2. L'ombre du voisin chinois

Le Kazakhstan entretient des relations complexes avec la Chine. Celle-ci n'a jamais reconnu les " traités inégaux " donnant le Sémiretchié et le bassin inférieur de l'Ili à la Russie. Néanmoins, en deux ans une évolution importante s'est produite. Objet de craintes et de fantasmes (explosions nucléaires, envahisseur potentiel), enracinées dans l'histoire (les Djoungares), la Chine cesse peu à peu d'être perçue comme un danger.

Les visites répétées des deux côtés ont, semble-t-il, permis de surmonter les préventions kazakhstanaises . Après le voyage à Pékin du président Nazarbaev en octobre 1993, la visite historique du Premier ministre chinois Li Peng, en avril 1994, à Almaty a mis fin au différend sur le tracé des frontières. En septembre 1995, M. Nazarbaev a été reçu en Chine. En juillet 1996, M. Jiang Zemin s'est rendu à Almaty où il a prononcé un bref discours en russe devant une foule enthousiaste. Le choix d'un sinologue et sinophone averti comme Ministre des Affaires étrangères du Kazakhstan, M. Kasimjomart Tokaev (ancien secrétaire de l'Ambassade soviétique à Pékin de 1985 à 1991), a marqué l'intérêt prioritaire accordé par le Président Nazarbaev à la Chine.

Les explosions nucléaires chinoises de Lob Nor, dont les radiations étaient perceptibles et mesurables à Almaty, demeuraient toutefois un sujet d'inquiétudes pour les autorités kazakhstanaises . La fin de ces expériences en 1996 a rassuré les Kazakhs, très sensibilisés à ces problèmes par leur passé soviétique.

Les peurs d'une invasion invisible, alimentées par le constat d'une émigration clandestine pourtant limitée, et l'achat de vastes surfaces de terres (les 2,5 millions de km² du Kazakhstan ne sont peuplés que par 16 millions d'habitants) semblent avoir disparu.

En ce qui concerne la question ouïghoure , l'heure est à l'apaisement, grâce à la politique consistant à privilégier les bonnes relations avec la Chine plutôt que les similarités ethniques. La Chine est un voisin trop puissant et un partenaire économique trop important pour que le Kazakhstan se laisse aller à soutenir la communauté (proche ethniquement et linguistiquement des kazakhs) des ouighours du Xian Jiang, ou à fermer les yeux sur l'activisme des 200.000 ouïghours établis sur son territoire. La dérive terroriste Ouïghoure depuis les événements de Yining (Kouldja) en février 1997 permet au Kazakhstan d'accentuer ses distances envers ces revendications et de les traiter de purs problèmes intérieurs de la Chine, se référant aux accords signés en 1995 et 1996 sur la non-intervention réciproque dans les affaires du pays cosignataire. Almaty sait par ailleurs que son éventuel soutien à la cause des Ouïghours du Xin Jiang, pourrait provoquer, outre les critiques de Pékin, une contagion nationaliste sur son territoire où coexistent plus de 128 nationalités. Almaty ne manque donc pas d'agiter le spectre du " séparatisme ", malgré la présence au Xin Jiang d'environ 1.000.000 de Kazakhs ethniques, qui posent au régime de Pékin apparemment moins de problèmes que leurs cousins Ouïghours.

Dans le domaine de la coopération militaire , lors de sa visite à Almaty du 12 au 16 juin 1997, le Colonel Général Chi Haotian, Ministre chinois de la Défense et Vice-Président du Conseil suprême des armées aurait, semble-t-il, promis de doter prochainement le Kazakhstan de vaisseaux qui viendront renforcer la flotte de garde-frontières patrouillant sur la Caspienne.

L'accord historique sur le tracé des frontières demeure celui signé à Shanghaï en avril 1996, par la Chine et les quatre Etats frontaliers successeurs de l'URSS. Il reste encore néanmoins à préciser 1 % du tracé des 1.718 km de la frontière sino-kazakhstanaise.

Par ailleurs, l'accord de démilitarisation, signé en avril à Moscou par la Chine et ses voisins ex-soviétiques, prévoit de réduire à 260.000 le nombre de soldats déployés de part et d'autre de la frontière -longue de 7.300 km- entre les pays signataires.

Enfin, la coopération pétrolière est révélatrice de l'évolution des rapports entre ces deux Etats . Le 4 juin 1997, était signé par la Compagnie nationale chinoise du pétrole (CNPC), un contrat prévoyant l'exploitation de trois gisements pétrolifères (Janajol, Kenguiev 1 et 2) situés dans le Nord-Ouest du Kazakhstan pour 4 milliards de dollars sur 20 ans. M. Jiang Zemin s'est par ailleurs récemment déclaré favorable à un oléoduc de 3.000 km reliant le Nord-Ouest kazakhstanais au Xin Jiang chinois, d'un coût d'environ 3,5 milliards de dollars. M. Li Peng s'est rendu au Kazakhstan le 25 septembre 1997 pour signer un contrat d'extraction pétrolière sur le champ d'Ouzen, prévoyant un investissement d'1,3 milliard de dollars jusqu'en 2002. La commission des appels d'offre, présidée par le vice-Premier ministre et Ministre du commerce, M. Choukeev, a attribué, le 1er août dernier, le contrat à la CNPC malgré la concurrence d'Amoco, fort amère d'avoir été écartée, et d'un consortium américano-malaisien (UNOCAL/PETRONAS) appuyés par un fort lobbying américain. Il est possible que des considérations géopolitiques relatives au désenclavement -que permettrait le pipe-line transchinois- aient contribué à ce choix.

La Chine apparaît surtout aujourd'hui comme un important partenaire commercial (vols quotidiens entre Almaty-Urumqi) dont le brillant développement économique pourrait entraîner celui du Kazakhstan.

La politique menée par le Président Nazarbaev sera le facteur déterminant dans l'évolution de la stabilité du pays. Dans son " discours à la population kazakhstanaise " du mois d'octobre dernier, le chef de l'Etat a réaffirmé son souhait de consolider les relations du Kazakhstan avec ses deux principaux voisins tout en menant une politique d'indépendance .

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