INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La guerre du Golfe , conflit pourtant atypique à bien des égards, avait mis en lumière en 1991 d'importantes imperfections de notre système de défense. Puis la réforme d'ensemble de notre appareil de défense , fondée sur la professionnalisation de nos forces et dont le Président de la République a pris l'initiative en 1996, a eu notamment pour objet de réduire ces lacunes. Elle s'est traduite, sur le plan législatif, par les choix essentiels contenus dans la loi de programmation militaire 1997-2002 -dont les objectifs ont été confirmés par la dernière revue des programmes-, par la loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national, et plus récemment, par le projet de loi, encore en cours d'examen, sur la réorganisation de la réserve militaire.

L' opération « Force alliée » , menée par l'Alliance atlantique du 24 mars au 9 juin dernier, pour répondre à la situation inacceptable que le régime de Belgrade avait créée au Kosovo, conduit, à nouveau, comme toute crise de cette ampleur, à s'interroger sur les enseignements qu'il faut en tirer pour l'avenir. Il convient en particulier de tenter d'évaluer, sereinement mais sans complaisance, si et dans quelle mesure les choix précédemment effectués ont été validés par cette nouvelle crise.

Cela est nécessaire sur le plan militaire , dans la mesure où la France a pris une part particulièrement active aux 79 jours de campagne aérienne contre la Yougoslavie. Cette participation de nos forces à toutes les grandes fonctions nécessaires -qu'il s'agisse des capacités de combat, d'appui sol, de renseignement ou d'observation, de ravitaillement en vol, ou de capacités de recherche des équipages- a-t-elle justifié les choix effectués en matière de professionnalisation mais aussi en matière d'équipements militaires ? Quelles insuffisances a-t-elle fait apparaître et comment y remédier ?

Cela est nécessaire aussi sur le plan des choix diplomatiques et politiques faits tout au long de la crise. La crise du Kosovo doit être en particulier analysée au regard du « nouveau concept stratégique » de l'Alliance atlantique qui a été précisément adopté, lors du cinquantenaire de l'OTAN à Washington, au moment même où les frappes aériennes se poursuivaient sur la Yougoslavie. Si, par ailleurs, la guerre au Kosovo semble avoir favorisé la prise de conscience de nos partenaires sur la nécessité d'une défense européenne -qui s'était déjà manifestée à Saint-Malo entre Français et Britanniques et a été confirmée à Toulouse avec les Allemands et surtout, à quinze, lors du Conseil européen de Cologne le 4 juin dernier-, il importe de mieux analyser l'origine et les perspectives de ces nouvelles prises de position afin de tenter d'en apprécier la solidité et, surtout, d'en définir les modalités concrètes de mise en oeuvre.

Certes, la crise du Kosovo -et celle de l'ex-Yougoslavie en général- est loin d'être terminée. L'accord technique militaire signé le 9 juin par les délégations militaires alliée et yougoslave et l'adoption d'une résolution par le Conseil de sécurité des Nations Unies n'ont marqué que le début d'un long processus en vue d'un règlement politique. Et nul ne doute que de nouveaux enseignements pourront être tirés, le moment venu, de la nouvelle phase des opérations qui a débuté avec le déploiement de la KFOR (Kosovo force).

Mais le déroulement de l' opération « Force alliée » , par sa spécificité et sa durée, constitue déjà, en soi, une source de réflexion particulièrement nécessaire pour l'adaptation future de notre appareil militaire et de notre politique de défense.

C'est dans cette optique, délibérément tournée vers la recherche de solutions utiles pour l'avenir -et non vers une analyse critique, mais souvent stérile, du déroulement au jour le jour des événements- que votre commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a estimé qu' il n'était pas trop tôt, et qu'il était de son devoir, de tenter d'amorcer la réflexion indispensable sur les leçons de ces opérations.

C'est pourquoi votre commission -après avoir envoyé une délégation représentant tous les groupes politiques en Macédoine et en Albanie les 14 et 15 mai (cf. annexe n° 1 ci-dessous)- a débuté, dès le 9 juin, une série d'auditions dont l'intérêt, quelle que soit l'opinion que l'on puisse porter sur certaines idées émises, lui a paru justifier leur publication, accompagnée d'une analyse synthétique qui se conçoit davantage comme le début d'une réflexion et d'un débat nécessaires -dans lequel le Parlement doit jouer tout son rôle- que comme des conclusions qui seraient nécessairement prématurées.

L'objet du présent rapport est donc volontairement limité . Notre commission n'a aucunement l'intention d'apporter des réponses définitives aux multiples interrogations que l'opération « Force alliée » a légitimement suscitées. Son intention est seulement d' identifier un certain nombre d'interrogations et d' apporter une première contribution à des réflexions qu'elle juge indispensables, même si ces réflexions et ces interrogations justifieront naturellement beaucoup d'autres études, plus approfondies et avec plus de recul, avant de déboucher, le cas échéant, sur de nouvelles décisions.

I. L'ACTION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE : NOUVELLES MÉTHODES, NOUVEAUX ENJEUX ?

A. UN CADRE DIPLOMATIQUE EN ÉVOLUTION

La crise du Kosovo, dans la longue phase diplomatique qui a précédé les frappes aériennes, a été l'occasion de mettre en lumière le rôle de nouvelles structures de négociations : le « groupe de contact » a ainsi joué un rôle crucial, de même que le Groupe des 7 pays les plus industrialisés, auquel se joint désormais la Russie ( G8 ). L'OTAN a, pour sa part, avant même le déclenchement de l'action militaire, pris une place importante, en s'impliquant comme « soutien » à l'action diplomatique, en décidant de développer progressivement une capacité de menace militaire dans l'hypothèse d'un échec du processus de négociations qui serait imputable aux responsables yougoslaves. Dans ce contexte, le Conseil de sécurité de l'ONU -par delà le rôle concret tenu sur place par le HCR ou l'OSCE, organisation régionale de l'ONU- a davantage fait figure d' instance de légitimation de décisions prises en dehors de lui avant de redevenir, à la faveur du règlement final de la crise au mois de juin 1999, le cadre de légitimité internationale pour le retour à la paix.

1. L'émergence d'instances nouvelles de négociations et de décisions

- Le groupe de contact , qui réunit les représentants de quatre pays européens, Grande-Bretagne, Italie, RFA et France 1 ( * ) et ceux des Etats-Unis et de la Russie, est un format de concertation et de négociations, qui fut créé par la conférence de Londres en avril 1994 lors de la crise bosniaque , à la conclusion de laquelle il a largement contribué avant les accords de Dayton-Paris en octobre 1995.

Dès le début de la crise du Kosovo et durant la phase diplomatique qui a précédé la guerre, le groupe de contact a tenu un rôle essentiel en ce qu'il a -selon l'expression de M. Védrine lui-même- « orchestré » les décisions prises, pour aboutir, in fine, aux résolutions successives du Conseil de sécurité.

C'est en effet le groupe de contact qui, dès le mois de mars 1998 (par ses deux premières décisions des 9 et 25 mars), exprima la première réaction de la communauté internationale à la crise qui se développait au Kosovo, en décidant du principe de sanctions contre la Serbie, au cas où elle ne procéderait pas à des mesures de retenue dans sa répression contre la communauté albanaise et ne s'engagerait pas à ouvrir des négociations avec les représentants de cette dernière.

C'est donc en son sein que furent définis les principes qui devaient constituer la trame des négociations futures, à intégrer dans le cadre d'une solution diplomatique au Kosovo : retrait des forces militaires et ouverture de négociations par Belgrade en vue de doter le Kosovo d'une large autonomie dans le cadre de l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie.

C'est essentiellement à partir de ses travaux que furent prises par la suite les résolutions 1160, 1199 et 1203 du Conseil de sécurité des Nations-Unies.

