5. L'économie des ports et du passage portuaire

5.1 L'importance économique directe : forte décroissance des emplois et part très limitée de la dépense de transport

L'importance économique directe des ports peut être appréciée par quelques éléments quantitatifs 14 ( * ) tels que ceux décrivant leur rôle dans le commerce extérieur ou les emplois directs générés. Ils peuvent être également mesurés par des flux monétaires, ce que permet depuis peu la mise au point en cours du compte satellite des transports élaboré sous l'égide de la Commission des comptes des transports de la nation.

En ce qui concerne le commerce extérieur, la valeur des marchandises importées ou exportées par les ports français a été en 1991 de 625 milliards de francs, dont un peu plus des 2/3 par les ports autonomes (31 % par le seul port du Havre). Les ports maritimes assurent la moitié du tonnage de commerce extérieur et un peu moins du quart en valeur. À noter que la valeur des marchandises transitant par Anvers et Rotterdam est de 161 milliards de francs (valeur 1989

Les emplois portuaires directs concernent le personnel des établissements portuaires et des professions portuaires des six PA et des 17 PIN estimés en 1991 à 45 400 et en 1995 à 29 500 (voir tableaux ci-après).

Emplois portuaires directs métropolitains en 1991

Ports autonomes

Ports d'intérêt national

Total

Établissements portuaires

- personnels des ports autonomes

- personnels des CCI

6 800

1 500

6 800

1 500

Professions portuaires

- pilotage, remorquage, lamanage

- agences maritimes, consignation et courtage, transit et commissionnaires en douane

- armements

- manutention

- dockers

- divers (gardiennage, avitaillement, pompiers...)

2 000

8 800

4 600

3 800

6 600

2 700

500

1 700

2 100

900

1 700

100

2 500

10 500

6 700

4 700

8 300

2 800

Totaux

35 300

10 100

45 400 (*)

Source : Direction des ports et de la navigation maritimes

(*) non compris les services administratifs (douanes et police portuaire).

Emplois portuaires directs métropolitains en 1995

Ports

autonomes

Ports d'intérêt

national

Total

Établissements portuaires

- personnels des ports autonomes

- personnels des CCI

5 730

5 730

1 490

1 490

7 220

5 730

1 490

Professions portuaires

- pilotage, remorquage, lamanage

- armements, agences maritimes,

consignation et courtage, transit et

commissionnaires en douane

- manutention

- dockers mensualisés et

intermittents actifs

- divers (gardiennage, avitaillement,

pompiers...)

17 374

1 960

9 769

715

3 123

1 807

4 940

490

3 539

161

643

107

22 314

2 450

13 308

876

3 766

1 914

Totaux (*)

23 104

6 430

29 534

Source : enquêtes de la Direction du Transport Maritime, des Ports et du Littoral

(DTMPL).

(*) non compris les services de l'État (douanes, police portuaire, etc.).

La comparaison des tableaux 1991 et 1995 pose un certain nombre de problèmes techniques. Le premier, réalisé il y a plusieurs années, semble contenir des doubles comptes, le second résulte d'une étude rapide que vient d'effectuer la DTMPL moyennant quelques hypothèses sur les personnels des entreprises de manutention (hors dockers). Néanmoins nous pouvons constater qu'entre les deux années, les effectifs ont baissé sensiblement, du fait notamment de la réforme de la manutention (3 766 dockers au lieu de 8 300), et des efforts de productivité des établissements portuaires autonomes. Les autres métiers liés aux ports ont également régressé significativement en matière d'effectifs.

Le compte satellite des transports, dont les plus récentes précisions ont été fournies en mars 1997, présente une estimation des dépenses courantes et en capital pour chaque mode disponible en l'état actuel pour les seules années 1987 et 1992. La dépense courante est dite nationale lorsqu'elle se réfère aux dépenses réalisées en France ou à l'étranger par des agents économiques résidant en France, elle est dite intérieure lorsqu'elle porte sur les dépenses en France des résidents et des non-résidents, ce qui correspond bien aux activités des professions portuaires. Sur ces bases et en francs courants, la dépense courante intérieure de passage portuaire s'élève en 1992 à 8,2 milliards de francs, tandis que la dépense en capital (investissements) s'élève à 1,6 milliards de francs (voir tableau ci-après).

Dépenses intérieures de passage portuaire en 1987 et 1992

en millions de francs courants

1987

1992

Dépense courante

6 550

8 202

gestion des ports

3 659

4 381

Valeur ajoutée des professions portuaires

2 891

3 799

autres transferts non pris en compte

0

22

Dépense en capital

1 206

1 623

gestion des ports

808

1 321

dont transferts administrations publiques

354

423

Autres professions portuaires prises en compte

398

301

Source SES

Ce chiffre de 8,2 milliards de francs de dépense courante 1992 est sous-estimé, car il ne prend pas en compte certaines prestations et, en particulier, le pilotage, le remorquage et le lamanage. Un ordre de grandeur de 9,5 milliards de francs serait plus représentatif de la réalité.

On voit sur le tableau que la gestion des établissements portuaires proprement dite est le poste le plus important pour la dépense courante (53 %) et surtout pour la dépense en capital (81 %).

Il n'en reste pas moins que tous ces montants apparaissent de très faibles niveaux par rapport au produit intérieur brut 1992 (soit 7 000 milliards de francs), ainsi que par rapport aux autres secteurs de transport, y compris l'ensemble du maritime. Le tableau ci-après illustre ce point en détaillant pour 1992 la dépense courante nationale des transports (qui en toute rigueur ne devrait pas être comparée directement à la dépense intérieure), ainsi que la dépense en capital.

Dépense

courante

Dépense en capital

en milliards de francs

en %

en milliards de francs

en %

Route

836,5

82,1

267,6

80,5

Fer

63,3

6,2

33,6

10,1

Transport en commun urbains

28,6

2,8

10,1

3,0

Transport aérien

57,7

5,6

13,1

3,9

Transport maritime

27,9

2,7

7,0

2,1

Transport fluvial

3,6

0,3

0,7

0,2

Conduites

2,1

0,2

0,3

0,1

Total

1 019,8

100 %

332,4

100 %

Source : Compte satellite des transports (CCTN)

5.2 Les effets indirects et les difficultés de leur interprétation

Les effets indirects des investissements portuaires le plus souvent étudiés sont la valeur ajoutée, ainsi que le nombre d'emplois générés, qui sont évidemment liés.

5.2.1 Essais d'évaluation de la valeur ajoutée

Des études ont été menées entre 1988 et 1992 à Dunkerque, Nantes et Rouen sur la valeur ajoutée portuaire. À Dunkerque, les mesures ont porté sur l'aire de la communauté urbaine ; à Rouen, sur les 102 communes du « grand Rouen » ; à Nantes, sur l'ensemble de la région Pays-de-Loire. Cette dernière étude comporte aussi une évaluation de l'excédent brut d'exploitation

L'étude de Dunkerque ne prend pas en compte les entreprises installées dans la zone portuaire, mais dont les trafics ne passent pas par le port. Elles ont été classées en cinq catégories selon leur degré de dépendance par rapport au port. La valeur ajoutée totale est d'environ 15 milliards de francs (GF) se décomposant en :

total industrie 10,08 GF

centrale nucléaire 3,41 GF

total tertiaire non portuaire + pêche 0,34 GF

total tertiaire portuaire 1,11 GF

Il est constaté que l'administration du port autonome représente 27,6 % de la valeur ajoutée tertiaire portuaire.

Une étude analogue a été menée sur le port de Saint-Malo.

L'étude de Rouen a estimé une valeur ajoutée générée en 1988 de 6,9 milliards de francs se décomposant en :

port autonome 0,3 GF

services portuaires 1,0 GF

activités induites de service aux entreprises

et aux particuliers 0,7 GF

activités industrialo-portuaires 4,9 GF

On notera ici aussi le multiplicateur important entre le total et l'activité portuaire proprement dite (rapport de 5,3 et pour Dunkerque de 13,5).

L'étude entreprise sur Nantes et la Basse-Loire est assise sur des trafics portuaires, avec pour résultats pour l'année 1988 :

valeur ajoutée : 8,1 milliards de francs

excédent brut d'exploitation : 1,8 milliard de francs

Le poids des retombées industrielles est là aussi prépondérant par rapport à la fonction portuaire proprement dite et aux effets sur le commerce et les services puisqu'elles représentent 81 % de la VA et 66 % des emplois. Par catégories professionnelles, l'analyse de la valeur ajoutée met en évidence la part prépondérante des auxiliaires à la marchandise. De même une analyse de la répartition de la valeur ajoutée par secteurs a pu être menée à bien.

Cette étude a eu un prolongement en 1991 avec l'adjonction de la région Bretagne. En outre, une étude complémentaire portant sur 201 sociétés liées à l'activité portuaire en Basse Loire a permis d'évaluer le montant des taxes professionnelles à 287 MF. Ces travaux ont été repris et affinés en 1995 et seront mis à jour en 1997.

