CHAPITRE 3 - LES ÉVALUATIONS MÉTHODOLOGIES ET RÉSULTATS

L'évaluation des politiques de l'emploi est un champ mouvant où les méthodologies utilisées sont discutées, voire controversées, les résultats sont fragiles et se contredisent parfois.

L'évaluation macro-économique est la reine des méthodes d'évaluations parce qu'elle a pour ambition de fournir des prédictions à partir de simulations chiffrées rigoureuses, à condition d'y inclure les hypothèses appropriées.

Quand bien même cette démarche aboutit à mettre en évidence la faisabilité d'une mesure, la difficulté est alors d'évaluer les conditions concrètement existantes qui permettent ou non la mise en oeuvre du dispositif dont les simulations ont pronostiqué le succès potentiel. Tout dépend alors de la capacité des acteurs, à l'échelle des entreprises, à se saisir desdites mesures, à les interpréter, à construire les règles et tes coopérations qui les rendent applicables. Ces mêmes acteurs sont parfois susceptibles de rejeter les dispositifs proposés, de tes contourner, d'en bloquer ou d'en pervertir la mise en oeuvre. Pour évaluer la portée des mesures de politique de l'emploi, les études micro-économiques et les évaluations monographiques sont alors nécessaires pour compléter les prédictions macro-économiques.

La première section présentera les principales évaluations macro-économiques des différents instruments mis en oeuvre dans le cadre des mesures ciblées et non-ciblées. La deuxième section précisera le profil des bénéficiaires et les entreprises utilisatrices des flux d'aide à l'emploi. La troisième section tentera de cerner les processus d'apprentissage des acteurs à l'oeuvre dans les monographies disponibles portant sur l'utilisation faite des différents dispositifs de politique de l'emploi.

1. Les évaluations macro-économiques

1.1. Politiques de l'emploi et chômage d'équilibre

L'analyse macro-économique dominante des effets de la politique de l'emploi sur le chômage part de l'hypothèse néoclassique du taux de chômage d'équilibre.

Le taux de chômage d'équilibre, encore appelé chômage naturel ou chômage structurel, correspond dans cette optique à l'équilibre spontané du marché du travail compte tenu de la structure des coûts relatifs des facteurs de production. Ce taux de chômage est exclusivement déterminé par des facteurs d'offre. Il n'a aucune raison de bouger tan que le coût relatif réel des facteurs de production (le coût relatif du travail par rapport au coût d'usage du capital) demeure constant et tant que l'offre de travail de la population active est inchangée.

Les politiques de l'emploi agissent sur le niveau du chômage naturel si elles réduisent le niveau de la population active ou influencent l'incitation à la recherche d'emploi des chômeurs (politiques passives), ou bien si elles contribuent à réduire le coût relatif du travail (politiques actives dirigées vers l'abaissement du coût du travail).

Le modèle utilisé pour représenter cette hypothèse est exposé par Layard et Nickell (1986). Le taux d'emploi de l'économie est donné par le point de rencontre entre une courbe de formation des salaires et une courbe d'emploi (figure 1, page suivante).

La courbe de formation des salaires WS incorpore les revendications syndicales. Ces dernières ont d'autant plus de portée que le taux d'emploi est fort et que le chômage diminue, suivant en cela l'hypothèse d'une relation de Phillips. L'emploi (courbe E) est une fonction décroissante du salaire réel, ce qui respecte l'hypothèse d'une courbe de demande de travail néo-classique ( infra ) : l'hypothèse associée à cette courbe d'une productivité marginale décroissante signifie que les employeurs qui maximisent leur profit ont intérêt à embaucher un travailleur supplémentaire (dont la productivité individuelle est supposée plus faible) si et seulement si le salaire diminue.

Figure 1 - Le modèle de Layard et Nickell

Le taux de chômage naturel u* est alors donné par la différence entre le niveau de la population active (donné par la verticale PA à droite du graphique) et le taux d'emploi n*. Toute modération des revendications salariales déplace la courbe de formation des salaires vers le bas, augmente le taux d'emploi. Toute mesure susceptible de réduire le coût du travail accroît de la même façon le taux d'emploi et réduit le taux de chômage naturel. La Plus fréquente des études retenues par l'OCDE reprend les conclusions du modèle de Layard et Nickell en termes d'analyse des déterminants du chômage structurel. Elle tente d'expliquer les différences de niveau du chômage entre les pays membres de l'OCDE 56 ( * ) en reliant le chômage et l'emploi à un ensemble de variables institutionnelles à partir de données transversales.

L'équation testée fait alors dépendre le chômage positivement de la durée et du montant de l'indemnisation chômage, négativement du degré de coordination des Syndicats et négativement du niveau de la dépense publique pour l'emploi (Layard et al , 1991).

On suppose ici que la durée et le montant de l'indemnisation chômage décourage l'incitation au travail des chômeurs. On suppose également que le degré de coordination des Syndicats dans la négociation collective les incite à "internaliser" les conséquences nocives pour l'emploi d'une surenchère salariale. On postule enfin que les dépenses actives sont orientées vers l'abaissement du coût du travail grâce aux subventions et exonérations de "charges sociales".

Les résultats indiquent que les politiques actives exercent un impact sur l baisse du chômage. Les mécanismes par lesquels cet effet se produit ne sont néanmoins pas présents dans les équations estimées (qui sont des formes réduites). La validité statistique des équations 57 ( * ) permet donc seulement de conclure à l'existence ou non d'un impact de la politique de l'emploi sur le chômage, lequel serait alors fondé sur un effet de modération salariale, suivant la logique interne à cette formulation, mais sans que ce canal de transmission ne soit réellement évalué.

Les effets de la politique de l'emploi sur le chômage :
la précarité des estimations macro-économiques

Le problème majeur auquel sont confrontées les études d'impact macro-économiques concerne le sens de la causalité établie. En effet, la vérification de l'hypothèse selon laquelle les politiques actives de l'emploi ont un effet sur le chômage comporte un risque de biais de simultanéité, du fait que la variable d'intensité des politiques de l'emploi est probablement liée à la variable chômage par une relation double. D'une part, comme le suppose l'équation estimée, elle exerce un effet potentiel de réduction du chômage ; mais réciproquement, le taux de chômage est susceptible d'influer sur la détermination du niveau de politique active de l'emploi. Cette relation renvoie au concept de fonction de réaction des pouvoirs publics, qui relie l'intensité de l'intervention volontariste sur le marché du travail à des indicateurs du fonctionnement de celui-ci. Or il apparaît raisonnable de faire l'hypothèse que le chômage constitue le principal déterminant de la réaction des pouvoirs publics, du fait de la lisibilité du taux de chômage et de son incidence politique. Dans ce cas, toute estimation de l'effet des politiques de l'emploi posant le chômage comme variable indépendante comporte un risque de biais de simultanéité, qui dépend de la forme de la fonction de réaction et de la spécification de la variable de politique de l'emploi.

