ANNEXE I

DÉBAT EN COMMISSION A L'OCCASION DE LA

PRÉSENTATION DE L'ÉTUDE


SÉANCE DU JEUDI 6 NOVEMBRE 1997

M. Michel Didier a tout d'abord rappelé en introduction que la fixation irrévocable des taux de change entre les pays de l'Union européenne dans six mois accentuerait la pression concurrentielle pesant sur les entreprises françaises. Il a souligné que face à l'enjeu de l'emploi, la persistance d'écarts importants dans les modes de formation des coûts, en raison des différences entre les systèmes de prélèvements obligatoires, risquait d'être un handicap pour la France.

Puis, il a indiqué que l'étude que son institut avait menée était fondée sur deux approches parallèles : dans une approche quantitative, l'institut a tenté, à partir de l'analyse des feuilles de paie des salariés d'entreprises situées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, de déterminer le ratio entre le coût brut pour l'entreprise d'un salarié et le salaire net dont dispose le salarié après paiement de toutes les cotisations sociales et de son impôt sur le revenu. Ce ratio, exprimé en pourcentage du salaire net final constitue ce que les économistes appellent le " coin socio-fiscal ". L'approche qualitative a consisté, sur la base d'entretiens avec des responsables d'entreprises, à évaluer l'impact de la fiscalité sur la localisation d'activité.

Après avoir rapidement survolé les systèmes fiscaux des trois pays étudiés et rappelé qu'avec un coin social de 60 % (dont 40 % de cotisations sociales à la charge de l'employeur contre 18 % pour le salarié), la France se situait devant l'Allemagne, dont le coin social atteint 54 % (dont 42 % de cotisations sociales pour l'employeur et pour le salarié), et loin devant le Royaume Uni (10 % pour l'employeur et 8 % pour le salarié), M. Michel Didier a présenté les six conclusions auxquelles était parvenu son institut :

- des trois pays étudiés, la France et l'Allemagne se distinguent nettement du Royaume Uni par le niveau plus élevé du coût total pour l'employeur correspondant à un même niveau de salaire net, in fine, pour l'employé ;

- la France se distingue des deux autres pays par un taux de charges fiscales et sociales pour l'employeur nettement plus fort ;

- l'impôt sur le revenu des personnes physiques est en revanche plus faible en France qu'en Allemagne et au Royaume Uni, mais le barème est plus progressif ;

- les charges payées par l'employeur sont nettement moins dégressives en fonction du salaire en France qu'en Allemagne et, dans une moindre mesure, qu'au Royaume-Uni ;

- l'exonération des charges sur les bas salaires introduit une forte progressivité des taux de charges patronales sur la tranche des salaires allant du SMIC à 30 % au dessus du SMIC ; il en résulte une faible incitation à augmenter les salaires dans le bas de l'échelle ;

- enfin, la combinaison d'un barème fiscal fortement progressif et de cotisations sociales élevées et peu dégressives conduit à un coin socio-fiscal plus fort en France qu'en Allemagne et au Royaume Uni pour les salaires relativement plus élevés.

Puis, M. Michel Didier a indiqué qu'il était fréquent de conclure qu'un coin socio-fiscal élevé risquait d'entraîner une perte de compétitivité dans la concurrence internationale. Il a rappelé qu'à cet égard, la France figurait parmi les pays où le coût horaire du travail était le plus élevé, à égalité avec les Pays-Bas et le Japon. Seule l'Allemagne se situe au dessus. Le Royaume Uni présente au contraire un coût du travail inférieur de 40 % à celui de la France.

M. Michel Didier a indiqué que la taxation perturbait l'équilibre du marché en introduisant un " coin " entre le prix d'offre (le salaire net reçu par le salarié) et le prix de demande (le coût du travail pour l'employeur) et pouvait expliquer la croissance du chômage en France. Il a cependant ajouté qu'il n'y avait pas de corrélation directe entre le coin socio-fiscal et le coût total du travail, compte tenu, d'une part, de la possibilité de réaliser des gains de productivité pour compenser toute augmentation des prélèvements obligatoires, et d'autre part, de l'élasticité variable du salaire net.

En effet, si l'obligation de payer instituée par le système des prélèvements obligatoires correspond exactement à la fonction d'utilité collective de la population, le salaire net s'adapte à la baisse de telle façon que le coût du travail reste inchangé pour l'employeur. A cet égard, les salaires nominaux français sont plus flexibles qu'en Allemagne, où l'élasticité du coût du travail aux cotisations patronales est unitaire, mais plus rigides qu'au Royaume Uni. Aux Etats-Unis, où le marché du travail est très flexible, l'augmentation des cotisations patronales n'affecte pas du tout le niveau des salaires réels.

