Audition de MM. Jean Roland, directeur de " Réserves naturelles de France " et Gilles Valentin-Smith,
Coordinateur du programme LIFE " Natura 2000 "
(Mardi 25 mars 1997)

M. Jean Roland a précisé, en guise de propos liminaire, que " Réserves naturelles de France " rassemblait les personnes travaillant pour les réserves naturelles françaises et avait une certaine expérience en matière de planification de la gestion patrimoniale des milieux naturels, et était chargé, à ce titre, par le ministre de l'environnement et la Commission européenne de la mise en place d'un programme expérimental sur le contenu des documents d'objectifs Natura 2000.

Répondant à une question de M. Jean Roland , M. Jean-François Le Grand, président, a rappelé que les directives européennes, telles celles concernant " Natura 2000 ", étaient élaborées au niveau communautaire, sans contrôle démocratique au niveau national, et s'imposaient au droit national. Il a considéré que les difficultés soulevées par la directive " Natura 2000 " étaient lourdes, fondées, et raisonnées. Il a, en particulier, insisté sur la nécessité de définir la notion de " perturbation ". Il a rappelé ensuite la " lame de fond d'oppositions " qui avait été soulevée par la diffusion de la directive, y compris lors de la relance de la procédure.

M. Jean Roland , après avoir qualifié la mise en oeuvre de la directive en France de " raté", a cependant insisté sur la désinformation dont elle avait fait l'objet. Il a également signalé, à la décharge du ministère de l'environnement, que celui-ci n'avait pas disposé des moyens financiers nécessaires à une véritable concertation. Il a considéré qu'il fallait revenir au texte et ne pas faire dire à la Directive n'importe quoi.

M. Michel Doublet , réagissant à ces propos, a considéré que la concertation aurait coûté moins cher et aurait évité bien des problèmes si elle avait été préalable. Il a précisé que, dans son département, la " catégorie I " ne posait pas de problème, que la " catégorie II " faisait l'objet de " réserves importantes ", même de la part des associations écologistes, et que la " catégorie III " provoquerait vraisemblablement un blocage.

Il a, par ailleurs, regretté qu'il soit peu tenu compte des propriétaires des terrains retenus pour le zonage et de leur droit de propriété.

M. Jean-François Le Grand, président, a signalé certaines aberrations de l'inventaire, comme l'oubli de la baie d'Auderville, et l'inscription d'autres zones sans intérêt, qui décridibilisent la démarche des comités régionaux scientifiques de protection de la nature (CSRPN). Il a également jugé que les ZNIEF, dont, sans qu'ils soient opposables au tiers, il convient de tenir compte dans les plans d'occupation des sols, ont constitué, pour les maires, un précédent tout à fait négatif.

M. Gérard César a jugé que la directive ne pourrait être bonne que si un consensus était recherché et atteint, ce qui était le cas en Gironde où la proposition d'une liste de sites représentant 2,5 % du territoire n'a pas été soulevée d'opposition.

M. Gilles Valentin-Smith est convenu que certaines enveloppes de références des sites soumis à la consultation en juillet 1996 présentaient des superifices trop importantes et pas toujours justifiées scientifiquement.

Insistant sur la nécessité des documents d'objectifs, M. Jean-François Le Grand, président, a jugé qu'ils devraient impérativement préciser ce qui sera inscrit à l'inventaire, ce qui sera classé, et ce à quoi les propriétaires des terrains seraient engagés.

M. Michel Doublet a ajouté que ces documents devraient également préciser dans quelle mesure des aménagements resteraient possibles dans les zones retenues, ou, sinon, quelles compensations financières seraient accordées à leurs propriétaires.

Il a rappelé que la Charente-Maritime n'avait, historiquement, jamais été une zone naturelle, mais qu'elle était le résultat des aménagements humains, notamment d'opérations de drainage.

M. Gilles Valentin-Smith a considéré que la question du drainage constituerait un enjeu important, qui donnerait lieu à des conflits que la loi nationale n'est pas en mesure de gérer.

M. Jean-François Le Grand , président , a, pour sa part, jugé que la protection de la nature et le développement durable étaient conciliables avec le drainage à grande échelle mais que le drainage d'une prairie humide pouvait remettre en cause sa valeur patrimoniale.

Après avoir mis en garde les sénateurs sur le dangers que constituerait une réduction maximale des sites, M. Jean Roland a souligné l'importance de la définition des critères du zonage et celle des compensations financières. Il a ajouté que des aides financières devraient être prévues afin d'encourager le maintien de certaines pratiques agricoles et économiques.

M. Michel Doublet , après avoir précisé qu'à l'heure actuelle, de telles aides étaient supprimées, a signalé que dans le marais poitevin, les aménagements se faisaient, en conséquence, de façon anarchique.