On peut distinguer deux types d'approches de ce problème dans les évaluations basées sur une équation de chômage (Bellmann et Jackman, 1996). L'objectif commun à ces analyses est d'isoler la composante "exogène" de l'intensité de la politique active de l'emploi, en éliminant la part cyclique de la réaction politique, susceptible d'être corrélée à la variable chômage. En considérant les valeurs moyennes du chômage et de l'indicateur de la politique active de l'emploi sur le cycle, on résout donc a priori les problème potentiel d'endogénéité dans l'équation de chômage, à condition que la variable de politique active de l'emploi reflète correctement la fonction de réaction politique. Le débat porte alors sur la nature de l'objectif de moyen terme des pouvoirs publics : Layard et al (1991) supposent que ceux-ci cherchent à stabiliser le ratio dépense de politique active par chômeur, tandis que Bellmann et Jackman (1996) retiennent l'hypothèse d'un objectif de dépense en proportion du PIB. Cette dernière option serait en effet validée par Jackman (1995) 58 ( * ) , sur la base de la plus grande stabilité temporelle de l'expression de ratio de dépenses actives en fonction du PIB.

Au-delà de ce débat, qui ne semble pas tranché, on peut souligner le caractère approximatif de ce mode de résolution du biais, qui rend nécessaires des recherches plus poussées sur la nature et la forme de la fonction de réaction des pouvoirs publics. Dans l'ensemble, les résultats des évaluations fondées sur une équation de chômage doivent donc être traitées avec prudence, quel que soit le modèle théorique sous-jacent.

La variable représentative des politiques actives de l'emploi est également critiquable. L'indicateur retenu est le montant des dépenses consacrées aux politiques actives, rapporté soit au nombre de chômeurs, soit au PIB. Le recours à une telle variable n'est pas satisfaisant, pour deux types de raisons. Premièrement, un tel indicateur agrégé repose sur une définition conventionnelle de la dépense active de l'emploi par les organismes internationaux (l'OCDE dans les travaux cités). Cependant, il n'est pas certain que les données nationales soient directement compatibles avec cette convention, ce qui pose des problèmes de fiabilité des données. De plus, on peut s'interroger sur la pertinence de la référence exclusive à la dépense : elle conduit à mettre sur le même plan une logique d'interventions coûteuses, mais concentrées sur un faible nombre de bénéficiaires, et des mesures extensives du point de vue du nombre de participants, à faible coût. Or le nombre de bénéficiaires des mesures n'est pas neutre à l'égard de leur impact relatif, et l'hypothèse implicite, dans cette perspective, d'une relation dépense efficacité apparaît difficilement tenable.

La controverse porte enfin sur les faiblesses économétriques de ces travaux. En effet, la plupart des études comparatives internationales sont menées avec des données transversales, ce qui se traduit par un nombre très réduit d'observations. Or le nombre de variables estimées apparaît, parallèlement, très élevé. Ainsi l'étude de Layard et al (1991) teste 7 variables sur la base de 20 observations ! La plupart des études améliorent toutefois cette caractéristique en considérant un ensemble de données « poolées , c'est-à-dire comportant à la fois une caractérisation transversale, et une dimension de la taille de l'échantillon. Toutefois, les auteurs signalent des problèmes de disponibilité des données réduisant la taille de l'échantillon (voir par exemple Sarfetta (1996), et ne traitent que des données annuelles, la source exclusive de ces données comparatives étant l'OCDE. Ces problèmes de données doivent là encore inciter à la prudence à l'égard des résultats obtenus, notamment du point de vue de la significativité des coefficients, qui n'est pas toujours directement interprétable. En effet, ces évaluations parviennent relativement fréquemment à des coefficients non significatifs : par exemple, dans l'étude de Bellmann et Jackman (1996), aucune des variables mesurant l'effet des politiques de l'emploi sur le taux de chômage n'est significative 59 ( * ) , sur la base de 65 observations (11 variables plus la constante). Or cette non significativité est interprétée économiquement par les auteurs, comme l'indice que les études micro-économiques « exagèrent l'effet des mesures sur l'emploi, puisqu'elles ne prennent pas en compte les effets de déplacement et de substitution. De telles conclusions peuvent être jugées hasardeuses, ou du moins fondées sur un a priori théorique. 60 ( * )

1. 2 Les simulations des effets de la réduction du coût du travail

1.2.1. L'élasticité emploi-salaire

L'élasticité de la demande de travail agrégée

La théorie néo-classique de la demande de travail repose, on le sait, sur l'hypothèse d'une fonction de production Cobb-Douglas à facteurs substituables : tout abaissement du coût relatif d'un des facteurs de production accroît l'utilisation de l'autre facteur. Pour valider empiriquement cette théorie, il s'agit de montrer que l'abaissement du coût relatif du travail par rapport au capital se traduit par une substitution du travail au capital. Les études utilisent les séries temporelles mesurant les effets des évolutions relatives du coût du travail par rapport au coût d'usage du capital sur les variations de l'emploi. L'élasticité emploi-salaire dépend alors essentiellement dans les équations testées de l'élasticité de substitution capital-travail. L'élasticité emploi-salaire mesure alors l'effet d'une variation du salaire sur l'emploi : par exemple, si l'élasticité emploi-salaire est de -0,3, cela signifie qu'une hausse de 10 % du coût du travail engendre une réduction de l'emploi de 3 % et, inversement, une baisse de 10 % du coût salarial accroît l'emploi de 3 %.

En dressant le bilan des études portant sur des pays étrangers, Hammermesh (1991) a estimé une élasticité assez forte, comprise entre -0,15 et -0,75. Pour la France, en revanche, le problème est qu'une telle relation ne trouve pas de validation économétrique sur des séries temporelles agrégées au plan macro-économique. Legendre et Le Maitre (1997, p. 112) soulignent ainsi que « les investigations menées à partir de données agrégées ne I parviennent que très difficilement à mettre en évidence un effet du coût relatif des facteurs sur la demande de travail .

A tel point que les grands modèles de simulation macro-économique (Amadeus de l'INSEE,

Métric de la Direction de la Prévision, Banque de France) utilisent une élasticité emploi-salaire nulle.

