AUDITION DE M. MICHEL CAMDESSUS,
DIRECTEUR GÉNÉRAL DU FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL (5 FÉVRIER 1997)

M. le Président . - Je veux remercier M. Michel Camdessus, Directeur général du FMI, d'être venu. Sa résidence normale est Washington et il nous fait un grand honneur en venant nous parler ce matin.

Il aurait été tout à fait paradoxal de ne pas lui demander de venir dès lors qu'il tombe sous le sens que, si la mondialisation a de nombreux aspects, il y en a plus particulièrement deux qui crèvent les yeux : le premier aspect, ce sont les échanges de marchandises et de services et le second est constitué par l'ensemble de la sphère financière, qui est tout à fait fondamentale. On peut même dire que c'est par elle que la mondialisation a le plus progressé.

De tous nos interlocuteurs internationaux, M. Camdessus est sans doute celui qui s'impose le plus à l'esprit. J'ajoute que dans son cas, il est un interlocuteur privilégié puisqu'il est Français et qu'il a succédé à un Français. Voir cette organisation qui passe pour largement dominée par les Anglo-saxons, dirigée par un Français succédant à un Français et imposant sa marque, son autorité, à l'institution qu'il dirige en jouissant de la considération internationale, est pour nous, Monsieur le Directeur, extraordinairement satisfaisant. Je tenais à le dire.

Avec un parcours de carrière que tout le monde connaît, mais très euro-français puisqu'il passe par l'Institut d'Etudes politiques, l'E.N.A., le ministère des Finances, la direction du Trésor, mais avec une alternance de fonctions au Fonds monétaire, à la Banque Européenne d'Investissements et au Comité Monétaire Européen, M. Camdessus a une expérience qui l'a conduit aux plus hautes fonctions dans cette grande institution internationale qu'est le FMI.

Il n'est pas de crise mondiale où on ne voie apparaître le FMI. Il apparaît si souvent et avec tant d'autorité qu'il est une des institutions les plus contestées et les plus critiquées pour sa rigidité et son orthodoxie financière. Et malgré ces critiques, chaque fois que ses thérapeutiques sont utilisées, on voit le paysage des pays concernés changer complètement. On voit la prospérité succéder à la crise. C'est en tout cas mon sentiment personnel.

C'est pourquoi, Monsieur le Directeur, nous vous demandons de nous parler des progrès de la mondialisation avec ce qu'elle peut comporter de spéculations, d'instabilité, de mouvements brutaux. Nous aimerions, bien sûr, que vous nous disiez aussi comment un haut fonctionnaire international comme vous réagit à l'Euro. Pensez-vous que la monnaie unique soit une réponse adaptée au paysage financier mondial en pleine évolution ? Que peut-on en attendre ?

Je ne sais pas si vous avez le droit de nous dire quelque chose des rapports futurs entre l'Euro et le dollar ? Les relations de change telles qu'elles existent actuellement sont-elles adaptées ? Et pensez-vous qu'à l'avenir l'existence de l'Euro permettra un dialogue plus égal avec le dollar et le yen ?

On a souvent le sentiment de subir les évolutions. L'Euro nous permettra-t-il de co-décider au niveau de la planète, sous l'égide du FMI bien sûr ?

M. Michel Camdessus . - Merci, messieurs les Présidents de me faire le plaisir de m'inviter à passer quelques heures ici, de rencontrer des visages familiers, et de parler ma langue maternelle. C'est quelque chose que je savoure. Et merci d'avoir prononcé des parles évidemment trop flatteuses et dit deux choses très importantes. L'une, que le FMI n'est pas si anglo-saxon que cela. Retenons que l'Europe des 15 a 29 % du capital du FMI. Les Etats-Unis d'Amérique, 18 %. Evidemment, nous héritons d'une histoire qui a fait que pendant longtemps l'Europe s'est habituée à une sorte de domination. De plus, il est arrivé que l'on soit plus puissant lorsque l'on est un seul qui pèse 18 % que 15 qui pèsent 29 % mais se chamaillent ! Ici, et voici déjà un élément de réponse, Monsieur le Président, l'UEM peut, à terme, changer les choses très positivement.

Cette institution est le bouc émissaire naturel, idéal, puisque, comme elle traite d'affaires monétaires elle est invitée à la discrétion et au silence et donc à laisser dire. Et il est évidemment commode, quand un pays vient trop tard nous demander de l'assister dans ses difficultés et que nous sommes amenés à lui recommander de la chirurgie alors que quelques cachets d'aspirine auraient suffit si on s'y était pris plus tôt, de mettre sur le dos du médecin les affres de la maladie.

Pendant longtemps, nous nous sommes résignés à cet état de choses.

Je dois vous dire que depuis quelques années nous réagissons contre cela. D'abord parce que c'est malhonnête à l'égard des opinions publiques, et aussi parce que si les gouvernements ne prennent pas la responsabilité politique des réformes qui s'imposent et s'ils les mettent sur le dos de quelqu'un d'autre, évidemment elles ne pourront pas réussir. Et quelques-uns de nos échecs s'expliquent comme cela.

Enfin, troisième raison pour nous de rejeter ce rôle de bouc émissaire, à force de laisser dire que nos politiques sont récessives, qu'elles entraînent la souffrance des peuples, on encourage les gouvernements à retarder au maximum le moment où ils viendront demander notre intervention, nous amenant alors à opérer dans les pires circonstances, au coeur des crises sociales et politiques.

Alors oui, bouc émissaire, de fait, mais nous devons de plus en plus, et cela fait partie de notre politique, amener les gouvernements avec lesquels nous travaillons (actuellement 85 pays sur les 181 pays membres de notre institution ont des programmes avec nous ou sont en train d'en négocier) à prendre leurs programmes en charge et à prendre la responsabilité des mesures inévitables.

Vu de cette sorte de satellite d'observation qu'est à certains égards le FMI (je me hâte d'ajouter qu'il n'est pas que cela), le monde apparaît plongé dans les spasmes d'une laborieuse transition vers son unité économique et financière, la mondialisation. Paradoxalement, au plan politique, il semblerait pris au même moment de pulsions régressives qui le pousseraient vers de nouvelles fragmentations. Le processus de mondialisation s'intensifie partout ; en certaines parties du monde, il est vécu dans l'euphorie ; dans d'autres, c'est particulièrement le cas de beaucoup de pays d'Europe, dans le doute. Certes, l'on pressent que bien des choses évoluent, mais les sociétés européennes vieillissantes voient plus de menaces que de chances dans l'économie mondialisée qui se met en place. Rien d'étonnant, dès lors, que des projets d'une extraordinaire portée, tels que l'Europe monétaire, soient perçus par certains comme de sournoises menaces et qu'enfin l'Europe éprouve tant de mal, aujourd'hui, à se doter de projets collectifs.

D'où la pertinence de la question : comment, à quelles conditions, réussir la mondialisation ?

