4. Les trafics des ports français

4.1 Décroissance des hydrocarbures et émergence des marchandises diverses

Comme indiqué précédemment, le trafic commercial de marchandises dans les ports français métropolitains est de 300 millions de tonnes par an, soit autant que Rotterdam, premier port mondial. Les optimistes apprécieront la masse globale, les pessimistes remarqueront la dispersion de ce résultat sur plusieurs dizaines de ports. Ce trafic stagne depuis 1973, avec des hauts (maximum 331 Mt en 1979) et des bas (minimum 267 Mt en 1983), alors que la période précédente avait été témoin de progressions spectaculaires. Le trafic était en effet passé de 50 Mt en 1950 à 100 Mt en 1962 pour ensuite croître en moyenne de 10,5 % par an jusqu'en 1973, année du premier choc pétrolier.

Les tonnages totaux sont en effet fortement influencés par les trafics de produits pétroliers, principalement des importations de produits pétroliers bruts. Au total, les produits pétroliers s'élèvent à 140 Mt, dont 125 Mt à l'importation, ce qui explique largement pourquoi, tous produits confondus, les entrées dans les ports (215 Mt) sont très supérieures aux sorties (82 Mt). Le trafic pétrolier, quant à lui, est passé de 50 Mt en 1960 à 214 Mt en 1973, puis a stagné aux alentours de 190 Mt après le choc pétrolier, pour chuter à 150 Mt avec le second choc pétrolier. Depuis lors, le trafic pétrolier est en lente régression, s'étant élevé à 139 Mt en 1995.

Les trafics autres que les produits pétroliers (autres vracs liquides, vracs solides, marchandises diverses) sont quant à eux en progression plus nette (41 Mt en 1961, 81 Mt en 1973, 130 Mt en 1980, 155 Mt en 1989), mais en stagnation depuis lors. Cette progression globale est surtout due aux marchandises diverses (75 Mt en 1995 contre 30 Mt en 1973, soit un taux de progression annuel de 7,9 %). Parmi les marchandises diverses, le trafic de conteneurs (17 Mt en 1995 mais 18,3 Mt en 1996), qui est considéré comme un trafic d'avenir, porteur de forte valeur ajoutée, ne croît que de 2,9 % par an de 1987 à 1995 (contre 3,7% pour l'ensemble des marchandises diverses).

Trafic des ports métropolitains

Au total, sur la dernière période, la stagnation globale est le résultat d'une lente décroissance du trafic pétrolier, amorti par une progression des marchandises diverses.

4.2 Des perspectives de trafic en croissance, surtout pour les marchandises diverses

Le Service économique et statistique (SES) du ministère des Transports a élaboré en 1996 le document « Perspectives d'évolution de la demande de transports à l'horizon 2015 » , destiné à l'élaboration des schémas directeurs d'infrastructures de transport prévus par la loi d'orientation du 4 février 1995. Les projections de trafic contenues dans cette étude sont principalement fondées sur trois scénarii de développement économique, qui se différencient essentiellement par l'ouverture de l'économie française aux marchés extérieurs qui conditionne la vigueur de sa croissance. De ce fait, le scénario intitulé « Monde » suppose une croissance du PIB de 2,9 % par an entre 1993 et 2015, le scénario « Europe », de 2,4 % par an et le scénario « France », de 1,9 % par an. Le tableau ci-après indique les prévisions de croissance des importations et des exportations pour chaque scénario.

Taux de croissance annuel moyen

1973-1993

Scénarios 1993-2015

« Monde »

« Europe »

« France »

Importations

3,4 %

5,6 %

4,4 %

3,1%

Exportations

4,4 %

5,9 %

4,5 %

2,6 %

L'application de ces données de base au trafic portuaire, effectuée par la Direction des ports, aboutit à la conclusion que le trafic entre 1994 et 2015 pourrait croître en moyenne de 0,6 à 2,7 % par an, ce qui correspond à une fourchette assez large de 345 à 530 Mt en 2015 (voir tableaux ci-après).

Tableau des évolutions projetées
des trafics portuaires à l'horizon 2015

Chapitre NST
Imports + exports

Évolution annuelle

1974-1994

Tonnage 1994

Taux de moyen croissance annuelle 1994-2015 (en %)

Monde

Europe

France

Pr. agricoles animaux vivants

+ ,5 %

19,1 Mt

+ 2,4

+ 1,4

+ 1,6

Denrées aliment et fourrages

+ ,6 %

15,9 t

+ 3,8

+ 2,8

+ 2,1

Combustibles minéraux solides

+ ,8 %

11,3 Mt

+ 4,0

+ 1,4

+ 0,3

Produits pétroliers

-1,9%

146,2 Mt

+ 1.6

+ 0,7

-0,2

Miner. & déchets pr la métall.