Sur des données de panel, l'élasticité emploi-salaire peut cependant être mise en évidence, ce qui paraît logique parce que le coût relatif du travail peut être sectoriellement une variable de la décision d'embauche sans forcément constituer l'argument central d'une théorie générale de l'emploi.

Lorsqu'elle est mise en évidence, l'élasticité emploi-salaire est cependant très faible : elle oscille entre -0,06 et -0,08 (Maarek, 1994, p. 51). Cela signifie qu'une baisse des salaires aurait très peu d'effet sur l'emploi (une baisse de 1 % du coût du travail accroîtrait l'emploi de 0,06 ou 0,08 %), ou encore qu'il faudrait baisser énormément le salaire des secteurs concernés pour créer des emplois.

Devant ces résultats qui, pour le cas français, donnent peu de crédit à la demande de travail néo-classique, Dormont (1994 et 1997) propose d'introduire séparément le coût du travail et le coût d'usage du capital dans les équations testées. Elle découvre alors une élasticité significative de l'ordre de -0,5 ou -0,8 selon les hypothèses. Cette élasticité est moins forte pour les emplois qualifiés. Mais cette élasticité demande que les fondements théoriques de cette opération soient précisés. On le sait, la théorie néo-classique de la demande de travail reposait sur une fonction de production à facteurs substituables capital-travail. Or, dès que le salaire est dissocié du coût d'usage du capital dans les équations testées, ce n'est plus cette théorie qui est testée : il n'est plus possible de valider les conséquences d'une baisse du coût relatif d'un des facteurs par rapport à l'autre sur sa demande puisque l'un des facteur a été retiré de l'équation (Husson, 1994). Ce qui ne veut évidemment pas dire que le coût du travail ne joue aucun rôle dans l'explication du chômage, mais que les mécanismes de substitution des facteurs en fonction de leur coût relatif, décrits par la théorie de l'emploi couramment admise, sont invalidés.

Le rapport du CSERC (1996) constate dans ce sens que "les estimations sur données macro-économiques concluent généralement en France à une élasticité nulle ou non significative dans le cas où c'est le coût relatif des facteurs qui détermine l'emploi et à une élasticité de -0.5 dans le cas où c'est le niveau absolu du coût du travail qui importe (p. 80).

Ceci signifie que si le coût du travail exerce un effet sur l'emploi, c'est par l'intermédiaire d'un effet profit et non d'un effet de substitution. Or, il est vraisemblable, au plan macro-économique, que la profitabilité des entreprise soit désormais restaurée à des niveaux tels que de nouvelles baisses du coût du travail ne produisent un effet marginal sur l'emploi. Seules, les unités de productions subissant une contrainte financière pourraient être stimulées par une baisse du coût du travail. Cependant, dans la mesure où une baisse d'ordre général du coût du travail bénéficie indifféremment à tous les types d'entreprises, même lorsqu'elle est ciblée sur les bas salaires, l'instrument approprié serait sans doute une réforme de la fiscalité des entreprises pour stimuler les entreprises aux marges moins fortes souffrant de charges financières importantes.

Coût relatif du travail non-qualifié et emploi

Comme les tests agrégés sont incertains, de nombreux travaux se sont concentrés sur les emplois non-qualifiés 61 ( * ) faiblement rémunérés. Ce sont en effet les travailleurs non-qualifiés qui représentent la majeure partie du chômage de longue durée. En période de reprise, ce sont eux qui se retrouvent en queue de file d'attente. En raison de leur productivité supposée plus faible, ces travailleurs - et en particulier les jeunes - pourraient être employés pour peu que le coût du travail non-qualifié, et en particulier le salaire minimum, soit réduit 62 ( * ) .

Dormont (1997) trouve ainsi une élasticité emploi-salaire plus importante pour les travailleurs non-qualifiés que pour les travailleurs qualifiés en utilisant la même méthodologie que celle décrite précédemment, consistant à exclure le coût du capital des équations estimées à partir de données de panel.

Le rapport Sneessens (1993) fait autorité en la matière. Sneessens montre, sur des données françaises, que l'introduction du progrès technique s'est traduite sur la période 1960-90 par un accroissement de la part de l'emploi qualifié et une baisse de la part de l'emploi non-qualifié. Il indique que le taux de chômage des travailleurs qualifiés est inférieur à la moyenne tandis que le taux de chômage des non-qualifiés est supérieur à la moyenne . D'autre part, aucun rationnement concernant la main d'oeuvre qualifiée, dont la part des salaires a plus diminué que celle des non-qualifiés, ne peut être mis en évidence. Dans ce contexte, le chômage des non-qualifiés en France serait dû à une baisse moins importante des salaires, ce qui aurait conduit à un resserrement de l'éventail des salaires, défavorable à l'emploi non-qualifié. Ici comme dans d'autre rapport, la comparaison est établie avec les

États-Unis où le salaire relatif des non-qualifiés a fortement décru, ce qui irait de pair avec des périodes plus brèves de chômage.

Mais un deuxième facteur, lié à l'accroissement du salaire relatif des non-qualifiés, viendrait aggraver le chômage structurel. A l'aide d'un fonction de production macro-économique avec progrès technique exogène et où le travail non-qualifié et le travail qualifié sont des facteurs substituables, Sneessens indique que la hausse du salaire relatif des non-qualifiés accroît la demande de travail qualifié par rapport à la demande de travail non-qualifié. La demande de travail qualifié vient alors se heurter à une inadéquation des offres et des demandes de qualification : la main d'oeuvre qualifiée disponible est, dans ce cas, totalement employée alors que la main d'oeuvre non-qualifiée, abondante, est inadaptée à la nouvelle structure de la demande de travail. Cette inadéquation est mesurée à l'aide du ratio suivant : nombre d'emplois qualifiés/nombre d'actifs qualifiés.

Après avoir réalisé ses tests, Sneessens en conclut : « l'effet du SMIC et du coin fiscal fut d'augmenter le taux de chômage agrégé de 3,4 points et l'indice d'inadéquation des offres et des demandes de 3,4 points (Sneessens, 1993, p. 151).

(...) « une réduction de 16 points du taux de cotisation des non-qualifiés entraînerait une réduction des taux de chômage qualifié et non-qualifié respectivement de 0,5 et 6,4 points (...). Les mêmes variation de taux de chômage pourraient être obtenues par une réduction du SMIC de 15,4 % (...). (ibid, p. 151).

