Rapport n°293 : Egalité entre hommes et femmes


Mme Danièle POURTAUD, Sénateur


Délégation du Sénat pour l'Union Européenne - Rapport d'information n° 293 - 1996/1997

Table des matières






N° 293

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès verbal de la séance du 27 mars 1997.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1),

sur

- l'application du principe d' égalité entre hommes et femmes au niveau communautaire ;

- la proposition d'acte communautaire E 639 modifiant la directive 76/207 relative à la mise en oeuvre du principe de l 'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l' emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail ;

- la proposition d'acte communautaire E 713 relative à la charge de la preuve dans des cas de discrimination fondée sur le sexe.

Par Mme Danièle POURTAUD,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : MM. Jacques Genton, président ; James Bordas, Michel Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon, vice-Présidents ; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Denis Badré, Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, M. Charles Descours, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre Lagourgue, Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Alain Richard, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jacques Rocca Serra, André Rouvière, René Trégouët, Marcel Vidal, Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.

Union européenne - Droits sociaux - Egalité de traitement - Egalité homme-femme - Rapports d'information.

La Délégation pour l'Union européenne du Sénat a été saisie au titre de l'article 88-4 de la Constitution de deux propositions d'actes communautaires :

- une proposition de directive relative à la charge de la preuve dans des cas de discrimination fondée sur le sexe ;

- une proposition de directive visant à modifier la directive de 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail.

A l'occasion de l'examen de ces textes, il m'a paru souhaitable de faire le point sur l'action communautaire en matière d'égalité de traitement entre hommes et femmes, qui a été marquée ces dernières années par de nombreux arrêts controversés de la Cour de justice des Communautés européennes. Le moment est d'autant plus opportun que la Conférence intergouvernementale, actuellement réunie pour réviser le Traité sur l'Union européenne, est l'occasion de donner une nouvelle impulsion à la mise en oeuvre de l'égalité entre hommes et femmes, dans le respect du principe de subsidiarité.

I. LA MISE EN OEUVRE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE

Alors que le Traité de Rome ne consacrait qu'un unique article à la question de l'égalité entre hommes et femmes, les institutions communautaires ont adopté de nombreux textes dans cette matière. La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes a en outre eu une influence déterminante sur la mise en oeuvre de ce principe.

Le débat autour de l'égalité des chances met en jeu plusieurs modèles de l'égalité. On a longtemps opposé égalité formelle et égalité réelle. La première semble s'épuiser dans l'énoncé du principe d'égalité de droits, la seconde suppose la prise en compte des situations réelles et des inégalités de fait. Ces différentes conceptions s'opposent au sein de l'Union européenne.

En France, le modèle de l'égalité en droit s'impose et laisse très peu de place à des mesures visant à l'égalité réelle ; si ce modèle a permis de prendre des mesures protectrices pour les femmes, il n'admet quasiment aucune mesure visant à mettre en oeuvre une véritable égalité des chances. On a pu dire que la France avait une vision quelque peu paternaliste de l'égalité entre femmes et hommes.

Les pays anglo-saxons ou du nord de l'Europe ont une vision plus pragmatique du droit qui permet d'envisager plus facilement l'égalité de fait et les actions positives visant à la mettre en oeuvre. C'est dans ce contexte que prend place l'action de la Communauté européenne.

A. UNE ACTION COMMUNAUTAIRE SOUTENUE

· Le Traité

Le Traité instituant la Communauté européenne n'évoque le principe d'égalité entre hommes et femmes que dans son article 119 relatif à l'égalité des rémunérations.

Article 119

Chaque Etat membre assure au cours de la première étape, et maintient par la suite, l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail.

Par rémunération, il faut entendre, au sens du présent article, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier.

L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique :

a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ;

b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail.

· Les directives

Afin de mettre en oeuvre les dispositions du Traité, le Conseil a adopté en 1975 une directive concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (1( * )). Par la suite, les institutions communautaires ont continué à faire preuve de vigilance en ce domaine. En 1996, la Commission européenne a publié un code de conduite concernant l'application de l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour un travail de valeur égale (2( * )). Dans ce document, elle constate que, malgré les dispositions du droit communautaire, adoptées et transposées dans les législations des Etats membres depuis 20 ans, " les différences de rémunération entre les femmes et les hommes restent considérables. A titre d'exemple, les données disponibles concernant l'industrie manufacturière et le commerce de détail révèlent un écart important, dans tous les Etats membres, entre les salaires féminins et masculins ".

Elle propose donc que les négociateurs patronaux ou syndicaux qui, à tous les niveaux, interviennent dans la détermination des rémunérations, procèdent à une analyse du régime de rémunération et évaluent les informations utiles pour détecter les discriminations fondées sur le sexe, en vue de définir les mesures à prendre pour y remédier. Le code de conduite prévoit en outre la mise en oeuvre d'une action de suivi pour l'élimination des discriminations. Naturellement, un tel texte a une valeur incitative et non normative.

Comme on le verra plus loin, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu de nombreuses décisions qui ont permis de mieux cerner les contours de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de rémunération.

Les institutions communautaires ont adopté d'autres textes visant à mettre en oeuvre le principe d'égalité entre hommes et femmes. Compte tenu de l'absence de base juridique spécifique dans le Traité, ces textes ont été adoptés sur la base de l'article 235 du Traité de Rome. Cet article permet au Conseil de mettre en oeuvre une action nécessaire pour réaliser l'un des objets de la Communauté lorsque le Traité n'a pas prévu de pouvoirs d'action dans ce domaine. L'utilisation de cet article implique une adoption des dispositions par le Conseil à l'unanimité. Outre la directive concernant l'égalité des rémunérations, cinq directives ont été adoptées en matière d'égalité de traitement :

- la directive du 9 février 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (3( * )) ;

- la directive du 19 décembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (4( * )) ;

- la directive du 24 juillet 1986 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (5( * )) ;

- la directive du 11 décembre 1986 sur l'application du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, y compris une activité agricole, ainsi que la protection de la maternité (6( * )) ;



- la directive du 19 octobre 1992 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (7( * )).

L'action communautaire en matière d'égalité de traitement entre hommes et femmes couvre donc un champ assez étendu. Chacun de ces textes reprend la même définition du principe d'égalité, qui implique " l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial ".

L'action législative de la Communauté est complétée par de nombreuses résolutions et recommandations du Conseil. Ce dernier a par exemple adopté le 22 juin 1994 une résolution concernant la promotion de l'égalité des chances pour les hommes et les femmes par l'action des Fonds structurels européens.

· Les programmes d'action communautaire

Par ailleurs, depuis 1982, la Communauté européenne a mis en oeuvre des programmes d'action communautaire pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Le quatrième programme communautaire (1996-2000) a été adopté le 22 décembre 1995. Ce dernier programme a suscité de vifs débats au sein du Conseil, en particulier en ce qui concerne le montant des crédits. L'Allemagne, estimant que l'action communautaire dans ce domaine ne pouvait que compléter l'action conduite aux niveaux local et national, a souhaité que des crédits limités soient affectés à ce programme. Finalement, la somme de 30 millions d'Ecus a été retenue alors que la Commission européenne proposait 60 millions d'Ecus.

Ce programme vise en particulier à promouvoir l'intégration de la dimension de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans toutes les politiques et les actions. Il s'agit du principe dit de " mainstreaming ", évoqué dans la plate-forme d'action adoptée à l'issue de la Conférence mondiale sur les femmes de Pékin, et qui vise, comme l'indique la Commission européenne dans une communication sur ce sujet, à " ne pas limiter les efforts de promotion de l'égalité à la mise en oeuvre de mesures spécifiques en faveur des femmes, mais de mobiliser explicitement en vue de l'égalité l'ensemble des actions et politiques générales en introduisant dans leur conception de façon active et visible l'attention à leurs effets possibles sur les situations respectives des femmes et des hommes ". Dans sa communication (8( * )), la Commission européenne estime que cette préoccupation devrait être particulièrement prise en considération dans les domaines suivants : l'emploi et le marché du travail, l'éducation et la formation, les droits des personnes, les relations extérieures, l'information ainsi que les fonds structurels. Elle fait valoir que, d'ores et déjà, des interventions combinées du Fonds social européen, du Fonds européen de développement régional et du Fonds européen d'orientation et de Garantie agricole contribuent à la réalisation d'actions et d'équipements qui rendent possible une meilleure conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale des femmes (crèches, jardins d'enfants, activités post-scolaires...).

Les actions communautaires prévues par le quatrième programme pour l'égalité des chances comprennent en particulier des échanges d'informations et d'expériences ainsi qu'un soutien méthodologique, technique ou financier à des projets favorisant l'égalité des chances.

B. UNE JURISPRUDENCE COMPLEXE

La Cour de justice des Communautés européennes a eu la charge d'interpréter les dispositions de l'article 119 du Traité instituant la Communauté européenne ainsi que les directives adoptées par le Conseil. La jurisprudence de la Cour a bien souvent favorisé la recherche de l'égalité de traitement entre hommes et femmes. Elle a par exemple reconnu un effet direct à l'article 119 du Traité relatif à l'égalité des rémunérations en faisant valoir que cet article faisait partie des objectifs sociaux de la Communauté (9( * )). Elle a en outre considéré que l'élimination des discriminations fondées sur le sexe faisait partie des droits fondamentaux dont elle devait assurer le respect. La jurisprudence de la Cour en matière de discriminations indirectes a permis d'incontestables progrès dans la mise en oeuvre du principe d'égalité entre hommes et femmes, comme on le verra plus loin.