Source : audition Pr Marcadon (groupe Ports)

Il convient d'évoquer les difficultés rencontrées pour mesurer la part de la valeur ajoutée aux différents niveaux de la production industrielle. Les mesures entreprises ne peuvent donc être que partielles et ne représenter que des ordres de grandeur.

Au total, les méthodes de détermination de la valeur ajoutée sont encore en France très largement dans les limbes 15 ( * ) . Chaque port a tendance à estimer la sienne et l'étude dunkerquoise en a conduit plusieurs à réestimer leurs chiffres pour maintenir la hiérarchie établie. Il conviendrait à tout le moins que ces calculs deviennent plus rigoureux. Une étude s'avère nécessaire pour déterminer des critères objectifs de calcul. C'est pourquoi un groupe de travail constitué au niveau de l'association des ports européens tente d'élaborer une méthodologie commune. En attendant, et sur la base d'une extrapolation grossière des études actuelles, on a pu estimer que la valeur ajoutée produite par l'ensemble des ports maritimes français est de l'ordre de 120 milliards par an 16 ( * ) .

Ce chiffre est considérable et peut laisser craindre que le même raisonnement sur la valeur ajoutée, s'il était appliqué à l'ensemble des activités nationales, ne produise in fine des doubles comptes. En effet, affecter à l'ensemble portuaire une valeur ajoutée suppose qu'on ne l'affecte pas par ailleurs à une autre activité qui pourrait tout aussi légitimement la revendiquer, comme par exemple la marine marchande, les modes de pré/post acheminement ou même l'existence de l'énergie électrique.

En définitive, la mesure la plus rigoureuse, moins contestable aujourd'hui, est probablement celle de la valeur ajoutée dans l'enceinte portuaire et ses abords immédiats. Elles ne permet pas d'apprécier la contribution du port à l'économie nationale, mais elle donne une idée de la force de la dynamique de développement local induite par le port.

5.2.2 Essais de détermination des emplois engendrés

L'ensemble des emplois directs ou indirects engendrés par les ports est évalué, selon les sources citées par le Conseil économique et social 17 ( * ) , à un total de 250 000 à 325 000. Si leur dénombrement pose peu de problèmes pour les emplois directs (si ce n'est leur mise à jour), il est plus difficile pour les emplois industriels, liés au développement des zones industrialo-portuaires et encore plus difficile pour les emplois induits comprenant essentiellement les emplois liés aux activités de pré et post acheminement terrestres, ainsi que les emplois engendrés par les activités intermédiaires, les services, le stockage, la distribution. Le Conseil économique et social estime qu'au total les ports ont contribué à localiser sur leur aire 75 000 emplois industriels indirects, dont 60 000 dans les ports autonomes. II note que les emplois induits sont estimés à 125 000 par la Direction des ports et à 200 000 par l'UPACCIM (Union des ports autonomes et des chambres de commerce et d'industrie maritimes). Le multiplicateur entre l'ensemble des emplois et les emplois directs est donc de 5 à 6,5 suivant les estimations.

Les ports de Rouen et du Havre, associés avec l'antenne régionale de l'INSEE, ont effectué une étude particulière estimant les emplois salariés liés aux deux ports à 66 000 en 1995 (contre 71 200 en 1990, soit une décroissance moyenne de 1,5 % par an). Dans leur définition, les emplois indirects regroupent les notions précédemment mentionnées d'emplois industriels et d' emplois induits, tandis que les emplois induits sont engendrés par la consommation des salariés précédemment dénombrés.

L'emploi salarié lié aux ports de Rouen et du Havre

(unité : salarié)

Emplois directs

Professions portuaires

Emplois indirects

Industries

Fournisseurs généraux

Transports

Ensemble des emplois directs et indirects

1990

1995

Indice

Indice

17 247

22 573

5 504

4 486

49 810

100

289

14 474

20 739

6 262

4 840

46 315

100

320

Emplois induits (salariés et non salariés)

21 385

19 632

Total

71 195

413

65 947

456_

Sources : INSEE-URSSAF au 31 décembre 1990 et 1995

Le tableau ci-après montre que les emplois directs et indirects représentent pour Rouen 6,1 % et pour Le Havre 21,5 % des emplois salariés de la zone d'emploi.

L'emploi salarié des établissements
liés aux ports de Rouen et du Havre en 1995

(unité : salarié)

Zone d'emplois

Ensemble

ROUEN

LE HAVRE

LILLEBONNE

Emplois directs Professions portuaires

3 680

10 707

87

4 474

Emplois indirects

Industries

Fournisseurs généraux

Transports

6 981

2 852

1 980

9 665

2 088

2 540

4 093

1 322

320

20739

6 262

4 840

Ensemble des emplois directs et indirects

15 493

25 000

5 822

46 315

Part dans l'emploi salarié de la zone d'emploi (en %)

6

22

27

-

Source : INSEE

Dans la réédition effectuée en 1995 de son étude de l'impact du port de Nantes-Saint-Nazaire sur les régions Pays-de-Loire et Bretagne, la faculté des Sciences économiques de Nantes fournit une estimation des emplois engendrés de 1989 à 1991 par la fonction portuaire proprement dite (incluant ou non les transports routiers), ainsi que les activités industrielles en relation avec le port, et enfin, les activités de commerce et de service répondant aux besoins des ménages travaillant dans les deux premières catégories (voir tableau ci-dessous). Les différences entre chacune des trois années sous revue résultent d'une part, des évolutions méthodologiques (ainsi, par exemple, les activités industrielles induites en Bretagne n'avaient pas été étudiées en 1989), d'autre part, des niveaux de trafics qui paramètrent le modèle d'estimation des activités induites. L'ordre de grandeur de 20 000 emplois engendrés semble important par rapport à la fonction portuaire proprement dite (hors transports routiers), le multiplicateur entre les deux étant compris entre 8 et 12 suivant les années étudiées.

Emplois engendrés
par le port autonome de Nantes-Saint-Nazaire

1989

1990

1991

Emplois

indice

Emplois

indice

Emplois

indice

Fonction portuaire

(y compris transports routiers)

3 088

100

2 683

100

4 071

100

Activités industrielles induites

12 461

404

17 634

657

13 569

333

Commerce et services (valeurs moyennes)

2 370

3 124

2 774

TOTAL

17 919

580

23 441

874

20 414

501

Source : Port Autonome de Nantes-Saint-Nazaire, CORRAIL, juin 1995

Le port de Marseille estime que son activité engendre au moins 40 000 emplois dans la région, dont 9 700 emplois directs (soit un multiplicateur de 4,1 par rapport au total). Il envisage de lancer prochainement une étude précise sur ce sujet, aucune étude complète n'ayant été réalisée depuis 1988.

Par ailleurs, des enquêtes elles aussi anciennes 18 ( * ) effectuées dans un certain nombre de ports révèlent également l'importance de l'activité portuaire d'un point de vue local.

Comme pour la valeur ajoutée, l'analyse est plus délicate au plan national. En effet, le terme d'« engendré » appliqué à l'emploi suppose que l'on compare cette génération à d'autres situations possibles où ces emplois seraient, non pas inexistants, mais plutôt reportés, peut être avec une meilleure efficacité, dans d'autres ports français ou dans d'autres secteurs.

5.3 Les comptes des ports sont équilibrés ou peu déficitaires

La situation comptable des établissements portuaires, qu'il ne revient pas à notre mission d'analyser en détail, est un bon indicateur de leur santé financière.

Or, force est de constater que celle-ci apparaît globalement plutôt saine et qu'elle est en tout cas fort meilleure que celle de certaines grandes entreprises de transport, beaucoup plus importantes financièrement.

5.3.1 Pour les ports autonomes

Pour les ports autonomes, le résultat net est équilibre ou faiblement déficitaire (Rouen mis à part). L'endettement est à un niveau acceptable ayant bénéficié d'une recapitalisation de l'État de 1,4 milliard de francs en 1987 et d'une gestion serrée des investissements (- 34,5 % de 1990 à 1996). Dans l'ensemble, la capacité d'autofinancement couvre les investissements et leur est parfois supérieure, exception faite à Marseille et à Dunkerque.

On note néanmoins, en tendance profonde, un certain tassement de la production vendue et de l'EBE (respectivement de 1,4 % et de 3,5 % en francs constants sur 11 ans), que n'a pas pu enrayer la réforme de la manutention portuaire.

Des préoccupations apparaissent pour le port de Dunkerque, qui a souffert de la baisse du trafic, notamment transmanche, et qui a dû serrer sa gestion, et pour le port de Marseille, en raison d'un marché pétrolier européen toujours très difficile.

La situation financière du port de Rouen est beaucoup plus fragile. II a enregistré, en 1996, un déficit comptable de 23,7 MF et un report à nouveau négatif de 112 MF, dus à l'effondrement du trafic céréalier et la baisse des autres trafics. Les propositions d'une mission conjointe de l'Inspection des Finances et du Conseil général des Ponts-et-Chaussées ont été retenues par les autorités de tutelle, à savoir la mobilisation de crédits FEDER exceptionnels et de recettes exceptionnelles provenant de la vente de terrains, soit un total de 75 MF.