Le rapport Sneessens, comme les autres travaux du même type (Dormont, 1997), est cependant entaché d'un problème méthodologique non-négligeable que les auteurs ont pu justifier par les limites des sources statistique disponibles sur les qualifications. Pour distinguer les catégories qualifiées et non-qualifiées, il propose en effet de se servir de la nomenclature des PCS de l'INSEE. Il regroupe dans la main d'oeuvre qualifiée... uniquement les cadres et les professions intermédiaires tandis qu'il rassemble parmi les non-qualifiés des catégories aussi hétérogènes que les employés et les ouvriers, qui représentent à elles-deux 58 % de la population active, sans établir de distinction en leur sein !... Autrement dit, il introduit dans son modèle deux catégories de main d'oeuvre aux caractéristiques productives si différentes qu'elles ne sont pas substituables sur le court terme. Ce qui permet de dire bien peu de choses sur la nature des mécanismes de création-destruction d'emplois touchant une catégorie aussi agrégée que celle des non-cadres, c'est-à-dire une majorité de travailleurs.

Plus généralement, si l'on admet la théorie néo-classique de la demande de travail, le plancher que constitue le salaire minimum représente un obstacle à supprimer (dans la version anglo-saxonne) ou à contourner (notamment par les subventions à l'embauche dans la version française) si l'on veut faire émerger certains gisements d'emplois. Les principaux tests économétriques portant sur les effets du salaire minimum sur l'emploi s'effectuent à l'aide de deux types de modèles.

Le premier type de test utilise la fonction d'emploi de Mincer (1976) de la forme :

N = f(SM, C. D. X)

Celle-ci relie un taux d'emploi à une fonction incorporant une mesure du salaire minimum et des variables dites « de contrôle telles que la conjoncture, la démographie de la population étudiée, ainsi qu'un trend temporel.

La mesure du salaire minimum est spécifiée à l'aide du rapport entre le salaire minimum et le salaire moyen. La conjoncture est donnée par le taux de chômage ou un indice de production de la population concernée par l'étude - les jeunes par exemple. La démographie est donnée par la proportion de ladite population dans la population active : elle définit l'offre de travail.

Cette relation a été utilisée pour tester les effets du SMIC sur l'emploi des jeunes Les études faites à ce propos par Wellington (1991) concernant les États-Unis ne décèlent qu'une faible élasticité : une hausse de 10 % du salaire minimum ne diminuerait l'emploi des jeunes que de 0,5 à 0,7 %. Quant au cas français, Bazen et Martin (1991) montrent que les tests en question ne parviennent pas à déceler un effet significatif du salaire minimum. Cette et al. (1995) résument ainsi les limites du modèle de Mincer :

« On peut remarquer que les effets de substitution sont généralement mal pris en compte. Ainsi, la réflexion sur les types de substituabilité entre les facteurs amènerait à mieux s'interroger sur la variable la plus pertinente pour spécifier le facteur démographique. Faut-il seulement retenir la part des jeunes dans la population totale, ou celle des jeunes plus les femmes, les deux catégories étant vraisemblablement substituables ? De même, les effets liés à la substitution du capital au travail sont faussés, lorsqu'on prend comme indice du salaire minimum le rapport SM/salaire moyen. En effet, le SM se répercute sur le salaire moyen doublement : parce qu'il est une de ses composantes (effet purement mécanique) et parce que les hausses du SM se répercutent en partie sur le salaire moyen par le biais des négociations salariales (effet d'indexation). Du coup, le rapport SM/salaire moyen augmente moins que le SM, et on arrive mal à cerner les conséquences de la substitution du coût du travail due à l'augmentation du salaire moyen (d'autant plus que le coût du capital n'est pas pris en compte de façon spécifique) (Cette et al., 1995. p. 200).

Ces limites ont conduit Bazen et Martin à construire un modèle visant à mesurer les effets du salaire minimum sur l'emploi des jeunes et des adultes. Leur approche consiste dans une première étape à établir deux équations de salaire, une pour les jeunes, une pour les adultes Dans une deuxième étape, ils construisent deux équations d'emploi, une pour chaque catégorie, compte tenu du salaire déterminé dans les équations de la première étape, ce qui permet de tenir compte des effets de substitution évoqués précédemment.

Cependant, ici encore, les résultats paraissent fragiles, aux dires des auteurs eux-mêmes : « (...) on constate que les majorations du salaire minimum entraînent une augmentation des salaires réels des jeunes, alors que l'incidence sur le salaire des adultes est beaucoup plus faible. En revanche, il s'avère très difficile d'obtenir des estimations fiables de l'incidence des salaires réels sur l'emploi des jeunes et des adultes. Les résultats dont on dispose font néanmoins entrevoir des élasticités à long terme de l'emploi des jeunes par rapport au salaire minimum de l'ordre de -0,1 à -02, analogues aux chiffres fournis par les études nord-américaines, et de l'ordre de zéro pour les adultes (p. 199).

Les effets de la variation du salaire sur l'emploi des adultes sont donc nuls, tandis qu'ils sont présents, mais faibles pour l'emploi des jeunes 63 ( * ) . Notons que les auteurs relativisent immédiatement cette dernière conclusion : « il est difficile de conclure que les majorations du salaire minimum ont réduit de façon significative l'emploi des jeunes en France. Il se peut que tel est le cas mais les méthodes économétriques utilisées ne permettent pas de déceler d'effets statistiquement significatifs et robustes (p. 206) 64 ( * ) .

Des effets sectoriels différenciés

Ce modèle constitue néanmoins une référence alternative au test de Mincer pour tester les effets sectoriels du salaire minimum sur l'emploi. Ainsi, Bazen et Benhayoun (1995) utilisent-ils une méthodologie analogue pour tester les effets sectoriels du salaire minimum

sur l'emploi, à partir d'une étude portant sur les industries de biens de consommation, les industries agricoles et alimentaires, le commerce, les services marchands. Ces secteurs sont retenus en raison de la stabilité de la proportion de « Smicards depuis 1972, de l'ordre de 12 à 14 % pour ces secteurs. L'étude consiste à estimer en premier lieu l'effet du salaire minimum sur le salaire moyen de chaque secteur, puis, l'effet du salaire moyen sur l'emploi dudit secteur.

Pour une production constante, l'effet d'un accroissement du SMIC sur l'emploi est extrêmement variable d'un secteur à l'autre. L'élasticité emploi-salaire est importante dans le commerce et les services marchands. Elle est respectivement de -0,483 et de -0,320. Elle est presque nulle dans les industries de biens de consommation (-0,046). Les élasticités sont plus importantes sous l'hypothèse d'une production supérieure. Néanmoins, les auteurs, ici aussi, invitent à la prudence car : « comme dans de nombreuses études de la relation SMIC-emploi, nos estimations ne sont pas toujours significatives (p. 252).

