12. Lutte contre l'exclusion sociale et renforcement de la cohésion sociale en Europe - Interventions de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF), et Paul DHAILLE, député (Soc) (Mercredi 28 janvier)

Des millions de personnes à travers l'Europe se trouvent privées de leurs droits fondamentaux au travail, à la santé et à un mode de vie décent par la montée de la pauvreté, le chômage et le manque de qualifications. C'est ce qu'explique le rapport.

L'exclusion sociale atteint des proportions critiques dans tous les pays d'Europe et pourrait menacer la cohésion sociale si des mesures appropriées ne sont pas prises. Selon les estimations de l'Union européenne, les quinze Etats membres comptaient en 1996 31 millions de personnes bénéficiant d'allocations d'aide sociale, 18 millions de prestataires d'une allocation de chômage, 35 % de foyers vivant sous le seuil de pauvreté et environ 3 millions de sans-abri. La situation est tout aussi alarmante dans les pays d'Europe centrale et orientale: en Hongrie, près de 10 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, et ce serait le cas de quelque 70 millions de personnes en Russie.

Le rapport appuie le projet du Conseil de l'Europe sur la dignité humaine et l'exclusion sociale, lancé en 1995 et que viendra compléter une conférence de suivi prévue en mai 1998 dans la capitale finlandaise, Helsinki.

Il invite les Etats membres du Conseil de l'Europe:

- à accorder un statut égal aux droits sociaux et aux droits de l'homme ;

- à revoir les politiques sociales afin qu'elles ciblent les catégories les plus défavorisées d'une manière efficace et équilibrée ;

- à prendre des mesures pour réduire la pauvreté parmi les populations à haut risque ;

- à faciliter la réinsertion des groupes marginalisés par la mise en place de campagnes contre l'illettrisme et de programmes de recyclage ;

- à faire évoluer les politiques de l'urbanisme et de l'habitat de façon à éviter la création de ghettos et à favoriser la réalisation de programmes de logements de qualité et à coût réduit ;

- à mettre sur pied des actions de formation et d'éducation ;

- à assurer des soins médicaux gratuits aux personnes démunies et à lancer des programmes de lutte contre les maladies ;

- à fournir à ces personnes une assistance juridique gratuite et à créer des services de consultation juridique pour les exclus.

Le rapport invite également le Comité des Ministres à créer un Observatoire de la cohésion sociale en Europe, à collecter informations et statistiques et à fournir aux pays des avis d'experts et une assistance technique.

M. Claude BIRRAUX, député (Soc) s'exprime alors de la façon suivante :

" Je veux d'abord féliciter notre rapporteur pour son excellent rapport complet et équilibré.

Depuis quelques années, la notion de cohésion sociale est entrée dans le débat politique sans être jamais définie. Discours, débats, revues, se font l'écho d'une "cohésion sociale menacée", dont les conséquences les plus graves se nomment fracture sociale, rupture, exclusion. A cette situation complexe, le politique essaie d'apporter les solutions adéquates.

L'exclusion recouvre des réalités très différentes, rendant plus complexes les solutions à proposer. Les causes sont différentes mais, bien souvent, un enchaînement précipite les gens dans une spirale descendante. On trouve aujourd'hui les exclus de l'emploi, du logement, des soins de santé indispensables, les exclus de la société technologique, les exclus du savoir, de la culture...

Il est vrai que le dénominateur commun à ces "exclusions" s'appelle souvent le chômage et plus encore le chômage de longue durée, mettant en exergue l'effacement des solidarités traditionnelles, en particulier familiales. Autrefois, la famille élargie aux grands parents, aux oncles et tantes, était un lieu de solidarité et permettait souvent le règlement des conflits.

Aujourd'hui, l'instabilité économique, comme cause principale d'exclusion, tend à faire de chacun un exclu potentiel, accroissant le sentiment d'insécurité de nos concitoyens et rendant ainsi encore plus urgente la mise en place de dispositifs. L'urgence est plus grande encore si l'on pense que l'amélioration de la situation économique ne suffira pas à faire décroître le nombre des exclus, rendant par là même ce phénomène de moins en moins transitoire.

En Europe, la mondialisation de l'économie vécue par les démocraties à l'Ouest et l'effondrement des régimes communistes à l'Est ont rendu insuffisants ou inexistants les systèmes de protection sociale. Face à cette situation, il est urgent de mettre en place dans chaque Etat des dispositifs visant à renforcer la cohésion sociale.

J'approuve pleinement le projet de recommandation du rapporteur qui invite les Etats à promouvoir des politiques de prévention de la pauvreté et d'insertion.

Prévenir : il s'agit de rompre le cercle vicieux qui fait que ce qui doit être considéré comme un accident de l'existence, la perte d'un emploi, la maladie, l'échec scolaire, ne devienne en réalité un pas certain, irréversible vers la marginalisation. Je pense en particulier à des mesures permettant de prévenir les expulsions de logements. Prévenir, c'est aussi penser un urbanisme à taille humaine, avec un environnement de qualité, social ou culturel, afin que l'on ne revoie plus ces concentrations de populations qui conduisent au ghetto.

Réinsérer : il s'agit de rompre avec une politique exclusive de minima sociaux et d'assistance donnant certes bonne conscience mais qui omet l'objectif primordial, celui de l'insertion, qui rende au citoyen conscience de son utilité économique et de son rôle social. Il convient pour cela de rendre effectifs les droits fondamentaux et non pas de créer un " droit pour les pauvres ". Réinsérer celui qui est resté sur le bord du chemin passe en effet par le retour à une vie normale.

