Faut-il ratifier le Traité d'Amsterdam ? Les données et les enjeux du débat

VILLEPIN (Xavier de)

RAPPORT D'INFORMATION 508 (97-98) - COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES

Table des matières






N° 508

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 juin 1998

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) relatif aux dispositions du Traité d'Amsterdam ,

Par M. Xavier de VILLEPIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, Charles-Henri de Cossé-Brissac, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, André Gaspard, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, André Rouvière, André Vallet.

Union européenne.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Faut-il ratifier le traité d'Amsterdam ? La réponse à une telle interrogation dépend naturellement de l'appréciation portée sur le contenu même du texte. Or, aucune orientation majeure ne s'est dégagée au terme des travaux de la Conférence intergouvernementale (CIG) ouverte à Turin le 29 mars 1996.

L'Acte unique européen avait jeté les bases du marché unique ; le traité de Maastricht avait ouvert la voie à l'Union économique et monétaire. Ces développements -appelés de leurs voeux par certains, vigoureusement critiqués par d'autres- ont profondément marqué la construction européenne. Rien de tel dans le traité d'Amsterdam et c'est là, sans doute, la première difficulté. Comment apprécier un texte qui offre si peu de prise au jugement ?

Le débat, du reste, a quelque peu négligé le contenu même de l'accord pour se cristalliser sur le rendez-vous manqué avec la réforme institutionnelle ou sur les conditions de la ratification du traité -réforme constitutionnelle et référendum-. Or, le Parlement aura d'abord à se prononcer sur les mérites propres du traité d'Amsterdam.

C'est pourquoi votre commission des Affaires étrangères et de la Défense, soucieuse d' éclairer le choix du Sénat , a pris le parti de présenter de façon détaillée le dispositif adopté par les Quinze à Amsterdam et d'en analyser la portée sans esprit de vaine polémique. Il était indispensable de procurer, en amont du débat sur la ratification du traité, les éléments nécessaires à la compréhension d'un texte souvent très complexe et donner ainsi à la représentation nationale et, au-delà, à l'opinion publique, le temps de la réflexion sur un sujet décisif pour l'avenir de l'Europe. Dans cette perspective, la commission a procédé à l'audition de juristes et de spécialistes des questions européennes .

Sur la base des informations recueillies par votre commission et de l'analyse aussi complète et objective que possible des dispositions du traité, votre rapporteur livrera dans ses conclusions une appréciation d'ensemble sur le contenu du traité ; il présentera en outre plusieurs propositions sur les conditions de ratification de ce texte ainsi que sur les contours possibles d'une réforme institutionnelle. Ces observations constituent une contribution au débat que conduira d'abord notre commission des affaires étrangères avant de rendre son avis sur le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam, puis le Sénat dans son ensemble lorsqu'il aura à se prononcer, en séance publique, sur ce texte.

Une analyse rigoureuse du traité d'Amsterdam apparaît comme un préalable indispensable à la réflexion sur l'opportunité de ratifier. Elle ne saurait toutefois suffire. Certes, le Parlement juge d'abord de la valeur d'un texte mais à l'occasion du débat sur la ratification du traité, il sera appelé aussi à s'interroger sur les orientations futures de la construction européenne. La réforme institutionnelle, grande absente du traité d'Amsterdam, apparaît dès lors comme un enjeu déterminant pour l'avenir de l'Union européenne. Dans cette perspective, votre rapporteur présentera dans ses conclusions les propositions qui lui paraissent le complément indispensable de la ratification du traité d'Amsterdam.

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LES RAISONS D'UNE DÉCEPTION

Avant de procéder à l'analyse des dispositions du traité, il n'est pas inutile de revenir sur les raisons du demi échec enregistré par la Conférence intergouvernementale . Le diagnostic peut en effet nous éclairer sur la démarche qu'il conviendra de suivre, dans les mois prochains, pour réussir là où le processus initié à Turin a failli à ses objectifs.

Que la CIG n'ait dégagé aucune avancée profonde, notamment dans le domaine institutionnel, on ne saurait s'en étonner : les objectifs initiaux de la révision, la procédure de négociation retenue et enfin, le contexte politique des discussions n'ont guère favorisé l'aboutissement d'une véritable ambition.

I. DES OBJECTIFS INITIAUX PLUTÔT CIRCONSCRITS

Si l'absence de réforme institutionnelle constitue un échec décevant, il faut reconnaître que la modification du traité n'avait pas pour premier motif un aménagement substantiel des institutions européennes.

A l'instar des chartes fondamentales de la plupart des pays démocratiques, le texte du traité sur l'Union européenne prévoit lui-même à l'article 48 (ancien article N) les modalités selon lesquelles il peut faire l'objet d'une révision à l'initiative de tout Etat membre ou de la Commission.

Au-delà de cette clause générale, naturellement maintenue dans la nouvelle version du traité révisé à Amsterdam, le traité sur l'Union européenne signé à Maastricht en 1991 prévoyait -toujours à l'article N- la convocation en 1996 d'une conférence des représentants des gouvernements des Etats membres pour examiner les dispositions du traité pour lesquelles une révision était prévue.

La réunion ne devait pas ainsi porter sur l'ensemble du traité mais se limiter aux dispositions pour lesquelles un aménagement apparaissait expressément envisagé. Certes, aux termes de l'article B du traité sur l'Union européenne, la révision pouvait concerner, de façon très large, les "politiques et formes de coopération instaurées par le présent traité" dans la mesure où elle cherche à assurer "l'efficacité des mécanismes et des institutions communautaires".

Toutefois, quatre autres dispositions plus ciblées ouvraient la perspective d'une révision relative à la politique extérieure et de sécurité commune (art. J.4 § 6 et J.10), à l'élargissement de la procédure de codécision (art. 189 B § 8), à la prise en compte éventuelle de l'énergie, du tourisme et de la protection civile comme nouveaux titres du traité (déclaration n° 1) et enfin à la question de la hiérarchie des actes (déclaration n° 16).

Ce dispositif initial aurait ainsi conduit davantage à des ajustements qu'à des bouleversements si les perspectives d'élargissement, qui se sont rapidement concrétisées après 1992, n'avaient pas replacé la nécessité de réformes institutionnelles au coeur des priorités de la Conférence intergouvernementale à venir.

En effet, la question institutionnelle et, au premier chef, la repondération des voix au sein du Conseil a connu une nouvelle acuité à la faveur de l'ouverture des négociations avec l'Autriche et les pays nordiques. Une formule de compromis, adoptée à Ioannina en mars 1992, permit alors de reporter une solution plus durable à la Conférence intergouvernementale 1( * ) .

Ainsi, l'ordre du jour de la CIG tel que le mandat confié par le Conseil européen de Corfou de juin 1994 au groupe de réflexion (composé des représentants des ministres des affaires étrangères et du président de la Commission) en fixe les contours, s'est trouvé singulièrement élargi par rapport aux objectifs initiaux assignés à la révision des traité. En effet, le groupe de réflexion se voyait chargé d'examiner non seulement les suggestions relatives aux dispositions du traité sur l'Union européenne dont la révision est prévue sur "la base de l'évaluation du fonctionnement du traité" mais il devait établir également, dans la perspective de l'élargissement futur de l'Union, "des options sur les questions institutionnelles figurant dans les conclusions du Conseil européen de Bruxelles et dans l'accord de Ioannina (pondération des voix, seuil pour les décisions prises à la majorité qualifiée, nombre des membres de la Commission) et toute autre mesure estimée nécessaire pour faciliter les travaux des institutions et garantir leur efficacité dans la perspective de l'élargissement".

L'extension de l'ordre du jour de la CIG avait pour effet de donner une valeur accrue aux enjeux de cette échéance et, en conséquence, de multiplier les attentes au moment même où la difficulté accrue de l'exercice rendait plus incertains les résultats de l'entreprise.

De plus, la procédure de négociations retenue, adaptée pour procéder à des aménagements limités, n'est pas apparue la plus efficace pour surmonter l'hostilité profonde à une réforme institutionnelle.

II. LA CONFÉRENCE INTERGOUVERNEMENTALE : UNE PROCÉDURE LOURDE ET COMPLEXE

La procédure de négociation a obéi aux règles traditionnelles de la négociation internationale. Elle peut revendiquer à son actif la transparence des discussions liées à la volonté d'associer l'ensemble des acteurs de la construction européenne. Cette large ouverture a eu pour contrepartie une lourdeur inévitable. Le système des conférences intergouvernementales apparaît, comme l'a noté un observateur, soumis à "la loi des rendements décroissants".

Le Conseil européen de Madrid de décembre 1995, après avoir pris connaissance des conclusions du groupe de travail -appelé "groupe Westendorp" du nom du secrétaire d'Etat espagnol aux affaires européennes qui le présida- organisa les travaux de la Conférence intergouvernementale autour de trois structures.

Au premier niveau de négociation, un groupe des représentants des ministres des affaires étrangères réuni une fois par semaine préparait les travaux des ministres des affaires étrangères qui se retrouvaient une fois par mois ; enfin, la présidence rendait compte des avancées au Conseil européen à échéance régulière. Dans les faits, l'essentiel de la négociation s'est joué lors des réunions des représentants personnels, appuyés, dans les derniers mois de la Conférence, par un groupe dit des Amis de la présidence, chargé de la rédaction des aménagements au traité .

Or, la composition du groupe des représentants permanents se distinguait par son double caractère technique et politique -certains Etats ayant choisi de se faire représenter par leurs ministres des affaires européennes, d'autres par leurs représentants permanents auprès des communautés européennes. L'association de représentants politiques en amont des négociations avait sans doute pour mérite de conjurer le spectre d'une construction européenne marquée par les excès d'une technocratie administrative et de l'ouvrir davantage aux préoccupations des Etats membres. Elle avait cependant pour inconvénient de brouiller les conditions habituelles dans lesquelles est rendu l'arbitrage politique dans ce genre de négociation. En effet, comment prendre le recul nécessaire par rapport à un groupe de travail auquel on participe et dont on doit également arbitrer les différends ?

III. UNE AMBITION SANS STRATÉGIE

La procédure fondée sur une négociation permanente aux différents niveaux animant la Conférence intergouvernementale n'a pas vraiment permis l'émergence d'une force d'initiative. Ce qui a manqué en effet au processus ouvert à Turin c'est un véritable moteur de propositions. Ni les Etats, ni même d'ailleurs les institutions, et au premier chef, la Commission, n'ont vraiment cherché à jouer ce rôle.

Le couple franco-allemand n'a pas joué son rôle traditionnel de moteur d'initiatives . Pourtant, les prémices de la négociation se présentaient plutôt sous des auspices favorables. Le 6 décembre 1995 une première lettre commune du Président de la République et du Chancelier Kohl, adressée au Président du Conseil européen, M. Felipe Gonzales, assignait quatre objectifs prioritaires à la CIG : la mise en oeuvre d'une "politique étrangère et de sécurité commune plus visible et plus déterminée", la constitution d'un "espace homogène" où la liberté de mouvement, comme la sécurité du citoyen, serait assurée, la mise en place d'institutions plus efficaces pour l'Union et enfin, le renforcement de l'ancrage démocratique.

Soucieux de faire progresser la négociation, les cosignataires adressèrent le 9 décembre 1996 une deuxième lettre au Président du Conseil européen afin d'exposer de manière plus détaillée les propositions franco-allemandes dans la perspective d'un compromis final.

Cependant, il semble que dans les mois, pourtant cruciaux, qui précédèrent la conclusion de la Conférence, le moteur franco-allemand se soit enrayé. Si les positions franco-allemandes déguisaient des désaccords de fond sur certains points, l'attitude de l'Allemagne a également évolué progressivement dans un sens moins favorable aux réformes.

Incertitudes allemandes

Quatre facteurs ont sans doute contribué à placer l'Allemagne en position de retrait. En premier lieu, le gouvernement allemand n'a pas toujours fait preuve d'une parfaite cohésion lors de la négociation ; la réaction des autorités aux propositions françaises apparaît à cet égard significative. L'écho plutôt favorable donné par la Chancellerie à la réforme de la Commission et à la création d'un haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune s'est trouvé contrarié par les réticences du ministre des affaires étrangères, M. Klaus Kinkel, soucieux sans doute, de conserver un commissaire libéral au sein de l'institution communautaire et de conjurer par ailleurs le risque éventuel de concurrence soulevé par la création d'un "ministre des affaires étrangères européen".

Au-delà de ces discordances, la position allemande s'est également trouvé neutralisée par les revendications des länder. Jaloux de leurs compétences, ces derniers ont notamment joué un rôle décisif dans le revirement allemand sur l'extension du vote à la majorité qualifiée, appuyée puis rejetée par notre partenaire d'outre-Rhin.

Par ailleurs, l'Allemagne, en fait, ne s'est pas désintéressée des réformes. Elle a plaidé pour le renforcement du pouvoir du Parlement européen, seule institution à vraiment sortir gagnante de la négociation. Or, la répartition des sièges au sein de cette institution, souvent négligée par la France, permet -bien mieux que le Conseil- une prise en compte de l'importance démographique de chaque Etat.

La promotion du Parlement européen permettait ainsi à l'Allemagne de rappeler son attachement à la légitimité démocratique de la construction communautaire tout en lui assurant en même temps le maintien de son influence. Une fois acquis le renforcement du rôle du Parlement européen, notamment à travers l'extension de la procédure de codécision, l'Allemagne pouvait accorder moins de prix à l'aboutissement des autres réformes institutionnelles.

Enfin, il est clair que le Chancelier a donné la priorité à la mise en oeuvre de l'Union économique et monétaire ainsi qu'à l'élargissement.

Ambiguïtés françaises

La France pour sa part, s'est distinguée par une vision plus ambitieuse de la réforme institutionnelle. Elle n'est toutefois pas allée au terme de la logique de ses propositions.

La France a défendu l'extension du vote à la majorité qualifiée... mais elle en a refusé l'application à des pans pourtant essentiels du premier pilier comme la fiscalité. Notre pays a par ailleurs consenti au renforcement des pouvoirs du Parlement européen sans se départir d'un discours plutôt hostile et après avoir défendu des positions de négociation rigides -telles que le maintien de la procédure de coopération.

Ces contradictions n'ont pas permis à la France de tirer tout le parti que lui procurait son positionnement audacieux pour relancer la dynamique de la négociation.

Au contraire, elles ont conduit certains de nos partenaires à voir dans la démarche du gouvernement français une volonté de rééquilibrer les pouvoirs de décision en faveur des "grands pays", ce qui n'était certes pas étranger aux préoccupations françaises. Dès lors, les débats ont tendu à donner pour enjeu à la réforme institutionnelle le rapport des forces entre "petits" et "grands" Etats plutôt que l'impératif d'efficacité lié aux prochains élargissements . La mise en place d'un "front commun" entre certains Etats traditionnellement proeuropéens mais inquiets de la formation éventuelle d'un "directoire des Grands" et des eurosceptiques habituels explique, pour une large part, le demi-échec de la Conférence intergouvernementale.

Les institutions n'ont pas pris vraiment le relais de la force d'initiative défaillante du moteur franco-allemand. Présente tout au long de la négociation, la Commission a pourtant présenté certaines de ses propositions à un moment où les discussions s'étaient déjà figées sur certaines positions et n'a pas su retrouver l'influence qui était la sienne au moment des discussions relatives à l'Acte unique.

Le Parlement européen a su mieux se faire entendre des négociateurs. S'il n'a pas participé directement aux discussions -comme il l'avait fait dans le cadre des travaux du groupe Westendorp- il a obtenu la qualité d'observateur. Ses deux représentants (Mme Guigou et M. Broek) ont rencontré au moins une fois par mois le groupe des représentants tandis que le Président du Parlement a pu s'exprimer devant les conseils européens et les réunions de la conférence au niveau ministériel. Ces efforts ne sont pas demeurés sans écho et le traité d'Amsterdam a étendu de façon sensible les compétences au Parlement européen.

*

* *

D'une façon générale, les positions des Etats dans le cadre de la CIG ont été marquées par deux traits :

- un souci plus marqué de la défense des intérêts nationaux dont témoigne l'inflation des déclarations souvent inspirées par des motivations étroitement circonscrites (déclaration sur les établissements de crédit de droit public demandée par l'Allemagne, déclaration "relative aux régions insulaires" à l'initiative de la Grèce, protocole sur "la protection et le bien-être des animaux" souhaité par le Royaume-Uni...).

- une difficulté à prendre des engagements concrets en faveur de la construction européenne ; cette réticence se traduit à l'inverse par la prolifération de dispositions purement déclaratoires et dépourvues de force juridique.

Influence d'une opinion publique sceptique vis-à-vis de l'Union européenne ? Repli identitaire face à la mondialisation ? Revendication d'un "droit d'inventaire" par rapport au contenu et aux méthodes de la construction européenne ? Ces différents éléments expliquent sans doute la généralisation d'un "euro-réalisme" peu propice à des réformes ambitieuses.

Si ces circonstances ont sans doute interdit au traité d'imprimer une orientation marquante à la construction européenne, les résultats obtenus par la Conférence intergouvernementale ne peuvent cependant être tenus pour négligeables. Le dispositif retenu apporte quelques aménagements notables à des volets essentiels de l'activité européenne. Encore convient-il de déceler ces infléchissements sous une présentation peu lisible et hautement complexe.

En effet, outre les cinq articles consacrés aux modifications de fond apportées au traité sur l'Union européenne et aux traités instituant les Communautés européennes, les six articles dévolus à des simplifications formelles et les quatre articles relatifs aux dispositions générales, le traité d'Amsterdam ne comprend pas moins de treize protocoles. Il faut ajouter 51 déclarations adoptées par la Conférence et 8 déclarations dont la Conférence a pris acte. Aujourd'hui, le recul du temps, comme les excellents travaux de notre Délégation pour l'Union européenne, permettent de porter un regard plus complet sur les résultats d'Amsterdam et d'en mieux apprécier la portée.

Ainsi, le présent rapport analysera successivement les dispositions du traité d'Amsterdam consacrées :

- aux institutions européennes ,

- aux principes fondamentaux et aux politiques communautaires ,

- aux questions de la libre circulation des personnes , de la sécurité et de la justice ,

- à la politique étrangère et de sécurité commune .

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Nota bene

Dans les développements qui suivent :

- Les passages précédés d'un ( . )signalent les modifications apportées par le traité d'Amterdam

- Les abréviations TUE et TCE renvoient respectivement au traité sur l'Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne.

PREMIÈRE PARTIE -
LE RISQUE DE PARALYSIE LIÉE AU STATU QUO INSTITUTIONNEL

La réforme des institutions constituait l'objectif le plus important de la Conférence intergouvernementale. Elle présentait deux volets essentiels : la recherche d'une plus grande efficacité -indispensable dans la perspective de l'élargissement et du risque de paralysie des processus de décision-, le renforcement de la légitimité démocratique de l'Union.

Les thèmes à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale déclinaient cette double orientation sur différents modes. L'impératif d' efficacité appelait ainsi trois types d'aménagement :

- une réforme de la présidence de l'Union ,

- la réduction du nombre de commissaires ,

- une extension du vote à la majorité qualifiée .

Quant au souci de combler le déficit démocratique , il conduisait à favoriser :

- un renforcement du rôle du Parlement européen ,

- une meilleure association des parlements nationaux au processus normatif.

- une prise en compte plus effective de la subsidiarité destinée à rapprocher le processus de décision du citoyen ;

- une modification de la pondération des voix au sein du Conseil afin de mieux tenir compte de l'importance démographique des Etats.

Bien qu'inspirés par des priorités différentes, certains thèmes apparaissaient, dans la perspective d'un compromis, étroitement liés. Ainsi l'extension du vote à la majorité qualifiée avait pour contrepartie la repondération des voix au conseil.

Sur tous ces points, la Conférence intergouvernementale s'est soldée par un échec . En effet, dans bien des cas, les négociateurs n'ont tout simplement pu trancher entre des positions très divergentes et ont préféré reporter les décisions, dans le cadre d'un " protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement de l'Union " -que votre rapporteur commentera dans ses conclusions-, à des échéances plus lointaines. Dans d'autres domaines comme les " coopérations renforcées ", les avancées s'apparentent à de faux-semblants. Enfin, la seule évolution réelle, le renforcement du Parlement européen, risque, par son isolement, de modifier l'équilibre institutionnel de l'Union.

I. UNE CAPACITÉ D'INITIATIVE ENTAMÉE

L'expérience des vingt dernières années le montre, la construction européenne a progressé grâce au rôle d'initiative joué par le couple Conseil-Commission. L'efficacité de l'Union européenne dépend en conséquence, pour une large part, de l'organisation de ces instances qui réunissent à la fois capacité d'initiative et de décision. Or, faute d'un consensus sur les améliorations à apporter dans ce domaine, la Conférence intergouvernementale a choisi de renforcer les institutions investies principalement d'un pouvoir de contrôle (les organes juridictionnels de l'Union) ou, surtout, d'une faculté d'empêcher (le Parlement européen).

Si l'extension de la procédure de codécision au bénéfice du Parlement européen ne soulève pas d'objection de principe, elle apparaît en revanche plus contestable dans un contexte marqué par le statu quo pour le Conseil et la Commission. Ce déséquilibre institutionnel risque en effet d'être source de blocages dans les années à venir.

A. UN MOTEUR INSTITUTIONNEL SANS FORCE ?

1. Le Conseil : une initiative politique menacée

a) Une organisation de la présidence inadaptée

L'efficacité du Conseil apparaît aujourd'hui entravée par l'organisation de la présidence du Conseil, soumise au principe d'une rotation tous les six mois, peu propice à la prise en charge des dossiers toujours plus complexes et au rôle d'impulsion qui revient à la présidence.

Les propositions n'ont pas manqué pour surmonter ces obstacles. Aucune n'a pu réunir l'accord des Quinze.

Les formules avancées pour la mise en place d'une présidence plus efficace comportent souvent, il est vrai, autant d'inconvénients que d'avantages : l'allongement de la durée du mandat entraînerait un espacement du tour de rôle pour chacun des Etats difficilement acceptable dans la perspective d'une Europe élargie ; l'association de plusieurs Etats au sein d'un collège présidentiel en place pour une période de douze mois, ne convainc pas davantage, faute de garantir la " visibilité " nécessaire à l'action de la présidence ; la fragmentation de la présidence par l'attribution à certains Etats membres d'une responsabilité éminente dans un domaine particulier encourt le même reproche.

b) Des aménagements d'une portée très limitée

Faute d'accord sur une réforme de la présidence, les aménagements retenus à Amsterdam présentent une portée très limitée et se bornent principalement à alléger quelque peu l'ordre du jour du Conseil.

• En effet, des décisions de pure procédure pourront désormais être prises par le Comité des représentants permanents (COREPER) dans les cas prévus par le règlement intérieur du Conseil (art. 207 § 1).

Le règlement intérieur, il faut le rappeler, est arrêté par le Conseil à la majorité simple.

Le Conseil pourra ainsi se décharger des décisions de procédures sur le COREPER, instance unique de préparation du Conseil.

La création d'un poste de secrétaire général adjoint désigné selon la même procédure que le secrétaire général du Conseil (décision unanime du Conseil) permettra de décharger celui-ci appelé à exercer les fonctions de Haut-représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (art. 207 § 3).

Dans les faits, le secrétaire général adjoint assurera l'essentiel des tâches aujourd'hui confiées au Secrétaire général du Conseil -en particulier l'assistance aux différents conseils.

• La mise en place de nouvelles règles de procédure en matière de transparence sera évoquée plus loin par votre rapporteur.

2. La Commission : une cohésion incertaine

Une composition inadaptée

Aujourd'hui, les grands Etats sont représentés au sein de la Commission par deux nationaux et les autres par un national. Jusqu'en 1995, la Commission comprenait 17 membres ; après l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède, elle en compte aujourd'hui vingt. Cet effectif apparaît excessif. Mais qu'en sera-t-il lorsque l'Union passera à vingt ou vingt-cinq Etats-membres ? Les règles de la composition actuelle de la Commission présentent aujourd'hui au moins trois conséquences fâcheuses :

- elle fragilise encore davantage l'homogénéité d'un organisme que les pères fondateurs avaient souhaité indépendant des Etats-membres ;

- dès lors, elle complique le processus de décision dans la mesure où les différents commissaires peuvent parfois être tentés de se prononcer en fonction de considérations nationales ;

- enfin, elle conduit à un morcellement du rôle des commissaires peu conforme avec le souci d'efficacité ; votre rapporteur avait déjà relevé à titre d'exemple la dispersion des tâches pour les relations extérieures réparties entre quatre commissaires.

L'échec de la proposition française

C'est pourquoi la France avait défendu au cours de la Conférence intergouvernementale une réduction importante des effectifs de la Commission ramenés à 15 voire à 10 membres. Elle avait même indiqué qu'elle pourrait renoncer à être représentée par l'un de ses nationaux au sein de la Commission. Notre pays s'était acquis le soutien de Bonn comme en témoigne le double principe rappelé dans la lettre franco-allemande du 9 décembre 1996 :

- la composition de la Commission doit correspondre aux fonctions qui lui sont assignées ;

- elle doit compter de toute manière un nombre de commissaires inférieur à celui des Etats membres.

La proposition française avait pour double mérite de réaffirmer de façon radicale l'indépendance de la Commission tout en restaurant la cohérence de son action. Cette audace institutionnelle n'a, on le sait, pas réuni de consensus, l'Allemagne, elle-même, revenant, malgré les termes de la lettre commune avec la France, au principe d'un commissaire par Etat membre sur lequel il sera sans doute difficile de revenir.

Aussi, en l'absence d'une véritable réforme, les négociations se sont-elles satisfaites de quelques aménagements dont l'impact apparaît douteux.

a) Le rôle du président de la Commission : un renforcement symbolique

Faute d'une réduction du nombre de commissaires, le souci d'efficacité a conduit à renforcer le rôle du président de la Commission à travers trois nouvelles dispositions.

L'approbation de la désignation du président de la Commission par le Parlement européen -simplement consulté dans le système actuel (art. 214 § 2).

Destinée avant tout à renforcer l'influence du Parlement européen, cette mesure aura aussi pour effet de mieux asseoir l'autorité du président de la Commission.

L'accord du président -auparavant simplement consulté- pour la désignation des membres de la Commission (art. 214 § 2).

L'instance collégiale ainsi formée par le président et les autres membres de la Commission est ensuite soumise -comme c'est le cas aujourd'hui- à un vote d'approbation par le Parlement européen.

Le respect par la Commission des orientations politiques définies par son président (art. 219)

Enfin, une déclaration (n° 32) jointe au traité traduit un certain consensus pour confier au président de la Commission un large pouvoir discrétionnaire dans l'attribution des tâches au sein du collège, ainsi que dans tout remaniement de ces tâches en cours de mandat.

Ces aménagements concourent tous à un seul objectif : le renforcement de l'autorité d'un président . Le rôle joué dans la désignation des commissaires et dans la définition de la politique de la Commission lui donne les moyens de dépasser le statut de primus inter pares et de favoriser ainsi la cohésion de cette institution et sa capacité à délibérer.

b) Une rationalisation repoussée à une échéance plus lointaine

Les négociateurs ne sont pas parvenus à un accord sur une répartition plus efficace des attributions au sein de la Commission et la rationalisation du travail de cette institution.

Ils se sont bornés à prendre acte de l'intention de la Commission, dans la perspective de la constitution d'une nouvelle commission pour l'an 2000 2( * ) de préparer d'une part une réorganisation des tâches au sein du collège , et, d'autre part, une restructuration correspondante des services (déclaration n° 32) .

La réorganisation des tâches au sein du collège

Dans sa contribution à la Conférence intergouvernementale, la Commission s'était prononcée en faveur d'une organisation des tâches autour d'une dizaine de portefeuilles. Les commissaires non détenteurs d'un portefeuille se verraient confier des missions spécifiques ou des tâches d'appui. Le renouvellement de la Commission permettrait une alternance équitable entre titulaires de l'une ou l'autre de ces catégories. Enfin, tous les commissaires participeraient aux délibérations et aux votes du collège.

Une telle orientation pourrait se concrétiser sans difficulté de principe dans la mesure où il revient au collège des commissaires de se prononcer sur la répartition des portefeuilles et où la déclaration jointe au traité d'Amsterdam plaide pour une solution inspirée des propositions de la Commission à travers " une répartition optimale entre les portefeuilles traditionnels et les tâches particulières ".

Une telle évolution permettra-t-elle de mettre fin à l'inflation des directions générales liée au souci de confier à chaque commissaire un domaine d'action propre ? Il importe aujourd'hui de mettre fin au fractionnement excessif des services de la Commission dont les effets apparaissent très négatifs pour la cohérence de l'action communautaire.

Par ailleurs, la même déclaration prend position pour l'attribution d'une vice-présidence au commissaire en charge des relations extérieures .

L'intérêt d'une telle proposition ne paraît pas évident. Il existe déjà en effet aujourd'hui deux vice-présidents en charge des relations extérieures, M. Manuel Marin et Sir Leon Brittan. S'agit-il dès lors de concentrer la responsabilité des relations extérieures entre les mains d'un seul commissaire au risque d'en faire un concurrent du président de la Commission dont le traité a précisément cherché à renforcer le rôle ? Il est regrettable que la déclaration ait retenu ce seul élément du schéma -plus équilibré- proposé par la Commission dans lequel le vice-président pour les relations extérieures prenait place aux côtés de deux autres vice-présidents responsables de " l'économie et des finances " et des " politiques d'intégration et de l'intérêt des citoyens ".

Les modalités de l'exercice des compétences d'exécution conférées à la Commission restent en débat.

Une déclaration (n° 31) invite la Commission à présenter au Conseil, au plus tard à la fin de 1998, une proposition modifiant la décision du Conseil du 13 juillet 1987 fixant les conditions suivant lesquelles la Commission assure les compétences d'exécution qui lui sont conférées .

Sous une formulation assez technique se dissimule un enjeu politique relatif au partage des responsabilités entre le Conseil et la Commission.

En effet, la décision du 13 juillet 1987 (dite dans le jargon européen " décision de comitologie ") définit les conditions dans lesquelles la Commission applique les décisions dont le Conseil lui a confié l'exécution après leur adoption.

Comités " consultatifs ", de " gestion " ou encore de " réglementation " : tous ont en commun d'associer les représentants des Etats membres.

La Commission et le Parlement européen souhaitaient une modification de ce dispositif : la première pour obtenir un allégement de procédures jugé entraver l'exercice de ses compétences, le second pour obtenir d'être représenté lorsqu'il s'agit de définir les conditions de mise en oeuvre des mesures adoptées selon la procédure de codécision.

L'une et l'autre plaidaient pour l'application de la règle à la majorité qualifiée et de la procédure de codécision à la définition des procédures de mise en oeuvre des décisions du Conseil. Les Etats soucieux de conserver leurs prérogatives au niveau de l'exécution des décisions n'ont pas accepté d'évolution dans ce domaine. Reverront-ils leur position à la faveur d'une proposition de la Commission ? On peut en douter.

B. LE RENFORCEMENT DE LA FACULTÉ D'EMPÊCHER

1. Une vision partielle des moyens de remédier au déficit démocratique

Le thème du déficit démocratique recouvre souvent en fait deux préoccupations distinctes :

- l'insuffisance du contrôle parlementaire sur le couple Conseil-Commission,

- les excès de la bureaucratie communautaire.

Ces deux préoccupations appellent des réponses de nature différente. La seconde peut trouver une solution dans une meilleure prise en compte de la subsidiarité. Il en sera question plus loin. La première invite à explorer deux voies complémentaires : un renforcement des pouvoirs du Parlement européen, une plus grande implication des parlements nationaux dans la construction européenne. Compte tenu du mode d'élection, en France, du Parlement européen, et de la proximité entre les parlementaires nationaux et leurs électeurs, notre pays a souvent marqué sa préférence pour la deuxième formule. Or le traité d'Amsterdam a clairement tranché en faveur de l'Assemblée de Strasbourg.

a) Le Parlement européen : principal bénéficiaire des évolutions institutionnelles.

Le Parlement européen apparaît comme le principal bénéficiaire des modifications apportées par le traité d'Amsterdam. En effet, sa place dans le système institutionnel se trouve confortée et ses pouvoirs renforcés.

Une assise plus solide dans le système institutionnel

Trois mesures concourent à conférer au Parlement européen une assise plus solide dans les structures institutionnelles, même si leur portée reste en pratique assez limitée.

Le nombre des membres du Parlement européen ne pourra dépasser sept cents (art. 189).

Aujourd'hui, le Parlement européen compte 626 parlementaires ; cependant, les prochains élargissements conduiront nécessairement à une progression des effectifs certainement excessive au regard des conditions nécessaires au bon déroulement du travail parlementaire aussi bien en séance publique qu'en commissions. C'est pourquoi les négociateurs ont repris le principe d'un plafond proposé par l'Assemblée de Strasbourg. La mise en oeuvre de ce plafonnement appellera une réévaluation du nombre de sièges pour chacun des Etats membres et en conséquence une adaptation des lois nationales relatives à l'élection du Parlement européen. Quels seront les critères utilisés dans cette perspective ? Le traité se borne à mentionner " une représentation appropriée des peuples des Etats réunis dans la communauté ". En d'autres termes, en la matière rien n'a été tranché.

L'élection du Parlement européen obéira à des principes communs à tous les Etats membres ou à une procédure uniforme dans tous les Etats-membres (art. 190 § 4). Cette dernière formule, seule, figurait dans l'ancien dispositif mais elle s'avérait peu réaliste car elle requérait une harmonisation totale. Or, les procédures applicables dans presque tous les Etats-membres apparaissent aujourd'hui extrêmement diverses. Enfin, l'adoption d'une procédure commune exigeait un degré de consensus très élevé -unanimité du Conseil après avis conforme du Parlement européen, puis adoption par les Etats-membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Aussi bien, le principe de subsidiarité comme le simple pragmatisme rendaient nécessaire un assouplissement de la rédaction de cet article .

La référence nouvelle aux " principes communs à tous les Etats-membres " offre une nouvelle marge de souplesse au Parlement européen, désigné par le traité pour préparer un projet relatif à son mode d'élection. La Commission institutionnelle de cette assemblée a déjà préparé un document de travail relative à " l'élaboration d'un projet de procédure électorale uniforme ou comprenant des principes communs pour l'élection des membres du Parlement européen ".

• Le Parlement européen se voit reconnaître le droit de fixer son statut ainsi que les conditions générales d'exercice des fonctions de ses membres (art. 190 § 5).

Cette disposition s'est avérée nécessaire car, jusqu'à présent, aucun statut unique n'avait été défini ; or, certaines règles ou pratiques méritaient un éclaircissement, qu'il s'agisse du régime des indemnités ou des cas de déchéance de mandat de parlementaire européen. Toutefois, l'initiative du Parlement européen demeure encadrée dans la mesure où non seulement l'avis de la Commission mais aussi l'approbation unanime du Conseil sont nécessaires.

Un rôle accru dans la procédure de décision

Outre le droit d'investiture du président de la Commission dont il dispose désormais, le Parlement européen bénéficie également du renforcement de la procédure de codécision -dans le cadre de laquelle une décision ne peut être prise sans son accord- au terme d'une double évolution.

Une simplification des différentes procédures au profit de la codécision

La procédure de codécision se substitue à la procédure de coopération (dont l'application se limite désormais aux dispositions relatives à l'Union économique et monétaire). Elle concerne donc désormais les domaines suivants : la non discrimination (art. 12), le droit de circulation et de séjour sauf si le traité des Communautés européennes en dispose autrement (art. 18), les règles coordonnées relatives à la sécurité sociale des travailleurs migrants de la Communauté (art. 42), la politique des transports (art. 71 et 80), plusieurs aspects de la politique sociale , les règles relatives au Fonds social européen (art. 148) à la formation professionnelle (art. 150), certaines mesures concernant les réseaux européens (art. 156), les décisions relatives aux Fonds européen de développement régional (art. 162), la mise en oeuvre du programme-cadre pluriannuel en matière de recherche et la définition des programmes complémentaires (art. 172), certaines mesures relatives à l' environnement (art. 175) et celles concernant la coopération au développement (art. 179).

La procédure d' avis conforme continue de s'appliquer à la plupart des dispositions pour lesquelles le traité de Maastricht l'avait prévue (à l'exception, désormais, du droit de circulation et de séjour des citoyens de l'Union qui relèvera dans un délai de 5 ans, si le Conseil en décide ainsi, de la codécision) et prévaut également pour le déclenchement d'une procédure de sanction contre un Etat membre responsable de violations graves et persistantes des droits de l'homme (art. 7). Le Parlement européen n'a toutefois pas obtenu le pouvoir de donner un avis conforme à toute nouvelle révision des traités.

Au total, les nouveaux domaines de la procédure de codécision concernent essentiellement les matières du marché intérieur (les Quinze articles concernés remplacent dans onze cas la procédure de coopération, dans trois cas la procédure de consultation, et dans un cas la procédure d'avis conforme). Si l'on excepte la procédure de coopération -maintenue pour l'UEM- il n'existe plus que trois procédures : avis conforme, consultation, codécision.

• Une meilleure maîtrise de la procédure législative dans le cadre de la codécision grâce à la suppression de la troisième lecture qui permettait au Conseil, en cas de désaccord avec le Parlement européen après la réunion du comité de conciliation, d'arrêter à la majorité qualifiée l'acte concerné sauf si le Parlement européen décidait d'intervenir une dernière fois pour rejeter le texte à la majorité absolue de ses membres (art. 251 § 6)

Désormais, en cas d'échec de la conciliation ou de rejet, par le Conseil ou le Parlement européen, de l'accord obtenu par le Comité de conciliation, le texte est réputé non adopté.

L'égalité entre le Parlement et le Conseil se trouve ainsi rétablie.

Au terme des autres simplifications qui lui ont été apportées, la procédure de codécision s'organise désormais de la façon suivante :

- Le Conseil peut adopter l'acte législatif dès la première lecture quand il accepte tous les amendements présentés dans l'avis du Parlement ou lorsque celui-ci n'en a déposé aucun (art. 251 § 2).

Dans les autres cas, il adopte une position commune.

Dans le régime actuel, même si l'avis du Parlement est positif, le Conseil établit systématiquement une position commune qui est de nouveau soumise au Parlement européen (art. 251 § 2). Le nouveau système invitera peut-être le Parlement européen à modérer les amendements présentés dans son avis pour obtenir un accord du Conseil et éviter ainsi les délais liés à la seconde lecture.

- Au stade de la seconde lecture, le Parlement peut rejeter directement, à la majorité absolue, une position commune sans être tenu d'abord, comme c'est le cas aujourd'hui, de laisser au Conseil la possibilité de convoquer une réunion de conciliation (art. 251 § 2).

Si le Conseil n'a pas accepté tous les amendements du Parlement sur la position commune, il convoque un Comité de conciliation dans un délai de 6 semaines . Ce Comité se prononce, comme le spécifie le traité, sur la base des amendements proposés par le Parlement européen (251 § 4).

Une déclaration (n° 34) à l'Acte final souligne par ailleurs que le délai réel entre la deuxième lecture du Parlement européen et l'issue des travaux du Comité de conciliation ne doit en aucun cas dépasser 9 mois.

Le droit d'information du Parlement européen connaît une extension dans le nouveau titre VI du TUE (coopération policière et judiciaire pénale) : outre l'information régulière -dont le principe est maintenu- de l'Assemblée de Strasbourg, celle-ci est consultée avant l'adoption par le Conseil des décisions-cadre, des décisions et des conventions.

Confirmation de Strasbourg comme siège du Parlement européen

Un protocole (n° 12) annexé aux traités confirme Strasbourg comme siège du Parlement européen. Les douze périodes de sessions plénières mensuelles -y compris la session budgétaire- se tiennent dans cette ville. Ces précisions satisfont les préoccupations de la France et permettent de mettre un terme -espérons-le définitif- au débat récurrent sur l'opportunité de regrouper à Bruxelles -où se réunissent déjà les commissions du Parlement et les parlementaires en période de sessions plénières annuelles- l'ensemble des activités du Parlement (aujourd'hui dispersées sur trois lieux puisque le Luxembourg abrite le secrétariat général du Parlement et les services).

Des instances de consultation renforcées

Deux autres institutions paraissent bénéficier de la dynamique favorable au Parlement européen : le Comité économique et social et le Comité des régions.

L'extension du rôle consultatif du Comité économique et social

Celui-ci pourra en effet désormais être consulté par le Parlement européen et non plus seulement par le Conseil et la Commission (art. 262). En outre son champ de consultation sera étendu à de nouvelles matières introduites dans le traité d'Amsterdam (emploi, questions sociales, santé publique).

Une place mieux affirmée pour le Comité des régions

Il bénéficiera d'abord d'une plus grande autonomie à travers trois séries de mesures : il disposera de ses propres services, qu'il devait auparavant partager avec le Comité économique et social (protocole n° 16) ; il pourra élaborer son règlement intérieur sans le soumettre à l'approbation du Conseil (art. 264) ; enfin la qualité de membre du comité des régions devient incompatible avec celle de parlementaire européen (art. 198). Par ailleurs, le Comité peut être consulté par le Parlement européen (art. 263) tandis que le champ de sa compétence consultative s'étend à de nouveaux domaines (emploi, questions sociales, santé publique, environnement, coopération transfrontalière ...).

b) Le rôle des parlements nationaux : une reconnaissance de l'acquis plutôt que de réelles avancées

Le Parlement français a plaidé, à maintes reprises, pour une meilleure association des parlements nationaux à l'activité des institutions européennes. Notre Gouvernement a tenu compte de ces préoccupations et les résultats, certes modestes, obtenus au cours de la Conférence intergouvernementale sont à porter à son crédit.