C'est également sur la base des décisions successives du groupe de contact -qui s'est réuni régulièrement à partir de mars 1998- que les émissaires mandatés par la communauté internationale ont discuté, avec Belgrade, des modalités d'un accord politique à élaborer avec la partie albanaise et qui ont conduit à la convocation, par le groupe de contact lui-même, des parties serbes et kosovares aux réunions à Rambouillet puis à Paris dont l'issue, on le sait, a été négative.

- Le Groupe des 7 pays les plus industrialisés, auquel se joint désormais la Russie (G8), a également tenu dans la crise un rôle novateur. En complément de son ordre du jour traditionnellement consacré aux questions économiques ou monétaires, le G8, en s'impliquant très directement dans la crise kosovare, s'est transformé en un forum de négociations et de décisions dans un domaine relevant des menaces contre la paix. Le plan de paix agréé par le G8 constitue au demeurant le coeur de la dernière résolution du Conseil de sécurité (n° 1244 du 10 juin 1999), à laquelle il est d'ailleurs annexé. Sa composition permet d'associer, aux six pays du groupe de contact, le Canada et le Japon, ce dernier pays tenant une place incontournable dans les décisions relatives aux contributions financières liées au processus de reconstruction économique des pays affectés par la crise.

- Quelles premières conclusions tirer de cette revitalisation opportune du groupe de contact, créé il y a cinq ans, et du rôle nouveau imparti au G8 ?

- Le groupe de contact a été, dans la crise bosniaque comme dans celle du Kosovo, un outil précieux de la volonté d'aboutir . En avril 1994, après que la preuve eût été faite que les négociateurs des Nations Unies ou de l'Union européenne ne pouvaient aboutir à un résultat, « le groupe de contact a été une méthode de négociation inspirée par le désir d'aboutir, en évitant que la volonté politique ne s'enlise alors qu'il y avait urgente nécessité de parvenir à un résultat 2 ( * ) . »

- Le groupe de contact constitue par ailleurs un forum diplomatique informel dans son fonctionnement et adaptable dans sa composition . La première caractéristique permet, entre autres, sa convocation sur bref préavis, permettant de dénouer en urgence des situations de blocage. Surtout, sa composition variable permet d'adjoindre, au cas par cas, au noyau de base -les quatre Etats européens, les Etats-Unis et la Russie- d'autres représentants : président de l'Union européenne, représentant de la Commission, ou celui du Secrétariat général des Nations Unies...

- La formule peut être utile pour l'avenir même si son principe encourt parfois quelques critiques :

A l'heure où un consensus se dessine en faveur d'une Europe de la sécurité crédible, l'idée de pouvoir constituer, au sein de l'Union européenne, un groupe d'Etats résolus à agir dans le cadre d'une crise reprend une nouvelle légitimité. Dans cette perspective, la formule du groupe de contact présente, pour ses membres européens, un intérêt particulier : « Le choix d'employer la force dans le cadre européen pourrait conduire à la formation de coalitions de volontaires (...) les pays les plus désireux ou les plus capables de participer à une action armée s'associant pour une entreprise commune. La formule du groupe de contact (...) pourrait permettre aux Etats qui en ont la volonté d'engager des actions modulées sur des « coopérations renforcées » (...) dans le domaine diplomatique ou militaire » 3 ( * ) .

Le recours à une telle formule dans le cadre de la PESC pourrait être utile, si l'omission du traité d'Amsterdam, consistant à écarter le « deuxième pilier » du champ des « coopérations renforcées » était rapidement comblée. La nouvelle CIG qui doit se réunir prochainement pour préparer les réformes institutionnelles de la future Union pourrait , à cet égard, ajouter cette question à l'ordre du jour de ses travaux.

Telles que sont aujourd'hui, en effet, articulées les modalités institutionnelles de la PESC, le souci d'efficacité d'une formule « groupe de contact » se heurte aux procédures agréées à quinze. Une difficulté peut surgir à ce stade, les « petits pays » de l'Union, se sentant exclus de ce qu'ils considèrent comme une forme déguisée d'un « directoire des grands », en refusant toute forme d'institutionnalisation. Mais, là encore, la crise du Kosovo a démontré que cette critique -qui avait été maintes fois émises lors de la crise bosniaque- n'a pas été véritablement formulée. L'implication d'autres organisations, et notamment celle de l'OTAN, a permis aux autres membres européens de l'Alliance de tenir tout leur rôle et a constitué, en quelque sorte, un « antidote » à la critique de ce directoire à «quatre plus deux».

- Contrairement aux difficultés qu'avait rencontrées le groupe de contact Bosnie, le groupe de contact Kosovo a permis aux quatre Européens de faire montre d'une réelle solidarité , quant au but à atteindre et aux moyens à utiliser pour ce faire. Cette cohésion européenne au cours de la crise, confortée par les prises de positions de l'Union européenne elle-même mérite d'être soulignée. Elle est à l'évidence à l'origine d'une prise de conscience fructueuse : celle du décalage entre une cohésion politique et une incapacité militaire relative, qui fonde aujourd'hui les espoirs pour une défense européenne crédible.

- Le groupe de contact et le G8 ont également permis de préserver le rôle international de la Russie et de l'intégrer dans la négociation en vue d'un accord final dont la conclusion n'aurait pu se faire sans sa coopération.

- Une ultime observation sur ce point concernera les rapports entre le Conseil de sécurité des Nations Unies, le groupe de contact et le G8 . Ces deux derniers n'ont-ils pas été le substitut discret à l'impossible réforme de l'instance décisionnelle de l'organisation mondiale ? En y associant, aux côtés des quatre membres permanents du Conseil de sécurité, l'Allemagne, l'Italie et le Japon qui ont, on le sait, formulé depuis longtemps le voeu de siéger à New York comme membres permanents et de ne plus être éternellement considérés comme les vaincus du dernier conflit mondial, le groupe de contact et le G8 n'ont-ils pas, opportunément, apporté une réponse pragmatique et efficace à une réforme dont les termes relèvent -on le sait bien- de la quadrature du cercle ?

2. L'engagement progressif de l'OTAN dans la crise : la pression militaire

L'OTAN s'est impliquée dans la crise du Kosovo dès le printemps 1998. Le Conseil de l'Atlantique Nord, réuni le 11 juin en session des ministres de la défense, prit ce jour là les décisions suivantes, en donnant aux autorités militaires de l'OTAN l'instruction :

- de conduire, en Albanie et en Macédoine, en accord avec les deux gouvernements concernés un « exercice aérien approprié » en vue de démontrer la capacité de l'OTAN d'effectuer rapidement une projection de puissance dans la région ;

- d'évaluer et de développer une gamme complète d'options qui, « fondées sur la base juridique pertinente, auront pour objectif de faire cesser ou d'entraver une campagne systématique de répression, (...) d'appuyer les efforts déployés par la communauté internationale et de contribuer à créer les conditions favorables à des négociations sérieuses en vue d'un règlement politique (...) ».

Le 23 septembre 1998, -soit concomitamment à l'adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 1199-, l'OTAN menaça la Yougoslavie de frappes aériennes si elle ne cessait pas ses actes de violence au Kosovo et appuya cette menace par un début d'ordre de mobilisation de forces (ACTWARN).

Le 13 octobre 1998, devant la recrudescence des violences dans la province, le Conseil Atlantique a alors autorisé les ordres d'activation (ACTORD) des forces aériennes, dans le cadre de l'opération « Determined force », ceci en vue de soutenir les efforts diplomatiques, qui furent d'ailleurs conclus par la signature, les 15 et 16 octobre 1998, de deux accords concernant, l'un, l'établissement d'une mission de vérification, sur le terrain, dépendant de l'OSCE, signé par le président serbe et le président en exercice de cette organisation, l'autre, la mise en place d'une mission d'observation aérienne au Kosovo « Eagle eye », conclu entre le président serbe et le SACEUR, le général Wesley Clark.

