VI. SÉANCE DU MERCREDI 20 NOVEMBRE 1996

A. AUDITION DE M. BERNARD MESURÉ, PRÉSIDENT ET DE M. BERNARD LEMOINE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE (SNIP)

M. Claude HURIET, rapporteur - Je vous remercie d'avoir répondu à la mission, vous en connaissez les thèmes.

A l'occasion des auditions et du travail effectués par la Commission, nous nous sommes rendu compte qu'il était utile d'analyser les conditions dans lesquelles actuellement, la sécurité sanitaire des produits était assurée en France, de faire une analyse critique qui pouvait conduire à constater, sans préjuger de son résultat, ce qui marchait bien et les domaines dans lesquels les procédures de sécurité sanitaire étaient insatisfaisantes.

Ce qui nous intéresse, c'est de savoir comment vous analysez dans le domaine qui est le vôtre essentiellement -le médicament- les procédures assurant la sécurité sanitaire des produits thérapeutiques. Mais si vous avez quelques idées concernant un champ proche mais distinct de celui des produits thérapeutiques, nous sommes preneurs de vos réflexions.

M. Bernard MESURÉ - Je pense que dans l'échelle que vous venez brièvement de rappeler, le médicament est probablement un des produits sur lesquels l'organisation et le fonctionnement sont les meilleurs. Il existe à la fois des systèmes de pharmacovigilance déjà en place avec, je crois, un accroissement du réflexe du médecin qui est tout à fait notable sur les dernières années, un système de traçabilité du suivi de nos lots qui est en ordre, et un système de rappel, quand il y a un problème, extrêmement rapide, assorti des relations entre les firmes et l'Agence qui sont fluides et habituelles.

M. Bernard LEMOINE - Il y a les procédures -elles sont en place et fonctionnent convenablement- mais il y a aussi la capacité de l'Agence du médicament à les faire fonctionner. On n'a pas optimisé cette efficacité dans la mesure où l'Agence du médicament, qui fonctionne globalement bien dans toutes ses missions, n'est pas toujours au maximum de ses performances, en particulier dans le domaine de la pharmacovigilance.

Les débats que l'on a à travers la Commission de l'Agence donnent des options différentes ; il y a même des conflits entre la position prise par l'Agence et celles du Comité des spécialités pharmaceutiques de l'Agence européenne du médicament. Mais, en matière de procédure, l'ensemble des éléments propres à assurer une sécurité dans le domaine de la thérapeutique médicamenteuse sont en place : il convient de les optimiser.

L'autre sujet de discussion était de savoir s'il y avait lieu d'intégrer ou de coordonner les procédures applicables à la sécurité du médicament dans un ensemble plus vaste : c'est un sujet qui mérite réflexion et sur lequel nous émettons quelques réserves par prudence.

M. Claude HURIET, rapporteur - Concernant les conflits que vous venez d'évoquer, pourriez-vous aller plus loin et dire, exemples à l'appui, en quoi ils consistent et comment ils sont réglés, que ce soit au niveau de l'Agence française du médicament ou à celui de l'Agence européenne ?

M. Bernard LEMOINE - Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, il ne s'agit pas de conflits sur les règles du jeu propres à assurer une bonne pharmacovigilance entre la France et les autres pays de la C.E.E. Les experts scientifiques s'accordent en France, avec leurs collègues européens, pour déterminer les contours d'une bonne pharmacovigilance dans le domaine du médicament.

Les conflits portent sur les appréciations portées par la Commission de pharmacovigilance en France, qui relève de l'Agence du médicament française, et le Comité de spécialités pharmaceutiques sur l'appréciation de ce que le droit communautaire permet en matière de pharmacovigilance.

Il y a des conflits d'ordre juridique sur l'appréciation de ce qui est susceptible d'être étendu en termes d'interdiction à l'ensemble de la CEE à partir de cas relevés dans tel ou tel pays. Il convient qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, il ne s'agit pas de conflits, de contestations ou de divergences sur une politique de pharmacovigilance.