Le protocole n° 13 sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne, annexé au traité, indique le souhait des parties " d'encourager une participation accrue des parlements nationaux aux activités de l'Union européenne et de renforcer leur capacité à exprimer leur point de vue sur les questions qui peuvent présenter pour eux un intérêt particulier ".

Le protocole se limite plutôt, en fait, à reconnaître des acquis mais il leur confère une assise institutionnelle qui confortera à l'avenir le rôle des parlements nationaux. Le protocole comprend deux volets : les informations destinées aux parlements nationaux, la consécration de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC).

Une meilleure information

L'obligation d'une transmission rapide des documents de consultation de la Commission (livres verts, livres blancs et communications) aux parlements nationaux. Ces documents n'entrent pas actuellement dans le champ d'application de l'article 88.4 de notre Constitution, qui permet au Parlement de voter des résolutions sur les propositions d'actes communautaires. Or, comme le rappelait notre collègue M. Pierre Fauchon, " si cette disposition a été inscrite dans le traité, c'est à l'évidence pour que les parlements nationaux puissent, en fonction des pratiques constitutionnelles nationales, exprimer leurs préoccupations " à ce stade de l'élaboration des politiques communautaires 3( * ) . Elle pourrait justifier en conséquence une révision de l'article 88.4 à la faveur de la révision constitutionnelle de toute façon indispensable à la ratification du traité d'Amsterdam .

En outre, l'organisation de la procédure législative doit permettre une information satisfaisante des parlements nationaux : un délai de 6 semaines , en particulier, s'écoule entre la présentation officielle d'une proposition législative ou d'une proposition de décision prise en application du titre VI du traité sur l'Union européenne est mise par la Commission à la disposition du Conseil et la date à laquelle elle est inscrite à l'ordre du jour du Conseil en vue d'une décision.

La reconnaissance de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC)

Le protocole consacre la COSAC et dote d'une base conventionnelle cet organe informel, institué à Paris en novembre 1989. La COSAC comporte des représentants des organes spécialisés des parlements nationaux dans les affaires européennes. Elle se réunit en principe deux fois par an.

La COSAC constitue une instance consultative dont le rôle s'exerce de façon privilégiée dans les questions liées à la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice.

Dans ce domaine, elle peut examiner toute proposition d'acte législatif qui pourrait avoir des incidences sur les droits et libertés.

En outre, elle peut adresser toute contribution sur les activités législatives de l'Union, notamment pour l'application du principe de subsidiarité et pour les questions relatives aux droits fondamentaux.

Toutefois, ces contributions ne lient pas les parlements nationaux.

2. Un contrôle juridictionnel et comptable mieux assuré

a) Une progression mesurée des compétences de la Cour de justice

Votre rapporteur reviendra en détail sur les nouvelles attributions de la Cour de justice, à l'occasion de l'examen des modifications apportées par le traité d'Amsterdam au pilier communautaire et au troisième pilier.

Il présentera ici de façon synthétique les trois principales évolutions constatées dans ce domaine.

Une compétence de la Cour pour les dispositions du titre IV du TCE (visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes) dans des conditions différentes, toutefois, du droit commun -recours préjudiciel réservé aux juridictions internes dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel, recours en constatation des manquements étatiques limité (exclusion des mesures nationales prises pour le maintien de l'ordre public ou de la sécurité intérieure), mise en place d'un recours spécifique en interprétation des dispositions et des actes pris pour l'application du titre IV ouvert au Conseil, à la Commission ou à un Etat membre.

Une extension de la juridiction de la Cour au volet non communautaire du troisième pilier (coopération policière et judiciaire en matière pénale) avec certaines spécificités ici encore relatives au mécanisme des questions préjudicielles, à la réserve d'incompétence de la Cour pour les mesures d'ordre public, à la mise en place d'un recours en annulation de certains actes sur la seule saisine des Etats ou de la Commission et, enfin, à l'organisation d'un recours pour régler les différends de nature interétatique.

Un contrôle de l'action des institutions dans le domaine du respect des droits fondamentaux (art. 6 § 2 TUE) dans la mesure où la Cour est compétente en vertu du TUE et du TCE.

b) L'affirmation du rôle de la Cour des comptes

La Cour des comptes prend désormais sa place aux côtés du Parlement européen, du Conseil de la Commission et de la Cour de justice parmi les institutions " généralistes " de l'Union (art 5 TUE). Il y a là réparation d'un oubli fâcheux.

• La Cour peut intenter des recours en annulation tendant à la sauvegarde de ses prérogatives sur la base de l'article 230 du traité CE.

• Par ailleurs, la déclaration d'assurance relative à la fiabilité des comptes fournis au Parlement européen et au Conseil bénéficie désormais d'une publication au journal officiel de la Communauté (art. 248 § 1), cette déclaration figure parmi les documents examinés par le Parlement européen pour donner décharge à la Commission de l'exécution du budget.

• Le contrôle de la Cour peut s'effectuer dans les locaux de tout organisme gérant des recettes ou des dépenses au nom de la Communauté , y compris dans les locaux de toute personne physique ou morale bénéficiaire de versements provenant du budget communautaire. Dans le même esprit, tout document nécessaire à l'accomplissement de la mission de la Cour des comptes lui est communiqué, sur sa demande, par les organismes gérant des recettes ou des dépenses au nom de la Communauté et par les personnes physiques et morales précitées (art. 248 § 3).

II. UN POUVOIR DE DÉCISION AFFAIBLI

A. UNE PROCÉDURE DE DÉCISION INADAPTÉE

Permettre au Conseil de se prononcer à la majorité qualifiée sur un plus grand nombre de questions, laisser aux Etats, dans le cadre de la subsidiarité, le soin de régler eux-mêmes les questions qui les touchent de près : ce sont là les deux volets, non pas contradictoires mais complémentaires, d'une réforme destinée à renforcer l'efficacité de l'Union, que le traité d'Amsterdam n'a pas su conduire.

1. Une unanimité paralysante

L'extension du vote à la majorité qualifiée constitue le moyen le plus sûr de surmonter les blocages, déjà nombreux dans une Union de quinze Etats membres mais encore appelés à se multiplier dans une Europe élargie. Toutefois le calcul de la majorité doit représenter de façon significative la majorité de la population, sans quoi la légitimité des décisions prises apparaîtrait sérieusement compromise. Il existe donc un lien étroit entre les modalités de vote et la pondération des voix. Or le décalage n'a cessé de se creuser entre la majorité qualifiée et la représentativité en termes démographiques.

a) Une pondération des voix devenue inadéquate

Une certaine sur-représentation des " petits " Etats a toujours été admise au sein du Conseil. Elle permet de corriger le déséquilibre auquel conduirait une stricte prise en compte des critères démographiques.

Cependant, les élargissements successifs ont entraîné une accentuation de cette tendance. Si le poids des " grands " Etats au sein de la population de l'Union s'est légèrement érodé -de 87 % à 79 % entre 1957 et 1995-, le poids de leurs voix s'est sérieusement réduit au cours de cette période -de 70,59 % à 55,17 % du total des voix 4( * ) . La majorité qualifiée -fixée à 70 % des voix- ne représente aujourd'hui que 58 % de la population totale. Sans modification du régime actuel, la majorité qualifiée représenterait 50,29 % de la population dans une Union élargie à 26 Etats. Dans ces conditions, des décisions pourraient être adoptées ou bloquées contre l'avis de certains des Etats les plus peuplés de l'Union.

C'est pourquoi il convient de procéder au réaménagement de la pondération ou, à défaut, à l'instauration d'un système de double majorité fondé d'une part sur le nombre d'Etats et d'autre part, l'importance démographique de chaque Etat-membre. La France avait plaidé dans ce sens, sans succès. Les " petits " Etats, soucieux avant tout de conjurer le risque d'un " directoire des Grands", ont défendu en effet pour leur part pour le maintien de l'actuelle pondération, formule équilibrée entre l'égalitarisme qui prévaut en principe dans la représentation des Etats au sein du système international et la prise en compte du facteur démographique. Pour ces pays, c'est au Parlement européen d'assurer une représentation démographique équilibrée.

b) Une extension très limitée du vote à la majorité qualifiée

Si le vote à la majorité qualifiée se développe, aux termes du traité d'Amsterdam, à la faveur de l'ouverture du champ communautaire à de nouveaux domaines, il ne se substitue que dans des cas exceptionnels à l'unanimité pour les dispositions existantes du traité.

Le vote à la majorité qualifiée prévaut pour les nouveaux domaines de la politique communautaire : orientations et actions d'encouragement en matière d'emploi, exclusion sociale, égalité des chances entre les hommes et les femmes, santé publique, transparence, lutte anti-fraude, statistique, mise en place d'une autorité indépendante pour la protection des données, coopération douanière, régime dérogatoire pour les régions ultrapériphériques.

L'unanimité continue de prévaloir pour l'ensemble des domaines placés sous ce régime dans le système antérieur (l'industrie, la culture, les fonds structurels, certaines dispositions relatives à l'environnement, l'accès aux activités salariées lorsqu'une modification des principes législatifs s'avère nécessaire et, naturellement, la fiscalité ou l'harmonisation dans le domaine de la sécurité sociale). Quelques exceptions méritent cependant une mention en particulier dans le domaine de la recherche où les programmes-cadre annuels seront adoptés à la majorité qualifiée et non plus à l'unanimité .

• Le principe de l'unanimité peut aussi subsister en fait dans certains domaines où il paraissait avoir pourtant reculé, comme la politique étrangère et de sécurité commune avec la notion d'abstention constructive ou les premier et troisième piliers avec la mise en place des coopérations renforcées. En effet, un Etat peut toujours, dans le premier comme dans le second cas, faire valoir des " raisons de politique nationale importantes " et renvoyer ainsi la décision au Conseil européen appelé dès lors à se prononcer à l'unanimité.

Cette disposition, dont l'inspiration paraît l'écho codifié du fameux compromis de Luxembourg de janvier 1966 5( * ) , constitue un nouveau mécanisme de vote à deux temps. Il n'y a pas lieu, du reste, de penser que la " clause d'appel " remette en cause la validité de l'accord politique obtenu en 1966 dont la portée est naturellement beaucoup plus large.

• La politique commerciale commune pourra s'étendre aux négociations et accords internationaux concernant les secteurs des services et les droits de la propriété intellectuelle après un vote à l'unanimité du Conseil sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen (art. 133 § 5). L'application du vote à la majorité qualifiée, de droit dans la politique commerciale se trouve ainsi, après un vif débat lors de la conférence intergouvernementale, subordonnée à une décision à l'unanimité. Le régime antérieur est donc, en fait, maintenu. Il y a lieu de s'en féliciter au regard des positions contestables prises par la Commission -sans réelle concertation avec les Etats membres- sur le marché transatlantique unifié au début de l'année 1998.

2. La subsidiarité : un principe difficile à concrétiser

Si le thème de la subsidiarité n'a pas reçu de traduction concrète dans le cadre du traité d'Amsterdam, du moins les négociateurs se sont-ils montrés plus sensibles à une certaine "différenciation" des politiques communautaires pour les territoires périphériques de l'Union.

a) La simple codification de principes déjà acquis

Le principe de subsidiarité a pour objectif de rapprocher le processus de décision du citoyen . Reconnu pour la première fois dans le traité de Maastricht (art. 5), il conduit à réserver les interventions de la Communauté -dans les domaines où elle ne dispose pas d'une compétence exclusive- aux seules mesures dont les dimensions ou les objectifs recherchés requièrent l'échelle communautaire. Cette formulation très générale n'était pas en mesure d'apaiser les craintes soulevées par les risques d'un empiètement communautaire dans les domaines de compétence nationale.

Le thème figurait donc en bonne place parmi les questions discutées dans le cadre de la réforme institutionnelle. La défense de la subsidiarité recouvrait cependant des motivations diverses : l'Allemagne cherchait à défendre les compétences de ses Etats fédérés, le Royaume Uni voulait promouvoir la déréglementation, la France, quant à elle, s'attachait à conforter la compétence des autorités nationales en matière de transposition de la réglementation communautaire, afin notamment de donner au Parlement la possibilité de contribuer au débat sur la subsidiarité à l'occasion de l'examen des différents textes.

La diversité des points de vues, les réticences de certains Etats, sensibles aux préoccupations d'une Commission placée sur la défensive, à entrer dans un débat sur la répartition des compétences a conduit les Quinze à s'en tenir à un quasi statu quo.

Le traité d'Amsterdam se borne à reprendre dans un protocole les conclusions des deux Conseils européens sous présidence britannique (Birmingham, 16 octobre 1992 et Edimbourg, 11 et 12 décembre 1992) ainsi que l'accord interinstitutionnel conclu en octobre 1993 entre le Parlement, le Conseil et la Commission pour la mise en oeuvre du principe de subsidiarité.

Dès lors le protocole, loin de procéder à un " bornage " rigoureux des compétences communautaires et de déterminer les conditions de contrôle d'un tel partage, se satisfait de quelques orientations générales. Il s'articule en effet autour de quatre principes.

- Le respect du principe de subsidiarité incombe à chaque institution dans l'exercice de ses compétences. Mais ces institutions consentiront-elles volontiers à une limitation de leurs pouvoirs ? On peut en douter.

- L'application du principe de subsidiarité respecte le maintien intégral de l'acquis communautaire et de l' "équilibre institutionnel" ainsi que les principes mis au point par la Cour de justice en ce qui concerne la relation entre le droit national et le droit communautaire.

- Toute proposition de texte législatif communautaire doit justifier sa pertinence au regard du principe de subsidiarité par des indicateurs qualitatifs et, dans la mesure du possible, quantitatifs.

- Une action à l'échelle communautaire se justifie lorsqu'elle réunit trois conditions : la question examinée comporte des aspects transnationaux, une mise en oeuvre, au niveau national, serait contraire aux exigences du traité et présenterait, à l'inverse, des avantages manifestes à l'échelle communautaire.

Ce dispositif laisse en fait une très large marge d'appréciation au principal moteur des initiatives communautaires : la Commission. En fait, et c'est là la principale modification apportée par le traité d'Amsterdam, le protocole codifie l'ensemble du dispositif relatif à la subsidiarité et le place ainsi sous le contrôle de la Cour de justice. Celle-ci n'a toutefois jamais fait montre, dans sa jurisprudence, d'un soin jaloux de sauvergarder les compétences nationales ...

b) Une meilleure prise en compte des spécificités régionales

Le traité cherche à donner un contenu plus concret au principe de différenciation à travers le dispositif consacré aux régions ultrapériphériques et aux pays et territoires d'outre mer.

On le sait, l'application du droit communautaire aux Etats membres connaît une série d'exceptions pour les régions dites " ultrapériphériques " (les départements d'outre-mer français -DOM-, les Açores, Madère et les Canaries) et les pays et territoires d'outre-mer (PTOM).

Une meilleure reconnaissance de la spécificité des régions ultrapériphériques

Le Conseil peut dans le dispositif actuel des traités exclure les régions ultrapériphériques du champ d'application du droit communautaire ou adapter à leur situation particulière le traité ou le droit dérivé. Afin de mieux tenir compte des spécificités de ces régions et au premier chef de leur éloignement et de leur " dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits " le traité d'Amsterdam a apporté deux modifications principales à ce régime :

• les mesures spécifiques prises par le Conseil pour fixer les conditions d'application du traité peuvent porter sur tous les domaines , y compris les politiques communes -certains secteurs ne pouvaient faire l'objet d'une adaptation sous l'empire des dispositions précédentes ;

• les mesures spécifiques sont adoptées à la majorité qualifiée par le Conseil et non plus à l'unanimité.

Le traité supprime par ailleurs le délai spécifique de deux ans pendant lequel le Conseil pouvait apporter certaines adapations au droit communautaire en faveur des régions ultrapériphériques. Cependant ces mesures ne doivent pas nuire à l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique communautaire (art. 299 § 2).

Les régions insulaires

• Dans le cadre de la cohésion économique et sociale, la Communauté vise également à réduire le retard des régions insulaires et plus seulement celui des régions les moins favorisées (art.158). En outre, aux termes d'une déclaration à l'Acte final, la législation communautaire doit tenir compte des handicaps structurels des îles.

Cette attention particulière accordée aux îles répond à une préoccupation de la Grèce. Elle pourrait sans doute justifier une certaine priorité dans le cadre de la répartition des ressources affectées au fond structurel.

Les pays et territoires d'Outre-mer

• Enfin, une déclaration (n° 36) à l'Acte final ouvre la perspective d'un réexamen du régime spécial d'association des PTOM d'ici à février 2000. En effet, ce régime n'a pas réellement permis d'assurer le " décollage " économique des territoires en question. Aussi convient-il d'en améliorer le dispositif dans un quadruple objectif :

- une promotion plus efficace du développement économique et social des PTOM,

- le développement des relations économiques entre les PTOM et l'Union européenne,

- une meilleure prise en compte de la diversité et de la spécificité de chaque PTOM, y compris en ce qui concerne la liberté d'établissement,

- l'amélioration de l'efficacité de l'instrument financier.

A cette fin, le Conseil pourra adopter à l'unanimité des dispositions relatives aux modalités et à la procédure de l'association entre les pays et territoires d'outre-mer et la communauté (art. 187).

B. LES COOPÉRATIONS RENFORCÉES : UNE SOUPLESSE EN TROMPE L'OEIL

Une coopération renforcée a pour objectif de permettre à un nombre limité d'Etats, désireux d'aller de l'avant, de renforcer leurs liens dans des domaines jugés indispensables sans se heurter à l'opposition des autres Etats membres. Avec la reconnaissance des coopérations renforcées dans le traité d'Amsterdam, les négociateurs de la Conférence intergouvernementale ont-ils fait montre d'une véritable audace en rompant pour la première fois avec le dogme de l'égalité des droits et des obligations vis-à-vis des règles européennes ?

N'ont-ils pas plutôt été tentés de tirer parti de l'ambiguïté d'une notion à même de satisfaire à la fois les partisans d'un " noyau dur " de l'Union -défendu notamment dans une optique fédérale par le document Lamers-Schaüble de septembre 1994- mais aussi les tenants de la " flexibilité " ou de " l'Europe à la carte " revendiquée par les conservateurs britanniques ?

A coup sûr, cette ambiguïté répondait mieux à la recherche d'un compromis que l'extension du vote à la majorité qualifiée. Du reste, si les coopérations renforcées trouvent désormais leur place dans le dispositif institutionnel, c'est au prix de restrictions qui en limitent considérablement la portée .

1. Un dispositif étroitement encadré

Le mécanisme des coopérations renforcées ne s'applique que pour le " pilier " communautaire et le " troisième pilier ". Il est en revanche implicitement exclu pour la politique étrangère et de sécurité commune (deuxième pilier) qui fait l'objet de dispositions spécifiques.

Le dispositif s'organise autour de principes communs présentés dans un nouveau titre (VII) du traité sur l'Union européenne et de dispositions spécifiques respectivement adaptées au pilier communautaire et au troisième pilier.

a) Les dispositions communes

Le recours aux coopérations renforcées doit répondre à six exigences (art. 43 du traité de l'Union européenne) :

- favoriser la réalisation des objectifs de l'Union,

- respecter les principes des traités et le cadre institutionnel unique de l'Union,

- n'être utilisé qu'en dernier ressort,

- concerner au moins une majorité d'Etats membres ,

- n'affecter ni l'acquis communautaire, ni les droits et obligations des Etats qui n'y participent pas,

- être ouverte à tous les Etats membres.

Les conséquences sont de deux ordres :

- seuls les Etats participant à la coopération renforcée prennent part aux décisions (art. 44 § 1du traité de l'Union européenne),

- à l'exception des coûts administratifs occasionnés pour les institutions, les dépenses liées aux coopérations renforcées incombent aux seuls Etats participant , sauf si le Conseil, à l'unanimité, en décide autrement (art. 44 § 2 du traité de l'Union européenne).

Les conditions de mise en oeuvre (art. 40 TUE, art. 2 TCE) :

- la mise en oeuvre d'une coopération renforcée résulte d'une décision du Conseil à la majorité qualifiée ;

- cependant, un Etat peut s'opposer à l'autorisation de recourir à une coopération renforcée en arguant de " raisons de politique nationale importantes ". Dans ce cas, il n'est pas procédé au vote ; le Conseil peut simplement à la majorité qualifiée renvoyer la décision au Conseil européen appelé dès lors à se prononcer à l' unanimité .

La mise en oeuvre d'une coopération renforcée est placée sous le contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes . Son fonctionnement relèvera également de la Cour dans les conditions qui sont respectivement propres au titre VI du traité de l'Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne.

b) Une différenciation selon les domaines concernés

Les dispositions particulières au troisième pilier comme celles qui valent pour le traité communautaire ajoutent de nouvelles conditions à ce cadre général pourtant déjà restrictif. Cependant, assez logiquement, le système mis en place pour la coopération policière et judiciaire en matière pénale laisse plus de marge aux Etats que le dispositif relatif au pilier communautaire.

Les différences portent principalement sur les conditions de recours aux coopérations renforcées et le rôle joué par la Commission.

• Si le traité fixe deux conditions supplémentaires pour le troisième pilier (respecter les compétences de la Communauté et permettre à l'Union de devenir plus rapidement un " espace de liberté, de sécurité et de justice -art. 40 § 1 TUE-, il en ajoute cinq autres pour les coopérations renforcées mises en oeuvre dans le cadre communautaire (ne pas concerner les domaines relevant de la compétence exclusive de la Communauté, ne pas affecter les actions de la Communauté, ne pas entraîner de discriminations entre les ressortissants des Etats-membres, demeurer dans les limites des compétences communautaires et enfin, ne pas apporter d'obstacles aux échanges).

• La deuxième grande différence tient au rôle de la Commission , simplement consultée dans le cadre du troisième pilier, maître de la procédure dans le premier pilier . En effet, dans le domaine communautaire, il revient à la Commission de soumettre au Conseil, à la demande des Etats-membres, une proposition de coopération renforcée. Elle peut bloquer toute proposition à condition toutefois d'en indiquer les motifs (art. 11 § 2). De même, c'est à la Commission de statuer sur la demande de participation d'un Etat à une coopération renforcée dans un délai de 4 mois à compter de la notification d'une telle demande (art. 11 § 3). En revanche, dans le troisième pilier, cette responsabilité incombe au Conseil : la demande de l'Etat est réputée approuvée sauf si le Conseil décide à la majorité qualifiée de la "tenir en suspens" (art. 40 § 3).

2. Des mécanismes incompatibles avec l'expression d'une capacité d'initiative

a) Un système marqué en fait par la logique de l'unanimité

Parmi les conditions nécessaires à la mise en oeuvre d'une coopération, trois paraissent injustifiées et risquent de rendre inopérant l'instrument institué par le traité d'Amsterdam.

- L'exigence d'une majorité d'Etats -8 dans la situation présente- pour mettre en place une coopération renforcée suppose dès le départ un accord assez large sur l'action qu'il convient d'entreprendre. Or, les initiatives les plus novatrices sont le fait d'un nombre réduit d'Etats -rarement plus de six- et elles ne produisent d'effet d'entraînement qu'après avoir démontré, dans la pratique, leur intérêt. A cet égard, l'expérience des accords de Schengen apparaît éclairante. Au noyau initial formé par l'Allemagne, la France et les pays du Benelux, ce sont en effet successivement joints la quasi totalité des pays de l'Union ; elle n'aurait en tout cas jamais pu se concrétiser dans le nouveau cadre posé par le traité d'Amsterdam .

- La possibilité pour un Etat de soulever une "raison de politique nationale importante" pour s'opposer à la mise en place d'une coopération renforcée constitue un véritable droit de veto . Il appartient en effet alors au Conseil européen de se prononcer en dernier ressort sur une décision dans ce domaine et l'unanimité requise alors permettra à l'Etat intéressé de faire prévaloir sa position, même si elle reste minoritaire parmi les Quinze.

La formule retenue s'éloigne du schéma proposé par la contribution franco-allemande à la Conférence intergouvernementale le 18 octobre 1996 qui écartait tout droit de veto. La restriction apportée par le traité d'Amsterdam contredit en effet l'objectif même des coopérations renforcées destinées précisément à surmonter les réticences de certains Etats membres pour poursuivre l'oeuvre d'approfondissement de la construction européenne. En outre, la notion de " raison nationale importante " ouvre une marge d'appréciation assez large pour les Etats qui souhaitent l'invoquer -le compromis de Luxembourg dont l'inspiration est voisine apparaît lui-même plus strict et mentionne un intérêt " très" important.

- Le droit de veto reconnu à la Commission pour les coopérations renforcées dans le domaine communautaire ne correspond pas à l'esprit qui doit présider à ces coopérations. Certes, la Commission joue un rôle majeur dans le premier pilier -la contribution franco-allemande du 18 octobre 1996 proposait du reste de lui permettre de s'exprimer par un avis conforme sur la compatibilité des coopérations renforcées avec les objectifs du traité mais lui refusait en revanche le droit de se prononcer en opportunité.

La possibilité de soumettre au Conseil des propositions de coopérations renforcées aurait dû relever de l'initiative partagée de la Commission et des Etats membres. Une telle solution serait apparue particulièrement opportune au moment où le traité d'Amsterdam opérait le transfert du troisième au premier pilier des compétences en matière de libre circulation des personnes. Or ce domaine -champ privilégié de la coopération conduite dans le cadre des accords de Schengen- justifie encore des approfondissements et le recours éventuel aux coopérations renforcées. Dans cette perspective et compte tenu de la nature même d'un sujet si étroitement lié aux intérêts souverains des Etats, l'exclusivité réservée à la Commission n'a aucun véritable fondement.

Certes, la Commission n'engagera sans doute pas d'épreuve de force avec un groupe d'Etats résolus à aller de l'avant. Un certain pragmatisme finira sans doute par prévaloir. Cependant, dans son principe, le traité sur ce point n'est pas satisfaisant.

Dans ces conditions, quels domaines pourront faire l'objet de coopérations ?

b) Le champ d'application des coopérations renforcées

Cette question se pose avec d'autant plus d'acuité que la politique étrangère et sécurité commune a été exclue du champ de la coopération renforcée alors même que ce domaine se prête par excellence à des actions conduites en cercle restreint.

Rien n'interdit cependant aux Etats de s'affranchir du système institutionnel européen pour renforcer leur coopération dans un domaine particulier. Toutefois le traité d'Amsterdam aura alors, par excès de précautions, manqué son but qui était précisément de réintégrer dans un cadre institutionnel unique des initiatives apparues aux marges du traité.

DEUXIÈME PARTIE - DROITS FONDAMENTAUX ET POLITIQUES COMMUNES : L'UNION EN QUÊTE D'UNE DIMENSION PLUS HUMAINE

Si le processus de construction européenne reste encore soutenu par une large partie de l'opinion publique au moins en France, il ne rencontre plus ni la même faveur, ni le même enthousiasme. Incontestablement, l' "euroscepticisme" s'est développé au cours des dernières années. Certes, il entre dans cette évolution des facteurs étrangers au projet européen : la crise économique, le mouvement de "mondialisation", creuset d'un certain désarroi et du repli identitaire. En outre, la position de certains gouvernements tentés de se défausser sur Bruxelles, et singulièrement sur la mise en place de l'Union économique et monétaire, de l'indispensable effort de rigueur budgétaire, n'a pas manqué d'ambiguïté. Il n'en reste pas moins que l'Europe a donné d'elle-même l'image d'une construction excessivement bureaucratique, interventionniste et peu soucieuse de respecter les identités des peuples qui composent l'Union. Les débats soulevés par la ratification du traité de Maastricht ont représenté à cet égard un premier avertissement.

Les travaux de la Conférence intergouvernementale traduisent incontestablement une volonté de "recadrer" le processus de construction européenne dans une double perspective :

- l'affirmation d'un "modèle européen" dont la dimension sociale, notamment, est clairement affirmée,

- l'ouverture des politiques communes, marquées jusqu'à présent par des priorités économiques, sur des préoccupations plus proches des citoyens (l'emploi, l'environnement, la santé, la transparence).

Certes ces thèmes n'étaient pas étrangers à l'esprit qui animait les "pères fondateurs" de la Communauté. Leur écho, toutefois, s'était progressivement affaibli, face au défi du marché commun, du marché unique et enfin de l'Union économique et monétaire.

I. LES DROITS FONDAMENTAUX : L'AFFIRMATION D'UN "MODÈLE EUROPÉEN"

Le traité d'Amsterdam dessine les contours d'un "modèle européen" fondé à la fois sur l'attachement aux principes fondamentaux et aux droits sociaux . Certes, il n'y a en la matière aucune innovation réelle. L'Union a toujours constitué un "club" des démocraties. Ce principe se trouve dès l'origine au coeur du projet européen. Quant aux droits sociaux, leur reconnaissance, certes plus tardive, a trouvé son expression dans le protocole sur la politique sociale et l'accord sur la politique sociale signés à Maastricht en 1992 par tous les Etats membres à l'exception du Royaume-Uni.

Le traité consacre ainsi des principes déjà largement admis. Il leur apporte cependant des infléchissements dignes d'intérêt.

A. LES DROITS FONDAMENTAUX : UNE ÉVOLUTION PLUS SYMBOLIQUE QUE RÉELLE

Si les Etats ont continué de s'opposer à l'adhésion de la Communauté européenne à la convention européenne des droits de l'homme, ils ont toutefois confirmé l'ancrage de l'Union à une communauté d'Etats de droit.

1. Le refus maintenu d'une adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme

a) Les enjeux d'une adhésion

Les traités communautaires ne comportaient pas, à l'origine, de dispositions relatives à la protection des droits fondamentaux. Il s'agissait en quelque sorte, selon l'heureuse expression de M. Ronny Abraham, d' une "Constitution sans préambule". Cette lacune est apparue d'autant plus regrettable que les compétences communautaires se sont étendues au fil des années. Dès lors, la possibilité pour un acte communautaire d'enfreindre un droit fondamental ne constituait plus une simple hypothèse d'école. La Cour constitutionnelle allemande a été ainsi conduite à contrôler le droit communautaire au regard des droits fondamentaux inscrits dans la Loi fondamentale allemande.

Cette prise de position qui contredisait le principe de la supériorité des normes internationales sur le droit interne, ainsi que les lacunes du droit communautaire, ont poussé la Cour de justice des communautés européennes à dégager des principes généraux du droit inspirés, au premier rang, par la convention européenne des droits de l'homme. Cette construction jurisprudentielle s'est trouvée consacrée par le traité de Maastricht avec l'article F2 (ancienne numérotation) "l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire".

Une adhésion de la Communauté à la Convention européenne des droits de l'homme n'aurait-elle pas constitué une solution plus simple ? Cette formule soulevait plusieurs difficultés d'ordre juridique. Elle rendait nécessaire une modification de la Convention européenne elle-même qui n'admet pas en effet, en l'état, l'adhésion d'organisations internationales. Surtout, comme l'a indiqué la Cour de justice dans un avis du 28 mars 1996, cette adhésion "revêtirait une envergure constitutionnelle" et "ne saurait être réalisée que par la voie d'une modification du traité". Sans doute la position de la Cour avait été inspirée, dans une certaine mesure, par la crainte de se trouver subordonnée à une autre juridiction, la Cour européenne des droits de l'homme, sise à Strasbourg.

Aucune de ces difficultés ne paraissait toutefois insurmontable. L'ouverture de la Conférence intergouvernementale permettait au contraire de placer ce thème à l'ordre du jour d'une révision du traité.

L'adhésion de la Communauté à la Convention européenne des droits de l'homme présentait un intérêt certain dans la mesure où elle limitait les risques de contradiction entre les jurisprudences de la Cour de justice des Communautés européennes et de la Cour européenne des droits de l'homme. Le cas ne s'est pas encore présenté mais on voit bien les difficultés soulevées par l'application d'une directive qui aurait été validée par les juges de Luxembourg et jugée contraire aux droits fondamentaux par les juges de Strasbourg.

b) Le statu quo

Ces risques n'ont toutefois pas amené les Quinze à revenir sur leur opposition à une adhésion de la Communauté à la Convention européenne des droits de l'homme . Le dispositif du traité de Maastricht se trouve donc maintenu même si -et c'est là la seule modification apportée par le traité d'Amsterdam sur ce point- la clause du respect des droits de l'homme posée à l'article 6 (ancien article F2) entre désormais dans la compétence de la Cour de justice. Cette évolution n'a toutefois de valeur que symbolique : la Cour, rappelons-le, avait déjà élargi sa compétence dans ce domaine et l'article 6 lui-même n'est que la codification de sa jurisprudence.

Le statu quo s'explique sans doute par une double raison, politique et juridique :

- une adhésion de la Communauté à la Convention européenne des droits de l'homme aurait eu pour conséquence fâcheuse de permettre à des juges issus d'Etats n'appartenant pas à l'Union de traiter des affaires mettant en cause la Communauté européenne ;

- la possibilité de porter des recours devant deux juridictions internationales aurait allongé les délais nécessaires à l'adoption d'une décision définitive ; la sécurité de l'ordre juridique communautaire en aurait souffert et ce risque a finalement paru plus lourd de conséquences qu'une contradiction hypothétique de jurisprudences.

2. Un double infléchissement

Le traité d'Amsterdam a ajouté au titre premier du traité sur l'Union européenne un nouveau paragraphe sur les valeurs fondatrices de l'Union européenne (art. 6 § 1 TUE) "L'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'Etat de droit". De façon significative, cette nouvelle disposition se substitue, au premier rang des principes communs à l'Union, à la référence au respect des identités nationales, désormais placée en troisième position après la mention des principes démocratiques et du respect des droits de l'homme, et après la référence à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et aux traditions constitutionnelles communes aux Etats membres.

La référence à ces valeurs fondatrices cherche à aller au-delà d'une simple déclaration de principe. Elle emporte d'abord deux séries de conséquences à travers la définition des conditions d'adhésion de nouveaux Etats à l'Union européenne et la mise en oeuvre d'un mécanisme de sanctions. Elle conduit par ailleurs à conférer de nouvelles compétences au Conseil en matière de lutte contre les discriminations.

a) L'ancrage confirmé de l'Union européenne à une communauté de droit

Une condition explicite de l'adhésion à l'Union

Que le respect des droits de l'homme ait constitué depuis les débuts de la construction européenne une condition de la participation des Etats à ce processus, la chronologie des adhésions de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal suffirait à le démontrer. Ces trois pays, en effet, n'ont été admis au sein de la Communauté qu'après la chute des régimes autoritaires sous lesquels ils avaient été, les uns et les autres, gouvernés.

Cependant, la chute du mur de Berlin a conduit la quasi-totalité des pays d'Europe centrale et orientale à demander leur adhésion à l'Union européenne. Or ces Etats ne disposent encore que d'institutions démocratiques récentes et fragiles. C'est pourquoi les Quinze ont souhaité souligner de façon plus explicite le lien entre Etat de droit et appartenance à l'Union européenne.

• Au terme de la modification apportée par la Conférence intergouvernementale au traité, toute candidature à l'Union européenne doit être subordonnée au respect par l'Etat concerné des principes démocratiques et des droits de l'homme rappelés à l'article 6 (art. 49 TUE). Cette précision a pour objet principal d'introduire un lien formel qui n'innove en rien par rapport à la pratique antérieure.

Une telle clause ne constitue certes pas en soi une garantie suffisante. Le statut du Conseil de l'Europe et l'exigence d'une vérification préalable de la capacité d'un Etat candidat de respecter les principes de base du Conseil, n'a pas empêché l'institution d'accueillir plusieurs pays dont la pratique en la matière n'apparaissait pas toujours au dessus de tout soupçon. Toutefois, dans le cadre d'une institution qui n'est pas seulement régie par les règles du système intergouvernemental mais bénéficie aussi d'importants transferts de souveraineté, la plus grande vigilance continuera certainement à s'imposer.

En outre, et c'est là la principale innovation du traité d'Amsterdam dans ce domaine, la situation des Etats membres au regard du respect des droits de l'homme fait désormais l'objet d'un contrôle et de sanctions.

Une nouvelle procédure de sanctions en cas de violation des droits

Une violation des droits de l'homme apparaît une hypothèse hautement improbable dans l'Union européenne d'aujourd'hui. Le sera-t-elle moins dans une Europe élargie à 20 ou 25 ? En fait, l'élargissement de l'Union aux pays d'Europe centrale et orientale constitue en soi un acte de confiance dans l'évolution démocratique de ces Etats. Toutefois, aucun pays ne se trouve à l'abri de dérives surtout lorsqu'il ne possède pas une longue tradition de respect de l'Etat de droit.

C'est pourquoi les négociateurs de la CIG se sont accordés sur la nécessité de mettre en place un mécanisme de sanctions en cas de violation des principes inscrits à l'article 6. Cette innovation n'est pas avant tout l'expression d'une défiance ; elle a surtout une vocation dissuasive : les avantages de l'appartenance à l'Union européenne ne sauraient valoir de façon définitive une fois l'adhésion acquise. L'avertissement s'adresse avant tout aux adversaires du processus démocratique ; il doit également permettre aux opinions publiques, au moment des échéances électorales, d'apprécier les conséquences de leur choix politique dans une perspective européenne.

Cependant, une telle valeur dissuasive dépend de la crédibilité du dispositif envisagé. Une procédure excessivement rigide et rigoureuse risquait de ce point de vue de se révéler contre-productive. Les conditions de recours au mécanisme prévu par le traité d'Amsterdam comme la portée des sanctions envisagées paraissent, de ce point de vue, répondre à l'équilibre nécessaire.

• En premier lieu, le recours aux sanctions revêt un caractère exceptionnel. Il faut en effet une "violation grave et persistante par un Etat membre des principes énoncés à l'article 6, paragraphe 1" pour déclencher la procédure.

• En outre, l'initiative dans ce domaine doit relever de la responsabilité politique . C'est pourquoi la compétence de la Cour de justice a été exclue sur ce point. C'est au Conseil européen qu'il revient de constater l'existence d'une telle violation, sur la proposition d'un tiers des Etats membres ou de la Commission, après avis conforme du Parlement européen donné à la majorité de ses membres. Le Conseil statue à l'unanimité sans tenir compte du vote du représentant du gouvernement de l'Etat membre concerné (art. 7 § 1 TUE).

De même, il incombe au Conseil de décider, dans un second temps, des sanctions à mettre en oeuvre.

• Ensuite, le régime des sanctions apparaît tout à la fois souple -il laisse une large marge d'appréciation au Conseil- et réaliste.

En effet, il prévoit des sanctions suffisamment pénalisantes pour apparaître dissuasives : la suspension de certains droits, y compris du droit de vote, tandis que l'Etat sanctionné demeure lié par les obligations souscrites dans le cadre du traité. Cependant le traité n'envisage pas de sanction plus radicale, comme une procédure d'exclusion de l'Etat intéressé 6( * ) . Le Conseil peut, par la suite, décider de modifier ou d'annuler ces mesures si la situation a évolué (art. 7 § 3 TUE).

• Enfin, le mode de décision du Conseil apparaît tout à la fois contraignant pour les Etats membres et dissuasif vis-à-vis de l'Etat sanctionné. Contraignant, dans la mesure où l' unanimité est requise pour constater une violation des principes démocratiques ou des droits de l'homme. Dissuasif, car les abstentions ne font pas obstacle à l'adoption d'une telle décision , mais aussi parce que les sanctions sont décidées à la majorité qualifiée et qu'enfin et surtout, dans tous les cas, le Conseil statue sans tenir compte du vote des représentants du gouvernement de l'Etat membre concerné (art § 4 TUE).

Le mécanisme des sanctions et en particulier la suspension du droit de vote représente-t-il une atteinte à la souveraineté nationale ? Une telle préoccupation doit être relativisée à la lumière de plusieurs observations.

Cette procédure, si elle innove dans le dispositif institutionnel de l'Union européenne, s'inscrit dans la ligne de plusieurs traités constitutifs d'organisations internationales comme la charte de l'ONU (art. 5) ou le statut précité du Conseil de l'Europe (art. 3). Le respect des principes démocratiques et des droits de l'homme ont par ailleurs, faut-il le rappeler, leur fondement dans notre Constitution à travers la référence du premier alinéa du préambule "aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils sont définis par la déclaration de 1789 confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946".

Le Conseil constitutionnel n'a d'ailleurs pas contesté la conformité de cette disposition du traité d'Amsterdam au regard de notre Constitution.

b) Une compétence reconnue de l'Union en matière de lutte contre les discriminations

• Le traité d'Amsterdam ouvre au Conseil la possibilité, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, de prendre à l'unanimité les mesures nécessaires pour combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les croyances, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle (art. 13 TUE).

Les trois derniers motifs de non-discrimination (handicap, âge et orientation sexuelle) n'étaient couverts ni par la Convention européenne des droits de l'homme, ni par le Pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques de 1966.

