II. QUELLES POLITIQUES ?

Nous avons demandé à Mme Corinne Lepage, ancien ministre, d'ouvrir cet après-midi car elle a été à la source de notre réflexion. C'est à la suite du pacte de relance pour la ville qu'elle m'a demandé, en tant que rapporteur, d'aller plus loin dans l'analyse des contraintes qui pèsent sur l'agriculture périurbaine. Une question que Mme Corinne Lepage m'a posée était : quelles réponses donner aux demandes de création de parcs naturels régionaux dans des territoires périurbains qu'il fallait soit préserver, soit requalifier et, en même temps, comment gérer les franges urbaines comme un élément du maintien de l'espace rural et un élément de la politique de la ville. Les aléas de la vie publique ont fait que la Commission des Affaires économiques a souhaité poursuivre les travaux engagés. J'en profite pour remercier tous ceux qui ont été mes partenaires du départ, désignés par Mme Lepage. Nous en avons vu se succéder quelques-uns ce matin comme M. Christian Moreau ou M. Guy Poirier mais nous avions commencé initialement avec Mme Marie-Noëlle Séréni de la DATAR, administration qui n'est pas toujours hermétique à l'espace périurbain. Elle m'a considérablement aidé dans la première phase de ce rapport, sans oublier le directeur adjoint de l'époque du cabinet de Mme Corinne Lepage.

Avant-propos de Mme Corinne LEPAGE, ancien ministre

Merci Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs, un mot pour vous remercier de m'avoir demandé d'intervenir cet après-midi sur ce sujet dont vous avez fait un sujet important et je n'imaginais pas, le jour où je vous ai confié ce rapport, l'ampleur qu'il allait prendre.

Je voudrais très brièvement puisque vous me faites l'amitié de me demander d'ouvrir vos travaux de cet après-midi, vous dire un peu pourquoi il était utile que vous y réfléchissiez et combien je trouve intéressantes les propositions que vous avez faites.

Il me semblait que l'espace périurbain était en réalité un lieu conflictuel à bien des égards et que fidèle à une position qui m'est constante, que lorsqu'il y a des conflits il est préférable d'essayer de concilier les gens, de les mettre autour d'une table plutôt que de les opposer les uns aux autres. Je souhaitais qu'avec l'expérience qui est la vôtre de sénateur-maire de Rambouillet, dans un espace périurbain important pour la région parisienne, vous puissiez précisément analyser ces conflits et faire des propositions.

Je crois que les zones périurbaines, et vous en avez fait le constat ce matin, revêtent quatre caractéristiques qui me semblent essentielles sur le plan économique, politique, sociologique et environnemental.

- Economique : effectivement nous sommes en présence de zones qui sont encore souvent consacrées à l'agriculture dans des conditions difficiles avec des pressions foncières considérables et il est important d'aborder la question du foncier et avec en même temps des demandes de la part soit de ce que l'on appelle les " rurbains ", soit des citadins de pouvoir bénéficier d'espaces verts ouverts au public constituant des zones de loisirs. Tout cela fait que nous avons des conflits de nature économique qui sont lourds parce que si d'un côté il y a effectivement la production agricole, de l'autre côté il peut y avoir des demandes en termes de développement touristique par exemple, qui ont des conséquences économiques non négligeables.

- Le second est d'ordre sociologique et vous l'avez rappelé dans votre rapport, c'est-à-dire que dans les zones périurbaines nous avons la particularité de trouver des gens qui ont fait le choix parce qu'ils avaient les moyens d'aller habiter près de la ville mais avec un peu de verdure et, d'un autre côté, des gens qui n'ont pas fait ce choix ; les zones périurbaines deviennent des zones où les populations exclues se trouvent en importance considérable. Nous nous trouvons avec des enjeux, des besoins, des difficultés qui sont tout à fait différents et des demandes en termes sociologique, politique qui n'ont rien à voir. Il faut toutefois arriver à gérer les deux.