5.3.2 Pour les PIN

Pour les PIN, des observations de même nature peuvent être faites, la donnée la plus saillante étant le processus d'assainissement de la situation financière de ces ports entrepris depuis quelques années, qui s'est traduit notamment par un désendettement significatif (- 37,5 % de 1990 à 1996). Toutefois, ces données globales ne rendent pas compte de la diversité des résultats financiers des concessions portuaires, certaines étant fragilisées par un endettement encore excessif.

Il convient de signaler le cas extrêmement critique de la concession de Boulogne 19 ( * ) qui a connu un déclin considérable sous l'effet de la quasi disparition du trafic transmanche liée à la mise en place du tunnel sous la Manche, accompagnée d'un report des lignes sur Calais. Outre les mesures déjà prises par le concessionnaire (licenciement de 130 personnes, soit la moitié des effectifs), le Gouvernement précédent a arrête un plan de redressement en automne 1996. De plus, une mission d'expertise vient d'être confiée aux inspections générales des ministres de l'agriculture et de la pêche, des transports et de l'industrie. Son rapport est attendu incessamment.

5.4 Les investissements portuaires et l'entretien des équipements

5.4.1 Les règles de financement des investissements et de l'entretien

Les règles de répartition des financements entre l'État et les établissements portuaires sont clairement exprimées par les dispositions du code des ports maritimes en ce qui concerne les ports autonomes 20 ( * ) . Néanmoins, ces dernières années les financements de l'État se sont situés nettement en retrait par rapport à ces dispositions, obligeant, en conséquence, ces établissements à substituer un financement par les collectivités locales et leur budget propre.

Les règles fixant le niveau de participation de l'État sont moins précises pour les ports d'intérêt national et sont discutées projet par projet. Dans les ports départementaux, le taux d'intervention de l'État est fixé chaque année dans le cadre de la dotation globale de décentralisation (DGD) 21 ( * ) .

La participation des collectivités locales est extrêmement variable. Dans les ports autonomes, elle porte essentiellement sur les superstructures, dans les ports non autonomes, elle concerne également pratiquement systématiquement les infrastructures.

Les dispositions du code des ports maritimes et les usages récents sont rappelés dans les tableaux pages suivantes pour les trois cas, ports autonomes, ports d'intérêt national (PIN), ports décentralisés.

Ports autonomes

Ports d'intérêt national

Ports départementaux

INVESTISSEMENTS

Accès maritimes

État : 80 % (cdp) collectivité : rare Port autonome : en théorie 20 %

État : * 33 % maximum

Fonds de concours : au moins 66 %

conces. dt subv. collectivités

Collectivités + État via DGD Fonds de concours concession variable

Quais, engins de radoub

État: 60 % (cdp)

collectivité : variable

Port autonome : en théorie 40 %

État : * 33 % maximum

Fonds de concours : au moins 66 %

conces. dt subv. collectivités

Collectivités + État via DGD Fonds de concours concession variable

Terre-pleins, routes

État : néant

collectivité : rare

Port autonome : essentiel

non concédés

État : * 33 % maximum

Fonds de concours : au moins 66 %

conces. dt subv. collectivités

concédés

concession : essentiel collectivités : variable

non concédés

Collectivités + État via DGD

Fonds de concours concession variable concédés

concession : essentiel collectivités : variable

Voies ferrées

SNCF : 50 % (cdp)
Port autonome : 50 %

Superstructures, outillages, bâtiments

État : néant collectivité : variable Port autonome : essentiel

État : néant collectivité : variable concession : essentiel (sauf bâtiments administratifs)

collectivité : variable concession: essentiel

DGD : Dotation globale de décentralisation
(cdp) : disposition du code des ports maritimes

Ports autonomes

Ports d'intérêt national

Ports départementaux

ENTRETIEN

Accès maritimes

État : 100 % (cdp) remboursé au port autonome

État + Fonds de concours variable

Collectivité + État via DGD +

Fonds de concours rare

Quais, engins de radoub

Ports autonomes: 100 %

État + Fonds de concours variable (= 50 % grosses réparations)

Collectivité + État via DGD + Fonds de concours rare

Terre-pleins, routes

Ports autonomes: 100 %

non concédés

État + Fonds de concours variable

(= 50 % grosses réparations)

concédés

concession collectivité : rare

non concédés

Collectivité + État via DGD

+ Fonds de concours rare

concédés

concession

collectivité : rare

Voies ferrées

SNCF : 100 % (cdp)

Superstructures, outillages, bâtiments

Ports autonomes : 100 %

Concession : 100 %

Concession : 100 %

PERSONNEL

Accès et écluses

État : 100 % (cdp) remboursé au port autonome

État + Fonds de concours variables (accès)

Collectivité + État via DGD

Capitainerie, personnel administratif et techniciens

Port autonome

État + concession

Collectivité + État - concession

Personnel d'exploitation

Port autonome

concession

concession

DGD : Dotation globale de décentralisation
(cdp) : disposition du code des ports maritimes

Au fil des années, ce système a fortement évolué traduisant une participation de l'État inférieure aux normes indiquées dans les tableaux. L'évolution de cette participation en francs constants sur la période 1988/1995 est la suivante :

- Investissement État (PA et PIN) : baisse de 54 %

- Entretien des accès des ports autonomes (y compris personnel) : baisse de 38 %

- Entretien des PIN (hors personnel) : baisse de 21 %

- DGD de l'État aux ports décentralisés : + 10 %

Le financement de l'entretien des accès qui, comme tous les ports du Nord de l'Europe continentale, devrait être, en France, entièrement à la charge de l'État pour les ports autonomes, est en fait réduit d'environ 153 MF par an, soit plus de 25 % de la dotation. Sur ce montant, près de 50 MF sont financés sur le titre V - Investissements. Le solde soit 100 MF est porté à la charge des ports autonomes.

Pour les PIN, l'entretien est également freiné par des restrictions budgétaires. Il en résulte des participations du budget d'investissement à certaines dépenses d'entretien (comme des travaux de rétablissement des profondeurs), ce qui provoque par décalage un retard important dans l'exécution des contrats de Plan État-régions.

5.4.2 La situation comparée des pays voisins : diversité globale, mais avantage des ports flandriens

Les tableaux ci-après 22 ( * ) détaillent pour les pays voisins les règles de financement de l'infrastructure portuaire.

En ce qui concerne les financements publics, la comparaison est difficile et les éléments à notre disposition sont partiels.

Pour le Royaume-Uni, on remarque que le port supporte 100 % des dépenses de construction, d'entretien et d'exploitation, ce qui traduit un désengagement total des pouvoirs publics.- Diagnostic -

Tableaux - Financement de l'infrastructure portuaire Belgique

Construction

Entretien et exploitation

Région flamande

Administration du port

Région flamande

Administration du port

Voie d'accès maritime

100 %

100 %

Écluses

100 %

100 %

Bassins

100 %

100 %

Quais

60 %

40 %

100 %

Pays-Bas

Construction

Entretien et

exploitation

Pouvoirs publics

Administration du port

Pouvoirs publics

Administration du port

Voie d'accès maritime

100 %

100 %

Écluses

100 %

100 %

Bassins

100 %

100 %

Quais

100 %

100 %

Allemagne

Construction

Entretien et exploitation

Pouvoirs publics 23 ( * )

Administration du port

Pouvoirs publics

Administration du port

Voie d'accès maritime 2

100 %

100 %

Écluses 24 ( * )

100 %

100 %

Bassins

100 %

100 %

Quais

100 %

100 %

Royaume-Uni

Construction

Entretien et exploitation

Pouvoirs publics

Administration du port

Pouvoirs publics

Administration du port

Voie d'accès maritime

100 %

100 %

Écluses

100 %

100 %

Bassins

100 %

100 %

Quais

100 %

100 %

Une référence ancienne 25 ( * ) conclut à une participation très importante de l'État belge aux investissements portuaires (voir encadré). Il est à noter toutefois l'importance des fonds attribués à Zeebrugge, qui correspondent à une volonté particulière de promotion de ce port.

Les budgets annuels d'investissements que l'État belge consacre aux ports font rêver : de 1980 à 1985, les ports belges ont ainsi reçu :

Zeebrugge 7,2 milliards de FF

Anvers 2,5 milliards de FF

Gand 0,6 milliard de FF

soit annuellement 1,7 milliard de Francs

Le plan de quatre ans (1986 à 1989), en cours de discussion au ministère belge des Travaux publics, porte sur plusieurs dizaines de milliards de francs belges.

Enfin, les ports français supportent certaines charges (voirie, aménagement de voies ferrées à 50 %, sécurité, etc.) qui sont en Belgique partiellement ou totalement à la charge de l'État, des régions ou des chemins de fer belges.

Au total, cette politique permet aux ports belges d'être très largement en avance sur les besoins des trafics, à la charge de la collectivité nationale. Ils peuvent dès lors répondre instantanément à toute demande de leurs clients, chargeurs, armateurs ou industriels. Anvers (aménagement rive gauche) et Zeebragge, où les travaux se poursuivent encore à un rythme très soutenu, ont ainsi plusieurs kilomètres de quais vierges disponibles, payés entièrement par l'État, avec toute la viabilisation générale des terrains.