Je ne peux répondre qu'avec modestie, parce que c'est commode de parler quand on voit les choses de loin. Vous, vous êtes sur le terrain. Moi je dis comment la France se situe par rapport aux autres, mais mes observations méritent d'être tempérées par ce que votre expérience vous montre. Néanmoins, la perspective d'ensemble me fera répondre en trois points :

- essayer, tout d'abord, d'y voir clair, de démêler ses chances et ses risques, nos atouts et nos handicaps ;

- accepter cette exigence de la mondialisation qu'est la responsabilité dans la conduite des économies nationales ;

- et enfin, progresser vers une régulation plus efficace au plan mondial.

Chances et défis de la mondialisation : tout a été dit là-dessus ! Et pourtant on continue à en faire le bouc émissaire de tous nos maux, alors qu'elle constitue un phénomène positif pour l'ensemble de l'économie mondiale et, notamment, pour les pays industrialisés comme la France. D'abord, parce qu'elle s'inscrit dans le prolongement du processus d'ouverture et d'intégration des économies, auquel le monde doit près d'un demi-siècle d'une prospérité sans égale. Cette ouverture, aujourd'hui, s'étend aux marchés financiers ; les flux de capitaux privés en direction des marchés en développement on permis de financer l'essor de la production dans les pays bénéficiaires, et par là-même de contribuer à soutenir la demande des produits exportés par les pays industrialisés.

C'est ainsi qu'entre 1990 et 1995, par exemple, les exportations françaises vers les pays en développement ont augmenté en moyenne de près de 10 % par an -en dollars-, alors que nos exportations vers les pays industrialisés sur la même période ne progressaient que de 6 %, en rythme annuel. Résultat, en 1995, les exportations vers les pays en développement ont représenté 23 % des exportations totales de notre pays, contre à peine 19 % au début de la décennie. Les consommateurs ont bénéficié eux aussi de la mondialisation, car la spécialisation et la libéralisation accrues des échanges leur ont donné accès à un éventail plus large de produits meilleur marché.

Parallèlement, la mondialisation offre aux opérateurs présents sur les marchés internationaux de capitaux une gamme plus large d'investissements, assure à leur épargne des rendements plus élevés et leur permet de diversifier davantage leurs portefeuilles. Elle facilite également une allocation plus efficace des ressources au niveau global, donc une croissance plus rapide de l'économie mondiale et, avec elle, de meilleures chances de réduire la pauvreté.

On me parlera évidemment de la toute-puissance des marchés, de l'espace trop étroit laissé par les marchés aux politiques. Je suis prêt à en débattre. On me dira aussi que le bonheur des marchés n'est pas le bonheur de l'homme de la rue, c'est certainement vrai, mais il y a quelques faits massifs à reconnaître. Je ne vous en cite qu'un : ce qui s'est passé de 90 à 93 dans l'économie mondiale.

Vous vous souvenez que pendant ces années-là, les grandes économies industrielles, successivement les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon, l'Allemagne et la France, sont rentrées en récession, ont flirté avec une croissance zéro ou se sont retrouvées un petit peu en dessous.

Si on s'était trouvé dans le contexte des 15 années précédentes, l'époque où les économies industrielles étaient les locomotives de l'économie mondiale, le fait que les économies industrielles s'arrêtent aurait entraîné une crise profonde au plan mondial. Or il n'y a pas eu de crise. Il y a eu un ralentissement de la croissance, mais le monde a continué de croître entre 2 et 2,5 %.

Pourquoi ? Parce qu'entre une trentaine de pays en développement, qui, soit dit sans excès de modestie, avaient été de très bons élèves du FMI, ont crû pendant ces années-là grâce à la mondialisation et à l'ouverture des financements qu'elle a permis pour eux, à un rythme entre 6 et 9 %. Et ce sont eux qui ont fait en sorte que la croissance mondiale soit positive et que notre récession soit considérablement amortie. Il y a donc du bon dans la mondialisation.

Mais qui dit nouvelles chances dit aussi nouveaux risques et évidemment, il est prudent de s'arrêter plus longtemps sur les risques que sur les chances. Je me contenterai d'en signaler ici deux parmi les plus préoccupants. Le premier est le risque d'instabilité financière. Au cours de ces dernières années, plusieurs crises financières coûteuses ont secoué l'économie mondiale. L'effondrement des prix des actifs, les fortes turbulences des marchés des changes, la crise déclenchée sur les marchés émergents par les événements survenus au Mexique, la faillite de plusieurs grands établissements financiers, autant d'événements qui soulignent les principales carences de notre système. Jusqu'à présent, la communauté internationale y a fait face ; non sans mal, cependant. Autant dire qu'il y a là une vulnérabilité qui appelle un renforcement du système financier, puisque nous savons maintenant qu'une crise financière, née presque n'importe où, peut se répandre comme traînée de poudre.

Le second risque est celui de la marginalisation. Si certains pays en développement ont compris comment faire fond sur les forces de la mondialisation pour accélérer leur progrès économique, il n'en va pas de même, à l'évidence, pour tous. Le fait est que les pays qui ne sont pas capables de participer à l'expansion du commerce mondial, ou d'attirer un volume significatif d'investissements privés, sont en danger de devenir les laissés pour compte de l'économie mondiale. Et ce sont précisément les pays qui ont le plus besoin des échanges, des investissements et de la croissance que la mondialisation pourrait leur apporter, qui courent le plus grand risque d'être marginalisés.

Et il y a une sorte de mécanique infernale. De plus en plus, nous, pays industriels, dans l'octroi de nos aides publiques au développement, dans nos investissements dans ces pays, nous avons tendance à aider ceux qui gagnent et qui sont crédibles. Il s'inscrit une tendance forte à l'accroissement des écarts entre pays en développement qui décollent et ceux qui sont à la traîne.

On peut donc craindre que le fossé ne se creuse encore entre les pays qui sauront profiter de la mondialisation et ceux qui seront frappés de marginalisation. La communauté mondiale ne peut pas se résigner à cette dérive. Elle se sait une désormais. Elle sait que, quelle qu'en soit l'origine, une crise financière peut, dans l'instant, devenir universelle, elle sait que même si elle se cuirassait contre le sentiment de l'inacceptable d'une misère sans réponse, elle ne pourrait ignorer les risques que la marginalisation entraîne pour l'équilibre géopolitique mondial.

Ces chances et ces risques font désormais partie intégrante de notre environnement, que ce soit en France, en Europe, ou dans le reste du monde. Il y a des chances nouvelles. Il y a des défis, c'est-à-dire des risques que notre génération devra transformer en chances ! Face à ces défis, la France, comme l'Europe, part gagnante. Elle part gagnante dans un jeu qui n'est pas à somme nulle et où notre responsabilité est de faire que le plus de pays possible soient gagnants. Ce serait cela une mondialisation réussie.

Commençons par l'avenir que la France peut attendre de la mondialisation. Voici trois raisons pour lesquelles la France doit envisager cet avenir avec confiance.

D'abord, parce que la France mène, depuis le début des années 1980, une politique macro-économique pratiquement constante et vigoureuse qui s'est traduite par un remarquable renforcement de nos structures industrielles et de notre compétitivité, l'assainissement en cours de nos finances publiques, des taux d'intérêt à long terme parmi les plus faibles du monde... Tout cela, la solidité de sa balance courante, la qualité de sa recherche et de nombreux secteurs de pointe lui vaut une crédibilité dont seul ses ressortissants ne semblent guère conscients et tout cela évidemment contribue à faire du franc une monnaie saine et respectée.

