Mme Sylvaine COURCELLE,
Vice-président du Tribunal de grande instance de Paris
Mme Marie-Christine GEORGE,
Juge aux Affaires familiales
au Tribunal de grande instance de Créteil
Mme Danièle GANANCIA,
Juge aux Affaires familiales
au Tribunal de grande instance de Nanterre

M. le PRESIDENT. - Après ces points de vue théoriques qui ont été exprimés, nous écouterons vos expériences et les conséquences vous pourrez en tirer.

Mme COURCELLE . - J'ai vu que Madame et Messieurs les Professeurs de droit étaient contradictoires dans leurs termes. Nous, les juges, le sommes aussi. Je vais défendre une position qui sera combattue vigoureusement par les deux autres vice-présidents qui sont à mes côtés.

Concernant l'évolution de la famille, compte tenu du temps qui m'est imparti, je ne pourrais pas traiter tous les problèmes. J'ai fait une note écrite que je pourrai donner à Monsieur le Président, si vous désirez des renseignements complémentaires.

Je me concentrerai sur deux points : le statut des pères naturels et la réforme du divorce.

L'exercice commun de l'autorité parentale est de droit pendant le mariage, de principe après un divorce. Pour les parents naturels le principe de l'autorité parentale en commun n'est appliqué que sous les conditions de la reconnaissance de la première année de la vie de l'enfant et de la cohabitation, au plus tard au moment de la seconde reconnaissance.

J'ai scrupule à critiquer cette disposition, je sais que le Sénat l'a voulue expressément pour écarter les liaisons éphémères. Dans notre vie de praticien, nous constatons que ces dispositions sont beaucoup trop complexes et mal adaptées aux situations actuelles.

Il semble nécessaire que le père naturel, qui a pris un engagement vis-à-vis de l'enfant au moment de sa naissance et qui l'a reconnu par un acte spécial, puisse automatiquement exercer l'autorité parentale en commun. La cohabitation en l'espèce n'ajoute rien, même des couples mariés peuvent ne pas cohabiter.

Les divorcés nécessairement séparés peuvent exercer l'autorité parentale en commun. Le certificat de communauté de vie qui permet la preuve de cette cohabitation est demandé très souvent dans le cas d'étrangers en situation irrégulière. Samedi et dimanche j'étais de permanence comme juge délégué pour les étrangers en situation irrégulière, de nombreux étrangers avaient un certificat de communauté de vie. Un certain nombre de ces documents ne sont là que pour tourner des dispositions légales. Comme il est très peu employé, ce côté marginal et détourné de la loi devrait cesser.

Les parents naturels doivent avoir un statut reconnu. Il n'est pas normal, en tant que juge, quand on doit s'occuper d'un enfant naturel, de ne jamais savoir le statut exact du père, car ce sont des situations qui peuvent être très différentes.

Je passe au divorce. L'annonce de Mme le Ministre Guigou, disant que, puisqu'on se mariait sans juge et sans avocat, on pouvait divorcer dans les mêmes conditions, a stupéfié tous les groupes qui réfléchissaient sur une réforme du divorce.

Si tout le monde était bien d'accord qu'il fallait toiletter la loi sur le divorce de 1975, cette possibilité de divorce civil ou administratif nous a absolument stupéfiés. L'intérêt de cette déclaration a été de faire prendre conscience que nous avions raté le débat de fond, philosophique sur la famille, le mariage et le divorce.

En ce qui me concerne, je soutiendrai la position opposée à ce divorce administratif ou civil, en me référant aux trois critiques que l'on fait actuellement sur le divorce.

1) La lenteur de la procédure.

2) Le coût du divorce.

3) La dramatisation que représenterait le passage devant un juge.

Au sujet de la troisième condition, je voudrais dire que, dans mes attributions, j'ai le consentement pour la procréation médicalement assistée. Je reçois les couples qui veulent passer par un tiers donneur. Ces couples ont le choix entre deux formes de procédure : soit ils passent devant le juge et c'est gratuit, soit devant le notaire, là, le coût est d'environ 103 F. Que se passe-t-il ?

Tous les couples viennent devant nous, ou pratiquement tous. C'est donc que la dramatisation que représenterait le passage devant un juge n'est pas aussi grave que cela. Ce qui tracasse plutôt les couples, c'est le coût.

Je reprends les deux autres critiques, mais en préambule, si un mariage et un divorce sont des actes graves, ce n'est quand même pas la même chose parce que dans un mariage il y a l'accord des parties et tous les intérêts sont convergents. Le couple veut bâtir quelque chose de convergent.

Dans un divorce, la seule chose qui soit convergente est la nécessité de divorcer, mais tous les autres intérêts sont divergents. On ne peut pas faire un parallélisme qui serait un petit peu tentant.

Quant à la lenteur de la procédure, il y a deux sortes de lenteurs :

La première est inhérente aux procédures parce que qu'il y a, par exemple, des expertises, des discussions très âpres sur les mesures financières ou sur les enfants. Ce divorce civil ne peut pas toucher cette forme de divorce et la lenteur des procédures durera toujours quand ce type de difficultés se présente.

Le divorce civil ne peut toucher que le divorce par consentement mutuel. Quel est le rôle du juge dans un consentement mutuel ?

Il est de vérifier l'équité des conventions et l'intérêt des enfants. Un maire peut-il avoir la fonction juridictionnelle de vérifier ce consentement ? Non, je ne le pense pas. On pourrait me rétorquer, j'entends des positions de l'autre côté, que l'on peut séparer le prononcé du divorce des conséquences. Le prononcé du divorce serait devant le maire et les conséquences éventuellement devant un juge. Je suis très opposée à ces divorces fragmentés.

Un des intervenants antérieurs a fait remarquer à quel point il était désagréable de devoir faire des liquidations quinze ans après une séparation. Il vaut mieux, au contraire, régler tous les problèmes. Si on doit revenir une fois devant le juge pour les enfants, une fois pour la liquidation, une fois pour la prestation compensatoire, ce n'est pas un gain de temps.

De plus, le temps est un facteur qu'il faut considérer dans un divorce, car comme dans un veuvage, celui qui perd son conjoint peut être triste, alors que dans un divorce on ne veut même pas lui laisser le temps de faire son deuil.