Par ailleurs, l'UPACCLM 26 ( * ) a effectué en 1996 une analyse dont des extraits sont repris ci-après en encadré après mise à jour de certaines données. Elle conclut également à une moindre participation des fonds publics français aux financements portuaires toutes choses égales par ailleurs.

Pour les accès maritimes

La pratique française et le désengagement de l'État en France sur ce point sont atypiques. Par exemple, sur la période 1989/1996, le montant consacré par la Belgique a augmenté de 57 % en francs constants, alors que le montant français diminuait de 32 %.

Financement par l'État belge, puis par le Gouvernement flamand
des dragages d'accès dans les ports en Belgique/Crédits de paiements pour les accès dans les ports métropolitains dans la Loi de Finances en France

Échelles ajustées a 1 FB = 0,16477 FF. Valeurs en francs constants

sources : Commission portuaire flamande (citée par le Lloyd)/Loi de finances française

Pour les infrastructures

La situation est plus hétérogène en ce qui concerne les ouvrages portuaires internes (quais/bassins). On peut distinguer :

le système appliqué en France et en Belgique où l'intervention financière des organismes publics est significative et relativement clairement organisée (en Belgique, l'État flamand intervient en théorie au niveau de 60 % pour les travaux neufs et 80 % pour les rénovations) ;

le système appliqué aux Pays-Bas et en Allemagne où l'investissement est, en principe, de la responsabilité exclusive du port. Cependant, dans le cas de l'Allemagne, le port et le Land (ainsi que la ville à Hambourg et Brème) ne font qu'un et l'absence de comptabilité identifiée pour le port dans les comptes de la ville ou du Land ne permet pas en réalité d'identifier en définitive ce que paye l'usager et ce que paye le contribuable local et régional.

Là où des données chiffrées fiables existent, la comparaison est également fortement en défaveur des ports français. En Belgique, le financement public des investissements portuaires s'est élevé en 1994 à 397 MFF 96 contre 144 MFF 96 en France (et en 1996 à 711 MFF 96 contre 150 MFF 96).

À noter que l'effort financier des collectivités locales en France réduit ce différentiel.

La même hétérogénéité existe en ce qui concerne les équipements terrestres (terre-pleins, voies d'accès...). Considérés comme des superstructures portuaires en France, ils sont généralement à la charge des établissements portuaires et donc des usagers. La situation est beaucoup moins transparente dans les ports du Nord, voire totalement opaque en Allemagne.

Pour les superstructures et outillages

Une hétérogénéité supérieure encore existe en ce qui concerne les superstructures et les outillages. Si dans les très grands ports (Rotterdam et Anvers) ils ont été officiellement financés, dans les dernières années, par des intervenants privés, la situation réelle est ambiguë, des participations indirectes ayant été apportées. La participation publique directe sur ce type d'investissement est, dans certains cas, significative même dans de grands ports (Zeebrugge, Gand...). En Allemagne, les principaux manutentionnaires, bien que de droit privé, sont la propriété de la collectivité gestionnaire du port.

Un autre élément d'appréciation nous est fourni par une comparaison effectuée par l'UPACCIM entre les six ports autonomes français métropolitains et Anvers. Sont analysés, rapportés en francs par tonnes, les apports financiers courants (hors taxes d'usage des grues) que nous avons regroupés dans le graphique ci-dessous d'une part, en financements publics, représentatifs de la part du contribuable, d'autre part, en recettes domaniales et droits de ports, représentatifs de la part de l'usager. On constate que l'apport global pour les ports français étudiés est d'environ 14 % moins élevé que celui d'Anvers, ce qui peut traduire un moindre coût. La part des financements publics est plus faible en France de 47 %. Les recettes domaniales sont très basses dans les ports français, mais par contre, les droits de ports sont nettement plus élevés.

Au total, la part des usagers est plus élevée de 10 % dans les ports autonomes métropolitains.

Les financements publics représentent 42 % de l'ensemble des apports à Anvers, contre 26 % en France.

Apports financiers courants (hors taxes d'usage) à Anvers et dans les six ports autonomes métropolitains

5.4.3 Après les efforts des années 1960 et 1970, des investissements nettement plus faibles et stabilisés

Pendant les dix années qui ont suivi la loi d'autonomie, c'est-à-dire de 1966 à 1976, des travaux importants de création de nouveaux sites et d'infrastructures lourdes ont été entrepris :

- Marseille : création du site de Fos

- Le Havre : aménagement de l'écluse François 1er et du terminal pétrolier d'Antifer

- Dunkerque : création du nouveau port Ouest

- Nantes-Saint Nazaire : création du site de Montoir

- Bordeaux : création d'un terminal pétrolier au Verdon

Les ports autonomes ont alors reçu entre 85 et 90 % des crédits d'investissements de l'État.

Depuis, ces grands investissements ayant été réalisés, les travaux programmés par les ports autonomes ont diminué (il s'agit plutôt de dépenses effectuées sur les terminaux et l'outillage), et la part des ports autonomes dans le budget de l'État est descendue à environ 70 %.

Rappelons que les investissements portuaires ont par nature un caractère discontinu. Ils sont en effet réalisés tels qu'ils seront utilisés des années plus tard, et sont rarement modifiés ensuite. À l'inverse, une fois l'investissement réalisé, il n'est pas reproduit dans le même port, à moins d'un changement important dans les techniques maritimes (apparition du conteneur, augmentation de la taille des navires) ou les parts de marché du port. Certains investissements peuvent même voir leur durée de vie s'étaler sur plusieurs siècles.

Les taux de participation de l'État aux travaux ont globalement suivi la norme, à quelques exceptions près, comme le terminal d'Antifer. Dans ce cas, la participation de l'État n'a été que de 40 %, et une compensation a été donnée au port sous la forme d'un prêt plus important du FDES, auquel a fait suite une dotation au capital du port d'un montant égal.

La coordination des participants de l'État aux investissements portuaires a été possible grâce aux outils suivants :

- préparation des plans (Commissariat du Plan)

- contrats de plan État-Région depuis les années 1980

- fin 1987, attribution d'une dotation en capital de 1,4 milliards de francs aux ports autonomes, en dehors de toute disposition législative, en contrepartie de l'élaboration par chaque port autonome d'un plan d'entreprise, intégrant à la fois la compétitivité, la dimension et le « projet » de la place portuaire.

Le graphique ci-après, issu de données anciennes, est extrait d'un ouvrage déjà cité 27 ( * ) Il permet de se rendre compte de l'effort considérablement plus important de l'État dans les années 70/76, qui a décru linéairement de 1976 à 1984 pour atteindre les ordres de grandeurs contemporains.

Évolution des investissements portuaires de l'État

en MF 1990

Ainsi pour l'ensemble des investissements, la participation de l'État a tendance à décroître sensiblement avec le temps, notamment pour les ports autonomes, ainsi qu'en attestent également pour la période 1984/1996 les deux graphiques suivants issus de données récentes fournies par la DTMPL. On voit que, parallèlement, les subventions des collectivités locales ont tendance à augmenter pour dépasser parfois celles de l'État, les participations des ports étant par ailleurs importantes, mais irrégulières.

Financement des ports autonomes

en MF constants

Tous financements confondus, il est possible d'estimer le total des investissements effectués dans les ports maritimes autonomes et d'intérêt national (voir annexe 1).

Depuis 1989, ces investissements oscillent suivant les années entre 1,5 et 1,9 milliards de francs constants 1996, ce qui est supérieur à la période 1983/1988, mais nettement inférieur aux chiffres mentionnés de 1980 à 1982 (voir graphique ci-après).

Les dépenses en infrastructures
de transport « Ports maritimes »

Source : documents sources DTMPL destinés au « Rapport de la Commission des Comptes des Transports de la Nation », MELTT, DAEI.

La part des investissements consacrés aux PIN est de l'ordre de 40 % du total pour un pourcentage de trafic de 20 % en tonnage. Cela est probablement dû pour partie à la structure différente du trafic dans les PIN et les PA, mais sans doute aussi à des économies d'échelles dont on peut penser que bénéficient les ports autonomes.

À noter également que les investissements en superstructures ont représenté en 1995 près de trois quarts des investissements totaux, ce qui est considérable. Ils sont entièrement financés par les ports autonomes ou les CCI, les collectivités locales et, le cas échéant, le FEDER.

5.4.4 Quelques exemples de grands investissements

5.4.4.1 Le terminal pétrolier du Havre - Antifer : un investissement utile malgré une surestimation des trafics attendus

Le projet de création du terminal d'Antifer a vu le jour à l'occasion de la période de croissance de la consommation et du transport de pétrole. En effet, le canal de Suez avait été fermé en 1967 et la consommation française de pétrole était en hausse. La taille des navires pétroliers augmentait donc, et il fallait pouvoir accueillir les super-pétroliers de 500 000 tonnes de port en lourd (TPL) et dont le tirant d'eau atteignait 28 m.

