2. Un secteur hautement concurrentiel

2.1 Une activité concurrentielle et cyclique

A. Un cadre libéral

A1. Un cadre général de libre concurrence, limité cependant pour l' Asie et les États-Unis.

Les transports maritimes sont d'ores et déjà largement libéralisés, notamment dans leurs parties proprement internationales. Les négociations commerciale multilatérales sur la libéralisation des transports maritimes 10 ( * ) ont retenu un approche « tripodale », ayant pour objectif de traiter des services maritimes» mais aussi des services portuaires et des activités terrestres connexes du transport maritime. C'est dans les deux derniers domaines que les restrictions sont les plus importantes et les plus uniformément répandues.

L'échec de la négociation est lié à la réticence partagée des États-Unis et des pays asiatiques en matière de libéralisation maritime. Washington présente des considérations largement stratégiques. Les pays asiatiques, de leur côté, font preuve d'un souci constant de protection économique. En outre, les États-Unis arguent de la faiblesse des offres de libéralisation proposées par les autres pays pour ne pas faire eux-mêmes d'offre. Un débat politique intense sur l'évolution de la politique maritime américaine s'est tenu tout au long de l'année 1996, un nombre important de chargeurs américains soutenant avec énergie que les restrictions pesant sur eux en matière de transport maritime constituaient un obstacle substantiel au développement de leurs activités, notamment à l'exportation. Les négociations de l'OMC sur le transport maritime sont actuellement suspendues et doivent reprendre en 2000 (cf. « livre vert »). Pour mémoire, en application du Jones Act, le cabotage sur les côtes américaines est autorisé aux seuls navires battant pavillon des États-Unis. Le processus de libéralisation est donc asymétrique

A2 La libéralisation au sein de l'Eur o pe communautaire

La politique communautaire dans le domaine maritime naît tardivement, en décembre 1986. Jusqu'alors, l'article 84 du traité de Rome excluait des dispositions portant sur les transports, les champs maritime et aérien.

L'ouverture des marchés est désormais l'un des objectifs de la «nouvelle stratégie maritime » proposée par la commission (DG7).

La libéralisation des transports maritimes est l'objet du règlement 4055/86, qui étend au maritime les principes de la libre prestation de service, et du règlement 4056/86, qui détermine les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité de Rome, relatifs aux ententes et aux positions dominantes.

Les réservations de pavillons et de cargaisons pour le transport de vrac et les répartitions des trafics pour la ligne sont prohibées sur les trafics internationaux. Cependant, les armateurs se regroupent au sein de consortia, qui sont des accords de partage de moyens purement techniques. Les navires sont mis en commun et les armements sont parfois liés par des affrètements croisés. Ils ont été instaurés pour répondre aux besoins d'investissement que nécessite le développement de la conteneurisation. Ce ne sont pas juridiquement des ententes, mais ils représentent une organisation de la concurrence qui a conduit à la réglementation européenne du 21 avril 1995.

Elle prévoit une limitation des capacités de transport mis en commun à 35 % des volumes du trafic concerné, des délais de sortie, des éléments de contrôle de la gestion du consortium. Sur plus de cinquante consortia répertoriés, seuls quelques-uns ont été pour le moment approuvés par la commission.

Le cabotage a été libéralisé :

- le cabotage national fait l'objet d'un calendrier progressif de libéralisation à la suite de la réglementation plus tardive du 7 décembre 1992. Le cabotage national de marchandises est ouvert à la concurrence pour les navires sous pavillon communautaire de plus 650 jb 11 ( * ) depuis le 1 er janvier 1997. Il est ouvert le 1 er janvier 1998 pour les navires plus petits. Le cabotage national de passage sera ouvert à la concurrence pour les navires sous pavillon communautaire au 1 er janvier 1999, sauf pour la Grèce Cette dernière bénéficie d'un régime dérogatoire jusqu'en 2004. Ce pays possède l'une des flottes de caboteurs les plus importantes d'Europe. Relativement âgée, elle peut cependant intervenir sur des marchés de proximité, en particulier sur celui de l'Italie. L'emploi de marins européens ne peut pas être rendu obligatoire sur les navires battant pavillon d'un pays de l'Union européenne. Seule la nationalité du commandant peut être imposée en raison du principe de souveraineté, en relation avec l'effet du pavillon sur celui de l'équivalence des brevets (CJCE 12 ( * ) arrêt du 04/04/1974) ;