M. Claude HURIET, rapporteur - Le Président et le Directeur général portent une appréciation assez positive sur l'ensemble des conditions de sécurité concernant le médicament en France et M. Lemoine a évoqué dans son propos l'apparition de conflits en termes de pharmacovigilance beaucoup plus qu'en matière de sécurité et de procédure d'amont, conflits avec une dimension européenne et beaucoup plus juridiques qu'organisationnelles.

Il faudra que vous développiez l'aspect juridique car au fond, cela peut nous concerner, soit au niveau de la législation nationale, soit au niveau européen.

M. Bernard LEMOINE - Ces dernières années, on a observé dans la construction du droit communautaire du médicament un certain nombre d'ambitions contraires.

On constate, au fur à mesure de la construction du droit communautaire, des appréciations différentes d'un pays à un autre sur les décisions à prendre à partir d'une même appréciation scientifique des cas relevés. En aval de l'autorisation de mise sur le marché, il y a des décisions qui sont prises de façons différentes et pas toujours de façon coordonnée, d'une part entre les différents pays de la CEE et d'autre part entre tel et tel pays de la CEE et les structures communautaires de l'Agence européenne de Londres.

Pour revenir à la pharmacovigilance, il existe différentes appréciations entre le Comité pharmaceutique à Londres, qui dépend de l'Agence Européenne, et telle ou telle agence nationale ou administration nationale d'un pays statuant sur le médicament.

M. Claude HURIET, rapporteur - Quand on a eu les cas de Creutzfeld-Jakob, l'hormone de croissance était-elle un médicament ou c'était expérimental ?

M. Bernard LEMOINE - A l'époque ce n'était pas un médicament !

M. Claude HURIET, rapporteur - Vous pensez que quand un produit a un label " médicament ", on est à l'abri de ce genre de chose ?

M. Bernard LEMOINE - La question était de savoir si, en France, il y avait dans le domaine du médicament des procédures et une organisation suffisamment performantes pour prévenir des accidents. La réponse est oui, les procédures et l'organisation à travers l'Agence du médicament sont aujourd'hui en place. Même s'il y a sans doute une marge d'extension et d'amélioration possible, il est clair que les procédures sont en place.

Nous en sommes arrivés à parler des relations entre l'Agence française et les institutions communautaires et du contexte de la sécurité thérapeutique médicamenteuse en France dans le cadre communautaire. C'est là que j'ai dit qu'il existait quelques conflits d'appréciation, notamment sur les décisions à prendre.

Je voudrais revenir sur la pharmacovigilance. Une décision de l'Agence européenne concernant les anorexigènes a été prise. Elle était relativement flexible et pas très rigide, pas très contraignante. Elle demandait aux Etats membres de prendre des dispositions en termes de pharmacovigilance, mais la recommandation du Comité des spécialités pharmaceutiques a été d'indiquer aux Etats membres : "Surveillez la prescription et les conditions de délivrance de ces produits, mais vous pouvez les laisser en médecine ambulatoire".

Or, la France a pris une mesure d'interdiction de ces produits en médecine ambulatoire. Ce n'est pas une mauvaise décision, mais cela montre les différences d'appréciation d'un Etat à un autre. On fait la même appréciation scientifique, les experts français ont relevé également des cas d'hypertension, mais on ne prend pas le même type de décision.

M. Claude HURIET, rapporteur - Vous avez évoqué aussi les réserves que vous seriez amené à faire en matière d'organisation plus globale : c'est un des points importants du rapport sur lequel travaille la mission.

M. Bernard MESURE - Nous pensons très clairement que, pour l'instant, l'Agence du médicament -dont on a dit tout à l'heure qu'elle avait encore pas mal de progrès à faire dans pas mal de domaines-, n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Il y a notamment énormément de progrès à faire, au niveau des délais pour lesquels nous sommes très loin de ceux imposés par la Communauté européenne.

Actuellement, le délai de délivrance d'une autorisation de mise sur le marché qui doit être de 180 jours selon les règles européennes est de 240 jours en France. Dans bien des domaines, on est encore en phase de montée en puissance de l'Agence. Je crois qu'avant d'élargir éventuellement les missions de l'Agence, il faudrait d'abord qu'elle commence par être performante dans ses missions initiales. Or, elle ne l'est pas.

