C. ANALYSE AU REGARD DES REGLES DE LA CONCURRENCE

1. L'application du droit de la concurrence au secteur de l'assurance

En dépit des spécificités de l'activité d'assurance, du fait notamment de l'incertitude qui existe sur le montant exact des sinistres couverts au titre des risques assurés, il n'est aujourd'hui plus discuté que les règles communautaires et nationales de la concurrence s'appliquent au secteur de l'assurance. Dans un arrêt du 27 janvier 1987 (affaire 45/85, Verband der Sachversicherer c/Commission), en particulier, la Cour de justice des Communautés européennes a expressément jugé que le régime communautaire de la concurrence, tel qu'il résulte principalement des articles 85 et 86 du Traité de Rome et du règlement d'application n° 17/62 du 6 février 1962, s'applique pleinement au secteur des assurances. La Commission de la concurrence puis le Conseil de la concurrence ont également, à plusieurs reprises, eu l'occasion de faire application des règles de la concurrence à des entreprises opérant dans ce secteur (notamment avis de la Commission de la concurrence des 10 mai 1979 - assurance incendie des risques industriels - et 16 décembre 1982 - assurance I.A.R.D. - ; décisions du Conseil de la concurrence n° s 87-D-26 du 7 juillet 1987 - assurance construction - et 94-D-40 du 28 juin 1994 - assurance liée à la pratique du ski).

Les directives européennes d'assurance excluent de leur champ d'application " les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale (1) " (article 2-1-d de la directive n° 73/239 du 24 juillet 1973 et article 2-4° de la directive n° 79/269 du 5 mars 1979). Les organismes chargés de la gestion de tels régimes n'appartiennent pas au secteur des assurances et ne sont pas soumis aux règles de la concurrence, comme l'a indiqué la Cour de justice des Communautés européennes dans l'arrêt Poucet et Pistre du 17 février 1993 (affaires C. 159/91 et C. 160/91). La Cour a en effet jugé que les organismes qui géraient des régimes obligatoires de sécurité sociale, fondés sur des principes de solidarité nationale et dans lesquels les prestations versées sont définies par la loi et indépendantes du montant des cotisations, n'exerçaient pas d'activité économique et n'étaient donc pas des entreprises au sens des articles 85 et suivants du Traité de Rome. Cette exclusion des organismes et régimes de sécurité sociale du champ d'application des directives d'assurance a été rappelée récemment par la Cour de justice des Communautés dans l'arrêt Garcia c/Mutuelle de prévoyance sociale d'Aquitaine du 26 mars 1996 (affaire C.238/94). Toutefois, la Cour a considéré que la Caisse nationale d'assurance vieillesse mutuelle agricole, chargée par le législateur français de la gestion d'un régime complémentaire facultatif d'assurance vieillesse des exploitants agricoles fonctionnant selon le principe de la capitalisation, exerçait une activité économique en dépit du caractère non lucratif du statut de cet organisme et était donc une entreprise soumise aux règles de la concurrence (arrêt F.F.S.A. et autres du 16 novembre 1995, affaire C.244/94).

Ces décisions mettent en lumière que ce qui distingue les organismes gérant des régimes de sécurité sociale des entreprises d'assurance, c'est la finalité sociale de leur activité et la mise en oeuvre d'une solidarité entre les personnes affiliées à ces organismes. Cette solidarité, se manifestant notamment dans les régimes d'assurance vieillesse par la prise en charge des pensions en cours par les travailleurs en activité (système de répartition) et dans les régimes d'assurance maladie par la garantie de prestations identiques pour tous les bénéficiaires " indépendamment de leur condition de fortune et de leur état de santé lors de l'affiliation " (arrêt Poucet et Pistre), implique nécessairement que cette affiliation soit rendue obligatoire par une décision des pouvoirs publics.

Toutes les entreprises effectuant des opérations d'assurance, quel que soit leur statut, sont donc soumises aux règles de la concurrence. Il en est ainsi notamment des mutuelles du code de la mutualité pour toutes leurs activités d'assurance qui ne sont pas liées à la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale. Les systèmes de prévoyance qu'elles proposent interviennent en complément des régimes légaux et n'ont pas de caractère obligatoire. Dans un arrêt récent du 21 octobre 1997 (Chambre syndicale des pharmaciens c/Société Mutualité de l'Anjou), la chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé que le régime juridique des mutuelles comme le caractère non lucratif de leur activité n'était pas de nature à les exclure du champ d'application de l'ordonnance du 1 er décembre 1986 dès lors qu'elles procèdent à des activités de production, de distribution et de services.

C'est essentiellement sur le terrain de la protection sociale complémentaire, et particulièrement sur le marché de l'assurance maladie complémentaire, que les mutuelles du code de la mutualité sont en concurrence avec les autres entreprises d'assurance.

Dans une décision n° 91-D-04 du 29 janvier 1991 relative à certaines pratiques de groupements d'opticiens et d'organismes fournissant des prestations complémentaires à l'assurance maladie, le Conseil de la concurrence a identifié un marché du remboursement complémentaire à l'assurance maladie sur lequel interviennent des opérateurs relevant de statuts et de régimes fiscaux différents.

L'article 1 er de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, modifié par la loi n° 94-678 du 8 août 1994, autorise trois catégories d'opérateurs à intervenir dans ce domaine : les entreprises régies par le code des assurances, les institutions de prévoyance relevant du code de la sécurité sociale ou du code rural et les mutuelles relevant du code de la mutualité.

Le marché de l'assurance maladie complémentaire représentait un volume d'affaires de 81 milliards de francs en 1996, soit 11,5 % du total des dépenses de santé. Ces dépenses, estimées à 705 milliards de francs sont financées à 73 % par la sécurité sociale (un des plus faibles taux en Europe), une part de l'ordre de 15 % restant à la charge des ménages ou de l'Etat.

Le marché de l'assurance maladie complémentaire a connu au cours des vingt dernières années un développement rapide, lié principalement à la diminution des taux de remboursement par la sécurité sociale. En 1994, 83 % de la population bénéficiait d'une couverture complémentaire maladie (49 % en 1970 et 69 % en 1980), obtenue soit par la souscription de contrats individuels, soit par le biais de la prévoyance collective des entreprises. Ce sont les mutuelles du code de la mutualité qui ont la part la plus importante de ce marché, de l'ordre de 60 %, suivies par les sociétés d'assurance (22 milliards de francs, soit 27 % du marché).