- le cabotage national intra-communautaire est ouvert pour tous les services (fret et passages) côtiers et insulaires aux États membres ;

- le cabotage international à l'intérieur de l'Union européenne est ouvert à la libre concurrence, à la différence des États-Unis. En application du Jones Act, le cabotage sur les côtes américaines est autorisé aux seuls navires battant pavillon des États-Unis.

Cette libéralisation au sein de l'Union européenne a été mal conduite, dans la mesure où elle n'a pas été précédée ou accompagnée d'une harmonisation des conditions d'exploitation, au moins sur les conditions de sécurité. La différenciation au sein des pays européens concernés porte sur le nombre minimum de postes d'équipage, mais aussi sur les régimes sociaux et les conditions de rémunération des marins.

B . Une activité cyclique

L'activité de la marine marchande n'est pas linéaire. Comme d'autres secteurs, il s'agit d'une activité cyclique : les phases de croissance succèdent aux phases de contraction de l'activité. Les variations cycliques sont décelables à l'observation des taux de fret de l'activité : ces derniers montent en phase ascendante du cycle, pour se détendre en phase descendante.

Le cycle d'activité explique une caractéristique importante de la marine marchande : son caractère spéculatif. Pour assurer la rentabilité globale de leur activité, les armateurs doivent souvent compenser la faiblesse de leur rentabilité d'exploitation en acquérant et cédant des navires au bon moment.

Cette caractéristique doit être présente en mémoire, dès lors qu'il s'agit d'évaluer l'impact sur le niveau de la marine marchande française des dispositifs d'incitation publics.

B1. La ligne : une tendance à la baisse

Les prix du transport se sont déprimés, laissant supposer une surcapacité globale. Celle-ci devrait encore s'accentuer avec la mise en service, à échéance de 1999, de 700 navires, pouvant transporter plus de 250 conteneurs, ce qui représente une capacité totale de 1,2 millions d'EVP.

Indice de Laspeyres (exprime une variation des prix pour une quantité fixe de marchandises transportées, l'année de base (n et non n+1) étant la référence) des taux de fret.

(source : Ministère des transports allemand- 1996)

B2. Le vrac : une activité spéculative

Il s'agit du secteur le plus cyclique et, donc, le plus spéculatif. La volatilité des taux de fret au « tramping » 13 ( * ) et la pression constante à la baisse des taux de fret 14 ( * ) de ligne conduisent à une rentabilité d'exploitation, incertaine et faible. Les écarts des prix des navires neufs ou d'occasion principalement observés pour le transport des vracs 15 ( * ) , obligent tout propriétaire exploitant à accompagner la gestion de son exploitation par une gestion patrimoniale de son investissement, afin d'atteindre une rentabilité globale La gestion des actifs tient compte du caractère cyclique des taux de fret et de leur répercussion mécanique sur le prix de l'occasion et du neuf. C'est ainsi, du moins, que les professionnels définissent leur activité. Les recettes d'exploitation ne sont, en fait, pas uniquement un moyen de réduire ce qui pourrait être considéré, en termes financiers, comme des frais de portage. Comme de nombreux cas l'illustrent, une part importante de l'activité s'appuie sur des projets industriels.

Le récent retournement du marché des taux de fret peut annoncer une reprise, après une période de chute. Une meilleure application des règles et des normes de sécurité sur une flotte âgée commence à faire effet, en sélectionnant les navires. Des perspectives satisfaisantes peuvent alors être anticipées pour des navires neufs respectant les normes.