La deuxième critique est le coût de la procédure. Actuellement ce ne sont pas les juges qui coûtent cher, ce qui est reproché, c'est naturellement celui des avocats.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - Et des notaires.

Mme COURCELLE . - Exactement. Dans un divorce par requête conjointe, on peut ne prendre qu'un seul avocat. Pourquoi ? Parce qu'il y a un regard objectif sur la procédure. Il y a le regard du juge qui va refuser d'homologuer tel point qui n'est pas l'intérêt des parties ou des enfants. Quand on travaille sous le regard de l'autre, on évite autant que possible les erreurs et les bavures.

En revanche, si des époux devaient divorcer, sans le regard objectif du juge et avec un maire qui ne peut pas avoir ce rôle décisionnel, juridictionnel, il faudrait avoir deux avocats. Là, il faut que chacun soit bien conscient de ses droits.

Souvent le consentement des parties, au moment de la crise du couple, est terriblement difficile à cerner. Dans notre pratique, nous avons tous vu le cas d'hommes ou de femmes qui abandonnaient l'autre conjoint tout à fait victimisants et qui prenaient des engagements, en particulier des prestations compensatoires, incompatibles avec le futur prévisible des époux.

Nous avons vu d'un autre côté, des femmes voulant absolument la garde des enfants et qui abandonnaient tout sur le plan financier. Dans ce cas, à mon sens, devant un maire, ces dispositions ne pourront pas être rattrapées, puisque qu'une prestation compensatoire ne peut pas se rattraper, en tout cas en l'état de notre droit.

Je voudrais dire ce qui me semble important. Cela ne peut pas toucher, comme on l'a dit, des divorces simples, sans enfant, sans biens, sans années de mariage. Je ne crois pas qu'on puisse faire une distinction législative entre deux types de mariage, les personnes qui ont des enfants et celles qui n'en ont pas. Du point de vue de la natalité, cela ne me paraît pas être une idée faramineuse.

Je suis plus partisane d'une réforme du divorce. Contrairement à certains intervenants, en matière de requête conjointe, le juge pourrait avoir la possibilité de prononcer le divorce lors de la première audience. S'il considère, de même que le couple, que le divorce est parfait et qu'il n'y a rien à rattraper, compte tenu des délais qui existent en pratique, je ne vois pas très bien ce qui justifierait le deuxième passage.

La deuxième réforme que j'envisagerais est le divorce pour rupture de vie commune où, à mon sens, maintenant, le temps s'étant accéléré, six ans paraissent un délai un peu trop long. Cela résoudrait une partie des problèmes des divorces pour faute.

Je vais passer tout de suite au divorce pour faute. Doit-on supprimer la faute ? Beaucoup de juges partent du constat qui est réel, que la majorité des divorces sont aux torts partagés et que l'agressivité déployée dans ce type de divorce est mauvaise pour le couple et les enfants et donne un climat malsain et pervers.

Certains préconisent la suppression du divorce pour faute. Si les époux souhaitent éviter le combat, ils ont à tout moment la possibilité de le faire en recourant à la passerelle ou en demandant la non motivation du jugement. Il y a lieu de constater que le divorce est très majoritairement prononcé aux torts partagés, quand les deux époux sont présents à la procédure, quand l'un n'est pas là, évidemment c'est un divorce aux torts exclusifs. Il ne faut pas faire oublier la frange des divorces se prononçant aux torts exclusifs et surtout le débouté des demandes.

La vraie question qui se pose, et je vais la poser en termes un peu provocants : le véritable progrès de notre loi, de notre droit est-il de revenir à la répudiation unilatérale ? Actuellement le divorce est le constat d'une faute ou d'un échec. Mais cet échec doit être constaté objectivement de deux façons : ou les deux époux sont d'accord pour constater qu'il y a échec de leur couple, ou bien le juge estime qu'il y a séparation de fait de plus de six ans, qu'on pourrait réduire à trois ans, qui est la preuve même de l'échec du couple.

Si on doit permettre, unilatéralement en dehors de ces cas, à un seul époux de divorcer, c'est revenir au système de la répudiation. Dans les divorces pour rupture de vie commune, la proportion des femmes demanderesses est inversée par rapport aux autres divorces.

Dans les cas de tous les divorces autres que sur requête conjointe, puisque qu'il y a deux demandeurs, 70 % de femmes demandent le divorce, dans les ruptures ce sont 70 % d'hommes.

Pour éviter ce reproche de répudiation, on a considéré qu'on pouvait envoyer le couple devant un médiateur ou un conseiller conjugal ou mettre un délai de plusieurs mois entre le dépôt de la requête et le passage devant le juge.

La première solution, le passage devant un médiateur me paraît artificielle. Si je suis très favorable à la médiation, dans ce cas particulier la volonté de divorcer et la certitude d'y arriver rendent vains le passage obligé par un médiateur. Pour qu'une médiation ait quelques chances d'aboutir, il faut que les deux soient d'accord et dans ce cas particulier, on peut se demander si les deux le seraient.

Le deuxième point qui me fait déclarer artificielle cette solution, est qu'il n'y a pas lieu de transférer à un travailleur social le soin de juger du caractère irrémédiable d'une situation matrimoniale.

La deuxième solution qui serait le facteur temps, la certitude d'obtenir un divorce contre la volonté de l'autre, n'est pas un facteur de conciliation.

Je voudrais m'étendre sur l'agressivité qui existe. Il est vain de nier qu'elle existe au moment de la crise conjugale. Cependant, la nier me semble contraire à une bonne évolution du couple. Il faut que l'agressivité sorte. Si elle ne sort pas sur les griefs, ne sortira-t-elle pas sur les enfants ce qui sera encore plus nocif pour eux ? La preuve de cette affirmation est que tout le monde sait qu'une partie des instances modificatives touche celles qui ont suivi un divorce par consentement mutuel. Il est à craindre que si l'on empêche cette agressivité, elle ne ressorte sur les enfants ou après. Cette agressivité qui dure pendant des années est encore plus néfaste qu'au moment du divorce, de la crise. S'il existe un droit à divorcer, il doit se faire dans le respect des droits de l'autre.