Cette disposition ne risque-t-elle pas de donner des compétences excessives au Conseil aux dépens du principe de subsidiarité ?

Cependant, il convient de le rappeler, le Conseil statue dans la limite des compétences qui lui sont dévolues par les traités.

En outre, d'après les commentaires recueillis par votre rapporteur auprès du gouvernement français, les mesures prises en application du principe de non discrimination devraient être privées d'effet direct dans le droit interne des Etats membres . Dès lors, un citoyen de l'Union ne pourrait se prévaloir de cet article du traité en l'absence d'un texte de droit dérivé.

*

* *

La Conférence n'a pas, par ailleurs, résisté à la tentation de préciser certains des droits qui forment le fond commun des valeurs de l'Union. L'exercice n'est pas sans vanité car il n'emporte pas de conséquences juridiques concrètes. Il se traduit par deux déclarations jointes à l'acte final.

La première déclaration (n° 1) porte sur l'abolition de la peine de mort et se borne à un constat : une large majorité d'Etats membres a adhéré au protocole n° 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme -qui prévoit l'abolition de la peine de mort- et depuis lors, "la peine de mort a été abolie dans la plupart des Etats membres de l'Union et n'a plus été appliquée dans aucun d'entre eux".

A ce jour, en effet, seuls la Belgique, la Grèce et le Royaume-Uni n'ont pas ratifié le protocole n° 6. La France, pour sa part, a accompli cette procédure le 17 février 1986.

Cependant si, au Royaume-Uni, la peine de mort pour assassinat a été définitivement abolie le 18 décembre 1969, la peine capitale reste en vigueur, même en temps de paix, en cas de haute trahison, en vertu d'une loi de 1914 (et -en Angleterre et au pays de Galles- pour les actes de piraterie avec violence en application d'une loi de 1837). La Belgique a récemment adopté un projet de loi abolissant la peine de mort mais, depuis 1963, toutes les condamnations à la peine capitale prononcées pour des crimes de droit commun avaient été, à une exception près, commuées.

Une seconde déclaration (n° 11) relative au statut des Eglises rappelle les principes de neutralité observés par l'Union européenne ; celle-ci, en effet, "respecte et ne préjuge pas le statut, dont bénéficient en vertu du droit national les Eglises et les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres" ; à la demande de la Belgique, la déclaration concerne également "le statut des organisations philosophiques et non confessionnelles".

B. LES SPÉCIFICITÉS DU MODÈLE EUROPÉEN

L'ouverture du traité d'Amsterdam vers une dimension plus sociale n'a pas seulement pour objectif de procurer une manière de contrepartie à la mise en place de l'Union économique et monétaire. Elle constitue un trait essentiel d'un "modèle européen" auquel se rattache également la notion de "services d'intérêt économique général". L'orientation ainsi donnée n'est pas entièrement nouvelle ; les réseaux transeuropéens, la recherche communautaire, la politique des consommateurs ... autant d'actions destinées à asseoir les bases d'un modèle social européen.

1. La dimension sociale

Une préoccupation plus grande accordée aux droits sociaux a conduit les négociateurs à compléter le préambule par un nouveau paragraphe destiné à confirmer l'attachement des Quinze "aux droits sociaux fondamentaux tels qu'ils sont définis dans la Charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961, et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989".

La dimension sociale se traduit par l'intégration du protocole social de 1992 au corps même du traité communautaire et par une extension limitée des compétences du Conseil pour la défense de certains droits sociaux.

a) L'intégration du protocole social au traité communautaire.

Compte tenu des réticences du Royaume-Uni à donner quelque rôle que ce soit à l'Europe dans le domaine social, les onze Etats membres convaincus, malgré tout, de ne pas laisser ce vaste domaine à l'écart de la construction européenne, s'étaient résignés à signer en 1992 un texte séparé, annexé sous la forme d'un protocole au traité de Maastricht. L'évolution de la position britannique à la suite du changement de gouvernement en mai 1997, a permis à la faveur de la CIG, d'abroger le protocole social et d'en reprendre les principales dispositions dans le traité communautaire.

Cette transposition n'a entraîné aucune modification quant à la répartition des matières entre décisions à la majorité qualifiée ou décisions à l'unanimité.

De même toute mesure d'harmonisation demeure exclue pour les rémunérations, le droit d'association, le droit de grève ainsi que le droit de "lock out".

D'une façon générale, au delà des affirmations de principe, les Quinze ont observé une grande prudence pour la mise en oeuvre concrète des objectifs affichés à l'échelle européenne :

- les actions dans le domaine social reposent sur la coopération et la coordination entre Etats membres sous l'impulsion de la Commission (art. 140) ;

- le Conseil se borne à "arrêter, par voie de directives, des prescriptions minimales applicables progressivement, compte tenu des conditions et des réglementations techniques existant dans chaque Etat membre" (art. 137, § 2) ;

- enfin, une déclaration annexe du traité permet de ranger les dépenses liées aux actions dans le domaine social dans la catégorie des dépenses au titre des politiques internes de la Communauté (dépenses regroupées dans la rubrique 3 des perspectives financières) ; les actions dans ce domaine ne peuvent ainsi servir de base juridique à des programmes financiers supplémentaires non prévus dans le budget communautaire comme pouvaient le craindre certains Etats membres.

b) Une extension des compétences du Conseil

La seule innovation , dans le domaine social, tient à l'extension des compétences du Conseil dans deux domaines :

- l'égalité du traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi,

- la lutte contre l'exclusion sociale

• Le Conseil peut statuer, dans le cadre de la procédure de codécision, pour assurer l'application du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de travail (art. 141 § 3).

Jusqu'à présent, le traité reconnaissait seulement le principe de l'égalité des rémunérations et laissait aux Etats membres la responsabilité d'en assurer l'application. Toutefois, dans les faits, le Conseil n'était pas resté inactif : il avait adopté, dès le 9 février 1976, une directive relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes pour l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle. Le traité d'Amsterdam consacre cette évolution.

Le traité laisse également aux Etats membres la faculté de prévoir des avantages spécifiques pour faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté. Le principe de "discrimination positive" (bien connu sous sa formulation anglo-saxonne d'"affirmative action"), interprété jusqu'à présent de façon stricte par la Cour de justice 7( * ) devrait désormais recevoir ainsi une application plus large.

• En second lieu, le Conseil peut adopter en codécision des mesures destinées à encourager la coopération dans le domaine de l'exclusion .

2. L'équilibre entre la recherche de la compétitivité et la défense de l'intérêt général

Le traité d'Amsterdam a cherché à instaurer un équilibre entre les considérations liées, d'une part, au libéralisme économique et, d'autre part, à la défense d'un "modèle social européen". C'est pourquoi il a introduit deux notions apparemment contradictoires : la mention d'un "haut degré de compétitivité" parmi les nouvelles missions de la Communauté et -comme le souhaitait la France- la reconnaissance des "services d'intérêt économique général" parmi les valeurs communes de l'Union. Est-ce là une incohérence, fruit habituel de la culture de compromis propre à la négociation européenne ? Ou faut-il y voir plutôt deux traits complémentaires du modèle économique européen ?

Cette dernière interprétation mérite sans doute de prévaloir.

a) La reconnaissance des "services d'intérêt économique général" parmi les valeurs communes de l'Union

Que recouvre cette notion de "service d'intérêt économique général".? La jurisprudence de la Cour de justice 8( * ) permet d'en mieux préciser les contours ; il s'agit d'entreprises publiques ou privées auxquelles l'Etat confie par un "acte de puissance publique" la mission de procurer un service destiné à satisfaire les besoins collectifs du public .

La reconnaissance de ces services parmi les valeurs communes s'explique par leur rôle essentiel pour "la cohésion territoriale de l'Union". Elle justifie dès lors l'obligation faite à la Communauté et à ses Etats membres -"chacun dans la limite de ses compétences"- de garantir à ces services les conditions nécessaires à l'accomplissement de leur mission. Comment ce principe peut-il se conjuguer avec le respect des règles de concurrence ?

b) La prise en compte des règles de concurrence

La recherche d'un haut degré de compétitivité, mentionnée à la demande des Allemands, doit inspirer l'ensemble des politiques et actions communautaires.

En fait, aux termes d'une disposition déjà inscrite dans le traité communautaire (art. 86 § 2), l'application des règles de concurrence ne devait pas faire échec à l'accomplissement, en droit ou en fait, de la mission impartie aux entreprises chargées de la question de service d'intérêt économique général. Il faut prêter attention à la formulation rigoureuse employée par le traité. Il ne suffit pas que les règles de concurrence gênent la mission d'intérêt général, elles doivent la rendre impossible.

Le respect de la mission d'intérêt général peut, à cette condition, dicter, comme le montre la jurisprudence de la Cour de justice 9( * ) , non seulement des restrictions, mais aussi l'exclusion de toute concurrence de la part d'autres opérateurs économiques. Une déclaration à l'Acte final (n° 13) souligne du reste la nécessité de respecter la jurisprudence de la Cour de justice relative aux principes d'égalité de traitement, de qualité et de continuité de ces services.

*

* *

Par ailleurs, la reconnaissance générale de la notion d'intérêt économique général trouve deux applications précises dans le traité sous la forme d'un protocole et d'une déclaration consacrés respectivement au service public de radiodiffusion et aux établissements de crédit de droit public en Allemagne.

Le service de radiodiffusion

Au terme d'un protocole (n° 9), les Quinze ont souhaité confirmer la compétence des Etats membres pour pourvoir au financement des services publics de radiodiffusion pour l'accomplissement de leur mission de service public, en précisant cependant que ce financement ne doit pas altérer les échanges et la concurrence dans la Communauté dans une mesure contraire à l'intérêt commun.

Les établissements de crédit de droit public en Allemagne

Une déclaration (n° 37) de la Conférence prend acte de l'avis de la Commission selon lequel les établissements de crédit de droit public en Allemagne assurent une fonction de "service d'intérêt économique général" tandis que les avantages dont ils disposent -en contrepartie des coûts inhérents à leurs prestations- ne sont pas incompatibles avec les règles de concurrence en vigueur. Le Luxembourg et l'Autriche ont également souhaité que leurs établissements de crédit dotés d'une structure comparable soient considérés de la même façon.

II. LES NOUVELLES PRIORITÉS DE L'ACTION COMMUNAUTAIRE

Le souci de mieux tenir compte des préoccupations des citoyens s'est traduit par l'introduction d'un nouveau titre consacré à l'emploi ainsi que par un renforcement des dispositifs relatifs à l'environnement et à la santé. Au-delà de ces aménagements apportés au champ d'application des politiques communes, les méthodes même de l'action communautaire s'inspirent désormais d'un plus grand souci de transparence. Une telle préoccupation s'exprime notamment à travers la reconnaissance d'un droit d'accès aux documents des institutions européennes et un plus grand souci attaché au contrôle des fonds européens.

A. DES POLITIQUES COMMUNES PLUS PROCHES DES ASPIRATIONS DES CITOYENS

1. L'emploi : la mise en place d'une nouvelle procédure destinée à promouvoir la coordination des politiques nationales

Dans des domaines où les compétences des Etats demeurent entières, il ne saurait y avoir de politiques communes mais seulement un effort de coordination.

Le traité d'Amsterdam a assigné une nouvelle action à la liste des missions dont se trouve investie la Communauté : "la promotion d'une coordination entre les politiques de l'emploi des Etats membres en vue de renforcer leur efficacité par l'élaboration d'une stratégie commune pour l'emploi" (art. 3 (i)). Il lui consacre par ailleurs un nouveau titre . Si l'emploi constitue une question "d'intérêt commun" (art. 126 § 2), la compétence de la Communauté se limite à encourager la coopération entre Etats membres "en soutenant et, au besoin, en complétant leur action" (art. 127 § 1).

Ce principe essentiel commande l'ensemble de l'action communautaire.

a) La procédure de coordination

• La procédure de coordination concernant les politiques de l'emploi s'organise autour de quatre étapes :

- l'adoption, chaque année, par le Conseil européen de conclusions sur la situation de l'emploi dans la Communauté à partir des informations présentées dans un rapport conjoint du Conseil et de la Commission (art. 128 § 1) ;

- sur la base de ces conclusions, la définition par le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur la proposition de la Commission (après consultation du Parlement européen, du Comité économique et social, du Comité des régions et du Comité de l'emploi) de lignes directrices dont les Etats membres tiennent compte dans leur politique de l'emploi (art. 128 § 2) ;

- l'examen par le Conseil de la mise en oeuvre des politiques nationales de l'emploi à la suite du rapport remis par chacun des Etats membres (art. 128 § 4) ; au terme de cet examen, le Conseil peut adresser sur recommandation de la Commission, et s'il le juge utile, des recommandations aux Etats membres ;

- les actions d'encouragement adoptées par le Conseil dans le cadre de la procédure de codécision. Celles-ci toutefois ne pourront pas déboucher sur une harmonisation des dispositions nationales (art. 129). Les Etats ont voulu en fait permettre l'adoption de programmes d'action financés sur la base des moyens budgétaires arrêtés dans le budget communautaire chaque année. Les propositions de la Commission dans ce domaine avaient été bloquées jusqu'à présent par l'exigence de l'unanimité. Par ailleurs, au terme d'une déclaration (n° 23) dans l'Acte final, les actions d'encouragement devront toujours comporter des précisions sur les raisons de leur adoption (en justifiant en particulier d'une valeur ajoutée pour la Communauté), sur leur durée (inférieure à cinq ans) et sur le montant maximal de leur financement. Cette déclaration répond à une demande de certains Etats préoccupés par l'hypothèse d'une utilisation du nouveau dispositif relatif à l'emploi comme base juridique pour l'adoption de programmes financiers importants.

b) La création d'un comité de l'emploi

• Enfin, le Conseil, après consultation du Parlement européen, instituera un Comité de l'emploi à caractère consultatif appelé à formuler des avis et à suivre l'évolution de la situation de l'emploi dans les Etats membres et dans la Communauté (art. 130). A cet égard, il importe de le rappeler, le Comité sera obligatoirement consulté par le Conseil avant la définition des lignes directrices en matière d'emploi 10( * ) .

2. Le souci de la qualité de vie

Cette dimension humaine se traduit principalement, dans le cadre des politiques communes, par une attention particulière accordée à la "qualité de la vie" à travers les aménagements apportés au dispositif relatif à l'environnement et à la santé publique.

a) L'environnement : les dérogations nationales aux mesures communautaires placées sous surveillance

Le traité d'Amsterdam apporte deux modifications principales au dispositif relatif à l'environnement

• En premier lieu, il consacre la notion de " développement durable", mentionnée parmi les nouveaux objectifs de l'Union européenne (art. 2 TUE) comme de la Communauté (art. 2).

La Communauté doit en conséquence assurer un "niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement" (art. 6), mais aussi tenir compte des exigences liées à la protection de l'environnement dans la définition et la mise en oeuvre des politiques communautaires. Désormais, si l'exigence d'un niveau de protection élevé continue de s'imposer aux propositions de la Commission, le Parlement et le Conseil européen doivent également s'efforcer d'atteindre cet objectif (art. 95 § 3).

Le principe du développement durable s'est imposé lors de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement réunie à Rio de Janeiro en 1992 : il vise à promouvoir une croissance capable de satisfaire les besoins actuels des populations sans remettre en cause les intérêts des générations à venir ; dans cette perspective, les Etats doivent, en particulier, réduire et éliminer les modes de production non viables.

La procédure de codécision se substitue à la procédure de coopération et permet un renforcement de l'intervention du Parlement européen dans ce domaine. En outre, le Comité des régions devient un organe de consultation obligatoire avant l'adoption de décisions en matière d'environnement.

L'introduction de dispositions nationales après l'adoption par le Conseil ou la Commission d'une mesure d'harmonisation obéit désormais à des conditions strictement définies : la mesure nationale en cause doit se fonder sur des "preuves scientifiques nouvelles" et répondre à un "problème spécifique" survenu après l'harmonisation communautaire ; enfin, la Commission dispose d'un délai de 6 mois -éventuellement prolongé d'une nouvelle période d'une même durée- pour rejeter ou approuver cette mesure après avoir vérifié sa conformité aux principes du fonctionnement du marché intérieur. Par ailleurs, si une disposition nationale dérogatoire est ainsi acceptée dans le cadre de cette procédure, la Commission examine "immédiatement" s'il apparaît nécessaire de modifier la mesure d'harmonisation communautaire.

Par ailleurs, la Commission prend l'engagement, inscrit dans une déclaration de la Conférence, de préparer, selon les besoins, des études évaluant l'impact sur l'environnement.

b) La santé : les conséquences des crises du sang contaminé et de la "vache folle"

Le traité d'Amsterdam a également apporté, dans le domaine de la santé, deux aménagements au dispositif existant :

• En premier lieu, les exigences liées à un niveau élevé de protection de la santé publique doivent désormais être systématiquement prises en compte dans la définition et la mise en oeuvre de toutes les politiques ou actions communautaires (art. 152). Du reste, si un Etat membre soulève un problème particulier de santé publique dans un domaine qui a fait l'objet d'une harmonisation, la Commission doit examiner immédiatement s'il y a lieu de proposer des mesures appropriées au Conseil (art. 95 § 8).

• Ensuite, le Conseil dispose désormais de pouvoirs plus étendus ; au-delà des actions d'encouragement, il peut en effet adopter à la majorité qualifiée dans le cadre de la procédure de codécision (art. 152 § 4) :

- des mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des organes et substances d'origine humaine, du sang et des dérivés du sang -tout en laissant aux Etats la liberté de maintenir ou de prendre des dispositions plus strictes ;

- des mesures dans le domaines vétérinaires et phytosanitaires "ayant directement pour objectif la protection de la santé publique" ; dans ce domaine, la procédure de codécision représente une dérogation notable au mode de décision qui prévaut pour la politique agricole commune pour laquelle le Parlement européen est simplement consulté.

Le choix des deux domaines où le Conseil se trouve investi d'une compétence plus large n'est naturellement pas le fruit du hasard. Il fait écho aux deux crises successives du sang contaminé et de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ou crise de la "vache folle") qui ont bouleversé les opinions publiques au cours des dernières années. Distincte dans leur nature comme dans leurs effets, ces deux crises ont toutefois mis en évidence non seulement les faiblesses des pouvoirs publics nationaux mais aussi les failles du contrôle communautaire et, peut-être, l'irresponsabilité de certains services de la Commission.

A cet égard, le rôle désormais dévolu au Conseil constitue moins une extension de ses compétences qu'une réappropriation par l'autorité politique de mesures dont l'importance justifie en effet un contrôle renforcé.

Du reste, comme le précise le nouveau dispositif du titre XII ,"l'action de la Communauté dans le domaine de la santé publique respecte pleinement les responsabilités des Etats membres en matière d'organisation et de fourniture de services et de soins médicaux". Si l'harmonisation demeure ainsi exclue (152 § 5 (e)), l'avancée permise par Amsterdam se traduit par la recherche de "normes minimales" dans des domaines précisément définis.

*

* *

Les aménagements apportés par le traité d'Amsterdam aux dispositifs relatifs à d'autres politiques communes présentent une portée plus modeste, mais s'inspirent également d'une préoccupation plus grande de la qualité de vie du citoyen européen. Il convient à cet égard de mentionner la protection des consommateurs (art. 153) ; dans ce domaine, la Communauté n'a plus seulement vocation à maintenir un niveau élevé de protection : elle s'attache également à promouvoir les intérêts des consommateurs dont les droits sont par ailleurs complétés (notamment avec la reconnaissance de la possibilité de s'organiser pour la défense des intérêts communs).

De même, une attention nouvelle est accordée au sport : une déclaration reconnaît son importance sociale et invite les institutions de l'Union à consulter les organes représentant les milieux sportifs lorsque des questions importantes relatives au sport sont évoquées et mentionne, enfin, la nécessité de tenir compte tout spécialement des particularités du sport amateur.

B. UN AMÉNAGEMENT DES MÉTHODES COMMUNAUTAIRES GUIDÉ PAR LE SOUCI DE LA TRANSPARENCE

1. Un renforcement du contrôle sur l'emploi des fonds communautaires

Cette orientation se traduit par deux types de mesures : un renforcement de la lutte contre la fraude, une intensification de la coopération douanière.

a) Un effort de prévention contre la fraude

La complexité de la réglementation communautaire dans des domaines comme la politique agricole commune a pu favoriser des fraudes particulièrement préjudiciables aux intérêts financiers de la Communauté. L'enjeu est d'importance car, si l'on en croit le rapport de la Commission sur la lutte contre la fraude en 1997, les montants en cause -pour les seuls cas connus- représentent 1 milliard d'écus en 1997 sur un budget communautaire de l'ordre de 82 milliards d'écus. Jusqu'à présent, il revenait aux Etats membres, en collaboration avec la Commission, de déterminer les moyens nécessaires à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté -assimilée à la fraude contre leurs propres intérêts. Toutefois, l'efficacité de ces actions pouvait souffrir de l'incompatibilité entre les mesures nationales des différents Etats membres ainsi qu'entre ces mesures et les principes communautaires.

• Le dispositif mis en place par le traité d'Amsterdam repose-t-il sur un double principe : d'une part, la lutte contre la fraude ne relève pas seulement des Etats mais aussi de la Communauté , d'autre part, les mesures adoptées doivent revêtir un caractère dissuasif et offrir une protection effective dans tous les Etats membres (280 § 1).

Dès lors, le traité permet au Conseil, statuant en codécision, d'adopter, après consultation de la Cour des comptes, les mesures nécessaires à la prévention de la fraude "en vue d'offrir une protection effective et équivalente dans les Etats membres" -ces mesures n'affecteront pas cependant l'application du droit pénal et l'administration de la justice dans les Etats membres (art. 280 § 4). Enfin, la mise en oeuvre du dispositif fera l'objet d'un rapport remis par la Commission au Parlement et au Conseil européen, chaque année (art. 280 § 5).

De quoi seront faites ces mesures ? Dans la mesure où le remboursement des sommes indûment utilisées constitue avant tout une mesure réparatrice, l'effet dissuasif reposera principalement sur la mise en oeuvre de sanctions comparables partout en Europe.

A cet égard, la signature, dans le cadre du troisième pilier, de la convention relative à la protection pénale des intérêts financiers des Communautés en 1996 constitue un premier jalon de la démarche à entreprendre. Toutefois, elle n'est toujours pas entrée en vigueur à ce jour faute de ratification par les Etats membres.

Enfin, le traité d'Amsterdam inscrit la lutte contre la fraude dans le cadre plus large du principe de bonne gestion financière auquel les Etats en coopération avec la Commission, sont tenus de veiller dans l'utilisation des crédits budgétaires (art. 206 § 3).

b) La coopération douanière

Si la Convention de Naples signée par les Etats fondateurs de la Communauté en 1969 avaient déjà posé les bases d'une coopération douanière, la complexité du partage des compétences entre les Etats membres et la Communauté avait limité l'efficacité des actions entreprises dans ce domaine.

Aussi, à la demande de l'Allemagne notamment, le traité d'Amsterdam introduit un nouveau titre consacré à ce sujet (titre X).

Désormais, le Conseil statuant en codécision prend les mesures nécessaires au renforcement de la coopération douanière entre les Etats membres et entre ceux-ci et la Commission. Les mesures prises dans ce cadre restent bornées par une double limite : elles doivent s'inscrire dans le champ d'application du traité, elles ne concernent pas l'application du droit pénal national et l'administration de la justice dans les Etats membres (art. 135).

2. Les nouveaux droits du citoyen européen vis-à-vis de l'administration communautaire

Le traité d'Amsterdam a cherché à renforcer les droits dont bénéficient les citoyens européens vis-à-vis des institutions communautaires. Si la reconnaissance d'un droit d'accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission consacre une évolution observée déjà depuis plusieurs années, le dispositif relatif à la protection des personnes vis-à-vis des données informatisées représente en revanche une avancée réelle.

a) La reconnaissance d'un droit d'accès aux documents des institutions européennes

Dans la logique de rapprochement entre le citoyen et l'Union, le traité d'Amsterdam maintient le principe affirmé à Maastricht de "décisions prises le plus près possible des citoyens" et ajoute une référence nouvelle au "principe d'ouverture" .

Si le premier volet de cette double orientation n'a reçu aucun développement notable faute d'une réelle réflexion sur la subsidiarité, le second a connu une application plus significative à travers la reconnaissance d'un droit d'accès aux documents des institutions européennes.

Le traité d'Amsterdam pose désormais pour principe des décisions prises dans "le plus grand respect possible du principe d'ouverture" (art. premier TUE). Il faut prêter attention à la formulation retenue -"le plus grand respect possible". La volonté de transparence doit composer avec le souci de sauvegarder l'efficacité du processus de décision et, partant, d'une certaine confidentialité dans certains cas. Cette double exigence commande l'équilibre retenu dans le traité.

• Le traité reconnaît le principe d'un droit d'accès de tout citoyen de l'Union et de toute personne physique ou morale installée dans un Etat membre aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (art. 255 § 1).

Le Conseil définit, à la majorité qualifiée, selon la procédure de codécision, dans les deux années qui suivent l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, les conditions de mise en oeuvre de ce droit et de ses limites -inspirées notamment par des raisons d'intérêt public et privé (art. 255 § 2). Dans ce cadre, chaque institution élabore dans son règlement intérieur les dispositions particulières concernant l'accès à ces documents.

Aux termes des précisions apportées par le traité (art. 207 § 3), les documents du Conseil peuvent être communiqués, "tout en préservant l'efficacité de son processus de décision", lorsque cette institution intervient comme législateur. Le traité précise lui-même la liste minimale des documents rendus publics dans le cadre de la fonction législative du Conseil : les résultats et explications de vote, les déclarations inscrites au procès verbal. Ces documents ont, en fait, déjà fait l'objet d'une publicité comme le montre la pratique du Conseil depuis la modification de son règlement intérieur en 1993.

Il est essentiel, cependant, que le règlement du Conseil s'inspire également de la réserve qu'observe aujourd'hui cette institution pour la communication des documents relatifs à des délibérations en cours. Dans la mesure en effet où ces textes peuvent révéler la position des parties en présence, leur communication est généralement refusée. La confidentialité apparaît en effet comme une condition essentielle de l'efficacité du processus de décision comme l'avait d'ailleurs souligné un arrêt de la Cour de justice (Carrel c/Conseil) : les positions nationales doivent rester confidentielles "particulièrement si les membres sont contraints de s'en écarter afin qu'un accord puisse se dégager, au point parfois de ne pas suivre les instructions qui leur ont été données au niveau national sur un aspect particulier. Ce processus de négociation (...) vital pour l'adoption de la législation communautaire, serait mis en péril si les délégations devaient en permanence tenir compte du fait que leurs positions, telles que consignées dans les procès verbaux du Conseil peuvent à tout moment être rendues publiques par la possibilité d'avoir accès à ces documents".

Ces précautions apparaissent d'autant plus nécessaires que le droit d'accès s'applique aux deuxième et troisième piliers (en vertu des articles 28 et 41 du traité sur l'Union européenne). Les négociations relatives à la politique étrangère et de sécurité comme les sujets liés à la coopération policière requièrent naturellement la plus grande discrétion. Jusqu'à présent, d'ailleurs, la publicité des résultats des votes dans ces matières supposait un vote à l'unanimité du Conseil.

Enfin, quand un Etat membre remet un document au Conseil et à la Commission, il peut -comme une déclaration (n° 35) de la Conférence lui en reconnaît le droit- manifester son souhait que les institutions de Bruxelles n'en donnent pas communication à un tiers sans son accord préalable.

*

* *

Le traité d'Amsterdam manifeste également une volonté de renforcer la qualité de la législation communautaire considérée comme l'un des éléments essentiels d'une plus grande transparence de l'action des institutions. Une déclaration (n°39) de la Conférence invite ainsi le Conseil et la Commission à arrêter d'un commun accord les lignes directrices relatives à la qualité rédactionnelle de la législation et de favoriser l'effort de codification .

Les intentions sont louables. Il n'est pas sûr toutefois en la matière que le traité d'Amsterdam ait lui-même montré l'exemple.

b) La protection des personnes à l'égard du traitement des données à caractère personnel

• Aux termes d'un nouvel article (art. 286), les actes communautaires relatifs à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement et de la circulation des données à caractère personnel s'appliquent aux institutions communautaires à partir du 1er janvier 1999 .

En outre, avant cette date, le Conseil statuant en codécision devra instituer un organe indépendant de contrôle chargé de l'application de ces actes aux institutions.

TROISIÈME PARTIE -
LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES, LA SÉCURITÉ ET LA JUSTICE : DES AVANCÉES RÉELLES

L'ensemble des questions liées à la justice et aux affaires intérieures relevaient d'une coopération intergouvernementale que le traité de Maastricht, pour bien en souligner la spécificité, avait présentée dans un dispositif distinct, constituant le troisième pilier de la construction communautaire.

Le traité d'Amsterdam assigne à l'Union européenne un nouvel objectif, la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice (art. 5 TUE). Cet ajout présente trois mérites principaux :

- il tire les conséquences du principe de la liberté de circulation et de séjour posé par le traité de Maastricht,

- il institue un lien entre une double exigence : la libre circulation des personnes et les "mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène",

- il consacre ainsi les avancées acquises dans le cadre plus restreint des Etats signataires des accords de Schengen.

Le principe d'un espace de liberté, de sécurité et de justice admis, il restait à déterminer les conditions de mise en oeuvre de cet objectif. Fallait-il poursuivre dans le cadre de la coopération intergouvernementale fixé par le troisième pilier au risque de demeurer paralysé par la règle de l'unanimité ? Convenait-il au contraire de revenir au régime commun des procédures communautaires (initiative de la Commission, décision à la majorité qualifiée au sein du Conseil, codécision du parlement européen) dans un domaine qui touche si étroitement aux souverainetés nationales ?

Le débat entre tenants de la logique intergouvernementale et partisans de la procédure communautaire a pu parfois revêtir un tour dogmatique et masquer la vraie question : comment garantir la libre circulation des personnes tout en luttant de la façon la plus efficace contre le développement d'une criminalité transfrontalière ? L'expérience a montré qu'une action concertée et coordonnée s'avérait plus efficace que l'isolement. C'est pourquoi, dans le domaine des affaires intérieures et de la justice, l'impératif d'efficacité interdisait le statu quo.

Ce souci, associé à la volonté de ménager les souverainetés nationales, a inspiré la solution retenue par le traité fondé sur un triple compromis :

- une partie des questions relevant du troisième pilier a été "communautarisée" pour former le nouveau titre IV du traité instituant la Communauté européenne (visas, asile, immigration, franchissement des frontièrees extérieures, coopération judiciaire civile) tandis que la coopération policière et judiciaire en matière pénale continue de relever de la coopération intergouvernementale dans le cadre d'un troisième pilier maintenu ;

- la "communautarisation" organisée par le nouveau titre IV apparaît à la fois progressive et partielle ;

- le Danemark, le Royaume-Uni et l'Irlande, résolument hostiles à la "communautarisation" ou, pour les deux derniers pays, au principe même d'une coopération renforcée dans les domaines concernés ont obtenu des statuts dérogatoires.

Malgré ses limites sur lesquelles votre rapporteur reviendra,le traité d'Amsterdam permet, à ses yeux, dans ce domaine trois avancées notables :

- la mise en place de procédures de décision plus efficaces -à travers la "communautarisation"- pour réaliser cet espace de liberté ;

- l'intégration dans le cadre de l'Union européenne de "l'acquis de Schengen" et, partant, la reconnaissance d'un socle minimal de règles préalables à la libre circulation ;

- l'amélioration du dispositif de coopération intergouvernemental pour les matières demeurées sous le régime du troisième pilier.

I. UNE COOPÉRATION RENFORCÉE MAIS ENCADRÉE

A. L'INTÉGRATION DE L'ACQUIS DE SCHENGEN À L'UNION EUROPÉENNE : UN LIEN GARANTI ENTRE LIBRE CIRCULATION ET MESURES D'ACCOMPAGNEMENT NÉCESSAIRES

Le traité d'Amsterdam institue un lien que votre rapporteur juge essentiel entre la libre circulation des personnes et les mesures d'accompagnement relatives aux contrôles aux frontières extérieures, à l'asile et à l'immigration (art. 2 TUE) .

La France, la première, avait subordonné la suppression des contrôles aux frontières communes de l'Union à la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement nécessaires dans le domaine des contrôles aux frontières extérieures notamment. Notre pays avait même suggéré que la décision de lever les contrôles aux frontières intérieures soit prise par le Conseil, à l'issue d'un délai de cinq ans, au vu de la réalisation des mesures d'accompagnement nécessaires, sur la base d'un rapport détaillé de la Commission.

Si cette proposition n'a pas été retenue, le traité organise cependant une mise en oeuvre parallèle des mesures relatives à la suppression des contrôles aux frontières intérieures et des mesures d'accompagnement communes sur le contrôle aux frontières extérieures, dont la logique répond aux préoccupations françaises.

Le traité fixe en outre un délai butoir de cinq ans à l'harmonisation des mesures dans les domaines déterminés par le titre IV afin de favoriser la dynamique de la négociation, comme le souhaitait d'ailleurs le gouvernement français.

Cependant, le traité n'a pas établi un lien formel entre la levée des contrôles et la mise en oeuvre des mesures relatives à la sécurité. En outre, la lutte contre la toxicomanie n'a pas été reprise parmi les "mesures compensatoires" liées à la libre circulation et il faut le regretter.

Toutefois l'intégration de "l'acquis de Schengen" à l'Union européenne apporte en principe la garantie d'un lien entre libre circulation et sécurité .

En effet, l'abolition décidée dans le cadre des accords de Schengen des contrôles fixes aux frontières intérieures des Etats signataires de ces textes avait pour contrepartie nécessaire un renforcement de la coopération en matière de sécurité, en particulier pour la surveillance des frontières extérieures.

Si le bilan des accords de Schengen en la matière apparaît encore insuffisant, du moins le dispositif définit un socle minimal de règles qui ont vocation à s'appliquer désormais aux premier et troisième piliers.

Une déclaration (n° 15) de la Conférence tire toutes les conséquences de l'intégration de l'acquis de Schengen et rappelle ainsi que les mesures adoptées par le Conseil pour prendre la suite des dispositions relatives à l'abolition des frontières communes contenues dans la convention de Schengen de 1990 maintiendront un niveau identique de protection et de sécurité.

*

Le dispositif mis en place, dans le cadre des accords de Schengen, pour supprimer progressivement les contrôles aux frontières communes entre les Etats-membres de l'Union européenne -à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande- a été intégré aux traités européens sous la forme d'un protocole annexé au traité d'Amsterdam.

Cette intégration permet, selon votre rapporteur, de rétablir une plus grande cohérence dans la mise en oeuvre de la libre circulation des personnes mais elle soulève aussi plusieurs incertitudes compte tenu des particularités du dispositif Schengen.

1. Une plus grande cohérence

a) Les conséquences de l'intégration

L'intégration se traduit par deux séries de mesures :

l'application immédiate aux Etats-membres de l'"acquis de Schengen" qui comprend non seulement les textes fondateurs de la coopération Schengen (accord de Schengen du 14 juin 1985 et convention d'application de l'accord de Schengen du 19 juin 1990) et les accords d'adhésion, mais aussi l'ensemble des décisions adoptées par le Comité exécutif Schengen,

la substitution du Conseil de l'Union européenne au Comité exécutif, instance de décision des accords de Schengen .

L'intégration de "l'acquis de Schengen" met ainsi un terme à la dualité des structures intéressées à la mise en place d'un espace voué à la libre circulation des citoyens. En effet, les Quinze, dans le cadre du troisième pilier, abordaient des sujets très proches des thèmes traités par les États signataires des accords de Schengen: coopération dans le domaine des visas, mise en place d'un système d'information européen... En fait, seuls certains aspects de la coopération policière propre à Schengen, comme le droit d'observation et de poursuite transfrontalière, échappaient aux initiatives des Quinze. Aussi, la proximité des préoccupations de deux instances dont la composition se recoupe, par ailleurs, très largement, n'aurait-elle pas manqué à terme de poser des problèmes de redondance même si, jusqu'à présent, les négociations poursuivies à Quinze marquaient le pas par rapport aux avancées enregistrées par les Etats Schengen.

b) Le maintien de garanties propres à Schengen.

Si l'intégration revêt la forme d'une coopération renforcée , elle n'en conserve pas moins plusieurs traits propres au dispositif Schengen.

- En premier lieu, comme le précise l'article 2 de la déclaration, l'application du dispositif Schengen n'est immédiate que pour les Etats signataires des accords de Schengen qui ont déjà rempli les conditions d'adhésion ; les autres ne prendront une part entière au dispositif que lorsqu'ils auront satisfait aux critères fixés par la convention.

- De même, le principe d'une ouverture automatique de la coopération renforcée à tout Etat-membre de l'Union européenne à condition qu'il respecte la décision initiale et les décisions prises dans ce cadre plus restreint, n'est pas de mise ici.

La participation d'un nouvel Etat est en effet subordonnée à un accord unanime du Conseil (composé pour la circonstance des Etats parties à la coopération renforcée et de l'Etat candidat).

Le Conseil pourra ainsi veiller au respect par l'Etat demandeur des conditions fixées par la convention d'application de l'accord de Schengen.

La Cour de justice exercera sur les dispositions et décisions constituant l'acquis de Schengen les compétences que lui confère le traité en fonction de la base juridique retenue. Elle ne pourra pas statuer, ici encore, sur les mesures relatives au maintien de l'ordre public.

En conséquence, le contrôle de la Cour de justice ne pourra pas s'appliquer à la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde prévue à l'article 2 de la convention d'application de l'accord de Schengen (possibilités de rétablir des contrôles aux frontières intérieures pour des raisons d'ordre public ou de sécurité nationale, après consultation des autres Etats signataires et pour une période limitée).

2. Les incertitudes

Plusieurs incertitudes pèsent encore sur l'application du dispositif Schengen.

a) La définition de la base juridique applicable

En premier lieu, le Conseil devra déterminer, à l'unanimité, la base juridique pour chacune des dispositions qui constituent l'acquis de Schengen (art. 2).

Il conviendra ainsi de faire le partage entre les décisions appelées à prendre leur place au sein du pilier communautaire (nouveau titre IV du TUE sur la libre circulation des personnes, l'asile et l'immigration) ou au sein du troisième pilier (titre VI du TUE). Dans l'attente de cette ventilation, l'ensemble des dispositions relève de la coopération intergouvernementale du titre VI.

Une déclaration (n° 44) à l'acte final précise que les travaux préparatoires seront entrepris en temps utile pour permettre au Conseil, dès la date d'entrée en vigueur du traité, d'adopter toutes les mesures relatives à la définition des bases juridiques pertinentes.

Un groupe de travail du Conseil a été créé pour examiner la ventilation de l'acquis de Schengen entre les différentes bases juridiques du premier et du troisième piliers. Les travaux progressent même si certaines difficultés subsistent en particulier sur le Système d'Information Schengen (SIS).

b) La multiplication des statuts particuliers

L'intégration de l'acquis Schengen soulève la question des relations entre l'Union européenne, d'une part, et la Norvège et l'Islande, d'autre part , devenues membres associés des accords de Schengen le 19 décembre 1996. Le protocole appelle en conséquence (art. 6) à la signature d'un accord destiné à fixer les obligations financières des deux Etats concernés ainsi que les conditions de leur participation aux instances de Schengen désormais fondues au sein des institutions européennes.

L'entrée en vigueur d'un tel accord et du traité d'Amsterdam devraient intervenir à une date rapprochée afin de faire concorder les engagements des Etats membres au sein des deux instances.

Enfin, les statuts particuliers réservés au Danemark, au Royaume-Uni et à l'Irlande constituent à coup sûr un point supplémentaire de complexité. Le premier pays participe à la totalité des activités conduites dans le cadre de l'acquis Schengen mais sur la seule base d'une coopération intergouvernementale. Comment, dès lors, s'organisera concrètement la participation du Danemark pour les mesures relevant du pilier communautaire ? Quant au Royaume-Uni et à l'Irlande, s'ils n'ont pas souscrit à l'acquis de Schengen, ils pourront participer à tout ou partie des dispositions de cet acquis. Cette "participation à la carte" -certes subordonnée à un accord unanime du Conseil (art. 4)- a été refusée aux Etats candidats appelés, comme c'était du reste souhaitable, à accepter l'intégralité de l'acquis Schengen (art. 8).

Malgré ces incertitudes, l'intégration de l'acquis Schengen constitue, selon votre rapporteur, une garantie très appréciable pour la mise en place d'un espace de libre circulation qui s'inscrira ainsi dans le cadre des normes et des principes éprouvés de Schengen.

B. UN TRANSFERT DE COMPÉTENCES PROGRESSIF ET LIMITÉ DES ETATS VERS LA COMMUNAUTÉ

La "communautarisation" prévue par le traité d'Amsterdam touche cinq grands domaines : la suppression du contrôle aux frontières intérieures de l'Union, en liaison avec des mesures d'accompagnement directement liées à cette libre circulation ; la mise en oeuvre de règles communes pour le franchissement des frontières extérieures , les questions relatives à l 'asile et l' immigration , la coopération judiciaire en matière civile .

