2. L'effondrement des sociétés "pyramidales"

L'effondrement, au début de l'année 1997, des sociétés financières "pyramidales" qui drainaient une large part de l'épargne des albanais a incontestablement été l'élément déclencheur de l'amplification et de la généralisation de la contestation politique du pouvoir en place.

Par "pyramides", on entend des sociétés proposant aux épargnants des taux d'intérêt beaucoup plus élevés que les organismes bancaires traditionnels, et qui, de fait, ne peuvent satisfaire au service des intérêts et aux demandes de remboursement qu'en attirant de nouveaux dépôts.

A l'exemple de ce que l'on a constaté en Russie, en Roumanie, en Bulgarie ou en Macédoine, de telle sociétés d'investissement douteuses sont apparues en Albanie, à la faveur de la libéralisation de l'économie et de l'amorce de prospérité qui s'en suivit.

La spécificité albanaise tient au nombre très important de ces sociétés dont beaucoup avaient pignon sur rue, notamment Vefa, Kamberi, les fondations Xhaferri et Populli ou encore Gjallica et Sude, et à leur succès auprès des albanais , puisque l'on considère que 70 % à 80 % des foyers, de toutes conditions sociales, y avaient placé des économies.

En l'absence de cadre légal et a fortiori de tout contrôle, la prolifération des pyramides est allée de pair avec une escalade vertigineuse des taux d'intérêt proposés allant de 8 % mensuels à 60 % par mois dans les derniers temps, et ceci afin d'attirer de nouveaux dépôts, dans une "fuite en avant" censée repousser l'inévitable faillite du système.

L'impact des pyramides était considérable car elles sont parvenues non seulement à mobiliser une part très importante de l'épargne proprement dite, notamment des rentrées provenant des fonds envoyés par les travailleurs albanais émigrés, mais aussi à inciter nombre d'albanais à liquider leur patrimoine personnel ou professionnel (appartement, terres, commerce, bétail) et à se détourner des activités productives pour vivre exclusivement des produits financiers de ces investissements.

Il est bien vite apparu aux observateurs, et notamment aux institutions financières internationales, que ces sociétés fonctionnaient par des pratiques de cavalerie et ne pouvaient garantir leur solvabilité. A plusieurs reprises, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont mis en garde les autorités albanaises contre le développement de ces sociétés et leur ont demandé de prendre des mesures pour mettre fin à leurs activités.

La réaction du gouvernement albanais a été très tardive. En effet, en mars 1996, alors que le phénomène des pyramides prenait déjà une ampleur inquiétante, celles-ci étaient dispensées de la nouvelle loi bancaire. Ce n'est qu'à la fin de l'année 1996 que les premières mesures de contrôle ont été prises, mais le gouvernement devait également tenir compte des réactions de l'opinion publique, attachée à la poursuite de l'activité des pyramides et continuait d'espérer les rendements promis.

En décembre 1996 sont apparues les premières suspensions de remboursement et le 15 janvier 1997, la pyramide "Sude" était officiellement déclarée en faillite, donnant le signal de l' effondrement général du système.

Face à cette situation, le gouvernement albanais, rappelant le caractère purement privé de ces activités qui ne bénéficiaient d'aucune garantie de l'Etat, prenait des dispositions d'urgence : gel des avoirs bancaires des sociétés pyramidales, vote d'une loi instaurant des modalités de remboursement des épargnants, augmentation de la rémunération des dépôts effectués dans les établissements publics.

Ces mesures n'ont en rien apaisé les épargnants spoliés et n'ont pas enrayé la montée du mécontentement, qui s'est généralisé puis a pris la forme d'émeutes violentes dans l'ensemble du pays.

La crise financière a directement débouché sur une virulente mise en cause du pouvoir politique accusé tour à tour d'avoir encouragé le développement des pyramides, d'avoir bénéficié, pour la campagne électorale du parti démocratique, de leur soutien financier, puis d'avoir voulu spolier les épargnants en limitant ou en suspendant les activités de ces sociétés.

L'opposition, qui n'avait guère dénoncé par le passé les sociétés pyramidales, et qui n'était pas dépourvue de lien, elle aussi, avec ces sociétés, a su habilement jouer de ces ambiguïtés pour attiser le ressentiment de la population à l'égard des pouvoirs publics.

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