Les études énergétiques menées dans les années 1960-1970 prévoyaient que, de 1970 à 2000, la consommation d'énergie de l'Europe de l'ouest devait tripler et que cette énergie devait provenir pour sa plus grande partie, jusqu'à la fin du siècle, du traitement des hydrocarbures. Cette part devait se maintenir, jusqu'en 1980 aux alentours de 65 %, puis diminuer progressivement jusqu'à 53 % en 2000. La France, pendant la même période, devait voir sa consommation d'énergie, qui était de 150 millions de TEP (Tonnes Équivalent Pétrole) en 1980 passer à 400 millions de TEP en 1990 et 500 millions de TEP en 2000. Pour le pétrole seul, la consommation serait passée de 94 millions de tonnes de 1970 à 270 en 1990 et 330 en l'an 2000.

Plusieurs localisations de port pétrolier furent étudiées. Brest, Cherbourg et Le Havre. Les études menées par le port du Havre ont conduit en 1969 un CIAT à décider la création d'un port pour les grands pétroliers en Baie de Seine. Rappelons que 40 % de la capacité de raffinage française se trouvait (et se trouve toujours) en Basse-Seine.

Parmi les différentes localisations envisagées, on a pensé, dans un premier temps, utiliser un haut-fond de l'estuaire, qui affichait d'ores et déjà 25 mètres de profondeur. Ce projet a été abandonné après la découverte de la faille d'Antifer. Le port terminal pétrolier a été construit en exploitant une faille géologique, situé au Cap d'Antifer, près du Havre, et qui permettait d'avoir côte à côte un fond élevé (pour la digue) et un fond bas (par le tirant d'eau). Les travaux, commencés en 1972, furent terminés en 1976.

À l'origine, Antifer n'était conçu que pour les grands pétroliers. À la fin des années 80, un duc d'Albe 28 ( * ) a été ajouté au terminal, afin qu'il puisse accueillir des navires plus petits (à partir de 200 000 TPL). Ceci a permis de dégager l'entrée du port du Havre et, par la suite, d'aménager le port rapide aval.

Le projet a coûté 750 millions de francs de fonds publics, venant de l'État et du PAH (dont construction de la digue, de la route d'accès et dragage des accès) et 250 millions de francs de fonds privés (dont construction des appontements, des bacs, du bâtiment de contrôle, du pipe-line de raccordement aux citernes situées dans le port du Havre). On estime que ce terminal a coûté environ le prix de deux super-pétroliers.

Cependant, le coût de réalisation à Antifer était deux fois plus cher que dans la Baie de Seine. L'État, estimant de surcroît que ce projet de terminal dédié n'était pas conforme à l'esprit de la loi d'autonomie refusa d'agréer le supplément de coût et ne finança au total que 40 % du coût de réalisation des infrastructures, le port autonome prenant la différence à sa charge.

Les études réalisées à partir d'un concours d'idées furent très poussées sur le plan technique. En revanche, pour la partie économique, on s'est surtout penché sur le choix géographique national du futur terminal pétrolier destiné à permettre l'écoulement du trafic prévu compte tenu des évaluations énergétiques du moment.

Après une période très difficile liée aux chocs pétroliers, Antifer a trouve sa vitesse de croisière. Les emprunts sont aujourd'hui remboursés et on estime que sur 5 tonnes de pétrole importées en France, 1 passe par Antifer (soit 50 % du trafic pétrolier du port du Havre). Moins nombreux que prévus à l'origine, il existe encore des super-pétroliers en circulation. Le port en lourd moyen des navires reçus à Antifer est de 300 000 TPL environ, les autres terminaux du port du Havre ne pouvant accueillir des navires dépassant 250 000 TPL. Par ailleurs, certains navires viennent ici s'alléger avant de pouvoir se rendre dans les ports du nord, ce qui a pu faire dire à certains que le port d'Antifer a permis d'accroître le trafic pétrolier d'Anvers.

Antifer permet enfin de désengorger l'entrée du port du Havre puisque le terminal pétrolier s'y trouve (notons que la manoeuvre d'un grand pétrolier à cet endroit interdirait le passage des autres navires, parfois pendant des heures).

Le port autonome du Havre a évalué que le différentiel de coût de transport maritime entre un navire de 220 000 TPL et un navire de la classe des- Diagnostic -

400 000 TPL étant d'environ 6 à 8 F/t, une économie globale de l'ordre de 2 à 3 milliards de francs a été réalisée grâce à Antifer (pour un coût de 1 milliard de francs de 1977). Actuellement, le port d'Antifer est jugé performant et la question d'une éventuelle reconversion ne se pose pas.

5.4.4.2 Le port rapide aval du Havre : une réponse à la croissance du trafic conteneurisé

Dans les années 1980, le trafic des conteneurs augmente rapidement et les ports doivent se réorganiser en fonction des spécificités de ce nouvel outil. Les armateurs cherchent à réduire leur durée d'escale. Parallèlement, la taille des navires augmente : en 1981, Le Havre reçoit son premier navire de plus de 3 000 EVP. En 1988, Maersk y fait escaler ses navires de 4 000 EVP... On voit apparaître les navires dits « over-panamax », plus larges. Les grandes lignes autour du monde se développent (trafic est-ouest principalement), ainsi que le trafic de transbordement (feedering).

Les grands ports européens cherchent à s'adapter. Ainsi, Anvers construit une seconde écluse d'accès à ses terminaux, devant permettre de désengorger la première et, donc, de fluidifier le trafic, puis installe de nouveaux équipements en aval des écluses.

Dans ce contexte, au cours des années 1978 à 1981, le trafic conteneur du port du Havre a fortement progressé, rapprochant l'échéance de la saturation de l'écluse François 1 er , en amont de laquelle 2/3 du trafic de conteneurs étaient traités. Différentes options ont été alors étudiées, les deux plus sérieuses étant la construction d'un nouvel avant-port au sud de la CIM (concessionnaire du terminal pétrolier) et la réalisation d'une seconde écluse, doublant l'écluse François 1 er .

Dans un premier temps (en 1982), la construction d'une seconde écluse est privilégiée. Cependant, l'évolution du trafic amène les autorités portuaires à développer tout de même un projet de port rapide aval (1988) de préférence à une seconde écluse. La possibilité de la construire un jour reste cependant ouverte. Les études et la réalisation du port rapide se sont étalées sur plus de dix ans.

Conçu comme un ensemble de terre-pleins implantés de façon à profiter au mieux de la configuration géographique de l'existant, le port rapide s'étend, phase par phase, au fur et à mesure de la saturation progressive des terminaux. Son extension, initialement prévue dans le contrat de plan Etat-région en cours (1994-1998), est finalement interrompue lors de la naissance du projet Port 2000 (cette phase aurait coûté environ 800 MF). Découlant de la même logique, ce dernier projet est pourtant différent. Ambitieux dès l'origine, il prévoit une réorganisation plus importante du port.

Montage financier

L'élément le plus novateur du projet de port rapide aval réside dans une plus grande implication financière des opérateurs de manutention, auxquels il fut proposé la prise en charge des aménagements de superstructure des terre-pleins (y compris leur revêtement) et l'acquisition des portiques de quai, avec la caution du Port Autonome. Les postes à quai ont été répartis dans un souci d'équité entre deux groupements d'opérateurs. Les collectivités locales, notamment la Région Haute-Normandie, ont contribué au financement des superstructures. La partie génie civil du projet a été partagée entre l'État et le Port Autonome du Havre.

Coût de construction des terminaux, hors aménagement des terminaux existants ( source PAH ) : TOTAL : 594 MF,

dont État : 322 MF,

dont Port : 272 MF.

Ces coûts ne prennent pas en compte la construction des superstructures (opérateurs privés + subventions des collectivités locales), ni les dessertes routières et ferroviaires. Ont été ainsi réalisés : une desserte ferroviaire spécifique, un redimensionnement des accès ferroviaires et routiers, un nouvel accès pour les quais sud, avec déviation d'une partie des réseaux existants (gaz, pipelines...).

Le coût total, tel qu'il ressort des éléments à notre disposition, serait donc en fait de l'ordre de 830 MF pour la phase 1 (quais des Amériques et de l'Asie) et de 420 MF pour la phase 2 (ouverture du bassin du Pacifique et du quai d'Osaka).

Les études réalisées, principalement techniques, ont été complétées, en 1987, par des études économiques faites selon le modèle proposé dans les recommandations du IX e Plan.

5.4.5 Les contraintes environnementales de plus en plus à prendre en considération

Depuis 1973, les travaux portuaires doivent être prévus par les documents d'urbanisme, établis par les communes (décision du Conseil d'État), d'où des problèmes de limites de compétence pour définir la vocation des sols à l'intérieur des zones portuaires.

De plus, les ports autonomes sont soumis aux prescriptions existantes en matière de protection de l'environnement. Ils doivent notamment se plier à la réalisation d'études d'impact, telles que définies par le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 modifié.