La communautarisation procède d'une démarche progressive : l'adoption à l'unanimité dans un délai de cinq ans de mesures communes dans plusieurs domaines, la mise en oeuvre au-delà du délai de cinq ans d'une procédure de décision communautaire.

C'est précisément ce volet du traité d'Amsterdam -et les nouveaux transferts de compétence qu'il prévoit- qui, aux termes d'une décision du Conseil constitutionnel français, requiert une révision de notre constitution.

1. Une méthode progressive

a) Une période transitoire de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du traité

Le traité d'Amsterdam fixe aux Etats-membres un délai de cinq ans pour concrétiser la libre circulation des personnes et la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement nécessaires. Pendant cette période transitoire de cinq ans, il statue à l'unanimité sur proposition de la Commission ou à l'initiative d'un Etat membre après consultation du Parlement européen (art. 67 § 1).

Toutefois, la mise en place d'un dispositif commun ne touche pas au même degré l'ensemble des questions concernées par la libre circulation des personnes. En outre, un volet essentiel, la coopération judiciaire en matière civile, échappe quant à elle au délai de cinq ans.

Libre circulation des personnes et dispositif de contrôle aux frontières communes : le degré d'intégration le plus poussé

Dans un délai de cinq ans, le Conseil devra adopter quatre séries de mesures :

la suppression de tout contrôle aux frontières intérieures de l'Union pour les citoyens de l'Union mais aussi pour les ressortissants des Etats tiers (art. 62 § 1) ;

• des règles communes pour la mise en oeuvre du contrôle des personnes aux frontières extérieures (art. 62 § 2) ;

• la mise en place d'un dispositif commun relatif aux visas pour les séjours de moins de trois mois (procédures et conditions de délivrance des visas par les Etats-membres, modèle-type de visa, règles en matière de visa uniforme) ;

• la définition des conditions dans lesquelles les ressortissants des pays tiers pourront circuler librement sur le territoire des Etats-membres pendant une durée maximale de trois mois (art. 62 § 3).

L'asile, les réfugiés, l'immigration : un socle de règles communes minimales

La mise en place de règles communes dans les autres volets relatifs à la libre circulation des personnes porte sur des aspects plus limités :

• pour l'asile : les critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ainsi que les "normes minimales" relatives à l'accueil des demandeurs d'asile et aux conditions d'obtention du statut de réfugié (art. 63 § 1).

Un protocole consacré au droit d'asile pour les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne a été annexé au traité d'Amsterdam à la demande de l'Espagne. Il se fonde sur le constat suivant lequel les Etats de l'Union apparaissent comme des pays d'origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions liées à l'asile. Dès lors, un Etat membre se refusera à instruire une demande présentée par un ressortissant d'un autre Etat membre sauf si :

- l'Etat d'origine du demandeur d'asile a pris des mesures dérogeant aux obligations imposées par l'article 15 de la Convention européenne des droits de l'homme (situation de guerre ou cas de danger public menaçant la vie de la nation) ;

- la procédure de sanction prévue par le nouvel article 7 du traité sur l'Union européenne (violation grave et persistante des libertés fondamentales et principes démocratiques) a été enclenchée ou conduite à terme à l'encontre de l'Etat dont est originaire le demandeur d'asile ;

- un Etat membre en a décidé unilatéralement ainsi, auquel cas le Conseil est immédiatement informé (dans cette hypothèse, la demande d'asile devra être examinée sur la base de la présomption qu'elle est manifestement non fondée sans que le pouvoir de décision de l'Etat membre soit affecté d'aucune manière).

En outre, la Belgique a choisi pour sa part, comme le précise une déclaration (n° 5) au protocole, dont la Conférence a pris note, de procéder à un examen individuel de toute demande d'asile présentée par un ressortissant d'un autre Etat membre Cette déclaration revient en fait, pour la Belgique, à écarter pour son compte l'application du protocole.

Cependant, une déclaration de la Conférence (n° 48) rappelle que le protocole ne préjuge pas du droit de chaque Etat membre de prendre les mesures d'organisation nécessaires pour remplir une obligation au titre de la Convention de Genève de 1951 relative au droit d'asile.

• pour l'immigration : la mise en place de règles communes portera sur l'immigration clandestine (art. 63 § 3).

• pour les personnes déplacées : les règles communes s'appliqueront aux conditions d'octroi d'une protection temporaire (art. 63 § 2)

L'absence de délai

Les Etats sont affranchis du délai de cinq ans pour les mesures qui doivent être adoptées :

- pour assurer l'équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir les réfugiés (art. 63 § 2-b-)

- pour fixer les conditions d'entrée et de séjour des étrangers ainsi que les procédures de délivrance par les Etats membres de visas et de titres de séjour de longue durée (art. 63 § 3-a-)

- pour déterminer les droits des ressortissants des pays tiers en situation régulière , de séjourner dans les autres Etats membres (art. 63 § 4).

Dans le domaine de l'immigration , les Etats membres peuvent maintenir ou introduire des dispositions compatibles avec le traité.

La coopération judiciaire en matière civile

Dans ce domaine, le traité fixe principalement des objectifs (art. 65) :

- amélioration et simplification (signification transfrontalière des actes, coopération en matière d'obtention des preuves, reconnaissance et exécution des décisions)

- favoriser la compatibilité des règles nationales en matière de conflits de lois et de procédure civile.

*

* *

Aucune des mesures adoptées dans le cadre du nouveau titre ne doit porter atteinte à l'exercice des responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure (art. 64). En outre, comme le prévoit une déclaration (n° 18) annexe au traité d'Amsterdam, les Etats membres continueront à conclure des accords avec des pays tiers (notamment aux fins du regroupement familial). Inspiré par des préoccupations comparables, un protocole (n° 8) confirme la possibilité laissée aux Etats membres de continuer à conclure des accords internationaux définissant les modalités de contrôle lors du franchissement des frontières extérieures.

b) Le verrou d'une décision unanime du Conseil

Au terme du délai de cinq ans, le traité prévoit le passage à une procédure inspirée des règles appliquées aux politiques communes. Il fixe les conditions de cette évolutiion et pose également des exceptions.

Le principe

Au-delà de la période de cinq ans , le Conseil statue sur les seules propositions de la Commission . Les Etats membres perdent ainsi leur capacité d'initiative même si, par ailleurs, la Commission doit examiner toute demande de proposition d'un Etat sans obligation, cependant de la reprendre devant le Conseil (art. 67 § 2).

La France souhaitait que les Etats continuent de partager avec la Commission l'initiative dans ce domaine. Elle n'a pas été entendue sur ce point.

• Les autres éléments de la communautarisation (vote à la majorité qualifiée, codécision du Parlement européen) restent subordonnés à une décision du Conseil dont l'intervention apparaît doublement limitative :

- d'une part, le Conseil se prononce à l'unanimité après consultation du Parlement européen ;

- d'autre part, le Conseil peut moduler le champ d'application de la procédure à un double titre, en définissant les domaines auxquels s'appliquent la communautarisation et en adaptant les dispositions relatives aux compétences de la Cour de justice.

Les exceptions

Dans le domaine des visas , le traité fixe deux catégories d'exceptions relatives, d'une part, à la période de transition de cinq ans, et d'autre part, aux conditions de mise en place de la procédure communautaire complète.

- Le mode de décision à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, et après consultation du Parlement européen, s'applique dès l'entrée en vigueur du traité pour la mise en place d'une liste commune des pays tiers soumis à l'obligation de visa et pour la définition d'un modèle type de visa.

- Au terme du délai de cinq ans , la procédure de l'article 251(majorité qualifiée et codécision) s'applique automatiquement pour la mise en oeuvre des procédures de délivrance de visa ainsi que pour les règles en matière de visa uniforme.

2. Une communautarisation incomplète

a) Une compétence limitée pour la Cour de justice

Le contrôle juridictionnel sur les matières traitées dans le cadre du titre IV constitue à la fois une nécessité et un risque.

La question de la liberté de circulation intéresse directement les libertés publiques. La protection des droits fondamentaux appelle en conséquence l'intervention du juge communautaire. A cet égard, l'intégration de l'acquis Schengen dans le cadre de l'Union européenne satisfait certains des Etats signataires de la convention d'application de Schengen, soucieux de placer cette construction sous le contrôle d'une juridiction commune.

Cependant, l'abondance potentielle du contentieux, en particulier pour le droit d'asile, risquait de paralyser l'activité de la Cour. En outre, la place dévolue aux droits fondamentaux dans le traité pourrait conduire la Cour à développer son contrôle au risque, pour le présent titre, de déséquilibrer le compromis auquel les négociateurs sont parvenus. L'expérience a en effet souligné l'interprétation extensive à laquelle la Cour se livre parfois dans son interprétation.

C'est pourquoi, sans remettre en cause les conditions du contrôle de la Cour de justice sur le titre IV, le traité procède à plusieurs aménagements relatif à la compétence d'interprétation de la Cour.

S'agissant des recours préjudiciels (lorsqu'une juridiction nationale saisit la Cour pour interpréter ou apprécier la validité d'une disposition communautaire), l'intervention du juge communautaire est limitée aux demandes des juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours. En outre, la saisine de la Cour de justice reste une faculté alors qu'elle est une obligation dans le droit commun communautaire (art. 68 § 1).

Par ailleurs, le Conseil, la Commission ou un Etat membre, mais non le Parlement européen, peuvent demander à la Cour de justice d'interpréter un aspect du traité ou une mesure prise sur le fondement du titre IV. L'arrêt rendu dans cette circonstance n'est toutefois pas applicable aux décisions des juridictions nationales qui ont force de chose jugée (art. 68 § 3).

Si la compétence d'interprétation de la CJCE reçoit ici un nouveau point d'application, elle demeure, comme dans le cas précédent, soumise à une initiative qui échappe à sa maîtrise.

Enfin, la compétence de la Cour a été écartée pour les mesures relatives au maintien de l'ordre public et à la sauvegarde de la sécurité intérieure prises dans le cadre de la suppression des contrôles aux personnes (art. 68 § 2).

b) Une construction à "géométrie variable"

Le cas danois : le refus de la communautarisation

Si le Danemark n'est pas hostile à une coopération plus approfondie dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, comme le montre son adhésion aux accords de Schengen , il récuse en revanche toute forme de "communautarisation" dans ce domaine. Cette position ne surprendra personne. Les négociateurs danois se sont souvenus du désaveu exprimé par les électeurs de leur pays lors du premier référendum surle traité de Maastricht et revendiquent depuis lors un statut particulier pour plusieurs volets de la construction communautaire.

Le rejet du système communautaire pour les questions liées aux affaires intérieures a ainsi conduit à la mise au point d'un protocole particulier pour le Danemark annexé au traité d'Amsterdam.

Aux termes de ce protocole, le Danemark ne prend pas part aux décisions adoptées par le Conseil sur la base du titre IV. Il en résulte trois conséquences :

- institutionnelle, avec une adaptation des conditions de vote et des modalités de pondération des voix (art. 1er)

- juridique, dans la mesure où aucune disposition prise en application de ce titre ni aucune décision d'interprétation de la Cour de justice ne s'appliquent au Danemark (art. 2).

- financière, enfin, dans la mesure où le Danemark ne supporte pas le coût éventuel des mesures prises sur la base du nouveau titre.

Le dispositif souffre une exception : les mesures relatives au visa -déjà largement communautarisées en vertu de l'ancien article 100 c du traité de Maastricht- pour lesquelles le Danemark accepte les procédures posées par le titre IV.

La position du Danemark connaît en outre deux éléments d'assouplissement.

D'une part, le Danemark peut à tout moment faire savoir à ses partenaires qu'il ne se prévaudra plus de la totalité ou d'une partie du protocole. Il subordonnera cette initiative à ses exigences constitutionnelles, autrement dit à l'accord des électeurs. Le cas échéant, il appliquera alors toutes les mesures pertinentes prises par l'Union européenne en son absence (art. 7)

D'autre part, le Danemark peut décider de transposer dans un délai de 6 mois une décision adoptée par le Conseil pour développer l'acquis de Schengen sur la base du titre IV (art. 5).

La position du Royaume-Uni et de l'Irlande : le refus d'une approche commune pour la libre circulation des personnes

Les traits particuliers d'une position insulaire ont conduit le Royaume-Uni et, dans son sillage, l'Irlande à récuser le principe même d'une approche commune de la libre circulation des personnes.

Si ce refus répond à une inspiration plus radicale que celle qui a motivé la position danoise, le dispositif applicable à ces trois Etats apparaît largement commun.

Cependant, les éléments d'assouplissement se distinguent cependant du régime accordé au Danemark :

- Dans un délai de trois mois à compter de la présentation au Conseil d'une proposition, le Royaume-Uni ou l'Irlande peuvent notifier au président du Conseil leur souhait de participer à l'adoption de la mesure concernée. Dans ce cas, les deux pays seront pleinement liés par la règle adoptée. Toutefois, afin d'éviter tout risque d'obstruction, aucun des deux Etats ne peut faire obstacle à l'adoption d'une décision : dans un "délai raisonnable" la mesure peut en effet être adoptée sans la participation des deux Etats. Il restera à délimiter précisément la marge ouverte par ce "délai raisonnable"(art. 3) ;

- Après l'adoption d'une mesure, le Royaume-Uni ou l'Irlande peuvent notifier au Conseil ou à la Commission leur décision de l'appliquer selon la procédure fixée par les coopérations renforcées plus étroite fixée par l'article 11 du traité.

L'Irlande a joué de son influence pour introduire ces éléments de souplesse dans un dispositif auquel elle a adhéré en raison de sa zone de voyage commune avec le Royaume-Uni. L'article 8 du protocole prévoit d'ailleurs, explicitement la possibilité pour l'Irlande de ne plus relever du régime dérogatoire.

La flexibilité introduite par les protocoles a sans doute été la condition nécessaire pour permettre aux autres Etats membres d'approfondir leur coopération ; elle n'en contribue pas moins à compliquer à l'excès le dispositif du traité.

Un autre protocole (n° 3) habilite en outre le Royaume-Uni à maintenir des contrôles sur les personnes à ses frontières avec d'autres Etats membres. Il permet en outre au Royaume-Uni et à l'Irlande de conclure entre eux des arrangements relatifs à la circulation des personnes envers leurs territoires dans le cadre d'une "zone de voyage commune". En contrepartie, les autres Etats membres peuvent continuer à exercer des contrôles sur les personnes en provenance du Royaume-Uni et de l'Irlande.

II. LA RECHERCHE D'UNE PLUS GRANDE EFFICACITÉ DANS LE CADRE DES PROCÉDURES INTERGOUVERNEMENTALES POUR LA COOPÉRATION POLICIÈRE ET JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE

A. UN ÉLARGISSEMENT LIMITÉ DU CHAMP DE COOPÉRATION

Des objectifs inchangés

L'objectif du troisième pilier -la mise en place d'un "niveau élevé de protection"- n'a pas été modifié, même s'il fait une mention spécifique à la nécessaire prévention du racisme et de la xénophobie et à la lutte contre la traite d'êtres humains et les crimes contre les enfants (art. 29). La rédaction traduit la préoccupation des Quinze à l'égard d'actes criminels recouverts, dans le traité de Maastricht, sous la formule plus générale de "formes graves de la criminalité internationale"- auxquelles l'actualité récente a conféré, hélas, une singulière acuité.

Trois instruments ont été mis au service de cet objectif : la coopération entre les forces de l'ordre et les douanes des différents Etats membres, la coopération entre les autorités judiciaires et, enfin, le rapprochement "en tant que de besoin" des règles du droit pénal des Etats membres.

1. La coopération policière et le développement des activités d'Europol

Le traité de Maastricht avait déjà posé le principe d'une coopération policière. Sur ce point, les négociateurs ont seulement détaillé les domaines de cette coopération. Ils ont, en revanche, davantage innové pour les compétences d'Europol.

a) Des méthodes de coopération marquées par le choix de la technicité

Le traité d'Amsterdam permet de mieux ordonner et d'encadrer une coopération policière qui a connu de nombreux développements au cours des dernières années.

Sans doute le champ ouvert à la coopération policière demeure-t-il très large puisqu'il couvre la prévention et la détection des infractions pénales et l'ensemble des enquêtes dans ce domaine. Toutefois, il précise mieux les méthodes fondées sur trois instruments privilégiés (art. 30 § 1) :

- la collecte, l'échange et le traitement d'informations ;

- les échanges d'officiers de liaison et les initiatives conjointes pour l'utilisation des documents et la recherche en criminalistique ;

- l'évaluation en commun de techniques d'enquête particulières.

L'énoncé de ces méthodes n'est pas indifférent, il traduit la place prépondérante accordée au traitement et à l'analyse scientifique des données par des criminologues. La quête d'une plus grande technicité rencontre une faveur certaine dans certains pays, en Allemagne et aux Pays Bas notamment ; les pays latins tendent à privilégier, pour leur part, les contacts personnels et la lente infiltration des milieux.

• Enfin, les négociateurs ont ouvert la possibilité pour les autorités d'un Etat membre d'intervenir sur le territoire d'une autre partie avec leur accord et dans les conditions et les limites fixées par une décision du Conseil (art. 32). Le traité reprend ainsi une faculté déjà reconnue dans le cadre de la Convention d'application de Schengen de 1990 à travers le droit de suite (droit pour les agents des Etats parties de poursuivre leur observation sur le territoire d'un autre Etat partie) et le droit de poursuite (droit de continuer sur le territoire d'une autre Partie la poursuite des personnes prises en flagrant délit de commission d'infractions déterminées). Cette nouvelle disposition permet ainsi de rattacher à une base juridique les dispositions de la convention de Schengen. Par ailleurs, elle rend possible l'intervention d'équipes conjointes sur le territoire de plusieurs Etats membres.

b) Un rôle renforcé pour Europol

La coopération policière a pour instrument privilégié l'Office européen de police.le traité d'Amsterdam confirme cette orientation.

Il invite en effet le Conseil, dans un délai de cinq ans , à étendre les compétences de cet organisme à travers une triple série de mesures (art. 30 § 2) :

- la possibilité pour Europol d' appuyer la mise en oeuvre d'activités spécifiques d'enquêtes conduites par les autorités compétentes des Etats membres, y compris des actions opérationnelles d'équipes conjointes comprenant des représentants d'Europol ;

- la possibilité pour Europol de demander aux autorités compétentes des Etats membres de mener et de coordonner leurs enquêtes dans des affaires précises ;

- la capacité pour Europol de développer des compétences spécialisées au service des Etats membres pour les enquêtes conduites sur la criminalité organisée.

En outre, le Conseil doit favoriser le rapprochement entre magistrats et enquêteurs et permettre la mise en place d'un réseau de recherche, de documentation et de statistiques sur la criminalité transfrontalière.

L'élargissement des compétences d'Europol soulève deux incertitudes :

- Les procédures de ratification de l'accord fondateur d'Europol, signé le 26 juillet 1995, n'ont été conduites à leur terme par tous les pays signataires que très récemment. La Convention entrera en vigueur le ler octobre 1998 seulement. Seule l' Unité drogue Europol (UDE), créée par un accord ministériel du 2 juin 1993, fonctionne aujourd'hui avec des compétences, il est vrai très proches des attributions d'Europol. Dans ces conditions, n'est-il pas prématuré d'ajouter de nouvelles missions à un organisme qui n'a pas encore pu faire valoir tous ses mérites ?

- Cette question revêt d'autant plus d'acuité que l'élargissement des compétences d'Europol ne porte pas sur des aspects mineurs. Ne conduira-t-il pas en effet, à travers, d'une part, la présence de représentants d'Europol au sein d'équipes conjointes et, d'autre part, le pouvoir reconnu à cet organisme de demander aux Etats membres de conduire des enquêtes sur des sujets précis, à conférer à Europol une compétence opérationnelle ? Or, la convention avait précisément borné les attributions d'Europol à la collecte, l'analyse et l'échange d'informations.

Une interprétation rigoureuse des compétences d'Europol apparaît nécessaire . L'intervention d'Europol dans le cadre d'équipes conjointes doit se limiter à l'analyse d'informations sur les filières et la mise à disposition de données collectives par Europol.

En outre, les risques éventuels pour la souveraineté des Etats paraissent bornés par deux garde-fous :

- les "autorités compétentes" des Etats membres constituent un point de passage obligé pour la coopération policière : elles pourraient bloquer le cas échéant toute initiative jugée inopportune ;

- au delà, l'extension des attributions d'Europol reste subordonnée à une décision du Conseil appelé, en la matière, à se prononcer à l'unanimité. L'expérience montrera peut-être l'intérêt de développer le rôle d'Europol et de lui conférer de véritables compétences opérationnelles. Dans ce cas, une modification de la convention qui régit Europol s'avérera de toute façon nécessaire.

Enfin, une déclaration (n° 7) de la Conférence prévoit que les actions dans le domaine de la coopération plénière sont soumises à un contrôle juridictionnel approprié par les autorités nationales compétentes conformément aux règles applicables dans chaque Etat membre.

2. Aucune avancée notable pour la coopération judiciaire

a) Un champ d'action aux contours mieux précisés

Comme pour la coopération policière,le traité d'Amsterdam n'apporte pas de novation importante dans le domaine de la coopération judiciaire et se borne à détailler les volets privilégiés de cette coopération (art. 31) :

- procédure et exécution des décisions ;

- extradition entre Etats membres.

Toutefois comment espérer une coopération judiciaire efficace sans rapprochement des législations des Etats membres ? Le traité se contente dans ce domaine d'une approche minimaliste .

La coopération judiciaire dont le principe avait été posé parle traité de Maastricht, a marqué le pas au cours des dernières années. Elle rencontre deux obstacles principaux. En premier lieu, dans ce domaine, la plupart des décisions relèvent du législateur, voire dans certains pays du pouvoir constituant ; dès lors, les Etats ont dû recourir à l'instrument des conventions, prévu par le troisième pilier. Cependant, les ratifications requièrent une procédure souvent longue. Aussi bien, aucune convention -en matière d'extradition, de protection des intérêts financiers des Communautés ou de corruption- n'a pu entrer en vigueur.

Les impératifs institutionnels n'expliquent pas, seuls, cette situation ; le rapprochement des législations rencontre en effet un second obstacle, plus profond sans doute : les divisions des partenaires sur des sujets qui mettent en jeu des cultures et des conceptions de la société profondément différentes.

b) Un rapprochement des législations sous un angle minimaliste

Le traité envisage de façon très prudente un rapprochement des législations.

En effet, il vise à instaurer des règles minimales . En outre, ces dernières concernent un domaine délimité aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue .

Enfin, cette harmonisation, comme l'indique une déclaration (n° 8) jointe à l'accord, n'a pas pour effet d'obliger un Etat membre dont le système judiciaire ne prévoit pas de peine minimale de les adopter .

Cette déclaration ne traduit pas seulement les réticences des Quinze à s'engager sur le voies de l'harmonisation. Elle répond aussi à une préoccupation française d'ordre juridique : le nouveau code pénal français, entré en vigueur le 1er mars 1996, a supprimé la notion de minima dans la définition des peines ; le rapprochement des législations ne devrait donc pas avoir pour effet de réintroduire en France le principe des peines minimales.

La prudence des négociateurs s'explique surtout par les divergences des Etats membres sur des questions essentielles telles que la politique à conduire en matière de toxicomanie. Ce point constitue, on le sait, un sujet de désaccord profond entre la France et les Pays-Bas. Ce pays tolère la consommation de cannabis pour usage personnel dans les points de vente appelés "coffee-shops". Certes, les efforts pour rapprocher les points de vue n'ont pas été vains. Ainsi, une action commune sur le rapprochement des législations et des pratiques en matière de lutte contre la toxicomanie et le trafic illicite de drogue, proposée par la France, a été adoptée par le Conseil européen de Dublin. Elle prévoit plusieurs actions concrètes contre la toxicomanie. Rapprochement ne signifie pas toutefois harmonisation ; il est ainsi douteux que les Pays-Bas reviennent sur la dépénalisation du fait de la possession de drogues douces pour consommation personnelle.

Le rapprochement des législations ne risque-t-il pas de rester lettre morte ? L'expérience, certes, n'invite pas à l'optimisme. Cependant,le traité d'Amsterdam trace un nouveau cadre plus favorable à une dynamique de rapprochement. En effet, la mise en place d'un socle commun de règles en matière pénale participe de la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice dont les éléments relèvent du premier pilier. Dès lors, au moment où le Conseil sera appelé, après un délai de cinq ans, à se prononcer à l'unanimité sur le passage à la majorité qualifiée et à la codécision pour tout ou partie des domaines couverts par le titre IV du traité communautaire, le Conseil pourrait légitimement prendre en compte l'état de l'harmonisation en matière pénale. La France pourrait dès lors conditionner son accord à des progrès dans ce domaine.

B. UNE PLUS GRANDE IMPLICATION DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES

1. Un léger infléchissement de la logique intergouvernementale

Sile traité d'Amsterdam maintient le troisième pilier sous le régime de la coopération intergouvernementale caractérisée d'une part par le rôle prépondérant du Conseil et, d'autre part, par la règle de l'unanimité , il innove sur deux aspects : la place reconnue à la Commission et au Parlement européen et la recherche de procédures de décisions plus efficaces.

a) Un nouveau rôle pour le Parlement européen et la Commission

La Commission

• La Commission retrouve, pour la coopération policière et judiciaire en matière pénale, une capacité d'initiative que lui avait déniéle traité de Maastricht dans ces deux domaines (art. 34 § 2).

En outre, la Commission, il convient de le rappeler, est appelée à présenter un avis sur une demande de coopération renforcée (art. 40 § 2).

Le Parlement européen

Dans le dispositif précédent, la présidence devait simplement informer régulièrement le Parlement européen et le consulter sur les développements de la coopération prévue par le troisième pilier.

• Désormais, le Parlement doit être consulté par le Conseil avant l'adoption des décisions cadre, décisions et conventions dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Le Conseil détermine le délai imparti au Parlement européen pour rendre son avis mais ce délai, aux termes mêmes du traité, ne saurait être inférieur à trois mois (art. 39 § 1).

b) L'assouplissement du processus décisionnel

La France avait plaidé au moment de la Conférence intergouvernementale pour une extension du vote à la majorité qualifiée aux matières du troisième pilier pour définir les règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue. Une évolution aurait sans doute pu se dessiner si l'Allemagne n'avait, sous la pression des länder, refusé tout passage à la majorité qualifiée.

Faute de modifier les procédures de décision, les négociateurs ont cherché à donner une plus grande portée aux différentes expressions des initiatives européennes et aussi à favoriser l'application des accords internationaux dans les domaines du titre VI.

Une plus grande portée pour les décisions du Conseil

Au delà de la clarification de certains instruments (comme la position commune destinée à définir l'approche de l'Union sur une question déterminée), le traité confère une plus grande portée aux décisions qui continuent d'être prises par le Conseil à l'unanimité.

Il supprime l'"action commune" dont le caractère obligatoire prêtait à controverse et la remplace par deux types d'actes (art. 34 § 2) :

• une nouvelle catégorie d'actes, les décisions-cadre destinées à favoriser le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres, très proches des directives communautaires dans la mesure où elles fixent une obligation de résultat tout en laissant aux Etats le choix des moyens.

les décisions obligatoires utilisées pour les autres aspects de la coopération du titre VI (et ne pouvant donc avoir pour objet le rapprohcement des dispositions nationales). Elles sont sans effet direct dans les pays membres et leur mise en oeuvre repose sur des mesures adoptées par le Conseil à la majorité qualifiée .

Ces décisions auront principalement vocation à organiser des opérations coordonnées de police, douane et justice sur le territoire d'un ou de plusieurs Etats membres.

Les mesures d'application de ces décisions auront-elles un effet direct  ou impliqueront-elles le truchement de décisions de caractère national ? Le gouvernement français récuse la première interprétation : une mesure d'application ne saurait conférer à une décision l'effet direct qui lui a précisément été refusé par le traité.

La mise en place d'instruments plus rigoureux devrait contraindre les Etats à s'affranchir des facilités de la rhétorique pour progresser réellement dans la voie de la coopération. Il faut prendre garde cependant au risque d'une double dérive :

- d'une part, dans le passé, des actes au caractère obligatoire ont en fait servi de base à de simples déclarations ou recommandations ;

- d'autre part, la formule des décisions-cadres peut prêter à controverse ; la souplesse prêtée à cet instrument peut aussi se retourner en moyen de blocage à l'échelle nationale. L'hypothèse n'est d'ailleurs pas théorique ; ainsi, en Allemagne, le Bundesrat a souhaité, au moment du débat sur la ratification du traité d'Amsterdam, disposer d'un droit de veto sur les projets pris sur la base d'une décision-cadre. Cette demande a été repoussée par le gouvernement fédéral au motif qu'elle pouvait conduire à effacer la distinction posée par la loi fondamentale entre les intérêts éventuels des länder -pris en compte par le gouvernement avant l'adoption d'un projet européen et ceux qui ne le sont pas.

L'assouplissement des conditions d'application des conventions.

Dans le cadre d'une coopération intergouvernementale sur des domaines relevant, pour de nombreux pays, des compétences du législateur ou du constituant, l'instrument de la convention avait été naturellement privilégié.

Toutefois, compte tenu de l'unanimité requise pour leur adoption comme pour leur ratification, aucune convention, on le sait, n'est pour l'heure appliquée faute de ratification par tous les Etats membres.

Ainsi, le traité innove-t-il d'une double manière :

• le Conseil fixe un délai aux Etats membres pour engager les procédures de ratification ;

• surtout, les conventions entrent en vigueur dans les Etats membres qui les ont adoptées à compter de leur ratification par la moitié des Etats de l'Union européenne .

Le verrou de l'unanimité n'est levé que pour la ratification ; il continue de s'appliquer en revanche pour l'adoption des conventions au sein du Conseil.

En revanche, le principe de la majorité des deux tiers continue de s'appliquer aux mesures d'application de ces conventions.

Aux termes d'une déclaration (n° 9) de la Conférence à l'Acte final, les initiatives et actes pris dans le cadre du troisième pilier doivent être publiés au Journal officiel des Communautés européennes.

*

Les dépenses opérationnelles entraînées par la mise en oeuvre du titre VI sont désormais à la charge du budget des Communautés européennes, sauf si le Conseil, statuant à l'unanimité, en décide autrement. Quand une dépense n'est pas mise à la charge du budget des Communautés, elle incombe alors aux Etats membres selon la clé du PNB, à moins que le Conseil, à l'unanimité n'en décide autrement (art. 41).

2. Une compétence reconnue mais encadrée de la Cour de justice

L'intervention de la Cour de justice dans les domaines couverts par le troisième pilier paraît soumise à des préoccupations contradictoires . D'un côté, elle répond au souci d'apporter les garanties nécessaires aux droits individuels dans un domaine sensible par un contrôle juridictionnel et ainsi assurer le respect de leurs obligations par les Etats membres. De l'autre, elle se heurte au souci des Etats de se prémunir d'un contrôle -par ailleurs entendu souvent de façon extensive- sur des sujets qui intéressent si étroitement les souverainetés nationales.

Ces préventions avaient dominé au moment de la signature du traité de Maastricht et la reconnaissance de la compétence de la Cour de justice avait été étroitement circonscrite à l'interprétation des conventions dans le cadre du troisième pilier, dans la mesure, du moins, où celles-ci prévoyaient un tel contrôle. Même dans de telles limites, la compétence de la Cour avait constitué un point de divergence majeur entre les parties en présence en raison notamment de l'opposition forte du Royaume-Uni à quelque rôle que ce soit de la Cour dans les matières du troisième pilier. Ainsi l'adoption de la convention Europol s'était heurtée longtemps à l'hostilité de Londres avant que la question de la compétence de la Cour de justice pour l'interprétation de la convention Europol ne finisse par trouver une solution de compromis dans le cadre d'un protocole séparé.

Cette solution de compromis a d'ailleurs inspiré directement le dispositif du traité d'Amsterdam : une reconnaissance d'une compétence de principe de la Cour de justice assortie de nombreuses exceptions.

a) Le recours à titre préjudiciel sur les mesures prises dans le cadre du troisième pilier : une faculté ouverte aux Etats membres

Le dispositif retient trois principes (art. 35 § 3).

• En premier lieu, la reconnaissance de la compétence de la Cour de justice pour statuer sur la validité ou l'interprétation des actes liés au troisième pilier demeure une simple faculté ouverte à tous les Etats membres au moment de la signature du traité d'Amsterdam et après cette date.

• En second lieu, la reconnaissance de cette compétence laisse le choix entre deux options : la possibilité de saisir la Cour de justice est ouverte à toutes les juridictions de chaque Etat-membre ou réservée aux seules juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne.

• Enfin, tout Etat-membre a le droit, qu'il ait ou non fait une déclaration reconnaissant la compétence de la Cour de justice, de déposer devant cette instance un mémoire ou des observations écrites dans les affaires sur lesquelles elle doit se prononcer dans le cadre d'un recours à titre préjudiciel.

La France, notamment, a choisi la formule selon laquelle seules les juridictions suprêmes peuvent saisir la Cour de justice d'un recours à titre préjudiciel.

Pour notre gouvernement, cette position, conforme du reste à celle adoptée à l'égard de la convention Europol, permet de limiter le nombre de questions préjudicielles soumises à la Cour de justice aux seuls problèmes de principe. Dans cette perspective, il a paru préférable de laisser aux plus hautes juridictions françaises le soin de sélectionner les questions dont la complexité appelle la saisine de la CJCE.

L'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Grèce et le Luxembourg ont, pour leur part, non seulement choisi la deuxième option, mais indiqué également qu'ils se réservaient le droit de prévoir dans leur droit interne que les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours n'ont pas la faculté mais l' obligation de saisir la Cour de justice.

D'autres pays, comme les Pays-Bas, s'ils reconnaissent la compétence de la Cour de justice, n'ont pas encore opté pour l'une ou l'autre des formules proposées par le traité.

b) Les spécificités des conditions d'intervention de la Cour de justice par rapport aux principes du droit commun

La Cour de justice exerce par ailleurs sur le troisième pilier les compétences qui lui ont été reconnues pour l'ensemble des traités. Mais ce principe de base souffre de nombreuses exceptions.

• En premier lieu, la Cour assure le contrôle de la légalité des décisions-cadre et des décisions lorsqu'elle est saisie d'un recours en annulation formé par les Etats-membres ou la Commission dans un délai de deux mois à compter de la publication de l'acte. En revanche les recours formés par une personne physique ou morale (art. 35 § 5) prévus par le traité communautaire (art. 230) ne sont pas recevables.

• La compétence de la Cour pour statuer sur tout différend entre Etats-membres ne s'exerce qu'en l'absence d'une solution de compromis qu'il incombe d'abord au conseil de promouvoir dans un délai de six mois à compter de la saisine par l'un des Etats membres. Dans le droit commun, la compétence de la Cour se fonde sur un simple accord entre Etats membres.

• Par ailleurs, la compétence de la Cour pour régler les différends entre Etats membre et Commission porte sur la seule interprétation et application des conventions et non sur les autres instruments.

Ensuite, la Cour de justice n'a pas le pouvoir de constater le manquement d'un Etat à ses obligations à la demande de la Commission comme cette faculté lui est donnée dans le traité communautaire (art. 226).

Enfin, la Cour de justice n'a pas de compétence pour contrôler les opérations menées par la police ou d'autres services répressifs d'un Etat membre ou se prononcer sur l'exercice des responsabilités assurées par les Etats pour le maintien de l'ordre public (art. 35 § 5). Une déclaration (n° 7) jointe au traité le confirme, les Etats placent les actions de coopération policière sous le contrôle juridictionnel prévu par leurs règles nationales.

*

* *

Malgré le maintien de la passerelle instaurée parle traité de Maastricht permettant au Conseil, à l'unanimité, de placer sous le régime communautaire les actions relevant de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (art. 42), aucun Etat n'envisage vraiment aujourd'hui de sortir pour ces matières du cadre intergouvernemental. L'extension du vote à la majorité qualifiée pourrait cependant favoriser des progrès certains au moment où le développement d'une criminalité internationale rend plus que jamais nécessaire un effort mieux coordonné. Aujourd'hui, seul l'instrument des coopérations renforcées, malgré ses limites, ouvre la possibilité d'évolutions plus rapides à l'image des avancées accomplies dans le cadre de Schengen.

QUATRIÈME PARTIE -
LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET DE SÉCURITÉ :
UN DISPOSITIF PLUS ADAPTÉ MAIS UNE VOLONTÉ POLITIQUE INCERTAINE

La multiplication des crises en Europe dans le contexte plus instable lié à la dislocation de l'Empire soviétique, les divisions des Européens qui ont laissé aux Américains le rôle de médiateur dans les conflits survenus sur le Vieux continent : autant d'arguments qui ont souligné l'intérêt pour l'Union européenne d'agir de façon plus concertée pour peser davantage sur des questions qui intéressent sa sécurité.

Certes, le principe même d'une politique étrangère commune pourrait aboutir à des résultats opposés aux effets recherchés s'il conduisait les diplomaties nationales à s'aligner sur le plus petit dénominateur commun.

On ne saurait dire d'ailleurs que l'Europe ait conjuré ce risque depuis la signature du traité de Maastricht et la mise en place, dans le cadre du deuxième pilier, d'une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) -le manque d'initiative ou, autre aveu d'impuissance, les excès d'une diplomatie déclaratoire, en témoignent.

Faut-il dès lors se résigner aux méthodes traditionnelles de la diplomatie nationale au risque de n'exercer qu'une influence réduite ? N'y aurait-il d'autre choix qu'entre l'impuissance à plusieurs ou l'isolement ?

Comment sortir de ce dilemme ?

Pour votre rapporteur, deux principes permettent de garantir l'efficacité d'une action diplomatique.

En premier lieu, il s'agit de conduire une politique étrangère et de sécurité commune et non pas unique . En d'autres termes, les Etats membres doivent agir ensemble lorsqu'ils ont des intérêts communs et que leur action conjuguée peut présenter un réel impact. Tel est le cas quand les moyens financiers mis en oeuvre par la Communauté ou les accords commerciaux qu'elle négocie offrent aux Quinze une véritable capacité d'influence politique. Les relations avec Israël, l'aide accordée aux pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP)... constituent à cet égard autant de champs d'intervention possibles et mal utilisés. En revanche, l'Union doit-elle intervenir partout et en toute occasion sous le seul prétexte d'afficher une présence ? On peut en douter. Il y va en effet de la crédibilité de l'Union européenne.

En second lieu, dans les domaines où se dégagent un intérêt commun à agir, l'Union doit faire le choix d'une procédure de décision efficace .

De ce point de vue, la mise en oeuvre du " deuxième pilier " a déçu. Comme votre rapporteur a essayé de le montrer dans un précédent rapport, le dispositif institutionnel, au terme de quatre années d'application 11( * ) , n'avait pas permis, malgré quelques initiatives, l'émergence, d'une véritable politique étrangère commune.

Les articles J 4§6 et J 10 (supprimés par le traité d'Amsterdam) avaient toutefois prévu eux-mêmes le principe d'une révision de ce dispositif, en particulier dans le domaine de la défense, " sur la base d'un rapport que le Conseil soumettra en 1996 au Conseil européen, et qui comprend une évaluation des progrès réalisés et de l'expérience acquise jusque là " (art. J 4-6) tandis que " lors d'une révision éventuelle des dispositions relatives à la sécurité (...) la conférence qui est convoquée à cet effet examine également si d'autres amendements doivent être apportés aux dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune "(J 10).

Si le traité d'Amsterdam n'a pas fixé de nouvelles ambitions à la politique étrangère et de sécurité commune, il a toutefois apporté des améliorations importantes au processus de décision dont certaines correspondent précisément aux aménagements souhaités par votre rapporteur.

Cependant, il faut le répéter, un dispositif institutionnel aussi adapté soit-il, ne saurait se substituer à une volonté politique, seul véritable ressort d'une politique étrangère et de sécurité commune.

I. DES AMBITIONS ENCORE MODESTES POUR LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ COMMUNE

Les principaux objectifs de la PESC avaient été définis de façon très générale par le traité de Maastricht (sauvegarde des valeurs communes et de l'indépendance de l'Union, renforcement de la sécurité, maintien de la paix, promotion de la coopération internationale, développement de la démocratie). Le champ ainsi défini paraissait suffisamment large pour recouvrir les développements futurs de la PESC. Il n'appelait donc pas de modification particulière. De façon inédite, cependant, le traité fait mention de l' intégrité de l'Union (art. 11). Dans le même esprit, le traité d'Amsterdam précise que la référence à la Charte de Paris 12( * ) vise également les objectifs cités par ce texte dans le domaine des frontières extérieures. Ces éléments ont été ajoutés au traité à la demande de la Grèce pour des raisons liées sans doute aux relations conflictuelles que ce pays entretient avec la Turquie. Ils n'ont pas de portée pratique. Cependant le principe d'intégrité dont la garantie n'a pas encore trouvé droit de cité dans le dispositif relatif à la sécurité européenne obtient ainsi, même de façon marginale, une forme de reconnaissance qui n'est pas tout à fait indifférente.

Si les principaux espoirs dans le domaine de la PESC portaient sur une ambition renouvelée pour le volet de la sécurité, ils ont été déçus, même si quelques infléchissements positifs méritent d'être relevés.

