3.2 Les stratégies des acteurs du transport maritimes

A. Le coût réel du pavillon français : une analyse par segments

Nous avons effectué une évaluation du différentiel annuel réel de coût d'exploitation lié au pavillon français par rapport à la concurrence directe internationale sur chacun des marchés. Pour cela, nous avons croisé les informations diffusées par la Commission européenne, le Comité Central des Armateurs de France, et nos entretiens avec l'administration et les armateurs. Cette évaluation compare les navires armés aux conditions internationales en concurrence directe avec les navires sous pavillon français, registre métropolitain ou TAAF. Selon les secteurs d'activité, la concurrence peut prendre la forme de navires sous pavillon de pays libre immatriculation ou d'autres registres bis européens, avec des compositions d'équipage multiples.

Le calcul des surcoûts liés au pavillon français s'applique uniquement aux navires faisant face à la concurrence internationale et écarte donc les navires desservant la Corse, de même que les navires stationnaires. Les navires confrontés à cette compétition sont estimés au nombre de 110. Le chiffre global du surcoût pour la flotte française est - en l'état actuel du dispositif public de soutien à la marine marchande -, estimé à 337 Millions de francs par an.

Type de navire

Nombre de navires concernés

Coût unitaire en MF

Coût total en MF

Part du total en valeur

Part du total en volume

Paquebot

0/3

-

-

Transbordeur

3/31

14-16,5

45

13,4%

2,7%

Vedette

0/4

-

-

Roulier

8/11

1,5

12

3,6%

7,273

Colis lourd

/Cargo RoRo

3/4

1,5

4,5

1,3%

2,727

P.C-Roulier

5/6

3,5 (*4) ; 7 (*1)

21

6,2%

4,5%

Porte-conteneurs

18/19

3,5 (*12) ; 7 (*6)

84

24,9%

16,4%

Polytherme

3/3

1,5

4,5

1,3%

2,7%

Grumier

3/3

7

21

6,2%

2,7%

Vraquier sec

8/8

4 (*5) ; 2 (*3)

26

7,7%

7,3%

Citernes

à vin et à huile

3/3

1

3

0,9%

2,7%

Chimiquier

4/4

2

8

2,4%

3,6%

Caboteur <500jb

0/6

-

-

Sec stationnaire

3/43

1

3

0,9%

2,7%

Cazier

7/7

2 (*3) ; 3 (*3) ; 5 (*1)

20

5,9%

6,4%

Caboteur pétrolier

25/27

1 (*5) ; 1,5 (*10) ; 2 (*10)

40

11,9%

22,7%

Pétrolier

14/14

3

42

12,5%

12,7%

Pétrolier stationnaire

3/8

1

3

0,9%

2,7%

Total

110/206

337

100%

100%

(Le tableau est détaillé en annexe II.)

Cette évaluation est inférieure à celle avancée par le Comité Central des Armateurs de France (CCAF).

B. Des stratégies discutables

B1. Une forte concentration géographique et une insertion très faible des armements français de ligne dans les grandes alliances.

Les compagnies françaises sont peu présentes sur les flux Est- Ouest (Asie-Europe-Amérique du Nord), ce qui les empêche de bénéficier de forts taux de croissance comme support de développement de leur influence commerciale.

Europe : CEE 15, Norvège, Suisse, Islande

ALENA : États Unis, Puerto Rico, Canada, Mexique

Asie : Japon, Chine, Inde, Thaïlande, Singapour, Philippines, Indonésie, Corée du

Sud, Taiwan.

RDM : reste du monde

Produits : Biens intermédiaires, produits mixtes, biens de consommation.

(base : CHELEM-08/1996-)

L'armement français de ligne est focalisé sur certains trafics. Surtout, les compagnies de ligne sont absentes des grandes alliances.

Delmas est le premier transporteur sur le Pacifique Sud, avec notamment la ligne Australie - Nouvelle Zélande - États-Unis. Elle est la principale compagnie entre l'Afrique de l'Ouest et l'Europe. Elle est aussi présente sur les relations Afrique/Asie et Afrique/Amérique. Sa stratégie s'appuie sur l'intégration verticale et la connaissance d'un marché spécifique. Au sein du même groupe, un transitaire (la SCAC), un manutentionnaire (SOCOPAO) et un armement (Delmas) permettent de proposer des prestations logistiques de bout en bout sur des dessertes complexes auxquels ils sont habitués. Les porte-conteneurs doivent donc être équipés de grues pour pallier le manque d'équipement portuaire de certains ports. Un accord avec la compagnie belge CMB-T, contrôlée par la compagnie sud-africaine Saf Marine a été passé sur les dessertes de l'Afrique. Il permet l'exploitation commune des navires et l'accès aux trafics vers et depuis l'Afrique du Sud. Ces trafics peuvent offrir la possibilité de rééquilibrer les flux au départ de l'Afrique pour l'Europe ou pour l'Asie.