C'est pourquoi, exercer son droit de vote, ester en justice, accéder aux soins sont autant de droits que tout citoyen, indépendamment de ses revenus, doit pouvoir exercer. Il est inadmissible que la tuberculose, maladie d'un autre temps, réapparaisse aujourd'hui. La cohésion de nos sociétés passe par la participation de tous les citoyens, pauvres, riches, chômeurs et salariés aux décisions.

Réinsérer passe aussi et surtout par le retour à une activité professionnelle. Je pense en particulier aux jeunes qui commencent leur vie d'adultes bien souvent dans la rue.

Le droit à la formation est fondamental. Il me semble primordial de mettre en oeuvre des parcours de formation et de suivi pour les jeunes peu ou pas qualifiés. La formation initiale est importante, mais l'évolution des technologies est tellement rapide qu'une formation continue doit pouvoir permettre une adaptation à l'évolution des métiers tout au long de la vie active. Par ailleurs, avec l'irruption des nouvelles technologies, prenons garde à ce que d'autres exclusions ne viennent s'ajouter.

C'est pourquoi il est tellement important que l'initiation et la formation à la maîtrise de ces technologies soient dispensées dans toutes les écoles, comme l'a rappelé notre Assemblée dans les rapports concernant les nouvelles technologies de communication et d'information.

C'est en définitive en garantissant l'égalité réelle des chances à tous les citoyens, en particulier aux jeunes, que nous préviendrons l'exclusion et que nous conforterons le socle de notre démocratie. "

M. Paul DHAILLE, député (Soc) intervient en ces termes :

" Dans le préambule de la Constitution de 1946, les parlementaires français écrivaient que: " chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions et de ses croyances ", et plus loin, ils allaient encore plus avant en proclamant: " Tout être humain, qui en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ".

Cette belle formule pourrait résumer à elle seule notre rapport d'aujourd'hui. Mais la première sur le droit au travail est plus belle encore, rédigée qu'elle est au lendemain de la guerre où la nation avait eu besoin de tous ses citoyens quelle que soit leur origine, leur condition sociale ou leur place dans la société. La solidarité nationale transcendait alors les classes sociales et l'heure était à l'égalité et à la fraternité universelles.

Le rapport présenté qui constate la situation dramatique dans laquelle se trouvent beaucoup de nos concitoyens marque bien le recul considérable qui a marqué, en cinquante ans nos sociétés. Nous sommes passés de l'idée formidablement généreuse du droit au travail à un politique défensive, même si elle est nécessaire, de lutte contre l'exclusion.

L'exclusion sociale est devenue une donnée acceptée, subie, je dirais même voulue par certains, du fonctionnement économique de nos sociétés. Ainsi, beaucoup de pays développés ou ayant adopté le modèle libéral de développement fonctionnent avec un "volant" d'exclus qui apparaissent consubstantiels à leurs pratiques économiques. On laisse alors à l'Etat le rôle de réguler la solidarité sociale quand ce n'est pas à la charité individuelle ou associative. L'appareil économique considère alors qu'il n'a aucune responsabilité dans l'équilibre social et démocratique du pays. Peut-on licencier pendant la journée et rentrer le soir chez soi en espérant que l'on vivra dans un cadre parfaitement sûr et tranquille. Oui, répondent certains pays où l'on rentre à son domicile complètement sécurisé et isolé de l'extérieur comme le château fort au Moyen Age. Nous devons répondre au contraire que ce n'est pas le modèle de développement que nous voulons à moins de revenir aux distributions frumentaires de la Rome antique.

Aujourd'hui, faute de mieux, il nous faut revenir à ce qui constitue le minimum garanti à un citoyen par la collectivité pour qu'il ne soit pas exclu de la communauté économique sociale et démocratique.

En premier lieu, il s'agit du droit au logement. En 1990, par loi, dite loi Besson, la France proclamait "garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation. Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence a droit à une aide de la collectivité pour accéder à un logement décent et indépendant pour s'y maintenir". Ce droit au logement s'étend bien sûr aux différents moyens de mener une vie décente, l'eau, le chauffage, l'éclairage... Mais il est bien évident qu'une telle politique ne doit pas déboucher sur un politique de ghetto rassemblant dans des ensembles dépendant de la seule politique sociale de l'Etat, nos concitoyens qui sont exclus du monde du travail. La mixité sociale de l'urbanisme doit être un des moyens privilégiés de lutte contre l'exclusion et pour la cohésion sociale. Faire cohabiter dans les même immeubles et les mêmes quartiers ceux qui connaissent des difficultés et ceux qui normalement insérés dans la société apparaît comme la réponse la plus efficace au problème de l'exclusion. Les combattre demeure du pouvoir législatif et réglementaire des Etats et de leur collectivités locales.

Pour le reste, nos concitoyens marginalisés ont tendance à s'exclure eux-mêmes de la vie culturelle ou démocratique L'exclusion économique les conduit à se considérer "hors de la société" et de ses mécanismes associatifs et politiques.

Ces comportements peuvent être passifs comme la non-participation aux élections ou le refus d'engagement dans les associations ou actifs allant même jusqu'à la violence ou le choix de l'extrémisme politique. Il est évident que dans ces domaines les réponses institutionnelles sont impuissantes. La participation à la vie culturelle ou démocratique ne se décrète pas. A moins de mesures contraignantes comme le vote obligatoire, il me semble que nous devrions poursuivre notre réflexion. En effet, l'évolution économique dominante me paraît devoir créer de plus en plus d'exclus, et, à moins d'un infléchissement extraordinaire de la pensée économique dominante qui reconnaîtrait sa responsabilité sociale, je pense que nous n'avons pas fini de parler de ce problème. "

Au terme du débat, la recommandation 1355, figurant dans le rapport 7881, amendée, est adoptée.

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