A. LA PERSPECTIVE ENCORE LOINTAINE D'UNE DÉFENSE EUROPÉENNE

1. Un contexte plus favorable

a) La prudence du traité de Maastricht

Le traité de Maastricht prévoyait la définition " à terme " d'une politique de défense commune pouvant conduire " le moment venu " à une défense commune.

Que la perspective d'une " défense commune " figure dans le traité pouvait sans doute déjà apparaître pour certains comme un progrès notable. Cependant cette perspective demeurait une simple possibilité et aucun calendrier ni aucune procédure particulière n'était fixé.

b) Des évolutions positives

Toutefois, le principe même d'une défense européenne a connu certains progrès au cours des années récentes.

Quatre éléments en témoignent.

En premier lieu, la réforme de l'OTAN , liée à la nouvelle configuration stratégique européenne, est apparue également comme une occasion de mieux reconnaître le rôle des acteurs européens en matière de défense. Ainsi, le Conseil de l'Atlantique Nord, réuni à Berlin le 3 juin 1996, s'est attaché à concrétiser la reconnaissance d'une identité européenne de sécurité et de défense à travers le concept des Groupements de forces interarmées multinationales (GFIM). Ces forces doivent permettre à une coalition d'Etats européens d'engager seuls une opération de gestion de crise tout en bénéficiant des moyens de l'OTAN notamment dans les domaines de la logistique et des communications.

En second lieu, l'Union de l'Europe occidentale (UEO) a cherché, parallèlement, à l'occasion de la réunion du Conseil de l'UEO à Petersberg le 19 juin 1992, à développer ses missions aux opérations humanitaires, de maintien de la paix et de gestion de crise -dites "missions de Petersberg". A cette fin, elle a également cherché à développer ses capacités opérationnelles à travers la création de nouvelles structures (une cellule de planification, un centre satellitaire chargé d'interpréter les données provenant des satellites d'observation ou de renseignements, un centre de situation responsable de la surveillance des zones de crise) et enfin, la mise à disposition par les Etats membres de " forces relevant de l'UEO ", parmi lesquelles plusieurs forces multinationales telles que le Corps européen (Eurocorps), la force opérationnelle rapide (Eurofor) ou encore la force maritime européenne (Euromarfor).

Par ailleurs, les positions des Etats européens ont mieux pris en compte la dimension européenne de la sécurité. Attachée à la construction européenne mais consciente des réticences de nos partenaires à s'affranchir du cadre de l'OTAN, la France s'est rapprochée de certaines structures de l'OTAN (le Conseil atlantique au niveau des ministres de la défense et le Comité militaire), afin d'agir au sein même de l'Alliance en faveur des intérêts européens. Par ailleurs, l'Allemagne de son côté, a choisi de surmonter ses réserves traditionnelles pour participer à des opérations de gestion de crise hors de ses frontières. Elle a ainsi témoigné d'une disponibilité nouvelle pour des engagements proprement européens.

Enfin, la concurrence aiguisée avec une industrie de défense américaine entièrement restructurée a encouragé les Européens à renforcer leur coopération en matière d'armement à travers certains développements institutionnels comme le groupe armement de l'Europe occidentale (GAEO), créé en décembre 1992, ou les regroupements de certains industriels.

2. Aucune avancée réelle

Malgré ce contexte favorable, le traité d'Amsterdam n'enregistre aucune avancée notable dans le domaine de la défense. Le statu quo l'a, en définitive, emporté sur deux points essentiels : la mise en place d'une défense commune et l'intégration de l'UEO au sein de l'Union européenne.

a) La mise en place d'une défense commune demeure hypothétique

Par rapport à la formulation du traité de Maastricht, il convient de noter deux infléchissements seulement :


• la PESC implique la définition " progressive " et non plus " à terme " d'une politique de défense commune (art. 17 § 1) -les négociateurs ont ainsi voulu affirmer l'ouverture d'un processus et d'une dynamique de rapprochement ;


• la dernière étape, la mise en place d'une défense commune, demeure encore de l'ordre de l'hypothèse comme en témoigne le maintien du conditionnel (la définition d'une politique de défense commune " pourrait " conduire à une défense commune ). Cependant tandis que le traité de Maastricht repoussait cet objectif à un horizon indéterminé (le " moment venu "), le présent traité a le mérite de préciser la procédure nécessaire à la concrétisation d'une défense commune en la subordonnant à une double décision du Conseil et des Etats membres appelés à se prononcer selon leurs exigences constitutionnelles respectives.

Ces modifications relèvent sans doute principalement de la rhétorique, mais elles peuvent constituer une assise utile pour des progrès à venir dans ce domaine quand, comme il faut l'espérer, les esprits auront mûri en faveur d'une défense européenne.

b) L'intégration de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) à l'Union européenne demeure " éventuelle "

Soumise aux mêmes conditions que la mise en oeuvre d'une défense commune, l'intégration de l'UEO à l'Union européenne requiert une décision unanime du Conseil puis l'accord de chaque Etat membre (art. 17§1). Aucun calendrier n'a été fixé.

Pour notre pays, l'UEO a vocation à devenir l'instrument de l'identité européenne de sécurité et de défense dans une Alliance atlantique rénovée et l'instrument militaire de l'Union européenne. La France avait plaidé pour une intégration de l'UEO dans l'Union européenne en plusieurs étapes, la première débutant à l'entrée en vigueur du nouveau traité et le passage aux suivantes relevant d'une décision du Conseil européen. Elle s'était ralliée à cinq autres pays 13( * ) pour proposer l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne en trois phases, à condition que la garantie de défense collective instituée par l'UEO devienne facultative.

Toutefois, même réduite à une ambition plus modeste, cette proposition n'a pu aboutir.

Comment en aurait-il été autrement tandis que la mise en place d'une défense européenne sous la forme d'une UEO dotée de véritables capacités opérationnelles se heurte à un faisceau d'oppositions : d'une part, les préventions du Danemark et, surtout, de l'une des principales puissances militaires européennes, le Royaume-Uni, à la prise en charge par l'Union européenne de responsabilités que ces pays jugent mieux assurées par l'OTAN ; d'autre part, les réticences des Etats neutres dont il importe de rappeler qu'ils représentaient le tiers des pays participant à la CIG.

B. DES INFLÉCHISSEMENTS LIMITÉS MAIS POSITIFS

1. Un élargissement des objectifs de la coopération en matière de défense

Le traité d'Amsterdam s'efforce de donner un contenu plus précis à la coopération en matière de défense : il intègre en effet les missions dites de Petersberg et la coopération dans le domaine de l'armement.

a) La prise en compte des missions de Petersberg

L'Union européenne élargit ses responsabilités aux missions définies par l'UEO dans sa déclaration de Petersberg du 19 juin 1992 (art. 17§2) :

- les missions humanitaires et d'évacuation,

- les missions de maintien de la paix,

- les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix.

Tous les Etats membres de l'Union européenne désireux d'apporter une contribution aux missions menées par l'UEO dans ce domaine, à la demande de l'Union européenne, pourront " participer pleinement et sur un pied d'égalité " à la planification et à la prise de décision au sein de l'UEO.

Depuis le Conseil des ministres de l'UEO d'Erfurt de novembre 1997, les Etats observateurs à l'UEO (Finlande, Suède, Autriche, Irlande, Danemark) qui sont membres de l'Union européenne peuvent participer, sur un pied d'égalité, avec les membres pleins, aux opérations de l'UEO conduites à la demande de l'Union européenne.

Ainsi, les Etats observateurs participeront désormais de droit aux réunions du Conseil de l'UEO et aux groupes de travail et comités relatifs à la mise en oeuvre des missions de Petersberg. En outre, l'Etat observateur qui a informé le Conseil de son intention de contribuer à une opération en y engageant des forces, a désormais le droit de participer, avec les mêmes droits et les mêmes obligations que les membres de plein droit, à la planification et à la prise de décision , au sein de l'UEO, concernant l'opération en question.

Si l'accord des Etats neutres de participer à ce type d'opérations représente à coup sûr un changement significatif et très positif, il n'en revêt pas moins un caractère paradoxal. En effet, comme le notait judicieusement M. Maurice Ligot dans un remarquable rapport de la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale 14( * ) , les Etats neutres " accepteraient d'intervenir même militairement pour aider des peuples en difficulté au nom de la solidarité humaine mais refuseraient d'intervenir militairement pour aider des pays européens agressés avec lesquels ils sont en train de construire une communauté de destin, notamment au plan économique et militaire ". Du moins, cette contradiction de principe conduira-t-elle peut-être à terme à une évolution progressive des positions des Etats neutres vis-à-vis du principe d'une garantie de défense collective.

b) Une coopération dans le domaine de l'armement

La définition progressive d'une défense commune peut s'appuyer sur une coopération en matière d'armements dans la mesure où les " Etats membres le jugent approprié " (art. 17§1).

En vérité, le traité d'Amsterdam innove moins qu'il ne consacre, sous les auspices de l'Union européenne, plusieurs initiatives entreprises dans d'autres cadres : l'organisation de l'armement de l'Europe occidentale ou encore, l'organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAR), créé le 12 novembre 1996 par l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni sur une proposition franco-allemande.

2. Un rapprochement entre l'UEO et l'Union européenne

A défaut de procéder à une intégration de l'UEO au sein de l'Union européenne, le traité d'Amsterdam pose les bases d'un rapprochement entre les deux institutions, même s'il ne règle pas toutes les difficultés liées à ce processus.

a) Les bases d'un rapprochement

L'UEO assume une double vocation à l'égard de l'Union européenne : d'une part, elle doit donner une capacité opérationnelle à l'Union et lui servir ainsi de bras armé, d'autre part, elle joue le rôle de conseil pour le volet défense de la PESC (art. 17§1).

En conséquence, le Conseil européen a autorité sur l'UEO pour toutes les questions pour lesquelles l'Union a recours à cette institution (art. 17§3).

La déclaration de l'UEO, reprise dans l'une des déclarations jointes au traité d'Amsterdam, précise les modalités de ce rapprochement. Elle prévoit en effet des arrangements entre les deux institutions afin d'améliorer la coordination du processus de prise de décision dans des situations de crise, l'harmonisation de la succession des présidences de l'UEO et de l'Union européenne, une coordination étroite entre les secrétariats des deux institutions avec des détachements croisés des personnels, la mise en oeuvre d'une coopération avec la Commission européenne etc.

b) Les difficultés à surmonter

Trois interrogations demeurent :

- L'UEO pourra-t-elle, comme le prévoient des accords entre les deux organisations de défense, disposer des moyens (logistique, communication) de l'OTAN, alors même qu'elle agit à l'initiative de l'Union européenne dans le cadre d'opérations auxquelles ont été associés des Etats membres de l'Union européenne n'appartenant pas à l'Alliance Atlantique ? Un accord supplémentaire pourrait à cet égard se révéler nécessaire ;

- L'UEO conservera-t-elle une autonomie de décision dans les situations de crise ?

- Les Etats membres de l'Union -y compris les simples observateurs à l'UEO- pourront-ils s'accorder pour participer au renforcement des capacités opérationnelles de l'UEO indispensable si l'on souhaite vraiment que cette institution remplisse les missions qui lui sont assignées ?

Malgré ces quelques avancées, le bilan de la PESC dans le domaine de la sécurité apparaît très modeste. Il manquera encore à la politique de défense la dimension essentielle que seule pourrait procurer une clause de solidarité en cas d'agression. La plupart des Etats ont refusé au moment de la CIG l'élargissement de la clause d'assistance de l'UEO à l'ensemble des pays de l'Union européenne. Faut-il réfléchir sur un assouplissement de cette clause -beaucoup plus stricte en effet que celle prévue par l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord ?

Faut-il ouvrir d'autres voies à la réflexion ? Quoi qu'il en soit, le dispositif actuel du traité d'Amsterdam peut difficilement servir de support à l'affirmation d'une identité européenne de défense.

Les dispositions en matière de sécurité pourront toutefois être révisées à l'initiative d'un Etat membre et sur avis favorable du Conseil, après consultation du Parlement européen, par la réunion d'une conférence des représentants des gouvernements des Etats membres (art. 17§5). En revanche, les Quinze n'ont pu s'accorder sur une "clause de rendez-vous" identique à celle prévue par le traité de Maastricht -fixant à une date déterminée la révision du volet du traité consacré à la sécurité.

II. UNE RÉPONSE PARTIELLE AUX DYSFONCTIONNEMENTS LES PLUS NOTABLES DE LA PESC

En l'absence d'une volonté politique commune affirmée pour donner une nouvelle ambition à la PESC, les négociateurs se sont entendus sur les moyens d'améliorer le processus de décision dans ce domaine. Les aménagements marqués au sceau du pragmatisme, répondent en partie aux dysfonctionnements les plus sensibles apparus au cours des cinq années de mise en oeuvre du " deuxième pilier ", même s'ils n'apportent pas toujours des réponses satisfaisantes à des questions importantes telles que les conditions de financement de la PESC.

A. LA MISE EN PLACE D'INSTRUMENTS PLUS ADAPTÉS

1. Une capacité d'initiative renforcée

a) L'Unité de planification de la politique et d'alerte rapide : le creuset d'initiatives communes ?


• Les négociateurs se sont entendus lors de la Conférence intergouvernementale pour mettre en place une Unité de planification et d'alerte rapide.

Si la création d'une Unité de planification et d'alerte rapide ne figure pas dans le nouveau traité lui-même mais dans une simple déclaration des Quinze, elle peut constituer un maillon essentiel de la PESC.

Votre rapporteur avait déjà souligné l'intérêt, en matière de politique étrangère, d'accorder les points de vue le plus tôt possible dans le processus de décision. Or, le dispositif institué par le second pilier ne s'écartait pas du schéma classique de la négociation internationale : les représentants des Etats membres venaient à Bruxelles pour défendre des points de vue arrêtés par chacun des gouvernements. Dès lors, la discussion d'une position commune obéissait à une double contrainte : les délais -nécessairement longs- pour rapprocher des positions parfois très éloignées et le risque de l'alignement sur le plus petit dénominateur commun imposé par la logique du compromis. A cet égard, l'impuissance de l'Union européenne observée dans l'ancienne Yougoslavie devait servir de leçon ; la concertation au sein des instances de l'Union est arrivée trop tard après que chaque gouvernement eut élaboré, dans le secret des cabinets ministériels, des positions difficilement conciliables.

Par ailleurs, la PESC a beaucoup souffert d'un manque d'initiative ; les Quinze ont plus souvent réagi aux événements qu'ils n'ont su vraiment les anticiper. Ils se sont condamnés ainsi à une diplomatie essentiellement déclaratoire.

La création d'une unité de planification doit tout à la fois restaurer la capacité d'initiative de l'Union tout en favorisant une convergence de vues au premier stade du processus de décision.

En effet l'Unité se voit confier trois fonctions principales :

- une évaluation des intérêts communs de l'Union et des domaines auxquels la PESC pourrait s'attacher de façon prioritaire ;

- une évaluation des situations de crise et la mise en alerte des autorités de l'Union en cas de nécessité ;

- la présentation d' options argumentées sous la responsabilité de la présidence au Conseil.

L'Unité réunira des représentants du secrétariat général du Conseil, des Etats membres, de la Commission et de l'UEO. En outre, les Etats membres et la Commission pourront lui fournir " dans la mesure la plus large possible, des informations pertinentes, y compris des informations confidentielles ".

Ainsi, par ses fonctions d'analyse et de prévision, l'unité doit pouvoir donner à l'Union une véritable capacité d'initiative. En second lieu, par sa composition, elle peut favoriser une approche commune parmi les Etats-membres.

b) Les conditions de mise en oeuvre : un enjeu essentiel pour la réussite de cette structure.

A ces deux titres, l'Unité est appelée à jouer un rôle décisif dans la PESC. Les Etats accepteront-ils de jouer le jeu de ce puissant ferment d'unification ? Tout dépendra des moyens humains dont sera dotée l'Unité, et de l'intérêt des informations dont elle pourra disposer. La réflexion en cours sur la mise en oeuvre de l'Unité porte sur trois points principaux :

- les effectifs de l'unité ; le Conseil a finalement accepté de prévoir des crédits pour 1999 en vue du recrutement de 20 agents de haut niveau -ces vingt postes seraient répartis entre 3 agents permanents et 17 agents temporaires (la Commission, l'UEO et les Etats membres 15( * ) bénéficiant chacun d'un représentant) ;

- la place de l'unité au sein des structures existantes de l'Union européenne ; le débat n'est pas encore tranché entre les tenants d'une intégration de cette cellule au sein de la direction générale " relations extérieures " du Conseil et les partisans (comme la France) d'une " autonomie fonctionnelle " par rapport au dispositif existant de la PESC ;

- plusieurs initiatives complémentaires comme la mise à disposition de membres du personnel des ministères des affaires étrangères des Etats membres et de la Commission (par le biais de détachement ou de contrat à court terme), pour faire face à des situations de crise ou traiter des questions spécifiques.

2. Un processus de décision plus efficace

a) L'assouplissement des conditions de vote

L'efficacité du processus de décision reposait sur un assouplissement des règles à travers l'extension des modalités de vote à la majorité qualifiée et la reconnaissance du principe de l'abstention constructive. Une telle évolution supposait cependant une hiérarchisation des instruments d'intervention de l'Union. Or, l'utilisation des instruments de la PESC -actions et positions communes- souffrait jusqu'à présent d'une grande confusion. Une clarification, s'avérait indispensable pour réserver l'unanimité aux décisions les plus importantes.

Une clarification des instruments d'intervention

La clarification des moyens d'action de la PESC se traduit par la création d'un nouvel instrument, les stratégies communes. Le traité peut dès lors fixer une hiérarchie claire entre ces trois moyens d'action : stratégies communes, actions communes et positions communes.


• Les stratégies communes
(art. 13§2) définissent la politique à conduire dans des domaines où les Etats membres ont des "intérêts communs importants". En bonne logique, il revient au Conseil européen, chargé de définir les principes et les orientations générales de la PESC (art. 13§1) de décider des stratégies communes sur la recommandation du Conseil -en l'occurrence, le Conseil "affaires générales" formé par la réunion des ministres des affaires étrangères des Quinze. Ce nouvel instrument vise clairement à restaurer la crédibilité des interventions de l'Union sur la scène internationale. En effet, la référence aux "intérêts communs importants" , apparaît comme un moyen de conjurer la tentation de la dispersion à laquelle l'Union a trop souvent cédé. En outre, le Conseil européen doit préciser les objectifs, la durée et les moyens mis à disposition des stratégies . Il s'agit de surmonter une autre dérive de la PESC, ce goût pour une diplomatie déclaratoire dont l'impact demeure très faible.

• Par ailleurs, le traité d'Amsterdam définit mieux le champ d'application des deux instruments précédemment établis par le traité de Maastricht. Les actions communes et les positions communes permettent notamment au Conseil de mettre en oeuvre des stratégies communes. Les premières concernent " certaines situations où une action opérationnelle de l'Union est jugée nécessaire " (art. 14§1) ; les secondes " définissent la position de l'Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique " (art. 15). Cette clarification devrait mettre un terme à la confusion dont les années d'application de la PESC portaient témoignage. Ainsi les actions n'étaient mises en oeuvre que pour entreprendre de simples mesures administratives. Dès lors, cet instrument, pourtant investi en théorie de la charge politique la plus forte, a subi une singulière perte de substance. La remise en ordre apportée par le traité d'Amsterdam ne doit pas seulement donner la satisfaction que procure le bel ordonnancement d'un jardin à la française, elle peut être l'instrument d'une cohérence retrouvée de la PESC.

L'extension du vote à la majorité qualifiée

La clarification des moyens d'actions de la PESC et leur meilleure hiérarchisation a permis aux négociateurs de développer le recours au vote à la majorité qualifiée même si l'utilisation en demeure très encadrée.


• La majorité qualifiée s'applique pour l'adoption des actions communes et des positions communes prises sur la base d'une stratégie commune, ainsi que pour toute décision destinée à mettre en oeuvre une action commune ou une position commune.

La hiérarchisation des instruments permet ainsi de systématiser la règle selon laquelle les principes continuent d'être adoptés à l'unanimité tandis que les conditions de mise en oeuvre relèvent d'une décision à la majorité qualifiée. Ainsi, la mise en place d'un nouvel instrument, les stratégies communes adoptées par le Conseil européen, autorisent l'utilisation de la majorité qualifiée pour les actions ou positions communes nécessaires à sa mise en oeuvre.

Selon la même logique, les actions ou positions communes adoptées indépendamment d'une stratégie commune continuent de relever d'une décision prise par le Conseil à l'unanimité, tandis que les décisions nécessaires à leur mise en oeuvre sont adoptées à la majorité qualifiée.

Il y a là une amélioration notable par rapport au traité de Maastricht qui réservait le recours à la majorité qualifiée à la mise en oeuvre des actions communes. Encore le Conseil devait-il déterminer à l'unanimité les questions qui devaient faire l'objet d'un vote à la majorité qualifiée. Le recours à la majorité qualifiée, commandée en dernier ressort par une décision à l'unanimité, n'avait finalement presque jamais été utilisée. Ce ne devrait plus être le cas désormais, dans la mesure où cette modalité de vote ne découle plus d'une décision du Conseil mais des stipulations même du traité.

Cependant, l'utilisation de la majorité qualifiée, dans le cadre déjà contraignant fixé pour ses conditions de mise en oeuvre, connaît une double limite liée d'une part à des " raisons de politique nationale importantes " et d'autre part, aux questions de défense.

Un Etat membre peut invoquer des " raisons de politique nationale importantes " pour s'opposer à l'adoption d'une décision à la majorité qualifiée. Dans ce cas, le Conseil ne procède pas au vote et peut saisir, à la majorité qualifiée, le Conseil européen appelé à se prononcer à l'unanimité sur la question en instance. En fait, la décision, dans ce cas, n'a guère de chance d'aboutir dans la mesure où l'unanimité retrouve tous ses droits.


• Par ailleurs, la majorité qualifiée est exclue pour les décisions liées à la défense et aux questions militaires.

L'abstention constructive


• Le traité d'Amsterdam reconnaît, pour la première fois, le principe de l'abstention constructive (art. 23§1). Il en précise le principe, les conséquences et enfin, les conditions d'emploi.

- Le principe : l'abstention n'empêche pas l'adoption des décisions pour lesquelles le traité requiert l'unanimité.

- Les conséquences : l'Etat peut assortir son abstention d'une déclaration formelle ; dans ce cas, s'il n'est pas tenu d'appliquer la décision, il accepte qu'elle engage l'Union et, partant, il s'abstient de toute initiative contraire aux orientations adoptées de concert par ses partenaires. Toutefois, l'Etat qui s'abstient participe au financement de la mesure adoptée sauf lorsque la décision présente des implications dans le domaine de la sécurité ou quand le Conseil à l'unanimité décide une modalité particulière de financement.

- Les conditions : si les abstentions représentent plus du tiers des voix pondérées, la décision n'est pas adoptée ; l'abstention constructive se mue dès lors en abstention-véto. En d'autres termes, on retrouve les mécanismes de la majorité qualifiée, les deux tiers des voix étant nécessaires pour l'adoption d'une décision.

Une conjonction d'abstentions pourrait ainsi mettre en échec une initiative approuvée par une majorité d'Etats. Le tiers des voix pondérées équivalant à 29 voix pondérées, trois "grands" Etats membres ou huit parmi les plus "petits" peuvent en effet, par le jeu de l'abstention constructive, empêcher l'adoption d'une décision. L'abstention constructive apparaît, de ce point de vue, moins souple que les coopérations renforcées. Les deux procédures ne sont donc pas équivalentes et il est dès lors regrettable que la seconde ait été exclue pour le deuxième pilier.

Cependant, le traité d'Amsterdam a maintenu la faculté reconnue précédemment aux Etats de développer une coopération plus étroite dans le domaine de la défense dans le respect toutefois des orientations fixées par la PESC (art. 17§4).

L'assouplissement des conditions de vote devrait permettre au Conseil de surmonter sa réticence traditionnelle à recourir à une procédure de vote -même à l'unanimité. La préférence systématique pour le consensus -où les responsabilités des Etats se trouvent moins engagées dans le cadre d'un vote- avait à coup sûr favorisé cette dérive vers une diplomatie déclaratoire et largement impuissante.

La recherche de l'efficacité dans le processus de décision n'a pas seulement conduit à un assouplissement des conditions de vote mais elle a également favorisé la recherche d'une plus grande cohérence.

b) Une cohérence mieux assurée

En effet, on le sait, la mise en oeuvre d'une orientation dans le domaine de la PESC peut réclamer une mesure relevant du premier pilier, qu'il s'agisse d'un aménagement des relations économiques extérieures ou d'une action en faveur du développement.

De façon générale, la cohérence doit prévaloir entre les orientations définies dans le cadre de la PESC et les politiques communautaires . Or, en vertu de la séparation du traité en piliers, les premières relèvent du Conseil tandis que les secondes relèvent de l'initiative exclusive de la Commission. Si le traité de Maastricht réaffirmait le principe de la cohérence, il n'en rappelait pas moins le nécessaire respect des attributions de chaque institution. Or, la Commission a montré un souci constant pour protéger ses prérogatives au risque d'aboutir à ce paradoxe déjà dénoncé par votre rapporteur : d'un côté, une volonté politique privée de moyens et condamnée à l'impuissance, de l'autre, un ensemble de moyens financiers laissé sans direction politique.

Le traité d'Amsterdam apporte les correctifs nécessaires.

- En premier lieu, le traité affirme le rôle prééminent qui revient au Conseil pour garantir la cohérence et l'efficacité de l'action de l'Union. En effet le Conseil peut demander à la Commission de lui présenter toute " proposition relative à la PESC " pour assurer la mise en oeuvre d'une action commune . Malgré une certaine ambiguïté de la formulation (toute " proposition relative à la PESC "), ces propositions doivent nécessairement avoir des implications dans le domaine communautaire. Quel besoin autrement pour le Conseil d'inviter la Commission à lui faire des propositions, alors qu'en dehors du domaine communautaire, il partage avec cette institution la capacité d'initiative (art. 14§4) ?

- Ensuite, la présidence a la possibilité de négocier des accords internationaux dans le domaine de la PESC (art. 24) .

Cette faculté désormais ouverte à la présidence peut apparaître comme un substitut au refus de conférer la personnalité juridique à l'Union européenne. Cependant elle reste entourée de plusieurs conditions. En premier lieu, il faut un accord unanime du Conseil. Ensuite, aucun accord ne lie un Etat-membre qui se prévaut de ses propres règles constitutionnelles -les autres Etats-membres peuvent, pour leur part, convenir que l'accord leur est applicable à titre provisoire.

B. UNE DOUBLE INCERTITUDE

1. L'Union européenne sur la scène internationale : une représentation problématique

On cite souvent la boutade d'Henry Kissinger : " Je veux bien parler à l'Europe, mais donnez-moi un numéro de téléphone ". La PESC est en effet restée une diplomatie à plusieurs voix : celle de la présidence souvent associée à deux partenaires dans le cadre de la troïka, celle du président de la Commission, celle des différents commissaires en charge des relations extérieures (ils n'y en a pas moins de cinq)... La dispersion des centres de décision et le manque de visibilité n'ont naturellement pas favorisé l'affirmation de l'Union européenne sur la scène internationale.

Les négociateurs ont fait le choix de solutions pragmatiques qui ne sont peut-être pas à la mesure des enjeux que représente une présence renforcée de l'Union dans les relations internationales.

a) Un haut représentant pour la PESC

La déclaration franco-allemande de Fribourg du 27 février 1996 avait plaidé pour la création d'une nouvelle fonction qui contribue à une meilleure visibilité et une plus grande cohérence de la PESC. Cependant, cette formulation recouvrait en fait un désaccord entre la France, attachée à la création d'un haut représentant pour la PESC, personnalité politique investie d'un véritable rôle de représentation et d'animation, et les Allemands soucieux de ne pas déssaisir les ministres des affaires étrangères des Quinze en confiant la PESC à une instance concurrente.


• Le traité d'Amsterdam institue un haut représentant pour la PESC (art. 18§3) qui contribue à la formulation, à l'élaboration et à la mise en oeuvre des décisions politiques et agit au nom du Conseil et à la demande de la présidence, en conduisant le dialogue politique avec des tiers.

Sous un vocable qui satisfait les aspirations françaises, la réalité de cette fonction correspond davantage aux voeux des Allemands et d'une majorité de nos partenaires. En effet, la charge d'assurer la représentation des intérêts diplomatiques européens revient au secrétaire général du Conseil. Certes, pour l'heure, rien n'est vraiment joué : un secrétaire général -l'exemple d'autres organisations internationales comme l'ONU ou l'OTAN le montre- peut avoir une dimension politique. Cependant, faute d'une volonté politique -et force est de constater que, pour l'heure, elle n'existe pas- la force des pratiques passées risque de l'emporter et le profil très administratif du secrétaire général du Conseil ne semble pas devoir être remis en cause. Dès lors, la reconnaissance d'un haut représentant pour la PESC innovera moins qu'elle ne consacrera le rôle actuel du secrétaire général du Conseil dans l'organisation des travaux liés à la PESC et la préparation des décisions adoptées dans ce domaine.

Certes, des facteurs d'évolution existent : la mise en place d'un secrétaire général adjoint permettra sans doute au secrétaire général de s'investir davantage dans le domaine de la PESC. En outre, les prochaines candidatures à ce poste lorsque l'actuel titulaire 16( * ) arrivera au terme de son mandat en août 1999 -à une date à laquelle les procédures de ratification du traité d'Amsterdam dans les différents Etats membres seront, du moins on peut l'espérer, achevées- pourront revêtir un caractère plus politique.


• Aux côtés du haut représentant pour la PESC, le traité d'Amsterdam consacre la pratique actuelle de nommer des représentants spéciaux pour un problème ou une région donnés . Cette pratique a fait ses preuves en Bosnie, au Proche-Orient et aussi dans la région des grands lacs. Elle méritait de recevoir une assise plus solide dans le texte même des traités (art. 18§5).

b) Un renforcement de la cohésion

Le traité d'Amsterdam cherche à renforcer la cohésion de la PESC à travers deux aménagements dont la portée reste limitée.

La réforme de la représentation du Conseil

Afin de remédier en partie à l'absence de continuité provoquée par les rotations (tous les six mois) des présidences au Conseil, le traité de Maastricht avait permis d'associer à la présidence, dans le cadre d'une " troïka ", le pays ayant exercé la présidence précédente et celui appelé à l'exercer ensuite. Toutefois, l'Union perdait ici en visibilité ce qu'elle gagnait en pérennité.

Le traité d'Amsterdam simplifie la représentation de l'Union dans le domaine de la PESC assurée désormais par la présidence en exercice et l'Etat membre destiné à exercer la présidence suivante (art. 18§4).

La nécessaire coordination des Etats-membres au sein des organisations internationales renforcée

Au-delà du devoir d'information réaffirmé qui incombe à ceux des Quinze qui appartiennent à des organisations internationales ou participent à des conférences auxquels tous les Etats membres ne sont pas associés, le traité apporte un double complément :


• la coordination des Etats-membres au sein des organisations internationales (seul le principe d'une concertation entre les Etats membres du Conseil de sécurité avait jusqu'à présent été posé).


• la responsabilité qui revient aux Etats-membres de défendre des positions communes , en particulier au sein des instances ou réunions auxquelles l'ensemble des Quinze ne participent pas (art. 19§1).

2. La question du financement

a) Un fonctionnement peu satisfaisant

Le traité de Maastricht ouvrait une double possibilité pour le financement des dépenses opérationnelles :

- la prise en charge par les Etats membres selon une clef de répartition non précisée,

- ou, après une décision unanime du Conseil, le financement par le budget communautaire. Dans cette hypothèse, les dépenses opérationnelles entrent alors dans la catégorie des dépenses non obligatoires pour lesquelles le Parlement européen dispose du dernier mot .

Dans la pratique, la prise en charge des dépenses opérationnelles de la PESC est revenue principalement au budget communautaire. Dès lors, le Parlement européen, simplement consulté sur les orientations générales de la PESC, a cherché à influencer la PESC bien au-delà des attributions que lui reconnaissaient la lettre des traités.

Cette pratique pouvait aboutir à cette situation paradoxale où le Parlement européen bénéficiait pour la politique étrangère d'un rôle plus important que celui dévolu aux parlements nationaux.

Cette anomalie, préjudiciable aux équilibres institutionnels qui doivent présider à une coopération d'essence intergouvernementale, n'a pas été corrigée par le traité d'Amsterdam.

b) Un dispositif financier déséquilibré

Le traité d'Amsterdam inverse le principe posé par Maastricht : la prise en charge des dépenses opérationnelles liées à la PESC sur le budget communautaire apparaît la règle . Le financement par les Etats-membres demeure une alternative et le traité pose comme clef de répartition le produit national brut -à moins que le Conseil, par une décision unanime, n'en décide autrement (art. 28§3).

La Conférence intergouvernementale avait envisagé, comme le souhaitait la France, de ranger les dépenses liées à la PESC dans la catégorie des dépenses obligatoires. Toutefois, avant la conclusion des travaux de la CIG, le Parlement européen a finalement obtenu, dans le cadre d'un accord interinstitutionnel (conclu entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission) que les dépenses de cette nature continuent de figurer au rang des dépenses non obligatoires pour lesquelles l'Assemblée de Strasbourg a le dernier mot.

L'accord interinstitutionnel prévoit certes que le Parlement et le Conseil s'efforcent de parvenir chaque année à un accord sur le montant global des dépenses opérationnelles et leur répartition par article budgétaire. Faute d'accord, le montant inscrit au budget de l'année précédente est au moins reconduit. Si les crédits se révèlent insuffisants, la Commission peut procéder à des virements à l'intérieur d'un même chapitre.

Malgré ces éléments de souplesse, le maintien du statu quo sur la nature non obligatoire des dépenses liées à la PESC n'est pas, aux yeux de votre rapporteur, satisfaisant au regard du pouvoir excessif qu'il assure ainsi au Parlement européen.

CONCLUSIONS

Au terme de cette analyse détaillée des dispositions du traité, votre rapporteur présentera plusieurs observations et propositions qui constituent une contribution au débat qu'il reviendra à la commission des Affaires étrangères et de la Défense, puis au Sénat dans son ensemble, de conduire après le dépôt par le gouvernement du projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam.

Votre rapporteur dressera d'abord un bilan des avancées et des insuffisances des résultats de la Conférence intergouvernementale. Il s'interrogera ensuite sur l'opportunité de ratifier l'accord et le cas échéant, sur les conditions de ratification. Enfin, il présentera plusieurs initiatives susceptibles de relancer la réforme institutionnelle.

I. NI EXCÈS D'HONNEUR, NI INDIGNITÉ ...

Même s'il n'apporte pas de développement majeur à la construction européenne, le traité d'Amsterdam apporte des inflexions importantes au dispositif existant. Il est possible d'en évaluer la portée dans quatre domaines présentés ici dans l'ordre décroissant de leurs mérites au regard de la construction européenne.

La mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice

Il faut souligner dans ce domaine, selon votre rapporteur, trois avancées réelles .

- La "communautarisation" progressive des questions relatives à la libre circulation des personnes , à l'asile et à l'immigration . Ces matières, jusqu'à présent régies par les règles de la négociation intergouvernementale, obéiront, au terme d'une période de transition de 5 ans, aux procédures communautaires : initiative de la Commission et, à condition que le Conseil le décide à l'unanimité, majorité qualifiée et codécision du Parlement européen. Dans ces domaines où la coopération est devenue indispensable, l'efficacité passe en effet par une plus grande souplesse de décision.

- L'intégration de l'"acquis de Schengen" dans le cadre de l'Union européenne ; elle n'aura pas seulement pour effet de restaurer la cohérence d'un dispositif passablement complexe, mais aussi de donner pour principe à la coopération à quinze le lien reconnu par les accords de Schengen entre libre circulation et sécurité .

- L'assouplissement des mécanismes de la coopération intergouvernementale le cadre du troisième pilier maintenu -mais désormais cantonné à la coopération policière et judiciaire en matière pénale.

Votre rapporteur fera toutefois état d'un regret et d'une inquiétude :

- un regret, d'abord : le vote à la majorité qualifiée n'a aucunement progressé dans le cadre du troisième pilier refondu, alors qu'il eut été très utile pour avancer sur la voie d'un espace judiciaire européen ;

- une inquiétude : la multiplication des statuts dérogatoires pour le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark.

La politique étrangère et de sécurité commune

Dans ce domaine, le bilan d'Amsterdam apparaît plus contrasté.

Il importe de relever la mise en place d'une unité de planification et d'alerte rapide, qui plus qu'un "M. PESC" au profil administratif, constitue une innovation prometteuse permettant d'amorcer très en amont la concertation nécessaire.

Deux autres modifications inspirent un jugement plus nuancé :

- Les règles de vote ont été assouplies, notamment avec la reconnaissance du principe de l'abstention constructive . Cependant, tout Etat dispose d'un droit de veto quand il invoque des "raisons de politique nationale importantes". En outre, les coopérations renforcées ne peuvent s'appliquer à la PESC qui en constitue pourtant le champ d'application privilégié.

- Dans le domaine de la sécurité européenne, les pays neutres ont accepté que les missions dites de Petersberg , principalement les missions humanitaires ou de maintien de la paix, soient intégrées au traité et il y a là un infléchissement intéressant au regard de la position traditionnelle de ces pays. Cependant, hormis sur ce point, le statu quo prévaut et on peut le regretter.

Les politiques communes

Les résultats apparaissent ici encore plus modestes. Toutefois, si les avancées relèvent en effet plutôt de l'ordre de la rhétorique, du moins ont-elles le mérite d'ouvrir la politique communautaire sur des préoccupations plus proches des citoyens et cela n'est pas indifférent au moment où l'Europe tend à susciter plus de défiance que d'enthousiasme. Trois modifications méritent donc d'être relevées :

- l'intégration du protocole social au traité communautaire après la levée de l'opposition britannique ;

- un nouveau titre sur l'emploi et le renforcement de la coordination dans ce domaine ;

- enfin, en matière de santé , la possibilité pour le Conseil d'adopter à la majorité qualifiée, d'une part, des normes élevées de qualité pour les substances d'origine humaine et, d'autre part, des mesures dans le domaine vétérinaire. Ces dispositions traduisent moins une extension des compétences communautaires qu'une réappropriation par l'autorité politique , incarnée par le conseil, de responsabilités assumées jusqu'à présent à l'échelle administrative.

La réforme institutionnelle

Sur ce point, le plus important, pourtant, aux yeux de votre rapporteur, le traité d'Amsterdam a failli à ses objectifs.

Il n'a en effet apporté que deux seules modifications : une extension de la procédure de codécision qui associe à parité le Parlement et le Conseil dans la procédure de décision ; la mise en place des coopérations renforcées . Or ces deux mesures, pourtant limitées, soulèvent bien des incertitudes.

L'extension de la codécision n'appelle pas en soi d'objection de principe. Toutefois, elle a pour effet de faire du Parlement européen la seule institution qui sorte renforcée du traité d'Amsterdam, compte tenu du statu quo observé vis-à-vis du Conseil et de la Commission. Ainsi, il faut bien le reconnaître, elle a plutôt favorisé la faculté d'empêcher plutôt que la capacité d'initiative .

Les coopérations renforcées, quant à elles, permettent à certains Etats désireux d'aller de l'avant dans des domaines délimités de s'associer, tout en respectant le cadre institutionnel de l'Union. A cet égard, cette formule représentait une véritable alternative à l'extension du vote à la majorité qualifiée qui avait été refusée à Amsterdam. Cependant, les conditions excessivement rigoureuses définies pour la mise en oeuvre d'une coopération renforcée, ainsi que la possibilité pour tout Etat de s'y opposer affaiblissent beaucoup ce nouvel instrument.

Incapables de s'entendre à Amsterdam sur un dispositif institutionnel réformé, les négociateurs ont décidé dans le cadre d'un protocole 17( * ) de reporter la question à deux échéances plus lointaines :

- première échéance : le premier élargissement de l'Union
; à cette date, la Commission se composera d'un national de chaque Etat membre, à la condition que la pondération des voix au sein du Conseil ait été modifiée soit par une nouvelle pondération des voix soit par une double majorité "d'une manière acceptable pour tous les Etats membres", compte tenu notamment d'une compensation pour ceux qui renoncent à la possibilité de désigner un deuxième membre de la Commission 18( * ) ;

- Deuxième échéance : un an au moins avant que l'Union européenne ne compte plus de vingt membres , une Conférence sera convoquée pour procéder à un réexamen complet des dispositions des traités relatives à la composition et au fonctionnement des institutions.

Certes, ces deux positions se distinguent par leur portée : la première concerne seulement la Commission et le Conseil, la seconde ouvre la perspective d'une réforme d'ensemble des institutions. Cependant, elles ont toutes deux en commun de reconnaître la primauté à l'élargissement.

La première disposition ne pose pas, en effet, de lien entre réforme et élargissement mais entre deux réformes de nature différente. La seconde définit une méthode de révision -une conférence intergouvernementale- sans fixer aucune obligation de résultat .