Je suis pour favoriser les formules qui tendraient à simplifier ce que l'on appelle la passerelle, c'est-à-dire la possibilité de passer au divorce sur requête conjointe. Actuellement on est obligé de revenir à l'ordonnance initiale, sans pouvoir passer directement au jugement.

Je serais d'accord aussi pour séparer les conséquences financières du divorce pour faute. Souvent, cette bataille infinie des griefs ne cache qu'une chose : on ne veut pas que l'autre ait une prestation compensatoire, ce qui pousse les juges à mettre le divorce aux torts partagés, alors qu'ils seraient parfois plus enclins à les attribuer à un membre du couple. S'ils le font, ils savent qu'ils vont priver l'un des conjoints de tout droit à prestation compensatoire.

Je ne parlerai pas du PIC ou du CUC, car les projets sont très nombreux. J'ai été stupéfiée et le projet de M.  Hauser a été un soulagement.

Je voulais, pour terminer, vous dire par comparaison un mot des familles recomposées. Je fais partie d'un groupe de réflexion qui travaille sur ce sujet. Je tiens à dire, en un mot, qu'il me paraît tout à fait mauvais d'élaborer un statut des familles recomposées. Seul le toilettage des textes me paraît intéressant parce que la raison invoquée est la nécessité de protéger les parents biologiques, en particulier le père qui a beaucoup de mal à faire sa place au moment des séparations, et de le protéger de cette rivalité avec le nouveau beau-père par rapport à son bel-enfant.

Le deuxième point que je voudrais souligner dans les familles recomposées est la multiplicité des situations de fait des familles recomposées, qui peuvent aller des liaisons éphémères à des concubinages stables ou au remariage. Je vous renverrai au document que j'ai remis.

En conclusion, il est vrai que lorsqu'on touche au divorce, on touche au fondement même du mariage. Beaucoup de principes philosophiques et moraux resurgissent.

En tout état de cause, et comme juge, une fois votée régulièrement, la loi sera appliquée.

M. LARCHÉ, président. - Merci infiniment. Une question de détail : y a-t-il une proportion que vous pourriez nous indiquer quant aux refus que l'on oppose à des conventions de requête conjointe.

Mme COURCELLE . - Le refus pur et simple est très rare car, en général, les personnes changent leur convention. L'incitation à changer des points de convention est fréquente. Je ne peux pas donner de chiffre sans risque d'erreur.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - Cela dépend des juges.

Mme COURCELLE . - Peut-être, et des avocats qui ont l'habitude de leur juge aussi.

Mme GEORGE . - C'est au nom de mon expérience de praticienne que vous m'avez invitée à exposer mon point de vue. Je suis magistrat à Créteil, depuis quatre ans et j'exerce les fonctions de juge aux affaires familiales. Je préside la Chambre du conseil qui statue en matière de filiation.

A Créteil nous sommes, en théorie, neuf juges aux affaires familiales et le plus souvent huit. Nous rendons entre 7 500 et 8 000 décisions par an. En 1997, 72 % des jugements civils rendus par le Tribunal de grande instance de Créteil, ont été rendus en matière familiale.

Créteil est la huitième juridiction de France pour le contentieux de la famille et la sixième pour la population de son ressort. Le tribunal de Créteil traite 2 % des contentieux familiaux nationaux. Voilà pour le cadre de mon expérience.

Je voulais vous parler de l'évolution du droit de l'autorité parentale, pour dire à quel point la loi de 1993 a permis une évolution positive des conséquences de la séparation à l'égard des enfants. Cette loi est un outil précieux pour les juges, notamment pour renvoyer les parents à leurs responsabilités, puisque la loi renvoie à la responsabilité première désormais des parents, de régler les conséquences de leur séparation pour leurs enfants.

L'intervention du juge n'est plus que subsidiaire à l'accord des parents. Si le juge peut s'opposer à un accord des parents au nom de l'intérêt de l'enfant, je peux témoigner qu'il le fait rarement car il est convaincu de la nécessaire modestie dont il doit faire preuve à l'égard des choix des parents. On rappelait à quel point le discrédit porté sur les parents posait problème aujourd'hui. Les juges ont tout à fait conscience de cette nécessité.

Le principe de l'égalité de droits et de devoirs des parents, posé par la loi de 1993, permet au juge, dans la mesure du possible ,de garantir la place de chacun des parents près de l'enfant après la séparation. On a noté une évolution positive sur ce plan. Il y a quatre ou cinq ans les études de l'INED témoignaient que la moitié des enfants de parents séparés ne voyait plus ou très irrégulièrement leur père. La dernières études tendent à montrer que ce ne sont plus que 30 % des enfants qui ne voient plus ou très irrégulièrement leur père après la séparation.

Si le choix de la mère pour fixer la résidence habituelle n'a pas changé -dans la majeure partie des cas c'est un accord des parents qui fixe la résidence des enfants chez la mère- en revanche la place du père a beaucoup évolué notamment par un meilleur équilibre du temps passé par l'enfant auprès de chaque parent. Un père qui revendique plus que le sacro-saint week end sur deux et la moitié des petites et grandes vacances scolaires obtient satisfaction auprès de nombreux juges aux affaires familiales.

Bien que positive, cette évolution est inachevée. Les principes de la loi de 1993 sont parfois méconnus, même par les praticiens du droit. En effet, le principe du maintien de l'exercice de l'autorité parentale par les deux parents fait qu'il n'y a plus démantèlement de l'autorité parentale, ce qui n'empêche pas de nombreux praticiens et de nombreuses décisions judiciaires de faire référence au droit de visite d'hébergement, qui juridiquement n'a pas de sens dans le cadre de l'exercice en commun de l'autorité parentale.

Les principes de la loi de 1993 sont également méconnus par un certain nombre d'administrations : les services sociaux, fiscaux ; l'institution scolaire a fait de sérieux progrès sur ce point. Parfois les services fiscaux exigent des décisions judiciaires alors qu'elles ne sont pas nécessaires. Ces procédures entraînent des coûts, du fait que le principe de la loi de 1993 n'est pas rentré dans les moeurs. Une simple accord des parents sur un changement de résidence est suffisant pour permettre le changement, notamment du quotient familial.

