2. Le contexte du commerce international et son incidence sur les ports français

2.1 Les trafics portuaires français ne suivent pas le développement du commerce international maritime

Au cours de la décennie écoulée, le commerce international a toujours progressé nettement plus vite que la production mondiale.

Les tendances récentes sont caractérisées par la mondialisation de l'économie, la stagnation relative du continent européen et l'émergence d'économies très dynamiques, en Asie et en Amérique Latine. Il en résulte un important trafic maritime. Les trois quarts des échanges internationaux en volume transitent par les océans donc par les ports maritimes, points d'échange des marchandises avec les transports terrestres. Au total, le trafic maritime mondial atteint en 1996 4,8 milliards de tonnes transportées (4 milliards en 1991).

Production et exportation mondiales
Variations annuelles
(en %)

Aussi, ces évolutions du commerce mondial se traduisent par l'émergence des ports asiatiques parmi les plus importantes plates-formes mondiales, surtout en ce qui concerne le trafic conteneurisé, qui est devenu en l'espace d'une trentaine d'années le vecteur prépondérant des échanges internationaux.

Liste des ports mondiaux de plus de 100 millions de tonnes

(trafic 1994, Journal de la marine marchande)

en millions de tonnes

Rotterdam

298

Singapour

290

Chiba (Japon)

174

Kobe (Japon)

171

Hong-Kong

147

Houston (E.U.)

142

Nagoya (Japon)

137

Yokohama (Japon)

128

Anvers

109

Source : Journal de la marine marchande

Trafic de conteneurs en 1995

en millions d'EVP

Hong-Kong

12,60

Singapour

11,85

Kaohsiung (Taïwan)

5,05

Rotterdam

4,80

Pusan (Corée)

4,50

Hambourg

2,90

Long Beach (E.U.)

2,80

Yokohama (Japon)

2,70

Los Angeles

2,70

Anvers

2,35

New-York

2,22

Kelang (Indonésie)

2.16

source : MOCI.

En trafic total, si Rotterdam maintient de justesse sa première place devant Singapour, les pays asiatiques deviennent prépondérants dans les échanges maritimes mondiaux.

Pour les conteneurs, les résultats sont encore plus spectaculaires, avec trois ports asiatiques en tête de liste et six ports parmi les onze premiers au-delà de 2 millions de boîtes EVP 11 ( * ) par an (à titre comparatif, Le Havre, qui représente les deux tiers du trafic conteneurisé français, vient juste de dépasser le million d'EVP en 1996 et confirme sa croissance pour les six premiers mois de 1997 avec une hausse de 15 % de ce trafic).

En ce qui concerne les ports français, la France n'a pas la place correspondant à sa situation de quatrième puissance exportatrice mondiale. En excluant le trafic intra-communautaire dont l'essentiel des échanges est assuré par mode terrestre, la France n'apparaît plus que comme la douzième nation exportatrice mondiale (le Royaume-Uni n'est plus la cinquième, mais la dixième, l'Allemagne n'est plus la deuxième, mais la troisième, etc.), ce qui resitue la position relativement faible du maritime au regard du commerce extérieur (et montre le degré élevé d'intégration à l'Union européenne). En outre, une part non négligeable de son trafic transite par les ports des pays voisins (voir ci-après).

2.2 La prépondérance des ports du Nord européen s'explique principalement par l'importance de leur arrière-pays

La part du commerce international de l'Union européenne faite par transport maritime représente 30 % en valeur et 75 % en poids, ce qui montre le rôle important joué par ce mode dans les échanges. L'examen des trafics des grands ports européens met rapidement en évidence le rôle joué par les ports de la « rangée » nord européenne, c'est-à-dire par la zone côtière s'étendant le long de la rive sud de la Manche et de la mer du Nord.