La France avait souhaité que l'aménagement institutionnel constitue le préalable de l'élargissement. Or, l 'élargissement dans la configuration dessinée par la Conférence intergouvernementale risque fort d'anticiper la réforme.

Mais la formulation du protocole présente bien d'autres limites sur lesquelles il convient de revenir.

En premier lieu le lien posé, dans le cadre de la première échéance, entre la modification de la composition de la Commission et la repondération des voix au Conseil ne présente, de quelque point de vue -logique, procédural, politique- que l'on se place, aucune justification :

- sur le fond, le seul lien pertinent doit s'établir entre la repondération des voix et l'extension du vote à la majorité qualifiée ;

- sur le plan de la procédure, la réduction du nombre des commissaires relève d'une simple décision du Conseil (art. 213 § 1), une nouvelle pondération requiert au contraire une révision des traités 19( * ) ;

- d'un point de vue politique, le lien se présente comme une concession des "petits" Etats (sur la repondération) contre une concession des "grands" (sur la Commission) ; ainsi c'est le clivage même entre deux groupes d'Etats, dont on sait combien il a été paralysant pour la Conférence intergouvernementale, qui se trouve figé dans ce texte.

Enfin, la voie choisie pour la réforme de la Commission -qui constitue en soi un problème distinct- apparaît problématique car, comme l'a souligné avec raison M. Laurent Cohen-Tanugi devant notre commission, elle ne réduit pas notablement les effectifs de la Commission européenne mais elle consacre en revanche la "renationalisation" d'une institution que les "pères fondateurs" avaient justement souhaité indépendante pour servir l'intérêt commun.

Le lien posé entre une réforme institutionnelle d'ensemble et l'élargissement de l'Union au-delà de vingt membres soulève une autre série de difficultés.

D'une part, il reprend une formule dont la Conférence intergouvernementale vient précisément de souligner les défauts. D'autre part, et surtout, il recule la date limite de la réforme institutionnelle au moment où l'Union comprendra déjà vingt membres. Or, comment parvenir à vingt à un accord impossible à trouver à quinze ?

Rien n'interdit cependant d'attendre le moment où l'Union aura atteint vingt membres pour ouvrir la négociation sur la réforme. Le protocole fixe seulement une date limite (l'année qui précède la vingt et unième adhésion). Dans ce cadre, la réforme peut s'ouvrir à tout moment. C'est du reste peut-être le seul élément réellement positif du protocole dans la mesure où il peut servir dès maintenant de base à une initiative institutionnelle de grande ampleur.

II. UNE RATIFICATION SOUS CONDITIONS

Après avoir été signé par les Quinze le 2 octobre 1997, le traité d'Amsterdam entrera en vigueur lorsque les procédures de ratification auront été conduites à leur terme dans tous les Etats membres de l'Union européenne 20( * ) .

Pour la France, la procédure de ratification soulève trois questions successives et autant de préalables à résoudre : la constitutionnalité du traité, le choix de la procédure de ratification -référendaire ou parlementaire- et enfin, en dernière instance, la décision d'autoriser la ratification.

Si les deux premières questions sont en voie d'être tranchées, la dernière demeure indécise. Parce qu'elle intéresse au premier chef le Parlement, elle retiendra toute l'attention de votre rapporteur.

Le préalable constitutionnel

A la suite d'une saisine conjointe du Président de la République et du Premier ministre sur la base de l'article 54 de notre Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé indispensable une révision de la Constitution avant la ratification par la France du traité d'Amsterdam.

En effet, le Conseil constitutionnel a estimé que la plupart des dispositions du traité d'Amsterdam relatives à la libre circulation des personnes (visas, asile, immigration et franchissement des frontières - articles 62 § 1 et 2, 63 § 1 à 4, 67 § 2 et 4) portaient atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dans la mesure où elles prévoient :

- le passage au vote à la majorité qualifiée, à l'issue d'une période de cinq ans, même s'il résulte d'une décision du Conseil à l'unanimité, pour la définition des règles relatives à l'asile, à l'immigration et au franchissement des frontières intérieures des Etats membres par des ressortissants des pays tiers ;

- le passage automatique à la majorité qualifiée pour les procédures et conditions de délivrance des visas de court séjour et les règles applicables en matière de visas uniformes.

Selon le Conseil Constitutionnel, la première de ces procédures dépasse le champ de l'habilitation prévu par l'article 88-2 de la constitution pour le transfert des compétences lié à l'entrée en vigueur du traité de Maastricht. En outre, elle aura pour effet d'organiser le passage à la règle de l'unanimité sans que soit nécessaire, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale. La seconde procédure, quant à elle, propose une "modalité nouvelle de transfert de compétences dans des domaines où est en cause la souveraineté nationale".

Dans ces conditions, une révision de la Constitution a été jugée indispensable.

Elle devrait intervenir au cours du second semestre de l'année 1998 à la suite d'une décision adoptée par le Congrès.

Il faut espérer, dans le cadre de la réforme constitutionnelle, que le débat n'inverse pas les termes des difficultés soulevées par le traité d'Amsterdam en se polarisant sur les quelques avancées de ce texte -les transferts de souveraineté, d'ailleurs limités- pour négliger le problème essentiel : l'absence de réforme institutionnelle .

La procédure parlementaire, privilégiée pour la ratification du traité

La procédure référendaire paraît aujourd'hui écartée. Deux facteurs ont joué dans ce sens.

Dans le cadre d'une démocratie représentative, le Parlement doit pleinement jouer son rôle dans les grandes étapes de la construction européenne.

Les citoyens ont déjà approuvé au moment du référendum sur le traité de Maastricht de 1992 des transferts de souveraineté sur des questions essentielles. Les évolutions décidées à Amsterdam s'inscrivent dans le prolongement des modifications apportées par le traité de Maastricht tout en revêtant une moindre ampleur : elles ne justifient donc pas l'organisation d'un nouveau référendum.

En bonne logique, il appartiendra donc au Parlement de se prononcer sur l'autorisation de ratifier le traité d'Amsterdam.

Le choix du Parlement : résolution ou article additionnel ?

Respectueux de la compétence traditionnelle reconnue au gouvernement dans le domaine de la politique étrangère, notre système institutionnel ne laisse en principe au Parlement d'autre choix que d'accepter ou de rejeter l'autorisation de ratification. Or, cette alternative ne paraît guère satisfaisante pour le traité d'Amsterdam.

Un rejet en effet ne serait pas justifié au regard des avancées positives apportées par le traité d'Amsterdam dans plusieurs domaines. En outre, il risquerait d'ouvrir une grave crise sans aucune garantie de provoquer le choc nécessaire à même de décider nos partenaires à discuter d'un projet plus ambitieux. En revanche, un tel rejet présenterait le risque réel de remettre en cause les quelques acquis indéniables obtenus par la Conférence intergouvernementale.

Faut-il pour autant approuver le traité en l'état ? Une telle position reviendrait à accepter l'élargissement de l'Union sans aucune assurance d'obtenir la réforme institutionnelle préalable. Le traité en effet n'apporte aucun progrès réel sur les questions institutionnelles et il ne garantit pas davantage qu'une réforme se concrétisera avant la mise en oeuvre du processus d'élargissement. Certes, la politique du pire reste toujours possible : les dysfonctionnements d'une Union élargie à 20 membres pourraient entraîner de tels blocages que la réforme institutionnelle apparaîtrait alors comme la seule issue possible. Mais une telle situation peut conduire de façon encore plus assurée les Etats membres à se résigner à la dilution du projet européen sous la forme d'une vaste zone de libre-échange. Une telle perspective apparaît inacceptable et le pari trop risqué.

La réforme institutionnelle doit constituer le préalable à l'élargissement. Le Parlement ne peut approuver l'autorisation de ratifier le traité d'Amsterdam sans obtenir de garantie sur la positon du gouvernement sur ce point. Certes, la France au moment de la signature du traité, a rappelé dans une déclaration commune avec la Belgique et l'Italie la nécessité de renforcer les institutions avant la conclusion des premières négociations d'adhésion. Cependant, un tel engagement présentera une portée plus grande s'il se trouve réaffirmé dans le cadre même de la procédure de ratification : il traduira alors en effet la volonté nationale exprimée par les représentants du peuple français. Il apparaît donc nécessaire d'associer le Parlement au souhait formulé par le gouvernement français d'obtenir une réforme institutionnelle préalable à l'élargissement de l'Union.

Comment procéder ? La voie apparaît excessivement étroite dans la mesure où le Parlement ne dispose pas, en principe, du droit d'amender un projet de loi tendant à autoriser la ratification d'un accord international. Cependant, plusieurs formules ont été avancées, certaines peuvent être retenues.

L'exclusion, dans la pratique institutionnelle, du droit d'amendement

En la matière, les dispositions du règlement de l'Assemblée nationale sont sans équivoque :

"Lorsque l'Assemblée est saisie d'un projet de loi autorisant la ratification d'un traité ou l'approbation d'un accord international non soumis à la ratification, il n'est pas voté sur les articles contenus dans ces actes et il ne peut être présenté d'amendement" (art. 128 alinéa 1). La formulation du règlement du Sénat n'exclut pas explicitement la possibilité d'amendements : "Lorsque le Sénat est saisi d'un projet de loi tendant à autoriser la ratification d'un traité conclu avec une puissance étrangère, il n'est pas voté sur les articles de ce traité, mais seulement sur le projet de loi tendant à autoriser la ratification". (art. 47).

Si la tentation a existé de tirer parti de l'ouverture ainsi faite, le Gouvernement a régulièrement opposé l'irrecevabilité aux amendements présentés dans le cadre d'un projet de loi autorisant la ratification d'un traité. Le cas s'est présenté à plusieurs reprises. Ainsi, au moment de l'examen du traité franco-allemand du 22 juin 1963, M. Jean Lecanuet avait souhaité déposer un amendement faisant référence au pacte atlantique -à l'instar de l'amendement d'inspiration "atlantiste" adopté par le Bundestag et le Bundesrat. Le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères avait alors opposé l'irrecevabilité et le président Monnerville avait alors constaté que "rien, ni dans l'article 41 de la Constitution qui définit les matières constituant le domaine de la loi, ni dans l'article 53 qui concerne la ratification des traités internationaux ne permet de considérer que l'amendement par son texte, entre dans le domaine de la loi". La même interprétation prévalut notamment lors de l'examen, le 23 juin 1977, d'un amendement au projet de loi approuvant la décision du Conseil des Communautés européennes relative à l'élection des représentants à l'Assemblée des communautés européennes au suffrage universel.

Le droit d'amendement apparaissant exclu, sinon dans son principe, du moins dans la pratique institutionnelle, le Parlement dispose-t-il d'autres moyens pour affirmer dans le cadre de la procédure de ratification la nécessité d'une réforme institutionnelle ? Deux formules ont été avancées et méritent l'examen : le vote d'une résolution, l'adoption d'un article additionnel.

Le vote d'une résolution

Une résolution a vocation à exprimer une volonté politique. Elle n'a toutefois pas d'effet juridiquement contraignant. Ainsi elle pourrait constituer un cadre adapté à l'expression, par le Parlement, de l'importance du préalable institutionnel sans remettre en cause toutefois les prérogatives reconnues à l'exécutif dans le domaine de la politique étrangère. Cette formule a été brillamment défendue par M. Pierre Fauchon dans un rapport de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne 21( * ) .

Dans la situation actuelle de notre droit, le Parlement ne peut voter des résolutions sauf dans les cas prévus par les textes constitutionnels et organiques. Cette interdiction ne résulte pas de la lettre même de notre constitution mais d'une décision du Conseil constitutionnel de 1959. L'Assemblée nationale et le Sénat ont tiré les conséquences de cette décision dans leurs règlements respectifs et posé le principe de l'irrecevabilité des résolutions parlementaires.

C'est pourquoi M. Pierre Fauchon a proposé une réforme du règlement du Sénat permettant aux sénateurs de présenter des résolutions "en liaison avec l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi relevant de l'article 53 de la Constitution". Cette formule présenterait deux avantages, le premier de nature circonstancielle, le second, plus général :

- elle donnerait au Sénat le moyen d'exprimer ses préoccupations sur les perspectives institutionnelles au moment de l'examen du traité d'Amsterdam ;

- elle permettrait dans la perspective de la revalorisation du rôle du Parlement, de donner aux parlementaires une plus grande marge d'action dans un domaine -les traités ou accords internationaux- où leur initiative apparaît étroitement circonscrite.

Cependant, la formule des résolutions présente aussi une triple incertitude.

- Le choix de la méthode pour cette extension des pouvoirs des parlementaires : une réforme du règlement du Sénat risque de se heurter à la censure du Conseil constitutionnel dont rien ne permet de préjuger un renversement de jurisprudence. En outre, elle aura pour effet de permettre au Sénat, seul, d'adopter des résolutions alors qu'une telle faculté devrait, bien sûr bénéficier également à l'Assemblée.

Dès lors, un tel aménagement des compétences parlementaires trouverait mieux sa place dans une réforme constitutionnelle -perspective qu'envisage d'ailleurs aussi M. Pierre Fauchon.

- Le champ d'application des résolutions : sans doute conviendrait-il d'étendre la possibilité de présenter des résolutions, au-delà des textes présentés en vertu de l'article 53 de la Constitution, à l'ensemble des projets ou propositions de loi. En effet, comme le relève d'ailleurs notre collègue, une telle évolution permettrait de mieux séparer les mesures dotées de réels effets juridiques des simples dispositions déclaratoires aujourd'hui souvent confondues dans les textes de loi, faute pour le Parlement de pouvoir exprimer des intentions politiques par des moyens plus adaptés et dans un cadre juridique plus adéquat. En outre, il y aurait quelque paradoxe à permettre l'adoption de résolutions en matière de politique étrangère et à la prohiber dans le domaine des affaires intérieures qui relèvent, de manière plus approfondie, du champ des compétences parlementaires.

- Une résolution n'engage que la représentation nationale. En effet, la résolution non seulement ne présente pas d'effets contraignants mais elle constitue avant tout l'expression de la volonté politique du Parlement sans engager de quelque façon le gouvernement. Dans le domaine de la politique étrangère où les prérogatives se concentrent entre les mains de l'exécutif, cette limitation apparaît fâcheuse. En particulier, au regard des enjeux soulevés par le traité d'Amsterdam, la portée d'une résolution pourra paraître insuffisante et l'on ne discerne pas très bien quelle notable plus-value apporterait la résolution par rapport aux travaux de notre Commission et au débat en séance publique lors de l'examen d'un projet de loi de ratification.

Ce dernier argument plaide pour une autre formule, l'introduction d'un article additionnel au projet de loi de ratification.

Un article additionnel au projet de loi : la formule la plus adaptée pour rappeler le préalable institutionnel .

Cette formule, dont l'idée revient à M. Valéry Giscard d'Estaing, présente un avantage décisif.

En effet l'article additionnel a force de loi. Dès lors il engage le gouvernement vis-à-vis du Parlement auquel il sera tenu de rendre compte des efforts entrepris pour ouvrir le chantier de la réforme institutionnelle. Mais il conforterait aussi la position de notre gouvernement vis-à-vis de nos partenaires pour obtenir l'ouverture d'une nouvelle réflexion dans le domaine institutionnel.

Certes, un tel article additionnel devrait être introduit par le gouvernement , compte tenu des prérogatives limitées du Parlement en la matière. En outre, ni l'Assemblée, ni le Sénat ne pourraient, en principe, amender un éventuel article 2 au projet de loi de ratification. Cependant, la possibilité donnée au Parlement de se prononcer par un vote sur un tel article conférerait à celui-ci valeur politique au moins équivalente à celle de la résolution et une valeur juridique certainement supérieure. L'article additionnel devrait, du reste, être élaboré en étroite concertation avec le Parlement.

Enfin, la formule de l'article additionnel ne soulève pas de difficultés au regard de nos principes constitutionnels ; elle peut d'ailleurs se prévaloir du précédent représenté par l'introduction d'un article 2 dans la loi de 1977 portant ratification de l'élection du Parlement européen au suffrage universel.

Quelle forme pourrait revêtir un tel article additionnel ? Il devrait, pour votre rapporteur, reprendre les termes de la déclaration commune de la Belgique, de la France et de l'Italie et poser pour principe le renforcement des institutions comme une condition indispensable de la conclusion des premières négociations d'adhésion. Aller au-delà risquerait de lier à l'excès notre gouvernement, alors même que le succès de la négociation dépendra sans doute de la souplesse des solutions qui pourront être trouvées. Redisons le, l'article additionnel a surtout vocation à conforter la position du gouvernement français vis-à-vis de nos partenaires tout en l'engageant à l'égard de la représentation nationale.

S'il serait illusoire, et sans doute contreproductif, de figer les positions de la France dans le marbre de la loi, il revient cependant au Parlement de participer à la réflexion dans le domaine de la réforme institutionnelle et de guider le gouvernement dans les orientations qui pourraient être prises. Un rapport d'information constitue précisément le cadre privilégié pour l'expression de telles orientations. Aussi votre rapporteur souhaiterait-il maintenant évoquer les principes qui devraient inspirer la réforme institutionnelle nécessaire.

III. QUELLE STRATÉGIE POUR QUELLES RÉFORMES ?

Votre rapporteur s'attachera à répondre à deux questions :

- quelles modifications apporter au fonctionnement de l'Union avant l'élargissement?

- quelle méthode mettre en oeuvre pour réussir là où la Conférence intergouvernementale a échoué ?

1. L'indispensable équilibre entre efficacité et légitimité

Les propositions avancées ici par votre rapporteur ont avant tout une portée pratique : elles visent à permettre à l'Union élargie à 20 voire à 25 membres de continuer non seulement à fonctionner mais aussi d'avancer dans le processus de construction européenne. A titre d'exemple, dans le scénario d'un élargissement maximal, la présentation par chaque Etat de sa position, qui est de règle au Conseil, réclamera à elle seule, quatre heures !

Il ne s'agit donc pas ici d'étendre les compétences de l'Union européenne. Les traités fixent déjà un large champ de possibilités aux Etats membres qu'il convient d'utiliser pleinement. Il importe donc de recentrer le débat sur la recherche d'une plus grande efficacité des mécanismes institutionnels, il faut aussi combler le fossé qui s'est creusé entre l'Union et les citoyens. L'efficacité et la légitimité constituent ainsi les deux maître-mots appelés à guider une réforme de l'Union.


• L'efficacité


L'objectif d'efficacité se décline autour de deux thèmes : la procédure de décision au sein du Conseil, la composition de la Commission.

* La révision des procédure de décision pourrait reposer sur trois types de mesures :

1° L'extension du champ d'application de la majorité qualifiée

Elle constitue une condition indispensable pour continuer de prendre des décisions dans une Europe élargie. Elle devrait porter sur deux domaines :

- le pilier communautaire où le vote à la majorité qualifiée doit devenir la règle et l'unanimité, l'exception (la règle de la majorité devrait notamment prévaloir dans le domaine de l' harmonisation fiscale , seul moyen d'éviter la pratique du "dumping fiscal").

- la nomination du président de la Commission afin de faire prévaloir les qualités de la personne plutôt que sa capacité à s'effacer.

2° L'extension de la majorité qualifiée suppose une révision des conditions de vote :

- soit par une repondération des voix en faveur des grands Etats afin de retrouver l'équilibre originel de l'Europe des douze -comme le préconise M. Pierre Fauchon ;

- soit par un système de double majorité représentant la majorité des Etats et la majorité de la population ; il combine en effet un principe d'égalité propre à satisfaire les petits pays et un principe de représentativité démocratique des décisions -assurées ainsi de refléter la majorité de la population de l'Union. Cette formule paraît la mieux à même de conjurer le risque que se forme une minorité de blocage.

Le mécanisme des coopérations renforcées mis en place par le traité d'Amsterdam devrait être amendé de sorte que les quatre dispositions qui en limitent l'efficacité soient supprimées :

- d'abord, le droit de veto (sous la forme d'une "raison de politique nationale importante") que tout Etat membre peut opposer à la mise en place d'une coopération renforcée ;

- en second lieu, l'exclusivité dont dispose la Commission pour proposer au Conseil des coopérations renforcées dans le cadre du pilier communautaire afin d'ouvrir également cette faculté aux Etats membres ;

- la nécessité, ensuite, de réunir une majorité d'Etats pour mettre en oeuvre une coopération renforcée afin de laisser la possibilité à six Etats au moins de poursuivre une coopération renforcée ;

- enfin l'exclusion de la politique étrangère et de sécurité commune du champ d'application des coopérations renforcées.

* La composition de la Commission

La proposition avancée par la France, au moment de la Conférence intergouvernementale, de réduire les effectifs de la Commission à une dizaine de membres apparaissait, à coup sûr, audacieuse mais peu réaliste. Aucun Etat ne peut réellement accepter de n'être pas représenté au sein d'une institution qui joue un rôle aussi crucial dans la procédure de décision communautaire. Ainsi pour votre rapporteur, le débat sur la Commission doit cesser de se cristalliser sur le nombre des commisaires pour se recentrer sur une réorganisation des structures.

Il convient de privilégier ainsi la mise en place autour du président de la Commission de vice-présidents chargés chacun d'un grand secteur de compétences (relations extérieures, économie, etc.) et assistés, le cas échéant, de commissaires délégués -une rotation pouvant être organisée au niveau des vice-présidents entre les différents Etats dans un souci d'équilibre ;

Le souci de légitimité démocratique

Le souci de légitimité démocratique constitue le pendant obligé d'institutions plus efficaces. En effet, il ne servirait à rien de renforcer le système de décision communautaire si ces décisions continuent de se heurter à l'incompréhension voire à l'hostilité de l'opinion publique. Dans cette perspective, la subsidiarité comme le rôle du Parlement européen apparaissent deux thèmes essentiels.

1° La subsidiarité

Le courant eurosceptique se nourrit pour une large part d'un sentiment de dépossession dû, en particulier, à l'imprécision des limites assignées aux compétences de l'Union. Au-delà de ces préoccupations -qui ne manquent d'ailleurs pas de légitimité- l'indétermination des compétences de l'Union représente également un facteur d'incertitude juridique. Ainsi, à titre d'exemple, dans le cas de l'Allemagne, la concurrence des normes européennes avec les compétences des länder suscite de nombreuses interrogations.

Le rapport Westendorp avait renoncé à dresser une liste des compétences de l'Union. La subsidiarité n'a finalement trouvé d'autre écho dans le traité d'Amsterdam que de simples déclarations d'intention. Aussi convient-il de reprendre la tâche en s'inspirant par exemple du projet Spinelli relatif au traité sur l'Union européenne en 1984, et distinguer entre les compétences exclusives et les compétences partagées avec les Etats-membres.

Cette délimitation des compétences permettrait ainsi de recentrer l'Union sur les domaines qu'elle peut réellement assumer.

2° Revoir la position de la France vis-à-vis du Parlement européen

La France a rarement considéré le Parlement européen avec bienveillance. Ce désintérêt s'est traduit par une fragmentation de la représentation française au sein de l'institution de Strasbourg où notre influence se trouve dès lors assez réduite. Une telle situation risque de se révéler extrêmement négative au moment où le traité d'Amsterdam a précisément accru les pouvoirs du Parlement européen. C'est pourquoi il importe de conduire au plus tôt une réflexion, qu'il appartient aux partis politiques d'ouvrir, sur la représentation de la France au sein du Parlement européen afin d'éviter la dispersion actuelle.

2. Retrouver les voies d'une ambition pour l'Europe

Ces orientations prises, comment les mener à bien ? A l'exception des aménagements souhaitables de la position française vis-à-vis du Parlement européen qui ne relève que de l'initiative nationale, elles requièrent toutes un consensus des Quinze. Deux questions, dès lors, se posent :

- quel cadre mettre en place pour obtenir un accord sur la réforme institutionnelle ?

- quelle stratégie la France doit-elle adopter dans cette perspective ?

La procédure souhaitable

Il faut, en amont de la révision des traités, éviter la lourdeur d'une procédure intergouvernementale.

Le Marché commun, l'Acte unique et l'Union économique et monétaire sont issus respectivement, il faut le rappeler, des comités Spaak, Dooge et Delors. Un tel mandat pourrait de nouveau être confié par les Quinze à un groupe de personnalités européennes incontestables. Le Conseil européen de Cardiff du mois de juin a prévu une réunion informelle des chefs d'Etat ou de gouvernement et du président de la Commission, les 16 et 17 octobre 1998, à Vienne, pour approfondir leurs discussions sur la réforme institutionnelle et "pour réfléchir aux moyens de préparer au mieux les travaux sur ces questions en vue de leur examen lors du Conseil européen de Vienne" en décembre prochain.

La stratégie française : cohérence et ouverture

La stratégie française doit s'appliquer :

- d'une part, à restaurer la cohérence qui a fait défaut à nos positions défendues lors de la Conférence intergouvernementale ;

- d'autre part, à élargir le cercle de nos soutiens et surmonter en particulier le clivage entre "grands" et "petits" Etats.

La concordance des vues de la Belgique et de la France sur la nécessité de la réforme institutionnelle montre qu'il n'y a rien là d'impossible. Aussi conviendra-t-il d'abord, sans doute, de consolider le groupe franco-italo-belge et d'établir dans ce cadre des positions communes. Ensuite, il importe de rallier au projet d'une réforme institutionnelle le Luxembourg et les Pays-Bas. La prudence observée par ces deux pays à Amsterdam ne s'inscrit aucunement dans leur tradition diplomatique, ouverte sur la construction européenne, mais s'explique notamment par les inquiétudes liées au débat sur la nouvelle pondération des voix. A cet égard, le principe d'une double majorité constitue une formule de compromis susceptible de rallier les autorités de La Haye.

Enfin, rien ne pourra se faire sans l'aval de l'Allemagne . Les élections allemandes d'octobre prochain représentent une échéance majeure non seulement pour l'Allemagne mais aussi pour la construction européenne. Au lendemain de ce scrutin, Français et Allemands devront s'attacher à élaborer une démarche commune. Sans doute faudra-t-il, au préalable, dissiper les malentendus accumulés au cours des derniers mois. L'équilibre entre la réforme institutionnelle -souhaitée par les Français- et la subsidiarité -thème cher aux Allemands- constitue certainement une bonne base de départ pour aller de l'avant. La lettre franco-allemande discutée lors du Conseil européen de Cardiff le 15 juin dernier, reprend d'ailleurs une telle démarche et représente, à coup sûr, un signal encourageant.

*

* *

Alors même que tous nos partenaires ont déjà engagé la procédure de ratification du traité d'Amsterdam -et même, pour certains d'entre eux, achevé cette procédure, la France temporise.

Or, il apparaît indispensable d'éviter toute interférence entre le débat sur la ratification et les élections européennes de l'année prochaine, qui contribuerait à brouiller les perspectives par des considérations de politique intérieure.

Aussi, votre rapporteur conclura-t-il ces observations par le souhait que le gouvernement dépose le plus rapidement possible , une fois le préalable constitutionnel levé, le projet de loi autorisant la ratification du traité accompagné de l'article additionnel nécessaire.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITIONS RELATIVES AUX DISPOSITIONS DU TRAITÉ D'AMSTERDAM

1. M. Laurent Cohen-Tanugi, avocat international : les dispositions du traité relatives aux questions institutionnelles

Le présent exposé porte sur les dispositions du traité d'Amsterdam relatives aux questions institutionnelles et aux "coopérations renforcées".

Ce sujet ne peut être appréhendé pertinemment sans un bref retour en arrière. La Conférence intergouvernementale (CIG) de 1996, qui a produit le traité d'Amsterdam, avait été initialement programmée par le traité de Maastricht en vue d'approfondir certains sujets laissés en suspens par ce traité, notamment en matière institutionnelle. Par la suite, les carences du traité de Maastricht dans les domaines de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de la coopération judiciaire et policière ("troisième pilier"), la montée de l'euroscepticisme dans l'opinion, l'incapacité des Douze à réformer les institutions avant l'entrée de l'Autriche, de la Suède et de la Finlande, et enfin la perspective du grand élargissement vers l'Est, ont conduit à investir la CIG d'une triple mission, de nature largement institutionnelle :

- améliorer l'efficacité des politiques européennes, notamment dans les deuxième et troisième piliers ;

- combler le "déficit démocratique" ;

- enfin et surtout, reformer le système institutionnel de l'Union dans la perspective d'un élargissement à vingt-cinq, voire trente Etats membres.

Ce dernier objectif était largement considéré comme le plus important, notamment en France, où la réforme des institutions a toujours été un préalable indispensable à l'élargissement.

A mesure que s'amenuisaient les chances de parvenir à une réforme institutionnelle d'ensemble fut mis en avant, notamment par la France et l'Allemagne, le thème des "coopérations renforcées", destinées à permettre aux Etats souhaitant aller plus loin sur la voie de l'approfondissement de le faire sans se heurter à l'opposition des autres Etats membres. A défaut de réforme globale, les coopérations renforcées apparaissaient ainsi comme l'instrument susceptible de donner naissance à un "noyau dur" ou à une "avant-garde" de l'Union ayant vocation à entraîner l'ensemble, ou encore à une "Europe à géométrie variable".

A la lumière de ces objectifs, force est de constater que le traité d'Amsterdam a totalement failli à sa mission de réforme institutionnelle et grandement réduit la portée des coopérations renforcées. De surcroît, les Quinze ont arrêté dans un protocole annexé au traité un calendrier de réforme institutionnelle contradictoire avec l'objectif d'un renforcement des institutions préalable à l'élargissement vers l'Est.

I . L'apport du traité d'Amsterdam en matière institutionnelle et en matière de coopération renforcées

A. Dispositions institutionnelles


Comme on l'a exposé plus haut, la réforme des institutions de l'Union -nécessaire tant dans un souci d'approfondissement et d'efficacité plus grande des politiques existantes qu'en vue de compenser les effets dilutifs de l'élargissement-, a été totalement ignorée par le traité en raison de l'incapacité des Quinze à s'entendre sur des sujets hautement conflictuels.

Parmi les questions les plus importantes dans ce domaine figuraient sur l'agenda de la CIG :

- l'extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil et de la procédure de codécision entre Conseil et Parlement européen ;

- la modification de la pondération des voix des Etats membres au Conseil, en vue de corriger le déséquilibre actuel en défaveur des grands Etats ;

- la réduction du nombre des commissaires ;

- la réforme de la présidence de l'Union ;

- l'assouplissement de la règle de l'unanimité aux fins de révision du traité ;

- l'association des Parlements nationaux au processus normatif ;

- la réforme des institutions juridictionnelles.

La plupart de ces sujets ont été ignorés ou traités a minima.

• Le Parlement européen est le principal bénéficiaire de la négociation, grâce à l'extension très significative du champ d'application de la procédure de codécision, qui se voit par ailleurs simplifiée (suppression de la troisième lecture). Le Parlement se voit par ailleurs reconnaître officiellement un droit d'investiture du Président de la Commission.

• La réforme de cette dernière se limite au droit accordé à son Président de désigner les commissaires en accord avec les Etats membres.

• La réforme de la présidence de l'Union -destinée à donner à celle-ci un "visage" dans la sphère internationale -s'est réduite à l'institution d'un "M. PESC" qui, contrairement au souhait français, sera un haut fonctionnaire en la personne du Secrétaire général du Conseil.

• Enfin, le rôle des Parlements nationaux n'est traité que dans un protocole annexe n'ajoutant pas grand chose à la situation existante.

Les questions fondamentales -généralisation de la majorité qualifiée, modification de la pondération des voix, réduction du nombre des commissaires- ont été une nouvelle fois différées aux termes d'un autre protocole sur lequel nous reviendrons dans la seconde partie de cet exposé.

B. Les coopérations renforcées

Comme on l'a indiqué, le thème des coopérations renforcées a progressivement été mis en avant comme une panacée, probablement en raison de son ambiguïté, qui le rendait compatible avec les conceptions fédéralistes du document Lamers/Schaüble de septembre 1994 (noyau dur), comme avec la problématique de la "flexibilité", voire de "l'Europe à la carte", chère aux conservateurs britanniques.

En raison de cette ambiguïté, les coopérations renforcées étaient loin de faire l'unanimité au sein des partisans de l'approfondissement de l'Union, en raison des risques qu'elles comportaient pour l'unité du système institutionnel et de l'alternative illusoire qu'elles procuraient à une réforme globale des institutions.

Les restrictions imposées par le traité d'Amsterdam à l'utilisation de ce nouvel instrument sont plus susceptibles d'apaiser ces inquiétudes que de satisfaire les espoirs de ceux qui y voyaient une solution miracle.

En effet, aux termes du traité, une "coopération renforcée" :

- doit concerner la majorité des Etats membres ;

- doit être décidée à la majorité qualifiée du Conseil, sur proposition exclusive de la Commission ;

- ne peut concerner la PESC -pourtant généralement considérée comme un domaine de prédilection pour ce type de coopération- pour laquelle a été institué le mécanisme de l'"abstention constructive" ;

- doit respecter la cohésion du Marché unique et des autres politiques de l'Union ;

- peut faire l'objet d'un veto de tout Etat membre arguant d'un "intérêt national important", avec pour effet l'évocation de la décision au niveau du Conseil européen statuant à l'unanimité.

On notera que cette dernière restriction contredit l'objectif originel des coopérations renforcées, à savoir la liberté d'aller plus loin à quelques-uns sans entrave des autres. Ce veto interdit également de considérer les coopérations renforcées comme l'instrument privilégié de l'approfondissement de l'union économique et monétaire.

Pour conclure sur ce terrain, un constat s'impose : les coopérations renforcées instituées à Amsterdam ne pallieront pas l'absence d'une réforme institutionnelle d'ensemble.

II. L'articulation entre réforme institutionnelle et élargissement

Après l'élargissement de 1995, réalisé à institutions constantes, avec des effets notables sur l'efficacité du fonctionnement du système, les Quinze s'étaient engagés à ne pas renouveler cette fuite en avant. Les négociations d'adhésion des six Etats sélectionnés par la Commission furent ainsi programmées dans un délai de six mois après la clôture de la CIG.

Force et de constater aujourd'hui que, non seulement ces négociations d'adhésion sont ouvertes en dépit de l'échec institutionnel de la CIG, mais surtout que les Quinze se sont entendus sur un calendrier qui repoussera de facto la réforme institutionnelle au-delà du processus d'élargissement, avec pour conséquence le risque très réel de rendre toute réforme impossible.

Aux termes de l'article premier du protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne" annexé au traité d'Amsterdam; il est en effet prévu qu'à la date d'entrée en vigueur du prochain élargissement de l'Union, le nombre de commissaires sera réduit à un par Etat membre "à condition qu'à cette date la pondération des voix au sein du Conseil ait été modifiée (...)". Une telle réforme de la Commission est en elle-même problématique, en ce qu'elle n'en réduit que marginalement l'effectif tout en consacrant une certaine "nationalisation" d'une institution incarnant par excellence l'intérêt commun. Il est clair de surcroît qu'elle ne verra le jour que sous réserve d'un accord (à quinze ?) sur la pondération des voix au Conseil.

L'article second de ce protocole est encore plus problématique, qui reporte à "un an au moins avant que l'Union européenne ne compte plus de vingt Etats membres" la convocation de la prochaine conférence intergouvernementale destinée à procéder à une réforme d'ensemble des institutions.

Ceci signifie qu'en ratifiant ce protocole dans le cadre du traité d'Amsterdam, la France acceptera que l'Union accueille jusqu'à cinq nouveaux membres d'Europe centrale et orientale avant même qu'une conférence intergouvernementale n'ait été convoquée pour commencer à négocier -à vingt- une réforme des institutions et des processus de décision. Certains commentateurs relativisent la portée de cette disposition en misant sur l'adhésion simultanée des six Etats retenus pour le prochain élargissement -Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovénie, Estonie, Chypre-, et sur la longueur prévisible des négociations d'adhésion. Mais cette simultanéité n'est en rien garantie et, sans elle, c'est la paralysie institutionnelle et décisionnelle de l'Union qui se trouve juridiquement programmée.

*

* *

Idéalement, si l'on exclut un rejet "européen" du traité d'Amsterdam, la voie à suivre pour les Etats "réformateurs" appellerait une double démarche : écarter d'abord, selon une modalité juridique ou une autre, le protocole institutionnel du champ de la ratification, pour ne pas être lié par son calendrier ; initier ensuite, dès la tenue des élections allemandes, un processus non intergouvernemental de réflexion et de proposition sur l'avenir du projet politique européen et les conséquences qui en découlent, dans la perspective d'une union économique et monétaire relativement vaste et de l'élargissement vers l'Est.

La première étape prolongerait la Déclaration en ce sens annexée au traité par la France, l'Italie et la Belgique, dépourvue toutefois d'effet juridique. Par contraste avec le "non" danois à Maastricht, une réserve française sur la nouvelle fuite en avant institutionnelle arrêtée à Amsterdam aurait le triple avantage de porter sur un élément circonscrit et entièrement détachable du traité, d'être foncièrement "européenne", et d'adresser ainsi, sans crise majeure, un message clair aux diplomaties nationales quant au nécessaire rééquilibrage des progrès respectifs de l'élargissement et de l'approfondissement. La note ci-jointe démontre malheureusement qu'une telle voie est juridiquement étroite, et par voie de conséquence, politiquement difficile.

Cette situation rend d'autant plus nécessaire un travail préparatoire et indépendant sur l'avenir politico-institutionnel de l'Union, dans la lignée de ceux réalisés par les comités Spaak, Dooge et Delors, d'où sont issus, respectivement, le Marché commun, l'Acte unique et l'Union économique et monétaire. Une telle méthode, qui aurait dû être mise en oeuvre préalablement à la Conférence intergouvernementale de 1996, s'impose d'autant plus aujourd'hui que la négociation conclue à Amsterdam a révélé les points de rupture sur certains sujets sensibles, et que les Quinze sont peu susceptibles de les dépasser avant d'avoir tranché les conflits d'intérêts financiers et budgétaires liés à l'élargissement.

Ce travail urgent de restauration du sens de l'entreprise européenne aurait un triple objet :

- clarifier tout d'abord les options fondamentales qui s'offrent aux Européens quant à la nature et la finalité politiques de l'Union : construction d'une nouvelle entité politique démocratique à vocation de puissance mondiale, comme prétend le vouloir la France, instrument de pacification, d'organisation et de modernisation du continent européen conforme à la vision de l'Europe du Nord et depuis peu, semble-t-il, de l'Allemagne ; ou, entre les deux, l'hypothèse hybride, mais réaliste, d'un acteur économique et monétaire régional sans vocation politique ;

- expliciter les implications de ces choix en termes de répartition des compétences entre l'Union et ses Etats membres, de détermination des frontières géographiques de l'Union, d'articulation entre les différents sous-ensembles du système européen (Union élargie, UEM, "noyau dur" politique...) et de recomposition éventuelle de ces sous-ensembles ;

- recentrer le débat institutionnel sur ses enjeux essentiels, à savoir la survie du système communautaire dans une Union de plus de vingt Etats, laquelle passe notamment par l'institution d'un véritable exécutif européen, la généralisation de la majorité qualifiée au Conseil ainsi que par la révision des traités, et l'adaptation de la fonction juridictionnelle européenne. Le renforcement de l'efficacité des institutions communautaires dans une Union élargie s'impose au demeurant quelle que soit l'option retenue au plan de la nature et des finalités politiques de l'entreprise européenne : quand bien même la construction européenne verrait ses ambitions durablement réduites à la sphère économique et monétaire, la nécessité d'une refonte des institutions et des procédures de décision à la mesure des élargissements passés et à venir serait en effet tout aussi impérieuse.

*

* *

Je conclurai cet exposé en trois points :

- le traité d'Amsterdam est largement inadapté aux besoins de l'Union, tant du point de vue de l'approfondissement que de celui de l'élargissement ;

- il me paraît néanmoins devoir être ratifié à ce stade, en raison de ses apports dans certains domaines et afin d'éviter une crise européenne inutile, sous réserve toutefois du protocole institutionnel, contraire au calendrier souhaité par la France et à l'intérêt de l'Union sur une question fondamentale ;

- la réforme des institutions de l'Union doit être mise en chantier dès à présent à Quinze en vue d'une conclusion préalable au prochain élargissement, par l'institution d'un comité de réflexion et de proposition à caractère non-gouvernemental, méthode qui a fait ses preuves dans le passé.

*

* *

A la suite de son exposé, M. Laurent Cohen-Tanugi a répondu aux questions des commissaires

M. Jacques Genton a souligné la qualité de l'exposé qui venait d'être fait et a rappelé que, de retour d'une réunion à Londres de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), il avait pu mesurer l'insuffisance des dispositions adoptées à Amsterdam.

M. Christian de La Malène s'est inquiété du problème de la démocratisation des institutions européennes. Une réforme institutionnelle n'avait de sens, à ses yeux, que si elle permettait un progrès démocratique. Or, a-t-il déploré, l'Europe trouvait surtout des solutions technocratiques, et rien par exemple n'était fait pour renforcer les parlements nationaux. Poursuivre sur cette voie ne permettrait, selon lui, aucun progrès dans la construction européenne.