- Troisième particularité : elle est de nature sociologique et politique. Tout ce développement autour de la notion de " rurbanité " qui, à l'heure des communications qui sont les nôtres aujourd'hui, du travail à domicile, d'internet, repose le problème du travail dans des conditions tout à fait nouvelles et ouvre la voie à de nouvelles formes de vie. On ne peut détacher la réflexion sur ce développement périurbain de cette réflexion sur les nouvelles formes de travail, c'est lié.

- Le quatrième aspect est d'ordre environnemental et l'était davantage dans mon carquois de l'époque, c'est dire l'extrême fragilité de ces milieux. On le voit avec Fontainebleau et la difficulté de savoir ce que nous allons faire avec la forêt de Fontainebleau qui est un milieu intéressant mais où il y a une pression considérable. La fragilité de ces milieux, la pression sur ces milieux et en même temps l'extraordinaire besoin que nous avons de les préserver parce que ce sont les poumons verts de nos villes.

Tout ceci faisait que nous étions en face d'un sujet tout à fait complexe avec des interconnections entre des thèmes qui n'avaient strictement rien à voir et de l'autre côté je dirais un vide juridique. Au départ, nous étions partis sur l'idée des parcs parce qu'un certain nombre d'élus souhaitait que des parcs puissent être créés dans la région Ile-de-France dans des zones qui étaient déjà considérablement urbanisées. L'expérience des parcs régionaux montrait que l'aspect protection de la nature y était très important. Comment arriver à faire vivre ce double volet des parcs naturels régionaux avec à la fois la protection des espaces avec des zones plus fortes de protection au coeur des parcs et en même temps un développement économique important, des zones très denses ne s'y prêtant guère, et que faire ? D'un autre côté, il était dommage de n'avoir pas d'autres instruments disponibles pour répondre à ce besoin parce que ne pas protéger cela équivalait à encourager la densification et à faire disparaître à terme ces espaces dont nous avions de plus en plus besoin.

Le président Larcher l'a noté dans son rapport : un oubli des réglementations, des législations des politiques sur ces espaces considérés comme pas très intéressants parce que déjà mités, endommagés, parce que liés à d'autres sujets comme celui des entrées de villes.

Nous avions cette politique binaire. Pas de règles particulières, pas de mises en protection particulières.

Une constante : la réduction de tout ce qui n'était pas densifié étant entendu que quel que soit le plan d'urbanisme, nous savons que cela va toujours dans le sens d'une densification croissante parce qu'il faut bien construire et nous assistons à un mitage permanent de ce qui n'était pas urbanisé avec une très grande difficulté à faire respecter les règles.

L'absence de vue d'ensemble : le domaine du périurbain est un domaine sur lequel on ne peut tomber dans le juridisme pur. Il ne suffit pas de fixer des règles. Nous voyons les limites d'un certain nombre de règles parce qu'elles se heurtent à un certain nombre de difficultés. S'il n'y a ni moyens financiers ni politique d'ensemble, à quoi bon avoir une politique en avance sur un certain nombre de sujets pour tout lâcher sur le reste. C'est en cela que je trouve le rapport du président Larcher intéressant : il propose des solutions concrètes et simples à mettre en place. C'est une forme de puzzle, les choses se rejoignent les unes les autres pour donner une politique d'ensemble et c'est indispensable.

La réflexion que vous menez n'est pas propre à notre pays du fait de la mégalopolisation croissante dans le monde. Beaucoup de villes se posent la question de la gestion de leurs espaces périurbains. La ville du Cap mène avec l'aide de la Banque Mondiale une réflexion sur ce sujet parce qu'il y a des ressources fantastiques et une ville à très forte croissance avec les problèmes sociaux que l'on imagine. Comment fait-on pour arriver aujourd'hui à trouver des mécanismes adaptés de protection de l'espace à but environnemental mais avant tout à but social et sanitaire tout en permettant le développement de ces villes.

Les conclusions qui seront les vôtres peuvent avoir un intérêt au-delà de cette enceinte parce dans beaucoup d'endroits dans le monde on réfléchit à ce sujet qui est un des grands sujets liés au développement des villes en ce début de troisième millénaire.