MM. Gérard César et Jean-François Le Grand, président, ont ensuite insisté sur la diversité de la qualité de la concertation selon les départements.

M. Gilles Valentin-Smith a précisé que les documents d'objectifs ne résoudraient pas la question du financement. Il a, par ailleurs, regretté que la France n'ait pas joué la carte de l'agri-environnement. Il a indiqué que la Communauté européenne n'aurait la responsabilité financière que de " l'habitat prioritaire " ; quant aux autres zones, il a prédit qu'elles ne seraient jamais contrôlées par aucun inspecteur.

S'agissant de l'expérimentation dont il avait la responsabilité, il a rappelé que les sites étaient ouverts vers l'extérieur et pouvaient présenter leur expérience aux acteurs économiques. Il n'a pas caché que certains d'entre eux " fonctionnaient mal ".

M. Gilles Valentin-Smith a jugé que les documents d'objectifs devraient intégrer une vision dynamique de la protection des sites inscrits dans le réseau Natura 2000 et qu'il fallait se donner une certaine souplesse, si les surfaces étaient importantes afin de ne figer ni la nature, ni les activités humaines.

Par ailleurs, il a précisé qu'il n'y avait aucune raison pour que la chasse soit interdite dans les zones inscrites. C'est pourquoi, les chasseurs, au niveau national, n'étaient pas opposés à la directive ; il a cependant relevé qu'au niveau local, certains d'entre eux avaient manifesté une certaine opposition, su un des 37 sites.

M. Jean-François Le Grand, président, a, par ailleurs, émis l'idée d'une harmonisation des CSRPN, dont la composition pourrait être élargie, tout en s'appuyant sur un comité scientifique.

M. Gilles Valentin-Smith a ensuite présenté le programme de coordination du programme LIFE " Natura 2000 ".

Il a, tout d'abord, précisé que l'expression " document d'objectifs " était l'appellation française qui a été choisie pour remplacer la terminologie " plan de gestion " citée dans l'article 6-1 de la directive " Habitats " et traduit de l'anglais " management plan ".

Un tel changement de terminologie, a-t-il souligné, n'est pas neutre : le document d'objectifs n'a pas vocation à se substituer aux plans de gestion déjà existants. C'est une sorte de schéma directeur, d'aide à la décision, pour les administrations et acteurs du site.

M. Gilles Valentin-Smith a précisé que ce document devait permettre, sur un site " Natura 2000 ", à partir d'une étude de l'existant, de proposer à l'Etat les meilleures solutions quant au maintien des habitats d'intérêt communautaire " dans un état de conservation favorable ". Il doit donc définir des préconisations de gestion des habitats puis des actions à mettre en oeuvre, sous forme éventuellement de " contrats d'objectifs ".

Il a considéré que le document d'objectifs était une partie fondamentale dans la mise en oeuvre de la directive " Habitats ", car ils donnaient les moyens d'appréhender avec une certaine ambition de nouveaux rapports entre protection de la nature et activités humaines, et d'officialiser la démarche amorcée localement, sans méthodologie nationale, sur certains espaces protégés.

En outre, il a précisé que le ministère de l'Environnement français cherchait à acquérir une certaine avance en établissant des documents d'objectifs sur tous ses sites " Natura 2000 ", pour obtenir de Bruxelles que ces documents fassent foi techniquement et juridiquement en tant qu'engagement de l'Etat à maintenir les sites en bon état de conservation.

M. Gilles Valentin-Smith a, par ailleurs, jugé qu'il conviendrait probablement de prévoir par décret qui sera habilité à élaborer un document d'objectifs, puis à coordonner sa mise en oeuvre.

Il a également insisté sur la nécessité de lever une contradiction à propos des acteurs socio-économiques qui souhaitent à la fois que le document d'objectifs ait peu de valeur administrative ou juridique et qu'il donne toutes les réponses sur les contraintes, les interdictions et les indemnisations.

Il s'est enfin interrogé sur la nécessité de légiférer pour conférer une certaine opposabilité aux documents d'objectifs, sur le coût d'élaboration des documents d'objectifs nécessaires d'ici 2004, et sur l'inconnue en ce qui concerne le financement par la Communauté européenne du réseau " Natura 2000 ".

M. Jean Roland a enfin apporté des précisions sur le financement des sites-pilotes : les 35 sites LIFE " Natura 2000 " devraient recevoir chacun, entre 1996 et mi-1998, 400.000 francs, provenant, pour la moitié, de la Communauté européenne, pour 25 %, du ministère de l'environnement, et pour 25 %, d'organismes locaux (collectivités territoriales, agences de l'eau, autres établissements publics...). En outre, 3 millions de francs, provenant pour moitié de l'Etat et pour moitié de la Communauté européenne, seront consacrés à la coordination.

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