Ces deux accords furent entérinés par la résolution 1203 du 24 octobre 1998 du Conseil de sécurité des Nations Unies, et aboutirent à la suspension de la décision de procéder aux frappes aériennes.

Alors que se préparaient, au début de 1999, les négociations qui devaient conduire, à l'invitation du groupe de contact, serbes et albanais à venir négocier à Rambouillet (6-23 février), puis à Paris (15-18 mars), le Conseil de l'Atlantique Nord décida, le 30 janvier, que le secrétaire général de l'OTAN « pourrait autoriser des frappes aériennes contre des objectifs situés sur le territoire de la République fédérative de Yougoslavie (...) ».

Compte tenu de l'échec des négociations, l' ordre de commencer les frappes aériennes fut donné le 23 mars par le secrétaire général de l'OTAN.

3. Les limites du rôle de l'ONU

Avant la décision du 23 mars 1999 d'engager les opérations militaires, le Conseil de sécurité des Nations Unies avait adopté trois résolutions successives 4 ( * ) .

- La première ( n° 1160 ), adoptée le 31 mars 1998 a essentiellement décidé un embargo ciblé contre la Serbie, précisant que « tous les Etats interdiront la vente ou la fourniture à la République fédérale de Yougoslavie (...) d'armements (...) et s'opposeront à l'armement et à l'instruction d'éléments appelés à y mener des activités terroristes. »

- La deuxième ( n° 1199 ), du 23 septembre 1998 , prenant en considération l'intensification des combats, le recours « excessif et indiscriminé » à la force par les unités militaires et policières serbes et les mouvements de réfugiés, comporte des exigences précises , d'application immédiate, adressées aux autorités serbes :

- mettre fin à toutes les actions des forces de sécurité,

- permettre à la Mission de Vérification au Kosovo (MVK), mise en place par l'OSCE, d'exercer une surveillance efficace,

- faciliter le retour des réfugiés,

- progresser vers un calendrier précis pour le dialogue avec la communauté albanaise du Kosovo.

Enfin, au paragraphe 16 de cette résolution, le Conseil décida qu'il lui reviendrait, au cas où les mesures ainsi exigées ne seraient pas prises, « d'examiner une action ultérieure et des mesures additionnelles pour maintenir ou rétablir la paix et la stabilité dans la région ».

- La troisième résolution, n° 1203 , du 24 octobre 1998 , a essentiellement consisté à entériner les mesures prises dans le cadre des accords des 15 et 16 octobre entre le SACEUR et le Président Milosevic, d'une part, et entre ce dernier et le président de l'OSCE, d'autre part, sur la mission de vérification engagée par celle-ci (la MVK) et la mission de surveillance aérienne (Eagle eye ) de l'OTAN.

Sous différents aspects, ces trois résolutions, outre qu'elles relèvent toutes du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, présentent plusieurs caractéristiques communes qui, d'une certaine façon, donnent le sentiment que le Conseil de sécurité de l'ONU a été davantage cantonné dans un rôle quasi « notarial » d'entérinement de décisions prises dans d'autres enceintes plus réduites ou informelles, qu'il n'a initié ou décidé lui-même des mesures qu'il aurait été chargé lui-même de mettre en oeuvre.

Les considérants de ces résolutions, et notamment des deux premières, prennent acte des déclarations faites par les pays du groupe de contact pour appuyer les décisions prises. Plus tard dans le déroulement de la crise, c'est le G8 (ceux du groupe de contact plus le Canada et le Japon) qui, le 6 mai 1999, a présenté les principaux points qui devaient servir de base à un règlement de la crise ; de même, c'est un accord pris au sein du G8 qui, le 8 juin, devait permettre la mise en oeuvre définitive de l'accord, conclu le 3 juin, entre Belgrade d'une part et les représentants de l'Union européenne, de la Russie et des Etats Unis d'autre part, qui constitue l'ossature de l'ultime résolution du Conseil de sécurité du 10 juin 1999 (n° 1244).

A l'égard de l'OTAN, l'ONU s'est ainsi trouvée en position d'être « soutenue », sans l'avoir cependant explicitement requis, par les décisions prises par le Conseil atlantique. Les mesures prises par l'OTAN d'activation des forces en vue de frappes aériennes, destinées à exercer une pression supplémentaire sur Belgrade pour l'inciter à exécuter les demandes exigées par le Conseil de sécurité, ont été prises à l'initiative de l'Alliance, par consensus de ses 16 membres d'alors. On évoquera enfin plus loin, sur le même sujet, les débats qui se sont fait jour quant à la validité juridique de la résolution 1199 pour autoriser le recours par l'OTAN à la force militaire.

Le Conseil de sécurité a cependant pris rapidement ses responsabilités à l'égard du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie . Dès sa première résolution n° 1160 du 31 mars 1998, le Conseil de sécurité a en effet engagé le Procureur du Tribunal pénal international « à commencer à rassembler des informations concernant les actes de violence au Kosovo qui pourraient être de la compétence du Tribunal (...) » , en notant par ailleurs que « les pays membres du groupe de contact communiqueront au Tribunal les informations pertinentes dont ils disposent » (paragraphe 17) . Dans la résolution suivante n° 1199 du 23 septembre 1998, le Conseil de sécurité a « pris note » de la communication du 7 juillet 1998 adressée au groupe de contact par le Procureur du Tribunal pénal international dans laquelle celui-ci estime que la situation au Kosovo constitue un conflit armé selon les termes du mandat du tribunal », établissant ainsi sa compétence pour les crimes de guerre ou crimes contre l'humanité commis dans la province, qui a abouti à l'inculpation de M. Slobodan Milosevic et de plusieurs autres dirigeants yougoslaves.

- La dernière résolution n° 1244 du 10 juin 1999 du Conseil de sécurité, qui précise la structure et les missions de la KFOR, outre qu'elle entérine l'accord réalisé dans le cadre du G8, décide le déploiement de présences internationales civiles et de sécurité, placées sous les auspices des Nations Unies mais dont la réalité de la mise en oeuvre militaire relève de la seule OTAN. Cette disposition a évidemment le soutien de votre commission, l'expérience des forces spécifiquement ONU ayant démontré leurs faiblesses opérationnelles. Elle confirme cependant que, privé de réelle initiative en amont des négociations, le Conseil de sécurité s'est également vu quelque peu déposséder, en aval, de compétences qu'il avait tenté d'exercer dans les précédentes opérations de maintien de la paix, en gérant alors directement la mise en oeuvre militaire de ses résolutions.

La crise du Kosovo a donc placé le Conseil de sécurité des Nations Unies dans un rôle minimal qu'il est cependant seul à pouvoir jouer : celui d'organe de légitimation suprême de mesures prises en dehors de lui, et tendant à permettre l'usage de la contrainte, économique comme militaire, à l'égard d'un Etat responsable d'une menace à la paix.

Cette démarche active de l'OTAN n'est évidemment pas sans lien avec la célébration, politiquement et stratégiquement porteuse, de son cinquantième anniversaire, à l'occasion de laquelle l'Organisation entendait redéfinir son code de conduite et son rôle stratégique.

