C. AUDITION DE M. BERNARD MONCELON, DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHE ET DE FORMATION DE L'INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE ET DE SÉCURITÉ (INRS).

M. Bernard MONCELON - Créé en 1968 par la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), à partir de la fusion d'un centre parisien avec un centre de Nancy qui se proposait d'étudier l'homme au travail, l'INRS a pour mission de mieux connaître les risques, d'analyser leurs conséquences pour la santé de l'homme au travail. Il est placé sous la tutelle du ministère du travail et des Affaires sociales et suit les directives de la CNAM.

La CNAM et la direction de la sécurité sociale sont représentées au sein de notre conseil d'administration, géré paritairement : Il y a neuf représentants du CNPF et de la CGPME et neuf représentants des organisations syndicales représentatives des salariés. Dans le cadre de la répartition des postes de direction entre les organisations socio-professionnelles, le président du conseil d'administration est toujours un représentant du patronat.

Notre budget est assuré par la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles. Nous reversons 95 % de cette somme aux salariés qui en sont victimes, et consacrons 3 à 4 % aux actions de prévention et de formation, au niveau des seize caisses régionales d'assurance maladie et des quatre caisses de l'Outre-mer, sous forme soit de prêts remboursables, soit de dons.

M. Charles DESCOURS, président - Je ne connaissais pas votre organisme. Comment s'insère-t-il dans l'affaire de l'amiante ?

M. Bernard MONCELON - D'un strict point de vue des missions qui nous ont été confiées, nous ne sommes pas habilités à interdire l'amiante. Il nous revient de mettre en oeuvre une politique de prévention, conformément à la législation en vigueur.

Cependant, nous disposons d'un service de recherches, composé de chercheurs et de médecins à temps plein, qui contribue à l'amélioration des connaissances. Quand l'INRS a été instauré, les pathologies liées à l'amiante étaient connues depuis longtemps. Depuis 1968, l'INRS s'est fait l'écho des connaissances en la matière.

Nous avons participé, en 1972-1974, à une expertise à Jussieu, conjointement avec le laboratoire d'hygiène de la ville de Paris. Un rapport d'expertise a été déposé.

Les progrès réalisés dans la comptabilité des polluants ont permis, en quinze ans, d'affiner le calcul du nombre de fibres d'amiante. Nous avons formé des laboratoires capables de faire ces mesures, avec des circuits de comparaison.

Depuis sept ou huit ans, compte tenu de la toxicité de l'amiante, des produits de remplacement ont été proposés. Les fibres de céramique sont peut-être plus dangereuses encore que les fibres d'amiante. Actuellement, nous participons à une étude internationale, coordonnée par un institut britannique, l'IOM. Nous en connaîtrons les résultats d'ici six mois à un an.

L'INRS n'a pas obtenu d'un prédécesseur de M. Barrot la suppression de l'amiante, mais il n'avait pas l'autorité pour le faire. Par contre, avons-nous envoyé assez de notes d'information ?

M. Charles DESCOURS, président - Vous y préconisiez l'interdiction ?

M. Bernard MONCELON - Nous attirions l'attention sur le danger à manipuler de l'amiante. N'oubliez pas que notre financement vient des entreprises et que c'est notre conseil d'administration qui vote le programme et le budget.

M. Claude HURIET, rapporteur - Quel est le rôle de l'INRS en matière de veille sanitaire, de sécurité de produits ?

L'INRS est-il alerté quand intervient un événement pathologique dans une entreprise ?

M. Bernard MONCELON - Nous sommes en prise directe avec les préoccupations sur le terrain. Nous avons des liens avec les caisses de prévention de l'assurance maladie. Les médecins conseils font appel à nous quand ils estiment qu'un produit nouveau pourrait être suspect. Nous sommes également proches des médecins du travail qui savent que nous pouvons pénétrer dans les entreprises.

L'INRS est chargé du contrôle des produits chimiques nouveaux pour le compte du ministre du travail, qui peut aussi demander l'avis du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels (CSPRP).

M. Charles DESCOURS - N'y a-t-il pas redondance ?

M. Bernard MONCELON - Le CSPRP, ce sont quinze personnes autour du ministre du travail. Nous avons créé des passerelles, des liens d'intérêts, avec les médecins du travail, les experts pour les aider à comprendre ce qui se passe. Il n'y a pas de relations institutionnelles. Le ministre du travail a toujours eu recours à l'INRS pour ne pas créer un nouvel organisme. Depuis vingt ans, il s'appuie sur nous pour le contrôle des produits chimiques et l'examen des machines. Dans les discussions à Bruxelles, il nous demande de le représenter.