Par ailleurs, pour quelqu'un comme moi qui a fait une partie importante de sa carrière dans les rapports avec les Etats-Unis en contact avec à la fois le monde politique américain et la FDA, il n'est pas sûr que l'on puisse transposer, des Etats-Unis à la France, le système américain et que l'on aurait intérêt à avoir une espèce d'énorme chose car avec notre tempérament procédurier, nos lenteurs, etc., on va paralyser le système.

M. Claude HURIET, rapporteur - Les parlementaires américains se plaignent de la lenteur de la FDA.

M. Bernard MESURÉ - Le décalage entre les Etats-Unis et la France provient du fait que l'on copie trop souvent des procédures ou des institutions qui n'existent plus dans le pays que l'on veut copier. On revit cela régulièrement sur tous nos dossiers. Je crois qu'une espèce d'énorme organisme englobant trop d'activités n'est pas souhaitable.

Concernant l'Agence, il y a aussi l'important problème de la remise à plat complète du financement d'une agence qui verrait ses missions élargies. Les ordonnances ont déjà considérablement élargi sa mission. Elle a en effet désormais la charge de mettre en place des références médicales opposables. Au total, il n'y a pas eu une seule référence médicale opposable nouvelle cette année.

M. Claude HURIET, rapporteur - Je ne sais pas si c'est la raison...

M. Bernard MESURÉ - ...peut-être ne sont-ils pas organisés pour le faire, mais la structure n'est pas en place. L'Agence du médicament n'a strictement rien fait, même pas installé une structure pour accomplir cette mission.

M. Claude HURIET, rapporteur - C'est très important.

M. Bernard MESURÉ - En tant qu'administrateur de l'Agence, je suis la mise en place de cette Agence ; il y a des choses qui se sont faites vite et bien, mais on peut reconnaître, et le directeur général le reconnaît avec moi qu'en 1997, on va à peine démarrer l'activité correspondant aux missions nouvelles.

Par ailleurs, il y a le financement de l'Agence. On y ajoute des missions, donc des dépenses...

M. Claude HURIET, rapporteur - ...et vous ne voulez pas financer.

M. Bernard MESURÉ - Ce n'est pas que les industriels ne veulent pas, mais est-il normal qu'une Agence qui est une institution parapublique soit totalement financée et placée sous le contrôle de sociétés privées ? On peut se poser la question. Au moment de la mise en place de l'Agence, le financement devait être de 50/50 quand l'Agence atteindrait sa vitesse de croisière : aujourd'hui on n'est pas loin de 20/80. Ce sont les laboratoires qui payent quasiment le fonctionnement de l'Agence ; il y a quelques temps encore, toujours avec l'argent des firmes, on achetait de l'immobilier 60 % plus cher que ce qu'il ne vaut !

On a arrêté ce processus mais il faut d'abord que cette Agence atteigne son rythme de croisière sur les missions initiales pour laquelle elle a été créée, avant de lui ajouter sans arrêt un plan de charge supplémentaire. A chaque Conseil, on est obligé de prévoir des budgets modificatifs compte tenu de plans de charge non prévus à l'origine et qui s'accumulent.

M. Claude HURIET, rapporteur - Ce que vous dites est très important ; on a déploré hier encore en Commission mixte paritaire sur la loi de financement de sécurité sociale qu'il n'y ait pas eu de RMO. Vous dites qu'il n'y en a pas en 1996 car l'Agence n'a pas les moyens...

M. Bernard MESURÉ - ...elle n'avait pas mis en place de structure adéquate.

M. Bernard LEMOINE. - Il est vrai qu'il y a eu, au moment des ordonnances, un atermoiement politique qui a joué aussi.

Déterminer de nouvelles RMO est complexe, mais ce que les syndicats médicaux ne contestaient pas et ce que l 'on demandait, c'était un meilleur ciblage des RMO déjà sorties en 1994 et 1995, en les retoilettant pour une plus grande efficacité économique, avant de se pencher sur l'élaboration de nouvelles. Même cela n'a pas été fait.