*

* *

B. L'OTAN : UNE RÉALITÉ OPÉRATIONNELLE, ENTRE LA LÉGITIMITÉ DE L'ONU ET LA NÉCESSITÉ D'UNE EUROPE DE LA DÉFENSE

1. Quelles missions pour l'Alliance du XXIe siècle ?

Le nouveau concept stratégique de l'Alliance, tout en réaffirmant « l'attachement (des alliés) à la défense collective définie à l'article 5 du traité de Washington et au lien transatlantique », met désormais l'accent sur « les nouveaux défis » portés à la sécurité de la zone euro-atlantique, générés dans un cadre régional, par l'instabilité liée aux rivalités ethniques et religieuses, aux litiges territoriaux, aux violations des droits de l'homme ou à la dissolution d'Etats. Ces tensions peuvent déboucher sur des crises ou des conflits armés qui, par leur extension, risquent d'affecter la sécurité de l'Alliance. Il reviendra donc à l'OTAN, éventuellement, en cas de survenance d'une telle crise, « de contribuer à sa gestion efficace, conformément au droit international, ce qui inclut la possibilité de conduire des opérations de réponse aux crises ne relevant pas de l'article 5 » : l'OTAN rappelle sa disponibilité, pour ce faire, à « soutenir, au cas par cas et selon ses propres procédures, des opérations de maintien de la paix et autres opérations menées sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies ou sous la responsabilité de l'OSCE, y compris en mettant à disposition les ressources et le savoir-faire de l'Alliance ».

De telles opérations de gestion de crises ou de réponse aux crises requerront un véritable contrôle politique, exigeant que « les autorités politiques (de l'Alliance) choisissent et coordonnent des réponses appropriées parmi un éventail de mesures à la fois politiques et militaires et qu'elles exercent, à tous les stades, un contrôle politique étroit ».

De même, l'Alliance décidera de telles opérations « au cas par cas et par consensus », ce qui exclut toute automaticité d'engagement en de telles circonstances. Cela étant, comme pour les opérations de défense collective, ces missions non-article 5 nécessiteront les mêmes « qualités politiques et militaires » (cohésion, entraînement multinational et travail de planification préalable) et « seront donc traitées dans le cadre commun de structures et de procédures alliées ».

Concrètement, au plan opérationnel, les dispositions pratiques pour les forces de l'Alliance engagées dans des missions de défense collective ou ne relevant pas de l'article 5 sont fondées sur des « procédures de consultations, une structure militaire intégrée et des accords de coopération » . Plus précisément, ces dispositions comprennent « des plans de forces collectifs, un financement commun, des plans opérationnels communs, des arrangements relatifs à des formations, des quartiers généraux et à des commandements multinationaux, un système de défense aérienne intégrée ».

Il était important par ailleurs de voir comment seraient déterminées les limites géographiques que l'OTAN entendait s'assigner dans le cadre de ses nouvelles missions, compte tenu de sa prétention, souvent dénoncée, à exercer une compétence mondiale.

De fait, « l'approche de la sécurité au XXIe siècle », telle que la définit le nouveau concept stratégique, se fonde sur une « approche globale » de la sécurité qui étend celle-ci aux « facteurs politiques, économiques, sociaux et environnementaux ». Le nouveau concept stratégique précise que les intérêts de sécurité de l'Alliance peuvent être mis en cause par des actes relevant « du terrorisme, du sabotage et du crime organisé », surtout par « la rupture des approvisionnements en ressources vitales », voire de « grands mouvements incontrôlés de population, résultant en particulier de conflits armés ».

Une conception, aussi large, des menaces qui peuvent mettre en cause les intérêts de sécurité de l'Alliance est-elle de nature à affranchir l'OTAN de toute limite géographique ? En d'autres termes, en dehors de la zone OTAN prévue par le traité de Washington, quelle peut être la définition de « l'ailleurs » où l'OTAN pourrait intervenir pour des missions ne relevant pas de l'article 5. Lors d'une conférence de presse, tenue lors du sommet de Washington, le président de la République a précisé la position de la France sur ce point :

« Sur cette affaire de zone, je rappelle que naturellement, quand je dis « ailleurs » pour définir le « ailleurs », la compétence de l'Alliance atlantique reste limitée géographiquement à la zone euro-atlantique, bien entendu. C'est cela le ailleurs ».

Cela étant, le nouveau concept stratégique encadre explicitement les éventuelles implications de l'OTAN, dans l'hypothèse de menaces « globales » à ses intérêts de sécurité, dans des règles de consultation entre alliés plus que dans des engagements formels à agir militairement. « Des arrangements existent au sein de l'Alliance qui permettent aux Etats membres de se consulter conformément à l'article 4 5 ( * ) du traité de Washington et, le cas échéant, de coordonner leurs efforts, notamment face à des risques de cette nature ».

Si les missions ne relevant pas de l'article 5 se verront ainsi limitées géographiquement à une zone au demeurant vaste et parfois troublée puisqu'elle peut s'étendre jusqu'au Caucase, seront-elles également soumises à des limites juridiques ? L'un des aspects importants du nouveau concept stratégique relevait en effet des liens à établir entre l'OTAN et l'ONU, seule instance à même de conférer une légitimité à tout projet de recours à la force militaire dans des opérations ne relevant pas de la légitime défense collective.

2. L'OTAN et l'ONU

Le communiqué du sommet de Washington précise que les opérations de gestion de crises -outre qu'elles seront décidées au cas par cas et par consensus-, le seront également « conformément à l'article 7 du traité de Washington » qui établit en de telles occurrences la suprématie de l'ONU. De même, le paragraphe 15 du nouveau concept stratégique rappelle que « le Conseil de sécurité assume la principale responsabilité quant au maintien de la paix et de la sécurité internationales ».

La France a pu, à juste titre, se prévaloir de ces différentes insertions dans le texte final qui, dans le texte du nouveau concept stratégique comme dans celui du communiqué, font ainsi référence au nécessaire recours au Conseil de sécurité des Nations Unies , préalablement à toute menace de recours ou tout recours à la force -de la part de l'OTAN mais aussi d'autres coalitions d'Etats ou organisations de défense- dans des opérations de gestion de crises. Cette position française fut constante, bien avant le déclenchement de la crise kosovare, mais ces débats prirent une tonalité particulière en avril 1999 à Washington, soit quelques six mois après l'adoption de la résolution 1199 du Conseil de sécurité des Nations Unies - sur laquelle était sensée se fonder le recours aux frappes aériennes sur le territoire de la République fédérale de Yougoslavie.

On sait que cette résolution, placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, intimait à la République fédérale de Yougoslavie de se conformer à un certain nombre d'exigences. Dans le paragraphe 16 de la résolution, le Conseil de sécurité des Nations Unies décidait, au cas où ces exigences n'auraient pas été satisfaites, « d'examiner une action ultérieure et des mesures additionnelles pour maintenir ou rétablir la paix et la stabilité dans la région » . Une telle formulation n'ouvrait certes pas, explicitement, la possibilité d'un recours à la force armée. Notre diplomatie a été légitimement soucieuse, tout à la fois, d'inscrire dans le nouveau concept stratégique une règle d'action précise pour toute préparation de recours à la force armée et d'accepter dans le cas d'espèce, de prévoir, implicitement, une exception à cette règle afin de ne pas laisser se dérouler, au Kosovo, une tragédie humanitaire doublée d'atteintes aux droits fondamentaux, par la commission de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité.

Ce fut le sens d'une intervention du Président de la République française le 6 octobre 1998 6 ( * ) : « (...) la situation humanitaire constitue une raison qui peut justifier une exception à une règle, si forte et si ferme soit-elle. Et s'il apparaissait que la situation l'exige, alors la France n'hésiterait pas à se joindre à ceux qui voudraient intervenir pour assister ceux qui sont en danger ».

L' enjeu d'un tel débat est essentiel pour l'avenir . Il importait que le nouveau concept stratégique ne comprenne pas de disposition indiquant explicitement que l'OTAN pouvait en quelque sorte « s'auto-mandater » pour recourir à la force dans une situation ne relevant pas de la défense collective. La rédaction retenue écarte ce risque, même si, comme M. Jean-Marie Guehenno l'a relevé devant votre commission, l'ambiguïté des formulations ne permet pas de lire, dans le texte issu de Washington, qu'une résolution prévoyant explicitement le recours de la force soit indispensable...