Deuxièmement, l'engagement indéfectible de la France en faveur de la construction européenne a aidé à promouvoir la paix, la stabilité, le progrès économique à travers le continent, et à créer un engagement commun des Européens à affronter l'avenir ensemble qui, vu de l'autre rive de l'Atlantique, est réellement le fait majeur de cette dernière décennie.

Troisièmement, la France a une longue tradition d'engagements dans les affaires du monde et de solidarité avec les pays en développement. Ceci sera un actif précieux de la nouvelle Europe et contribuera à en faire un partenaire constructif dans cet effort universel pour une mondialisation réussie.

La France peut s'appuyer sur cet acquis pour bâtir l'avenir. Comment expliquer, dans ces conditions, l'appréhension que l'on devine aujourd'hui -en France, mais aussi dans les autres pays européens- dès que l'on évoque cet avenir ? Par le drame du chômage et notre lenteur à lui trouver des réponses crédibles ? Bien sûr ! La concurrence s'intensifie aussi sur les marchés mondiaux. Les investissements financiers internationaux se diversifient de plus en plus pour réduire au minimum les risques et améliorer les rendements. Enfin, voici que, grâce à la libéralisation du commerce et des marchés de capitaux, il devient beaucoup plus facile, et parfois indispensable, de " délocaliser " la production vers des pays où les coûts sont relativement bas.

Faut-il en déduire que l'essentiel de nos acquis est désormais menacé, et que des pays comme la France ne peuvent affronter des concurrents qui pratiquent encore des politiques sociales et des salaires si éloignés des nôtres ? Absolument pas. En effet, lorsque les producteurs et les investisseurs ont à choisir entre tel ou tel pays, bien d'autres facteurs que les salaires et les politiques sociales entrent en ligne de compte. La stabilité macro-économique, l'évolution plus ou moins prévisible du taux de change, l'ouverture aux échanges commerciaux et aux mouvements de capitaux, la productivité de la main d'oeuvre et la transparence du cadre légal et réglementaire, la cohésion sociale, etc..., prennent alors une importance capitale.

La France est donc bien placée - à plus d'un titre- pour affrontrer une compétition désormais planétaire. Mais il est vrai que ces atouts ne sauraient suffire si nous voulons nous donner la croissance et la souplesse des structures sans lesquelles nous n'avons aucune chance de saisir ces nouvelles opportunités et de régler le problème du chômage. Il faut un plus : répondre sans nous dérober à l'exigence universelle d'une gestion responsable de la transition.

Nous sommes tous, pays en développement, pays en transition vers l'économie de marché et vieux pays industriels, des pays en transition. Transition déjà tardive vers cette économie mondialisée du 21ème siècle, puisque celui-ci, je le pense, a déjà commencé ! Et ceci implique, particulièrement de la part des grands pays industriels, non l'uniformité des stratégies mais une sorte d'exigence d'excellence dans la conduite des politiques économiques. L'influence qu'ils sont susceptibles d'exercer sur le reste du monde ajoute à ce devoir. Le temps est bien révolu où " il suffisait de faire moins de bêtises que ses voisins ". Aujourd'hui, notre voisinage est universel et la compétition peut surgir partout. Dans un monde où la concurrence s'exerce de plus en plus, non seulement entre firmes mais entre systèmes, dans un monde surtout où les crises financières peuvent dans l'instant revêtir une dimension systémique, les gouvernements ne peuvent plus échapper, fut-ce temporairement pour une pause pré-électorale, à leur devoir d'excellence dans leurs gestions. Excellence dis-je, mais je pourrais tout aussi bien dire responsabilité ou tout simplement rectitude.

A cela, nul pays n'échappe et tous le savent. Il y a au Fonds monétaire international un consensus unanime pour que, dans le dialogue avec chacun de nos pays membres nous mettions -dans ce contexte de mondialisation- un accent plus appuyé sur trois points :

- la transparence et la rigueur dans la gestion économique d'ensemble ;

- la recherche d'une croissance axée sur le développement humain, et

- la réforme de l'Etat.

Il y a trois semaines j'ai été invité par le groupe parlementaire CSU CDU en Allemagne qui m'a posé les mêmes questions que vous et m'a demandé de leur dire où en était l'Allemagne face à la mondialisation.

Ici en France on aurait tendance à dire que les Allemands sont beaucoup plus avancés que nous. L'économie allemande serait une MERCEDES, la nôtre une 4L ou une 4 CV. Pas du tout ! Je suis sidéré de voir à quel point les problèmes sont communs et comme l'avenir est finalement perçu avec la même appréhension et la conscience d'un effort à faire sur des sujets communs :

- la rigueur budgétaire, on reconnaît qu'il faut aller vers l'équilibre budgétaire, en tout cas sur le moyen terme.

- La nécessité de garder une monnaie saine, je ne dirais pas une monnaie forte, mais une monnaie débarrassée de toute composante inflationniste.

- La nécessité de poursuivre la réforme de l'Etat et des entreprises publiques.

- La nécessité de se débarrasser de toutes les niches, de tous les éléments dans notre dispositif qui font que des pans de notre économie restent protégés du vent de la concurrence intérieure ou extérieure.

- La nécessité, si nous voulons pouvoir saisir rapidement les chances qui s'offrent à nous sur les marchés mondiaux, de nous doter d'une beaucoup plus grande souplesse d'adaptation de nos structures et de nos marchés, notamment de l'emploi.

- La nécessité aussi, sans pour autant renoncer à une philosophie de cohésion sociale à laquelle ils sont aussi attachés que nous, de revoir nos dispositifs de protection sociale, essentiellement parce que nous avons en commun un problème de vieillissement de nos populations qui ne nous permet pas de continuer à vivre aujourd'hui avec des systèmes qui ont été bâtis quand les perspectives démographiques étaient radicalement différentes. C'est un problème universel en Europe, que nous devons chacun traiter à notre manière, en fonction de notre dispositif de dialogue social qui fonctionne hélas, moins bien chez nous que chez nos voisins, mais nous devons trouver des solutions similaires à tous ces problèmes communs.

J'observe que parfois, dans les spasmes chez nous, d'une manière plus concertée ailleurs, des solutions obéissant à la même philosophie sont en train de se faire jour.

Je crois que si l'on arrive à poursuivre cet effort de réformes structurelles sans remettre en cause la stabilité acquise, réellement, la France sera bien placée pour soutenir la concurrence internationale et les retombées seront positives pour la société tout entière en termes de nouveaux investissements, de croissance et de création d'emplois.

Je crois que l'enjeu est formidable et il l'est d'autant plus que c'est au moment même où nous livrons ce combat pour notre propre adaptation, un combat qu'il fallait livrer de toutes façons, par une sorte de caprice de l'histoire ou de logique profonde, le volet monétaire de la construction européenne nous apporte un atout dont nous n'avons peut-être pas encore mesuré toute l'importance.