M. Jean-François LE GRAND : Merci. Merci aussi à M. Gérard Larcher parce que cette problématique nous intéresse tous.

L'espace périurbain est un enjeu pour l'environnement mais que fait-on ?

Le PNR est-il une réponse ? C'est une réponse à un certain nombre de problèmes mais pas forcément une réponse à l'environnement périurbain proprement dit. Les PNR couvrent 10 % de la population et 10 % des communes, soit une soixantaine de départements. Quant aux régions, elles sont presque toutes impliquées dans l'opération des PNR. Ils relèvent de quatre objectifs qu'il faut atteindre : valorisation du patrimoine culturel, du territoire, de la protection du patrimoine avec la notion de développement, ce qui les différencient des parcs nationaux, mission d'éducation à l'environnement pour faire en sorte que notre biotope soit protégé surtout de l'homme. Il y a aussi le développement économique sur un territoire qui n'est pas figé, sanctuarisé. C'est un territoire au sein duquel sur un socle de protection patrimoniale on assoit un développement social, humain qui permet l'équilibre. Nous allons essayer de trouver des solutions. Madame Brevan, répondez à deux questions : comment la politique de la ville menée sous la responsabilité de l'Etat prend en compte l'environnement ? S'il faut créer un cadre juridique original, quelle forme pourrait prendre l'intervention de l'Etat, l'octroi d'un label, un financement ?

A. L'ESPACE PÉRIURBAIN : UN ENJEU MAJEUR POUR L'ENVIRONNEMENT

Présidence de M. Jean-François LE GRAND, sénateur de la Manche

1. Mme Claude BREVAN, déléguée interministérielle à la ville

Le domaine dont j'ai en partie la charge, la politique de la ville, traite de ce que vous considérez ici comme le fait des envahisseurs puisqu'il relève davantage de l'urbain que du rural.

Je voudrais aborder le côté artificiel de l'opposition entre ville et campagne. Le périurbain est un espace qui est de plus en plus hybride. Si les ruraux ne vivent pas en ville, les urbains vivent à la campagne. Les gens étant à la fois urbains et ruraux, ils ont des aspirations qui sont contradictoires et les contradictions ne sont pas entre deux groupes sociaux mais au sein des gens eux-mêmes.

Mme Lepage a bien parlé des conflits d'enjeux. L'espace périurbain est conflictuel également sur le plan institutionnel. On ne sait guère qui gère ces espaces de transition. Ces espaces sont des zones de contact qui sont rarement harmonieuses : nous avons tous le souvenir de barres et de tours qui cohabitent brutalement avec des champs de grandes cultures. Parfois c'est l'inverse, la ville s'étire en se disloquant. L'espace périurbain, la frange urbaine sont comme l'écume de la ville qui marque la limite de la ville entre urbain et rural mais à la différence des lais et relais de la mer, l'écume progresse, gagne du terrain, érode la campagne.

Cette forme de rejet progressif hors de ses limites de ce que la ville ne peut pas accepter se structure mal. C'est un urbanisme pionnier qui devrait être éphémère mais qui dans les faits s'ossifie et ne s'efface pas pour donner à des lieux plus structurés et plus urbains. Cela se traduit par des problèmes d'environnement : problèmes de paysage, question du développement durable posée de manière aiguë et quelle que soit la forme urbaine mise en oeuvre. L'étalement de la ville pose des problèmes évidents de transports et pas seulement de la périphérie vers le centre. Les nouvelles pratiques sociales créent des lieux de centralité dans la périphérie des villes et les déplacements de périphérie à périphérie sont de plus en plus importants. Tout cela modifie profondément les schémas urbains traditionnels.

L'environnement n'est pas comme on pourrait le penser un aspect mineur de la politique de la ville.