Toutefois, l'application faite par la Cour de justice du principe d'égalité entre hommes et femmes a parfois donné le sentiment, dans plusieurs domaines, d'aller à l'encontre des intérêts des femmes. La Cour a en particulier remis en cause, au nom de l'égalité, nombre de mesures protectrices bénéficiant aux femmes. On s'attardera ici sur deux exemples.

· La directive de 1976 relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, prévoit dans son article 2 § 3 que " la présente directive ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité ". La Cour a fait une interprétation stricte de cet article, en estimant qu'il visait seulement à protéger deux ordres de besoins de la femme, à savoir sa condition biologique d'une part, le rapport particulier existant entre la mère et son enfant au cours de la période qui fait suite à l'accouchement d'autre part.

En 1988, la France a été condamnée pour avoir maintenu des clauses des conventions collectives ouvrant des droits particuliers pour les femmes. La Cour a relevé que certaines de ces clauses visaient la protection des femmes dans leur qualité de travailleurs âgés ou de parents, qualité que peuvent également avoir les travailleurs masculins (10( * )). De même, en 1991, la Cour a estimé que l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie, prévue par l'article L 213-1 du Code du Travail français, était incompatible avec la directive de 1976, dans la mesure où elle ne vise pas à protéger les femmes de risques qui leur sont spécifiques (11( * )). Cette décision a suscité de nombreuses protestations en France. Il convient d'indiquer que la disposition condamnée par la Cour de justice figure toujours dans le Code du Travail ; la Cour a à nouveau condamné la France, le 13 mars 1997, pour ne pas avoir abrogé cette disposition.

Juridiquement, le raisonnement de la Cour de justice est aisé à comprendre. Les mesures dérogatoires au principe d'égalité prises en faveur des femmes doivent être justifiées par l'existence de besoins qui leur sont propres. La Cour défend ainsi une véritable égalité entre hommes et femmes, qui exclut les mesures protectrices lorsqu'elles ne s'expliquent pas par des différences objectives entre les hommes et les femmes. L'idée qui sous-tend l'arrêt relatif au travail de nuit est que, si le travail de nuit est nocif, il l'est autant pour les hommes que pour les femmes. Toutefois, ces décisions de la Cour de justice ont pu choquer en France, dans la mesure où ces mesures en faveur des femmes sont admises depuis longtemps et considérées comme un progrès social.

· La Cour de justice a également rendu des arrêts contestés en matière d'égalité des rémunérations entre hommes et femmes. En 1990, la Cour a en effet estimé que les pensions versées par les fonds professionnels ou par les régimes de retraite complémentaire constituaient des éléments de rémunération et que toute disposition relative à ces pensions qui ne respectait pas le principe d'égalité était contraire au Traité (12( * )). Ainsi la fixation d'un âge différent pour les femmes et pour les hommes en matière d'attribution de ces pensions est contraire au Traité. Or, bien souvent, ces pensions étaient versées plus tôt aux femmes qu'aux hommes. D'autres arrêts ont permis de préciser les contours de la notion de rémunération et il semble qu'aujourd'hui seules les pensions de retraite versées dans le cadre des régimes légaux n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 119.

Lors de la négociation du Traité de Maastricht, les Etats membres ont adopté un protocole limitant la rétroactivité de l'arrêt de la Cour afin de réduire l'impact financier de cette décision. Par ailleurs, la Commission européenne a été contrainte de présenter une proposition visant à modifier la directive de 1986 relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale. Cette directive autorisait en effet des dérogations au principe d'égalité en matière d'âge de la retraite ou de prestations versées au survivant. La Cour de justice ayant déclaré ces dérogations contraires à l'article 119 du Traité, une modification de la directive était indispensable.

Examinant cette proposition de modification de la directive de 1986, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a chargé M. Charles METZINGER de déposer une proposition de résolution qui a ensuite été adoptée par la commission des affaires sociales (13( * )). Dans cette résolution, devenue résolution du Sénat, ce dernier a en particulier invité le Gouvernement " à s'efforcer de faire garantir explicitement par le Traité, à l'occasion de sa révision, la possibilité pour les Etats membres de déterminer les conditions d'application du principe d'égalité les plus favorables, notamment en leur permettant de maintenir dans leur droit social des avantages spécifiques accordés aux femmes en matière de pensions de retraite, de conditions de travail et de congés ".

Il s'agissait naturellement de limiter, dans un esprit de subsidiarité, l'impact d'une jurisprudence qui, au nom de l'égalité, remet en cause des dispositions visant à compenser ou limiter des inégalités persistantes.

Quelques années plus tôt, lors de la négociation du Traité de Maastricht, onze Etats membres sur douze avaient adopté un accord sur la politique sociale dont l'article 6 rappelle le contenu de l'article 119 du Traité tout en lui ajoutant un alinéa supplémentaire précisant :

Article 6 § 3 de l'accord sur la politique sociale

" Le présent article ne peut empêcher un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par les femmes ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle ".

Le champ d'application de cette disposition est plus limité que celui de la proposition formulée dans la résolution du Sénat. Il est en outre difficile de savoir ce que recouvrent exactement ces " avantages spécifiques ". Par ailleurs, la force de cette disposition serait plus grande si elle était inscrite dans le Traité et s'appliquait à l'ensemble des Etats membres. Votre rapporteur reviendra plus loin sur ce sujet. La Cour de justice n'a pas eu pour l'instant l'occasion de se prononcer sur l'étendue de cette disposition.

Interprétant de manière rigide le principe de l'égalité entre hommes et femmes, la Cour de justice, dont la jurisprudence joue un rôle essentiel dans la mise en oeuvre du principe d'égalité, a donc parfois donné le sentiment d'aller à l'encontre de l'intérêt des femmes.

Le Gouvernement a récemment soumis au Sénat, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, deux propositions de directives qui, toutes deux, à des titres différents, ont pour origine la jurisprudence de la Cour de justice. Il convient maintenant d'examiner le contenu de ces textes.

II. DISCRIMINATIONS ET CHARGE DE LA PREUVE

La Cour de justice a rendu de nombreux arrêts relatifs aux discriminations fondées sur le sexe, apportant des précisions importantes en ce qui concerne en particulier la charge de la preuve dans cette matière. La Commission européenne a récemment présenté une proposition de directive, directement issue de cette jurisprudence, afin d'aménager la charge de la preuve.

A. DE NOMBREUX ARRÊTS

En matière de discrimination, la Cour de justice a rendu des arrêts qui ont incontestablement permis de faire progresser l'égalité des chances entre hommes et femmes. Pour que l'égalité des chances soit réalisée, elle a eu recours à la notion de discrimination indirecte. Celle-ci n'est pas mentionnée à l'article 119 du Traité, mais l'interdiction de ce type de discrimination est en revanche inscrite dans la plupart des directives visant à mettre en oeuvre le principe d'égalité entre hommes et femmes.

La discrimination indirecte peut être définie comme celle qui ne se " fonde pas formellement sur le sexe, mais donne lieu à un résultat pratique qui n'est pas différent de celui auquel aboutissent les disparités qui font explicitement la référence au sexe " (14( * )). La discrimination provient en fait de l'application d'un critère en apparence neutre qui affecte un nombre plus important de personnes d'un sexe.

C'est à propos du travail à temps partiel que la Cour de justice a élaboré sa jurisprudence sur les discriminations indirectes. Elle a estimé que, dès lors que certaines situations défavorables (par exemple l'exclusion des travailleurs à temps partiel d'un régime de pensions d'entreprise ou une différence de la base horaire de rémunération entre travailleurs à temps plein et travailleurs à temps partiel) concernaient un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes, elles étaient contraires au principe de l'égalité de traitement. Ces mesures peuvent toutefois être justifiées si elles visent un objectif important (par exemple un réel besoin de la part de l'entreprise) et si elles constituent des moyens appropriés et nécessaires pour atteindre cet objectif.

Dans plusieurs arrêts, la Cour de justice a estimé qu'en matière de discriminations indirectes, il pouvait être nécessaire de faire peser la charge de la preuve sur l'employeur " lorsque cela s'avère nécessaire pour ne pas priver les travailleurs victimes de discrimination apparente de tout moyen efficace de faire respecter le principe de l'égalité [...] " (15( * )). Ainsi, dans un arrêt de 1989, la Cour a estimé qu'un aménagement de la charge de la preuve pouvait par exemple s'imposer en présence d'un système de rémunération dépourvu de transparence, dès lors que le travailleur féminin demandeur établit, par rapport à un nombre relativement important de salariés, que la rémunération moyenne des travailleurs féminins est inférieure à celle des travailleurs masculins (16( * )).

En 1993, la Cour a confirmé cette jurisprudence à propos d'un système de rémunération transparent, en observant que " dans une situation de discrimination apparente, c'est à l'employeur de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération constatée " (17( * )).

Il est donc désormais clairement établi qu'en présence d'une discrimination indirecte ou apparente, il revient à l'employeur de démontrer qu'elle s'explique par des raisons objectives, totalement indépendantes du sexe des personnes concernées. La Commission européenne propose aujourd'hui que ce principe de l'aménagement de la charge de la preuve soit inscrit dans une directive communautaire.

B. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE : CONSOLIDER LES DROITS DES DEMANDEURS

La Commission européenne a proposé dès 1988 un texte relatif à la charge de la preuve dans le domaine de l'égalité des rémunérations et de l'égalité de traitement entre femmes et hommes. Ce texte, qui devait recueillir l'accord de l'ensemble des Etats membres, s'est heurté à l'opposition constante du Royaume-Uni. Il a néanmoins fait l'objet de discussions au sein du Conseil jusqu'en 1993.

Après la signature du Traité sur l'Union européenne, la Commission a décidé d'agir en utilisant comme base juridique l'accord sur la politique sociale annexé au Traité, auquel ne participe pas le Royaume-Uni. Elle a consulté les partenaires sociaux qui, dans le cadre de l'accord sur la politique sociale, peuvent négocier directement des accords que le Conseil doit ensuite approuver. Toutefois, les désaccords entre les partenaires sociaux n'ont pas permis d'utiliser cette possibilité. l'UNICE, organisation représentative des employeurs, a en effet estimé qu'un texte relatif à la charge de la preuve ne s'imposait pas, compte tenu de la jurisprudence abondante en ce domaine.

La Commission européenne a alors élaboré une proposition formelle qu'elle a présentée au Conseil.

La proposition de directive contient en premier lieu une définition de la discrimination indirecte reprenant les éléments dégagés par la Cour de justice dans ses nombreux arrêts : " une discrimination indirecte existe dès lors qu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre affecte une proportion considérablement plus importante de personnes d'un sexe, par référence notamment à l'état matrimonial ou familial, à moins que le but poursuivi par l'application de cette disposition, critère ou pratique soit objectivement justifié, et que les moyens pour l'atteindre soient appropriés et nécessaires ".

Le coeur de la proposition de directive est l'article 4 relatif à la charge de la preuve. En 1993, lors des dernières discussions sur la précédente proposition, le texte envisagé faisait référence à la notion de présomption simple de discrimination. Le dispositif proposé dans le nouveau texte n'utilise pas cette expression et est largement inspiré des solutions dégagées par la Cour de justice.

Article 4 de la proposition de directive

1. Les Etats membres, conformément à leurs systèmes judiciaires nationaux, prennent les mesures nécessaires :

a) afin que, dès lors qu'une personne qui s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe d'égalité de traitement, établit devant une juridiction ou une autre instance compétente, selon les cas, des éléments de fait qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination, c'est à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe d'égalité de traitement. La partie demanderesse bénéficie de tout doute qui pourrait subsister ;

b) afin que la partie défenderesse, lorsqu'elle applique un système ou prend une décision non transparente, ait la charge de prouver qu'une apparence de discrimination s'explique par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe ;

c) afin que la partie demanderesse ne doive pas prouver l'existence d'une faute dans le chef de la partie défenderesse pour établir la violation de l'interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe.

2. La présente directive ne fait pas obstacle au droit des Etats membres d'imposer un régime probatoire plus favorable à la partie demanderesse.

Le Conseil a examiné ce texte au cours de sa réunion du 2 décembre 1996 et il semble qu'un consensus puisse se dégager sur les orientations de la proposition de directive. Un accord pourrait donc intervenir rapidement lorsque le Parlement européen aura rendu son avis.

Le contenu de ce texte paraît en mesure d'apporter des progrès dans la mise en oeuvre du principe d'égalité entre hommes et femmes. En effet, la preuve d'une discrimination est souvent difficile à apporter par les salariés et il semble justifié de mettre cette preuve à la charge de l'employeur dès lors que des éléments de fait permettent de présumer l'existence d'une telle discrimination. On ne peut que se féliciter que ce texte prenne en considération le principe de subsidiarité, en instituant un mécanisme d'aménagement de la charge de la preuve qui n'empêche pas les Etats membres qui le souhaiteraient d'aller plus loin.

On peut en revanche être réservé sur le contenu de l'alinéa c) de l'article 4 de la proposition qui vise à préciser explicitement que les demandeurs ne doivent pas avoir à prouver l'existence d'une faute du défendeur. Compte tenu des alinéas précédents, ce texte ne semble apporter aucune valeur ajoutée à la proposition.

La proposition soumise au Sénat prévoit que cet aménagement de la charge de la preuve a vocation à s'appliquer aux situations couvertes par l'article 119 du Traité instituant la Communauté européenne ainsi qu'à l'ensemble des directives adoptées en matière d'égalité de traitement, ce qui inclut les directives relatives à l'égalité de traitement en matière de sécurité sociale. Il est souhaitable que le champ d'application de la proposition ne soit pas réduit au cours des négociations, car une telle limitation reviendrait à faire perdre à ce texte une grande partie de son intérêt.

Il convient de signaler que l'UNICE, organisation européenne d'employeurs, demeure hostile à la proposition de directive. Selon cette organisation " l'adoption d'une directive sur ce sujet risque d'entraîner une multiplication de litiges au cours desquels il deviendra extrêmement difficile pour l'employeur d'assurer sa défense. En effet, [...] s'il est difficile de prouver qu'il y a une discrimination, le contraire est également vrai " (18( * )).

En France, le Code du Travail interdit naturellement les discriminations liées au sexe. Ainsi, l'article L 123-1 du code dispose notamment que " sous réserve des dispositions particulières du présent code et sauf si l'appartenance à l'un ou l'autre sexe est la condition déterminante de l'exercice d'un emploi ou d'une activité professionnelle, nul ne peut [...] prendre en considération du sexe toute mesure, notamment en matière de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle ou de mutation [...] ".

Les articles dans lesquels est évoquée la charge de la preuve ne se réfèrent pas explicitement aux discriminations fondées sur le sexe. Ainsi, l'article L 140-8 relatif aux rémunérations dispose : " en cas de litige relatif à l'application du présent chapitre, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier l'inégalité de rémunération invoquée. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié ".

Le régime français est donc d'ores et déjà plutôt favorable aux salariés, même si la charge de la preuve n'est pas explicitement attribuée à l'une ou l'autre des parties. Il n'est pas certain que la formulation de l'article L 140-8 du Code du Travail soit pleinement compatible avec le texte de la proposition de directive. La mise en oeuvre de la directive, si elle est adoptée, impliquera donc vraisemblablement des modifications limitées des articles évoquant la charge de la preuve. Par ailleurs, cette dernière n'est actuellement évoquée qu'en matière de rémunération, de licenciement et de droit disciplinaire. Il conviendra donc d'étendre le dispositif relatif à la charge de la preuve à l'ensemble des domaines dans lesquels les salariés risquent de subir des discriminations fondées sur le sexe.

Il convient d'indiquer que, d'ores et déjà, certaines juridictions françaises s'appuient sur la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes lorsqu'elles doivent statuer en matière de discriminations fondées sur le sexe. Ainsi en 1995, dans un arrêt concernant une discrimination dans le domaine des rémunérations, la Cour d'appel de Riom a notamment rappelé que " selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes [...] dans une situation de discrimination apparente, c'est à l'employeur de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération constatée " (19( * )). Les références à la jurisprudence de la Cour de justice dans les décisions judiciaires en cette matière demeurent toutefois rares.

III. QUELLES ACTIONS POSITIVES EN FAVEUR DES FEMMES ?

La Commission européenne a présenté le 27 mars 1996 une proposition de directive visant à modifier la directive de 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail. Cette proposition de directive vise en fait à tirer les conséquences d'un arrêt très controversé de la Cour de justice des Communautés européennes, rendu en octobre 1995.

A. L'ARRÊT KALANKE, COUP D'ARRÊT AUX ACTIONS POSITIVES

1. Un environnement favorable aux actions positives

Au niveau international , les actions positives sont aujourd'hui largement admises. Ainsi, la Convention de l'O.N.U. sur l'élimination de toute discrimination à l'égard des femmes stipule que " l'adoption par les Etats parties de mesures temporaires spéciales visant à accélérer l'instauration d'une égalité de fait entre les hommes et les femmes n'est pas considérée comme un acte discriminatoire tel qu'il est défini dans la présente Convention, mais ne doit en aucune façon avoir pour conséquence le maintien de mesures inégales ou distinctes ; ces normes doivent être abrogées dès que les objectifs en matière d'égalité des chances et de traitement ont été atteints ".

La plate-forme d'action adoptée à l'issue de la Conférence mondiale sur les femmes de Pékin évoque également cette question, puisqu'elle invite en particulier les Gouvernements à " s'engager à se fixer pour but de parvenir, au sein des organes gouvernementaux, à un équilibre entre les sexes [...], en définissant des objectifs spécifiques, en mettant en oeuvre des mesures visant à accroître de manière substantielle la proportion de femmes, jusqu'à parvenir à une représentation équilibrée entre hommes et femmes, et en recourant, si besoin est, à l'action positive, et ce à tous les niveaux de la fonction publique et des organes gouvernementaux ".

Les institutions communautaires se sont également montrées favorables, au cours des vingt dernières années à la mise en oeuvre d'actions positives visant à assurer la mise en oeuvre effective du principe d'égalité entre hommes et femmes. La directive de 1976 relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité en matière d'accès à l'emploi, de formation et de promotion professionnelles, fait référence à d'éventuelles actions positives dans son article 2 § 4, qui précise :

" La présente directive ne fait pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes dans les domaines visés à l'article 1 er paragraphe 1 ".