Je m'arrête un instant sur l'Euro, comme vous m'y avez invité, Monsieur le Président. Je crois que les Français ne se sont pas tous rendu compte, du supplément de puissance économique qui pourra se manifester dans une Europe monétairement unifiée. A-t-on songé à ce que signifie un marché unifié de 370 millions d'habitants à haut niveau de revenu, où les fluctuations de change auront disparu, où les taux d'intérêts seraient maintenus à des niveaux bas grâce à la discipline budgétaire sur laquelle on est d'accord, les entreprises bénéficieraient de surcroîts d'efficacité résultant de rapprochements et de la mise en commun des potentiels industriels et de recherche parmi les plus avancés du monde ? A-t-on songé à ce que cela signifie pour l'Europe que cette chance nouvelle de se doter d'un système financier, comparable par sa profondeur et son efficacité, à celui est des Etats-Unis ?

Je crois qu'il y a là des perspectives de croissance, et pour la monnaie unique des perspectives d'un rôle accru au plan international, qui doute devront renforcer l'influence européenne sur la scène mondiale si nous réussissons cette transition.

Dans quelle mesure et dans quels délais l'Euro sera-t-il à même de concrétiser son potentiel de monnaie de réserve ? La réponse à cette question dépend, essentiellement, de l'appui que pourront lui apporter les politiques budgétaire et structurelle. Maintenant que l'Europe dispose de son pacte de stabilité et de croissance, les politiques structurelles devront évidemment occuper une place de premier plan dans les priorités de tous les responsables de l'avenir du continent. Une place de premier plan, certes, mais non exclusive ; car la prospérité future de l'Europe dépendra de plus en plus de la stabilité et du dynamisme de l'économie mondiale intégrée, et l'Europe doit prendre une part grandissante à l'effort consenti par la communauté internationale au plan global, pour sa régulation. C'est le problème du pilotage d'ensemble de l'évolution économique et sociale mondiale. Trois grandes questions s'y rattachent :

- comment faire face aux risques d'instabilité systématique ?

- comment faire face aux risques de marginalisation des plus pauvres ?

- comment tenter de progresser vers une meilleure régulation, au plan mondial, de la mondialisation ?

Arrêtons-nous donc aux trois grandes questions que je viens de citer.

Comment affronter les risques d'instabilité financière ?

La crise du Mexique l'a montré, les phénomènes de déstabilisation financière ont de plus en plus une dimension mondiale. Et ici, une institution comme le FMI a donc des responsabilités à exercer et un rôle central à jouer.

Comment faire face à ces risques ? Par la prévention d'abord. L'intégration des marchés financiers internationaux a conduit le FMI à renforcer la surveillance qu'il exerce sur la politique économique des Etats, de façon à pouvoir détecter à temps les problèmes qui se font jour et à les traiter avant qu'une crise sur les marchés financiers n'impose un ajustement brutal. Nous nous sommes efforcés, en particulier, d'instaurer un dialogue plus continu et plus exigeant avec les autorités des pays membres. Nous avons également reçu mandat de porter attention à la solidité des systèmes bancaires, à la pérennité des flux financiers, aux pays à risques et à ceux où les tensions du marché financier pourraient avoir des effets de contagion graves.

Cela dit, les marchés fonctionnent mieux lorsqu'ils disposent d'informations suffisantes. C'est pourquoi, nous avons mis au point des normes destinées à aider et à inciter les Etats à diffuser leurs données économiques et financières dans le public aussi complètement que possible et sans délai.

Il n'en reste pas moins que, dans ce monde intégré et parfois imprévisible, le FMI ne peut se contenter d'encourager les Etats à mettre en oeuvre des réformes économiques ; il doit aussi disposer de ressources financières suffisantes pour les accompagner dans leurs efforts et disposer de toutes les ressources ou des droits de tirage nécessaires pour être en mesure de faire face, s'il vient à se produire une crise majeure. Les quotes-parts constituent notre capital et sont la base de nos prêts. Nous envisageons de les relever de façon substantielle, c'est aujourd'hui notre première priorité. J'ai bon espoir que nous pourrons compter, comme cela a toujours été le cas par le passé, sur le soutien actif de la France.

D'autre part, les pays du G-10 -parmi lesquels figure la France- ainsi qu'un certain nombre d'économies de marché émergentes et d'autres pays disposant d'une balance des paiements solide, ont entrepris de mettre sur pied des accords de financement parallèles aux dispositions déjà en vigueur dans le cadre des Accords généraux d'emprunt, de manière à porter autour de 50 milliards de dollars les ressources auxquelles le FMI pourra avoir accès d'urgence dans l'hypothèse d'une crise systématique.

Enfin, nous cherchons en parallèle à renforcer nos moyens pour aider les pays les plus pauvres à des conditions adaptées à leur situation par des prêts sans intérêt (j'évoque par là nos efforts pour rendre permanente la FASR dont je parlerai plus loin).

Si l'adoption de ces mesures réduit le risque de voir se déclencher de nouvelles crises de type mexicain, elle ne l'élimine pas. Aussi, avons-nous clarifié, et en quelque sorte codifié, les procédures qui permettront au FMI de répondre rapidement et de manière décisive à des situations de crise, tout en maintenant la conditionnalité dont s'assortit son concours financier. Le recours à ces procédures devra demeurer exceptionnel ; notre contribution devra garder son caractère catalytique et, comme par le passé, être liée à l'adoption d'un programme économique vigoureux par le pays qui solliciterait cette assistance exceptionnelle.

Nous devons aussi, je pense, continuer à porter une attention accrue à d'autres sources d'instabilité potentielles dans chaque pays et dans le système monétaire international tout entier. Sûreté et solidité des systèmes bancaires d'abord.

La crise mexicaine a montré que les pays dont le système bancaire est fragile et inefficace sont plus vulnérables aux risques de contagion et moins à même de faire face à l'instabilité des flux de capitaux et aux pressions sur les taux de change. Qui plus est, les répercussions de cette crise sur certains pays latino-américains ont montré que la fragilité des systèmes bancaires peut amplifier et prolonger l'impact de telles crises sur d'autres économies.

Les autorités de tutelle des principaux pays industrialisés sont conscientes depuis fort longtemps de l'existence de ces risques et, au cours des dernières années, la réglementation et le contrôle G-10. Chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître que ces progrès doivent être généralisés à l'échelle mondiale. Je suis convaincu que la dissémination de normes précises reconnues au plan international pourrait constituer une base commune pour la réglementation et le contrôle des systèmes bancaires à travers le monde. Evidemment, ceci ne serait qu'un modeste premier pas, car ces normes ne suffiront pas à elles seules. Elles ne seront efficaces que si les autorités ont la capacité et la volonté d'exercer une constante et difficile vigilance et de prendre les décisions indispensables à leur mise en oeuvre.

