LES TRAVAUX DE LA DELEGATION

La délégation s'est réunie le 22 octobre 1997, sous la présidence de M. Jacques Genton, pour entendre une communication de M. Paul Masson sur les conditions d'intégration de l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne.

M. Paul Masson a présenté dans un premier temps le contenu du " protocole intégrant l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne " qui sera annexé au traité sur l'Union européenne et au traité instituant la Communauté. Puis il a analysé le fonctionnement de l'acquis de Schengen après la mise en vigueur de ce protocole ainsi que les dispositions du traité d'Amsterdam ou du protocole permettant la " communautarisation " de certaines matières ou de certaines dispositions prises dans le cadre de Schengen. Enfin, il a examiné les conséquences d'une mise en oeuvre anticipée du protocole d'intégration de l'acquis de Schengen dans l'Union européenne.

M. Paul Masson a notamment souligné que la détermination de nouvelles bases juridiques par le Conseil pour chacune des dispositions ou décisions qui constituent l'acquis de Schengen pouvait, par exemple, avoir des conséquences pour l'application de l'article 71 paragraphe 2 de la convention d'application des accords de Schengen -qui porte sur la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants- ou encore de l'article 39 qui est relatif aux accords bilatéraux de coopération policière transfrontalière. Il a craint que le changement de base juridique qu'entraînera le transfert dans l'ordre communautaire du contenu du traité ne débouche sur la perte d'une partie de sa substance. Il a ajouté que cette crainte lui avait été inspirée par des commentaires qu'il avait recueillis de la part des Néerlandais eux-mêmes au cours de la mission qu'il avait effectuée en 1995 sur les conditions d'application de la convention de Schengen ; il a souhaité attirer l'attention du Gouvernement français sur ce point.

M. Paul Masson a ajouté qu'il était renforcé dans cette crainte par la constatation que, de manière inusitée, la diplomatie s'active autour de cette substitution des bases juridiques de l'acquis de Schengen, alors même qu'une déclaration annexée au traité d'Amsterdam souligne que les travaux préparatoires seront menés " en temps utile " pour permettre au Conseil des ministres d'adopter toutes les mesures relatives à la définition de ces bases juridiques au moment de l'entrée en vigueur du nouveau traité. Comment expliquer que, dès la signature du traité, la présidence luxembourgeoise ait sans délai procédé aux travaux de réorganisation du troisième pilier du traité de Maastricht et d'intégration de l'acquis de Schengen dans le traité sur l'Union européenne, notamment par la création de plusieurs groupes de travail qui devraient rendre leurs conclusions pour le prochain Conseil Affaires générales du 8 décembre 1997 ?

M. Paul Masson a insisté sur le fait que, derrière cette procédure discrète et très technique, se profilent des enjeux internationaux importants en matière de sécurité intérieure et de transfert de compétences au profit des institutions communautaires.

A l'issue de cette communication, un débat général s'est alors engagé auquel ont pris part MM. Jacques Genton, président, Jacques Oudin, Denis Badré, Nicolas About, Michel Barnier et Christian de la Malène.

M. Jacques Oudin a interrogé le rapporteur sur l'attitude des administrations nationales au regard de l'application des accords de Schengen et sur la faisabilité d'un passeport européen infalsifiable.

M. Paul Masson a indiqué que, en général, les administrations nationales policières et judiciaires étaient très frileuses au regard d'interventions venant de l'extérieur, en France comme ailleurs. Une première source d'amélioration est venue de la découverte, par ces administrations, de la possibilité, qui est contenue dans la convention de Schengen, de traiter bilatéralement les questions de la coopération policière transfrontalière, par exemple celles portant sur la surveillance d'une zone de territoire de part et d'autre de la frontière ; des conventions ou des arrangements ont été ainsi passés par la France avec l'Espagne, l'Allemagne et l'Italie. Par ailleurs, le système informatique Schengen (SIS) fonctionne mieux malgré des insuffisances qui subsistent notamment dans le chargement des données ; il contribue à une amélioration des échanges entre polices en Europe. Sur la réalisation d'un passeport européen infalsifiable, le rapporteur a indiqué qu'il n'y avait pas, à ce jour, de décision, ni dans le cadre Schengen, ni dans le cadre de l'Union européenne.

M. Denis Badré a souhaité savoir si, au-delà de l'Islande et de la Norvège, il y avait d'autres Etats n'appartenant pas à l'Union européenne qui souhaitaient participer à la coopération renforcée Schengen, et si la participation d'Etats non-membres de l'Union européenne ne risquait pas d'affaiblir cette coopération par la création d'une " Europe à la carte ".

M. Paul Masson a répondu qu'il y avait de nombreuses demandes de participation à l'espace Schengen émanant de pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne, comme la Pologne ou la République tchèque. Il a souligné qu'il existait une tentation diplomatique de faire adhérer ces pays, dans un premier temps, dans le cadre de Schengen dans l'attente d'une pleine adhésion à l'Union européenne ; cela reviendrait, a-t-il estimé, à mettre en place une " Europe à la carte". La multiplication des adhésions serait en outre une source d'affaiblissement du système Schengen qui est un système compliqué et fragile. Les polices doivent avoir le temps de s'habituer à collaborer ensemble pour assimiler les novations importantes que comporte Schengen. M. Paul Masson s'est en conséquence élevé contre l'activisme diplomatique des groupes Schengen qui cherchent en permanence à élargir l'espace des accords, notamment en direction des pays d'Europe centrale et orientale.