M. Claude HURIET, rapporteur - Votre position ne me surprend pas concernant la sécurité sanitaire des produits thérapeutiques, mais concernant la démarche veille sanitaire, adhérez-vous à mon point de vue, qui est de dire qu'autant on peut verticaliser tout ce qui concerne la sécurité sanitaire du produit thérapeutique, autant l'observation et la veille sanitaire ne peuvent pas se raccrocher exclusivement à un système vertical. En effet, quand un incident de santé survient, qu'il soit individuel ou collectif, on ne sait pas s'il met en cause un produit thérapeutique ou tout autre chose.

Depuis que l'on a commencé les travaux de cette mission, très rapidement, quels que soient nos interlocuteurs, on en arrive à évoquer -eux ou nous- à titre d'exemple la vache folle ou l'amiante. Or, dans une démarche verticale, je ne vois pas comment on aurait pu répondre à ces deux situations.

C'est ce qui me met un peu mal à l'aise, car ce n'est pas seulement l'actualité qui fait qu'en matière de sécurité sanitaire, les deux exemples sont la vache folle et l'amiante. Si on est dans un système que j'appelle vertical -en espérant me faire comprendre- je ne suis pas certain que l'on puisse répondre rapidement à tous les problèmes qui touchent à la sécurité sanitaire. Lorsque des éléments pathologiques nouveaux surviennent -le dernier cas dont on parle moins est la maladie de Kawasaki- quand on voit apparaître une éruption cutanée, sans parler de phénomène digestif ou autres, leur origine peut être liée à des produits ou aux milieux. Si on a un système de sécurité sanitaire qui concerne l'alimentation, les produits thérapeutiques, les médicaments, les radiations ionisantes...

M. Bernard MESURÉ - Les peintures, les plastiques, où arrêtez-vous votre transversalité ? Vous parlez du problème de l'amiante, il a été repéré depuis un certain temps.

M. Claude HURIET, rapporteur - Justement, on a tous appris les cancers de l'amiante il y a 30 ans, hélas !

M. Bernard MESURÉ - Avant d'envisager une sorte d'organisation tentaculaire du type FDA, ne faut-il pas commencer par avoir des stratégies de veille avec la mise en place, par domaine, d'un certain nombre de procédures ? Car, à mon avis, il faut commencer par les procédures. Si on est plus performant dans le domaine du médicament c'est que, depuis plusieurs décennies, des procédures sont en place. Dans les cas que vous citez, elles n'existent pas ou pas assez.

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Peut-on en déduire que l'Agence du médicament est déjà une trop grosse machine ?

M. Bernard MESURÉ - On n'en est pas très loin.

M. Bernard LEMOINE - En France, on a du mal à gérer les grands ensembles, les grandes entreprises industrielles. Il est clair que l'Agence du médicament française est loin d'avoir optimisé l'ensemble de ses activités.

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Ces manques de performance affectent-ils la sécurité du médicament ?

M. Bernard LEMOINE - Non, c'est plus en amont, les autorisations de mise sur le marché, les délais, les confusions dans la gestion administrative.

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - C'est gênant, mais cela ne crée pas de problèmes de sécurité.

M. Bernard LEMOINE - Tout à fait.

M. Claude HURIET, rapporteur - Je me dis : pourquoi pendant dix ans, alors que nous mangeons du boeuf tous les jours, et que l'on savait qu'il était atteint d'une épidémie inquiétante, les pouvoirs publics n'ont-ils pas dégagé de l'argent pour voir si la maladie était transmissible ? C'est effrayant !

M. Bernard MESURÉ - N'est-ce pas une absence de politique ?

M. Bernard LEMOINE - On a continué à donner de l'alimentation au bétail dont on savait qu'elle contenait les farines animales.

M. Claude HURIET, rapporteur - Pourquoi ? A part M. Dormont et un autre médecin généraliste qui ont travaillé chacun dans leur coin, ils n'ont eu le soutien de personne. Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'étincelle, alors qu'il nous semble que les structures existent ?

M. Bernard MESURÉ - Les procédures ne sont peut-être pas non plus très claires. On n'a pas été plus mauvais que les autres.

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