Par ailleurs, en 1984, le Conseil des ministres a adopté une recommandation relative à la promotion des actions positives en faveur des femmes (20( * )).

Extraits de la recommandation du Conseil relative

à la promotion des actions positives en faveur des femmes

Le Conseil [...] recommande aux Etats membres :

1. d'adopter une politique d'action positive destinée à éliminer les inégalités de fait dont les femmes sont l'objet dans la vie professionnelle ainsi qu'à promouvoir la mixité dans l'emploi, et comportant des mesures générales et spécifiques appropriées, dans le cadre des politiques et pratiques nationales et dans le plein respect des compétences des partenaires sociaux, afin :

a) d'éliminer ou de compenser les effets préjudiciables qui, pour les femmes qui travaillent ou qui cherchent un emploi, résultent d'attitudes, de comportements et de structures fondés sur l'idée d'une répartition traditionnelle des rôles entre les hommes et les femmes dans la société ;

b) d'encourager la participation des femmes aux différentes activités dans les secteurs de la vie professionnelle où elles sont actuellement sous-représentées, en particulier dans les secteurs d'avenir, et aux niveaux supérieurs de responsabilité, pour obtenir une meilleure utilisation de toutes les ressources humaines ;

[...]

4. de faire en sorte que les actions positives incluent, dans la mesure du possible, des actions portant sur les aspects suivants ;

[...]

- encouragement des candidatures, du recrutement et de la promotion des femmes dans les secteurs, professions et niveaux où elles sont sous-représentées, notamment aux postes de responsabilité ;

En décembre dernier, le Conseil a adopté une nouvelle recommandation sur ce sujet.

2. L'arrêt Kalanke

C'est dans ce contexte favorable aux actions positives qu'est intervenu l'arrêt Kalanke de la Cour de justice des Communautés européennes (21( * )). Une loi du Land allemand de Brême prévoit que, dans les services publics, lors du recrutement et lors de l'affectation à un emploi dans un grade plus élevé, les femmes ayant une qualification égale à celle de leurs concurrents masculins doivent être prises en considération en priorité lorsqu'elles sont sous-représentées.

La Cour de justice, interrogée par une juridiction allemande sur la compatibilité de cette loi avec la directive communautaire de 1976 a répondu négativement, en invoquant les arguments suivants :

" [...] une réglementation nationale qui garantit la priorité absolue et inconditionnelle aux femmes lors d'une nomination ou promotion va au-delà d'une promotion de l'égalité des chances et dépasse les limites de l'exception prévue à l'article 2 § 4 de la directive.

" Il convient d'ajouter qu'un tel système, dans la mesure où il vise à établir une égalité de représentation des femmes par rapport aux hommes à tous les grades et niveaux d'un service, substitue à la promotion de l'égalité des chances envisagée à l'article 2 § 4, le résultat auquel seule la mise en oeuvre d'une telle égalité des chances pourrait aboutir ".


Cet arrêt a suscité de vives réactions, dans la mesure où il semble porter un coup d'arrêt à la mise en oeuvre de mesures d'action positive. Compte tenu de ces multiples réactions, la Commission européenne a rapidement réagi.

B. UNE PROPOSITION DE DIRECTIVE PRÉMATURÉE

1. L'interprétation par la Commission européenne de l'arrêt Kalanke

La Commission a tout d'abord publié une communication sur l'interprétation de l'arrêt Kalanke (22( * )) avant de proposer une modification de la directive de 1976 visant à tirer les conséquences de cet arrêt. Dans sa communication, la Commission a estimé que la Cour n'avait condamné que le régime automatique de quota du Land de Brême et a fait valoir que seule la nature " absolue et inconditionnelle " de la priorité donnée aux femmes rendait illégal le système de Brême.

Elle en a déduit que les systèmes d'action positive étaient compatibles avec la directive communautaire dès lors qu'ils permettent de tenir compte des circonstances particulières. Ainsi la directive autoriserait par exemple les programmes de promotion des femmes indiquant les proportions et les délais dans lesquels le nombre de femmes pourrait être augmenté, mais sans imposer une règle automatique de préférence lorsque les décisions individuelles sont prises en matière de recrutement et de promotion.

2. Vers une directive " interprétative "

Compte tenu de cette interprétation, la Commission européenne a décidé de présenter une proposition de directive visant à modifier l'article 2 § 4 de la directive de 1976 afin d'autoriser explicitement les types d'action positive qui n'ont pas été condamnés par l'arrêt Kalanke (23( * )). Cette proposition de directive a été soumise au Sénat au titre de l'article 88-4 de la Constitution sous le numéro E 639. Le texte se résume pour l'essentiel à deux articles.

Extraits de la proposition de directive du Conseil modifiant la directive relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail

Article premier

L'article 2 paragraphe 4 de la directive 76/207/CEE est remplacé par le texte suivant :

"4. La présente directive ne fait pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances du sexe sous-représenté dans les domaines visés à l'article premier paragraphe 1. Parmi les mesures possibles figure la préférence accordée, en matière d'accès à l'emploi ou à la promotion, à un membre du sexe sous-représenté, pour autant que de telles mesures n'excluent pas l'évaluation des circonstances particulières d'un cas précis.

Article 2

Les Etats membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 1 er décembre 1998 ou s'assurent au plus tard à cette date que les employeurs et les travailleurs ont instauré par accord les mesures nécessaires, les Etats membres étant tenus de prendre toute mesure nécessaire pour leur permettre à tout moment de garantir les résultats imposés par la présente directive. Ils en informent immédiatement la Commission.

Lorsque les Etats membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d'une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les Etats membres.

Pour la Commission européenne, cette proposition de directive a une portée tout à fait limitée. Dans l'exposé des motifs de la proposition, comme dans sa communication sur l'interprétation de l'arrêt Kalanke, la Commission a fait valoir à plusieurs reprises que " la modification est de nature interprétative ".

3. Une proposition critiquable

La proposition de la Commission européenne appelle plusieurs remarques. Sur le plan de la méthode, il est singulier de formuler une proposition visant à inscrire dans un texte législatif l'interprétation par la Commission européenne d'un arrêt de la Cour de justice. Le rôle du législateur communautaire n'est pas en effet de recopier les arrêts de la Cour de justice dans les textes normatifs lorsque ces derniers n'ont pas été remis en cause.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne s'est élevée contre cette méthode lorsqu'elle a examiné la proposition de directive : " En réalité, tout se passe comme si la Commission, s'estimant en position de subordination vis-à-vis de la Cour et plaçant, de ce fait, les Etats membres dans la même situation, se contentait de promouvoir les quotas dans les limites infimes définies par la Cour. Toute tentative pour modifier substantiellement la directive 76/207 ne pourrait donc apparaître, aux yeux de la Commission, que comme trop osée " (24( * )).

Le Parlement européen, à propos d'une autre proposition de directive visant, elle aussi, à tirer les conséquences de la jurisprudence de la Cour de justice, s'était élevé contre cette méthode législative : " on ne peut que regretter la procédure qui a été suivie par la Commission qui a intégré, sans l'adapter, la jurisprudence de la cour dans les textes communautaires. On a l'impression que c'est davantage la Cour qui fait le droit ". (25( * )).

En fait, la proposition de directive, telle qu'elle est formulée, ne présenterait un intérêt que si l'interprétation de l'arrêt Kalanke faite par la Commission était fausse. En autorisant explicitement certaines formes d'action positive, la directive empêcherait leur condamnation par la Cour au nom du principe d'égalité. Dans ces conditions, la proposition de directive ne serait pas de nature interprétative et mériterait un débat très approfondi qui, pour l'instant, n'a pas eu lieu au sein des institutions communautaires.

Malgré les certitudes que semble avoir la Commission européenne, l'interprétation de l'arrêt Kalanke est moins aisée qu'il y paraît. La Commission estime que la loi du Land de Brême n'a été condamnée que parce qu'elle accordait une priorité absolue et inconditionnelle aux femmes. On relèvera cependant que cette loi prévoyait deux conditions préalables pour que les femmes bénéficient de la priorité : il fallait qu'elles soient sous-représentées et qu'elles aient une qualification égale à celle des hommes. Certes, comme l'a relevé un universitaire, " le débat souligné par l'arrêt Kalanke a pour point de départ l'absence d'une des conditions habituellement prévues, à savoir qu'une action positive ne doit pas porter une atteinte excessive au droit du candidat masculin, ce qui évite une application automatique des dispositions en ce domaine ". (26( * ))

Cependant, il n'est pas certain que, si cette condition supplémentaire avait été inscrite dans la loi du Land de Brême, elle aurait rendu celle-ci compatible, aux yeux de la Cour de justice, avec la directive de 1976. La Cour a en effet précisé " qu'un tel système, dans la mesure où il vise à établir une égalité de représentation des femmes par rapport aux hommes à tous les grades et niveaux d'un service, substitue à la promotion de l'égalité des chances envisagée à l'article 2 § 4, le résultat auquel seule la mise en oeuvre d'une telle égalité des chances pourrait aboutir ". Or, cette égalité de résultat est bien l'objet de l'ensemble des mesures d'action positive. Il est donc difficile de percevoir l'étendue exacte de l'interdiction formulée par la Cour de justice.