L'exception à la règle qui, en l'espèce, a fait prévaloir, dans une situation extrême, un droit d'intervention humanitaire sur la norme juridique a cependant été conjuguée à un encadrement politique, diplomatique et institutionnel qui permettrait d'éviter de lui conférer valeur de précédent . Cette intervention militaire, transparente dans ses objectifs humanitaires, limitée dans ses modalités, -guerre aérienne- et la nature de ses cibles avait succédé à une intense action diplomatique réunissant les principales puissances et instances concernées -groupe de contact, G8, OSCE, Union européenne, Conseil de sécurité- dont les efforts diplomatiques en faveur de la paix n'ont cessé à aucun moment.

Enfin, dès que les circonstances l'ont permis, à savoir l'attitude enfin positive des responsables serbes, c'est de nouveau au Conseil de sécurité qu'il est revenu de dire les termes d'un retour progressif à la paix, de la reconstruction du pays et du retour des réfugiés.

3. Quels types de forces et quels équipements pour les nouvelles missions ?

Le nouveau concept stratégique a pris en compte le développement de ces nouvelles missions pour engager une réflexion sur l'organisation future des forces de l'Alliance, depuis les modalités de planification jusqu'aux équipements. C'est l'objet d'une ambitieuse « initiative sur les capacités de défense », à l'origine d'un nouveau groupe de travail ad hoc créé au sein de l'Alliance et auquel notre pays participe, destiné à « améliorer les capacités de défense de l'Alliance dans le but de garantir l'efficacité des futures opérations multinationales (...) ». Le Conseil a aussi décidé de mettre en oeuvre avant la fin de l'année un concept de centre logistique interarmées multinational -ce qui constitue une innovation, la logistique relevant le plus souvent de chaque nation participant à une opération- et d'ici à 2002 une architecture de système de communication, commandement et contrôle (C3), creuset d'une future « capacité centrale intégrée de l'Alliance ».

Par delà ces deux exemples, cette initiative qui couvre de nombreux domaines : concepts opérationnels, méthodes de planification, capacité des forces... pourrait avoir des incidences industrielles notables en ce qu'elle aboutira, soit à la décision de concevoir des matériels interopérables adaptés -européens, américains ou euro-américains- soit à une série de propositions d'acquisition de matériels, émanant alors prioritairement des Etats-Unis. L'un des enjeux de la réflexion ainsi engagée est bien de savoir si l'exercice doit conduire les Européens à renforcer les capacités collectives de l'OTAN, ou à rendre l'Europe plus autonome dans le domaine de la gestion des crises. Le constat de base sur les limites européennes concernant certaines capacités est en effet partagé tant par l'Alliance que par l'Union européenne.

4. L'appel de l'OTAN au développement d'une identité européenne de sécurité et de défense (IESD)

Le sommet de Washington a consacré une large part du nouveau concept stratégique à la reconnaissance de la pertinence d'une IESD . Dans leur communiqué, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont réjouis « du nouvel élan donné au renforcement d'une politique européenne commune de sécurité et de défense par le traité d'Amsterdam ainsi que des réflexions engagées depuis lors au sein de l'UEO et - suite à la déclaration de Saint-Malo- de l'Union européenne (...) ».

Prenant acte « de la résolution de l'Union européenne à se doter d'une capacité d'action autonome » , les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Alliance ont souscrit au projet pour peu toutefois qu'il soit fondé sur quelques principes de base :

- que l'OTAN et l'Union européenne établissent entre elles une consultation , une coopération et une transparence effectives ;

- que les Européens prennent les mesures nécessaires pour renforcer leurs capacités de défense pour de nouvelles missions « en évitant les doubles emplois inutiles » ;

- que les alliés européens non membres de l'Union européenne 7 ( * ) soient associés à des opérations de réponse aux crises dirigées par l'Union européenne ;

- que cette extension d'un rôle accru de l'Union en matière de défense, s'appuiera sur un approfondissement des décisions du sommet de Berlin de 1996 relatif au concept de capacités de l'OTAN séparables mais non séparées pour des opérations dirigées par l'UEO.

Ces conditions correspondent en fait assez exactement au refus américain des « trois D ». Refus du « découplage » que traduirait la création d'un « caucus » européen au sein de l'Alliance et dont les pratiques de « transparence, de coopération et de consultation » énoncées dans le nouveau concept stratégique écarteront le risque ; refus de la « duplication » de certains moyens collectifs de l'Alliance, comme les structures de commandement militaire ou les principaux états-majors de planification ; enfin le refus de la « discrimination » de l'Union européenne dans ses actions de sécurité, à l'égard des alliés non membres de l'Union dans la perspective de l'absorption par celle-ci de l'UEO -souci qui concerne en particulier la Turquie qui, à l'heure actuelle, participe à l'UEO mais reste en revanche, pour l'heure, à l'écart du processus d'adhésion à l'Union européenne.

Ce message de disponibilité de l'Alliance au renforcement de capacités proprement européennes de défense a reçu une prompte réponse avec le communiqué du sommet de Cologne qui, après les jalons essentiels constitués en particulier par les déclarations franco-britannique de Saint-Malo et franco-allemande de Toulouse, a lancé une phase importante de relance d'une Europe de la sécurité.

*

* *

C. LA REFONDATION D'UNE POLITIQUE EUROPÉENNE DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE

1. Les efforts infructueux d'implication de l'UEO pour une visibilité européenne en matière de défense.

L'UEO, créée en 1948 par le traité de Bruxelles, près de dix années avant la mise en place de ce qui allait devenir l'Union européenne et un an avant l'Alliance atlantique, avait initialement pour objet de fonder, entre ses cinq membres originels auxquels se sont ajoutés ultérieurement l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Grèce, une structure de défense collective. Cet aspect de sa raison d'être -définie à l'article V du traité de Bruxelles- fut rapidement vidé de sa substance après la création de l'Alliance Atlantique et de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord à laquelle il revint de facto le rôle d'assurer la défense de l'Europe occidentale contre la menace soviétique.

Dès lors, l'UEO a été cantonnée à un rôle de forum consultatif sur les questions de défense européenne, sans prise sur la réalité, dépourvue qu'elle était par ailleurs de moyens opérationnels.

Cependant, plusieurs gouvernements européens se sont montrés soucieux de conférer à la Communauté européenne puis à l'Europe une meilleure visibilité en matière de défense et de sécurité. La « déclaration de Rome » adoptée en 1984 , considérée comme fondatrice d'une relance de l'UEO préconisait une « meilleure utilisation de l'UEO » pour « renforcer » la « sécurité occidentale ». Concrètement, un calendrier régulier de réunions des ministres des affaires étrangères et de la défense fut décidé, conférant à l'organisation un statut de forum permanent de concertation.

Mais c'est surtout la plate-forme de la Haye , adoptée en octobre 1987, qui constitua l'étape la plus décisive, notamment en liant la réactualisation de l'UEO à la construction communautaire qui « restera incomplète tant que cette construction ne s'étendra pas à la sécurité et à la défense ».

Ce rapprochement croissant entre la logique communautaire, d'une part, et la mise en place d'une entité européenne de sécurité et de défense, d'autre part, se concrétisera d'abord par l' élargissement de sa composition : l'adhésion à l'UEO des nouveaux membres de l'Union européenne tout d'abord : Espagne et Portugal en 1990, puis la Grèce en 1995.

Cette ouverture aux membres de l'Union européenne fut complétée à l'égard de ceux d'entre eux qui avaient un statut de pays neutres -Autriche, Finlande, Suède et Irlande- ainsi que, pour des raisons spécifiques, le Danemark, en tant que membres observateurs .