1.2.2. Les simulations macro-économiques d'une réduction des cotisations patronales sur les bas salaires

Pour estimer les effets d'une réduction de cotisations sociales patronales, la plupart des simulations utilisent une fonction de production à facteurs substituables de type Cobb-Douglas, en lui assignant une élasticité de substitution capital-travail estimée. L'élasticité emploi-salaire dépend alors de l'élasticité de substitution capital travail, de l'élasticité de substitution inter-catégorielle et de l'élasticité de substitution infra-catégorielle. Ces trois élasticités conféreront une plus ou moins grande force au mécanisme décrit par le modèle.

Le rapport du CSERC (1996) définit ainsi une fourchette de valeurs pour l'élasticité emploi-bas salaires (pour les salaires allant jusqu'à 1,33 % du SMIC comprise entre -0,3 et -0,7). L'élasticité est plus faible dans le cas où la substitution qualifiés - non-qualifiés est faible. Elle est plus forte dans le cas où l'élasticité de substitution entre les facteurs tend vers l'unité. Une réduction de dix milliards des cotisations patronales engendrerait selon cette estimation des créations d'emplois comprises entre 50 000 et 70 000 hors bouclage macro-économique et sans prendre en compte les modalités de financement de la mesure.

La prise en compte des effets du bouclage macro-économique et du type de financement de la mesure donnent les résultats suivants. Si la mesure est financée par un déficit budgétaire, l'emploi total augmenterait à l'intérieur d'une fourchette allant de 60000 à 80000 emplois. Si la mesure était financée par d'autres prélèvements venant remplacer l'allégement des cotisations patronales (CSG, IRPP, impôt sur les sociétés, TVA, cotisations à la valeur ajoutée), l'accroissement de l'emploi se situerait entre 10000 et 50000 emplois.

Dans la mesure où la substituabilité des facteurs paraît faible dans le cas français et où la modification des combinaisons productives s'établit sur un terme plutôt long lié au rythme du renouvellement des équipements, ce sont plutôt les valeurs basses des fourchettes qu'il conviendrait alors de retenir.

1.2.3. Les simulations macro-économiques des mesures spécifiques en vigueur

La DARES (1996) a tenté de chiffrer les effets des mesures ciblées mises en oeuvre dans le cadre des dépenses publiques pour l'emploi entrant dans le cadre de la réduction du coût du travail. Deux catégories de mesures sont évaluées par Chouvel et al. (1996) :

- l'emploi marchand aidé grâce à une réduction du coût du travail ciblée sur certaines catégories de main d'oeuvre dans le but de lutter contre la sélectivité du marché du travail, c'est-à-dire pour modifier l'ordre de la file d'attente en faveurs des publics défavorisés (jeunes, non-qualifiés)

- les créations d'emploi dans le secteur non-marchand.

Pour les emplois marchands aidés, l'étude procède en deux temps. La méthodologie consiste tout d'abord à évaluer l'impact des différentes mesures en termes de réduction du coût du travail. Elle consiste ensuite à r ep rendre l'hypothèse forte d'une élasticité emploi-salaire de -0,6 fondée sur une substituabilité significative entre les facteurs de production et parmi ces derniers entre les différentes catégories de main d'oeuvre. Cette hypothèse optimiste permet alors de calculer un coefficient emploi mesurant l'impact supposé de chaque réduction ciblée du coût du travail sur l'emploi.

Moyennant une telle élasticité emploi-salaire, les auteurs concluent logiquement à un effet positif des mesures ciblées analysées.

Dans un deuxième temps, ces mesures sont analysées dans le cadre du modèle macroéconomique MOSAIQUE de l'OFCE afin de tenir compte des effets sur le bouclage macro-économique que le mode de financement et l'application de ces mesures engendrent (mode de financement, effet sur la structure des prélèvements obligatoires, effets d'offre et de demande, hypothèse sur les taux de change).

Considérant que nombre de dispositifs ciblés sont concernés par ce type de simulation, le modèle simule les effets d'une baisse de 1 % des cotisations sociales sur les bas salaires. L'originalité de l'étude est qu'elle envisage successivement le cas d'une fonction de production néo-classique à facteur substituable (avec élasticité de substitution unitaire) impliquant une élasticité emploi-salaire de -0,4, puis le cas d'une fonction de production à facteurs complémentaires, où les effets de substitution entre les facteurs sont nuls.

Dans le premier cas, l'emploi est sensible au coût du travail. Il augmente fortement : l'impact au bout de dix ans est de 366 000 emplois créés, mais la baisse de la demande de capital (lié à la hausse du coût relatif du capital par rapport au coût du travail abaissé) réduit à moyen terme les investissements.

Dans le deuxième cas, la mesure ne produit aucun effet sur les choix techniques capital-travail des entreprises. Les effets sur l'emploi ne sont perceptibles que via d'autres canaux de transmission. L'emploi total augmente de 20000 personnes la première année et 277 000 au terme de 9 ans. La baisse du coût du travail met ici en jeu un effet profit et un effet compétitivité prix, mais en aucun cas un effet de substitution travail-capital. Les profits et la compétitivité-prix à l'exportation s'améliorent. Les effets sont d'autant plus bénéfiques que les taux de change s'ajustent à la baisse.

Cette mesure s'avérerait coûteuse à court terme, mais la mesure s'autofinance au bout de trois ans compte tenu des gains de PIB - ces derniers étant source de recettes fiscales -qu'elle permet. La mesure réduit même le ratio déficit / PIB au bout de dix ans. Un financement par l'emprunt, puis par un basculement des cotisations vers la CSG est étudié. Ce dernier mode de financement permet de tenir les objectifs de court terme de déficit public mais atténue considérablement la portée de la mesure sur le court terme. En utilisant le modèle mimosa de l'OFCE pour simuler cette mesure. Le Bihan (1998) conclut ainsi : "la mesure n'a d'impact significatif que si elle est financée par une augmentation des déficits publics. La même mesure financée par une hausse de la fiscalité directe conduit à une légère baisse de la production et n'a pas d'impact significatif sur l'emploi." (p. 12).