Dans ces conditions, la proposition de la Commission européenne ne paraît pas en mesure d'apporter une solution durable à la question des actions positives.
Le Conseil de l'Union européenne a débattu de ce texte en décembre dernier et n'a pu parvenir à un accord. De nombreux Etats, en accord avec la Commission pour constater que l'arrêt Kalanke n'avait pas mis en cause la validité de la directive, en ont conclu qu'il n'était pas nécessaire de modifier celle-ci. Ces Etats ont estimé qu'en tout état de cause, cette modification était prématurée, d'autant plus que les dispositions concernées ne revêtent qu'un caractère facultatif pour les Etats membres. Un Etat membre, la Suède, a souhaité, pour sa part, que la directive autorise toutes les formes d'action positive. De son côté, le Parlement européen a indiqué qu'il attendrait pour prendre position sur cette proposition que la Cour se soit prononcée sur une affaire en cours d'instruction portant sur un cas assez semblable (27( * )) et que la Conférence intergouvernementale en cours ait achevé ses travaux.

De fait, le renforcement du principe d'égalité entre hommes et femmes passe peut-être aujourd'hui par une modification du Traité sur l'Union européenne. La reconnaissance des actions positives pourrait en particulier être inscrite dans le Traité, afin de donner à ces dernières une base plus solide que celle qui existe actuellement dans la directive de 1976.

IV. CONSACRER LE PRINCIPE DE L'ÉGALITÉ DE TRAITEMENT DANS LE TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE ?

La Conférence intergouvernementale chargée de modifier le Traité sur l'Union européenne est l'occasion d'affirmer de manière plus claire et plus complète le principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes pour tenir compte de l'expérience acquise au cours des dernières décennies. Une modification du Traité pourrait permettre de résoudre les difficultés soulevées par une jurisprudence qui a parfois paru porter atteinte aux intérêts des femmes sous couvert du respect du principe d'égalité.

A. UNE DEMANDE PARLEMENTAIRE FORTE

Au cours des travaux préparatoires à la Conférence intergouvernementale, les institutions communautaires ont été invitées à présenter leurs réflexions sur la mise en oeuvre du Traité de Maastricht et les améliorations qui pourraient lui être apportées. Le Parlement européen a exprimé à plusieurs reprises le souhait que l'action communautaire visant à mettre en oeuvre le principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes soit renforcée. Dans son avis rendu en vue de la préparation du rapport du Parlement sur le fonctionnement du Traité sur l'Union européenne, la commission des droits de la femme a fait valoir que " l'imprécision juridique des dispositions relatives aux différents aspects de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes n'a fait que renforcer le sentiment de distance des citoyens européens par rapport au Traité. Ce sentiment se traduit, pour les femmes, par une méconnaissance de leurs droits en termes d'égalité de traitement et perpétue inévitablement le sentiment d'inégalité dans notre société. " (28( * ))

Dans la résolution qu'il a finalement adoptée sur le fonctionnement du Traité sur l'Union européenne dans la perspective de la Conférence intergouvernementale de 1996, le Parlement européen a notamment indiqué : " il conviendrait d'améliorer la politique d'égalité des chances en reformulant l'article 119 de manière à en étendre le champ d'application à tous les aspects de l'emploi et de la sécurité sociale ".

Quelques mois plus tard, dans une résolution portant avis du Parlement européen sur la convocation de la Conférence intergouvernementale, le Parlement a de nouveau évoqué le principe de l'égalité entre hommes et femmes en tenant compte en particulier de l'arrêt Kalanke qui venait d'être rendu par la Cour de justice des Communautés européennes : " l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes devrait être reconnue comme un droit fondamental dans le Traité révisé ; l'article 119 du Traité CE devrait être maintenu en ce qui concerne son contenu mais étendu à l'égalité des chances dans tous les domaines, notamment la vie économique, sociale et familiale, et mentionner explicitement le recours aux actions positives ".

Comme on l'a vu précédemment, le Sénat a, pour sa part, demandé dans une résolution que le Traité autorise explicitement les Etats membres à maintenir dans leur droit social des avantages spécifiques accordés aux femmes en matière de pensions de retraite, de conditions de travail et de congé.

Enfin, la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, sur le rapport de Mme Nicole CATALA, a adopté en novembre 1995 la conclusion suivante : " [...] certains arrêts de la Cour allant, en effet, à contre-courant d'une réelle promotion de l'égalité des chances en interdisant toute politique systématique de discrimination positive, il convient d'examiner quelles dispositions pourraient être prises pour réduire la portée de cette jurisprudence, soit par un élargissement des dérogations prévues par le droit communautaire au principe d'égalité de traitement, soit par une adaptation du Traité " (29( * )).

B. LE PROJET DE TRAITÉ DE LA PRÉSIDENCE IRLANDAISE ET LES PROPOSITIONS DE LA PRÉSIDENCE NÉERLANDAISE

La Conférence intergouvernementale a entamé ses travaux lors du Conseil européen de Turin réuni en juin 1996. En décembre 1996, la présidence irlandaise de l'Union européenne a dressé un bilan provisoire des travaux de la Conférence en publiant un projet de Traité destiné à servir de base aux négociateurs pour la suite des discussions.

Ce projet de Traité contient plusieurs propositions visant à mieux prendre en considération le principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes.

·  Le projet de Traité contient un nouvel article 6a relatif à la non-discrimination. Le contenu de ce texte est le suivant : " dans le domaine d'application du présent Traité et sans préjudice des dispositions particulières qu'il prévoit, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue d'interdire toute discrimination fondée sur le sexe , la race, l'origine ethnique ou sociale, les croyances religieuses, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ".

· Le projet de Traité contient également une modification de l'article 2 du Traité instituant la Communauté européenne. Cet article 2 définit la mission de la Communauté européenne. La présidence irlandaise a proposé de rédiger cet article de la manière suivante (la modification envisagée figure en gras) :

Projet de modification de l'article 2 du Traité instituant

la Communauté européenne

La Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun, d'une Union économique et monétaire et par la mise en oeuvre des politiques ou des actions communes visées aux articles 3 et 3 A, de promouvoir un développement harmonieux et équilibré des activités économiques dans l'ensemble de la Communauté, une croissance durable et non inflationniste respectant l'environnement, un haut degré de convergence des performances économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, l'égalité entre les hommes et les femmes, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les Etats membres.

·  De la même manière, l'article 3 du Traité, qui énumère l'ensemble des domaines d'action de la Communauté européenne, serait complété par un alinéa précisant que " lorsqu'elle réalise toutes les actions visées au présent article, la Communauté cherche à éliminer les inégalités et à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes ".

Il s'agit donc d'inscrire dans le Traité le principe du " mainstreaming " évoqué précédemment, qui vise à prendre en compte le principe d'égalité entre hommes et femmes dans l'ensemble des politiques communautaires.

·  La présidence irlandaise a proposé par ailleurs de modifier et compléter l'article 119 du Traité relatif au principe d'égalité en matière de rémunération. Le premier alinéa de cet article serait modifié, la formule " égalité des rémunérations... pour un même travail " étant remplacée par " égalité des rémunérations... pour un travail de même valeur ".

En outre, deux nouveaux alinéas compléteraient cet article :

" Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du comité économique et social, adopte des mesures visant à assurer l'application du principe de l'égalité des chances et de l'égalité du traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de travail, y compris le principe de l'égalité des rémunérations pour un travail de même valeur.

" Pour assurer concrètement une pleine égalité dans la vie professionnelle, le présent article ne peut empêcher un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle pour les personnes du sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle ".


Le texte de ce dernier alinéa est, comme on l'a vu plus haut, d'ores et déjà inscrit à l'article 6 § 3 de l'Accord sur la politique sociale annexé au Traité de Maastricht. Il s'agirait donc simplement de l'intégrer dans le Traité lui-même.

·  Enfin, si le projet irlandais était retenu, une formulation neutre, telle que " sexe sous-représenté " serait systématiquement introduite dans les traités, afin d'éviter de faire une distinction entre les sexes.

La Présidence néerlandaise de l'Union européenne, qui a succédé à la Présidence irlandaise, a formulé des propositions identiques en matière d'égalité entre hommes et femmes, sauf sur un point. A propos du premier alinéa de l'article 119, la présidence néerlandaise propose de conserver la formulation actuelle qui prévoit l' " égalité des rémunérations... pour un même travail " alors que la Présidence irlandaise souhaitait que soit introduite une nouvelle formule : " égalité des rémunérations... pour un travail de même valeur ".

La Présidence néerlandaise fait valoir que la formulation envisagée par la Présidence irlandaise " risque de créer une insécurité juridique et de donner lieu à des interprétations différentes ". Cet argument ne manque pas de force, mais la formulation de la Présidence irlandaise pouvait permettre une action plus efficace en matière de lutte contre les discriminations. Il est donc souhaitable qu'elle soit rétablie.





C. RÉFORMER LE TRAITÉ DANS UN ESPRIT DE SUBSIDIARITÉ

La Conférence intergouvernementale en cours est une occasion d'affirmer de manière plus forte le principe de l'égalité entre hommes et femmes et peut-être également de résoudre les problèmes qu'ont pu poser certains arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes.