Ils sont également invités à revoir leur politique d'aménagement industriel pour se conformer à la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement (loi n° 76-663 du 19 juillet 1976). En effet, depuis quelques années, les services de l'industrie et de la recherche imposent des périmètres de sécurité de plus en plus grands autour des installations industrielles. Cela laisse planer quelques ambiguïtés par rapport à certaines activités portuaires, impliquant notamment le transit de marchandises dangereuses, et peut influencer la localisation des installations futures.

Les mouvements écologistes internationaux tentent de faire instaurer des zones plus ou moins définitives de protection des milieux remarquables situés autour des ports, parfois avec l'appui de la Commission de l'Union européenne et de la population locale. Cela peut grandement influencer la politique d'expansion spatiale des ports. Aujourd'hui, tous les grands ports européens sont susceptibles de devoir réfléchir sur ces questions.

Quelques exemples :

- en 1991, en Allemagne, la Cour de Justice des Communauté Européenne a estimé que le projet d'aménagement d'un chenal pour un port de pêche donné, était contraire aux directives européennes sur la protection de la faune et de la flore sauvages.

- en 1993, elle a estimé que l'aménagement d'une zone industrielle sur le littoral espagnol contrevenait à la directive relative à la protection des oiseaux.

- le port de Sheerness, au Royaume-Uni, s'est vu contré dans son projet d'extension en vue de l'agrandissement des installations destinées au stockage des voitures et à diverses activités à valeur ajoutée. Il souhaitait en effet s'étendre sur une zone de reproduction et d'hivernage importante pour les oiseaux, dont une grande partie est classée zone de protection spéciale. La Cour de Justice, saisie par la Chambre des Lords pour une interprétation de la directive « oiseaux » (en vue de statuer sur la partie non classée de cette zone) a estimé, en 1996, que les exigences écologiques posées par la directive ne doivent pas être mises en balance notamment avec les exigences économiques (« la directive sur les oiseaux doit être interprétée en ce sens qu'un État membre ne peut pas, lors du choix et de la délimitation de la zone de protection spéciale, tenir compte des exigences économiques au titre d'un intérêt général supérieur à celui auquel répond l'objectif écologique visé par la directive »).

Notons que dans certains cas, le « bloquage » peut également se faire d'après des critères de gestion patrimoniale (bâtiments classées pour leur valeur architecturale ou historique).

Symbole de ces évolutions, la Charte des Villes et des Ports pour l'Environnement, adoptée à Montréal en 1993, dans le cadre d'un colloque organisé par l'Association Internationale Villes et Ports, rappelle, dans son préambule, la nécessaire conciliation du développement de l'activité portuaire et du respect de l'environnement et du cadre de vie des populations.

5.5 De l'organisation de certaines entreprises portuaires

5.5.1 Les dragages

S'agissant de l'activité des dragages, le système repose sur l'existence d'un GIE Dragages-Ports, propriétaire des engins louant coque nue les dragues aux ports autonomes ou ports d'intérêt national, qui exercent de ce fait la fonction d'armateur, le personnel relevant donc du port. Certains ports n'ayant pas d'engins affectés ou d'engins nécessaires à leur exploitation sous-traitent cette activité généralement auprès des autres ports, voire, en l'absence de moyens disponibles auprès d'entreprises privées. Le Contrôle d'État 29 ( * ) relève que les prix pratiqués dans les ports français apparaissent de 25 % supérieurs à ceux des ports étrangers. La Cour des Comptes se demande si « d'autres modalités de gestion, comme le regroupement des moyens dans une structure nationale, ou la délégation à des entreposes » ne pourraient pas être plus efficaces. Cette question pourrait être examinée sans a priori d'autant plus que la flotte de dragues nécessite un renouvellement partiel.

5.5.2 Le pilotage

La loi du 28 mars 1928 confère une obligation de pilotage et organise le fonctionnement des stations de pilotage. Les pilotes sont organisés en stations sur le mode coopératif, lesquelles sont propriétaires du matériel. Récemment, un certain nombre d'intervenants portuaires 30 ( * ) ont émis des reproches à l'égard de cette profession :

- absence de concurrence résultant d'un monopole de droit verrouillant l'accès à la profession,

- tarifs jugés disproportionnés par rapport au service rendu et, malgré tout, demandes incessantes de revalorisations tarifaires dues au maintien d'un système de rémunération basé sur le principe d'une « masse à partager » fonction d'un nombre de navires qui ne cesse de décroître,

- régime de responsabilité trop limité : le pilote intervient uniquement comme conseil du commandant et n'est responsable que de ses fautes lourdes. Cependant, tout pilote peut s'affranchir de la responsabilité civile par l'abandon de son cautionnement ; cet abandon limite la responsabilité des pilotes à une somme assez faible,

- impossibilité de choisir le pilote parmi le personnel en station,

- rémunérations des pilotes jugées excessives pour une productivité estimée insuffisante.

Ces intervenants s'interrogent sur le maintien d'une obligation générale de pilotage dans tous les ports et en toutes circonstances. Ils préconisent une évolution vers la négociation directe entre clients et fournisseurs.

Ces critiques, sans aucun doute excessives, ont été vivement contestées par la profession qui a fait valoir à juste titre qu'on ne peut ignorer les fonctions de sécurité et de protection de l'environnement du pilotage.

C'est pourquoi, au total, le gouvernement a réitéré sa confiance aux services de pilotages. Mais dans le même temps, il a constitué un groupe de travail destiné à rechercher toute amélioration utile. Les principales conclusions de ce groupe sont décrites plus loin (paragraphe 4.3.2 du chapitre II).

5.5.3 Le remorquage

Constatant qu'au Havre et à Fos, les coûts unitaires de remorquage sont élevés, alors que les accès nautiques sont faciles, les mêmes intervenants portuaires déplorent que cette activité, régie par un texte de 1938, bénéficie d'un monopole de fait. Par ailleurs, ils regrettent des tarifs de remorquage jugés excessifs établis au sein de commissions d'usagers qui ne sont selon eux que des chambres d'enregistrement.

Le même groupe de travail que pour le pilotage a examiné également la question du remorquage.

5.5.4 La manutention

Cette question sera traitée en détail dans la deuxième partie.

5.6 Les coûts de passage portuaire et de la chaîne de transport :

5.6.1 Le coût de passage portuaire n'est pas un élément prépondérant

Le coût global du transport est un élément très variable du prix de revient des produits. Pour fixer une idée, certaines sources l'évaluent de l'ordre de 5 à 10 %, ce qui est faible quant au coût total, plus significatif quant aux marges dégagées. Dans ces estimations, ne sont pas considérés les « coûts cachés » correspondant aux manques éventuels de fiabilité et de flexibilité des ports, lesquels, nous le verrons, sont souvent décisifs. Néanmoins, les coûts sont un paramètre économique qui mobilise à juste titre toute l'attention des acteurs. Mais le sujet est extrêmement complexe et chacun - port, armateur, chargeur industriel, bureau d'étude, etc. - essaie de se constituer sa propre vision, ses propres tableaux de chiffres qu'il garde souvent confidentiellement pour lui et qu'il diffuse parfois sélectivement pour appuyer ses actions de relations publiques.

Sur une idée initiale du Conseil national des communautés portuaires, le Comité interministériel de la Mer a décidé, le 4 juillet 1996, la création d'un Observatoire des coûts de passages portuaires. L'étude de préfiguration de cet organisme qui vient d'être menée par le Conseil général des Ponts-et-Chaussées, laisse entendre que la démarche, qui pourrait être conduite par l'administration, devra être progressive et requerra un temps assez long (en substance au moins trois ans) compte tenue de sa complexité. D'autres pensent que cette mise en oeuvre pourrait être plus rapide.

Au reste, les coûts de passage portuaire sont un des éléments, - on le verra -minoritaire, de la chaîne de transport qui comprend généralement un pré et un post acheminement terrestre, un embarquement et un débarquement, lesquels engendrent deux coûts de passage portuaire et un transport maritime proprement dit, dont le prix s'appelle le taux de fret (ou « le fret »). Plus précisément, le passage portuaire recouvre toutes les opérations depuis l'arrivée du bateau au port jusqu'au départ de la marchandise vers son lieu de post acheminement (ou vice-versa).

Dans sa décision de passer par un port plutôt qu'un autre, l'ordonnateur (chargeur ou armateur), en ce qui concerne les coûts, prendra en compte le taux de fret plus les deux opérations se déroulant sur le versant du port considéré (coût de passage et acheminement terrestre).

5.6.2 Le coût de passage portuaire est l'élément le moins important des trois grandes étapes de la chaîne de transport

Parmi de nombreux paramètres, le coût relatif des étapes dépend de la marchandise transportée et de son conditionnement, du type de navire emprunté, de la rapidité des opérations aux ports, mais sans doute, encore davantage de la distance à parcourir en mer et sur terre.

Pour les courtes distances en mer, le coût de passage sera une variable importante par rapport au fret et cela explique en partie la difficulté de promouvoir le cabotage maritime.

S'agissant par ailleurs de l'acheminement dans l'hinterland, certaines marchandises s'arrêtent « au bord de l'eau » où elles sont transformées ou traitées et ne repartiront, le cas échéant, qu'ultérieurement et sous une autre forme.