En 1996, on avait par ordre de trafic décroissant :

en millions de tonnes

Rotterdam

292

Anvers

107

Marseille

91

Hambourg

71

Le Havre

56

Amsterdam

55

Londres

53

Gênes

46

Dunkerque

35

Comme le montre la carte des densités de population, cette prépondérance traduit la situation géographique exceptionnelle au débouché de l'artère rhénane : les ports sont grandement tributaires de leur arrière-pays et l'axe fort d'industrialisation de l'Europe s'étend de Londres à Milan en passant par le Benelux et la Ruhr. Les grands ports du Nord que sont Rotterdam, Anvers et dans une moindre mesure Hambourg, sont adossés à un arrière-pays riche, à haute densité démographique, bénéficiant d'une industrie puissante et équipé d'un réseau d'infrastructures de communication performant. En revanche, la faible densité d'activités de leur arrière-pays explique pourquoi les ports de l'Atlantique-ouest et de Méditerranée occidentale ne jouent qu'un rôle limité. De plus, la concurrence entre les ports n'est pertinente que dans les limites de proximité des hinterlands.

2.3 La redistribution des cartes en Méditerranée : la création des « hubs »

En raison de l'éloignement des hinterlands les plus riches et les plus denses d'activités, les ports méditerranéens ont une activité moindre que leurs homologues du Nord. Ils ont gardé néanmoins un trafic spécifique avec l'Afrique et le Proche-Orient et, surtout, restent desservis par les lignes

Densités en Europe occidentale autour de 1990

Source : DATAR, « Le peuplement de l'Europe » , Hervé Le Bras, 1996.

régulières de conteneurs entre l'Asie et l'Europe dont les lignes « tour du Monde ». Cependant, les armateurs de navires porte-conteneurs, pour mieux rentabiliser leur exploitation, choisissent de n'escaler que dans un petit nombre de ports, voire un seul port, la marchandise étant transférée sur des navires plus petits : les « feeders »

L'intérêt de l'opération résulte de l'économie d'exploitation réalisée par le navire-mère, porte-conteneurs pouvant atteindre des dimensions gigantesques, malgré les coûts supplémentaires du transbordement et du transport sur les navires « feeders » de moindre capacité. Afin d'accroître l'intérêt économique de l'opération, les ports situés directement sur l'axe de circulation Suez-Gibraltar sont mieux à même d'accueillir les grandes lignes et deviennent ainsi des « hubs », c'est-à-dire des plates-formes d'éclatement des trafics de conteneurs, chargées d'approvisionner les autres ports ou de desservir directement leur hinterland.

Il est clair que cette nouvelle distribution maritime est grandement défavorable aux ports situés sur l'Adriatique ou le golfe du Lion, comme Trieste, Gênes et Marseille, qui risquent de devenir des ports « feedenses » au bénéfice des « hubs » desservis directement par les grandes lignes océaniques comme Algesiras, Malte, Gioia Tauro en Calabre et Chypre. Le développement des trafics de conteneurs de ces ports au cours des dernières années est tout-à-fait significatif à cet égard :

en 1991

en 1996

Algesiras

5,5 Mt

13,8 Mt

Gioia Tauro

0 (en 1994)

7,5 Mt

Dans le même temps, le trafic conteneurisé de Marseille progressait beaucoup plus modestement de 4,9 Mt en 1991 à 5,8 Mt en 1996 et était même dépassé par celui de Gênes qui passe de 3,3 Mt à 7,3 Mt pendant la même période.

2.4 Les pertes de parts de marché des ports français en raison des « détournements de trafic »

Le trafic global des ports français a connu une évolution caractérisée par :

Une forte progression de 1960 à 1974 qui passe de 88 Mt en 1960 à 313 Mt en 1974, un passage à un maximum de 330 Mt en 1979, un reflux à 267 Mt en 1983, puis une stabilisation autour de 300 Mt depuis la fin des années 1980.

Un déséquilibre marqué entre les entrées (75 % du trafic) et les sorties qui s'explique par les importations d'hydrocarbures et de vracs solides (charbon, minerais).

La substitution, au cours des vingt dernières années principalement de marchandises diverses et de vracs solides à des trafics pétroliers et produits énergétiques en baisse.

Des pertes de parts de marché par rapport aux ports voisins et concurrents européens.

En 1996, le trafic global des ports français métropolitains s'élevait à 298,3 Mt, en progression de 0,6 % par rapport à l'année précédente. Le trafic des ports autonomes représente 77 % du total, celui des ports d'intérêt national 20 %.