Il paraît donc souhaitable d'encourager l'inscription du principe de l'égalité entre hommes et femmes dans les articles généraux du Traité instituant la Communauté européenne qui définissent les missions et les actions de la Communauté:

- l'article 2 du Traité serait complété pour préciser que " la Communauté a pour mission (...) de promouvoir (...) l'égalité entre les hommes et les femmes ";

- l'article 3 du Traité serait complété par l'alinéa suivant: " lorsqu'elle réalise toutes les actions visées au présent article, la Communauté cherche à éliminer les inégalités et à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes ";


La proposition de modification de l'article 119 du Traité appelle plusieurs remarques. En premier lieu, il serait préférable de créer un nouvel article, dans la mesure où les nouveaux alinéas proposés ne concernent pas uniquement le problème de l'égalité des rémunérations qui est l'objet de l'article 119.

Le nouveau texte proposé comporte deux alinéas. L'un est relatif à l'action communautaire, l'autre vise à autoriser les Etats membres à prendre certaines mesures.

- Le premier alinéa tend à permettre l'adoption, à la majorité qualifiée, de textes " visant à assurer l'application du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement ". On a vu que les institutions communautaires avaient d'ores et déjà adopté plusieurs directives visant à mettre en oeuvre le principe de l'égalité entre hommes et femmes. La proposition de la présidence irlandaise faciliterait l'adoption de tels textes.

Le texte de la présidence irlandaise vise à la fois l'égalité de traitement et l'égalité des chances. Ces deux notions recouvrent des réalités différentes. L'égalité de traitement, en effet, est parfois insuffisante pour réaliser l'égalité effective entre hommes et femmes, comme l'a noté la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne en soulignant " le fossé qui continue de séparer l'égalité des droits, proclamée dans plusieurs textes fondamentaux, et une réelle égalité des chances, alors cependant que la seconde est indispensable à la réalisation de la première [...] ". C'est dans ce contexte que peuvent intervenir les mesures d'action positive, qui participent alors de l'égalité des chances.

En l'absence d'exposé des motifs, il est difficile de savoir quels types de mesures la présidence irlandaise envisage dans cet alinéa nouveau qu'elle propose. On ne peut en particulier savoir si ce texte permettrait l'adoption au niveau communautaire de mesures d'action positive, même si la mention de l'égalité des chances paraît viser ce type d'actions.

Il n'est pas certain qu'une telle action au niveau communautaire soit souhaitable. En matière d'actions positives, les Etats membres de l'Union sont dans des situations très différentes. Certains Etats du nord de l'Europe mettent en oeuvre des actions positives depuis de nombreuses années, d'autres ne les ont jamais pratiquées. Le débat sur ces actions positives est même parfois inexistant dans certains Etats. Dans ces conditions, il convient de s'interroger sur la meilleure manière dont pourrait intervenir la Communauté : faut-il une action normative ou une action incitative comme celle qui existe actuellement et qui prend par exemple la forme de recommandations du Conseil ? Il paraît aujourd'hui difficile d'envisager d'imposer aux Etats membres qui ne le souhaiteraient pas la mise en oeuvre d'actions positives. L'alinéa relatif à l'action communautaire proposé par la présidence irlandaise pourrait donc être complété par une référence au principe de subsidiarité.

- Le deuxième alinéa nouveau proposé par la présidence irlandaise est identique à l'article 6 § 3 de l'accord sur la politique sociale et vise à permettre aux Etats membres " de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par les personnes du sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser les désavantages dans leur carrière professionnelle ".

La rédaction de ce texte ne permet guère de savoir quels types d'avantages spécifiques pourraient être concernés par ce texte qui vise, comme on l'a vu plus haut, à limiter les conséquences de certains arrêts de la Cour de justice qui ont paru limiter les mesures dérogatoires au principe d'égalité pouvant être prises en faveur des femmes. Il semble nécessaire que ces " avantages spécifiques " soient davantage explicités afin d'éviter la multiplication de contentieux après l'adoption du nouveau Traité.

En tout état de cause, ces " avantages spécifiques " ne paraissent pas viser les actions positives mais plutôt certaines mesures protectrices. Or, il serait souhaitable que les actions positives soient autorisées par le Traité, compte tenu de l'incertitude qui entoure la jurisprudence de la Cour de justice en la matière. Une telle autorisation de ces mesures serait conforme au principe de subsidiarité et permettrait à chaque Etat membre de maintenir ou de mettre en oeuvre de telles mesures lorsqu'il l'estimerait souhaitable.

Certains Etats connaissent déjà ce type d'actions. C'est le cas des Etats du nord de l'Europe, mais également de l'Allemagne où s'est déroulée l'affaire Kalanke. En novembre 1994 la Loi fondamentale allemande a été modifiée ; elle prévoit désormais dans son article 3 que " l'Etat promeut la réalisation effective de l'égalité en droits des femmes et des hommes et agit en vue de l'élimination des désavantages existants ". En septembre 1994, le Parlement allemand a adopté une loi qui oblige chaque administration à adopter un plan de trois ans, renouvelable, avec une obligation de résultat, visant à combattre la sous-représentation des femmes dans l'ensemble des services et y compris aux postes de direction.

De nombreux Länder ont mis en place des mesures d'action positive dans les services publics. Compte tenu des choix effectués par l'Allemagne et d'autres Etats dans ce domaine, il paraît souhaitable que le droit communautaire n'intervienne pas comme un frein à une politique que ces Etats ont parfois choisi d'inscrire dans leur Constitution.

Dans d'autres Etats, les actions positives ne donnent pas lieu au même débat, et ont parfois été interdites par les Cours constitutionnelles. En France, le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution une loi comportant, pour l'établissement de listes soumises aux électeurs, une distinction entre candidats en raison de leur sexe. En Italie, la Cour constitutionnelle a condamné en 1995 une disposition similaire. Il faut naturellement être très prudent, dans la mesure où ces décisions concernaient le problème spécifique du suffrage. En France, quelques mesures d'action positive ont pu être prises dans le cadre de plans d'égalité professionnelle, mais ces exemples demeurent peu nombreux et de portée limitée.

Quoi qu'il en soit, le débat sur les actions positives et la manière de réaliser l'égalité entre hommes et femmes se déroule de façon très différente dans chacun des Etats membres. Il semble donc souhaitable que le Traité, sans imposer quoi que ce soit dans cette matière, autorise les mesures d'action positive que certains Etats ont choisi de mettre en oeuvre. Naturellement, il conviendra de veiller à ce que cette possibilité ne puisse pas être utilisée pour remettre indirectement en cause le principe de non-discrimination entre ressortissants communautaires ou fausser les règles de concurrence à l'intérieur de la Communauté.

Le projet de texte présenté par la présidence irlandaise constitue, dans le domaine de l'égalité entre hommes et femmes, une bonne base de négociation. Certaines propositions peuvent cependant être améliorées (voir tableau comparatif en annexe du présent rapport).

· L'inscription du principe d'égalité entre hommes et femmes dans les articles généraux du Traité instituant la Communauté européenne doit être encouragée ; elle pourrait permettre une meilleure prise en compte de cet objectif dans les politiques et actions de la Communauté.

· La proposition de modification de l'article 119 du Traité appelle plusieurs remarques :


- le remplacement de la formule " rémunérations...pour un même travail " par la formule " rémunérations...pour un travail de même valeur " est susceptible de favoriser la lutte contre les discriminations et doit donc être soutenu ;

- il serait préférable de créer un nouvel article 119 bis, dans la mesure où les nouveaux alinéas proposés dans le projet de Traité ne concernent pas uniquement le problème de l'égalité des rémunérations qui est l'objet de l'article 119 ;

- la rédaction d'un alinéa permettant au Conseil de l'Union européenne d'adopter des mesures en faveur de l'égalité entre hommes et femmes à la majorité qualifiée est une évolution positive, dans la mesure où elle facilitera la prise de décision dans cette matière ; un tel alinéa ne devrait cependant pas permettre à la Communauté d'imposer aux Etats membres une politique d'action positive en faveur des femmes compte tenu des traditions différentes des Etats dans ce domaine ; cet alinéa devrait donc être complété par une référence au principe de subsidiarité ;

- l'insertion dans le Traité lui-même de l'alinéa de l'accord sur la politique sociale autorisant les Etats membres à accorder ou maintenir des " avantages spécifiques " en faveur des femmes est souhaitable ; cependant, les " avantages spécifiques " en cause devraient être précisés (en 1996, le Sénat avait souhaité que puissent être maintenus ou adoptés par les Etats qui le souhaitent des avantages spécifiques en faveur des femmes en matière de pensions de retraite, de congés et de conditions de travail) ;

- enfin, le texte devrait être complété afin d'autoriser explicitement les mesures d'action positive qui ne semblent pas être visées par la formulation actuelle. Pour ce faire, la Conférence intergouvernementale pourrait inscrire dans le Traité une disposition selon laquelle les Etats seraient autorisés à conduire " une politique d'action positive destinée à éliminer les inégalités de fait dont les femmes sont l'objet dans la vie professionnelle ainsi qu'à promouvoir la mixité dans l'emploi ". Cette formulation résulte de la recommandation du Conseil du 13 décembre 1984 relative à la promotion des actions positives en faveur des femmes.