Comme vous vous en doutez, cette attention, que nous dicte l'actualité, à la stabilité des systèmes bancaires n'enlève rien à notre souci de promouvoir -comme nos statuts nous en font obligation- la stabilité des changes et, singulièrement, des relations entre le dollar, le yen et les monnaies européennes. Dans une époque caractérisée par les flux massifs de biens et de capitaux, il ne reste plus grand monde pour nier que les désordres des taux de change peuvent opposer un sérieux obstacle à une prospérité mondiale durable. La question est de savoir comment mettre en place et maintenir une grille de taux de change viable. Ici, au sein d'une controverse vieille de trente ans, un point au moins est fermement et unanimement acquis : les deux conditions premières de cette stabilisation se trouvent dans la solidité des équilibres macro-économiques et monétaires, surtout des pays du G-7, et dans la qualité de leur coopération.

Les pays du G-7 doivent donc consolider les grands paramètres de leurs économies respectives. Mais que faire, lorsque les taux de change, malgré cela, s'écartent de ce que l'on pourrait considérer comme leurs " zones de vraisemblance " ? Ici, s'ouvre un débat dans lequel je me reconnais quelque peu minoritaire. Je suis de ceux qui regrettent que la trajectoire et la dynamique créées par les accords du Plaza et du Louvre aient été sinon abandonnées, du moins mises en sommeil par le G-7, probablement parce qu'elles impliqueraient un degré de coordination des politiques économiques et monétaires auxquelles les grandes puissances n'étaient pas encore disposées. Notons toutefois qu'une forme de coopération discrète et informelle a subsisté qui a connu un succès remarquable depuis le printemps et l'été derniers, lorsque la coordination de leurs politiques économiques et l'envoi de signaux clairs aux marchés a permis de rétablir une constellation de taux de change beaucoup plus raisonnable lorsque la surévaluation du yen a fini par apparaître totalement déraisonnable.

Ceci s'est produit et c'est une réussite assez remarquable puisqu'elle s'est opérée sans que les 7 aient dû peser pour obtenir ce résultat. Le dollar s'est apprécié de 50 % contre le yen depuis avril 96, et de 20 % contre le DM et le franc français.

Est-ce durable et où va-t-on aller ? C'est le genre de sujet sur lequel je parle d'abondance quand il s'agit de commenter le passé, mais où je retiens mon souffle et mes paroles quand il s'agit de parler de l'avenir. Je vous dirai néanmoins qu'il y a quelque chose de sain dans ce qui s'est passé, en ce sens que l'appréciation du dollar est clairement la confirmation naturelle par les marchés de la bonne santé de l'économie américaine et du renforcement de ses disciplines macro-économiques.

Il importe aujourd'hui -à tout le moins- de faire fond sur ce succès qui démontre que, même avec des réserves de change limitées face à la taille des marchés, la concertation du G-7 n'est pas sans influence. Il ne fait aucun doute que la stabilité des taux de change peut être grandement améliorée si les principaux pays prennent à coeur les responsabilités qui sont les leurs en tant qu'émetteurs de monnaies de réserve. Ils peuvent le faire et ils le doivent : il reste que la prochaine étape dans cet effort sans cesse recommencé de renouvellement du système monétaire international sera largement dominée par l'événement monétaire majeur et le plus prometteur de l'après Bretton Woods : je parle une fois de plus de l'avènement de l'Euro.

Comment l'Euro sera-t-il géré ? Comment évoluera cet équilibre entre grandes monnaies, quel type de coopération s'établira entre les responsables ? Quel sera l'impact de l'apparition de cette monnaie de tout premier plan au sein du système monétaire international ? Autant de questions ouvertes pour l'évolution ultérieure. Il n'est que grand temps d'en débattre. Le fait, néanmoins, demeure que l'Euro est devenu aujourd'hui le point de passage obligé de la réforme du système monétaire international.

Comment soutenir dans leurs efforts d'ajustement les pays en transition et les pays des plus pauvres ?

Notons-le d'abord, la mondialisation a incité de plus en plus de pays à opter pour la stabilisation macro-économique et les réformes structurelles. Ces pays recherchent auprès du FMI conseils, assistance technique et appui financier. Notre institution compte désormais 181 membres, dont une soixantaine bénéficient d'un financement pour leur programme d'ajustement et de réforme. Soixante-deux pays ! et 24 autres négocient de tels programmes ! Cela donne une idée du formidable effort d'ajustement structurel qui s'est engagé à travers le monde ! Un grand nombre des Etats qui nous ont rejoints ces dernières années sont des économies en transition d'Europe de l'Est et de l'ex-Union soviétique, que le FMI aide à réintégrer l'économie mondiale. Les résultats sont encore inégaux -souvent décevants, parfois remarquables- et il reste beaucoup à faire dans bien des cas. Mais il est encourageant de constater que ceux de ces pays qui ont été les plus déterminés dans leurs efforts de réforme figurent aujourd'hui parmi les économies les plus dynamiques du continent. Pour l'Europe, cela signifie une intensification de la concurrence, mais aussi de nouveaux marchés, plus de stabilité et, bien évidemment, la consolidation de la paix.

Mais ce n'est pas tout. Nous devons aussi être prêts à lutter contre la marginalisation à travers le monde et à soutenir les efforts de réforme des pays les plus pauvres à des conditions qui puissent leur convenir. C'est pourquoi, nous travaillons à doter la facilité d'ajustement structurel renforcée (FASR) -le guichet grâce auquel le FMI peut faire des prêts à 0,5 % aux plus démunis de ses membres- de ressources suffisantes pour continuer à fonctionner jusqu'à ce qu'elles puissent s'autofinancer, ce qui sera le cas dès les premières années du siècle prochain. La FASR sera aussi le canal par lequel le FMI contribuera à l'initiative qu'il a engagée conjointement avec la Banque mondiale pour alléger le fardeau des pays pauvres les plus endettés.

Quelle que soit leur importance, toutefois, la FASR et " l'initiative conjointe sur la dette " ne résoudront pas, à elles seules, tous les problèmes liés au sous-développement et à la vulnérabilité des pays les plus pauvres. Ces derniers, et en particulier les pays africains, continueront d'avoir besoin d'aides bilatérales assorties de conditions concessionnelles. Je sais que la France entend poursuivre -et, espérons-le, intensifier- ses efforts dans ce domaine, à condition que les pays qui sollicitent l'aide internationale bilatérale ou multilatérale fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour créer les conditions d'une utilisation productive des concours reçus. Il leur faudra, pour ce faire, adopter une politique macro-économique judicieuse, engager des réformes structurelles globales et mettre en place un cadre institutionnel qui inspire confiance aux investisseurs et aux épargnants tout en assurant la sécurité de leurs investissements. L'assistance internationale toutefois ne saurait remplacer un meilleur accès aux marchés mondiaux, surtout pour le type de produits pour lesquels les pays les plus démunis ont, ou pourraient dégager, un avantage comparatif, à savoir les produits agricoles et minéraux et les produits industriels de base.