De même, les membres de l'OTAN non parties à l'Union furent-ils accueillis en qualité de membres associés (Islande, Norvège, Turquie, puis, récemment, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque). Enfin, les sept Etats d'Europe centrale et orientale avec lesquels l'Union européenne avait signé un accord d'association devinrent associés partenaires .

Un embryon de capacités militaires propres.

La réunion du Conseil de l'UEO à Petersberg le 19 juin 1992 fut l'occasion de préciser les missions qui pourraient être confiées à l'organisation en place. Les missions de Petersberg, que l'on pourrait qualifier, par symétrie avec l'OTAN, de « missions ne relevant pas de l'article V », regroupent les opérations humanitaires, de maintien de la paix et de gestion de crises. Pour réaliser ces missions, l'UEO s'est dotée d' instruments à l'ampleur symbolique , mais supposés constituer une base évolutive : un Comité militaire (1998), un état-major militaire dont relèvent la cellule de planification et le centre de situation, et un centre d'observation satellitaire basé à Torrejon (Espagne).

Surtout, à partir de 1993, avec la création de l' Eurocorps , réalisée à l'initiative de la France et de l'Allemagne rejointes ensuite par la Belgique, l'Espagne et le Luxembourg, ces gouvernements européens ont souhaité traduire dans les faits leur capacité à produire des états-majors multinationaux dotés de forces multinationales . Les résultats concrets n'ont pas cependant été à la hauteur des espérances : l' Eurocorps , opérationnel depuis 1995 et dont l'état-major et la structure des forces sont, pourtant, comparables à ceux de l'ARCC (Corps allié de réaction rapide) n'a jamais été, en tant que tel, déployé sur aucun des théâtres d'opérations. Ce ne fut pas davantage le cas de l'état-major d' Eurofor -aux ambitions et au calibre certes plus réduits-, force terrestre opérationnelle rapide regroupant la France, l'Italie, l'Espagne et le Portugal, ni de son pendant maritime, Euromarfor -force aéromaritime méditerranéenne.

Le soutien de l'OTAN à l'IESD et à l'UEO

L'OTAN s'est par ailleurs progressivement résolue à promouvoir une IESD en son sein. Le nouveau concept stratégique de l'Alliance constitue en quelque sorte le dernier état des offres de moyens et de capacités que l'OTAN est prête à fournir à cette identité incarnée encore, pour l'heure, par l'UEO mais aussi, progressivement, par l'Union européenne elle-même. Cette disponibilité de l'Alliance à l'égard de l'IESD est une réponse concrète à la déclaration faite par les ministres de l'UEO à Maastricht, où celle-ci se fixait comme objectif de renforcer le pilier européen de l'Alliance. Au demeurant, les forces relevant de l'UEO , créées postérieurement à cette déclaration (1991) sont supposées pouvoir être utilisées soit dans un cadre UEO, soit dans un cadre OTAN.

Plus concrètement, les propositions de l'OTAN à l'égard de l'IESD s'articulent autour de quatre points, tels qu'ils ont été réaffirmés par le nouveau concept stratégique :

• créés à partir du sommet de l'Alliance de 1994, les groupes de forces interarmées multinationales, GFIM, sont conçus au sein d'une structure de commandement existante -celles de la structure intégrée de l'OTAN-. Ils sont organisés autour de « noyaux » d'état-major et de moyens de commandement prédésignés, qui rassemblent autour d'eux des modules de forces (troupes et matériels). Ainsi « non détachés » de la structure militaire intégrée au sein de laquelle ils sont constitués, ils en sont « détachables » pour une opération interarmées, notamment pour la gestion de crises. De fait, cette caractéristique les rend utilisables, soit sous « chapeau » OTAN, soit dans le cadre de l'UEO.

Trois noyaux de quartier général de GFIM, auxquels participent quelques officiers français, ont été installés dans chacun des deux commandements régionaux de l'OTAN, ainsi que dans le cadre du commandement atlantique. La mise en oeuvre pratique du concept se heurte cependant à la difficulté de conjuguer deux contraintes apparemment contradictoires :

- le souci de recourir aux états-majors existants pour assurer la formation et l'entraînement des personnels ;

- la nécessité de pouvoir « déformer » ces états-majors, au cas par cas, dans des circonstances difficilement prévisibles pour les adapter aux exigences d'une crise.

Le GFIM, dont le concept est sensé être adapté aux enjeux des crises régionales et aux « nouvelles missions » tant de l'Alliance que, ultérieurement, des Européens eux-mêmes, apparaît donc également comme un moyen de préserver l'outil militaire de l'Alliance ;

la mise à disposition de moyens collectifs pré-identifiés de l'Alliance au profit d'opérations dirigées par l'Union européenne. C'est la notion de « présomption de disponibilité » de ces moyens qui a été rappelée dans le nouveau concept stratégique ;

• l'accès « garanti » de l'Union européenne à des capacités de planification de l'OTAN pour des opérations dirigées par l'Union européenne. A cette fin, l'OTAN entend poursuivre l'adaptation de son système de planification pour mieux intégrer la disponibilité de forces pour des opérations dirigées, à terme, par l'Union européenne ;

• enfin, l'identification d'une série d'options de commandement européen pour des opérations « Union européenne » renforçant le rôle de l'adjoint européen au SACEUR et lui permettant d'exercer ses responsabilités européennes.

Ces offres seront parallèles au développement -jusqu'alors inexistant- de mécanismes de consultation et de coopération entre l'Union européenne et l'OTAN , à l'instar de ceux déjà développés entre celle-ci et l'UEO.

2. Les ambitions formulées par les traités de Maastricht et d'Amsterdam : des dispositions minimales suspendues à l'expression d'une véritable volonté politique

Des dispositions minimales....

Le traité sur l'Union européenne adopté à Maastricht en décembre 1991 a institué une politique étrangère et de sécurité commune qui « inclut l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union européenne, y compris la formulation à terme d'une politique de défense commune, qui pouvait conduire, à terme, à une défense commune. »

L'Union européenne pourra demander à l'UEO « d'élaborer et de mettre en oeuvre les décisions et les actions de l'Union qui ont des implications dans le domaine de la défense. »

Le traité d ' Amsterdam a apporté quelques évolutions en matière de Politique étrangère et de sécurité commune (Pesc) : création d'une unité de planification et d'alerte rapide ; création d'un nouvel instrument juridique avec les stratégies communes, qui s'ajouteront aux actions communes et aux positions communes ; désignation, enfin, d'un Haut représentant pour la Pesc.

En matière de défense, le texte d'Amsterdam apporte quelques avancées d'importance inégale : la politique de défense commune fera l'objet d'une définition « progressive » et non plus « à terme » . Surtout, les « missions de Petersberg » sortent du seul giron de l'UEO pour intégrer celui de l'Union européenne, celle-ci ayant désormais accès, à travers l'UEO et ses missions, à une capacité opérationnelle ; enfin l'intégration de l'UEO à l'Union européenne, décrite dans le traité comme une éventualité, nécessitera une décision unanime du Conseil , puis l'accord de chaque Etat membre.

• ... suspendues à l'expression d'une volonté politique enfin au rendez-vous

Les derniers sommets bilatéraux franco-britannique ( Saint-Malo , le 4 décembre 1998) et franco-allemand ( Toulouse , le 29 mai 1999) ont été l'occasion d'exprimer, sur la défense européenne, une résolution et une orientation nouvelles . Les déclarations formulées à l'issue de chacune de ces rencontres ont témoigné d'une volonté, encore inédite de la part de nos partenaires britanniques, de conforter une politique européenne de défense autonome dotée de forces crédibles.

Ces deux dernières initiatives ont débouché sur le sommet européen de Cologne qui, sur la base d'un rapport de la présidence allemande, a tracé des jalons concrets pour une défense européenne, militairement et politiquement crédible.