Dans le cas des emplois non-marchands, les mécanismes de création d'emploi n'obéissent pas à une logique de solvabilisation marchande ; ils dépendent du degré de la contrainte budgétaire. L'État prend en charge 90 % du coût pour un CES et 75 % du coût d'un CEC. Aussi les méthodes d'évaluation sont-elles différentes de celles concernant les emplois marchands aidés. Une première approche consiste à mesurer l'effet de substitution entre ces emplois aidés et les emplois publics typiques qu'auraient permis de financer le montant du financement des nouveaux emplois restant à la charge des administrations (c'est-à-dire la partie non-aidée qui ampute le budget disponible). Les substitutions sont alors plus faibles pour les TUC et les CES que pour les CEC. Dans les simulations "macro-économiquement bouclées", l'hypothèse adoptée est celle d'une absence de substitution. L'effet sur l'emploi résulte alors directement des flux financiers affectés par les pouvoirs publics pour ces emplois. Le modèle envisage le cas d'une augmentation de dix milliards de francs des flux consacrés aux emplois non-marchands aidés.

1.3. Les simulations de la réduction du temps de travail

1.3.1. Le cadre des projections : la Rédaction-réorganisation du temps de travail (2RT)

L'hypothèse 2RT est celle qui sert désormais de base aux simulations économétriques. Elle suppose que la dynamique conjointe de réduction et d'aménagement du temps de travail pourrait enclencher un cercle vertueux qui verrait croître de pair la productivité, les salaires horaires et l'emploi. Parmi les travaux les plus récents, citons ceux de Cette et Taddéi (1992 et 1994). Confais et al. (1993), Rigaudiat (1993), Sterdyniak et al. (1994), Taddéi (1998), CSERC (1998).

Dans le scénario d'une 2RT, au plan micro-économique, une réduction significative (de l'ordre de 10 %) de la durée du travail est susceptible de provoquer une réorganisation du travail dans les entreprises, nécessaire pour maintenir ou allonger la durée d'utilisation des équipements par l'introduction d'équipes supplémentaires. La réorganisation du travail qui en résulte permet d'accroître la productivité du travail et l'efficacité du capital. Elle permet d'ajuster les effectifs en fonction des aléas conjoncturels et de créer des emplois typiques. Si cet enchaînement se produit, la réorganisation du travail favorise des gains de productivité qui allègent le choc salarial dans l'hypothèse où la compensation salariale totale ou partielle, ce qui permet de préserver le taux de marge des entreprises et leur compétitivité.

Au plan macro-économique, un tel schéma est porteur d'un "cercle vertueux" de type keynésien. L'aménagement du temps de travail maintient ou améliore la compétitivité-prix à l'exportation des entreprises. La 2RT (Réduction et Réorganisation du Temps de travail engendre une masse de revenus supplémentaires, via la compensation salariale et via les emplois créés pour allonger la durée d'utilisation des équipements. Cette masse de revenus alimente la consommation, ce qui exerce un effet accélérateur sur l'investissement, la croissance et l'emploi. L'investissement subit une double impulsion. La première provient de l'effet accélérateur, la deuxième résulte d'un effet profit bénéfique, en raison de l'accroissement des gains de productivité, et ce malgré la hausse du taux de salaire horaire. Enfin, quant aux effets macro-économiques indirects, la croissance produit un effet bénéfique sur les déficits publics. Les effets négatifs sur le commerce extérieur dépendeur essentiellement, à côté du montant de la compensation salariale, du contenu en importations de la croissance.

Le scénario sous-jacent à la 2RT n'est donc pas un scénario malthusien de simple "partage du travail" réductible à une "règle de trois" (Cahuc et d'Autume, 1998). La 2RT stimule en effet la productivité et la croissance ; elle accroît le volume horaire qu'il est possible répartir parmi ceux qui désirent participer à l'activité de production.

Les effets sur cinq ans d'une réduction à 35 heures simulées dans le cadre du XIème Plan sont présentés dans le tableau 18. L'ensemble des projections concluait à des effets significatifs d'une réduction du temps de travail. Quels que soient les modèles, le cas d'une réduction du temps de travail avec réorganisation du travail est le plus favorable à l'emploi. Les effets de la compensation salariale dépendent alors des hypothèses retenues. Le cas le moins favorable à l'emploi est celui d'une réduction du temps de travail sans réorganisation ni compensation salariale.

L'effet sur l'emploi est plus fort si la compensation salariale est partielle ou nulle, Cependant le rôle du coût du travail varie selon les modèles, selon que les entreprises sont contraintes par les coûts (Amadeus) ou par les débouchés (Mosaïque).

A : INSEE (Micro DMS)

B : Ecole centrale (Hermès)

C : INSE (Amadeus)

D : OPCE (Mosaïque)

1.3.2. De la loi Robien à la loi Aubry

Pour mettre en oeuvre la 2RT, le rôle de la politique publique peut s'avérer décisif, notamment dans les pays où la négociation collective spontanée entre les acteurs est affaiblie. En France, la loi Robien, puis la loi d'orientation et d'incitation du Gouvernement Jospin ont constitué des tentatives d'impulser la réduction de temps de travail comme mesure structurelle de politique de l'emploi.

L'expérience de la loi Robien a montré que le financement temporaire de la réduction du temps de travail sous condition de création d'emploi pourrait produire des effets bénéfiques sur l'emploi, et moins coûteux pour le budget que les traditionnelles mesures d'abaissement du coût du travail.

Les simulations de cette loi (Timbeau, 1997) indiquaient que, pour 100 milliards allégements de cotisations sociales, les effets sur l'emploi seraient, dès la première année de l'ordre de 600000 créations résultant de l'application du volet offensif. L'effet positif sur la croissance serait de 0.4 % avec une légère dégradation du solde extérieur et une dégradation du solde public de 41 milliards, le coût ex post d'un emploi créé serait de 70000 francs la première année et de 39000 francs en moyenne les cinq premières années.

Dans le cadre de la préparation de la loi d'orientation et d'incitation discutée par le parlement français en janvier 1998. deux projections (effectuées grâce aux modèles Banque de France et Mosaïque) - l'une réalisée par Baude et al. (1997), l'autre réalisée par Cornilleau et al. (1997) - ont été commandée par la mission Analyse économique de la Direction de l'Animation de la Recherche des Etudes et des Statistiques du Ministère de l'emploi et de la solidarité (DARES. 1998). Ces simulations reprennent l'hypothèse de 2RT exposée plus haut. Elles explorent chacune 5 scénarii :

. Une réduction à 35 heures sans compensation salariale et sans réorganisation

. Une réduction à 35 heures avec compensation

. Une réduction à 35 heures avec des gains de productivité du travail supérieurs aux gains tendanciels

. Une réduction à 35 heures avec gains d'efficacité du capital

. Une réduction du temps de travail avec réduction de cotisations patronales

Les deux projections s'accordent sur une fourchette de 400 000 à 700 000 emplois créés sur trois ans selon les hypothèses retenues. Elles concluent que l'effet maximal est obtenu si :

. Les gains de productivité ne sont pas trop importants

. Le coût unitaire du travail est maîtrisé. Tout au plus, les salaires horaires peuvent croître plus que la productivité si des aides de l'État compensent le choc salarial

. La réorganisation de la production permet un allongement de la durée d'utilisation des équipements.