Mais si l'on prend un cas de figure considéré comme caractéristique, on observe que le poste le plus important est le fret, suivi de l'acheminement terrestre, suivi seulement, en troisième position, du coût de passage portuaire. L'élément le plus important du coût de passage portuaire (la moitié environ de ce coût) est la manutention. Jean Chapon, dans un article qui fait référence 31 ( * ) cite l'exemple d'un « conteneur de 20 tonnes, chargé de produits chimiques, expédié par une ligne régulière depuis Lyon à Hong-Kong, via Marseille. [Celui-ci] paye un prix de pré-acheminement terrestre d'environ 700 $ ; le coût du transport maritime - y compris les frais portuaires inclus dans le fret - est de l'ordre de 1 200 $ (...). Si l'expédition se fait par Le Havre, le transport terrestre coût près de 1 000 $, soit presque autant que le transport maritime » . À noter que depuis la rédaction de cet article, le fret a certainement encore baissé du fait de la surcapacité en places (slots)-conteneurs, ce qui renforce l'importance du pré/post-acheminement.

Il cite encore l'exemple de produits sidérurgiques en conditionnement conventionnel acheminés entre un quai français et un quai africain, dont le coût de transport est de 450 F/tonnes. Sur ce total, l'ensemble des frais portuaires (y compris la manutention) est de 50 à 60 F/tonne, soit 12 à 15 %, pour chaque port.

5.6.3 Une relation complexe entre les coûts et les prix

Entre le prix final payé par un chargeur 32 ( * ) , et les différents éléments de coûts 33 ( * ) , s'interposent en général un certain nombre de phénomènes déformants qui opacifient la compréhension de la compétitivité-coût, et le cas échéant modifient celle-ci.

C'est ainsi que les prestations assurées par les commissionnaires de transport - qui organisent tout ou partie des opérations de transport de bout en bout, pour 65 % des tonnages de marchandises diverses (general cargo) -sont facturées à leurs clients à des prix pouvant varier considérablement d'un commissionnaire à l'autre. Sur l'exemple d'une cotation demandée à 12 transitaires 34 ( * ) pour l'Afrique, les prix peuvent comporter un écart de 1 à 1,4 pour le prix du fret, et de 1 à 1,67 pour « la mise à FOB » (incluant : transport terrestre, transit, douane et mise à bord). S'il est vrai que dans une économie de marché il appartient à chaque fournisseur de proposer un prix, et à chaque client de se déterminer en conséquence, l'amplitude importante des cotations commerciales dénote un rapport très indirect avec les coûts élémentaires, ce qui fausse la perception de la compétitivité réelle des opérateurs initiaux.

Un deuxième niveau de filtrage provient des méthodes de cotation du fret par les armateurs des lignes régulières. En règle générale, ceux-ci facturent au commissionnaire de transport 35 ( * ) ce qui globalement constitue le taux de fret, à savoir essentiellement :


• un « fret officiel de base »


• une « taxe d'embarquement »

Les «taxes d'embarquement» sont appelées THC (Terminal Handling Charges) pour les conteneurs et PLTC (Premium Loading Terminal Charges) pour le fret conventionnel. Elles sont des participations au coût de mise à bord, et servent essentiellement à compenser les frais de manutention payés par l'armateur.

Les THC se situent dans une amplitude de 650 à 1 100 F par conteneur suivant les destinations et les ports d'embarquement. La position concurrentielle des ports français est variable. Ainsi, sur l'Extrême-Orient, Le Havre (= 810 F) est intermédiaire entre Rotterdam (= 900 F) et Anvers

(= 730 F) ou l'Angleterre (= 670 F). Sur l'Afrique occidentale ou les Antilles, les THC sont moins élevées à Anvers (= 650 F) et Rotterdam (= 780 F), qu'au Havre (= 950 F) ou à Marseille (= 1 080 F).

Même lorsqu'elles sont défavorables aux ports français, ces différences ne motivent pas néanmoins à elles seules un transfert de la marchandise vers un port étranger.

En revanche, les PLTC pour des raisons historiques et commerciales, sont incomparablement plus faibles dans des ports comme Anvers, Amsterdam ou Rotterdam que dans les ports français. Toujours appliquées dans les ports français, elles ne sont parfois même pas facturées à Anvers, et souvent « négociées » selon le type de cargaison. L'exemple réel ci-dessous, relatif à un chargement de résine synthétique, est significatif :

en F/tonne

PORT

PLTC

Le Havre

170

Marseille

190

Dunkerque

100

Rouen

150

Anvers

12

Cette disposition, pratiquée dans les ports du Nord Continent est connue sous le nom de « FOB Anvers » ou de « Pierre Bleue » ; elle consiste en ce que le chargement de la marchandise à bord du navire soit pris en compte par l'armateur lorsque celle-ci est placée dans une zone délimitée du quai. L'écart de prix est suffisant pour entraîner l'acheminement terrestre jusqu'à des ports du Nord de marchandises géographiquement proches de ports français. Cela explique, en moins en partie, le peu de marchandises conventionnelles traitées par le port du Havre (0,23 MT).

On peut se demander pourquoi les armateurs défavorisent ainsi les ports français. Deux motifs sont avancés : en premier lieu, parce que ceux-ci « vont à la marchandise » et ont tendance à préférer les frets importants. En second lieu, cela est dû, ainsi que nous le verrons plus loin, à des coûts de manutention plus élevés en France. En tout cas cette question a suscité de grandes polémiques de la part des chargeurs français. Mais les armateurs de lignes régulières au lieu de diminuer ou de faire disparaître ces « taxes d'embarquement » en France, comme le souhaiteraient les chargeurs, ont, au contraire, tenté de les instaurer dans les ports du Nord Continent (et y ont réussi partiellement en ce qui concerne les THC) 36 ( * ) .

Par ailleurs l'élément le plus important du taux de fret est le « fret officiel de base » qui sert à rémunérer le trajet maritime mais également l'agent portuaire représentant l'armateur, ainsi que les coûts de passage portuaire non pris en compte par les taxes d'embarquement 37 ( * ) . Depuis quelques années, les armateurs des lignes régulières pratiquent un prix identique sur tous les ports d'une même « rangée ». En d'autres termes ce sont eux qui absorbent les différences de coûts dus à des « transit times » plus ou moins grands ainsi que les différences de coûts de passage entre ports concurrents. Ainsi, pour les lignes régulières uniquement, le client final ne perçoit les écarts de compétitivité entre ports qu'au travers des taxes d'embarquement. Cela relativise à ses yeux les composantes du coût de passage portuaire (autres que la manutention). De son côté l'armateur y est bien sûr sensible, mais ce n'est pour lui qu'un élément de coût parmi d'autres beaucoup plus importants (manutention, gestion des conteneurs), et plus généralement, ce n'est qu'un élément parmi d'autres déterminants du choix qu'il fait d'un port d'escale : il n'est que de constater que le « FOB Anvers », pour lequel il supporte l'essentiel des coûts de manutention, ne le dissuade pas de desservir le Nord Continent 38 ( * ) .

5.6.4 Détail du coût de passage portuaire

Il est constitué par :

- le coût de la manutention,

- les droits de ports,

- les coûts de pilotage, remorquage et lamanage,

- le stockage et la reprise sous magasin ou sur terre-plein,

- les opérations administratives,

auxquels on doit ajouter les coûts d'immobilisation de la marchandise et du navire dans le port dont les valeurs unitaires sont importantes et qui dépendent de la célérité des opérations dans le port : ainsi, « un navire coûte chaque jour 9 000 $ pour un vraquier moyen, 16 000 $ pour un porte-conteneurs de 1 600 EVP (et même 25 000 à 30 000 $ pour un porte-conteneurs de 4 000 EVP) ; un séjour de la marchandise au port de trois semaines pour l'accomplissement des formalités douanières signifie une augmentation de son coût d'environ 0,6 % »

La manutention est pour tous les ports et toutes les marchandises (sauf les liquides en vrac) le poste qui pèse le plus lourd dans le coût de passage, d'où l'importance quantitative, mais aussi qualitative de ce poste.

marchandises

importance de la manutention dans le coût de passage

conteneurs

60 %

conventionnel

50 à 80 %

vracs solides

50 à 60 % ou plus

produits pétroliers

25 à 30 %

Source : Jean Chapon, Transports (op cité)

La DTMPL, sur la base de la réactualisation rapide d'une étude ancienne, a estimé qu'entre 1985 et 1995/1996, la part relative de la manutention 39 ( * ) dans le coût de passage portuaire est passée en moyenne, tous types de navires confondus, de 62 % à 54 %, même si la situation est très contrastée selon les ports. Cela étant, ces gains sont très insuffisants en comparaison des tarifs des concurrents étrangers 40 ( * ) . Les annexes 2 et 3 donnent des exemples de facturations à l'armateur pour du fret conventionnel et pour des conteneurs. Pour certains chargements de frets conventionnels, les tarifs peuvent aller du simple au double. Cela contribue sans doute au désir des armateurs de se reprendre de ces surcoûts sur les PLTC facturées aux concessionnaires ou aux chargeurs.