Nous ne sommes pas en désaccord sur tous les points. Concernant la limite apportée à l'exercice en commun de l'autorité parentale par les parents naturels, je suis entièrement d'accord avec les propos de Mme Courcelle. L'exigence de la communauté de vie nuit gravement à la sécurité juridique des enfants naturels. Il serait nécessaire de savoir, à la lecture de l'acte de naissance, quel parent exerce l'autorité parentale. De nombreuses directrices de crèche inquiètes nous téléphonent. Il faut une plus grande sécurité juridique. Par ailleurs, c'est conforme à l'évolution sociologique des familles naturelles. Le fait d'exiger cette communauté de vie visait à protéger la mère et l'enfant du père que l'on pensait fugitif, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Cette condition de communauté de vie pourrait être supprimée.

Sur l'acte de reconnaissance des enfants naturels, on note une évolution très rapide. Selon les derniers chiffres, en 1996, 39 % d'enfant sont nés de parents non mariés. En 1994, 85 % des enfants nés de parents non mariés ont été reconnus par leur père avant leur premier anniversaire.

A noter une très forte progression des reconnaissances concomitantes avant la naissance de l'enfant. Les deux parents vont à la mairie le reconnaître. En 1992, ils étaient 30 % à le faire et 39 % en 1995. On peut se demander si cette démarche commune des parents avant la naissance ne constitue pas un nouvel acte fondateur de la famille.

Il faudrait mener une réflexion sur les conditions dans lesquelles cet acte de reconnaissance est passé. Il se fait au guichet des services d'état civil de la mairie, alors qu'il est solennel, irrévocable d'une gravité extrême puisque qu'il est le signe de filiation entre un parent et un enfant. Il va créer des obligations réciproques qui vont durer leur vie durant.

Le décret de 1962 qui a permis aux officiers d'état civil de déléguer leur fonction aux employés des services d'état civil, devrait être revu, surtout pour ce qui concerne les actes de reconnaissance.

Concernant le droit de la filiation, à la Chambre du conseil nous constatons un certain nombre de procédures, peu nombreuses mais d'une grande violence pour des enfants qui se voient contester, quelquefois à plusieurs reprises, leur filiation paternelle. Des enfants font l'objet d'une reconnaissance, d'une légitimation subséquente par le mari de leur mère qui n'est pas leur père biologique. Le couple se sépare, le mari de la mère conteste la reconnaissance et la légitimation subséquente. Parfois la mère se remarie. Dans une procédure, j'ai déjà vu un enfant de huit ans qui avait changé quatre fois d'identité. Il me semble nécessaire de stabiliser l'état de l'enfant et de restreindre les possibilités de contestation du lien de filiation.

Nous pourrions aussi faire une distinction dans les contestations qui visent à remplacer une filiation par une autre et dans les procédures engagées par des mères qui visent simplement à détruire les liens de filiation.

La possession d'état de dix ans exigée actuellement me paraît également beaucoup trop longue. Je m'interroge sur le fait de savoir s'il ne serait pas possible de fixer la durée de la possession d'état en fonction de l'époque à laquelle elle se situe dans la vie d'un enfant. Il est clair que la possession d'état originelle des premières années d'un enfant pèse plus que celle qu'il peut avoir, à douze ou treize ans, quand sa mère se marie.

Nous relevons de nombreuses procédures de mères qui demandent le changement de nom de leur enfant naturel, elles demandent qu'il porte leur nom, alors qu'il portait celui de son père. Ces procédures sont utilisées comme une sorte de déchéance, le père ne payant pas la pension ou ne manifestant pas suffisamment d'intérêt pour son enfant.

Dans la mesure où les reconnaissances concomitantes ou paternelles sont importantes dans la première année de la vie de l'enfant, ne pourrait-on pas considérer comme attribué définitivement le nom du père à l'enfant quand il a été reconnu par une reconnaissance concomitante ou lors de la première année de sa vie ?

Les administrateurs ad hoc : la loi de 1993 a généralisé cette institution. Au tribunal de Créteil, lors de ces conflits de filiation, nous estimons qu'il y a souvent lieu d'en désigner un. La seule difficulté est que le financement de cette institution n'a pas été prévu. Nous sommes en pourparlers avec l'ASE du Val de Marne qui considère que cette fonction n'entre pas dans ses missions dans le cadre des procédures civiles. Elle se trouve débordée .

Je dois aborder la question du divorce civil. La tâche n'est pas facile après les avis unanimement hostiles et les plus autorisés que nous venons d'entendre. On m'a demandé de venir vous dire pourquoi je ne suis pas hostile à cette innovation.

120 000 divorces sont prononcés chaque année en France. A Créteil, nous en prononçons 2 600 environ. C'est un contentieux de masse, le plus souvent un divorce est toujours un drame personnel. En 1975, l'idée d'une déjudiciarisation du divorce a été évoquée. En 1989, le Doyen Carbonnier rappelait que l'opinion publique aussi bien que la classe juridique répugnait à un divorce non essentiellement judiciaire. Les magistrats étaient, selon ses termes, peu disposés à abandonner ce contentieux qui les accable et leur confère le prestige d'une médiation et d'une police des familles.

L'opinion publique semble avoir changé si nous nous en tenons aux sondages effectués récemment. Certes, l'engouement du public ne suffit pas à garantir la valeur d'une réforme. En 1975, le législateur a créé plusieurs cas de divorce afin de respecter le pluralisme des convictions religieuses, philosophiques, ainsi que la diversité des situations familiales.

Depuis cette date, des changements sont intervenus dans les familles. Les rituels de l'institution familiale ne sont plus utilisés de la même façon.. De même que le mariage ne marque plus l'entrée dans la vie conjugale, mais intervient le plus souvent après une période de vie commune plus ou moins longue, de plus en plus de couples divorcent après un temps de séparation.

A travers les diverses procédures, le temps que prennent les époux pour décider, négocier et organiser leur séparation et ses conséquences, constitue une principale ligne de partage des attitudes face à la séparation et ils peuvent parvenir à régler eux-mêmes les conséquences de leur divorce. Dans la logique de 1975, il me semblerait souhaitable de prévoir un cas de divorce adapté à ces attitudes qui semblent plus fréquentes que par le passé, même si une minorité est concernée. Il était rappelé tout à l'heure que le divorce pour rupture de la vie commune ne concernait que 1 % des divorcés.