La CMA possède un fond de commerce important sur les trafics entre le Moyen Orient et l'Asie. Le rachat de la CGM par la CMA permet d'atteindre une taille pouvant peser lors de négociations d'accords. Le groupe possède désormais des navires en propre car, jusqu'alors, la CMA affrétait la plupart de sa flotte. La stratégie annoncée est de choisir de manière sélective les marchés à conserver, d'y ancrer sa position, afin d'affirmer une compétence particulière, tout en continuant une politique d'acquisition de flotte pour l'ensemble du groupe, afin d'être moins vulnérable aux évolutions du marché de l'affrètement.

B2. Des stratégies défensives

a) Les raisons du déclin

De 1975 à 1985, deux éléments bouleversent le transport maritime français : la fin des monopoles de pavillon en droit et en fait, et le retrait des grandes familles d'armateurs d'une activité trop capitalistique.

Pour favoriser les échanges internationaux et réduire le coût des transports maritimes, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ont fait pression sur les pays en voie de développement, en particulier sur les États africains, afin de remettre en cause les règles de partage de cargaisons (40/40/20) 25 ( * ) introduite par la CNUCED. La remise en question des règles de la CNUCED a permis, sur des dessertes comme l'Afrique de l'Ouest, d'ouvrir le marché à des armateurs indépendants, qui voyaient leur développement entravé par les pratiques qui s'y étaient instaurées. Sur plusieurs segments, une concurrence nouvelle s'est présentée :

- pour le vrac, les trafics réservés depuis 1928 pour les 2/3 de nos approvisionnements en hydrocarbures au pavillon français, et les trafics réservés pour 40 % de nos importations de charbon à une centrale d'achat publique (l'ATIC) ont disparu ou ont été largement remaniés ;

- pour la ligne régulière au long cours, sur les anciennes lignes « impériales » de la côte d'Afrique de l'Ouest (SDV), d'Afrique du Nord (SNCM) ou des DOM-TOM (CGM), les positions des armateurs français se sont vues de plus en plus contestées.

D'autre part, le désengagement des armateurs de leurs secteurs traditionnels s'est illustré par le regroupement des petits armements « coloniaux ». Les compagnies maritimes se sont alors principalement réparties sur les trafics de tradition coloniale et sur les trafics avec les DOM et les TOM.

Certains groupes ont quitté le secteur ou se sont concentrés sur un segment particulier. Le groupe Fabre a cédé son activité maritime positionnée sur l'Extrême Orient. Elle a été acquise en 1985 par le groupe danois Maersk. Le groupe Worms était présent sur les trois segments : pétrole, vrac sec et ligne. Il s'y est renforcé en achetant l'Union Industrielle et Maritime.

b) Les comportements des exportateurs et importateurs français pénalisent le transport maritime français.

Les fournisseurs et clients tiers maîtrisaient davantage les opérations de transport maritime que leurs partenaires français, à l'exception des zones à présence commerciale forte et ancienne (Afrique de l'Ouest, Méditerranée) et des secteurs bénéficiaires de soutiens ou de garanties publics. Tout indique que ces comportements persistent, de sorte que sur certains courants d'échanges géographiques ou par produits, les acheteurs ou fournisseurs étrangers sont plus souvent en position de chargeurs réels, ayant la maîtrise du transport, que leurs vendeurs et clients français.

Le commerce extérieur français ne renforcera pas l'activité du transport maritime si, dans les termes d'achat ou de vente des importateurs et des exportateurs français, la partie maritime du transport n'est pas couverte, ou encore si les importateurs et exportateurs français ne considèrent pas la maîtrise du transport comme stratégique. Ce sont bien les termes d'achat et de vente qui situent le degré d'implication des importateurs et exportateurs français sur la partie maritime du transport 26 ( * ) . Ce degré d'implication est aujourd'hui aussi faible que par le passé.

Les entreprises d'industrie lourde (minières, chimiques, ou agro-alimentaires) sont un cas à part. Lorsqu'elles incorporent la partie maritime dans leurs termes commerciaux, elles supportent souvent la fonction commerciale d'armateur sur les marchés du vrac. L'industriel utilisant le transport maritime pour des cargaisons homogènes nécessitant un navire complet peut être assimilé à l'industriel qui organise ses transports routiers avec ses propres véhicules ou des véhicules affrétés. Cependant, ces clients disposent d'une offre internationale très large, et les taux d'affrètement sont tirés vers le bas par les offres de navires exploités aux conditions les plus économiques.

* 25 Il s'agit de la répartition des droits de trafic, de 40 % à chacun des pays en relation bilatérale, 20 % aux pays tiers.

* 26 Le désengagement des utilisateurs français de transport maritime s'exprimerait par des ventes FAB depuis un port d'origine en France et des achats CAP dans un port de destination en France.

Franco à bord. Le terme FAB doit être suivi d'un lieu d'embarquement. Celui-ci marque le transfert de responsabilité et de propriété de la marchandise entre l'acheteur et le vendeur. Coût Assurance et Fret. Le terme CAF doit être suivi d'un lieu de débarquement. Celui-ci marque le transfert de responsabilité et de propriété de la marchandise entre l'acheteur et le vendeur.

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