- La déclaration franco-britannique de Saint-Malo

Celle-ci a exprimé plusieurs idées-forces :

- l'Union européenne doit avoir une capacité autonome d'action , appuyée sur des « forces militaires crédibles » avec les « moyens de les utiliser » et en étant « prête à le faire ». C'est en effet cette disponibilité politique à utiliser les instruments existants qui aura le plus fait défaut jusqu'à présent ;

- pour approuver des actions militaires dans lesquelles l'Alliance ne serait pas engagée en tant que telle, l'Union européenne doit être dotée de structures appropriées -évaluation, renseignement, planification- en évitant les duplications avec les capacités de l'Alliance. L'Union européenne devra pouvoir recourir à des moyens pré-identifiés de l'Alliance ou à des moyens nationaux ou multinationaux extérieurs au cadre de l'OTAN . Cette ouverture britannique à d'éventuelles utilisations d'outils « hors OTAN » constitue l'un des éléments novateurs pour un pays qui, jusqu'alors, privilégiait le cadre atlantique pour toute action militaire, même européenne ;

- toute action de défense européenne privilégiera le cadre institutionnel de l'Union -Conseil européen, Conseil affaires générales et réunion des ministres de la défense- « La variété des positions des pays européens devra être prise en compte » : en effet, dans le cadre des quinze membres de l'Union, comment intégrer à une action européenne les bonnes volontés des pays neutres non membres de l'OTAN (Finlande, Suède, Autriche) ou du Danemark et de l'Irlande, en particulier dans le cadre du maintien, réaffirmé dans la déclaration, des engagements de défense collective auxquels ont souscrit les Etats membres « dans le cadre de l'article 5 du traité de Washington et de l'article V du traité de Bruxelles » ?

- les rapports futurs de l'UEO et de l'Union européenne ne sont qu'évoqués, sur la base de leur « évolution », sans que l'idée de « fusion «  ou d'  « intégration » soit explicitement mentionnée, témoignant du souci de privilégier les aspect pragmatiques de la défense européenne sur son volet institutionnel.

- Le sommet franco-allemand de Toulouse

La déclaration de Toulouse, faite à l'issue du sommet franco-allemand du 29 mai 1999 a conforté l'objectif d'une « avancée majeure » pour une Europe de la sécurité et de la défense, et la détermination des deux pays à « développer de façon concertée les capacités nécessaires à (l') autonomie » européenne en matière de défense dans la perspective de l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne. Surtout les deux membres fondateurs du Corps européen ont décidé « d'adapter cette grande unité multinationale, et en priorité son état-major, pour qu'elle constitue à l'avenir un Corps de réaction rapide européen ».

Créé en 1992, entre Français et Allemands, le Corps européen regroupe aujourd'hui les deux pays fondateurs, l'Espagne, la Belgique et le Luxembourg. Bien qu'il ait été considéré comme opérationnel depuis 1995, il n'a jamais été impliqué, en tant que tel, dans aucune des crises européennes, tant en Bosnie qu'au Kosovo, pour lesquelles, cependant, il présentait une configuration parfaitement adaptée : un état-major basé à Strasbourg qui, avec le bataillon de quartier général, regroupe quelque mille personnels dont près de 200 officiers ; de 4 divisions blindées ou mécanisées, de la brigade franco-allemande et d'une compagnie de reconnaissance luxembourgeoise, le tout rassemblant un effectif théorique mobilisable global de près de 50.000 hommes.

Dès sa création, cependant, le Corps européen présentait quelques faiblesses : sa composition à partir de forces prédésignées, essentiellement blindées, d'une part, l'organisation de son état-major, ses effectifs, alors majoritairement composés de personnels appelés, d'autre part, le désignaient davantage pour un engagement de type « centre Europe » que pour une projection en cas de gestion de crises.

La réflexion évolue donc vers un concept plus souple de « réservoirs de forces ». Le Corps européen s'articule autour d'une Force d'intervention légère (FIL) pour les opérations de faible intensité à caractère essentiellement humanitaire (2.000 à 5.000 hommes) et d'une Force d'intervention mécanisée (FIM) à même de réunir 20.000 à 35.000 soldats. L'évolution en cours conduira à donner à son état-major la capacité d'assurer le commandement d'une composante terrestre projetée (comme l'ARCC au sein de l'OTAN) et à y affecter des forces plus facilement projetables.

Nos partenaires allemands n'ont toutefois pas encore engagé de restructurations comparables aux nôtres, et la professionnalisation de l'armée allemande, comme celle de l'armée espagnole, restent à faire, ce qui nécessitera un délai de mise en oeuvre qui sera difficilement inférieur à celui de 6 années que nous avons choisi pour notre propre transition.

Les voeux exprimés à Toulouse devraient donc, pour prendre toute leur signification, être suivis rapidement et, notamment à Bonn, de décisions concrètes.

- Le sommet de Cologne et l'ambition d'une nouvelle défense européenne

La déclaration du Conseil européen de Cologne exprime donc, en réponse aux ouvertures du sommet de l'Alliance, une réelle volonté politique de poursuivre la construction d'une politique européenne commune en matière de sécurité et de défense. Le sommet de Cologne a précisé cette ambition politique en termes de moyens et de capacités tant décisionnels qu'opérationnels : poursuivre un effort de défense soutenu ; renforcer les capacités de renseignement, de projection, de commandement et de contrôle ; adapter, entraîner et mettre en cohérence des forces européennes nationales et multinationales.

De même, le sommet a-t-il insisté sur l' aspect industriel de l'ambition européenne de défense : favoriser la restructuration des industries européennes de défense ; améliorer l'harmonisation des besoins militaires ainsi que la programmation et la fourniture des armements.

S'agissant des rapports futurs entre l'UEO et l'UE , la perspective d'intégration est amodiée, pour laisser la place à la définition future des « modalités de l'inclusion de celles des fonctions de l'UEO qui seront nécessaires à l'UE pour assumer ses nouvelles responsabilités dans le domaine des missions de Petersberg » (gestion de crises). Cette précision rédactionnelle vise notamment l'article V du traité de Bruxelles de 1948 conférant juridiquement à l'UEO la responsabilité de la défense collective de ses membres, garantie qui, précise la déclaration de Cologne, ne devra pas se trouver affectée par l' « achèvement » progressif « de la mission de l'UEO » à la fin de l'an 2000. Au demeurant, la déclaration rappelle que l'Alliance reste le fondement de la défense collective de ses membres ». Le rapport de la présidence allemande précise d'ailleurs que « les engagements pris au titre de l'article 5 du traité de Washington et de l'article V du traité de Bruxelles seront maintenus en tout état de cause pour les Etats membres parties à ces traités ». Seuls quatre Etats de l'Union ne sont pas visés par cette disposition : l'Irlande, l'Autriche, la Finlande et la Suède.

Le dispositif décisionnel dont l'Union européenne devra se doter à l'horizon 2000 pour « assurer le contrôle politique et la direction stratégique des opérations de Petersberg conduites par l'Union européenne » est précisé par le rapport de la présidence allemande. Il comprendrait un dispositif d'analyse des situations, des sources de renseignement et des moyens de planification stratégique, ce qui suppose :

. des sessions régulières du Conseil « affaires générales » auxquelles pourraient participer les ministres de la défense ;

. un comité politique et de sécurité , organe permanent siégeant à Bruxelles comprenant les représentants compétents en matière politico-militaire ;

. un comité militaire composé de représentants militaires ;

. un état-major de l'Union européenne , appuyé sur un centre de situation, le centre satellitaire et l'institut d'étude et de sécurité.

Enfin, la mise en oeuvre des opérations de gestion de crises dans le cadre de l'Union européenne nécessitera de la part de ses membres de mettre en place des forces adaptées dotées d'une « capacité de projection, soutenabilité, interopérabilité, flexibilité et mobilité » -reprenant en cela les formulations du sommet de Washington concernant la nécessaire évolution des forces alliées.