Puis, soulignant l'évolution divergente des courbes du coût salarial moyen et du pouvoir d'achat (revenu net de cotisations et d'impôts) depuis 1970, M. Michel Didier a démontré que la succession de chocs à la hausse sur le coin socio-fiscal en France a contribué à la fois à l'accroissement du chômage et à la stagnation du pouvoir d'achat des salariés.

Il a conclu son propos introductif en indiquant que la dizaine d'entretiens conduits avec des responsables d'entreprises faisait apparaître que la fiscalité intervenait à certains moments privilégiés de la vie de l'entreprise, dans le choix de la localisation. Il a ajouté que certaines dispositions précises, particulièrement incitatives ou dissuasives, jouaient un rôle plus important que le poids global de la fiscalité. Enfin, la complexité et l'instabilité fiscale sont des éléments fortement dissuasifs de l'investissement.

Puis, il a cédé la parole à ses collaborateurs, Mlle Marie Chauvière et M. Alexandre Fur, pour présenter les conclusions détaillées des deux études.

S'appuyant sur le cas d'un salarié célibataire, Mlle Marie Chauvière a révélé que le coin socio-fiscal était plus élevé en Allemagne qu'en France pour des rémunérations mensuelles inférieures ou égales 40.000 francs. La France présente en particulier un coin socio-fiscal relativement plus faible pour les salaires proches du SMIC. En revanche, pour des rémunérations proches de 100.000 francs par mois, l'écart est plus important en France qu'en Allemagne. Elle a ajouté que les charges patronales étaient non seulement nettement plus élevées en France qu'en Allemagne et qu'au Royaume Uni, mais également peu dégressives par rapport aux deux autres pays étudiés. L'explication se trouve dans le fait qu'en Allemagne, la très grande partie des cotisations patronales sont plafonnées, alors qu'en France, sur un taux pour l'employeur de 40 %, un peu moins de la moitié est plafonnée. Enfin, elle a confirmé à l'aide de graphiques le faible poids de l'impôt sur le revenu dans le salaire brut en France.

Puis, M. Alexandre Fur a indiqué que toutes les fonctions de l'entreprise n'accordaient pas la même importance à la fiscalité dans leur stratégie d'implantation. Les fonctions les plus sensibles à ce critère sont en effet des activités en développement et de plus en plus " nomades " : centre de coordination, centre de services financiers, centre de gestion des marques et des brevets, lieux de stockage...

Parmi les éléments de la fiscalité qui dégradent le plus l'attractivité du territoire français, M. Alexandre Fur a évoqué la complexité de la fiscalité des entreprises. En effet, devant la multiplicité des impôts frappant les entreprises, les investisseurs étrangers ont tendance à surestimer le poids global de ces prélèvements, au détriment d'une implantation en France. En outre, le manque de stabilité de la fiscalité française accroît la prime de risque qui est associée à tout investissement.

Il a fait valoir que certains impôts spécifiques pesaient particulièrement sur le décision d'implantation en France. La taxe professionnelle, qui constitue désormais la principale charge fiscale sur les entreprises, est ainsi régulièrement citée comme un obstacle à l'investissement par les responsables d'entreprises, qui critiquent la très grande variabilité de ses taux et leur grande instabilité dans le temps. De même, la fiscalité des transmissions est jugée comme particulièrement déstabilisante.

Enfin, il a jugé préoccupante, l'évolution de la fiscalité des marques et des brevets. Un arrêt récent du Conseil d'Etat considère en effet ces éléments du patrimoine de l'entreprise comme des actifs incorporels et n'admet pas, en conséquence, la déductibilité des frais afférents à leur dépôt. En outre, les plus-values de cession de brevets sont désormais imposées au taux normal de l'impôt sur les sociétés. Il s'est en conséquence ému du risque de délocalisation des centres de gestion des marques et de la perte de ressources fiscales qu'un tel phénomène engendrerait pour la France.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a alors félicité les auteurs de l'étude en indiquant qu'elle constituerait un outil déterminant sur lequel la commission des finances fonderait désormais son argumentation en faveur de la convergence fiscale. Puis il a souhaité savoir si l'euro accroîtrait l'influence de la fiscalité sur les décisions de localisation des entreprises, s'il était possible de mesurer scientifiquement l'impact de la fiscalité sur les fonctions nomades de l'entreprise et s'il y avait une corrélation entre la fiscalité et le niveau de l'emploi.