+ ,4 %

21,3 Mt

+ 1,5

+ 0,8

+ 0,0

Produits métallurgiques

+ 1,7%

5,6 Mt

+ 1.8

+ 1,0

- 0,2

Minéraux et mat. de construction

+ ,6 %

12,0 Mt

+ 0,5

+ 0,2

- 0,1

Engrais

- 1,2%

6,0 Mt

-0,1

-0,2

- 0,4

Produits chimiques

+ ,9 %

11,7 Mt

+ 5,1

+ 3,5

+ 2,5

Produits manufacturés

+ ,3 %

44,2 Mt

+ 5,7

+ 3,1

+ 1,4

Trafic total

+ ,0 %

303,3 Mt

+ 2,7

+ 1,3

+ 0,6

Source : SES, ministère des Transports, septembre 1996

En supposant que le mode de conditionnement des produits reste stable dans les vingt prochaines années par filière de marchandises, l'étude a calculé des projections de trafic par mode de conditionnement, d'après les projections obtenues par filières de marchandises. Les résultats en seraient les suivants (voir tableau ci-après).

Mode de conditionnement

Taux de croissance annuelle
moyen 1994-2015 (en %)

Scénarios

« Monde »

« Europe »

« France »

Vracs liquides

+ 1,9

+ 0,9

+ 0,0

Vracs solides

+ 2,3

+ 1,2

+ 0,7

Marchandises diverses

+ 4,9

+ 3,1

+ 1,4

dont conteneurs

+ 4,6

+ 3,0

- 1,6

Source : SES, ministère des Transports, septembre 1996

Un exercice du SES réalisé avec les mêmes hypothèses conduit à des projections égales ou légèrement supérieures à celles de la Direction des ports.

Les trafics de marchandises diverses pourraient ainsi croître de 1,5 % a 5,0 % par an, selon les différents scénarios envisagés, stimulés par la croissance des économies dynamiques d'Asie, de la Chine, de l'Inde et de l'Indonésie, qui selon une étude récente de l'OCDE, devraient réaliser en 2010 plus de 45 % de la production mondiale.

4.3 Les six ports autonomes et Calais traitent l'essentiel du trafic

La deuxième partie de ce rapport exposera les différences de statuts entre ports français qui distinguent les ports autonomes (PA), les ports d'intérêt national (PIN) et les autres ports.

Bien que la pertinence de ces appellations puisse être sujette à discussion

- les PIN (ainsi que certains PA) n'ont, en général, qu'une fonction régionale -, elles traduisent en tout cas la hiérarchie des trafics puisque les six PA métropolitains (Dunkerque, Le Havre, Rouen, Nantes-Saint-Nazaire, Bordeaux et Marseille) totalisent 78 % des tonnages avec 233 Mt, alors que pour les dix-sept PIN, le pourcentage est de 20 % avec 61 Mt et pour les autres ports de moins de 2 % avec 4,8 Mt. Ces pourcentages sont a moduler lorsqu'on considère que le trafic des produits pétroliers, très largement contraint par la demande nationale, est concentré à 94 % dans les PA ; trafics pétroliers exclus, ils deviennent respectivement égaux à 63 %, 34 % et 3 %.

Par ailleurs, la position des PIN est plus forte en matière de trafics de marchandises diverses, à plus forte valeur ajoutée, puisqu'ils voient passer 50 % de ces trafics (avec 37 Mt), ces bonnes positions étant surtout le fait des marchandises diverses autres que conteneurs, puisque, pour ces derniers, les PA totalisent 98,8 % du trafic total (18,3 Mt).

Dans cette analyse, le PIN de Calais occupe une place particulière par son trafic total (24,9 Mt en 1996) supérieur ou égal à trois PA sur six :

- par la proportion de ce trafic occupée par les marchandises diverses (96 %)

- par l'origine ou la destination de ce trafic principalement transmanche (à l'instar d'autres ports, tel Boulogne sur Mer qui a beaucoup souffert du Tunnel sous la Manche avec une baisse de 44 % en 1995).

- par l'importance de son trafic passagers pour ou en provenance de l'Angleterre (18 millions).

Le PA de Marseille-Fos (90,7 Mt en 1996), premier port français en tonnage, seul grand port français de la Méditerranée, a vu passer 62,3 Mt de produits pétroliers, soit 69 % de son trafic, ce qui atténue les performances relatives des autres produits. Il voit néanmoins passer 13,7 Mt de vracs solides (2ème place française), 11,7 Mt de marchandises diverses (3ème place française), dont 5,8 Mt de conteneurs (2ème place française). Ces derniers parviennent de plus en plus par navire feeder après avoir été dégroupés dans un autre port méditerranéen (technique du « hub »).

Le PA du Havre (56 Mt en 1996), premier port français de la façade atlantique, jouit d'un positionnement intéressant dans le « Northern Range » (ports situés entre Le Havre et Hambourg sur la Mer du Nord), puisque premier desservi par les lignes régulières à l'aller, et dernier desservi au retour. Comme Marseille, l'essentiel de son trafic (65 %) est compose de produits pétroliers destinés principalement au raffinage.

Il conserve néanmoins un important trafic de « diverses » (13,6 Mt), dont l'essentiel (70 %) consiste en un trafic de conteneurs (1er port français, avec un chiffre dépassé de 1 million d'EVP 13 ( * ) en 1996).