Le résultat dépend cependant de la capacité des acteurs économiques à négocier sur le lieu de la production les réorganisations, accords et recrutements appropriés. À cet effet, la Direction de la Prévision du Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (1998) a envisagé trois cas de figure à l'aide du modèle METRJC (keynésien).

Dans la simulation 1, qui s'apparente au scénario recherché par la loi, toutes les entreprises de plus de 20 salariés passent aux 35 heures en 2002. Les gains de productivité représentent 3,4 % pour une réduction du temps de travail de 10 %. Les salariés bénéficient d'une compensation salariale partielle (de l'ordre des 2/3 : le salaire mensuel baisse de 3,9 % pour une augmentation du salaire horaire de 7,1 %). Le barème des heures supplémentaire s'élève progressivement à partir de 2000 (5 % en 2000. 10 % en 2001. 15 % en 2002. Les effets sur l'emploi en 2002 sont de 540 000 créations. Elles sont réduites (410000) si les salaires s'accélèrent à la suite d'une réduction du chômage produisant un effet Phillips 65 ( * ) .

Dans la simulation 2 , seuls deux tiers des entreprises de plus de 20 salariés passent aux 35 heures en 2002. Les salariés obtiennent une compensation salariale intégrale mais un gel des salaires jusqu'en 2002 tandis que la majoration des heures supplémentaires est de 15 % à partir de 2000. La hausse du coût salarial unitaire a des effets négatifs sur l'activité et l'emploi. Le nombre de créations d'emplois n'est alors que de 280 000 en 2002. Il se réduit à 210 000 au cas où l'effet Phillips ajoute une pression sur les salaires.

Dans la simulation 3 , scénario "de blocage", les partenaires sociaux "ne parviennent pas à négocier des accords de modération salariale" , où la durée légale est fixée à 35 heures par l'État, où les heures supplémentaires sont majorées de 25 % en 2000 et où le salaire minimum est relevé de 11,4 % à cette date dans toutes les entreprises. Seules 10 % des entreprises passent aux 35 heures en 1999, 50 % en 2002. Les gains de productivité sont plus élevés que dans les deux autres scénarii. Dans le cadre du dispositif légal, les entreprises respectent la stricte obligation légale d'accroître de 6 % l'emploi. Au total, l'emploi n'augmenterait que de 4 % (150 000 emplois en 2002). Mais, en raison de l'augmentation des coûts salariaux, l'économie perdrait 20 000 emplois, l'activité reculerait de -0,3 % tandis que le solde budgétaire se creuserait de -0,3 %.

1.3.4. Le débat sur la compensation salariale

Le débat concernant l'aménagement-réduction du temps de travail touche directement la définition par les acteurs des normes d'obtention et de répartition des gains de productivité dans les entreprises. Le principal argument développé contre la réduction de la durée du travail à temps plein sans perte de salaire porte sur l'élévation du coût salarial qui dégraderait la profitabilité et la compétitivité-prix des entreprises. Ainsi la question du temps de travail bute-t-elle généralement sur le débat sur la compensation salariale (voir Lipietz, 1995). Le statut central accordé à la modération du coût du travail comme paramètre essentiel de la réussite de la 2RT mérite toutefois discussion.

La fonction de production utilisée dans les modélisations n'est pas une fonction à facteurs substituables, mais une fonction à facteurs complémentaires. Ce choix est retenu notamment parce qu'aucune étude économétrique n'a pu démontrer la validité d'une fonction à facteurs substituables sur laquelle repose la théorie néo-classique de la demande de travail en fonction du coût relatif des facteurs. Cette dernière est pourtant invoquée pour justifier la mise en oeuvre des mesures d'abaissement du coût du travail et notamment du coût du travail non-qualifié. Si l'on admet donc l'hypothèse de facteurs complémentaires, le coût du travail n'influe pas sur l'emploi par un effet de substitution des facteurs lié au coût relatif des facteurs, mais par un autre biais. Le coût unitaire influe dans ce cas sur la profitabilité des entreprises qui exerce alors un effet sur l'investissement et l'emploi. Une augmentation du coût unitaire du travail détériore le taux de marge des entreprises ainsi que leur compétitivité-prix. Le maintien du coût unitaire apparaît donc comme la condition nécessaire.

Cette conclusion peut néanmoins être nuancée à l'épreuve de l'évidence empirique. Tout d'abord, dans le cas où l'emploi est lié à la profitabilité, la réduction du coût du travail n'est qu'un élément permettant d'accroître la profitabilité. Ensuite, si l'on considère que le coût unitaire du travail évolue désormais à un rythme inférieur à celui de l'inflation et des gains de productivité et que la profitabilité des entreprises s'est redressée spectaculairement sans que ces faits n'aient produit d'effets substantiels sur l'emploi, il faut peut être modérer le rôle des facteurs d'offre dans l'explication du chômage des années 90.

Soulignons que les pays dont les balances commerciales étaient excédentaires dans les années 80 sont les pays où le coût salarial a le plus augmenté (Allemagne, Japon). Cela signifie que le coût salarial n'est qu'une composante de la compétitivité parmi d'autres. La santé financière des entreprises est désormais rétablie. La compétitivité des entreprises française est devenue forte : le commerce extérieur est excédentaire de 180 milliards de francs, atteignant sans cesse des niveaux records. Le coût unitaire du travail ("charges sociales" comprises) continue de croître à un rythme inférieur à ceux de l'inflation et de la productivité. Enfin les "délocalisations" vers les Nouveaux Pays Industrialisés, sont des phénomènes sectoriels qui ne représentent que 3 % des flux d'investissements directs à l'étrangers qui s'effectuent essentiellement sur le territoire communautaire.

Dans la mesure où les profits sont restaurés, dans la mesure où le salaire est aussi un revenu pour les ménages, certains économistes soutiennent que le passage rapide aux trente-cinq heures sans perte de salaire pourrait alors favoriser simultanément une relance de la consommation et un mouvement général de réorganisation ayant un effet substantiel sur l'emploi.

