4.2 Les stratégies des pouvoirs publics dans le monde

A. La marine marchande est soutenue par les États.

Al. Des fortes politiques nationales sont révélatrices de l'intérêt d'une marine marchande

Les questions d'une politique de soutien au secteur et du maintien d'une flotte de commerce nationale se posent dans tous les pays développés disposant d'une marine marchande. Le choix de la résistance au déclin par des mesures visant à minimiser le dépavillonnage (« flagging out ») a été fait partout. Il prend la forme de dispositifs de sauvegarde des marchés, avec la protection du cabotage national (Jones Act aux États-Unis), de registres bis ou d'aménagements des conditions d'armement par des régimes fiscaux et sociaux particuliers, et des dispositifs d'aides directes et indirectes, et avec le soutien aux chantiers (Asie).

Les politiques volontaristes menées par les pays asiatiques se sont ajoutées aux évolutions du marché mondial pour conduire les États occidentaux à mener des actions de soutien. Cette situation explique en grande partie le report des négociations sur la libéralisation des services du transport maritime GATS (General agreement on Trade and Service), qui ne reprendront qu'en l'an 2000.

Panorama des aides publiques applicables au secteur de la marine marchande en Europe :

Les formes d'application des aides sont très variées et sont difficilement comparables étant données les différences de conditions fiscales ou légales dans chacun des pays. Cependant la palette des aides mises à la disposition des armateurs de chacun des pays traduit le degré de volontarisme ou de soutien des états à la marine marchande.

CAA : Cessation Anticipée d'Activité

() = en voie de suspension

Aide à

l'investissent

Défiscalisation des salaires

Régime

d'amortissement spécifique

Exonération des

plus-values de

cession

Régime fiscal des quirats

Registre bis

Allégement de charges

CAA

Bonifications d'intérêt

Allemagne

oui

oui

oui

oui

oui

Danemark

oui

oui

(oui)

oui

oui

oui

Norvège

oui

oui

oui

(oui)

oui

oui

Pays-Bas

oui

oui

oui

Grande-Bretagne

oui

oui

oui

oui

Italie

oui

oui

oui

oui

oui

France

(oui)

oui

(oui)

oui

oui

oui

Suède

oui

oui

oui

Espagne

oui

oui

oui

oui

oui

Belgique

Luxembourg

oui

oui

oui

oui

oui

(source : CCAF-1994-)

Plusieurs pays européens, (l'Italie, les Pays-Bas et la Norvège) appliquent une imposition forfaitaire des compagnies maritimes dont l'assiette est le tonnage des navires et non plus le bénéfice dégagé par l'activité. Cette disposition a pour but d'alléger la fiscalité des entreprises maritimes afin d'attirer de nouveaux armements sur leur territoire.

États-Unis

Japon

Corée du Sud

Aide à l'exploitation

oui

Aide à l'investissement

oui

Défiscalisation des salaires

oui

Amortissement spécifique

oui

oui

Exonération de plus-values de cession

oui

Bonification d'intérêt

oui

Subvention à la démolition

oui

oui

(source : OCDE)

En Corée et aux États Unis, l'enseignement maritime est totalement pris en charge par les pouvoirs publics, en contre-partie d'une obligation de navigation sous pavillon national ou d'emploi connexe (affaires maritimes, sécurité) pour une période respectivement de 4 et 5 ans.

A2. Marine sous pavillon national et sous pavillons tiers

La distinction doit être clairement établie entre la flotte marchande sous pavillon national et la flotte contrôlée par des armateurs de ce même pays, mais sous pavillon tiers.

Répartition de la flotte contrôlée par pays entre pavillon national et pavillon tiers au 1 e janvier 1994 :

1994

Pavillons nationaux

Pavillons tiers

Part des pavillons tiers sur le total de la flotte contrôlée

en unité

1000 tPL

en unité

1000 tPL

en tPL

en unité

Grèce

1021

50725

1750

60211

54,3 %

63,2 %

Japon

998

30398

1804

53733

63,9 %

64,4 %

États Unis

373

15808

577

37573

70,4 %

60,7 %

Norvège

711

31721

440

17720

35,8 %

38,2 %

Hong Kong

91

5070

531

27001

84,2 %

85,4 %

Chine

1298

20319

246

8726

30,0 %

15,9 %

Royaume Uni

211

4278

404

17389

80,3 %

65/7 %

Russie

1501

13520

208

5054

27,2 %

12,2 %

Corée

385

9741

199

8659

47,1 %

34,1 %

Allemagne

465

5424

657

10882

66,7 %

58,6 %

Danemark

386

6725

193

5035

42,8 %

33,3 %

Taiwan

183

7212

195

4370

37,7 %

51,6 %

Suède

166

2495

126

9057

78,4 %

43,2 %

Italie

490

8630

81

2597

23,1 %

14,2 %

Inde

287

9783

38

688

6,6 %

11,7 %

Brésil

216

8218

15

1526

15,7 %

6,5 %

Singapour

283

6015

176

2473

29,1 %

38,3 %

Iran

Turquie

128

7953

1

2

0,0 %

0,8 %

Turquie

354

7601

20

348

4,4 %

5,3 %

France

140

3340

96

3795

53,2 %

40,7 %

(source : ISL)

En 1997; le nombre de navires sous pavillon français à l'activité internationale est de 110 et le nombre de navires contrôlés par l'armement français est de 110, soit un total de 220 navires.