La substitution des marchandises diverses aux vracs liquides et pondéreux énergétiques a un effet bénéfique sur l'économie des ports. Les premiers sont des produits de faible valeur par rapport à leur poids, alors que les seconds sont des marchandises conditionnées de prix plus élevés et susceptibles de générer davantage de valeur ajoutée lorsque certaines opérations de distribution sont effectuées sur place.

À titre indicatif, le trafic d'hydrocarbures représentait 210 Mt en 1973, 170 Mt de 1974 à 1981 et reste inférieur à 140 Mt depuis 1983 (à signaler cependant que le trafic de gaz liquéfié a progressé de 2 à 9 Mt au cours des vingt dernières années). En compensation, les vracs solides ont augmenté de 45 Mt en 1979 à 70 Mt en 1996 et les marchandises diverses de 30 Mt à 75 Mt actuellement.

Le trafic de conteneurs a progressé également de façon notable, mais à un rythme moindre que celui des autres ports européens. Avec 18,3 Mt, le trafic total des conteneurs des ports français est nettement inférieur à celui de chacun des trois grands ports européens de trafics conteneurisé : Rotterdam 53,4 Mt, Hambourg 31 Mt et Anvers 29,5 Mt. Cette situation est d'autant plus dommageable qu'il s'agit du trafic qui conditionne grandement l'avenir international des ports. À titre indicatif, le marché européen des conteneurs a triplé au cours des quinze dernières années et, sur le « range » nord européen, Le Havre, meilleur port français avec 9,5 Mt en 1996, est passé de 12 à 8 % de part de marché.

Les pertes de part de marché sont plus faciles à mettre en évidence sur le long terme qu'à court terme. En effet, en rappelant la situation relative des grands ports européens en 1981, on se rend compte que les deux grands ports français sont les seuls à avoir vu leur situation relative se dégrader, avec la circonstance aggravante, rappelée ci-dessus, d'avoir pris du retard dans les trafics à forte valeur ajoutée 12 ( * ) (marchandises diverses, conteneurs, vracs spécifiques).

Rotterdam 244 Mt (n° 1 en 1996 avec 292 Mt)

Marseille 96 Mt (n° 3 en 1996 avec 91 Mt)

Anvers 80 Mt (n° 2 en 1996 avec 107 Mt)

Le Havre 72 Mt (n° 5 en 1996 avec 56 Mt)

Hambourg 61 Mt (n° 4 en 1996 avec 71 Mt)

Gênes 47 Mt

Londres 44 Mt

Les rapports « fact-finding » (base de données établies par enquête auprès des principaux ports européens) établis depuis 1974 par l'organisation des ports maritimes européens (ESPO), par enquête directe auprès de 80 autorités portuaires, confirment ces pertes relatives de part de marché, la part des ports français passant de 19 % en 1975 à 16 % en 1984 et 14 % en 1994.

Cependant, en excluant le trafic des hydrocarbures (disponibles pour quatre pays seulement), la part des ports français semble stabilisée.

À moyen terme, sur la période 1990-1996, l'évolution des trois grands ports français se situe dans la moyenne stable des autres grands ports européens : pas d'envolée spectaculaire, ni d'effondrement catastrophique.

Trafic total (en millions de tonnes)
Évolution 1990-1996

1990

1996

Indice

base 100 = 1990

Rotterdam

287,9

292,0

101

Anvers

102,0

106,5

104

Marseille

90,3

90,7

100

Hambourg

61,4

71,1

116

Le Havre

54,0

56,2

104

Amsterdam

49,2*

54,7

111

Londres

49,5*

52,7

106

Gênes

41,9

45,9

110

Dunkerque

36,6

34,9

96

Algesiras

28,0 *

34,2

122

Brème

30,2

31,6

105

Zeebrugge

30,3

28,5

94

* chiffres 1991 source : DTMPL

En revanche, le trafic conteneurisé des ports français reste à la traîne au niveau européen. On verra que les retards pris pour changer le régime de la manutention datant de 1947 ont contribué à cette situation. Depuis 1994, il est cependant reparti à la hausse sans toutefois avoir pu résorber son retard en terme de parts de marché. Il y a lieu aussi de signaler que dans les ports d'éclatement du trafic (« hub »), les conteneurs « feederisés » sont comptés deux fois (en entrée et en sortie) à chaque passage.