Poursuivre et élargir cet effort de solidarité, c'est ajouter une dimension essentielle à notre stratégie pour la réussite de la mondialisation. De même que les efforts déployés par chacune de nos nations pour devenir plus compétitive doivent être complétés par des initiatives visant à améliorer l'efficacité du soutien apporté aux éléments les plus vulnérables de nos populations, la mondialisation ne sera une réussite globale que si elle devient une nouvelle chance pour les pays les plus pauvres. Les enjeux sont là-aussi considérables. Il s'agit de faire que, dans la gestion d'un univers mondialisé, la solidarité devienne le soeur jumelle de la responsabilité. Sans cet effort de solidarité, le monde serait en permanence en danger d'implosion. Les pays pauvres le comprennent bien qui acceptent maintenant de nous aider à financer nos instruments de soutien à des pays plus pauvres qu'eux. Ils nous disent par là qu'un univers mondialisé prend un risque majeur s'il laisse subsister des poches de misère. Comme le faisait remarquer récemment Peter Sutherland, l'aide au développement était naguère une sorte de cotisation d'adhésion au club des pays riches. Elle est aujourd'hui une contribution indispensable à l'équilibre d'un monde qui s'unifie. L'opinion publique est prête à l'admettre et il est une question à laquelle quiconque, en particulier, dialogue avec des jeunes se trouve confronté : à quoi rime cette quête incessante de compétitivité que nous impose la mondialisation ? Pourquoi nous laisser entraîner dans cette spirale infernale où l'homme risque d'être broyé ? Ne vaudrait-il pas mieux rechercher le moyen d'y mettre fin ? On peut, bien sûr, répondre que la concurrence est le moteur du progrès et de l'amélioration globale des niveaux de vie. C'est vrai, mais insuffisant. On peut rappeler qu'accroître notre efficacité est indispensable pour progresser et même parfois pour survivre dans un monde où la concurrence est rude. Cela non plus ne suffit pas. Cet effort incessant ne prend de sens que s'il permet une solidarité plus active envers les groupes sociaux les plus vulnérables et les pays les plus démunis. Pour que la solidarité puisse être à la hauteur de l'enjeu, il ne peut être question d'abandonner la course vers plus d'efficacité. Il faut la courir ensemble et dans un cadre mieux régulé.

Comment donc progresser vers une meilleure régulation globale de la mondialisation ?

Comment, au moment où la mondialisation avance si vite, trouver les structures mondiales adaptées, où chacun serait équitablement représenté, et qui permettraient de parvenir à une meilleure formulation de stratégies globales au niveau de l'économie mondiale ? C'est un sujet sur lequel Jacques Delors a lancé naguère des suggestions novatrices ; c'est un sujet repris fréquemment parmi les pays émergents, mais je crains qu'il ne reste encore beaucoup de scepticisme et d'appréhensions à dissiper à ce propos. Faute de soutien politique pour une approche plus ambitieuse, nous en sommes réduits pour l'instant à faire de notre mieux pour que cette dimension mondiale des problèmes soit prise en compte le mieux possible dans les structures existantes. Tel est l'effort de M. Ricupero à la CNUCED, de M. Ruggiero à l'OMC. Tel a été l'objet des grandes conférences sous l'égide des Nations-Unies, tel est le sens de l'effort accompli au sein du Comité intérimaire du FMI. Cette structure, si mal nommée, mais où des pays tels que l'Inde et le Brésil, entre autres pays émergents, sont représentés en permanence aux côtés de ceux du Groupe des Sept, fournit un cadre utile pour parvenir à un consensus sur les grandes orientations de la stratégie macro-économique mondiale.

Il demeure que d'une manière un peu simpliste, l'opinion publique considère que nous vivons encore sur la base d'un système gouverné par les 7. Or les 7, c'est important, mais il y a maintenant d'autres géants qui émergent. Quel système légitime pourrait être mis en place pour que les citoyens du monde aient le sentiment que les affaires du monde sont gérées et prises en charge d'une manière acceptable et légitime ?

C'est une question qui est souvent posée en France, dans les pays émergeants. C'est une question qui entraîne un très grand scepticisme et des réactions de surprise amusée lorsque ce n'est pas de rejet franc aux Etats-Unis et dans d'autres pays industriels.

Prononcez le mot de " gouvernement mondial " au Congrès des Etats-Unis et vous devenez l'ennemi public numéro un. Or, la simple idée de dire qu'il faudrait aller vers une structure où des questions comme celles dont nous venons de parler seraient plus directement, et d'une manière plus délibérée et volontaire, prises en charge par la communauté mondiale des états, cette idée-là n'a pas encore trouvé sa légitimité dans l'opinion publique des grands pays. Mais il est vrai que l'arrivée de l'Euro va être une occasion de renouveler le débat entre les grands pôles monétaires. Il faudra assez vite reconnaître aussi qu'il y en a d'ailleurs plus que trois. La Chine peut émerger très vite comme une grande monnaie. L'Inde aussi.

La question qui se posera un jour prochain sera de faire en sorte que ces pays qui vont être de plus en plus appelés à prendre leurs responsabilités pour le financement de l'économie mondiale et la prise en charge des fonctions de stabilisation de cette économie, se voient accueillir dans un cadre convenable pour exprimer leurs vues sur de tels sujets et peser sur des négociations indispensables.

Mais il est temps que je m'arrête pour répondre à vos questions.

M. le Président . - Monsieur le Directeur, merci. Vous avez abordé la plupart des questions que nous nous posions. Et vos propos rejoignent, dans une très large mesure, ceux de M. Ruggiero hier.

Votre appréciation de la mondialisation est beaucoup plus positive que cela n'est habituellement le cas en Europe. J'ai eu l'occasion de rencontrer des Allemands et le sentiment de pessimisme est au moins aussi développé chez eux qu'en France.

Je voudrais vous poser une ou deux questions.

A propos de l'Euro -vous connaissez le système mieux que nous-, n'êtes-vous pas inquiet de voir une banque centrale européenne se mettre en place alors que sur le plan de l'union politique nous faisons pratiquement du sur place, si même nous ne rétrogradons pas à travers l'élargissement de la Communauté dont il est difficile de penser qu'elle va renforcer les institutions ? N'y a-t-il pas là un hiatus très grave entre le pouvoir monétaire d'un côté et l'absence de pouvoir politique de l'autre ?

C'est une thèse largement défendue par la France. Le problème est de savoir vers quoi on va.

Deuxième question : je vous ai entendu nous dire que l'évolution favorable des relations entre les monnaies européennes et le dollar était due à une politique concertée. Peut-on vraiment dire cela ? Est-ce que vous ne sacrifiez pas à la vieille formule : " ces mystères nous dépassent, feignons de les organiser ". Ne m'en voulez pas de cette observation sceptique.

Enfin, vous avez parlé des pays marginalisés. Quand on évoque cette catégorie de pays, on pense à l'Afrique, or voilà deux ans que l'Afrique connaît un taux de croissance qui tout à coup dépasse le taux de la croissance démographique et dépasse même le nôtre. Chez elle, le taux de croissance moyen est de 5 à 6 %. Est-ce le signe de quelque chose de durable ? L'Afrique réémerge-t-elle à l'horizon économique ?