Trois concepts sont utilisés pour définir la nationalité d'une flotte marchande :

- la flotte sous pavillon national. Si dans la plupart des pays de l'OCDE, le rattachement au pavillon est lié à la nationalité du propriétaire, de nombreux pays - dits de libre immatriculation - offrent la possibilité d'inscrire sur leurs registres, les navires en propriété de non nationaux. On notera que pour battre pavillon grec, les navires peuvent appartenir à des personnes morales de droit étranger. Mais les actionnaires doivent être de nationalité grecque ; - la flotte « contrôlée » par les armements nationaux, quel que soit le pavillon, répond au critère de patrimonialité. On considère qu'un armement contrôle un navire à partir du moment où il en détient une part majoritaire. Cet indicateur donne une image plus fidèle de la puissance maritime d'un effet. Outre les navires immatriculés sur son propre territoire, il prend en effet en considération les navires possédés par un armement national mais immatriculés à l'étranger. Cet indicateur n'est toutefois pas encore suffisant : de nombreux armateurs ne sont pas (ou pas directement) propriétaires des navires qu'ils exploitent ;

- la flotte « gérée » par les armements nationaux. Les navires sont alors sous contrôle commercial. Il est courant d'affréter (louer) tout ou partie d'un navire pour une période plus ou moins longue. Les armements qui affrètent des navires pour une certaine durée effectuent un « affrètement à temps ». Dans ce cas, l'armement dispose de la gestion commerciale du navire et peut l'exploiter pour son propre compte. En revanche, il n'y a aucun lien patrimonial entre l'armement considéré et le navire affrété. Il est très difficile d'avoir une idée précise de cette flotte gérée, car elle évolue de manière rapide au rythme des fluctuations des marchés et des besoins ponctuels des armements.

Le pavillon d'un navire n'est donc pas forcément révélateur de la nationalité de son propriétaire. Le développement des pavillons dits de « libre immatriculation » ou de « complaisance », témoigne du souci des armateurs des pays de l'OCDE de chercher à améliorer leur rentabilité d'exploitation en réduisant les coûts de main-d'oeuvre et en observant le minimum de normes de sécurité.

B. La nouvelle stratégie de l'Union européenne

B1. Une stratégie de libre concurrence

a) Les ambitions d'une stratégie récente

Après la naissance de la politique européenne des transports maritimes en décembre 1986, l'Union européenne a engagé un vaste effort de réflexion et de proposition. D'abord, la Commission a engagé, dans le cadre du « Forum des Industries maritimes », des études prospectives réunissant les professionnels, et a rédigé des documents sur le cabotage, la concurrence, la compétitivité etc. Ensuite, dans le cadre du « Core Group » créé par la DG VII, les travaux ont donné lieu à un diagnostic sur la nécessité d'» une nouvelle stratégie maritime » (document de mars 1996). Cette stratégie maritime repose sur « le développement parallèle et équilibré de quatre domaines clés : la compétitivité internationale de la flotte des pays de l'Union européenne, la sécurité, les marchés ouverts, la concurrence loyale ». L'objectif annoncé de cette politique est de promouvoir la flotte communautaire et l'emploi des marins et sédentaires. Les déterminants de la compétitivité doivent être recherchés dans l'innovation technologique, avec un financement pour la Recherche & Développement, et dans la formation et formation et qualification des équipages, avec un financement par le Fonds de Soutien européen.

b) Les champs d'application

Le respect d'une concurrence libre et loyale (« free and fair competition ») est un objectif fondamental de la réglementation européenne. II s'agit de défendre les armateurs communautaires contre les comportements commerciaux et gouvernementaux déloyaux :

- concernant les pratiques tarifaires déloyales, le règlement 4057/86 prévoit un dispositif complet d'évaluation des préjudices, de sanctions compensatrices du « dumping ». La démonstration doit être faite que l'armateur communautaire fait face à un concurrent d'un pays tiers pratiquant des prix anormalement bas ;

- le règlement 4058/86, qui a pour objet de coordonner et de sauvegarder le libre accès au trafic transocéanique, considère que les démarches protectionnistes des pays tiers doivent être combattues par une action diplomatique coordonnée au niveau européen.

L'union européenne prévoit de maintenir sa politique d'ouverture des marchés. Le libre accès et la concurrence loyale pour l'ensemble du marché mondial souhaitent être obtenus par une approche multilatérale, et par l'instauration d'un consensus à l'échelon international.

Les lignes directrices concernant les aides publiques ont été précisées dans un document d'orientation du 6 décembre 1996, puis publiées le 5 juillet 1997. Les aides ne doivent pas fausser la concurrence entre les États membres et ainsi être contraires à l'intérêt commun. Pour cette raison, elles doivent faire l'objet d'un contrôle et d'une surveillance de la part des instances de l'Union européenne. Elles sont néanmoins considérées comme des instruments essentiels de la politique de développement de la flotte et de l'emploi. En particulier, concernant les exonérations de charges sociales et d'imposition des marins européens, il est entendu que « de toute manière, ces marins demeureront plus chers que les marins les moins chers sur le marché mondial ». Ces systèmes d'aides n'entraîneront donc aucun risque de surcompensation.