Trafic conteneurisé des six ports autonomes

Trafic conteneurisé (en millions de tonnes)

1990

1996

Indice

base 100 = 1990

Rotterdam

39,33

53,45

136

Hambourg

19,59

31,05

159

Anvers

16,30

29,46

181

Brème

11,43

45,69

137

Algesiras

5,54 *

13,78

249

Le Havre

8,34

9,52

114

Valence

3,58

7,80

218

Barcelone

4,58

7,63

167

Gênes

2,99

7,33

245

Zeebrugge

3,95

6,26

159

Marseille

5,37

5,77

107

Londres

2,98 *

3,93

132

* chiffres 1991

Les trafics détournés, c'est-à-dire les trafics en provenance ou à destination du territoire français et transitant par des ports étrangers (essentiellement Anvers ou Rotterdam), ont fait l'objet de considérations mettant en avant les caractères anormal et préjudiciable de cette situation, favorisée en outre par le développement plus marqué en France des axes autoroutiers Nord-Sud ou par les conflits sociaux de longue durée qui sévissent dans les ports français.

Il est plaisant de remarquer sur ce thème que les responsables du port d'Anvers se plaignent amèrement qu'une part importante des marchandises wallonnes sont « détournées » par le port de Rotterdam. Depuis 1992, l'ouverture totale des frontières et la disparition des statistiques douanières ont atténué les récriminations. De plus, ces « détournements » limitent la vulnérabilité des ports lors des conflits sociaux de longue durée. La dernière année connue, le trafic français détourné était estimé à 20 Mt, soit 7 % du trafic total, ce qui est relativement modeste. Cependant, en valeur, ce trafic représentait 21 % de l'ensemble, ce qui s'explique, d'une part, par la nature des trafics captifs dans les ports français (peu de marchandises diverses) et, d'autre part, par le fait que les marchandises à haute valeur ajoutée sont sans doute plus sensibles à la fiabilité et à la qualité du service.

En 1989, la banque de données SITRAM (Système d'information sur les transports de marchandises) a analysé le trafic maritime français par région et par port. Il apparaît que les régions les plus « disputées » par les ports d'Anvers et Rotterdam sont par ordre de décroissance :

la Lorraine avec

62 % de son trafic en valeur

la Champagne-Ardenne

42 %,

le Nord

40 %,

la Picardie et l'Alsace

35 %,

la Bourgogne

31 %,

l'Île-de-France

24 %,

la région Rhône-Alpes

17 %.

Cette liste montre bien l'influence décisive du facteur géographique de proximité et des infrastructures de transport terrestre à la fois fluviales (le Rhin, la Meuse et l'Escaut) et autoroutières, et relativise le caractère « détourné » du trafic correspondant. Le port « naturel » de transit est bien celui qui offre le meilleur compromis prix-temps-qualité de service pour le trajet de bout au bout (c'est-à-dire y compris les acheminements terrestres et le parcours maritime).

Au total, les responsables du transport de marchandises agissent en fonction de leur intérêt économique et l'objectif parfois évoqué de reconquête du trafic ne peut concerner qu'une fraction des trafics considérés comme détournés, de l'ordre de quelques millions de tonnes en volume de marchandises. Toutefois, la haute valeur ajoutée de ces trafics fait que le jeu en vaut la chandelle, d'autant plus qu'une meilleure compétitivité de nos ports serait de nature à y attirer un trafic de transit pour les pays sans littoral. Au contraire, l'absence de compétitivité entraînerait des délocalisations d'industries des zones portuaires qui seraient lourdes de conséquences pour l'économie.

* 11 EVP : Équivalent vingt pieds, unité de mesure des trafics conteneurisés correspondant à la longueur d'un conteneur standard.

* 12 Le trafic de conteneurs est réputé être à forte valeur ajoutée. Cela n'est vrai que s'il induit des activités annexes de traitement de la marchandise (logistique). Le passage dans un port ou à travers un territoire n'apporte qu'une valeur ajoutée faible limitée au transport.

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