Pour M. Laurent Cohen-Tanugi, la notion de déficit démocratique comportait une réelle ambiguïté. Le problème ne concernait pas tant les pouvoirs du Parlement européen que, au sein de chaque Etat, les relations entre l'exécutif et le parlement national. Sur ce point, le traité d'Amsterdam n'apportait pas d'élément nouveau substantiel. Il importait que l'interpénétration croissante des politiques européennes dans la vie nationale nourrisse davantage les relations entre l'exécutif et le Parlement au sein de chaque Etat. De même, convenait-il de mieux expliciter la répartition des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres qui apparaît à ce jour, selon M. Laurent Cohen-Tanugi, encore trop floue.

M. Claude Estier a déclaré partager l'analyse et les constats formulés par l'orateur. Bien que largement inadapté, le traité d'Amsterdam devait être ratifié, sauf à créer une grave crise européenne. Il a estimé difficile d'imaginer les modalités d'une ratification du traité sous condition. De même, si une réforme institutionnelle était engagée à quinze, quelles garanties aurions-nous que les partenaires de la France soient plus décidés qu'auparavant à aboutir ?

M. Laurent Cohen-Tanugi a confirmé que la pente naturelle allait plutôt dans le sens d'un élargissement sans réforme institutionnelle. Il a plaidé pour que le Parlement français formule une déclaration solennelle concernant le calendrier de la réforme institutionnelle par rapport à l'élargissement. Au demeurant, M. Laurent Cohen-Tanugi a estimé que la non-ratification du traité d'Amsterdam ne serait pas une catastrophe sur le fond, même si elle serait susceptible de générer une crise européenne. M. Claude Estier ayant fait valoir que la réforme constitutionnelle serait, en tout état de cause, l'occasion d'un débat, M. Laurent Cohen-Tanugi a fait observer que ce débat constitutionnel porterait davantage sur les transferts de souveraineté, au demeurant modestes, entraînés par le traité d'Amsterdam plutôt que sur la vraie question posée par le traité : est-il à la hauteur des enjeux ?

En réponse à M. Xavier de Villepin, président, M. Laurent Cohen-Tanugi a précisé qu'une réserve de la France, lors de la ratification du traité d'Amsterdam, pourrait stipuler qu'une réforme institutionnelle d'envergure soit réalisée à quinze, avant l'entrée en vigueur de tout prochain élargissement.

M. Pierre Biarnès a déclaré que, selon lui, il convenait de faire moins de juridisme et plus de politique. L'échec d'Amsterdam était, à ses yeux, la conséquence d'une incapacité politique à s'entendre avec l'Allemagne. L'approfondissement européen nécessitait, selon lui, un sursaut politique. M. Xavier de Villepin, président, s'est également interrogé sur l'implication de l'Allemagne dans la construction européenne, alors que ce pays se prépare à d'importantes échéances électorales.

M. Laurent Cohen-Tanugi a reconnu que, sur ce point, l'Allemagne constituait une inconnue pour l'avenir. Ce pays avait privilégié l'élargissement sur l'approfondissement institutionnel. L'attitude future de l'Allemagne dépendrait, en partie, des positions françaises. Il a relevé, à cet égard, le silence de la France après la publication du document "Lamers-Schaüble" qui exprimait des conceptions fédéralistes pour l'avenir de l'Europe. Enfin, M. Laurent Cohen-Tanugi a souligné l'importance du droit et des textes en matière européenne.

En réponse à M. Jacques Habert, M. Laurent Cohen-Tanugi a rappelé qu'il avait souvent, dans le passé, exprimé des doutes sur l'opportunité du processus d'élargissement en tant que réponse adaptée aux demandes des pays d'Europe centrale et orientale, rappelant notamment l'échec, selon lui regrettable, de l'idée de "Confédération européenne". Le risque d'une non-ratification du traité d'Amsterdam serait qu'elle soit interprétée comme un geste antieuropéen, alors qu'elle pourrait traduire simplement la non-conformité du traité aux enjeux fondamentaux de la construction européenne. Pour M. Laurent Cohen-Tanugi, la pire hypothèse serait que cette ratification intervienne sans un débat et une mise en garde sur la question institutionnelle.

Enfin, répondant à une observation de M. Xavier de Villepin, président, M. Laurent Cohen-Tanugi s'est dit sceptique quant à la pertinence des gains institutionnels obtenus par le Parlement européen. Il a cependant constaté que cette réforme pourrait permettre à ce Parlement de constituer un levier politique face à la Banque centrale européenne et donner matière à une meilleure politisation du débat européen.

Annexe 22( * ) :

note sur le statut juridique et les conditions de ratification des protocoles annexes aux traités communautaires

Le "protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne" (ci-après le "protocole institutionnel") fait partie des protocoles annexés au traité sur l'Union européenne et aux traités instituant la CE, le CECA et l'Euratom.

L'article 14 du traité d'Amsterdam relatif à sa ratification et à son entrée en vigueur ne contient aucune disposition particulière concernant la ratification des protocoles. Il n'est pas non plus fait mention de cette question dans les dispositions équivalentes du traité de Rome (art. 247), de l'Acte unique européen (art. 33) ou du traité sur l'Union européenne (art. R). De façon plus générale, aucune disposition du traité d'Amsterdam ne précise le lien entre le traité lui-même et les protocoles qui figurent en annexe.

Toutefois, l'art. 239 du traité CE dispose que "les protocoles qui, du commun accord des Etats membres, seront annexés au présent traité en font partie intégrante."

Cette disposition est d'un usage fréquent dans les traités qui renvoient à diverses annexes ou protocoles des dispositions plus techniques pour alléger le texte principal sans pour autant vouloir leur donner une moindre portée juridique. Elle ne fait que reprendre un principe général du droit international illustré notamment par l'article 2 (1) de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 qui prévoit qu'un traité peut être "consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes". Par l'insertion de l'article 239, les auteurs du traité CE ont voulu s'assurer que ses dispositions seraient interprétées et appliquées en relation avec les dispositions afférentes des protocoles annexés. 23( * )

Les protocoles annexés au traité CE se distinguent ainsi des "déclarations" qui ne font pas partie intégrante du traité, ce qui est normal car elles n'expriment que des déclarations d'intention et n'ont pas, en tant que telles, de valeur juridique contraignante.

L'article 239 CE ne renvoie pas à une liste prédéterminée et limitative de protocoles, mais s'applique à tous les protocoles annexés ultérieurement, notamment à l'occasion d'une révision du traité, sans que soit nécessaire une modification des termes de l'article 239 CE.

L'article 239 CE indique qu'il s'applique aux protocoles annexés au traité CE par un commun accord des Etats membres. On peut s'interroger sur la signification de cette précision. On pourrait soutenir que le commun accord renvoie à la ratification, ce qui signifierait que seuls les protocoles ratifiés par tous les Etats membres seraient annexés aux traité CE et en feraient partie intégrante. Les termes de l'article 239 CE nous semblent s'opposer à une telle interprétation. En effet, il ressort clairement des termes de l'article 239 CE -"les protocoles qui, du commun accord des Etats membres, seront annexés"- que le commun accord porte sur le fait d'annexer le protocole au traité. Dès le moment où un protocole est annexé au traité CE du commun accord des Etats membres, il en fait partie intégrante, sous réserve de sa ratification. Il doit donc recevoir le même traitement, notamment aux fins de ratification, que les dispositions révisant le traité CE ou le traité sur l'Union européenne.

Or, le protocole institutionnel, dans son introduction, stipule expressément que "les Hautes Parties contractantes ont adopté les dispositions ci-après, qui sont annexées au traité sur l'Union européenne et aux traités instituant les communautés européennes." Le protocole a donc bien été, d'un commun accord des 15 Etats membres, annexé au traité sur l'Union européenne et aux traités CE, CECA et Euratom. Si la France était en désaccord avec ce protocole, elle aurait pu faire état de sa réserve au moment de la signature du traité d'Amsterdam et obtenir l'accord des autres Etats membres pour pouvoir appliquer le traité sans être liée par le protocole 24( * ) . A défaut d'une telle réserve, le protocole a, pour la France comme pour les autres Etats membres, vocation à faire partie intégrante des traités CE et UE au même titre que les dispositions modificatives du traité d'Amsterdam.

Il doit donc normalement être traité aux fins de ratification de la même façon que les articles insérés dans le corps du traité d'Amsterdam.

Il en résulte qu'en ratifiant le traité d'Amsterdam, les Etats membres devraient aussi ratifier le protocole. Ainsi, une fois ratifié, le protocole possédera la même valeur juridique que le traité stricto sensu et sera justiciable du contrôle de la Cour de justice au même titre que les dispositions inscrites dans le traité.

Il nous semble donc découler de l'article 239 CE que le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam devrait nécessairement inclure le protocole au même titre que les autres dispositions du traité d'Amsterdam stricto sensu. L'autorisation de ratifier le protocole ne paraît pas pouvoir faire l'objet d'un vote séparé. Si néanmoins le Gouvernement décidait de ne pas soumettre le protocole à l'autorisation de ratification, ou si le protocole, étant soumis à un vote séparé, faisait l'objet d'un vote négatif, et si finalement le protocole n'était donc pas ratifié par la France, tandis que le traité d'Amsterdam stricto sensu et les autres protocoles le seraient, deux solutions sont envisageables.

Premièrement, on pourrait imaginer que la France soit présumée avoir ratifié le protocole puisqu'il fait partie du traité CE sur l'Union européenne au même titre que les dispositions du traité d'Amsterdam revitalisant lesdits traités qui, elles, auront été ratifiées. Toutefois, la ratification étant par nature un acte discrétionnaire, elle ne saurait être présumée. Cette première possibilité semble donc pouvoir être écartée.

Deuxièmement, étant donné que le protocole institutionnel a vocation à faire partie des traités CE et UE comme les autres dispositions du traité d'Amsterdam, on pourrait considérer que si la France refusait de le ratifier, la ratification du traité d'Amsterdam en serait elle-même affectée. Dans ce cas la France devrait obtenir l'accord des autres Etats membres pour une dérogation spécifique lui permettant de ratifier le traité d'Amsterdam sans être liée par le protocole, dérogation semblable à celle obtenue par le Danemark en 1992 pour l'application des dispositions relatives à l'Union économique et monétaire à la suite de l'échec du premier référendum de ratification. Une telle dérogation serait toutefois sans effet sur la validité juridique du protocole et manquerait donc son objet.

La seule solution satisfaisante consisterait en définitive à considérer le protocole institutionnel comme suffisamment autonome et détachable par rapport au traité pour pouvoir être exclu du champ de la ratification, sans affecter la ratification du traité lui-même. Nous n'avons pas trouvé

de précédent direct à l'appui de cette position, qui offre donc à tout le moins matière à débat.

2. M. Jean-Louis Quermonne, directeur du pôle européen de l'Institut d'études politiques de Paris : les dispositions du traité relatives aux affaires intérieures et à la justice.

M. Jean-Louis Quermonne a tout d'abord rappelé le contexte dans lequel sont intervenues la réforme du troisième pilier et les dispositions tendant à la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, qui constituent, selon lui, un progrès par rapport au troisième pilier tel qu'il existait dans le traité de Maastricht, en dépit de l'excessive complexité du dispositif élaboré dans le cadre de la Conférence intergouvernementale. Cet espace de liberté, de sécurité et de justice créé par le traité d'Amsterdam, a poursuivi M. Jean-Louis Quermonne, constitue le prolongement des principes et des valeurs qui fondent l'Union européenne et qui, pour la première fois, font l'objet d'une référence aussi explicite dans un traité européen. M. Jean-Louis Quermonne a, à cet égard, cité les dispositions du futur article 8 du traité "consolidé", qui rappellent les principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l'Homme et de l'Etat de droit, communs aux Etats membres de l'Union européenne. Le fait que le respect de ces valeurs conditionne l'adhésion de tout nouvel Etat à l'Union européenne, et les sanctions prévues à l'encontre des Etats qui ne respecteraient pas ces principes illustraient, selon M. Jean-Louis Quermonne, l'importance des valeurs communes définies par le traité d'Amsterdam. Celui-ci permettait donc, a souligné M. Jean-Louis Quermonne, de compenser, dans une certaine mesure, le déficit démocratique constaté après l'adoption du traité de Maastricht.

Abordant ensuite les dispositions du traité d'Amsterdam relatives à la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, M. Jean-Louis Quermonne a relevé que cette réforme visait à répondre à une carence relative à la liberté de circulation des personnes, non encore pleinement effective dans l'espace européen, et aux craintes suscitées par le déficit sécuritaire observé en Europe en matière de grande criminalité, de trafic de drogues et de maltraitance des enfants notamment. Cette crainte a conduit, a observé M. Jean-Louis Quermonne, à souhaiter l'adoption de mesures européennes destinées à renforcer la sécurité intérieure des Etats.

M. Jean-Louis Quermonne a ensuite commenté les trois séries de dispositions du traité d'Amsterdam destinées à résoudre ces difficultés. La communautarisation partielle et progressive des mesures qui relevaient du troisième pilier s'appuyait sur l'incorporation au traité d'Amsterdam des mesures relatives aux politiques d'asile, au franchissement des frontières, à l'harmonisation des politiques d'immigration et à la coopération judiciaire en matière civile.

M. Jean-Louis Quermonne a distingué les dispositions pour lesquelles la communautarisation devait être immédiate -dès l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam- de celles qui seraient incorporées à l'ordre juridique communautaire à l'échéance de cinq ans après la mise en vigueur du traité. Il a souligné que les compétences de la Cour de justice des Communautés européennes ne s'étendraient pas aux mesures prises par les Etats pour assurer le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure. Puis il a commenté les exemptions consenties à l'Irlande, au Royaume-Uni et au Danemark dans ce domaine.

Le deuxième aspect de la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, a poursuivi M. Jean-Louis Quermonne, s'appuyait sur la rénovation du processus de décision intergouvernemental dans le cadre du troisième pilier qui, était désormais limité à la coopération policière et judiciaire en matière pénale, domaine dans lequel le Conseil continuerait à statuer à l'unanimité. M. Jean-Louis Quermonne a relevé l'innovation juridique que constituerait la possibilité de recourir à des "décisions-cadre", dénuées cependant d'effet direct dans l'ordre juridique des Etats.

Puis M. Jean-Louis Quermonne a abordé le "rapatriement" des accords de Schengen dans le traité d'Amsterdam, sous la forme d'une coopération renforcée, qui constitue le troisième aspect de la réforme tendant à la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Il a souligné la très grande complexité du dispositif ainsi mis en place, du fait de l'absence de concordance entre les quinze Etats membres de l'Union européenne et les quinze Etats Parties aux accords de Schengen (l'Islande et la Norvège étant associées à l'espace Schengen sans être membres de l'Union européenne).

Evaluant enfin la portée de la réforme du troisième pilier, M. Jean-Louis Quermonne a relevé l'"effroyable complexité" des dispositions adoptées dans le cadre du traité d'Amsterdam, rappelant la coexistence de sept protocoles additionnels, de dix-sept déclarations de la Conférence annexées à l'Acte final, et de quatre déclarations des Etats dont la Conférence a pris acte. La réforme constitue néanmoins, selon M. Jean-Louis Quermonne, un indiscutable progrès, dans lequel le couple franco-allemand a joué un rôle décisif. M. Jean-Louis Quermonne a également mentionné l'avancée que représente, selon lui, le renforcement d'Europol, appelé à devenir un organisme de coopération policière entre les Etats de l'Union européenne, sans constituer pour autant le "FBI européen" que le chancelier Kohl avait appelé de ses voeux. M. Jean-Louis Quermonne a ensuite estimé qu'un contrôle parlementaire et judiciaire sur Europol permettrait d'encadrer démocratiquement la coopération entre les polices européennes pour rendre plus efficaces les mesures de prévention et de répression qui seront prises dans ce cadre.

M. Jean-Louis Quermonne a alors conclu en soulignant l'importance, non seulement de la volonté politique des Etats, mais aussi de l'existence d'"institutions cohérentes et efficaces" pour favoriser la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice.

A l'issue de cet exposé, M. Jean-Louis Quermonne est revenu, à la demande de M. Xavier de Villepin, président, sur les risques liés aux exemptions définies à l'égard du Royaume-Uni, du Danemark et de l'Irlande. Il a fait observer que les exemptions accordées à ces trois pays étaient d'intensité variable, le Danemark étant lié par les accords de Schengen -à la différence de l'Irlande et de la Grande-Bretagne-, et étant habilité à appliquer au coup par coup les décisions prises dans le cadre de la réforme du troisième pilier. La complexité du système était donc poussée très loin, a relevé M. Jean-Louis Quermonne, indiquant que l'Irlande et la Grande-Bretagne pourraient de surcroît connaître des situations différentes au regard de l'espace de liberté, de sécurité et de justice européen.

M. Xavier de Villepin, président, s'étant interrogé sur les perspectives ouvertes aux coopérations renforcées et sur la portée des rapprochements éventuels des législations pénales, M. Jean-Louis Quermonne a cité, non seulement l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne, mais aussi les coopérations renforcées prévues par le premier pilier en vue du prolongement de l'Union économique et monétaire (coordination des politiques fiscales, sociales, macroéconomiques ...), et surtout les coopérations renforcées prévues dans le cadre du troisième pilier (accords de Schengen, harmonisation des politiques pénales ...). A cet égard, M. Jean-Louis Quermonne a rappelé la demande exprimée par les magistrats signataires de "l'appel de Genève" en vue de la création d'un espace judiciaire européen.

M. Jacques Genton a alors rappelé que, dans le cadre de la 18ème session de la COSAC à Londres, la création d'un espace judiciaire européen et d'un ministère public européen avait été mise à l'étude, le Parlement européen ayant d'ailleurs exprimé certaines réticences sur ce point. M. Jean-Louis Quermonne a alors fait observer que le protocole sur les parlements nationaux intégré au traité d'Amsterdam conférait à la COSAC un rôle consultatif privilégié en matière de sécurité intérieure.

A la demande de M. Xavier de Villepin, président, M. Jean-Louis Quermonne a enfin évalué la portée du traité d'Amsterdam. Il a déploré l'incapacité des Chefs d'Etat et de Gouvernement à définir les contours de la réforme institutionnelle, cruciale dans la perspective de l'élargissement. Il a néanmoins estimé que la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice constituait une avancée certaine, que la réforme du troisième pilier revêtait une importance non négligeable, en raison de l'introduction éventuelle de la majorité qualifiée dans le cadre de la communautarisation, que la réforme du deuxième pilier constitue néanmoins un progrès, et que la COSAC pourrait devenir un organe de coopération interparlementaire efficace.

3. M. Philippe Moreau Defarges, conseiller des affaires étrangères, chargé de mission à l'Institut français des relations internationales (IFRI) : les dispositions du traité relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC)

M. Philippe Moreau Defarges a d'abord relevé que la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) trouvait son origine dans le traité de Maastricht ; ce texte toutefois présentait une double ambiguïté liée, d'une part, à la volonté de fonder une politique commune sur la seule concertation et, d'autre part, à la formulation retenue dans le domaine de la défense par l'article J4 qui appelait à "la définition à terme d'une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune". Dans ce contexte, il a estimé que le traité d'Amsterdam ne pouvait apporter que des aménagements limités.

M. Philippe Moreau Defarges a toutefois relevé trois apports principaux :

- la mise en place d'un nouvel instrument avec les "stratégies communes" ;

- la création d'une fonction de "haut représentant" pour la PESC confiée en fait à un haut fonctionnaire, le secrétaire général du Conseil ;

- l'assouplissement des conditions de vote au sein du Conseil sous la forme de "l'abstention constructive", bien qu'un Etat puisse toujours se prévaloir d'un intérêt national majeur pour renvoyer une décision au Conseil européen, appelé dès lors à se prononcer à l'unanimité.

M. Philippe Moreau Defarges a considéré que la politique étrangère de l'Union européenne devait être appréciée dans le cadre d'une définition large de cette notion, entendue comme "l'ensemble des actions d'une entité lui permettant d'exister vis-à-vis de l'extérieur". Dans le domaine de la diplomatie au sens strict, qui ne constitue que l'un des volets de la politique étrangère, l'Union européenne, a estimé M. Philippe Moreau Defarges, se trouvait confrontée à trois difficultés principales : en premier lieu, la plupart des Etats européens aspiraient à un lien fort avec les Etats-Unis, pour garantir leur sécurité contre le risque de résurgence de menaces sur le vieux continent ; en second lieu, l'Europe connaissait encore des clivages, notamment entre les pays -comme la France et le Royaume-Uni- soucieux de conduire encore une politique de puissance mais incapables de s'entendre entre eux, et les Etats désireux de mettre l'accent sur la prospérité économique ; enfin, l'Europe apparaissait comme un acteur décisif de l'organisation des échanges -volet de la politique étrangère désormais essentiel-, comme l'a démontré la part prise par la Communauté dans les négociations relatives au GATT. En revanche, comme l'a souligné M. Philippe Moreau Defarges, l'Europe ne parvenait pas à exister par elle-même dans le domaine de la prévention et de la gestion des crises ; en effet, si certains Etats souhaitaient doter l'Europe d'une véritable force, d'autres estimaient préférable de demeurer dans le cadre exclusif de l'Alliance atlantique, afin de consacrer l'essentiel de leurs efforts à la compétition économique.

Enfin, d'après M. Philippe Moreau Defarges, l'action de l'Union européenne se jugera fondamentalement sur sa capacité à organiser sa périphérie (Europe centrale et Méditerranée) en zone de prospérité et de paix.

M. Philippe Moreau Defarges a ensuite répondu aux questions des commissaires.

Il a précisé à l'intention de M. Xavier de Villepin, président, qui s'interrogeait sur l'absence de l'Europe sur la scène du Proche-Orient, que les Etats-Unis constituaient un médiateur privilégié dans cette région, compte tenu de la nature de leurs relations avec Israël et des points d'appui dont disposait Washington dans le monde arabe. Il a souligné par ailleurs que, même si l'Union européenne accordait une aide conséquente aux Palestiniens, les Quinze demeuraient divisés sur la meilleure façon dont l'Europe pourrait intervenir sur cette question. Par ailleurs, à propos de Chypre et du Kosovo, où l'absence de l'Europe pouvait être encore une fois déplorée, il a souligné que la protection américaine sur le vieux continent répondait au souhait d'un certain nombre de nos partenaires, et en particulier de plusieurs pays d'Europe centrale et orientale appelés bientôt à rejoindre l'Union ; en conséquence, la remise en cause du rôle majeur de médiation joué par les Américains apparaissait difficile.

M. Philippe Moreau Defarges a également indiqué à M. Xavier de Villepin, président, qu'il doutait que le haut-représentant pour la PESC puisse évoluer en prenant une dimension plus politique ; dans ce domaine, la représentation de l'Union incombait principalement à la présidence du Conseil, qui n'était qu'"assistée" par le secrétaire général du Conseil. D'après M. Philippe Moreau Defarges, l'Union européenne constituait aujourd'hui une fédération qui ne disait pas son nom en raison de l'importance des compétences qui lui étaient attribuées, de la prise en compte d'une citoyenneté européenne, et enfin de la place dévolue désormais à la procédure de codécision associant le Parlement européen, le Conseil et la Commission.

M. Michel Caldaguès a alors souligné que la politique étrangère constituait l'attribut majeur de la souveraineté et que, dans ce domaine où le bilan des Quinze apparaissait modeste, l'Union européenne pouvait difficilement revendiquer le statut d'une fédération. M. Philippe Moreau Defarges a indiqué que, si l'Europe n'existait pas vraiment dans le domaine de la gestion des crises, elle jouait un rôle considérable sur la scène extérieure, à travers sa politique commerciale mais aussi la négociation des futures adhésions dans la perspective de l'élargissement de l'Union.

Il a également observé, à l'intention de M. Xavier de Villepin, président, que le rapprochement de l'Union de l'Europe occidentale et de l'Union européenne ne pourrait intervenir qu'au cas par cas, compte tenu de l'hostilité du Royaume-Uni et des réticences des Etats neutres membres de l'Union européenne ; dans ces conditions, l'Union européenne représentait une communauté de sécurité dans le sens, seulement, où elle favorisait la pacification des relations entre les Etats membres -une clause de sécurité collective propre à l'Union européenne étant aujourd'hui exclue.

M. Jean Arthuis a souligné que l'Union européenne avait beaucoup progressé lorsqu'elle s'était sentie menacée et que cette situation s'était principalement produite dans le domaine économique. Il s'est interrogé sur la représentation de l'Union européenne au sein des institutions internationales telles que le groupe des sept pays les plus industrialisés (G7). M. Philippe Moreau Defarges est convenu, avec M. Jean Arthuis que les Etats représentés au sein des instances internationales, telles que le fonds monétaire international, hésitaient à faire toute sa place à la Commission européenne. Il a rappelé alors la volonté de chaque Etat européen de conserver son siège au sein des différentes institutions internationales et en particulier au sein du Conseil de sécurité des Nations unies.

4. M. Jean-Marie Guéhenno, Conseiller-maître à la Cour des comptes, président du Conseil d'administration de l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense nationale) : les dispositions du traité relatives à la défense européenne

M. Jean-Marie Guéhenno a tout d'abord constaté que le traité d'Amsterdam avait maintenu la distinction, opérée par le traité de Maastricht, entre sécurité et défense, tout en traçant quelques perspectives non négligeables. Si la distinction entre sécurité et défense avait un sens à l'époque de la guerre froide, a rappelé M. Jean-Marie Guéhenno, quand on pouvait séparer la menace sur un territoire des autres types de menaces, ce clivage paraît moins pertinent aujourd'hui, l'usage de la force armée pouvant désormais être motivé par des préoccupations de sécurité sans nécessairement affecter la défense du territoire.

Commentant la prise en compte, dans le traité d'Amsterdam, des missions dites de Petersberg, M. Jean-Marie Guéhenno a jugé positive cette tentative de créer un espace d'action pour l'UEO, tout en faisant observer qu'une telle évolution intervenait à un moment où l'OTAN avait conforté sa position en matière de sécurité. Il a également mentionné les dispositions du traité d'Amsterdam tendant à amorcer l'idée de défense des frontières extérieures de l'Union européenne et il a relevé que le traité d'Amsterdam s'abstenait d'évoquer la notion d'assistance entre Etats, dans le souci, a-t-il estimé, de ménager les relations avec les Etats-Unis. En définitive, M. Jean-Marie Guéhenno a observé que le traité d'Amsterdam maintient, en matière de sécurité et de défense, une relative ambition sans parvenir à apporter, néanmoins, une solution aux questions posées par la défense européenne.

M. Jean-Marie Guéhenno a alors abordé les dispositions du traité d'Amsterdam relatives à l'Union de l'Europe occidentale (UEO). Il a noté que le traité prenait acte de l'élargissement de l'UEO, qui comptait désormais 28 Etats, et de l'existence de statuts très diversifiés -membres de plein droit, Etats associés, associés partenaires. M. Jean-Marie Guéhenno a souligné les inconvénients résultant, sur un plan opérationnel, de cette situation, le Conseil de l'UEO s'apparentant plus, selon lui, à la logique d'une assemblée multilatérale -type Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)- qu'à celle du conseil d'administration d'un organisme opérationnel. Il a estimé que les réunions conjointes prévues entre l'UEO et l'Organisation du traité de l'Atlantique-Nord (OTAN), ainsi qu'entre l'UEO et l'Union européenne, tout en constituant un progrès, relevaient d'exercices plus formels qu'opérationnels.

S'efforçant ensuite de préciser les modestes perspectives d'évolution ouvertes par le traité d'Amsterdam et susceptibles de bénéficier à la défense européenne, M. Jean-Marie Guéhenno a commenté :

- l'intérêt "pédagogique" qui pourrait résulter, selon lui, pour les pays neutres appartenant à l'UEO, des missions dites de Petersberg ;

- le progrès -certes limité- que permettrait la possibilité, pour le Conseil, de statuer à la majorité qualifiée en matière de "stratégies communes" ;

- M. Jean-Marie Guéhenno a estimé que la composition du comité politique ayant pour mission de conduire la politique extérieure et de sécurité commune -et réunissant jusqu'ici les directeurs politiques- n'étant plus précisée par le traité d'Amsterdam, il existe une possibilité d'évolution vers un comité composé de représentants permanents. Selon lui, une telle transformation améliorerait le dialogue entre les Etats et les instances de Bruxelles, et elle serait un élément positif dans la perspective de la création d'une véritable politique extérieure et de sécurité commune.

En dehors de ces quelques perspectives, M. Jean-Marie Guéhenno a relevé que les questions fondamentales qui se posaient dans le domaine de la défense restaient sans solution, qu'il s'agisse des questions relatives aux industries d'armement, des difficultés liées aux relations avec l'OTAN, ou des interrogations suscitées par les évolutions institutionnelles européennes. Sur le premier point, M. Jean-Marie Guéhenno a constaté les intérêts très divergents des treize Etats membres du GAEO (groupe armement de l'Europe occidentale), en fonction de l'importance variable des industries nationales d'armement. Il a relevé l'absence de consensus européen sur le chapitre des relations avec l'OTAN, notant la réticence des Etats, en période de restrictions budgétaires, à multiplier les contributions à des organismes qui pourraient paraître, à certains égards, redondants. Sur le plan institutionnel, enfin, M. Jean-Marie Guéhenno a jugé souhaitable de privilégier, dans le domaine des industries d'armement, le cadre de l'OCCAR (organe conjoint de coopération en matière d'armement) de préférence à celui du GAEO, et de rendre plus souples les structures de l'OTAN en exploitant pleinement les possibilités offertes par les GFIM (groupements de forces interarmées multinationales).

M. Jean-Marie Guéhenno a conclu en estimant que les Européens ne parviendront à se rapprocher en matière de défense que par des actions concrètes. Rappelant les expériences que constituaient le Corps européen, Eurofor et Euromarfor, il a estimé que les questions de fond posées par la défense européenne ne connaîtraient une issue favorable que si des missions accomplies en commun par les Européens permettaient de faire évoluer les mentalités. Dans cet esprit, il a estimé que les missions de Petersberg pourraient contribuer à donner un contour concret à la défense européenne.

A l'issue de cet exposé, M. André Dulait, soulignant la consistance modeste des dispositions du traité d'Amsterdam, s'est interrogé sur les chances et les moyens de parvenir à une politique européenne d'armement forte et cohérente, compte tenu des divergences qui opposent, sur ce point, les Etats membres de l'Union européenne.

M. Christian de La Malène a relevé le paradoxe qui, selon lui, caractérisait l'Europe de la défense, condition de l'existence de l'Europe, alors même que l'Europe de la défense était subordonnée au progrès de la construction européenne. M. Christian de La Malène a également souhaité connaître les perspectives ouvertes par la création d'un "haut représentant" pour la PESC (Politique étrangère et de sécurité commune).

M. Pierre Biarnès, soulignant l'intérêt que présenterait l'émergence d'une véritable coopération européenne en matière d'armement, en raison notamment d'avantages substantiels à attendre en termes de coût des matériels produits en coopération, a jugé indispensable de dépasser les querelles d'ordre institutionnel pour aborder des volets plus concrets de la construction européenne. Il a en particulier souhaité connaître les solutions envisagées, à ce stade, à l'égard du remplacement des matériels d'armement d'origine soviétique des nouveaux membres de l'OTAN et des candidats à l'Union européenne.

M. Maurice Lombard a alors relevé l'inconsistance des projets actuels de défense européenne, faute d'adversaire désigné comme au temps de la guerre froide. Il a estimé que le souci de recourir à la protection américaine constituait un obstacle aux progrès de la défense européenne, dont les objectifs économiques paraissent aujourd'hui jouer un rôle plus important que les objectifs strictement militaires.

M. Jacques Habert a souhaité savoir comment l'OCCAR, organisme actuellement essentiellement technique, pourrait devenir le noyau dur de la future politique européenne en matière d'armement.

M. Xavier de Villepin, président, s'est enfin interrogé sur l'incidence, selon lui décisive, des récents essais nucléaires pakistanais et indiens sur l'ensemble des questions de défense actuellement en suspens dans le monde.

M. Jean-Marie Guéhenno a ensuite répondu aux questions des commissaires.

Il a tout d'abord estimé que les essais nucléaires indiens et pakistanais attestaient la permanence de menaces dans le monde de l'après-guerre froide, et qu'ils montraient la pertinence du maintien d'un effort de défense important, même si la défense n'apparaît plus aujourd'hui comme un "projet mobilisateur". Constituant une manifestation des conséquences de la montée en puissance de la Chine, les essais nucléaires indiens et pakistanais portent atteinte aux progrès accomplis dans le domaine de la lutte contre la prolifération, tout en faisant de celle-ci un aspect essentiel de la sécurité internationale à venir.

En ce qui concerne le développement, selon lui souhaitable, du rôle de l'OCCAR, M. Jean-Marie Guéhenno a estimé que cette organisation demeurerait un "arrangement technique", dénuée de véritable portée tant qu'elle ne manifesterait pas son autorité sur quelques projets essentiels pour l'édification d'une Europe des industries de défense.

Il a également relevé que le traité d'Amsterdam s'était abstenu de trancher sur le profil du Haut représentant pour la PESC, notant que le rayonnement de l'institution dépendrait du poids politique de cette personnalité. M. Jean-Marie Guéhenno a enfin souhaité que soient affectés à l'unité de planification, chargée de la mise en oeuvre de la politique étrangère et de sécurité commune, des personnels d'horizons suffisamment variés pour que cette instance contribue effectivement à l'émergence d'une culture européenne qui intègre la défense comme un élément positif de la politique européenne.

5. M. Ronny Abraham, membre du Conseil d'Etat : les dispositions du traité relatives aux libertés publiques et aux droits fondamentaux.

M. Ronny Abraham a d'abord rappelé que la prise en compte, par le droit communautaire, des questions relatives aux libertés publiques et aux droits fondamentaux relevait de quatre catégories de normes juridiques qui avaient entre elles diverses interactions : le droit communautaire écrit (les traités originels) ; le droit communautaire non écrit constitué des principes généraux du droit communautaire contenus dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes(CJCE) ; les principes constitutionnels de chaque Etat membre ; enfin la convention européenne des droits de l'homme à laquelle sont parties les 15 Etats de l'Union et d'autres Etats non membres.

M. Ronny Abraham a présenté comme une lacune l'absence, dans les traités fondateurs, de "préambule" relatif à la protection des droits fondamentaux et des libertés publiques. Les institutions communautaires ne sont, de ce fait, pas astreintes, juridiquement, au respect de ces droits alors même que leurs capacités normatives se sont notablement étendues. C'est en réaction à cette lacune juridique que la CJCE a progressivement élaboré, à travers sa jurisprudence, les principes généraux du droit communautaire dont la valeur juridique est équivalente à celle des traités. Ainsi retrouve-t-on, depuis le début des années 1970, dans les principes généraux du droit communautaire de la CJCE, les grands principes protecteurs contenus dans les constitutions nationales. Ils reposent sur les traditions constitutionnelles communes et sur les instruments internationaux pertinents, à commencer par la convention européenne des droits de l'homme. Ces normes jurisprudentielles, qui s'imposent aux institutions communautaires comme aux Etats membres, ont d'ailleurs été consacrées par les traités européens à l'occasion de leurs aménagements successifs, notamment dans le cadre de l'Acte unique européen et du traité de Maastricht.

Au début des années 1980, a précisé M. Ronny Abraham, l'idée est née d'une adhésion de l'Union européenne, en tant que telle, à la convention européenne des droits de l'homme, afin de clarifier l'applicabilité des normes qu'elle édicte au droit communautaire dérivé. Cette adhésion se heurte à certaines difficultés d'ordre technique -l'adhésion d'une organisation internationale non étatique n'est pas prévue par la convention elle-même- et d'ordre juridique. Ainsi la CJCE a-t-elle estimé, dans un avis du 28 mars 1996, qu'une telle adhésion nécessiterait une révision préalable des traités européens et remettrait en cause les équilibres fondamentaux du système juridique européen. Surtout, la CJCE, a estimé M. Ronny Abraham, n'entendait pas se soumettre ainsi à une tutelle juridique de la Cour européenne des droits de l'homme.

Sur ce point, a indiqué M. Ronny Abraham, le traité d'Amsterdam, qui aurait pu être l'occasion de préparer cette adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'homme, n'a pas apporté d'élément nouveau. Il traduit ainsi le refus implicite des Etats membres de toute adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'homme.

Cette non-adhésion présente -a estimé M. Ronny Abraham- plusieurs inconvénients : en premier lieu, elle ouvre la voie à d'éventuelles divergences de jurisprudence entre la CJCE d'une part et la Cour européenne des droits de l'homme d'autre part ; en deuxième lieu, ces divergences mêmes peuvent placer les Etats membres dans des situations juridiquement insolubles : quelle attitude adopter à l'égard d'une directive, considérée par la CJCE comme conforme aux principes généraux du droit communautaire mais dont l'application par un Etat serait condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme saisie par un ressortissant de cet Etat ?

Cela étant, a reconnu M. Ronny Abraham, le fait de reconnaître à la Cour européenne des droits de l'homme le "dernier mot" en matière de respect des libertés publiques et des droits fondamentaux risquerait d'affecter la sécurité juridique, compte tenu des délais induits par les recours successifs aux différentes instances judiciaires compétentes.

Le traité d'Amsterdam, a précisé M. Ronny Abraham, apporte toutefois en matière de droits fondamentaux et de libertés publiques un aspect positif avec la reconnaissance de deux droits nouveaux des citoyens opposables aux institutions communautaires : l'accès aux documents administratifs émanant de la Commission, du Conseil et du Parlement européen (modification de l'article 255 du traité de Rome) ; et la protection des citoyens contre le traitement automatisé d'informations individuelles (modification de l'article 298 du traité de Rome).

Par ailleurs, a relevé M. Ronny Abraham, le nouvel article 7, ajouté par le traité d'Amsterdam au traité sur l'Union européenne, permet au Conseil de sanctionner une violation grave et persistante d'un droit fondamental ou d'une liberté publique par un Etat membre. La procédure prévue se déroule en deux temps : le Conseil peut tout d'abord constater à l'unanimité (moins la voix de l'Etat concerné) la violation grave et persistante d'un droit fondamental ; il peut ensuite, à la majorité qualifiée, sanctionner l'Etat fautif, par exemple en décidant de suspendre l'exercice par cet Etat de son droit de vote.

M. Ronny Abraham a ensuite répondu aux questions posées par les membres de la commission.

A l'attention de M. Jacques Genton, M. Ronny Abraham a relevé le caractère partiel du transfert opéré dans le traité d'Amsterdam du troisième pilier -affaires intérieures et justice-, relevant de la coopération intergouvernementale, vers le premier pilier, relevant des compétences communautaires. Le premier pilier avait en effet été élargi aux questions de visas, d'asile et d'immigration, laissant de côté la coopération policière et judiciaire en matière pénale. M. Ronny Abraham a d'ailleurs fait observer que ce transfert conduirait la CJCE à examiner davantage d'affaires concernant la protection des droits fondamentaux et des libertés publiques et la compatibilité, en la matière, du droit communautaire dérivé avec les principes généraux du droit communautaire. Dans ce contexte, a estimé M. Ronny Abraham, la constitution d'un espace judiciaire européen demeurait une perspective dont on se rapprochait sans pouvoir jamais l'atteindre.

Répondant à M. Xavier de Villepin, président, M. Ronny Abraham a fait observer que les pouvoirs de la CJCE étaient déjà très importants et que le traité de Maastricht les avait renforcés en contraignant les Etats à exécuter ses jugements.

S'agissant enfin des questions préjudicielles relatives à l'interprétation des textes communautaires entre les juridictions suprêmes de chaque Etat d'une part, et la CJCE d'autre part, M. Ronny Abraham a précisé à M. Xavier de Villepin, président, qu'après une phase initiale de réticence de la Cour de cassation et surtout du Conseil d'Etat, ces deux juridictions faisaient désormais une correcte application des dispositions de l'article 177 du traité de Rome, permettant ainsi une coopération satisfaisante entre le juge national et le juge communautaire.

6. M. Dominique Moïsi, directeur adjoint de l'IFRI (Institut français des relations internationales), rédacteur en chef de la revue "Politique étrangère" : les perspectives de l'Union européenne

M. Dominique Moïsi a souhaité évoquer, au-delà des termes du traité d'Amsterdam, les trois défis majeurs -souveraineté, identité et espace géographique- que devait désormais relever l'Union européenne dans un contexte international où la logique de la mondialisation a succédé à la confrontation liée à la période de la guerre froide.

Abordant en premier lieu le défi de la souveraineté, M. Dominique Moïsi a estimé que les Etats acceptent plus facilement des transferts de souveraineté dans des domaines comme la monnaie, où leur marge de manoeuvre est déjà réduite, qu'en matière de sécurité où ils cherchent en revanche à sauvegarder leurs prérogatives. Ainsi, d'après le directeur adjoint de l'IFRI, l'Europe apparaît comme une construction hybride dotée d'une triple dimension : fédérale pour la monnaie, intergouvernementale pour la politique étrangère et la sécurité, régionale enfin, au regard des importantes responsabilités dévolues à l'échelon infranational.

M. Dominique Moïsi a ensuite observé que l'identité pouvait désormais revêtir différentes formes et que cette évolution pouvait, à bien des égards, heurter un pays comme la France, dont l'histoire politique était marquée par le jacobinisme.