M. Nicolas About ayant évoqué le cas particulier que représentent l'Islande et la Norvège, M. Paul Masson a constaté que cet arrangement était nécessaire en raison de l'appartenance de ces deux pays, comme la Suède, le Danemark ou la Finlande, à l'Union nordique des passeports.

M. Michel Barnier a rappelé les arguments qui, au cours des travaux de la dernière Conférence intergouvernementale, avaient été évoqués pour ou contre la communautarisation des accords de Schengen. Il a souligné que la communautarisation des accords était limitée, dans le traité d'Amsterdam, par la règle de l'unanimité. L'avantage de la communautarisation de Schengen sera d'éviter une forme d'" Europe à la carte " dans la mesure où les nouveaux candidats à l'Union européenne devront accepter un acquis de sécurité qui ne s'imposait pas jusqu'alors. La communautarisation de Schengen est donc un préalable pour les nouvelles adhésions.

M. Michel Barnier a également souhaité le transfert du suivi du dossier Schengen, qui est actuellement assuré par le ministère des Affaires étrangères, au ministère de l'Intérieur ; ce transfert inciterait le ministère français de l'Intérieur à se doter des moyens nécessaires. Il a enfin suggéré que la délégation engage une évaluation de l'efficacité des accords bilatéraux passés entre la France et ses partenaires pour la surveillance des frontières intérieures.

M. Paul Masson a rappelé que M. Michel Barnier s'était prononcé, comme ministre des Affaires européennes, en faveur du transfert au ministère de l'Intérieur de la gestion du dossier Schengen dès la fin de la négociation du nouveau traité, et ceci conformément aux propositions faites au Premier Ministre par M. Paul Masson en janvier 1996 ; or, le nouveau ministre des Affaires européennes a récemment indiqué que ce transfert n'interviendrait qu'au moment de la mise en vigueur du nouveau traité, ce qui repoussera d'autant le suivi de Schengen par le ministère français de l'Intérieur et son adaptation aux nouvelles conditions de la gestion de la sécurité commune en Europe.

M. Christian de La Malène a relevé qu'il avait fallu dix ans pour que le traité de Schengen devienne opérationnel. Cinq ans après la mise en vigueur du traité d'Amsterdam, un nouveau système institutionnel va se mettre en place dans lequel le verrou de l'unanimité ne représentera pas réellement une garantie de maintien du système actuel. La question qui se pose dès lors est de savoir si le nouveau système institutionnel, de nature communautaire, sera un bon système pour le fonctionnement des accords de Schengen. De son point de vue, les matières relatives à Schengen intéressent beaucoup les milieux diplomatiques et encore plus le Parlement européen qui souhaite intervenir dans ces matières très sensibles pour les opinions publiques. En outre, la Commission européenne n'a pas suffisamment de légitimité politique, ni d'expérience pratique, sur les matières qui concernent avant tout les Etats et ne relèvent en aucune manière de ses compétences. On peut donc émettre des réserves sur la bonne adéquation du nouveau système institutionnel aux accords de Schengen.

M. Paul Masson a estimé que, en dehors de la procédure, il y a un débat de fond qui devra un jour être apprécié à sa vraie valeur : d'une part, est-il conforme à la Constitution française de transférer ces matières au plan communautaire ? Sur ce point, le ministre des Affaires européennes a, devant la délégation, laissé planer un doute qui ne pourra être levé que par la consultation du Conseil Constitutionnel. D'autre part, on peut craindre que la Commission européenne ne reprenne pas à son compte les dispositions de Schengen qui portent sur la sauvegarde des intérêts des Etats, comme par exemple la clause de sauvegarde de l'article 2, paragraphe 2 de la convention, ou le traitement de la répression des trafics illicites de stupéfiants de l'article 71 paragraphe 2 qui permettrait de traiter dans le cadre européen la question de la culture et du commerce néerlandais du cannabis. Que deviendraient alors ces dispositions ?

M. Paul Masson a enfin émis des doutes sérieux sur la capacité des polices française ou britannique à pouvoir assimiler des directives européennes portant sur leurs domaines de compétence. A titre d'exemple, autant une réflexion sur l'immigration se comprend dans un cadre régional en direction des Balkans ou du Maghreb, autant on a du mal à imaginer une réflexion d'ensemble menée par la Commission européenne sur les questions d'immigration. L'exemple de la convention sur le franchissement des frontières extérieures, proposée par la Commission et bloquée depuis près de sept ans par l'affaire de Gibraltar entre l'Espagne et le Royaume-Uni, en est une confirmation. La communautarisation de ces matières risque en définitive de se traduire par l'impuissance ou par le droit empirique des Etats, faute d'une réglementation européenne susceptible de s'appliquer à tous les pays, notamment après le prochain élargissement.

Sur proposition de M. Jacques Genton, président, la délégation a alors décidé de publier la communication de M. Paul Masson comme rapport d'information.

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