Ce caractère cyclique est perturbé par des effets psychologiques, lorsque les anticipations d'investissement des armateurs sont concordantes ou lorsqu'elles sont encouragées par une offre exagérée de capitaux (ainsi l'engouement bancaire pour le secteur dans les années 1970). La crise sur le marché des vracs secs, au milieu des années 1980, est un exemple de l'effet d'entraînement par des anticipations convergentes. À partir d'une analyse conjoncturelle prometteuse, le marché s'était orienté vers un accroissement important de ses capacités de transport. Au début des années 1980, les analystes prévoyaient une croissance annuelle soutenue de 12 % de la consommation de charbon. De nombreuses commandes ont donc été engagées. Une crise de surcapacité a fait plonger les prix du transport, le prix des vraquiers d'occasion, puis des navires neufs.

Les perturbations sont aussi créées par les transformations technologiques. La réduction de la consommation ou l'augmentation de la vitesse des navires peuvent accélérer le renouvellement des flottes.

C. Une activité à faible contenu en main-d'oeuvre

La marine marchande n'emploie pas beaucoup d'hommes. Cette caractéristique doit être en mémoire dès lors qu'il s'agit d'évaluer les politiques publiques.

Les chiffres avancés par les organismes 16 ( * ) sur le nombre de marins dans le monde tournent autour de 1,2 million, répartis entre 825 000 matelots et 409 000 officiers. Les Philippines fournissent près de 20 % du total, avec 250 000 marins. La Chine, la Turquie, l'Indonésie viennent ensuite, avec 80 000 personnes pour chacun. Les pays de l'Extrême Orient représentent 39 % des gens de mer et les pays de l'OCDE 32 %.

Pour employer peu de marins, le secteur n'en est pas moins pénalisé par une pénurie de main d'oeuvre qualifiée : 18 000 officiers manqueraient dans le monde, compte tenu des perspectives de renouvellement des officiers, par effet de la pyramide d'âge de la profession et du développement de l'activité. C'est dans les pays de l'OCDE que le recrutement est le plus difficile. Un nombre constant d'officiers, est actuellement formé. Mais les services de contrôle des ports et de la capitainerie puisent dans les effectifs des officiers de la marine marchande, ce qui réduit d'autant le nombre d'officiers exerçant sur des navires marchands. Les pays de l'OCDE envisagent une crise importante de recrutement et de formation de leurs officiers qui semble moins redoutée pour les autres régions. La Chine lance un programme d'enseignement systématique de l'anglais pour accroître la compétitivité de ses marins alors qu'une école norvégienne de formations a été ouverte aux Philippines.

En revanche, un sureffectif d'environ 200 000 matelots est estimé au niveau mondial. Cette tendance devrait s'aggraver avec la stricte application des normes concernant la détention des brevets par la Convention STWC de l'OMI. Elle laissera peut-être un plus grand nombre de marins à terre, mais revalorisera les salaires des personnels formés. Son application est retardée par des pratiques « en deçà des normes » de certains armateurs de navires sous pavillon de pays où les contrôles sont trop limités. Près de 30% des marins naviguent sous pavillon de complaisance. La part la plus importante est celle du pavillon de Panama, avec 104 000 marins.

* 10 Uruguay Round 1994, puis conférence de Marrakech de décembre 1994.

* 11 Jauge brute : unité de mesure des espaces intérieurs du navire, définition dans le glossaire

* 12 Cour de Justice des Communautés Européennes

* 13 Transport « à la demande ». Il s'agit d'établir, au cas par cas, la route ou la durée de mise à disposition du navire et son mode d'exploitation. Il comprend toutes les activités maritimes en dehors du trafic de conteneurs et du transport de passagers.

* 14 Prix du transport.

* 15 Les variations des prix du transport (« taux de fret ») et des prix des navires sont reprises en annexe I.

* 16 BIMCO (Conseil maritime international et baltique) et ISF (Fédération internationale des armateurs)

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