Chapitre 2 - UNE POLITIQUE PUBLIQUE PARTIELLE ET INEFFICACE

1. L'État actionnaire et régulateur

A. L'État régulateur

L'État fixe le cadre réglementaire qui régit une part importante de l'activité maritime, à savoir les conditions d'armement des navires, qui déterminent les effectifs embarqués, les qualifications et les conditions de travail. L'État en assure le contrôle via l'administration des Affaires Maritimes. Enfin, l'État assure la formation dans les Ecoles Nationales de la Marine Marchande.

Indépendamment des dispositions du Code du travail maritime, la comparaison entre les normes nationales et celles des autres pays européens et internationaux fait apparaître des différences propres au secteur sur le nombre d'officiers et de marins à bord, la définition des postes et les diplômes requis, les possibilités de recourir à des marins de nationalité étrangère aux statuts distincts, la durée et les conditions de travail, la fréquence et l'intensité des visites de sécurité.

Les normes françaises sont réputées pour être parmi les plus exigeantes et les plus surveillées, alors que de nombreux registres d'immatriculation des navires sont excessivement laxistes. En Europe même, certains États vont jusqu'à promouvoir les facilités qu'ils ont introduites dans ce domaine pour attirer des navires et des armements (Pays-Bas, Norvège).

À défaut de l'harmonisation un moment envisagée autour d'un pavillon communautaire économique, les procédures de contrôle par l'État du port ainsi que les initiatives prises par l'Union européenne pour faire ratifier et appliquer les conventions internationales les plus avancées en matière de sécurité, visent à éliminer des eaux européennes les navires les moins sûrs. Elles n'atténuent qu'en partie les écarts qui conduisent les entreprises à faire le choix d'immatriculations étrangères, en particulier pour les navires exploités au cabotage international, où la part des coûts d'exploitation est plus importante compte tenu du prix des navires.

B. L'État actionnaire : Le déclin de la CGM manifeste l'échec de la politique de l'État actionnaire et illustre l'échec de politique maritime française.

En 1996, la Compagnie Générale Maritime (CGM) a été privatisée et acquise par la Compagnie Maritime d'Affrètement (CMA). La CGM était la seule Compagnie française d'État à l'activité transocéanique. Elle a été créée en 1977 par la fusion des Messageries Maritimes et de la Compagnie Générale Transatlantique, toutes deux compagnies au capital public depuis 1933 et 1948.

La privatisation ponctue le déclin de la compagnie. Ainsi, en 1994, la CGM n'occupait plus que la 22 ème place mondiale dans le transport de conteneurs, alors qu'elle se situait au 7 ème rang en 1979. Depuis les années 1980, la CGM a souffert à la fois de sous capitalisation et d'insuffisance de compétitivité. Ce double handicap était le résultat du processus historique qui a conduit à la marginalisation de la Compagnie. La privatisation avait pour objet de faire sortir du secteur public un actif aux résultats faibles.

- Une situation délicate

Les positions fortes de la CGM sur les axes Nord-Sud contrastent avec la faiblesse structurelle sur les axes Est-Ouest. Le réseau CGM est centré sur l'Europe. Les axes se structurent en étoile à partir de ce centre. Depuis la fin des années 1970, le réseau de la CGM est stable, alors que les concurrents, loin de disperser leurs efforts vers des relations secondaires, continuent de concentrer l'essentiel de leur flotte sur les axes Est-Ouest. En 1995, la CGM n'est plus qu'un transporteur Nord-Sud, qui agit aux périphéries de l'espace maritime, essentiellement concentré sur les « niches » de l'outre mer francophone.

La situation financière est très dégradée. Le résultat net est fortement négatif depuis 1989, passant de 61 MF à - 1006 MF de 1989 à 1994. Tous les ratios -à l'exception du chiffre d'affaires (+ 9 % entre 1989 et 1992)- se dégradent. Le ratio dette/fonds propres oscille entre 1,7 à 8,9 sur la période 1989-1994. Le recours aux financements bancaires s'est accru (+ 35,5 %). L'utilisation massive du crédit bail rend difficile la mesure de l'endettement réel de l'entreprise. En 1995, la CGM supporte 3 milliards d'endettement, dont 2 milliards de leasing sur les navires et sur son siège social à Suresnes et 400 millions de francs de pertes, malgré une dotation de l'État de 700 millions.