L'idée de pluralisme de la loi de 1975 doit être conservée. Le divorce pourrait être réservé aux époux séparés de fait depuis un certain temps, puisque c'est bien la question du temps qui sépare les différents couples. On pourrait envisager une séparation de fait d'un ou deux ans et un délai de réflexion entre le dépôt de la demande et le prononcé du divorce par l'officier d'état civil.

Le terme de divorce civil ne me choque pas puisqu'on parle de mariage civil, ce serait un divorce prononcé par l'officier d'état civil. Le divorce civil serait vraiment un cas supplémentaire. Il est indispensable de conserver toutes les autres procédures y compris le divorce sur requête conjointe. En effet, un certain nombre de couples négociant des accords plus ou moins difficiles ont besoin de voir homologuée cette convention par un juge.

Par ailleurs, il faut également que le rôle du maire soit simplement limité, comme en matière de mariage, au seul recueil des consentements et peut-être au rappel de certaines obligations des parents, par lecture de certains articles du Code civil. Son rôle pourrait être le même que lorsqu'il prononce un mariage. Je rappellerai pour rassurer un certain nombre d'officiers d'état civil, que les amendes, les pénalités actuellement encourues par les maires lorsqu'ils prononcent des mariages ne respectant pas les prescriptions légales varient de 20 à 200 F. Ce divorce ne pourrait concerner que des époux qui n'ont absolument pas besoin de formaliser des accords officiels.

Concernant les enfants, le recours devant le juge sera toujours possible. En matière d'enfants, aucune décision n'est jamais définitive, de même pour les pensions alimentaires.

Cette innovation heurte nos habitudes de pensée et peut poser des problèmes, notamment pour la répartition des biens, des dettes, le droit à la prestation compensatoire. Pour ce qui est du rapport de force entre les époux, je rappelle que depuis 1975 la loi reconnaît que la décision de se séparer de son conjoint peut n'appeler aucun contrôle, à partir du moment ou celui-ci l'accepte. C'est pourtant là que réside l'inégalité la plus forte entre celui qui veut la séparation et celui qui la subit. Il nous arrive souvent, à nous juges des affaires familiales, de nous entendre répondre, quand nous interrogeons un époux qui divorce sur la réalité de son consentement, qu'il n'a pas le choix. A ce stade de la procédure le juge n'a rien à apporter à ce constat résigné. Les rapports de force s'équilibrent dans un certain nombre de cas. Les femmes demandent plus souvent le divorce alors que généralement les hommes sont en position de force sur le plan économique.

Concernant les procédures actuelles, il faut considérer qu'un certain nombre d'entre elles sont en trompe-l'oeil quant à la garantie des droits de chacun. Je rappelle que 27 % des divorces contentieux, hors requêtes conjointes, sont prononcés non contradictoirement. 30 % des procédures de divorce pour faute demandés par des femmes en présence d'enfants mineurs sont prononcés de façon non contradictoire. Parmi ces femmes 60 % bénéficient de l'aide juridictionnelle, ces situations se présentent très souvent, c'est-à-dire l'hypothèse où le mari est parti, laissant les enfants, les dettes et ne donnant plus aucune nouvelle. La femme ne sait même plus l'adresse de son mari.

Bien sûr il est nécessaire de garantir l'accès au droit le plus tôt possible. Il sera nécessaire de développer l'aide juridique, éventuellement l'aide juridictionnelle car en cette matière le rôle des avocats est essentiel, mais pas forcément dans l'hypothèse d'une procédure judiciaire. Ce sont des conseillers, ils doivent développer cette fonction de conseiller et de négociateur d'accords. Je cite l'exemple des avocats de Créteil qui se forment à la médiation familiale. C'est une excellente chose.

N'étant pas obligés de recourir à une procédure judiciaire, peut-être les époux iront-ils consulter plus vite un avocat. Peut-être même pourront-ils se tourner vers d'autres professionnels car tous les couples n'ont pas les mêmes problèmes. On ne peut pas parler du divorce en général. L'intérêt de notre métier est la diversité des situations. Certains époux pourront consulter un notaire, un thérapeute conjugal ou un médiateur familial, selon leurs besoins. Ces consultations, plus précoces, seront plus efficaces pour la réconciliation des couples que l'intervention du juge. Le juge arrive beaucoup trop tard. On peut constater l'échec total du juge, puisque le taux de réconciliation devant eux varie entre 0 et 0,3 %. Le temps de la séparation permettra de cibler les époux qui pourront divorcer.

Pour les dettes, il est souhaitable de prévoir une meilleure articulation entre les procédures de surendettement et les séparations de fait des époux. Quant aux biens, il est impossible d'exiger des époux de liquider leur régime matrimonial avant de passer devant le maire, puisqu'on ne demandera aucun contrôle au maire. Donc, nécessairement certaines situations difficiles viendront devant les tribunaux. Il faut toutefois relativiser ce contentieux, sur 120 000 divorces par an, 70 000 procédures post divorces, parmi ces dernières, 3 500 concernent la liquidation du régime matrimonial. C'est dire que le problème des biens est pour les juristes très important si on lit les arrêts de la Cour de cassation, mais quantitativement il est marginal.

La question de la prestation compensatoire en l'état actuel du droit pose problème. Peut-être faut-il prévoir un délai pendant lequel cette demande pourrait être faite devant le juge. Elle concerne 13 % des divorces parmi lesquels bon nombre sont de fausses prestations compensatoires puisque ce sont des partages et des négociations dans le cadre de la liquidation par compensation entre la soulte et la prestation compensatoire.

Une crainte est souvent avancée, celle du contentieux post divorce. Une bonne part pourrait être largement réduite : il est constitué, pour plus de 50 %, par le contentieux des pensions alimentaires qui correspond à la crise économique actuelle. Pour les procédures successives, il faut absolument arriver à déterminer des lignes directrices qui permettraient aux ex-époux de négocier des accords. C'est un travail auquel nous nous attelons au tribunal de Créteil avec les avocats également.