La compétitivité et la sécurité pourraient être améliorées par :

- la dénonciation de l'insuffisance des sanctions (amendes symboliques) quant au non respect des exigences de l'OMI et du BIT, et des lenteurs d'élaboration des systèmes de réglementation (cf. les délais de ratification à l'OMI / BIT) ;

- l'augmentation des contrôles par les États dans les ports (avec l'application du mémorandum de Paris de 1981). Les navires fréquentant les ports des États signataires sont soumis à un contrôle systématique de l'application des règles de l'OMI ;

- l'harmonisation des règles et l'augmentation des effectifs d'inspecteurs (les effectifs à Rotterdam, par exemple, sont inférieurs à ceux de Sète).

Ces orientations sont plus contraignantes que par le passé, moins dans les finalités proclamées (défense de l'emploi - sédentaire principalement, compétitivité des flottes, proportionnalité des aides aux « nécessités ») que dans ses modalités détaillées (publicité de la totalité des aides, strict contrôle des aides compensatrices à l'exploitation).

B 2. Forces et faiblesses

a) Les intérêts divergents des États européens

Les pays européens s'impliquent à des degrés très variés dans la marine marchande et leurs intérêts sont souvent divergents. L'échec du projet de création d'un pavillon européen (EUROS) est l'illustration d'un manque de volonté collective et de moyens d'incitation communautaire. Les compositions des équipages et la proportion de navigants de pays tiers est l'une des principales sources d'opposition. Les pays les plus réticents envers cette harmonisation ont été le Danemark, la Grèce et le Royaume-Uni. Le projet d'un registre communautaire est retiré des propositions. Et la définition de l'armateur communautaire n'est pas arrêtée.

b) Les faiblesses de la stratégie européenne

La réglementation européenne n'est que partiellement appliquée. Ainsi, le dispositif du règlement 4057/86 est inopérant, la démonstration de la faute ayant jamais été faite. Le statut d'armateur communautaire n'étant pas précisément défini, une société établie en Europe qui affrète des navires d'une compagnie non européenne ne peut pas relever de ce dispositif. Le dispositif réglementaire défensif a montré ses limites à l'égard des opérateurs déloyaux avec le contournement possible du règlement 4057/86. C'est pourquoi, la Commission pense que le règlement 4057/86 sur le dumping en matière de transport maritime est « dans son esprit actuel dépassé et doit être remanié ». Elle souligne qu'il s'applique principalement au transport de ligne régulière. Or les formes de pénétration des marchés par les opérateurs se font par divers types de coopération, plutôt que par dumping. La Commission considère néanmoins que ce règlement possède une vertu dissuasive et justifie ainsi sa conservation.

Les mesures de rétorsion en matière de concurrence se sont appliquées aux opérateurs européens contre les abus caractérisés de position dominante (4058/86). De lourdes amendes ont été infligées aux membres des comités armatoriaux desservant la côte Ouest d'Afrique par les décisions du 1 er avril 92 et du 23 décembre 92. Elles se sont appliquées contre certaines pratiques d'ententes. La tarification multimodale incluant le pré et le post acheminement a été interdite. En effet, la possibilité de proposer des prix communs de transport ne peut s'appliquer qu'à la seule partie maritime (1994/95 - affaire Far Eastern Freight Conférence). La restriction de capacité a, elle aussi, été condamnée (1993/96 - affaires Trans-Atlantic Agreement puis Trans-Atlantic Conférence Agreement).

Les aides publiques, quand elles sont considérées comme des subventions d'exploitation injustifiées, et quand les dotations en capital sont jugées excessives, sont écartées. À titre d'exemple, on peut citer les cas des compagnies d'État L. Triestino (94), et CGM (95-97). Les procédures ont été les suivantes : communications au Journal Officiel de la Communauté européenne ; publications d'observations ; demandes d'explications et justification aux États ; interdictions et remboursements.

Les négociations diplomatiques coordonnées entre les acteurs gouvernementaux de pays européens et tiers, pour une contrepartie ou une réciprocité des mesures d'ouverture et de libéralisation des marchés européens, se sont révélées jusqu'à présent infructueuses.

c) Les inquiétudes françaises

Les impacts de la politique européenne soulèvent certaines inquiétudes pour l'armement français et essentiellement pour le transport de passagers. Ainsi l'insuffisance des précisions sur le « statut des équipages » permettant à un armateur européen de contester les décisions de l'État d'accueil relatives à la nationalité et au régime social sur les navires de cabotage avec les îles menace les emplois existants. La présence de marins chinois dans les équipages des ferries du transmanche en est un exemple.

Dans le domaine de la sécurité, les règles peuvent être la source d'une « guerre des normes ». Sous couvert d'une surenchère légitime en terme sécurité, se profilent parfois des stratégies commerciales.

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