M. Michel Didier a estimé en réponse que l'euro introduirait une vraie transparence des coûts et des prix en Europe, ce qui permettrait aux travailleurs d'effectuer des comparaisons et d'être plus mobiles. Il a indiqué que ses économistes pouvaient effectuer des études plus poussées pour mesurer la réactivité des contribuables aux différents impôts. S'agissant de la relation entre fiscalité et emploi, il a considéré que les chocs répétés à la hausse jouaient davantage contre l'emploi que le niveau absolu des prélèvements obligatoires. Il s'est ainsi ému du phénomène de " cliquet " qui fait que le chômage est rigide à la baisse. Enfin, il a jugé nécessaire de favoriser les subventions inconditionnelles plutôt que les aides fiscales conditionnelles, ces dernières étant par définition destinées au stock d'entreprises existantes et non aux activités nouvelles. En outre, leur financement pèse sur l'économie, au détriment du jaillissement d'entreprises et de richesses nouvelles.

M. Denis Badré s'est ensuite demandé si, dans la perspective d'une intégration des Etats européens par l'euro à l'image des Etats-Unis, les Etats conserveraient des marges de manoeuvre. Evoquant le succès de la TVA, invention française, auprès du reste du monde, il s'est demandé si la CSG aurait la même prospérité. Il a considéré que le caractère virtuel et " nomade " des nouvelles technologies enlevait toute pertinence à la notion de localisation des activités.

M. Philippe Adnot a nuancé les conclusions de l'étude de Rexecode en estimant qu'un système socio-fiscal devait être jaugé au regard de ses contreparties en termes de services collectifs. Il a considéré à cet égard que les services publics américains étaient sans rapport avec le poids de la fiscalité américaine. Il s'est ému de la lourdeur de la fiscalité des transmissions d'entreprises en France qui dépossédait de plus en plus de chefs d'entreprise au profit de financiers volatils dont les choix de localisation dépendent de considérations fiscales indépendantes de l'attache originelle de l'entreprise.

M. Jacques Oudin a également souhaité relativiser les propos des économistes de Rexecode en faisant valoir que l'excédent cumulé de la balance du commerce extérieur était un signe de la compétitivité de la France. Il a considéré que les délocalisations industrielles étaient facteur de mouvement et d'échanges avec la France, et qu'elles ne devaient pas être jugées aussi sévèrement. Evoquant la corrélation entre l'augmentation des prélèvements obligatoires et la perte d'assiette fiscale, il a estimé que les créateurs d'entreprise devaient être exonérés d'impôt pendant cinq ans.

Enfin, M. Christian Poncelet, président, a interrogé le directeur général de Rexecode sur les réformes de la fiscalité qui lui semblaient les plus urgentes à mettre en œuvre pour rétablir la compétitivité fiscale de la France.

S'agissant des Etats-Unis, M. Michel Didier a admis que des différences de fiscalité pouvaient exister entre les Etats mais a indiqué qu'une certaine harmonisation s'opérait. Il a considéré en conséquence que l'harmonisation de la fiscalité européenne devait s'étendre à d'autres impôts que la TVA. Il a rappelé que la CSG, classée jusqu'à présent parmi les cotisations sociales, était déplafonnée ce qui accroîtrait encore la divergence de la France par rapport aux autres Etats. Il a estimé que les entreprises de nouvelles technologies feraient apparaître de nouvelles formes de nomadisme, l'offre se créant instantanément là où le potentiel de consommation existe.

Répondant à M. Philippe Adnot, il a considéré que la contrepartie pour l'employeur du poids des cotisations patronales n'était pas immédiatement perceptible en termes de transferts ou de services collectifs rendus. De même, évoquant le problème des retraites, il a souligné que le système de répartition avait pour conséquence une absence de coïncidence entre les cotisants et les bénéficiaires du transfert.

Puis, M. Michel Didier a rappelé que le coin socio-fiscal était d'autant plus élevé que l'on se situait en haut de l'échelle des salaires, ce qui risquait de priver la France de ses travailleurs les plus qualifiés et les plus créateurs de richesses et d'emplois.

S'agissant de la transmission d'entreprises, il s'est montré plus sensible au poids des impôts pesant sur la succession qu'au problème de l'inclusion de l'outil de travail dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune. Face au nombre d'entreprises obligées de déposer leur bilan en raison de la lourdeur des taux, il s'est montré partisan d'un système de paiement qui soit compatible avec la survie de l'entreprise.

A M. Jacques Oudin, il a indiqué que l'excédent de la balance du commerce extérieur résultait du différentiel de croissance existant entre la France et ses concurrents. Il a estimé que le cumul d'une balance excédentaire et d'un fort taux de chômage était un signe de dysfonctionnement.

Enfin, M. Michel Didier a estimé que la poursuite de l'intégration européenne devait accompagner l'euro.

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