M. Michel Camdessus . - On voit bien ce que serait la Banque Centrale Européenne, et il n'était pas difficile d'en dessiner une. Il y avait d'autres modèles dont la Bundes Bank. De plus, organiser une banque centrale indépendante à partir de banques centrales devenues indépendantes ne posait pas de grands problèmes métaphysiques ou politiques.

Mais la logique du traité, c'est que l'on mette en place en effet la Banque Centrale et, à travers les résultats des travaux de la conférence intergouvernementale, que la construction politique de l'Europe avance. Comme vous, je pense en tant que citoyen et même en tant que technicien des affaires monétaires, qu'on ne peut pas avoir ou tolérer longtemps le risque de hiatus dont vous parlez.

Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y a une absence de pouvoir politique. Je comprends le gouvernement français quand il dit : nous voulons un conseil financier et monétaire des ministres. Mais il existe déjà au niveau des ministres ! Les ministres des finances se réunissent tous les mois. Evidemment dans une structure qui sera plus large puisque ce seront les 15, alors que dans le noyau initial de la Banque Centrale Européenne il y aura plus de 7 et moins de 15 pays. Il faudra qu'ils trouvent le moyen de se réunir en ministres de la zone Euro, d'autant plus qu'ils auront, eux ministres et pouvoirs politiques, la responsabilité de la politique de change de la zone Euro.

Mais je ne vois guère là de problème énorme à régler et je pense que la solution sera trouvée. Il y a aussi le Conseil européen et les présidents des pays de l'Euro trouveront certainement aussi le moyen de se concerter et d'exercer quand il le faudra leur responsabilité au niveau des décisions de change.

Je comprends évidemment la dialectique franco-allemande en particulier, et tout l'arrière-plan politique de cette affaire, mais je crois que cela ne devrait pas être une pierre d'achoppement. Ici aussi, après quelques spasmes et beaucoup de discussions d'experts, beaucoup de paroles inutiles, on trouvera un accommodement.

Nous avons vu depuis des décennies la construction européenne progresser de cette façon. Nous allons voir nos responsables se rendre compte du formidable enjeu de cette affaire et, je l'espère, éviter les faux pas politiques. C'est mon opinion, mais je soumets cette affirmation optimiste à votre critique.

Sommes-nous en train d'organiser les mystères qui nous dépassent en ce qui concerne le dollar et les autres monnaies ? Je ne le crois pas. Je pense que le résultat est venu beaucoup plus tard que nous ne le pensions, mais c'est tout de même le résultat de politiques qui ont été voulues et délibérées entre les 7. Il y a très longtemps que la politique économique monétaire et financière des Etats-Unis, du Japon, des pays européens est concertée au cours de ces réunions périodiques tous les 3 ou 4 mois. On met cartes sur table, on écoute poliment le Directeur général du FMI qui distribue bonnes notes, avertissements ou cris d'alarmes, on regarde ce qui se passe, on suit les fluctuations des marchés, et je peux vous dire que la manoeuvre de mars-avril 1996 a été délibérée, voulue et organisée. Et si elle a demandé peu de gesticulations, c'est d'une part parce que les marchés ont reconnu que c'était indispensable, et parce qu'il y avait assez de volonté commune d'arriver à un résultat que tout le monde jugeait bon, que des trois côtés des mesures convergentes ont été prises. Je ne vous dis pas que cette concertation est parfaite, je la trouve insuffisante, parfois maladroite, parfois trop tardive, mais en cette occasion elle a marché.

Je souhaiterais qu'enhardis par ce succès, nos grands argentiers continuent et gèrent comme un acquis précieux et fragile la bonne constellation qu'ils ont aidé à mettre en place.

Enfin, sur l'Afrique je fais le même constat que vous. Enfin l'Afrique croît d'une manière positive, c'est-à-dire que la croissance dépasse le galop démographique. Et ce n'est pas l'effet du hasard. Certains ont dit : c'est une aubaine passagère, ce sont les termes de l'échange du café, du cacao, etc. Non. Nous avons étudié par le menu, pour l'ensemble des pays avec qui nous avons des programmes en Afrique, une trentaine sur les 50, ce qui s'est effectivement passé. Et bien, Mesdames et Messieurs, c'est la récompense de leurs efforts. Les pays qui tirent le développement de l'Afrique en ce moment sont ceux qui après des années d'effort, commencent enfin à récolter les effets positifs de l'ajustement structurel dont vous parliez, monsieur le Président.

Et je dois dire que le phénomène est particulièrement éclatant dans les pays de la zone franc. Il faut dire qu'ils venaient de loin, ils ont été longtemps handicapés par un taux de change sur-évalué, ils ont mis, et nous aussi Français, beaucoup de temps à le reconnaître. Mais ils ont eu aussi la sagesse de prendre une mesure très forte d'ajustement de leur parité monétaire et de l'accompagner dans les 14 pays par des politiques d'accompagnement de rigueur budgétaire, de modération salariale, de privatisation, de modernisation de leurs structures. Ainsi ces pays qui pendant 15 ans avaient eu une croissance négative - sur 12 ans ils avaient perdu un quart de leur richesse par tête- croissent maintenant à un rythme de 6 à 7 %. C'est un renouveau prometteur, à condition qu'ils gardent ces disciplines et continuent à accélérer leur gestion

Nous sommes là pour les encourager et les aider, car tout ceci est d'une extrême fragilité et vous savez à quelles tensions, à quelles pulsions, à quels désordres de caractère politique et tribal ces pays sont toujours exposés.

M. Hubert Durand-Chastel . - Les opérations journalières de change international représentent un volume de l'ordre du milliard de dollars, qui est incomparablement supérieur au besoin du mouvement des marchandises : plusieurs dizaines sinon une centaine de fois. Les banques nationales ont des réserves très réduites et sont incapables de faire face à des mouvements concertés de cette grandeur.

Que peut faire le FMI contre ce phénomène qui constitue un risque certain et une spéculation ?

Au mois de janvier dernier, le dollar américain s'est sensiblement renforcé vis-à-vis des monnaies européennes. Les incantations justifiées et souhaitables de M. le Président Giscard d'Estaing n'ont pu constituer à mon sens les raisons réelles de cette situation. Y a-t-il eu en même temps un phénomène plus profond comme la surchauffe possible de l'économie américaine qui a vu une croissance supérieure à 3,7 % ces derniers mois ? Y a-t-il une autre raison ? Le nouveau taux semble un peu se stabiliser.

M. Michel Camdessus . - Je reviens sur ce que je suggérais il y a un instant. Il est vrai que les transactions financières internationales sont d'un montant considérable, de l'ordre aujourd'hui de 1.400 milliards de dollars. Cela n'a pas grand-chose à voir avec les flux de marchandises. Mais il faut bien voir aussi que ces transactions ne sont pas seulement liées au commerce international, mais aux investissements des ressources d'épargne, aux opérations de couverture à terme, aux opérations de diversification des risques de l'ensemble des opérateurs financiers, gestionnaires de fonds de retraites et autres à travers le monde.

Ce sont des opérations qui sont justifiées, non par une spéculation systématique, encore que celle-ci puisse se déchaîner, mais par l'utilisation croisée de l'ensemble des instruments modernes de financement et de réduction du risque qui s'appliquent aux transactions financières au plan international.