Pour les produits chimiques, jusqu'en 1974, la règle était de donner une AMM générale, sous réserve de quelques interdictions. Depuis, le système est inversé.

On distingue les molécules et les substances nouvelles dont on peut penser qu'elles peuvent générer des troubles et les substances anciennes. Il y a de nombreuses substances qui existent depuis 100 ans qui n'ont pas été contrôlées. Si, par exemple, une nouvelle colle est mise sur le marché, il faut une AMM.

M. Claude HURIET, rapporteur - Il existe un système de vigilance. Si, à la suite d'incidents, une substance ancienne est suspectée, que se passe-t-il?

M. Bernard MONCELON - La vigilance repose sur l'INSERM. Je ne suis pas sûr qu'elle soit bien exercée.

A l'INRS, nous nous considérons comme engagés dans la vigilance à l'égard des salariés exposés, dans les entreprises, aux risques induits par les produits. Je ne peux pas vous dire, compte tenu du nombre de produits, si nous l'exerçons parfaitement. Nous pouvons étudier deux à quatre produits par an. Quand un accident du travail ou une maladie professionnelle intervient, il y a une enquête de l'inspection du travail qui donne lieu à un procès-verbal et à un rapport.

Les médecins du travail ne sont pas obligés de s'adresser à nous. Cependant, ils le font de plus en plus souvent. Nous avons constitué une banque de données pour exploiter les accidents du travail.

M. Claude HURIET, rapporteur - La vigilance doit être exercée le plus en amont possible. Le rôle de l'INRS devrait être de lever les interrogations dès qu'un événement se produit. Il y a des risques reconnus (usage des colles) et des risques que l'on peut aisément identifier.

M. Bernard MONCELON - Ce problème dépasse les capacités des organismes existants. Deux ou trois observations ne permettent pas de tirer des conclusions. Une enquête épidémiologique convenable doit porter sur une population importante.

Quand un risque est reconnu, les choses sont assez simples. Lorsqu'il s'agit d'évaluer un risque susceptible d'intervenir dans un an ou dans dix ans, c'est plus difficile.

M. Claude HURIET, rapporteur - Si trois ou quatre accidents interviennent en France, l'INRS est-il alerté ?

M. Bernard MONCELON - L'INRS n'est pas obligatoirement saisi. Nous avons constitué depuis 10 ans une banque de données pour rassembler les résultats des prélèvements faits par les services de prévention des caisses d'assurance maladie. Nous avons un échantillon des entreprises où il s'est passé quelque chose. Ce n'est pas représentatif de la situation globale. Nous avons l'intention de bâtir une banque de données sur la situation de la pollution dans différentes entreprises. Nous pourrions ainsi connaître, dans les verreries, quels sont les produits utilisés, leur concentration dans l'atmosphère....

M. Charles DESCOURS, président - Les relations avec les médecins du travail sont-elles institutionnelles ?

M. Bernard MONCELON - Non. Nous avons la volonté de faire de l'INRS un instrument technique de prévention au service des caisses de prévention de l'assurance-maladie.

A Nancy, l'INRS dispose d'une population de gens qualifiés qui ne se sont pas contentés de rester dans le domaine étroit qui leur avait été confié. Nous avons repoussé les limites de notre champ de compétences, mais les pouvoirs publics ne nous ont pas confié une mission de vigilance.

Pendant des années, nous avons vécu sur la conception du risque " zéro ". C'était aussi la revendication des syndicats. Elle n'était pas tenable. Se croyant protégées, les personnes ne faisaient pas attention. Nous avons fait prendre conscience que la maîtrise du risque était la meilleure méthode de prévention, avec une formation et une sensibilisation adéquates. Il ne faut pas non plus que le principe de précaution devienne paralysant. Je voudrais enfin attirer votre attention sur une chose : si le risque d'exposition à l'amiante a été maîtrisé dans les entreprises, il reste encore à informer le public. Des ouvriers du second oeuvre peuvent parfois travailler sur des métaux dont ils ne connaissent pas la composition.

Le directeur général de la santé, M. Girard, a été préoccupé par la flambée de mésotéliomes. On a " floqué " de 1962 à 1977. Des ouvriers ont été exposés. Compte tenu du temps de latence, la flambée était prévisible depuis 1962. Nous avons été choqués par les propos de MM. Kouchner et Lalonde qui ont affirmé ne pas avoir entendu parler de l'amiante.

En s'appuyant sur l'INRS, il faut créer des réseaux d'information afin que demain soit mieux qu'hier.

M. Charles DESCOURS, président - Nous vous remercions.

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