B. LE CRITÈRE D'OPPORTUNITÉ

Le droit français donne au magistrat du Parquet le pouvoir de classer une procédure sans suite alors même que l'infraction existe et que son auteur est connu afin de lui permettre d'adapter sa décision aux situations au cas par cas.

Dans son discours de rentrée de janvier 1998 au Tribunal de grande instance de Colmar, le procureur de la République, M. René Pech , a distingué trois grands types de raisons.

a) Le classement lié à l'attitude de la victime

La victime a pu, par son propre comportement fautif, contribuer à la réalisation de l'infraction. C'est le cas du piéton qui traverse hors du passage protégé et qu'un automobiliste renverse.

La victime peut également retirer la plainte qu'elle a déposée, manifestant ainsi clairement son intention de ne voir aucune poursuite engagée contre l'auteur de l'infraction.

La plainte est également classée lorsque la victime se désintéresse de l'affaire : par exemple, si la police demande à la victime certaines précisions sur les circonstances de l'infraction et que celle-ci s'abstient délibérément de les faire connaître.

L'infraction n'est pas poursuivie lorsque la victime dépose plainte dans un but autre que répressif. C'est le cas lorsqu'un des époux en instance de divorce dépose plainte pour faux témoignage pour se procurer des éléments en vue de voir prononcer le divorce aux torts de l'autre. Il s'agit en fait d'un détournement de procédure.

b) Le classement lié à l'attitude du délinquant

Le magistrat prend en compte la personnalité du délinquant. Ainsi, lorsque l'intéressé présente un mental déficient ou est mineur ou très âgé, le magistrat aura tendance à classer l'affaire.

De même, si l'auteur de l'infraction a spontanément, de lui-même, remboursé la victime, le magistrat ne poursuivra pas.

c) Le classement lié au caractère relativement minime du trouble de l'ordre public occasionné par l'infraction

Traditionnellement, les magistrats du Parquet ne prennent jamais l'initiative des poursuites en matière de diffamation et d'injures concernant les particuliers.

Il peut arriver que dans certaines situations, la répression serait plus nuisible à la paix sociale que l'impunité accordée au délinquant par le classement. Ainsi, en cas de coups et blessures entre époux, si les deux antagonistes se sont réconciliés, il peut être préférable de classer car une poursuite risquerait de cristalliser le différend et de l'envenimer.

Lors de son discours de rentrée judiciaire, le procureur général près la cour d'appel de Rouen, M. Christian Raysseguier , a estimé que les procédures classées en opportunité s'inscrivaient à peu près pour l'essentiel dans les cinq grandes catégories suivantes :

- vols à l'étalage pour un faible montant commis par un délinquant primaire ;

- infractions de faible gravité survenues dans le cadre familial ou dans un contexte de voisinage ;

- infractions mineures aux diverses réglementations administratives et qui sont régularisées ;

- infractions à la police des étrangers traitées sur un plan administratif ;

- usage occasionnel de cannabis.

Par ailleurs, il convient de distinguer entre l'opportunité donnée aux procureurs de poursuivre ou de classer les affaires et l'arbitraire.

Dans son discours à l'occasion de l'audience de rentrée en janvier 1998, M. Olivier Dropet , procureur général près la Cour d'appel de Colmar, précisait les limites qui encadrent le principe d'opportunité : " C ette faculté de classement accordée au procureur doit toutefois être utilisée avec réflexion et prudence et exige de sa part des références éthiques et morales lui évitant de tomber dans l'arbitraire ou la faiblesse, de donner libre cours à ses préjugés, voire même de se laisser emporter par la crainte ou l'amitié.

Il importe qu'en toute circonstance, le procureur de la République évite de donner le sentiment d'impunité au délinquant, le sentiment d'abandon à la victime et l'impression de laxisme à ses concitoyens
. "

En définitive, le pouvoir de classement des magistrats du Parquet tel qu'il est présenté dans les textes et décrit par les procureurs ne semble pas reposer sur des appréciations arbitraires de leur part, purement subjectives et personnelles, mais sur des données objectives. On pourrait donc en conclure que le classement sans suite constitue un pouvoir réaliste d'adaptation à certaines situations bien ciblées, utilisé de manière très marginale.

Pourtant, comme le fait remarquer le procureur général près la Cour d'appel de Colmar, M. Olivier Dropet , le sentiment prévaut qu' " insidieusement, lentement mais sûrement, l'exception, à savoir le classement sans suite pour opportunité, empiète sur la règle, c'est-à-dire l'exercice des poursuites pénales contre le délinquant.

En 1995, l'ensemble des Parquets de France a été destinataire de 2,2 millions de plaintes, dénonciations et procès-verbaux relatifs à des crimes, des délits et aux contraventions les plus graves et imputables à des personnes identifiées ; or, 1,450 million, soit 53% ont fait l'objet d'un classement sans suite, 553.000, soit un peu plus de 25% ont débouché sur un acte de poursuite, le surplus n'avait pas encore donné lieu à des orientations lorsque les statistiques ont été établies courant 1996. [...]

Certes, parmi ces classements, certains n'entrent pas dans nos préoccupations présentes car ils sont dus à l'inexistence de l'infraction dénoncée, à l'insuffisance des charges contre une personne déterminée ou à l'impossibilité procédurale d'engager des poursuites, mais une part importante, très importante, des classements décidés repose sur la notion d'inopportunité des poursuites et ce sont ceux-là qui posent problème car ils donnent l'impression que la Justice ne défend pas suffisamment l'intérêt général et l'ordre social, en un mot, qu'elle n'accomplit pas convenablement sa mission
. "

De telles remarques ont incité votre rapporteur à s'interroger sur la nature exacte du classement par opportunité. Ce type de classement sans suite apparaît cependant comme un phénomène difficile à cerner.

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