A travers des enquêtes et un appel à projets " paysage " que la DIV a lancé avec le ministère de l'environnement en 1997, nous avons vu apparaître chez les habitants de quartiers, jugés en général comme " peu attractifs ", une aspiration très forte à l'amélioration de leur environnement et notamment du paysage. Les quartiers difficiles ne sont d'ailleurs pas systématiquement implantés dans des sites détestables. Le paysage est important pour des populations qui possèdent peu de choses. Elles ont un logement, pas toujours du travail, d'immenses difficultés et paradoxalement le paysage leur apparaît comme un bien commun et un élément fédérateur d'autant plus important qu'ils le pratiquent d'une manière quotidienne. Ils ont moins accès à la mobilité et à la possibilité de s'évader en dehors de ces quartiers que les populations moins défavorisées, et ils ont un grand intérêt à s'investir dans une amélioration de leur paysage. Ils ont déclaré, lors d'un récent sondage, tout leur intérêt et l'importance qu'ils attachaient à la beauté des quartiers, ce qui n'apparaissait pas comme l'une des priorités à ceux qui travaillent à l'amélioration des conditions de vie dans ces quartiers. Cette aspiration est un levier important.

Je voudrais citer quelques exemples qui sont remontés à travers l'appel à projets pour montrer à quel point cet aspect environnement est porteur de progrès sur le plan de la vie locale et de la cohésion sociale dans ces quartiers :

- A Aubergenville, les gens se sont organisés autour du problème du cycle de l'eau. C'est un point essentiel sur le plan d'une approche écologique. Il y avait une protection de captage et c'est autour de cela que s'est structuré un projet ;

- A Canteleu, ils ont élaboré une charte paysagère comme élément de cohésion et d'unité entre les quartiers périphériques et l'ensemble de la ville. C'est la même trame paysagère, le même traitement paysager pour l'ensemble de la ville. C'est un symbole important ;

- A Cherbourg-Octeville, c'est un plan de paysage intercommunal qui aborde la réduction des coupures urbaines, les cheminements, les liaisons douces et le retraitement de nombreux espaces naturels en semi-abandon. Nous venons d'attribuer un supplément de subvention en raison de l'exemplarité de la démarche très porteuse en termes de messages de cohésion sociale.

Il y a également un aspect économique très présent dans les réponses à cet appel à projets :  l'environnement comme moyen d'insertion de populations quelquefois extrêmement éloignées du travail et pour lesquelles cet aspect de lien avec la nature apparaît comme essentiel.

Je dirai un mot de l'importance du développement durable dans des quartiers où l'on réagit dans l'urgence. Plus nous agissons dans l'urgence, plus il faut s'inscrire dans le long terme. La politique que nous essayons de conduire dans ces quartiers doit être inscrite dans la durée, dans la réalité sociale. Il faut associer les habitants pour que l'action publique soit solidement ancrée afin de recréer ou consolider les racines des quartiers qui ont poussé un peu vite et installer durablement populations souvent transplantées d'une manière artificielle.

L'environnement est un enjeu considérable. Nous avons beaucoup d'espoir dans la génération à venir de contrats de villes et plus tard des contrats d'agglomérations pour essayer de mieux prendre en compte ces problèmes d'environnement et pour éviter que, dans une agglomération, la création d'espaces un peu sanctuaires, très protégés, et je pense à une dérive possible des parcs naturels, ne vienne rejeter à la périphérie de ces territoires tout ce qui apparaît comme fonctions subalternes sur le plan urbain, et qui aboutirait presque mécaniquement dans ces quartiers défavorisés.

M. Jean-François LE GRAND : Je vous remercie. L'expression "d'urbanisme pionnier qui s'ossifie" ne manquera pas de susciter des questions, mais c'est parfaitement illustrer la problématique.

Madame Thève, vous êtes femme d'agriculteur en G.A.E.C., sur le canton du Quesnoy-sur-Deûle et vous avez mené des actions éducatives et pédagogiques en rapport avec l'activité agricole. Le profil de l'exploitation, sous cette forme-là, est excellent. Pouvez-vous nous dire aujourd'hui quel est le bilan que vous en tirez et quelles sont les perspectives que vous suggèrent ce bilan et cette activité que vous avez menés ?

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