Les droits de ports se composent des droits sur le navire et (seulement en France et dans certains ports méditerranéens), de droits sur la marchandise.

Les droits sur le navire sont variables, et unitairement d'autant moindres que la cargaison opérée dans le port est plus importante. Le tableau ci-après en donne un aperçu.

Marchandises ou bateau

Importance des droits sur le navire dans le coût de passage

porte-conteneurs de 1 600 TEU

20 000 à 30 000 F *

300 conteneurs dans un « 1 600 TEU »

4 à 8 %

pondéreux solides

12 à 16 %

pondéreux solides de forte densité

20 à 30 %

produits pétroliers

40 à 50 %

* 40 000 à 60 000 F dans les ports étrangers de la Manche et de la Mer du Nord.

On voit l'importance du poste pour les produits pétroliers, d'autant plus grande que la manutention effectuée par passage est peu onéreuse. Les industriels de ce secteur s'en plaignent d'ailleurs, arguant que les installations correspondantes du port sont amorties et qu'ils « subventionnent » d'autres trafics plus volatils. Ils s'estiment mieux traités aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne. De fait, ils sont depuis peu partiellement entendus en France. Mais il convient de relativiser cette querelle, car le coût de passage portuaire à l'importation (hors déchargement) représente de l'ordre de 0,6 % du prix de reprise à la raffinerie.

En attendant de pouvoir disposer des travaux de l'Observatoire des coûts de passage portuaires (lesquels dépendent beaucoup des types de navires et de trafics), il est difficile de se faire une opinion sur la position concurrentielle des ports français, d'autant que les avis et exemples fournis sont divergents. Le paragraphe 5.4.2. a évoqué la bonne position du port d'Anvers. Notre sentiment est que les droits de ports ont fait l'objet d'ajustements au cours de ces dernières années, notamment pour les navires de lignes régulières, qui les rendent davantage compétitifs globalement parlant.

Les droits sur la marchandise pour les trafics non exonérés représentent entre le tiers et la moitié des droits sur le navire. De fait, ils ont une incidence négligeable sur le fret des lignes régulières, mais ils pèsent plus lourdement sur le compte d'escale d'un grand vraquier sec ou d'un grand pétrolier.

Les coûts de pilotage, remorquage et lamanage sont variables d'un port à l'autre en fonction de leurs conditions d'accès et de leurs caractéristiques nautiques.

Ces coûts étant déterminés au navire, et non au poids, ils s'abaissent unitairement avec la quantité de marchandises traitées : c'est l'effet « diviseur » qui désavantage les faibles quantités 41 ( * ) . Ainsi, pour le trafic des conteneurs, Le Havre manipule en moyenne 550 conteneurs par escale contre 936 à Rotterdam ou 1 139 à Anvers 42 ( * ) , lesquels se trouvent ainsi automatiquement avantagés.

Dans l'exemple de 300 conteneurs traités depuis un porte-conteneurs de 1 600 TEU, le poids de ces trois postes représente au total 15 à 25 % du coût de passage. Pour le vrac solide, son poids dans le coût de passage se situe entre 8 et 12 %.

La position compétitive des ports français sur ces trois postes appelle les mêmes observations que pour les droits de ports. Il est difficile de se faire une idée globale sur les performances comparées par rapport aux ports concurrents, mais en règle générale, les frais de ports semblent être du même ordre de grandeur et parfois moindres que pour les ports étrangers. Par ailleurs, ils ont une importance relative (8 %) dans les comptes d'exploitation des navires, ce qui en fait un poste moins sensible que les coûts de manutention ; cela ne dispense pas de rechercher chaque fois que possible des gains de productivité et des tarifs plus bas ou plus adaptés. Ainsi, l'expérience a montré, en matière de remorquage, que l'introduction d'une entreprise concurrente dans un port étranger avait pu faire baisser les prix correspondants d'environ 20 % à 25 % dans ce port.

Le stockage et la reprise sous magasin et sous terre-plein ont un coût très variable selon la nature de la marchandise et la durée des opérations.

Les opérations administratives concernant le navire représentent un coût faible (1 à 2 % pour les vraquiers, 2 à 4 % pour les autres navires). Par contre celles concernant la marchandise sont plus importantes, notamment pour le transit (exemple cité par Jean Chapon de 300 F par conteneur) et pour le connaissement (90 à 100 F par conteneur, comparable à l'ensemble des postes pilotage + remorquage + lamanage).

5.6.5 Essai de synthèse

Quoiqu'une vue globale soit difficile du fait de la diversité des situations et du manque de données disponibles, il est possible d'esquisser les conclusions suivantes :

Le premier poste de coût est le fret maritime. Celui-ci est actuellement au plus bas compte tenu des surcapacités mondiales lesquelles sont directrices sur les prix. De nouvelles interventions auprès des armateurs semblent toutefois souhaitables pour le fret conventionnel pour atténuer les handicaps concurrentiels dus au régime du « FOB Anvers ».

Le second poste de coût est celui de la desserte des hinterlands. Une attention particulière doit donc lui être accordée au niveau national.

Le troisième poste de coût, qui est donc de facto et, comme nous l'avons montré, de plus faible importance stratégique, est le coût de passage portuaire. Cela n'exclut pas dans les ports français, et notamment à Marseille qui est considéré comme cher 43 ( * ) , une recherche attentive d'économies de gestion, notamment pour le poste manutention qui est le plus fort.

* 14 Éléments tirés du rapport du Conseil économique et social déjà cité

* 15 Voir Baudouin, Collin, ouvrage déjà cité.

* 16 De même, une étude hollandaise estime la valeur ajoutée portuaire de ce pays à 42 milliards de Florins.

* 17 Rapport déjà cité de mai 1993.

* 18 Cf. Baudouin, Collin, op cité

* 19 Cette ville ayant également souffert d'un déclin démographique.

* 20 Certains passages sont inspirés d'un document de l'UPACCIM, « Analyse des interventions publiques dans les ports de commerce maritimes européens », 4 juin 1996.

* 21 Pour l'exercice budgétaire 1995, ce taux était de 20,35 % des dépenses d'investissement, il était de 24,4 % en 1994. Sur les six dernières années le montant moyen de la DGD s'élève à 34,7 MF, à comparer à 5,9 MF en 1984 et 15,2 MF en 1985, pour un trafic oscillant 4 et 4,5 millions de tonnes.

* 22 Extrait du bulletin hebdomadaire du Kredietbank, n° 16 du 31 mai 1996

* 23 Par pouvoirs publics, on entend ici le gouvernement fédéral, l'État fédéré ou la commune

* 24 . Voie d'accès maritime et écluses hors de la zone portuaire : à la charge des pouvoirs publics

* 25 « La filière portuaire française », rapport présenté par Jacques Dupuydauby,décembre 1986.

* 26 Opus cité.

* 27 Baudouin, Collin, op cité (graphique d'après I original).

* 28 Faisceau de pieux enfoncé dans le fond d'un bassin auquel viennent s'amarrer les navires.

* 29 Cf. relevé de constatations sur l'organisation portuaire française, Communiqué par le Contrôle d'État, le 13 novembre 1996.

* 30 Notamment « Pour un plan d'urgence au service des ports français et du commerce international : 15 propositions concrètes pour dynamiser l'économie et l'emploi », AUTF et alu, janvier 1997.

* 31 « Évaluation des éléments de la chaîne du transport intercontinental et du passage portuaire », Jean Chapon, Transports n° 37l, mai-juin 1995, article dont nous nous inspirons partiellement dans ce paragraphe

* 32 Ou plus exactement : par la marchandise, terme spécifique au transport maritime.

* 33 Plus exactement : les prix facturés par les entreprises génératrices des prestations.

* 34 Étude sur le prix de transport de marchandises transitant par les ports, réalisée pour le Commissariat général du Plan par le Cabinet MLTC, juillet 1997.

* 35 Ou à la marchandise lorsqu'il n'y a pas intervention d'un commissionnaire de transport.

* 36 On note toutefois mais dans le domaine du tramping une avancée à Dunkerque avec l'institution récente d'un « FOB Dunkerque » inspiré du « FOB Anvers ».

* 37 Plus le profit de l'armateur

* 38 Pour le « trampmg » (affrètement de navires), l'armateur est plus sensibilisé aux montants des droits de ports et des services maritimes qui constituent le coût direct de son escale.

* 39 Y compris magasinage. Si l'on prend seulement la part du navire de la manutention, les pourcentages cités deviennent respectivement égaux à 44 % en 19S5 et 35 % en 1995/1996.

* 40 Exceptions mises a part. Nous avons constaté sur un exemple que Barcelone est très cher dans un cas de conteneurs à l'exportation

* 41 II en est de même des droits de port sur le navire

* 42 Source Évaluation CMA, mentionnée par la Mission de préfiguration de l'Observatoire des Coûts de passage portuaire.

* 43 Cf. Étude BCEOM réalisée pour le Commissariat général du Plan : Analyse de la compétitivité des ports français » , octobre 1997. Un résumé de cette étude figure en annexe 4, Cf. également : étude MLTC, juillet 1997, déjà citée.

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