Par ailleurs, une bonne part du contentieux post divorce est un faux contentieux. Les parents sont parfaitement d'accord, mais ils répondent, en engageant une procédure, aux exigences des tiers, des administrations qui n'acceptent pas un accord privé. Il subsiste de vrais litiges et il est légitime qu'ils viennent devant le juge. Quand les époux divorcent peu de temps après leur séparation, la période de deuil va avoir lieu après le divorce, à l'occasion d'un remariage, d'une naissance. Des litiges vont surgir et le juge est dans son rôle en les traitant. Il est illusoire de penser qu'on peut au moment du divorce régler définitivement toutes les questions.

Les avantages de ce nouveau divorce sont les suivants :

§ Tirer toutes les conséquences de la loi de 1993 qui deviendrait parfaitement lisible.

§ Marquer la responsabilité des époux et des parents.

§ Redonner au juge sa juste place qui est de résoudre un conflit quand il existe, alors que les termes et les enjeux en sont connus.

§ Eviter le discrédit de l'institution judiciaire.

Je ressens dans ces audiences rapides sans enjeu, sans débat, une perte de la valeur de l'intervention du juge. Les gens sortent souvent très frustrés. Il est vrai que si nous devons traiter treize dossiers dans une audience, nous ne garderons pas plus de cinq minutes les personnes qui sont d'accord car nous aurons peut-être une tentative de conciliation qui nous demandera une heure ou plus. Nous devons faire des choix.

Dernier argument, ce divorce civil mettra un terme à ce que certains commencent à ressentir comme une pénalisation des couples mariés. Les concubins que l'on dit si proches des couples mariés sociologiquement, seraient-ils plus mûrs, plus responsables pour pouvoir se séparer sans avoir besoin de venir nécessairement devant le juge ?

M. LARCHÉ, président. - Merci, madame.

Mme GANANCIA . - L'intervention de M.  Benabent a vidé la mienne d'une partie de sa substance car il partage, bonheur et surprise, les vues que j'avais exposées dans mon article de la Gazette du Palais l'année dernière qu'il m'a fait l'honneur de citer.

Quelques réflexions inspirées par ma pratique depuis de longues années comme avocat d'abord et comme magistrat de ce contentieux sensible du divorce. Ces conflits familiaux ont une spécificité, ils impliquent des couples qui, malgré leurs déchirures, sont appelés à conserver des relations de parents pour garantir le devenir de leurs enfants. Nous savons combien les enfants sont écartelés et mis parfois en danger psychique parfois davantage par le conflit des parents que par leur séparation.

Une saine loi sur le divorce doit avant tout être pacificatrice et aider à reconstruire le futur de chacun des conjoints et des enfants. Notre loi actuelle remplit-elle se rôle ? Nous pouvons en douter quand on voit qu'un divorce sur deux revient devant les tribunaux en contentieux d'après divorce, que dans près de la moitié des cas on recourt encore à ce divorce pour faute qui est très destructeur et que la moitié des enfants n'ont pratiquement plus de contact avec l'un de leurs parents quelques années après la séparation.

Des coûts humains, judiciaires et sociaux effarants, des conflits familiaux mal réglés incitent à tout mettre en oeuvre pour déconflictualiser le climat du divorce. C'est l'esprit même de l'ensemble du système qu'il faudrait repenser car il ne correspond plus aux besoins actuels de notre société.

Dans le mariage moderne, la vérité du sentiment est devenue le seul fondement du lien, cela va de pair avec une nécessaire précarité. La société ne peut que la constater, aucune loi sur le divorce ne pourra l'enrayer. En corollaire la loi doit assurer une protection accrue de l'enfant par le maintien des liens à ses deux parents et la préservation d'une coparentalité par delà la rupture.

Le divorce qui pourrait répondre à ces besoins nouveaux serait, à mon sens, proche du consentement mutuel, fondé sur le constat objectif de l'échec du mariage, axé sur des processus de négociation et avec un règlement global des effets du divorce par la liquidation du régime matrimonial.

Déjà en 1975, le vent dominant était au divorce -constat à la suite des propositions de lois socialistes et communistes, mais les tenants de la faute l'ont emporté. Le divorce-constat est pratiqué depuis bien longtemps par tous nos voisins allemands, anglais, pays nordiques, américains, canadiens et bien d'autres. Notre système actuel du divorce l'ignore, c'est là sa faille.

Globalement, les divorces se répartissent par moitié entre consentement mutuel et faute. Le consentement mutuel est l'idéal du bon divorce, mais il est très contraignant puisque qu'il suppose un accord sur tout. Il s'agira souvent de pseudo-consentement mutuel avec des accords forcés pour éviter l'horreur du divorce pour faute.

Quant à ce divorce pour faute, il est choisi le plus souvent à défaut d'une vraie alternative, ou bien parce qu'on n'a pas pu trouver un accord sur tout, ou bien pour contraindre l'autre, qui n'est pas encore tout à fait mûr à divorcer. Or, dans la quasi totalité des cas il y a demande reconventionnelle. Cela veut bien dire que tous les deux finalement, veulent sortir du mariage dont ils finissent par constater soit l'échec, soit l'impossibilité de maintenir un lien dont l'autre ne veut plus. Ce divorce pour faute a un caractère éminemment destructeur. Il oblige à accuser l'autre, à le salir, à mentir, à renier tout ce qui a pu être heureux dans l'histoire du couple, pour ne fournir que le plus négatif dans un grand déballage de l'intimité et de la vie privée. Il envenime le conflit, surajoute des blessures et humiliations réciproques, parfois irréparables, il barre la route à tout dialogue et à toute négociation.

Ainsi, la loi oblige-t-elle à superposer aux souffrances de la séparation un combat meurtrier dont les premières victimes sont les enfants impliqués par les parents dans leur conflit, amenés à les juger. Littéralement déchirés d'aimer en même temps deux ennemis, ils deviennent otage du conflit parfois au prix de la perte des liens avec le parent non hébergeant.