Une réduction du temps de travail sans perte de salaire est en effet un moyen d'augmenter le salaire horaire dans un contexte de négociation collective peu dynamique. Elle accroîtrait certes la part des salaires dans la valeur ajoutée, celle-ci étant aujourd'hui de l'ordre de 59 % . Mais elle rétablirait la part des salaires à 66 % de la valeur ajoutée, en dessous de ce qu'elle était en 1984 (69 %). Sans être excessif, un tel déplacement aurait un effet macro-économique bénéfique compte tenu de l'atonie de la consommation.

Cette réduction du temps de travail ne produira cependant pas les mêmes effets dans toutes les entreprises. Si un grand nombre d'entre elles ont recouvré des marges confortables, d'autres, parmi lesquelles de nombreuses PME, connaissent des situations moins florissantes. C'est pourquoi l'aide forfaitaire (quelle que soit la nature de l'entreprise) risque de provoquer des "effets d'aubaine" importants parmi les entreprises à marge confortable. Ces effets paraissent certes nécessaires aux yeux des législateurs pour que les entreprises "jouent le jeu" en acceptant la négociation. Les entreprises bénéficieront en outre de l'effet macro-économique supposé d'une demande plus importante liée au maintien des salaires et à l'augmentation de l'emploi résultant de la réduction du temps de travail.

La conférence sur les salaires l'emploi et la réduction du temps de travail organisée par le Gouvernement français le 10 octobre 1997 visait à définir de façon maîtrisée de nouvelles normes de répartition des gains de productivité. "Techniquement faisable", la mesure n'a donc de portée effective que si les acteurs sociaux s'engagent à tous les niveaux dans la négociation, ce qui engage leur capacité à définir les termes d'un contrat social acceptable par les uns et par les autres.

Les monographies d'entreprises présentées plus loin fourniront de premiers éléments d'évaluation des nouvelles normes de salaire et de temps de travail construites par les acteurs sociaux dans les entreprises.

* 56 « Why has unemployement differed between countries ? (Layard et al, 1991, p 48).

* 57 Cette structure d'évaluation, avec certaines variantes quant aux variables incluses dans l'analyse, est reprise par Bellmann et Jackman (1996), Scarpetta ( 1996).

* 58 Cité par Bellmann et Jackman (1996, page 735).

* 59 Voir Bellmann et Jackman (1996, page 739).

* 60 Gautié (1996) propose une critique similaire.

* 61 Le terme travail non-qualifié est utilisé dans tous les tests exposés au sens de la théorie néo-classique. Il est synonyme de faible productivité marginale.

* 62 Il ne faut pas confondre les tests et simulations économétriques, où les coefficients des équations sont estimés à partir de données longitudinales - ce qui constitue un véritable test empirique des hypothèses théoriques - et celles des simulations ou les coefficients retenus relèvent du choix du modélisateur. Ainsi, le modèle de Cette et al. (1995). simulant les effets de la mise en place d'un SMlC jeune, utilise une fonction de production à facteurs substituables de type Cobb-Douglas, en lui assignant une élasticité de substitution capital-travail conforme aux hypothèses néoclassiques propres à ce type de modèle. L'élasticité de l'emploi des jeunes par rapport au SMIC jeune dépend alors de l'élasticité de substitution capital travail, de l'élasticité de substitution inter-catégoriel et de l'élasticité de substitution intra-catégoriel. Ces trois élasticités sont choisies par le modélisateur en fonction des coefficients voulus par le modèle. La simulation en question concernant les effets d'un SMIC jeune, réalisée à l'intérieur d'un tel monde théorique néo-classique, ne peut donc que conclure : « l'instauration d'un Salaire Minimum Jeune, inférieur de 20 %, pourrait aboutir, à terme (au bout de cinq à dix ans), à la création d'environ 100 000 emplois. Pour les jeunes, 150 000 emplois seraient créés au prix de 50 000 pertes d'emplois pour les non-jeunes (Cette et al.. 1995. p. 233).

* 63 En ce qui concerne les jeunes. Skourias (1995) trouve des résultats similaires à ceux de Basen et Martin en utilisant un test de type Mincer. Il en conclut : « Ainsi, pour réduire l'emploi des jeunes, il faudrait, sur la base des élasticités estimées, et d'une inflation de 2,5 %, augmenter le SMIC réel de 5 à 10 %, ce qui impliquerait une revalorisation de 7,5 à 12,5 % du SMIC nominal (p. 273) . Ceci le conduit à suggaérer « qu'une simple modération du rythme de croissance du SMIC, comme tel est le cas depuis une dizaine d'années, suffirait pour contenir les effets négatifs du SMIC sur l'emploi des jeunes dans des fourchettes raisonnablement faibles (ibid.). L'auteur avance d'autre part que le calcul des élasticités pourrait sous-estimer les effets du SMIC sur l'emploi des jeunes car les jeunes bénéficient de mesure de politique d'emploi abaissant leur coût salarial et contournant de fait le SMIC. C'est ce que font remarquer Bourdet et Person (1991) lorsqu'ils mettent en évidence que le déploiement des mesures en faveur des jeunes est corrélé avec l'augmentation du SMIC. Ceci expliquerait par conséquent pourquoi Bazen et Martin n'ont pu mettre en évidence une relation solide. Pour résoudre ce problème, Benhayoun (1990) a retiré les emplois aidés de jeunes de la définition du taux d'emploi dans l'équation testée. Pour Cette et al. (1995. p. 207), cette démarche est appropriée car elle conduit à surestimer les effets négatifs du SMIC sur l'emploi des jeunes. Une partie des emplois aidés font en effet l'objet d'un « effet d'aubaine : ils auraient été de toute façon créés et ils se seraient substitués à des emplois qui auraient été créés.

* 64 La raison technique de cette prudence est donnée en note de bas de page de cet article : « les équations reposant sur un cadre théorique strict, les coefficients estimés dans les deux équations doivent satisfaire certaines conditions restrictives. En fait, les équations de long terme devraient être identiques. Pour tester ces restrictions, les deux équations ont été estimées conjointement, avec la contrainte de rendements constants. Là encore, les résultats n'ont pas été très satisfaisants. Il a fallu exclure la tendance temporelle de l'équation des adultes pour obtenir des estimations paramétriques raisonnables ; quant à la tendance négative dans l'équation des jeunes, elle était anormalement élevée.

* 65 Lorsqu'elle est validée, la relation de Phillips indique que toute réduction du chômage s'accompagne d'une pression à la hausse des salaires (en raison de l'apparition de pénuries sectorelles de main d'oeuvre et d'un rapport de force plus favorable aux travailleurs). Pour les raisons inverses, toute hausse du chômage exerce une pression à la baisse sur les salaires.

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