Il n'est pas indispensable, pour que l'ordre ou une stabilité suffisante soit maintenu sur les marchés internationaux, que les banques centrales disposent de réserves de change croissant à la même vitesse que les transactions quotidiennes. Normalement ces transactions doivent s'équilibrer et le marché est là pour les équilibrer par le mécanisme des prix et des taux. Si ces opérations sont d'un tel volume, c'est que beaucoup d'opérations n'ont d'autre objet que de limiter par des opérations de couverture les risques de fluctuation de change.

Que faire pour éviter que soudainement le système devienne fou ? Il faut d'abord s'assurer que les politiques macro-économiques des pays soient saines et ordonnées. Si vous observez et étudiez toutes les crises de change des 15 dernières années, vous verrez que toutes ont été engendrées par une défaillance majeure dans la gestion macro-économique monétaire et financière d'un pays donné.

Même à l'abri du système monétaire européen, on a laissé dans les années 91 à 93 se créer entre les taux de change qu'on prétendait défendre et la situation macro-économique de pays comme l'Italie, l'Espagne ou la Grande-Bretagne, des écarts tels que la spéculation, comme M. Soros l'a bien expliqué, ne pouvait que gagner.

Si vous voulez éviter la spéculation, il faut éviter que de tels écarts ne se produisent et ceci est une leçon qu'il nous faudra toujours garder en mémoire. On a vu ces écarts se créer dans un système qui était créé pour les éviter. Et donc l'invitation à la vigilance que cette crise de 92-93 comporte pour tous les responsables mondiaux est essentielle.

L'article premier d'un dispositif de défense contre la spéculation n'est pas de grossir les réserves de change des banques centrales, c'est la qualité de gestion et la concertation entre les responsables nationaux. Les marchés ont besoin de savoir que les responsables parlent entre eux et s'entendent. Rappelez-vous la crise d'octobre 87. Il y avait un problème de cours trop élevés sur tel ou tel marché, mais le facteur déclenchant a été le fait qu'un beau jour l'on s'est rendu compte que M. Stoltenberg et M. Baker ne s'entendaient plus. Il est donc important de convaincre les marchés que les autorités monétaires sont capables d'agir ensemble et vite face à une situation de crise.

J'ai oublié de répondre à propos de la sagesse des Américains et des déclarations de M. Giscard d'Estaing. Je ne doute pas qu'elles ont impressionné les opérateurs, mais la normalisation de la position du dollar par rapport aux autres monnaies tient surtout à la perception par les marchés de la force de l'économie américaine par rapport aux médiocres performances japonaises et européennes.

M. le Président . - Je suis chargé par un de nos collègues qui a dû partir de vous poser une question. N'y aurait-il pas lieu de rapprocher l'organisation mondiale du commerce et le FMI ? On a souvent l'impression que les taux de change jouent un tel rôle dans les échanges commerciaux, et les droits de douane un rôle tellement diminué à force de les faire baisser, qu'il y a là une sorte d'écart, de hiatus, dont on se demande s'il ne faudrait pas le corriger ?

M. Michel Camdessus . - Ce point-là aussi fait partie des positions traditionnelles de notre pays. Dans la négociation des accords de Marrakech, qui ont créé l'organisation mondiale du commerce, notre pays et la communauté européenne ont dit qu'il fallait trouver les moyens d'éviter que des désordres en matière monétaire ne viennent brouiller le jeu et recréer une sorte de protection commerciale artificielle, une sorte de dumping monétaire se substituant au dumping commercial. Ceci a été pris en compte dans la négociation.

Les accords de Marrakech suggèrent qu'une concertation soit établie pour veiller à ce qu'il y ait une cohérence entre les stratégies de l'organisation mondiale du commerce et le FMI.

Nous avons des réunions périodiques avec M. Ruggiero et nous surveillons ensemble les développements dans ces domaines. Une des grandes difficultés, et je le dis ici avec un brin de malice, c'est qu'il n'est pas tellement difficile de faire travailler ensemble les organisations internationales et d'établir un dialogue constructif entre M. Ruggiero et moi-même. Il est beaucoup plus difficile en revanche d'établir la même qualité du dialogue dans les pays eux-mêmes entre les ministres du commerce et les ministres des finances.

M. Hilaire Flandre . - La reconstruction du monde et les 30 glorieuses se sont faites à l'abri des accords de Bretton Woods jusqu'à ce que les Américains y mettent fin dans les années 1972. Est-ce qu'un tel système serait encore imaginable aujourd'hui et ne serait-il pas préférable à tout ce qu'on essaie de construire ?

M. Michel Camdessus . - Le système de Bretton Woods a été mis en place dans un univers donné, dominé par le dollar, et hérissé de contrôles de change.

C'était un système totalement bouclé, qui a bien servi le monde pendant la phase de reconstruction, mais qui a touché sa limite dans les années 1960 lorsque le dollar, avec les coûts croissant de la guerre du Vietnam, a commencé à donner des signes de faiblesse et qui a éclaté après des soubresauts terribles dans le début des années 1970.

Est-il concevable aujourd'hui d'arriver à un système de parités fixes, négociées une fois pour toutes pour toutes, ou même de parités fluctuant au plan mondial dans des marges étroites ? Mon inclination personnelle m'attire vers un système de ce genre. Mais quand vous analysez l'expérience du système monétaire européen où l'on a vu des pays qui étaient dans un processus de rapprochement intense de leur politique économique, dans un espace homogène avec une capacité de dialogue permanent entre pays, quand vous avez vu l'extrême difficulté de maintenir ces devises dans leurs marges, vous imaginez le problème au plan mondial ! Si on allait trop vite vers un système de ce genre, on risquerait de faire très vite aussi la fortune des spéculateurs et de créer plus de désordre sur les marchés que de stabilité.

En revanche, il est clair que plus le monde s'organise et plus le monde va devoir essayer de gérer ensemble la stabilité des rapports de change entre grandes devises sur la base de la convergence des politiques économiques, les disciplines universellement reconnues et le dialogue organisé sur des bases objectives, avec un juge de paix entre les grands centres monétaires.

Je suis frappé de voir que plus on réfléchit sur les rapports de l'Euro, du Dollar et du Yen, plus on est amené à reconnaître que cette concertation sera indispensable et qu'il faudra que l'arbitre entre eux puisse de temps en temps sortir son carton jaune. Aujourd'hui nous le faisons discrètement dans le cadre des réunions du G 7. De plus en plus le FMI sera amené à jouer d'une manière plus explicite son rôle de centre de concertation et d'équilibrage si nécessaire.

M. le Président . - Monsieur le Directeur, je crois qu'il est temps de vous libérer et de vous remercier. Vous nous avez beaucoup éclairés, et je reste frappé par la convergence entre vos propos, ceux de M. Ruggiero et ceux du grand industriel qu'est M. Messier.

Si après ces " intraveineuses " nous n'avons pas repris le moral, c'est que nous ne le reprendrons jamais. Merci.

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