Chaque audience est une illustration du caractère dévastateur de ce divorce pour les liens familiaux. Au lieu de donner des armes de guerre, la loi devrait inciter les couples à fermer la porte d'un passé mort, pour enfin s'investir dans une dynamique de reconstruction dans l'intérêt des enfants. C'est pourquoi il ne faut plus associer divorce et faute dans ce duo infernal, ne plus subordonner l'obtention du divorce à la preuve de la faute, ne plus en faire la condition du divorce. La réalité est ailleurs. Elle est tout simplement dans la désintégration du couple. L'impossibilité de vivre ensemble est la seule vraie cause de tous les divorces. On sait bien que certains couples se brisent sur un adultère et d'autres pas, ce qui montre bien que la cause du divorce n'est pas la faute mais un état de la dégradation. Celui qui est déterminé à dénouer le lien y parviendra de toutes les manières, inutile de l'obliger pour cela à un combat judiciaire. Dans l'immense majorité des cas, le divorce sera prononcé aux torts partagés, sans aucun profit financier, rendant dérisoire tous ces coûts psychologiques et judiciaires.

Personne ne nie qu'il existe parfois des comportements gravement fautifs entraînant des préjudices particuliers. Je pense aux violences physiques, aux départs brusques laissant l'autre dans le dénuement. Oui, mais il devront toujours être sanctionnés par dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, c'est évident. La rupture définitive du lien doit être reconnue de façon indépendante, comme cause objective de divorce car elle correspond à la réalité de toutes les situations et aux mariages d'aujourd'hui qui n'existent que par la volonté de chacun de maintenir le lien.

Tous les professionnels de la famille sur le terrain, psychologues et travailleurs sociaux, s'accordent sur la nocivité du divorce pour faute. La Cour d'appel de Paris, Chambre de la famille, vient de se prononcer publiquement mercredi dernier devant le Garde des Sceaux pour la suppression de ce divorce qualifié de barbare. Seuls certains juristes s'arc-boutent encore sur cet anachronisme, car cela en est un, avec deux arguments principaux.

Le premier est qu'il faut que l'agressivité sorte, le combat judiciaire aurait la vertu d'expurger le conflit, ceux qui se vivent comme victimes auraient besoin de cette reconnaissance par la société. Mais enfin, le rôle de la justice est-il d'encourager ces réflexes de pure vengeance, car c'est bien de cela qu'il s'agit ? Cette logique de vengeance pétrifie son auteur lui-même dans une attitude stérile et destructrice. Elle mobilise toutes les énergies vers la négativité et empêche tout travail de deuil et de reconstruction personnelle. Il existe des lieux pour parler de ces souffrances : les thérapies, la médiation et d'autres. Mais les arènes judiciaires sont le dernier lieu pour les guérir. Tout y est déformé, la parole et l'expression des émotions sont raptées par les écrits des avocats. Il y a trop de théâtre et si peu de vérité.

D'ailleurs la société, et à travers elle le juge, a-t-elle vraiment compétence, vocation et légitimité pour juger ce qui s'est noué et dénoué dans l'alcôve des couples, espace intime s'il en est.

Le lien affectif ne relève que des individus. La justice n'a pas à dire la morale conjugale. Elle ne peut connaître que des conséquences du lien social créé par le mariage et veiller à l'organisation la plus juste de la séparation.

Le deuxième argument des tenants de la faute est que divorcer contre le gré de l'autre équivaudrait à une répudiation. Si on récuse le divorce pas la volonté d'un seul, peut-on concevoir aujourd'hui, en 1998, un mariage par la volonté d'un seul ? C'est nier l'évolution de la société et la force des faits, aucune loi ne peut maintenir un individu dans un mariage prison. Il lui suffira de partir et le mariage sera vidé de tout sens.

Plus dérisoire encore, pour se libérer il devra engager une procédure pour faute, avec de fausses accusations, qui aggravera encore la souffrance de celui qui est abandonné. La procédure pour faute est celle qui organise de la façon la plus sûre la répudiation, c'est la seule qui ne ménage à l'autre aucun temps de réflexion ni aucun dialogue préalable. Une requête soudaine en divorce, truffée d'accusations meurtrières, un quart d'heure de pseudo conciliation, sans s'être parlé ni avant ni pendant et s'en est fait de son couple. Cette audience de non conciliation est d'une extrême violence psychologique.

Il faut donc imaginer un divorce plus pacifique, plus respectueux de l'autre, plus constructif qui ménage des temps de dialogue et de réflexion. Par quelle procédure ? Il faudrait instituer à côté du consentement mutuel une seule autre cause du divorce, fondée sur la rupture irréversible du lien. Ainsi, il n'y aurait plus de consentement mutuel forcé puisque qu'il y aurait une alternative possible.

Cette nouvelle procédure de divorce-constat pourra être à l'initiative de l'un ou de l'autre. La rupture du lien sera objectivement constatée dans trois cas :

1/ Séparation de fait de plus de trois ans, là, il y a un consensus. Le juge se borne à la constater et prononce le divorce.

2/ Accord des deux conjoints sur le constat de la rupture. Cet accord pourra toujours intervenir au cours de la procédure, à la différence de l'actuelle demande acceptée qui suppose l'accord initial des deux conjoints d'où l'échec de cette procédure.

3/ Un seul invoque la rupture du lien et l'autre s'y oppose. Le juge devra imposer un délai de réflexion, d'une durée maximum de 18 mois. Il appréciera ce délai en fonction de chaque situation lors de l'audience initiale où il prendra les mesures provisoires nécessaires. A l'issue de la période de réflexion, s'il n'y a pas eu réconciliation, le juge ne pourra que constater la rupture irréversible du lien et prononcer le divorce.

Ce délai obligatoire de réflexion a un double intérêt psychologique et pratique. Psychologique : ne pas banaliser le divorce en différant les demandes hâtives ou intempestives ; inciter à réfléchir sur les possibilités de réconciliation et donc donner une chance supplémentaire au mariage qui n'existe pas dans le divorce pour faute qui rend les gens ennemis ; ménager un temps de maturation pour panser les souffrances et entamer un deuil nécessaire. A cet effet, le juge pourra imposer au minimum un entretien de médiation.

A l'opposé de la violence actuelle de l'audience de non conciliation qui brise la communication, l'entretien de médiation correspondrait à un devoir de dialogue entre conjoints sur leur histoire commune, dans le respect dû autant à l'autre qu'à leur engagement initial. L'intérêt pratique de ce délai est que s'il n'y a pas de réconciliation possible, il sera utilisé pour l'élaboration d'accords sur l'après divorce. La certitude du prononcé du divorce au terme du délai ne peut qu'inciter le défendeur à une négociation équilibrée.