Le directeur adjoint de l'IFRI a enfin évoqué la notion d'espace géographique pour relever que l'Europe n'est pas encore assurée de ses limites et que des incertitudes pesaient en particulier sur les relations entre l'Union européenne, d'une part, la Russie et la Turquie, d'autre part.

Selon M. Dominique Moïsi, le triple défi que doit relever l'Union européenne apparaît d'autant plus complexe que le processus de construction européenne, au-delà de la mise en oeuvre de relations pacifiques entre les Etats européens, ne s'est pas réellement vu assigner de nouveaux objectifs communs. Le couple franco-allemand lui-même, même s'il constitue encore un moteur indispensable pour la construction européenne, montre cependant ses limites compte tenu notamment des réactions divergentes des deux pays vis-à-vis de la mondialisation, plus considérée comme un risque par la France que par l'Allemagne.

Le directeur adjoint de l'IFRI a observé en conclusion que la construction européenne bénéficiait encore de l'appui de la majorité de l'opinion -même si ce soutien apparaissait tiède et incertain- mais qu'elle suscitait en revanche les critiques d'une minorité de plus en plus résolue et inquiète des menaces qui affectaient l'identité nationale.

Un débat s'est ensuite instauré avec les commissaires.

M. Jacques Genton, après avoir exprimé les réticences que lui inspirait une vision trop dogmatique de la souveraineté, s'est réjoui de la dynamique, sur le processus de construction européenne, provoquée par la mise en place de l'euro. M. Dominique Moïsi a souscrit à ces propos, tout en soulignant la dimension nostalgique qui s'attachait encore à la défense de la souveraineté.

M. Xavier de Villepin, président, a alors interrogé le directeur adjoint de l'IFRI sur les conséquences prévisibles des prochaines élections allemandes pour la construction européenne. M. Dominique Moïsi a estimé qu'une Allemagne profondément différente émergerait sans doute des prochaines échéances électorales outre-Rhin ; tandis que les responsables allemands actuels avaient connu la deuxième guerre mondiale et avaient tiré de cette expérience la volonté politique de faire l'Europe, les nouvelles générations, appelées bientôt à occuper les responsabilités politiques, se sentiraient moins obligées par les liens du passé. Toutefois, d'après M. Dominique Moïsi, le retour à une Allemagne bismarckienne n'est plus envisageable, compte tenu de la force du fédéralisme dans ce pays ; en définitive, dans l'hypothèse d'une alternance, le nouveau Chancelier pourrait se montrer tout à la fois, à l'instar de l'actuel Premier ministre britannique, soucieux de l'intérêt national et plus pragmatique.

M. Dominique Moïsi a enfin précisé à l'attention de M. Xavier de Villepin, président, qu'une réforme institutionnelle apparaissait indispensable compte tenu du risque de paralysie qui résultait du mode de fonctionnement actuel de l'Union ; à cet égard, M. Dominique Moïsi a estimé que les prochains élargissements, quand ils se concrétiseront, pourraient provoquer, à la suite des blocages qui ne manqueront pas de se produire, la réforme indispensable.

II. LE DÉBAT EN COMMISSION

Lors de sa séance du 17 juin 1998, la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport.

A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Michel Caldaguès a estimé que, lors de la Conférence intergouvernementale, la France avait défendu en matière institutionnelle des positions très ambitieuses et, à ses yeux, peu réalistes et qu'il ne fallait pas s'étonner, dans ces conditions, de l'échec enregistré sur ce point. Il a, par ailleurs, observé que seule la France attachait une importance aussi grande aux questions institutionnelles. En outre, il n'a pas jugé opportun que le Parlement adresse au Gouvernement un mandat impératif pour conduire des négociations dans le domaine de la réforme institutionnelle. M. Michel Caldaguès a ensuite estimé qu'il était inéluctable que chaque Etat membre soit représenté au sein de la Commission. S'il n'a pas contesté le principe d'une position plus positive vis-à-vis du Parlement européen, il a souhaité que cette attitude soit réciproque à l'égard des Parlements nationaux. Quant au couple franco-allemand, M. Michel Caldaguès a jugé qu'il devait retrouver son rôle moteur à condition de ne pas s'afficher d'une façon qui pouvait être parfois mal perçue par certains de nos partenaires.

M. Xavier de Villepin, président, a précisé que la France n'était pas seule à défendre la nécessité d'une réforme institutionnelle préalable à l'élargissement : la Belgique, l'Italie et, dans une certaine mesure, l'Allemagne, partageaient une telle position. A moins de se résigner à la dilution de la construction européenne sous la forme d'une vaste zone de libre-échange, la réforme institutionnelle apparaissait indispensable et, d'après M. Xavier de Villepin, président, il importait au Parlement de faire valoir cette exigence, soit par l'adoption d'une résolution, soit par le vote d'un article additionnel. S'agissant de la Commission, M. Xavier de Villepin, président, a estimé qu'il serait sans doute impossible qu'un Etat accepte de ne pas être représenté au sein de cette instance. Il a ensuite noté que le moteur franco-allemand serait incontestablement renforcé si le Royaume-Uni acceptait de s'y joindre. Il a enfin observé que la représentation française au Parlement européen souffrait d'un morcellement excessif et que ce fait réduisait notre influence, alors que des pays comme l'Allemagne ou l'Espagne avaient su mieux y faire entendre leurs voix.

M. Christian de La Malène a alors indiqué que l'autorisation éventuelle d'approuver la publication du présent rapport d'information ne saurait impliquer de sa part un accord sur des conclusions du rapporteur qu'il ne partageait pas. Il a constaté que le traité d'Amsterdam nous écartait d'une Europe politique au risque de nous enfermer dans une Europe économique. Il a par ailleurs manifesté ses réserves sur la communautarisation d'une partie du troisième pilier, alors même que l'Europe, dans le cadre des procédures communautaires, ne paraît pas encore prête à assumer de telles responsabilités. Il a enfin indiqué que, s'il convenait de montrer une plus grande ouverture sur les réformes institutionnelles, il regrettait le déficit démocratique dont souffraient actuellement les institutions communautaires. Il a souligné les excès de la technocratie et noté que les pouvoirs du Parlement européen s'étaient accrus mais que sa légitimité demeurait encore incertaine.

M. Xavier de Villepin, président, a souligné que le rapport d'information qu'il avait préparé avait seulement vocation à réunir des éléments d'analyse nécessaires pour donner au Sénat le temps de la réflexion sur un débat qu'il faudrait sans doute, le jour venu, conduire rapidement compte tenu des contraintes du calendrier parlementaire. Par ailleurs, d'après M. Xavier de Villepin, président, l'inefficacité des institutions, plus encore que l'absence de démocratie, constitue aujourd'hui un sujet de préoccupation. Il a enfin noté que les excès de la réglementation communautaire ne doivent pas faire oublier l'inflation législative dont souffre également l'organisation du travail parlementaire en France.

M. Jean Arthuis a alors jugé très opportun la publication d'un rapport d'information sur le traité d'Amsterdam. Il a aussi souhaité que s'ouvre le débat sur les moyens pour le Parlement d'inviter le Gouvernement à s'engager sur le terrain institutionnel, même si la question apparaît ici délicate dans la mesure où la politique étrangère constitue un "domaine réservé" de l'exécutif. Il a toutefois souligné que les questions européennes ne pouvaient plus désormais s'assimiler aux affaires étrangères. Il a rappelé qu'avec la mise en oeuvre de l'euro, les Etats avaient accepté de partager leur souveraineté monétaire mais qu'ils montraient encore des réticences pour accepter d'autres transferts de souveraineté. Toutefois, a ajouté M. Jean Arthuis, il convenait de ne pas s'illusionner sur les marges de manoeuvre dont disposent réellement les Etats en matière fiscale, budgétaire ou sociale. Il a regretté que la montée en puissance d'un pôle monétaire n'ait pas, pour l'heure, de contrepartie sur le plan politique. Il a, à cet égard, estimé que le Sénat jouait un rôle pleinement conforme à sa vocation lorsqu'il réfléchissait aux éléments d'une réforme institutionnelle et qu'il s'interrogeait sur les moyens les plus efficaces pour inciter le Gouvernement à combler le déficit démocratique et politique dont souffrait l'Europe. Il a en outre observé qu'en l'absence de concertation, les Quinze pourraient être entraînés dans une forme de "désarmement" douanier et fiscal et que ce risque plaçait au premier plan la nécessité d'un débat sur une Europe politique.

Puis M. Jacques Genton a estimé que la publication d'un rapport d'information de la commission sur le traité d'Amsterdam apparaissait aujourd'hui particulièrement opportun et utile. Il a ensuite souligné que l'extension des pouvoirs du Parlement européen ne correspondait pas à sa représentativité ; il a par ailleurs précisé que la représentation politique au sein de l'Assemblée de Strasbourg ne reposait pas d'abord sur des critères nationaux. Il a ajouté, s'agissant de la Commission, qu'il n'était, à ses yeux, guère concevable de réduire le nombre des commissaires en deçà du nombre des Etats membres ; il a précisé en revanche que les compétences de cette institution devraient être mieux définies et regretté à cet égard que bien des sujets soient actuellement traités indirectement au niveau de l'administration communautaire. M. Jacques Genton a ensuite déploré que le Conseil des ministres ne puisse réellement jouer le rôle que lui assignent les traités faute de disposer du temps nécessaire pour examiner, avec l'attention suffisante, les dossiers qui lui sont soumis ; la préparation du Conseil européen s'organise aussi -a-t-il estimé- dans des conditions difficiles. Il a enfin attiré l'attention sur le rôle des Parlements nationaux en citant l'exemple de l'influence exercée par le Bundesrat sur les positions allemandes défendues au sein des instances bruxelloises. Il a souhaité que le champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution française, qui permet actuellement au Parlement de voter des résolutions sur les propositions d'acte communautaire, puisse être élargi.

M. Xavier de Villepin, président, a alors rappelé la nécessité de mieux organiser la représentation française, actuellement trop dispersée, au sein du Parlement européen afin de donner plus de poids aux positions françaises dans une institution dont les pouvoirs se sont trouvé renforcés. Il a manifesté son accord avec les observations formulées par M. Jacques Genton sur l'action des "länder" auprès des institutions bruxelloises ainsi que sur les difficultés liées à l'organisation des travaux du Conseil.

Mme Danielle Bidard-Reydet a enfin estimé opportun de rendre public un rapport d'information sur un dossier aussi important et complexe, pour lequel tous les éclairages pouvaient se révéler utiles.

La commission a alors autorisé la publication du rapport d'information, présenté par M. Xavier de Villepin, président, relatif aux dispositions du traité d'Amsterdam.

ANNEXE n° 1 -
LA FRANCE SERA-T-ELLE LE DERNIER PAYS À RATIFIER LE TRAITÉ D'AMSTERDAM 25( * )?

Le traité d'Amsterdam a été ratifié par :

- L'Allemagne (dépôt des instruments de ratification au ministère des Affaires étrangères italien le 7 mai 1998),

- la Suède (dépôt des instruments de ratification le 15 mai 1998),

- le Royaume-Uni (dépôt des instruments de ratification le 15 juin 1998).

- La ratification du traité d'Amsterdam a été approuvée en Irlande par référendum le 22 mai dernier, par une majorité de 61,7 % des votants. Le Parlement irlandais doit désormais adopter une loi introduisant dans la législation interne les nouvelles dispositions du traité.

Elle a également été approuvée par 55,1 % des suffrages exprimés au Danemark , lors du référendum du 28 mai dernier.

- La procédure parlementaire est achevée en Italie . Ne restent que les étapes purement formelles de la ratification (signature de la loi de ratification, dépôt des instruments de ratification).

Les données suivantes présentent la situation des quatorze partenaires de la France au regard de la procédure de ratification à la date du 15 juin 1998.

ETATS MEMBRES

PERSPECTIVES DE RATIFICATION DU TRAITÉ D'AMSTERDAM

ALLEMAGNE

Date d'achèvement de la procédure : 7 mai 1998

La procédure parlementaire est achevée
:

Le Bundesrat s'est prononcé sur le projet de loi de ratification en première lecture le 28 novembre 1997.

3 décembre 1997 : première lecture au Bundestag

5 mars : en deuxième lecture, le Bundestag s'est prononcé à une large majorité pour la ratification du traité d'Amsterdam.

Le Bundesrat a approuvé le projet de loi de ratification le 27 mars 1998.

L'Allemagne a déposé ses instruments de ratification le 7 mai dernier.

COMMENTAIRES :

Le ministère des Affaires étrangères allemand considère que le gouvernement a engrangé les dividendes de la participation qu'il a offerte aux Länder et aux parlementaires au long de la CIG. En bonne logique, les uns et les autres ne pouvaient se déjuger en liant leur vote de ratification à la satisfaction de nouvelles demandes relatives au texte du traité.

Toutefois, fidèles à une tactique inaugurée avec l'Acte unique européen, les Länder ont demandé, en "compensation", des transferts de souveraineté de la part du gouvernement fédéral. Le Bundesrat a ainsi demandé l'aménagement de la loi de coopération Bund-Länder de 1993, notamment pour que le gouvernement fédéral recueille son avis conforme avant de se prononcer sur les projets pris sur la base des décisions-cadres dans le troisième pilier. Le gouvernement fédéral a émis un avis négatif sur cette demande. Les décisions-cadres, selon lui, n'affectent les intérêts des Länder qu'à la marge et l'avis conforme du Bundesrat équivaudrait à un "droit de veto" qui va au delà du dispositif de l'article 23 de la loi fondamentale.

Bund et Länder vont mettre au point une procédure de coopération dans les domaines régis par l'instrument de la décision-cadre.

AUTRICHE

Date prévue d'achèvement de la procédure : mi juillet 1998

Procédure parlementaire :


Un projet de loi constitutionnelle par lequel le Parlement est appelé à autoriser l'adhésion au traité d'Amsterdam a été adopté en Conseil des ministres le 15 avril.

Ce texte doit être adopté par une majorité des 2/3 de la Chambre des députés et du Conseil fédéral. Il a été transmis au Parlement et a été adopté par la Chambre des députés et le Conseil fédéral dans le courant du mois de mai.

Ensuite, le gouvernement devrait déposer un deuxième projet de loi par lequel le Parlement "approuve" le traité. La Chambre des députés devrait se prononcer sur ce dernier entre le 7 et le 9 juillet. En même temps, elle devrait adopter la modification de l'article 23 F de la Constitution relatif à la participation de l'Autriche à la PESC.

Lorsque la Chambre des députés aura adopté ces lois, le Conseil fédéral sera appelé à les entériner mi-juillet.

Dans ces conditions, les autorités autrichiennes espèrent pouvoir déposer l'instrument de ratification à l'été, à la condition que la Chambre des députés se soit prononcée avant la fin de la session ordinaire, qui ne peut s'étendre au-delà du 15 juillet.

COMMENTAIRES :

Le projet de loi constitutionnelle a été déposé avec près de deux mois de retard à cause de la discussion qui s'est engagée sur la modification d'une disposition constitutionnelle relative à la PESC.

BELGIQUE

Date prévue d'achèvement de la procédure : fin de l'année 1998.

Procédure parlementaire assez longue
car chacune des sept assemblées parlementaires belges doit donner son assentiment (Parlement fédéral, Parlements communautaires et régionaux).

Le projet de loi de ratification a été approuvé par le Conseil des ministres le 17 décembre.

Pour gagner du temps, il a été communiqué simultanément à toutes les assemblées fédérales, communautaires et régionales concernées.

Le texte doit maintenant être examiné par le comité d'avis chargé des questions européennes du Parlement fédéral et en commissions.

Il devrait être examiné en plénière à l'automne.

COMMENTAIRES :

Le gouvernement belge ne s'attend pas à des débats trop difficiles, estimant avoir bien préparé l'opinion publique et les parlementaires.

DANEMARK

Date prévue d'achèvement de la procédure : juin 1998

 

Procédure parlementaire et référendum, le 28 mai 1998

 

Un projet de loi de ratification a été présenté au Folketing le 7 octobre 1997. Ce texte a donné lieu à une première lecture le 21 octobre.

Le projet de loi de ratification a été adopté sans débat le 7 mai.

Mais la véritable étape de la procédure était le référendum du 28 mai par lequel la ratification du traité d'Amsterdam a été approuvé par 55,1 % des suffrages exprimés.

ESPAGNE

Date prévue d'achèvement de la procédure : fin du deuxième semestre 1998.

Procédure parlementaire :

Le gouvernement doit présenter au Parlement un projet de loi organique qui, pour être adopté, doit recueillir la majorité absolue des voix au congrès des députés.

On peut s'attendre à une adoption du projet de loi en octobre ou novembre 1998.

COMMENTAIRES :

Bien que le gouvernement ne s'attende pas à des difficultés juridiques ou politiques, il ne souhaite pas accélérer la procédure pour éviter une trop grande interférence avec la procédure de mise en place de l'euro et suivre l'évolution de ce dossier chez ses partenaires de l'Union européenne.

- Seule la coalition de la gauche unie, dominée par le parti communiste, a exprimé certaines réserves sur le nouveau traité mais elle ne représente que 19 députés sur 350. Il convient de noter qu'une saisine du tribunal constitutionnel ne peut être demandée du côté parlementaire que par un minimum de 50 députés.

FINLANDE

Date prévue d'achèvement de la procédure : juin 1998.

Procédure parlementaire
.

Le gouvernement finlandais a déposé le projet de loi de ratification devant le Parlement.

Le Parlement finlandais a approuvé le 15 juin par 110 voix contre 4 le traité d'Amsterdam.

La ratification sera effective après promulgation par le Président de la République dans les jours qui suivront.

GRECE

Date prévue d'achèvement de la procédure : Le gouvernement n'a pas encore fixé la date d'examen du texte du traité par le parlement hellénique.

Procédure parlementaire : loi d'approbation votée par la Chambre unique du parlement hellénique.

COMMENTAIRES :

Hormis le Parti communiste grec, aucune force politique représentée au parlement n'est hostile au traité d'Amsterdam.

IRLANDE

Date prévue d'achèvement de la procédure : automne 1998

Procédure : référendum le 22 mai 1998


Le référendum sur la ratification du traité d'Amsterdam s'est tenu le 22 mai dernier. Les Irlandais ont voté à 61,74 % en faveur de la ratification du traité d'Amsterdam (contre 38,3 %). Le taux de participation a été de 56,2 %.

Le Parlement doit désormais adopter une loi introduisant dans la législation interne les nouvelles dispositions du traité. Ce texte devrait être voté sans difficulté majeure par le Parlement.

La procédure de ratification pourrait donc être achevée à l'automne 1998.

ITALIE

Date prévue d'achèvement de la procédure : juin 1998

Procédure parlementaire


Le projet de loi de ratification a été approuvé par le Conseil des ministres le 16 janvier 1998.

Il a été adopté par la Chambre des députés en première lecture le 26 mars, à une très large majorité.

Le Sénat a adopté le projet de loi de ratification le 3 juin.

COMMENTAIRES :

La Chambre des députés a assorti son approbation du traité d'une déclaration par laquelle elle engage le gouvernement italien à répéter en toutes circonstances tant l'insatisfaction de l'Italie devant le compromis trouvé à Amsterdam que sa volonté de relancer le processus de définition d'un sujet politique européen fort, capable d'affronter les défis du prochain millénaire.

Le Sénat a assorti son vote favorable de deux motions : la première invite le gouvernement à agir pour que soit rouvert le processus de réforme des mécanismes et de la composition des institutions communautaires afin que, dans les temps prévus, soient accueillis les nouveaux Etats membres dans un cadre institutionnel à même de garantir l'efficacité de l'Union, et appelle à l'attribution d'un pouvoir de codécision constitutionnelle au Parlement européen en association avec les parlements nationaux. La seconde engage le gouvernement à oeuvrer pour un accroissement du poids politique de l'Union, en donnant un contenu et un rôle à la fonction de haut représentant pour la PESC.

LUXEMBOURG

Date prévue d'achèvement de la procédure : juillet 1998

Procédure parlementaire


Le projet de loi a été déposé le 2 décembre 1997 devant la Chambre des députés, chambre unique du Parlement. Il est actuellement examiné par la Commission des affaires étrangères de la Chambre des députés.

Le texte devrait être adopté sans difficulté, au début du mois de juillet.

PAYS-BAS

Date prévue d'achèvement du processus de ratification : septembre/octobre 1998

Procédure parlementaire :


Le Conseil d'Etat a rendu son avis courant janvier sur le projet de loi de ratification.

Ce texte a ensuit été transmis à la Chambre des députés.

Les députés n'ont pu voter la loi de ratification avant la dernière session de leur mandat, le 16 avril. Le débat à la Chambre des députés est donc reporté en septembre.

La loi sera ensuite soumise au Sénat qui ne peut que l'approuver en l'état ou la rejeter.

COMMENTAIRES :

Il ne devrait y avoir aucune difficulté à l'adoption par le parlement de la loi de ratification.

PORTUGAL

Date prévue d'achèvement de la procédure : deuxième semestre 1998

Procédure parlementaire


Le Conseil des ministres doit approuver une proposition de résolution relative au traité.

Ce texte est ransmis pour approbation à l'Assemblée de la République.

Une fois adopté, il est transmis au Président de la République qui l'approuve, puis au Premier ministre qui le signe. Après sa publication au Journal Officiel, un document ("charte") de ratification doit être signé par le Président de la République.

COMMENTAIRES :

Un référendum sur la politique européene suivie par le gouvernement portugais, notamment à la lumière du traité d'Amsterdam, devrait avoir lieu au deuxième semestre 1998.

ROYAUME-UNI

Date d'achèvement de la procédure : 15 juin 1998

Procédure parlementaire


Le processus a débuté le 30 octobre 1997 devant le parlement britannique avec la publication du projet de loi ("first reading").

Débat général ("second reading") à la Chambre des Communes, le 12 novembre.

Le projet de loi a été adopté en deuxième lecture par les députés ce même jour, par 392 voix pour et 162 contre.

Après examen en commission, la troisième lecture ("third reading") a commencé aux Communes et s'est achevée par un vote sur la ratification du traité le 9 juin.

Le projet de loi de ratification a été approuvé par la Chambre des Lords le 11 juin.

Les instruments de ratification ont été déposés à Rome lundi 15 juin 1998.

SUEDE

Date d'achèvement de la procédure : 15 mai 1998

Procédure parlementaire achevée


Le projet de loi de ratification a été déposé au parlement le 17 février.

Le débat au parlement s'est achevé le 29 avril par l'approbation, à une large majorité, du projet de loi de ratification du traité d'Amsterdam;

Les instruments de ratification ont été déposés à Rome le 15 mai 1998.

ANNEXE n° 2 -
EXTRAITS DE LA DÉCISION n° 97-394 DC DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL RELATIVE AU TRAITÉ D'AMSTERDAM

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 4 décembre 1997, par le Président de la République et le Premier ministre, conformément à l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si, compte tenu des engagements souscrits par la France et des modalités de leur entrée en vigueur, l'autorisation de ratifier le traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les communautés européennes et certains actes connexes, signé le 22 octobre 1997, doit être précédée d'une révision de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel

[Visas]

SUR LES NORMES DE RÉFÉRENCE APPLICABLES :

1. Considérant que le peuple français a, par le préambule de la Constitution de 1958, proclamé solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946" ;

2. Considérant que, dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce que "le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation" ; que l'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier alinéa, que "la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum" ;

3. Considérant que le préambule de la Constitution de 1946 proclame, dans son quatorzième alinéa, que la République française se "conforme aux règles du droit public international" et, dans son quinzième alinéa, que "sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix" ;

4. Considérant que, dans son article 53, la Constitution de 1958 consacre, comme le faisait l'article 27 de la Constitution de 1946, l'existence de "traités ou accords relatifs à l'organisation internationale", que ces traités ou accords ne peuvent être ratifiés ou approuvés par le Président de la République qu'en vertu d'une loi ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 88-1, résultant de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 : "La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instaurées, d'exercer en commun certaines de leur compétences" ;

6. Considérant qu'il résulte de ces textes de valeur constitutionnelle que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure, sous réserve de réciprocité, des engagements internationaux en vue de participer à la création ou au développement d'une organisation internationale permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les Etats membres ;

7. Considérant, toutefois, qu'au cas où des engagements internationaux souscrits à cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle ;

8. Considérant que c'est au regard de ces principes qu'il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l'examen du traité signé à Amsterdam le 2 octobre 1997 ;

9. Considérant qu'aux termes de l'article 88-2, ajouté à la Constitution par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 : "Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'union économique et monétaire européenne ainsi qu'à la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres de la Communauté européenne" ; qu'il résulte de cette disposition qu'appellent une nouvelle révision constitutionnelle les clauses du traité d'Amsterdam qui opèrent, au profit de la Communauté européenne, des transferts de compétences qui mettent en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, soit que ces transferts interviennent dans un domaine autre que l'établissement de l'union économique et monétaire européenne ou que le franchissement des frontières extérieures communes, soit que ces clauses fixent d'autres modalités que celles prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992 pour l'exercice des compétences dont le transfert a été autorisé par l'article 88-2 précité ;

10. Considérant que l'article 2 du traité d'Amsterdam insère dans le traité instituant la Communauté européenne un titre III A intitulé : "Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes" ;

11. Considérant que, s'agissant de la libre circulation des personnes, le nouveau titre comprend un article 73 J qui autorise le Conseil, statuant conformément à la procédure prévue à l'article 73 O du même titre, à prendre, dans les cinq ans qui suivent l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, un certain nombre de mesures, qu'il énumère, relatives au franchissement des frontières intérieures et extérieures des Etats membres, ainsi qu'à la libre circulation des ressortissants des pays tiers sur leur territoire ;

12. Considérant que les mesures relatives au franchissement des frontières intérieures comprennent des "mesures visant, conformément à l'article 7 A, à assurer l'absence de tout contrôle des personnes, qu'il s'agisse de citoyens de l'Union ou de ressortissants des pays tiers, lorsqu'elles franchissent les frontières intérieures" ;

13. Considérant que les mesures relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres fixent "les normes et les modalités auxquelles doivent se conformer les Etats membres pour effectuer les contrôles des personnes aux frontières extérieures" et "les règles relatives aux visas pour les séjours prévus d'une durée maximale de trois mois" ; que ces dernières règles comprennent, notamment, "la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa ...", les "procédures et conditions de délivrance des visas par les Etats membres", la définition d'un "modèle type de visa", ainsi que les règles applicables "en matière de visa uniforme" ;

14. Considérant, enfin, que les mesures relatives à la circulation des ressortissants des pays tiers fixent les conditions dans lesquelles ces ressortissants peuvent circuler librement sur le territoire des Etats membres pendant une durée maximale de trois mois ;

15. Considérant que, s'agissant des politiques de l'asile et de l'immigration, le nouveau titre III A comprend en outre un article 73 K énonçant que le Conseil, statuant conformément à la procédure prévue à l'article 73 O, peut également prendre, dans les cinq ans qui suivent l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, un certain nombre de mesures relatives à l'asile, aux réfugiés et à l'immigration ;

16. Considérant que les mesures relatives à l'asile portent sur les "critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers", sur les "normes minimales régissant l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres", sur les "normes minimales concernant les conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers pour pouvoir prétendre au statut de réfugié" ou encore sur les "normes minimales concernant la procédure d'octroi ou de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres" ;

17. Considérant que les mesures relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées auront trait aux "normes minimales relatives à l'octroi d'une protection temporaire" de ces personnes et aux "mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres" pour les accueillir et "supporter les conséquences de cet accueil" ;

18. Considérant que les mesures relatives à la politique d'immigration porteront sur "les conditions d'entrée et de séjour", sur les "normes concernant les procédures de délivrance par les Etats membres de visas et de titres de séjour de longue durée, y compris aux fins de regroupement familial", ainsi que sur "l'immigration clandestine" et le "séjour irrégulier, y compris le rapatriement des personnes en séjour irrégulier" ;

19. Considérant, enfin, que sont également envisagées "des mesures définissant les droits des ressortissants des pays tiers en situation régulière de séjour dans un Etat membre de séjourner dans les autres Etats membres et les conditions dans lesquelles ils peuvent le faire" ; qu'il est par ailleurs précisé à l'avant-dernier alinéa de l'article 73 K que les mesures adoptées par le Conseil en matière d'immigration et de droit de séjour dans les Etats membres "n'empêchent pas un Etat membre de maintenir ou d'introduire, dans les domaines concernés, des dispositions nationales compatibles avec le présent traité et avec les accords internationaux" ;

20. Considérant que l'article 73 O prévoit les modalités d'adoption, par le Conseil, des décisions qui font l'objet du titre III A ; qu'il est stipulé, en son premier paragraphe, que "pendant une période transitoire de cinq ans après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, le Conseil statue à l'unanimité sur proposition de la Commission ou à l'initiative d'un Etat membre et après consultation du Parlement européen" ; qu'il est ajouté, au deuxième paragraphe, qu'"après cette période de cinq ans, le Conseil statue sur des propositions de la Commission", celle-ci étant toutefois tenue d'examiner "toute demande d'un Etat membre visant à ce qu'elle soumette une proposition au Conseil", et que "le Conseil, statuant à l'unanimité après consultation du Parlement européen, prend une décision en vue de rendre la procédure visée à l'article 189 B applicable à tous les domaines couverts par le présent titre ou à certains d'entre eux et d'adapter les dispositions relatives à la compétence de la Cour de justice" ; qu'il est précisé, au troisième paragraphe, que, par dérogation aux règles prévues aux deux premiers, les règles relatives à la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa de court séjour et concernant le modèle type de visa seront, dès l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, "arrêtées par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen" ; qu'il est enfin prévu au quatrième paragraphe que, par dérogation au deuxième, les mesures concernant les procédures et conditions de délivrance de ces mêmes visas, ainsi que les règles en matière de visa uniforme, seront, au terme d'une période de cinq ans suivant l'entrée en vigueur du traité, "arrêtées par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 189 B" ;

En ce qui concerne les mesures relatives à l'asile, à l'immigration et au franchissement des frontières intérieures des Etats membres :

21. Considérant que les premier et troisième paragraphes de l'article 73 J et l'article 73 K prévoient, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, des transferts de compétences au profit de la Communauté dans les domaines de l'asile, de l'immigration et du franchissement des frontières intérieures qui intéressent l'exercice de la souveraineté nationale et n'entrent pas dans le champ de l'habilitation prévue par l'article 88-2 de la Constitution ;

22. Considérant, il est vrai, que, s'agissant de domaines ne relevant pas de la compétence exclusive de la Communauté, le respect du principe de subsidiarité, énoncé par l'article 3 B du traité instituant la Communauté européenne et dont les conditions de mise en oeuvre sont précisées par un protocole annexé au traité d'Amsterdam, implique que la Communauté n'intervient que si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres ; que, toutefois, la seule mise en oeuvre de ce principe pourrait ne pas faire obstacle à ce que les transferts de compétence autorisés par le traité soumis à l'examen du Conseil constitutionnel revêtent une ampleur et interviennent selon des modalités telles que puissent être affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

23. Considérant que les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ne seront pas affectées pendant la période transitoire de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du traité, au cours de laquelle, en application du premier paragraphe de l'article 73 O, les décisions du Conseil seront prises à l'unanimité et où les Etats membres conserveront le pouvoir d'initiative ;

24. Considérant, en revanche, qu'au terme de cette période transitoire, en vertu du deuxième paragraphe de l'article 73 O, le Conseil statue sur proposition de la seule Commission, les Etats membres perdant ainsi le pouvoir d'initiative ; que, surtout, sur simple décision du Conseil prise à l'unanimité, l'ensemble des mesures intervenant dans les domaines précités, ou certaines d'entre elles, pourront être prises à la majorité qualifiée selon la procédure dite de "codécision" prévue par l'article 189 B du traité instituant la Communauté européenne ; qu'un tel passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée et à la procédure de "codécision" ne nécessitera, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale, et ne pourra ainsi pas faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 ou de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution ;

25. Considérant que, dans ces conditions, et nonobstant les dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article 73 K, l'application des dispositions du deuxième paragraphe de l'article 73 O pourrait conduire à ce que se trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

26. Considérant qu'il suit de là que doivent être déclarées contraires à la Constitution les dispositions du deuxième paragraphe de l'article 73 O, ajouté au traité instituant la Communauté européenne par l'article 2 du traité d'Amsterdam, en tant qu'elles s'appliquent aux mesures prévues par les premier et troisième paragraphe de l'article 73 J et par l'article 73 K du traité instituant la Communauté européenne ;

En ce qui concerne les mesures relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres :

27. Considérant que, dans sa décision du 2 septembre 1992, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution, et notamment à son article 88-2, les stipulations de l'article 100 C du traité instituant la Communauté européenne relatives à la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à obligation de visa et relatives à l'instauration d'un modèle type de visa ; que l'autorité qui s'attache à la chose jugée par le Conseil constitutionnel s'oppose à ce que soient remises en cause les dispositions du troisième paragraphe de l'article 73 O qui se bornent à reprendre les règles de décision prévues par l'article 100 C précité ;

28. Considérant, en revanche, que le passage automatique à la règle de la majorité qualifiée et à la procédure de "codécision", au terme d'une période de cinq ans après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, pour la détermination des procédures et conditions de délivrance des visas de court séjour par les Etats membres et des règles applicables en matière de visa uniforme, prévu par le quatrième paragraphe de l'article 73 O, constitue, au regard du traité sur l'Union européenne, une modalité nouvelle de transfert de compétences dans des domaines où est en cause la souveraineté nationale ; que le passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée et à la procédure de "codécision", dans de telles matières, pourrait conduire à ce que se trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

29. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le quatrième paragraphe de l'article 73 O, ajouté au traité instituant la Communauté européenne par l'article 2 du traité d'Amsterdam, doit être déclaré contraire à la Constitution ;

30. Considérant, enfin, que le passage à la majorité qualifiée et à la procédure de "codécision", sur simple décision du Conseil, selon la procédure prévue au deuxième paragraphe de l'article 73 O, s'agissant des mesures visées au a) du deuxième paragraphe de l'article 73 J, qui fixent les "normes et modalités auxquelles doivent se conformer les Etats membres pour effectuer les contrôles des personnes aux frontières extérieures", porte atteinte, pour les motifs ci-dessus énoncés, aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ; qu'il y a lieu, dès lors, de déclarer contraires à la Constitution les dispositions du deuxième paragraphe de l'article 73 O en tant qu'elles s'appliquent aux mesures prévues par le a) du deuxième paragraphe de l'article 73 J ;

- SUR L'ENSEMBLE DE L'ENGAGEMENT INTERNATIONAL SOUMIS A L'EXAMEN DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL :

31. Considérant qu'aucune des autres dispositions de l'engagement international soumis au Conseil constitutionnel au titre de l'article 54 de la Constitution n'est contraire à celle-ci ;

Considérant que, pour les motifs ci-dessus énoncés, l'autorisation de ratifier, en vertu d'une loi, le traité d'Amsterdam exige une révision de la Constitution ;

D E C I D E :

Article premier. - L'autorisation de ratifier en vertu d'une loi le traité d'Amsterdam ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution.

Article 2. - La présente décision sera notifiée au Président de la République, ainsi qu'au Premier ministre, et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 décembre 1997, où siégeaient : MM. Roland DUMAS, Président, Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean CABANNES, Maurice FAURE, Yves GUENA, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR et M. Jacques ROBERT.



1 Le compromis adopté le 27 mars 1994 à Ioannina en Grèce par une réunion informelle des ministres des Affaires étrangères, tend à figer la pondération des voix au Conseil selon le schéma préexistant à l'élargissement : il prévoit en effet que si des membres du Conseil représentant entre 23 (ancien seuil de la minorité de blocage) et 26 voix (nouveau seuil de la minorité de blocage) indiquent leur intention de s'opposer à la prise d'une décision par le Conseil à la majorité qualifiée, le Conseil fera tout ce qui est dans son pouvoir pour aboutir, dans un délai raisonnable, à une solution satisfaisante qui puisse être adoptée par 65 voix sur 87 au moins.

2 La durée du mandat de la Commission a été portée de 4 à 5 ans par le traité de Maastricht.

3 Pierre Fauchon, Le Sénat face au traité d'Amsterdam, rapport du Sénat n° 432, 1997-1998.

4 L'article 205 fixe la pondération des voix suivante : 10 voix pour l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie, 8 voix pour l'Espagne, 5 voix pour les Pays-Bas, la Grèce, la Belgique et le Portugal, 4 voix pour la Suède et l'Autriche, 3 voix pour le Danemark, la Finlance et l'Irlande, 2 voix pour le Luxembourg Pour qu'une délibération soit acquise, il faut qu'elle ait rassemblé au moins 62 voix soit 70 %. L'association de deux "grands" Etats à deux "petits" Etats suffit pour empêcher l'adoption d'une décision en atteignant la minorité dite de blocage calculée à 26 voix..

5 Le compromis faisait droit, de fait, à la position française selon laquelle lorsqu'un intérêt national très important est en cause, les discussions doivent se poursuivre jusquau moment où l'on parvient à un accord unanime.

6 Une telle clause ne s'avère sans doute pas nécessaire si l'on en juge par le précédent du retrait de la Grèce du régime des colonels du Conseil de l'Europe avant même que cette institution n'ait conduit à son terme la procédure de sanction destinée à suspendre le droit de représentation de la Grèce au Conseil.

7 Arrêts Kalandi du 17 octobre 1995 et Marchall du 11 novembre 1997

8 Arrêt du 21 mars 1974, BRTC/SABAM

9 Arrêt du 27 avril 1994, commune d'Almeno

10 Un comité quelque peu comparable -formé des représentants des ministères des affaires sociales et de l'emploi- assiste déjà le Conseil dans sa formation des ministres chargés de ce secteur, sous l'autorité du COREPER.

11 Xavier de Villepin, Une politique étrangère commune pour l'Union européenne, rapport Sénat n° 394, 1995-1996.

12 "Charte de Paris pour une nouvelle Europe" signée lors du Sommet de la CSCE qui s'est déroulé à Paris du 19 au 21 novembre 1990.

13 Allemagne, Italie, Espagne, Belgique et Luxembourg

14 Maurice Ligot, La révision des traités européens après Amsterdam, rapport d'information de l'Assemblée nationale n° 39.

15 Les agents "nationaux" devant être recrutés en tenant compte de leur expérience dans la diplomatie.

16 Le secrétaire général actuel, M. Trumpf, a été nommé en septembre 1994 pour une durée de cinq ans.

17 "Protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne".

18 Une déclaration (n° 49) prévoit la reconduction jusqu'au premier élargissement du compromis de Ioannina -prévu pourtant pour ne fonctionner que jusqu'à la CIG de 1996 censé précisément résoudre la question posée par la repondération. D'ici là, comme l'indique également la déclaration, une solution sera trouvée pour le cas particulier de l'Espagne. En effet, lors du Conseil européen d'Amsterdam, le Premier ministre espagnol, M. Aznar, a rappelé que l'Espagne s'était résignée, au moment de son adhésion, à disposer d'un nombre de voix inférieur à celui des autres "grands" Etats à la seule condition de désigner deux commissaires. Aussi, au moment où les "grands" Etats pourraient renoncer au deuxième commissaire, l'Espagne souhaite-t-elle un réexamen de son poids au sein du Conseil.

19 Une modification de l'article 148 § 2 dans le cadre de la procédure de révision du traité de l'Union européenne (art. 48).

20 Voir l'annexe du rapport "La France sera-t-elle le dernier Etat membre de l'Union européenne à ratifier le traité d'Amsterdam" ?

21 Pierre Fauchon - Le Sénat face au traité d'Amsterdam. Rapport du Sénat n° 432, 1997-1998.

22 Document élaboré par M. Laurent Cohen-Tanugi.

23 L'unité formée par le traité CE et les protocoles qui y sont annexés a d'ailleurs été confirmée en France par la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1992, relative à la constitutionnalité du traité de Maastricht. Le juge constitutionnel français a énoncé dans sa décision les articles du traité de Maastricht concernant la politique monétaire qu'il jugeait contraires à la Constitution, mais il a également déclaré inconstitutionnelles "les autres dispositions des chapitres II, III et IV du Titre VI ajouté au traité instituant la Communauté européenne ainsi que celles des protocoles n° 3 et 10, dans la mesure où elles sont indissociables des articles précités " (considérant 45). Le Conseil constitutionnel a reconnu la complémentarité et la cohérence qui existent entre le traité et les protocoles qui y sont annexés. Ainsi, les dispositions juridiques relatives à la troisième phase de l'Union économique et monétaire formant un tout indissociable, "le Conseil constitutionnel a eu recours au concept d'inséparabilité appliqué au sein même d'un engagement international", étendant la solution applicable au contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux prévu à l'article 54 (Décision n° 92-308 DC, JORF du 11 avril 1992, p. 5354).

24 La France aurait pu obtenir une réserve analogue à celle accordée au Royaume-Uni et au Danemark concernant les dispositions sur l'Union économique et monétaire ; elle s'est bornée à une Déclaration. Voir aussi, à propos des réserves, les articles 19 à 23 de la Convention de Vienne.

25 Eléments d'information communiqués par le ministère des Affaires étrangères.

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