L'insertion dans le Traité sur l'Union européenne de l'une ou l'autre de ces dispositions permettrait de résoudre les problèmes posés par l'arrêt Kalanke de manière beaucoup plus sûre que la proposition complexe formulée par la Commission européenne. Cette solution irait dans le sens d'une bonne application du principe de subsidiarité. La Communauté européenne dispose d'une compétence afin de mettre en oeuvre le principe d'égalité entre hommes et femmes et d'empêcher le maintien de discriminations directes ou indirectes. Les Etats membres pourraient, pour leur part, s'ils le souhaitent, mettre en oeuvre une politique d'action positive imposant des mesures dérogatoires au principe d'égalité de traitement, afin de parvenir à la réalisation de l'égalité effective. Il conviendra cependant de veiller à ce que cette possibilité ne puisse pas être utilisée pour remettre indirectement en cause le principe de non-discrimination entre ressortissants communautaires ou fausser les règles de concurrence à l'intérieur de la Communauté.

EXAMEN DU RAPPORT

La Délégation a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du mercredi 26 mars 1997.

Mme Danièle Pourtaud a tout d'abord rappelé que deux conceptions de l'égalité coexistaient en Europe, l'une ayant pour objet la réalisation de l'égalité en droit, l'autre tendant à privilégier l'égalité en fait. La France, jusqu'à présent, a toujours défendu une égalité de droits entre hommes et femmes. D'autres Etats, en particulier ceux de l'Europe du Nord, ont en revanche considéré que l'égalité en droit était insuffisante pour assurer une égalité de fait. C'est pourquoi ils ont mis en place des politiques d'action positive qui ont pu prendre la forme de quotas, par exemple à l'embauche. La Communauté, quant à elle, a eu plutôt tendance à vouloir réaliser l'égalité de fait, comme en témoignent les directives adoptées en cette matière et la jurisprudence de la Cour de Justice. Néanmoins, un arrêt récent a semblé limiter la portée des décisions antérieures.

Le rapporteur a ensuite souligné que le principe d'égalité était inscrit dans l'article 119 du traité instituant la Communauté européenne, mais que cet article ne traitait que de l'égalité des rémunérations. Le Conseil des ministres a adopté plusieurs directives afin d'étendre le champ d'application du principe d'égalité entre hommes et femmes. Ces directives concernent par exemple l'accès à l'emploi, à la formation professionnelle et les conditions de travail, les régimes professionnels de sécurité sociale, la sécurité et la santé des travailleuses enceintes... Par ailleurs, la Communauté européenne a mis en oeuvre, à partir de 1982, des programmes d'action communautaire pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Le quatrième de ces programmes a été adopté en décembre 1995.

Mme Danièle Pourtaud a ensuite observé que la Cour de justice des Communautés avait, dans bien des domaines, fait progresser l'égalité entre hommes et femmes, par exemple par sa jurisprudence en matière de lutte contre les discriminations. En revanche, certains arrêts de la Cour ont été plus contestés parce qu'ils ont donné l'impression d'aller à l'encontre du progrès social. C'est par exemple le cas de l'arrêt sur le travail de nuit des femmes dans l'industrie. La Cour a estimé que l'interdiction de travail de nuit pour les femmes ne visait pas à protéger les femmes de risques qui leur sont spécifiques et était donc contraire au principe d'égalité. Cet arrêt a pu choquer en France, dans la mesure où cette mesure de protection est admise depuis longtemps et considérée comme un acquis social.

Le rapporteur a indiqué que la Cour avait rendu d'autres arrêts contestés dans le domaine de l'égalité des rémunérations. Elle a par exemple estimé en 1990 que les pensions de retraite versées par les fonds professionnels ou par les régimes de retraite complémentaire constituaient des éléments de rémunération et que toute disposition relative à ces pensions qui ne respectait pas le principe d'égalité était contraire au Traité. Or, bien souvent, ces pensions étaient versées plus tôt aux femmes qu'aux hommes et ces arrêts ont donné le sentiment d'aller à l'encontre de l'intérêt des femmes. A la suite de ces affaires, les Etats membres ont inscrit dans l'accord sur la politique sociale une disposition complétant l'article 119 sur l'égalité des rémunérations afin que les Etats puissent maintenir ou adopter " des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par les femmes ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle ". De son côté, le Sénat a adopté, en 1996, une résolution demandant que le traité soit modifié lors de la Conférence intergouvernementale pour que les Etats membres puissent maintenir dans leur droit social des avantages spécifiques accordés aux femmes en matière de pensions de retraite, de conditions de travail et de congés.

Mme Danièle Pourtaud a ensuite présenté la proposition d'acte communautaire E 713 relative à la charge de la preuve dans les affaires de discrimination fondée sur le sexe. Elle a observé que le but de ce texte était de faire en sorte que la preuve de la discrimination ne soit pas entièrement à la charge de la personne qui s'estime discriminée, dans la mesure où cette preuve est très difficile à apporter. La Cour de Justice a rendu de nombreux arrêts dans cette matière et a estimé qu'il pouvait parfois être nécessaire de faire peser la charge de la preuve sur l'employeur, faute de quoi le salarié serait privé de tout moyen efficace de faire respecter le principe d'égalité. La Commission européenne propose donc un texte, qui tendrait à mettre à la charge de l'employeur la preuve qu'il n'y a pas eu violation du principe d'égalité, dès lors que la personne qui s'estime lésée a apporté des éléments de fait qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination.

Le rapporteur a précisé que le Conseil des ministres avait déjà examiné ce texte et devrait l'adopter rapidement lorsque le Parlement européen se sera prononcé. Elle a précisé qu'il existait un large accord des Etats membres sur cette proposition de directive et que ce texte était respectueux de la subsidiarité, dans la mesure où il prévoit un aménagement de la charge de la preuve, tout en autorisant les Etats qui le souhaiteraient à aller plus loin et à opérer un renversement complet de la charge de la preuve. Le rapporteur a alors indiqué qu'en France, le code du travail était déjà plutôt favorable aux salariés, mais que certains articles devraient néanmoins probablement être modifiés pour être rendus pleinement compatibles avec la directive.

Mme Danièle Pourtaud a ensuite présenté la proposition d'acte communautaire E 639 visant à modifier la directive communautaire de 1976 sur l'égalité en matière d'accès à l'emploi. Elle a souligné que cette proposition concernait le délicat problème des actions positives en faveur des femmes et a rappelé qu'il existait un article de la directive faisant référence à d'éventuelles actions positives. Mais, en 1995, la Cour de Justice a condamné une loi d'un Land allemand, en estimant qu'elle était contraire au principe d'égalité. Cette loi prévoyait que, dans les services publics, lors du recrutement et lors de l'affectation à un emploi dans un grade plus élevé, les femmes ayant une qualification égale à celle de leurs concurrents masculins devaient être prises en considération en priorité lorsqu'elles étaient sous-représentées. La Cour a estimé que cette loi dépassait les limites de l'article de la directive.

Le rapporteur a précisé que la Commission européenne avait alors publié une communication, dans laquelle elle estimait que la Cour n'avait condamné la loi du Land de Brême que parce qu'elle prévoyait un régime automatique de quota sans qu'on puisse prendre en compte les circonstances particulières. La Commission a ensuite décidé de proposer une modification de la directive de 1976, afin d'autoriser plus explicitement les actions positives lorsqu'elles permettent de prendre en compte les circonstances particulières de chaque cas.

Mme Danièle Pourtaud a estimé que cette proposition était juridiquement singulière. La Commission estime, en effet, que la Cour n'a pas condamné certaines formes d'action positive, mais elle propose néanmoins de les inscrire explicitement dans la directive. Un tel comportement risque de conduire à recopier les arrêts de la Cour dans les textes législatifs, ce qui ne paraît pas être une bonne méthode. Par ailleurs, la Commission a une interprétation de l'arrêt de la Cour de Justice qui n'est pas unanimement partagée. Certains estiment que la Cour a rendu un arrêt de principe hostile à toutes les formes d'action positive. Dans ces conditions, la proposition de directive de la Commission ne résoudra pas le problème.

Le rapporteur, soulignant que le Conseil de l'Union européenne était hostile à cette proposition d'acte communautaire et que le Parlement européen avait décidé d'attendre la fin de la Conférence intergouvernementale pour se prononcer, a estimé que la proposition de directive était prématurée et que le renforcement du principe d'égalité entre hommes et femmes passait peut-être davantage par une modification du Traité sur l'Union européenne.

Mme Danièle Pourtaud a alors rappelé que la présidence irlandaise de l'Union européenne avait formulé, dans le projet de traité qu'elle a présenté en décembre dernier, plusieurs propositions afin que le principe d'égalité soit mieux pris en compte. Elle a proposé en premier lieu d'inscrire l'égalité entre hommes et femmes parmi les objectifs et actions prévus par le Traité. Ce principe serait donc inscrit dans les articles 2 et 3 du nouveau Traité. Elle a proposé également de modifier l'article 119 sur l'égalité en matière de rémunérations. Actuellement, cet article prévoit une " égalité des rémunérations... pour un même travail ". La présidence irlandaise a suggéré que cette formule soit remplacée par " égalité des rémunérations... pour un travail de même valeur ".

La présidence irlandaise a en outre proposé d'ajouter deux nouveaux alinéas à l'article 119. L'un permettrait au Conseil de prendre, à la majorité qualifiée, des mesures visant à appliquer le principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes. L'autre autoriserait les Etats à prendre certaines mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur des femmes. Il s'agit de la reprise de la disposition inscrite dans l'accord social que j'ai évoqué tout à l'heure. Enfin la présidence irlandaise a proposé de faire référence dans le Traité à la notion de " sexe sous-représenté " plutôt que d'évoquer exclusivement les femmes.