Dans les trois cas de divorce-constat évoqué, le juge devra statuer sur les mesures accessoires, une éventuelle demande de dommages et intérêts pour réparer une faute très caractérisée, mais également sur la liquidation du régime matrimonial qui actuellement nourrit le conflit des années après le divorce ; elle est un obstacle intolérable à la reconstruction des vies de chacun. Il faut apurer le passé des époux par un seul et même jugement.

C'est l'esprit du procès qui doit changer. La négociation doit devenir l'axe prioritaire de son déroulement. Le juge demandera aux parties et aux avocats de présenter des projets d'accord. Il s'agit d'amener enfin les couples à se responsabiliser sur les conséquences de leur séparation. Il n'y aura pas obligation de résultats, mais de moyens. Parmi les moyens, il faut élargir le recours à la médiation familiale qui fait passer d'une logique de guerre à une logique de construction. Grâce à un processus de restauration du dialogue et de l'écoute, à l'expression des besoins et des émotions les solutions vont pouvoir émerger qui seront l'oeuvre des parties elles-mêmes. L'échange recentré sur les enfants amène à l'apprentissage d'une coparentalité effective et donc au maintien des liens parents/enfants.

La médiation est un incontestable instrument de paix familiale, elle amoindrit les coûts économiques et sociaux du divorce pour les personnes et la société. Selon l'expression des Canadiens, qui nous devancent largement dans ce domaine, pour un dollar investi en médiation on économise 700 dollars en coûts sociaux. Il faudrait donc la favoriser le plus en amont possible des procédures et en tout cas rendre obligatoire un premier entretien de médiation dès lors qu'il y a des enfants. Au Québec, un entretien d'information gratuit à la médiation est devenu obligatoire avant le dépôt de la requête. Résultat : 90 % des couples choisissent de poursuivre volontairement le processus.

En l'absence d'accord négocié que fera-t-on ? Le juge tranchera sur tous les points, y compris sur la liquidation du régime matrimonial, il réglera par un jugement global tout le contentieux des époux pour assainir l'après divorce et devra disposer d'un projet de liquidation-partage préparé par un notaire.

Le temps manque pour développer ces aspects techniques, je renvoie à mon article qui a ébauché quelques solutions, mais surtout à la nécessité d'une réflexion plus approfondie à mener avec les notaires et les avocats. Ces derniers seront la cheville ouvrière du règlement global des effets du divorce.

Voilà quelques propositions pour une pacification et une responsabilisation de la séparation. Le divorce constat correspond au mariage actuel dans sa dimension d'authenticité et vise à protéger la famille par le maintien des liens de parentalité.

Nous ne pouvons plus nous laisser enfermer, comme en 1975, par des combats d'arrière-garde, nous irions à contre-courant du vent de l'histoire.

M. LARCHÉ, président. - Nous allons essayer d'aller dans le sens de l'histoire. Après une Cour de cassation qui s'obstine, voilà que les juristes s'arc-boutent. Nous sommes dans le domaine de la résistance affirmée. J'ai noté également un propos initial qui est bien à la base de notre réflexion, peut-être à l'occasion d'autres débats, n'avons-nous pas su mener un véritable débat sur la famille ? Tout ce que nous sommes en train de voir n'est d'ailleurs qu'un aspect du droit de la famille, bien d'autres considérations doivent être mises en avant.

Vos interventions nous ont enrichis, les trois praticiennes que vous êtes nous ayant apporté des vues relativement contradictoires. C'est ce que nous attendions, de telle manière que le débat s'instaurant, nous puissions utiliser tout ce que vous avez bien voulu nous dire et qui exprime cette expérience qui nous est très précieuse.

Le propre d'un Parlement est de décider après avoir entendu, mais il n'est pas obligatoirement de faire ce qu'il aura entendu suggérer. Nous avons donc des démarches d'appréciation qui, jusqu'au dernier moment, devront demeurer.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - Si j'ai bien compris Mme George et Mme Courcelle, elles sont partisanes de supprimer la condition de vie en commun pour le père naturel. N'est-ce pas oublier qu'une reconnaissance peut émaner de n'importe qui ? Je suis même sûr que si en 1993 on a donné la possibilité au juge de donner l'autorité parentale au père naturel dans tous les cas, on a réservé précisément le fait que ce soit obligatoire et automatique quand il y a eu vie commune au moment de la dernière reconnaissance et ce parce que n'importe qui peut se présenter à la mairie pour reconnaître un enfant et ennuyer sa mère.

Mme GEORGE. - C'est une hypothèse assez rare. Avec la condition du temps, dans la première année de la naissance de l'enfant, on risque moins d'avoir de fausses reconnaissances. Le risque d'une reconnaissance fantaisiste est infime. La reconnaissance crée de nombreuses obligations à celui qui reconnaît un enfant.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - Celui qui n'a pas un sou ne risque rien.

Mme GEORGE. - Je comprends votre souci de prudence. L'inconvénient qui en résulte est plus important que l'avantage. L'inconvénient majeur est qu'il y a une incertitude sur la personne qui exerce l'autorité parentale sur un enfant.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - C'est pourquoi les juges existent.

Mme GEORGE. - Si les juges doivent intervenir dans tous ces cas.

Mme COURCELLE . - Même pour des juristes, il est difficile de dire, à la seule vue de l'acte de naissance, quel est le statut du père naturel, c'est une insécurité pour les enfants. De tels cas sont vraiment marginaux. D'ailleurs il y a un recours contre cette reconnaissance qui sécurise plus l'enfant naturel. Il faut absolument qu'il y ait un statut unique du père naturel sur les enfants naturels.

Mme GEORGE. - Il faut que ce soit lisible au vu de l'acte de naissance.

M. LARCHÉ, président. - Je ne suis pas sûr que le terme que vous avez relevé corresponde à la réalité. Vous avez dit que M. Benabent, dont nous avons apprécié l'intervention, avait fait justice du mot répudiation.

M. DREYFUS-SCHMIDT . -Oui, c'est exact.

M. LARCHÉ, président. - Certains membres de la commission estiment que c'est vrai et d'autres s'interrogent peut-être. C'est le propre d'une commission d'ailleurs.

Je vous remercie infiniment de vos interventions.

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