

Quant à la permissivité sexuelle, la psychiatrie à tout de même favorisé une moins grande coercition sexuelle. Freud a commencé à Vienne au XlX è où les interdits étaient hypocrites et pathogènes. Aujourd'hui, on peut en parler. Il y a un net progrès dans notre société où l'on admet la chose sexuelle sous tous ses aspects. Notre culture est arrivée à une certaine maturité qui lui permet de parler de cet état psychique dans lequel on se retrouve quand on est sexuellement excité sans que cela soit tabou.

En ce qui concerne l'internement, selon la loi, il n'est prévu que si l'état mental du sujet compromet l'ordre public ou la sûreté des personnes.

Cela dit, nous sommes contre l'idée d'appliquer cette loi à un pédophile sortant de prison et présentant un danger car il n'est pas malade mental. Nous aurions alors des problèmes vis à vis des équipes soignantes car on mélangerait des pervers et des malades qui sont la proie idéale pour les manipulateurs. Les infirmiers refuseraient de participer à une action de coercition. Ce n'est pas leur fonction. Il ne faut pas exclure cette éventualité pour quelqu'un qui aurait de graves troubles mentaux associés à la pédophilie, mais le pédophile "normal" ne relève pas de l'internement, sinon il aurait bénéficié d'un non-lieu.

En ce qui concerne le développement de la pédophilie liée au réseau Internet, je dirai qu'en France, cela est sans véritables conséquences, la pédophilie n'est pas pratiquée par réseau. En revanche, à l'étranger, il y a de véritables réseaux et cela multiplie les possibilités de rencontres.

En ce qui concerne les métiers exercés auprès d'enfants : beaucoup de pédophiles travaillent dans ces métiers. Mais ce n'est pas parce qu'on travaille auprès des enfants que l'on devient pédophile. Il y a évidemment cette fascination pour le monde de l'enfant qui peut favoriser des vocations liées à une peur du monde adulte. Il y a une véritable préméditation dans l'orientation professionnelle de sujets qui participent à des associations et qui seront toujours prêts à rendre service à des familles ou à des enfants. Les Américains ont repéré tous les métiers ayant une relation particulière avec des enfants, y compris celui de réparateur de vélos !

Selon l'Organisation mondiale de la santé, la pédophilie suppose que la victime ait treize ans au plus, que l'auteur des faits ait au moins seize ans et qu'il existe entre eux un écart d'âge de cinq années au moins.

Concernant les victimes, une préparation psychologique ne relève pas des seuls médecins ou juges mais de tous et notamment des média, vecteur indispensable à une bonne information.

Dans certains pays, le pédophile qui sort de prison doit aller prévenir ses voisins pour leur dire d'éloigner leurs enfants. Quand on en sera là en France, on aura entamé une préparation psychologique. La plupart des enfants savent maintenant de quoi il s'agit et qu'il y a un certain nombre de précautions à prendre.

S'agissant des moyens thérapeutiques destinés à aider un enfant à supporter le traumatisme de l'acte pédophile, ils nécessitent la coopération de la famille qui a besoin elle-même d'être aidée.

Mme Marie - Claude Beaudeau - Monsieur le Président, je vous remercie de m'avoir invitée.

Je pense, Docteur, que parmi les gens que vous soignez vous trouvez des gens qui ont été amenés à avoir ce travers uniquement parce qu'ils ont pu avoir accès à certains réseaux de communication.

Le ministre de l'Éducation nationale, M. François Bayrou, a attiré l'attention des enseignants pour inclure ces questions dans le programme scolaire. La Convention internationale relative aux droits de l'enfant devrait favoriser cela. Il y a, dans notre société, un travail spécifique à faire pour que les enfants sachent qu'ils peuvent se protéger eux-mêmes.

Dr Cordier - On ne devient pas pédophile parce que l'on tombe par hasard sur un réseau Internet. Il y a des personnes qui en arrivant à Bangkok se voient proposer des enfants. Tout le monde n'accepte pas, il faut des prédispositions particulières. Ceux qui sont troublés sexuellement par le corps d'un enfant ont déjà une anomalie.

M. le Président - Docteur, je vous remercie.

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