- La stratégie de l'entreprise

Dans les années 1970, la CGM, a effectué une adaptation technique (la conteneurisation), sans modifier ni ses structures ni sa stratégie. Elle s'est endettée lourdement au cours de ces années pour financer le renouvellement de sa flotte, ce qui a pesé de façon structurelle sur ses comptes. À partir des années 1980, la CGM ainsi que les autres grands armements placent le multimodalisme au coeur de leur stratégie, avec des enjeux terrestres qui semblent devenir plus importants que les enjeux maritimes eux-mêmes. Dans ses relations avec ses clients, l'armateur n'est plus un simple prestataire des services maritimes : son offre s'étend à la partie terrestre du transport. La CGM choisit la stratégie de la « bataille sur terre » et veut s'imposer comme prestataire d'un système de transport global. La compagnie, grâce à la transformation de ses structures internes et au développement de l'informatique et de la télématique, décentralise sa logistique. La maîtrise du transport de bout en bout devient l'enjeu. Les tentatives de rapprochement avec d'autres groupes internationaux, tels que la Nedlloyd échouent. La CGM doit alors assumer l'ensemble des coûts sans partenariat ou sous-traitance. À la fin des années 1980, la stature mondiale de la CGM apparaît de plus en plus fragile.

- La politique maritime de l'État

L'État, en particulier lors de la fusion des Compagnies Transat et Messageries maritimes, a eu pour priorité d'éviter des conflits sociaux. La CGM a, de ce fait, hérité d'effectifs beaucoup trop élevés. L'État a apporté des dotations en capital et contribué financièrement à la réalisation des plans sociaux qui ont accompagné la réduction des effectifs. Deux dotations en capital de 500 millions de francs ont été versées en 1981 et 1982. Mais dès 1983, le Ministre de l'Economie et des Finances a demandé à la CGM de réaliser des économies pour un montant de 130 millions de francs. Sur les lignes d'Extrême-Orient, des rivalités entre compagnies françaises (CGM et Chargeurs Réunis) ont fait échouer toute tentative de prise de position sur les lignes les plus dynamiques. Le rapprochement envisage au milieu des années 1980 a échoué, car la CGM ne pouvait supporter financièrement l'absorption d'une autre compagnie maritime, elle-même en difficulté. Le contexte politique 28 ( * ) n'a pas permis la nationalisation des Chargeurs. La CGM a perdu là une occasion de renforcer sa présence au sein de l'espace maritime. Les Chargeurs ont été cédés par compartiment. Les droits conférentiels de la ligne Europe/Extrême Orient ont notamment été repris par Maersk, qui a ainsi obtenu son droit d'entrée sur la ligne en croissance la plus forte. À cette occasion, les compétences du personnel en activité dans cette région du monde ont également été perdues pour le transport maritime français.

En 15 ans, l'État a versé plus de 4 milliards de francs courants, pour aboutir à une situation très dégradée. Ces fonds ont d'abord servi à compenser les déficits accumulés. La reconstitution des fonds propres est restée artificielle, car elle ne s'est pas accompagnée d'un allégement de la dette à moyen et long terme. Le poids de la dette a entraîné de lourdes charges financières qui ont pesé sur les résultats annuels et empêché toute politique ambitieuse investissement. Face à un marché en pleine recomposition et à une concurrence accrue, l'État a poussé la CGM à engager une politique de restructuration sans lui en donner véritablement les moyens. Faute de la définition d'une politique maritime française, la CGM a cumulé tous les handicaps, de la faiblesse financière aux coûts d'exploitation trop élevés.

L'objectif, à partir de 1992, est de préparer la CGM à la privatisation, décidée par l'État. La CGM réduit ses effectifs, cède des actifs non stratégiques, transfère sa flotte sous registre Kerguelen, filialise ses activités et prend une part significative du capital dans des entreprises de manutention.

* 28 Lancement du programme de privatisations par le Gouvernement dirigé par Monsieur Chirac.

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