Mme Danièle Pourtaud a estimé que les propositions de la présidence irlandaise constituaient une bonne base de négociation. Elle a indiqué que l'inscription du principe de l'égalité parmi les objectifs de la Communauté serait une bonne chose, dans la mesure où elle pourrait permettre que ce principe soit mieux pris en compte dans les différentes politiques de la Communauté. A propos de l'article 119, le rapporteur a fait valoir qu'il serait sans doute préférable de créer un nouvel article, dans la mesure où les nouveaux alinéas proposés ne concerneront pas uniquement l'égalité de rémunérations. Elle a estimé que le premier alinéa proposé faciliterait l'action communautaire en matière d'égalité, mais que cet alinéa ne devrait pas être utilisé pour imposer aux Etats membres d'adopter des mesures d'action positive, dans la mesure où il existe des traditions et des législations très différentes entre les différents Etats sur cette question. A propos du deuxième alinéa, qui tend à autoriser les Etats membres à prendre certaines mesures spécifiques en faveur des femmes, Mme Danièle Pourtaud, rapporteur, a indiqué qu'il était difficile de savoir quels types d'avantages spécifiques pourraient être concernés par ce texte et a rappelé que le Sénat, dans une résolution, avait souhaité qu'on introduise dans le Traité une disposition autorisant des mesures spécifiques pour les femmes en matière de pensions de retraite, de congés et de conditions de travail. Le rapporteur a alors souligné que les avantages spécifiques évoqués dans le texte de la présidence irlandaise ne semblaient pas couvrir les actions positives. Elle a estimé nécessaire d'autoriser ce type d'actions dans la mesure où certains Etats membres, comme l'Allemagne ou les pays nordiques, se sont dotés de législations dans ce domaine, et ont parfois inscrit ces actions positives dans leurs constitutions. Elle a souligné qu'il ne s'agissait naturellement pas d'imposer aux Etats de mettre en oeuvre des actions positives, mais de les autoriser à le faire s'ils le souhaitent, conformément au principe de subsidiarité.

Mme Danièle Pourtaud a alors proposé deux rédactions d'un nouvel alinéa qui autoriserait les actions positives en faveur des femmes, en précisant que la première résultait d'une recommandation du Conseil, la seconde d'un arrêt de la Cour de justice de 1988 :

- Le présent Traité ne peut empêcher un Etat membre de conduire " une politique d'action positive destinée à éliminer les inégalités de fait dont les femmes sont l'objet dans la vie professionnelle ainsi qu'à promouvoir la mixité dans l'emploi " ;

- Le présent Traité ne peut empêcher un Etat membre d'adopter ou de maintenir " des mesures qui, tout en étant discriminatoires selon leurs apparences, visent effectivement à éliminer ou à réduire les inégalités de fait pouvant exister dans la réalité de la vie sociale ".

Au cours du débat qui a suivi, M. Alain Richard a tout d'abord évoqué la condamnation par la Cour de Justice de la loi du Land de Brême sur les actions positives en faveur des femmes. Il a estimé qu'en considérant qu'une " réglementation nationale qui garantit la priorité absolue et inconditionnelle aux femmes lors d'une nomination ou promotion " allait au-delà de l'exception au principe d'égalité prévue par la directive de 1976, la Cour de justice était parfaitement dans son rôle, qui consiste à interpréter le droit communautaire. Il en a déduit qu'il n'existait aucune nécessité de modifier la directive de 1976 à la suite de cet arrêt. Il a observé que le Conseil constitutionnel avait rendu des décisions semblables à propos du principe d'égalité, en faisant valoir qu'il était possible de déroger à ce principe à condition qu'un objectif d'intérêt général soit en cause et que l'atteinte à l'égalité ne soit pas disproportionnée par rapport à l'objectif à atteindre.

M. Alain Richard s'est ensuite déclaré largement en accord avec les propositions de modification du Traité formulées par le rapporteur. Il s'est toutefois demandé si le renvoi au principe de subsidiarité en matière d'actions positives constituait une solution pleinement satisfaisante. Il a exprimé la crainte que certains Etats utilisent cette liberté de conduire des politiques d'action positive pour prendre des dispositions qui conduiraient indirectement à remettre en cause le principe de non-discrimination entre les ressortissants communautaires, dans la mesure où ces dispositions s'appliqueraient à toutes les personnes physiques et morales installées sur le territoire de ces Etats. Il a exprimé le souhait que l'éventuelle inscription dans le Traité d'une disposition autorisant les Etats à conduire des politiques d'action positive n'ait pas de répercussions sur les autres Etats n'ayant pas fait ce choix.

Mme Danièle Pourtaud a alors proposé de mentionner cette réserve dans la conclusion de son rapport d'information et a souligné qu'elle avait cherché à dégager des propositions qui éviteraient que la Communauté puisse imposer aux Etats d'adopter des mesures d'action positive.

M. Daniel Millaud a évoqué l'hypothèse de la candidature de pays musulmans à l'entrée dans l'Union européenne. Il s'est interrogé sur les conséquences à cet égard de l'inscription de l'égalité entre hommes et femmes parmi les objectifs de la Communauté.

Mme Danièle Pourtaud a alors observé que l'Union imposait aux nouveaux adhérents le respect d'un certain nombre de principes démocratiques. Elle a fait valoir que, historiquement, les progrès dans la démocratie s'accompagnaient de progrès dans l'égalité entre hommes et femmes et en a déduit que le principe d'égalité ne constituerait vraisemblablement pas un problème en soi si des pays musulmans venaient à déposer leur candidature pour adhérer à l'Union européenne.

M. Alain Richard a évoqué les deux propositions de rédaction formulées par le rapporteur en vue d'autoriser les Etats à conduire une politique d'action positive. Il s'est déclaré très favorable à la proposition issue de la recommandation du Conseil de 1984 en observant qu'elle laissait une marge d'interprétation au juge. Il a souligné que la seconde rédaction était très contraignante pour le juge et permettrait en fait aux Etats d'utiliser, éventuellement à d'autres fins, cette disposition. Il a estimé qu'il était nécessaire que le juge puisse conserver un certain pouvoir, afin d'éviter qu'un Etat puisse utiliser cet article pour adopter des mesures visant en fait à pénaliser les ressortissants des autres pays de l'Union européenne.

Mme Danièle Pourtaud s'est déclaré en accord avec M. Alain Richard et a proposé de retenir la formulation issue de la recommandation du Conseil de 1984.

La délégation a alors adopté le rapport d'information ainsi modifié.



(1) Directive 75/117/CEE, JOCE n° L 45 du 19 février 1975, p. 17.

(2) COM (96) 336 final, 17 juillet 1996.

(3) Directive 76/207/CEE, JO n° L 39, 14 février 1976.

(4) Directive 79/7/CEE, JO n° L 6, 10 janvier 1979, p. 24.

(5) Directive 86/378/CEE, JO n° L 225, 12 août 1986, p. 40.

(6) Directive 86/613/CEE, JO n° L 359, 19 décembre 1986, p. 56.

(7) Directive 92/85/CEE, JO n° L 348, 28 novembre 1992, p. 1.

(8) Intégrer l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans l'ensemble des politiques et actions communautaires, COM (96) 67 final, 21 février 1996.

(9) Arrêt Defrenne II, 8 avril 1976.

(10) Arrêt du 25 octobre 1988, Aff. 312/88.

(11) Arrêt Stoeckel, 25 juillet 1991.

(12) Arrêt Douglas Harvey Barber, 17 mai 1990, Aff. C 262/88.

(13) Résolution du 29 mai 1996, texte adopté n° 133 ; Rapport de M. Charles METZINGER au nom de la commission des affaires sociales, 17 avril 1996, n° 313.

(14) Conclusion de l'avocat général Mancini dans l'affaire Teuling.

(15) Arrêt Enderby, 27 octobre 1993, Aff. C 127/92.

(16) Arrêt Danfoss, 17 octobre 1989, Aff. 109/88.

(17) arrêt Enderby, op. cit

(18) Europolitique, 18 décembre 1996.

(19) Arrêt du 16 janvier 1995, sarl USAI Champignons c/Mme Fabienne Douane.

(20) 13 décembre 1984, J.O.C.E. n° L 331/34 du 19 décembre 1984.

(21) 17 octobre 1995, Aff. C 450/93

(22) 27 mars 1996, COM (96) 88 final.

(23) Proposition de directive du 27 mars 1996, COM (96) 93 final.

(24) Rapport d'information de M. Robert PANDRAUD, 26 juin 1996, n° 2931

(25) Rapport de Mme Helena TORRES MARQUES au nom de la commission des droits de la femme sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 86/378/CEE relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale, A4-0256/96, 25 juillet 1996.

(26) Marie Thérèse LANQUETIN, De l'égalité des chances - A propos de l'arrêt Kalanke, Droit social, mai 1996.

(27) Aff. C 409/95 Helmut MARSCHALL v Land de Rhénanie du Nord - Westphalie.

(28) Avis de la commission des droits de la femme, doc A4 0102/95/Partie II, 4 mai 1995.

(29) " L'avenir des femmes en Europe ", rapport d'information de Mme Nicole CATALA, 29 novembre 1995, n° 2408.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page