Le PA de Rouen (18,1 Mt) est situé côté amont de l'estuaire de la Seine et jouit d'une situation privilégié par sa proximité du marché parisien. À l'exportation, Rouen est le premier port céréalier d'Europe.

Le PA de Nantes-Saint-Nazaire (24,7 Mt) voit passer également une proportion de 61 % de produits pétroliers.

Port autonome de Nantes-Saint-Nazaire

Trafic des hydrocarbures (en millions de tonnes)

Le PA de Bordeaux (8,7 Mt) a vu son trafic baisser considérablement depuis la fermeture de trois raffineries de pétrole. Néanmoins, le trafic de produits pétroliers (voir graphique) représente 51 % de ses tonnages principalement grâce à des entrées de produits raffinés. Comme pour Nantes-Saint-Nazaire, sa zone d'influence est surtout régionale.

Port autonome de Bordeaux

Trafic des hydrocarbures (en millions de tonnes)

Le PA de Dunkerque (39,4 Mt en 1995, mais 34,9 Mt en 1996) se caractérise par d'importantes entrées de vracs solides (18,1 Mt) destinées à ses usines de sidérurgie et d'aluminium. Il a souffert de l'ouverture du Tunnel sous la Manche, notamment pour le trafic de passagers et de voitures accompagnées. Les évolutions du trafic 1997 marquent une progression probable du fret de 12 %, dont plus de 30 % pour les marchandises diverses.

4.4 Les risques de concurrence interne et les possibles complémentarités entre ports français

Les différentes catégories de trafic sont chacune partiellement substituables d'un port à l'autre, d'une part, parce que ceux-ci disposent d'installations destinées à un même usage, d'autre part, parce que les zones de dessertes (les hinterlands) ont des zones de recouvrement entre ports. C'est ainsi que s'observent des situations de concurrences mutuelles entre deux ou plusieurs ports. De telles situations, propres à générer chez chacun d'eux, des efforts de compétitivité, sont recevables lorsqu'il s'agit de concurrence entre deux ports de pays différents et elles sont même encouragées par l'Union européenne qui a pris acte de la dimension concurrentielle de 1'activité portuaire. Elles seraient également compréhensibles entre deux ports français si le marché était parfait et si n'intervenaient pas des financements publics.

Cela n'étant pas le cas, il est hautement souhaitable que des investissements et certaines actions commerciales dans des ports voisins soient cordonnées de manière à éviter des surinvestissements ou des doubles emplois.

En matière de coopération entre ports, l'exemple le plus souvent cité comme étant souhaitable est celui du Havre et de Rouen, tous deux proches et situés dans l'estuaire de la Seine - leur fusion ayant été envisagée à une époque - et dont les activités sont complémentaires pour la plupart, concurrentes pour certaines d'entre elles.

Sans anticiper sur la description des investissements portuaires, qui sera évoquée plus loin, on peut remarquer que l'important projet de terminal à conteneurs du Havre, appelé « Port 2000 », qui pourrait mobiliser 1,4 milliard de francs, coexiste avec le projet du port de Rouen d'un terminal à conteneurs et marchandises diverses (qui serait certes positionné sur les trafics Nord-Sud), ainsi d'ailleurs (toutes proportions gardées) qu'avec la plate-forme multimodale de Brest (66 MF dont 30 % de FEDER) qui aurait l'ambition de devenir un centre d'éclatement de conteneurs.

De même, le port de Rouen a participé financièrement à la création d'un terminal sucrier qui concurrence directement celui du Havre, qui l'a précédé de quelques années.

Dans un autre ordre d'idée, on peut observer des développements concurrents et incompatibles d'informatique portuaire (PROTIS à Marseille, ADEMAR au Havre, ARCANTEL en projet pour les ports atlantiques).

Ainsi, sans renier les effets vertueux de la concurrence bien comprise, plusieurs intervenants pensent qu'il serait souhaitable que les pouvoirs publics incitent à un rapprochement de certains groupes de ports voisins. Le rapport Dupuydauby, en 1995, proposait un développement commun entre, d'une part, Dunkerque, Boulogne et Lille (port fluvial), d'autre part, Le Havre et Rouen.

Aussi, sans aller jusqu'à la solution de la fusion, les ports de Rouen et du Havre ont recréé, en 1996, une Commission interportuaire de la Basse-Seine, placée sous la présidence commune des Préfet et Président de région. Cette commission a avalisé un GIE préconisé par le rapport Franck qui permettra d'avancer dans des mesures de coordination souhaitables. Les projets de ce GIE sont notamment :

- une amélioration du service de trafic maritime,

- une coordination en matière de dragage,

- des études techniques et économiques communes,

- un nouveau développement de l'outil informatique ADEMAR,

- un code de bonne conduite entre les deux ports en matière de tarifs et d'investissements.

* 13 EVP : Equivalents vingt pieds ou TEU : Twenty équivalent units ; unité de mesure du nombre de conteneurs rapportée au conteneur standard de vingt pieds de longueur.

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