Surtout, le rapport fait désormais clairement le départ entre les opérations conduites par l'Union européenne avec recours aux moyens de l'OTAN ou sans recours à ceux-ci :

- dans le premier cas, conformément aux décisions prises à Washington, l'Union européenne bénéficiera des dispositions arrêtées à Berlin (concernant notamment les GFIM ), de l' accès garanti aux moyens de planification de l'OTAN, de la présomption de disponibilité pour l'Union européenne de moyens collectifs de l'OTAN préalablement identifiés ;

- dans le deuxième cas, l'Union européenne aura recours aux moyens nationaux de ses membres ou à ses moyens multinationaux préalablement identifiés : soit des structures de commandement nationales prévoyant une représentation multinationale (idée de « nation-pilote »), soit le recours à des structures de commandement existant au sein des forces multinationales (Eurocorps, Eurofor, Euromarfor...).

*

* *

D. LES QUESTIONS PERSISTANTES EN VUE D'UNE DÉFENSE EUROPÉENNE

1. Comment aboutir à une convergence des politiques de défense ?

Le Conseil européen de Cologne a été l'occasion -entre autres décisions- d'appeler les Européens à « poursuivre un effort de défense soutenu, (...) destiné à améliorer l'efficacité des moyens militaires européens(...) ». Par ailleurs, le document adopté à Washington sur l'« initiative sur les capacités de défense », a constaté, en particulier, que les capacités dont disposent de « nombreux alliés » (européens)... pour déployer rapidement leurs forces hors de leur territoire ou pour des opérations prolongées sont encore « relativement limitées ».

L'unanimité entre les deux rives de l'Atlantique est donc apparemment faite sur cette nécessité de renforcer les « ressources » militaires européennes disponibles et de procéder à leur adaptation au nouveau contexte : « capacité de projection, soutenabilité, interopérabilité, flexibilité, mobilité » 8 ( * ) . Une partie de ce travail d'adaptation et de renforcement des capacités militaires relèvera certes d'aménagements et de réformes internes, à l'instar de l'adaptation fondamentale réalisée dans notre pays par la professionnalisation et la restructuration de nos armées, destinées à les préparer à des opérations multinationales hors du territoire. Sur ce domaine, une première mise en cohérence européenne s'impose.

L'ambition affichée par les Quinze nécessitera également de prendre conjointement, entre Européens, des décisions pour la création de capacités nouvelles, notamment dans les domaines recensés à Cologne du renseignement, du commandement et du contrôle ou de la capacité de projection. A cet égard, la volonté politique devra se doubler d'un effort financier substantiel .

Ainsi, se dessine progressivement, pour accompagner une volonté politique désormais déterminée, la nécessité d'élaborer une politique commune en matière de défense , notamment dans son volet budgétaire. L'idée -exposée devant votre commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées par M. François Heisbourg- d'une politique budgétaire convergente en matière de dépenses militaires, reposant, à l'instar de ce qui fut fait pour préparer la monnaie unique, sur des critères précis , mérite d'être retenue. Après une évaluation, réalisée entre Européens, des différents domaines qui nécessitent un effort européen et une mise à plat des dépenses militaires réalisées par chaque Etat-membre, il conviendrait de déterminer les principaux critères à prendre en compte :

- déterminer une convergence dans l'accroissement de la part des budgets de défense consacrés à la recherche et au développement et à l'acquisition de matériels , ces deux éléments étant orientés prioritairement vers l'amélioration des capacités de renseignement, de la puissance de feu et la capacité de projection ;

- déterminer une convergence des effectifs militaires des armées de chaque pays membre en les rapportant par exemple à la population totale afin d'éviter les surdimensionnements qui « fixent » des ressources financières qui seraient plus rationnellement utilisables au profit de certaines dépenses d'équipement ;

- fixer un niveau minimal, en pourcentage de chaque PIB national, pour les budgets militaires , afin d'enrayer la tendance à leur diminution régulière.

Ces critères n'ont qu'une valeur d'exemple, mais, avec la monnaie unique, la preuve a été faite qu'en se fixant des objectifs ambitieux à long terme, l'Union européenne est en mesure de se donner une discipline et d'en respecter les exigences. Doter l'Union d'une politique de défense européenne crédible, compatible avec l'OTAN mais dotée de capacités autonomes, constitue une ambition qui doit pouvoir justifier de recourir là aussi -éventuellement à partir d'un premier noyau d'Etats décidés- à une discipline qui soit à la hauteur de l'ambition affichée.

2. Comment donner toutes ses chances au processus décisionnel européen en matière de défense ?

Elargir le champ d'application des coopérations renforcées aux décisions ayant des implications militaires

Le rapport de la présidence allemande, préparatoire au Conseil européen de Cologne, précise que « les décisions concernant des missions de gestion de crises, en particulier les décisions qui ont des implications militaires ou en matière de défense devront être prises conformément à l'article 23 du traité sur l'Union européenne ». L'article 23 du traité prévoit que de telles décisions seraient « prises par le Conseil statuant à l'unanimité » et ménage la possibilité d'une abstention constructive , en ce que l'abstention d'un ou plusieurs Etats n'empêcherait pas l'adoption des décisions. Un tel Etat peut assortir son abstention d'une déclaration formelle lui permettant de ne pas appliquer la décision tout en n'y faisant pas obstacle. Toutefois, si les Etats adoptant une telle attitude (abstention et déclaration formelle) représentent plus du tiers des voix pondérées, la décision ne peut être prise.

Ce dispositif n'empêche certes pas que des décisions soient prises dans l'hypothèse ou une majorité d'Etats seraient déterminés à agir dans le cadre d'une action européenne « ayant des implications militaires ».

Il importe toutefois que, dans la logique de la volonté exprimée à Cologne et dans le souci d'écarter la tentation du recours prioritaire à l'OTAN, un dispositif plus souple soit mis en place, permettant un positionnement politique européen plus visible, débouchant plus aisément, le cas échéant, sur une implication opérationnelle.

Il serait donc opportun d'inscrire désormais la politique étrangère et de sécurité commune, singulièrement dans ses implications militaires, dans le champ d'application des coopérations renforcées prévues par le traité d'Amsterdam, quitte à assouplir certaines des conditions de leur mise en oeuvre, notamment par la réduction du nombre minimal d'Etats, actuellement fixé à huit, nécessaire au déclenchement d'une coopération renforcée.

Donner toute leur mesure aux nouvelles instances décisionnelles

Les aménagements institutionnels prévus à Cologne pour mettre en oeuvre un processus décisionnel européen simple et efficace en matière de défense s'articuleront autour :

- d'un conseil « affaires générales » auquel participeraient les ministres de la défense ;

- d'un comité politique et de sécurité, organe permanent siégeant à Bruxelles, sur la base du comité politique prévu à l'article 25 du traité sur l'Union européenne ;

- d'un comité militaire ;

- d'un état-major de l'Union européenne.

Ces éléments s'apparentent, peu ou prou, aux instances existant actuellement à l'UEO -Conseil permanent, comité militaire, état-major international- qui pourraient être, le moment venu, transférés à l'Union européenne dans le cadre de l'intégration programmée de celle-là dans celle-ci après décision unanime du Conseil. De même s'apparentent-ils au dispositif décisionnel de l'OTAN : Conseil de l'Atlantique-Nord au niveau des ambassadeurs, -Comité militaire-, Etat-major international.

Pour leur conférer l'efficacité et la visibilité nécessaires, il conviendrait que le Comité politique et de sécurité rassemble des représentants permanents distincts des actuels représentants permanents de chaque nation auprès de l'Union européenne, et soient exclusivement chargés des questions de politique européenne de défense, à l'instar de ce qui prévaut au Conseil atlantique. De même serait-il souhaitable que les ambassadeurs siégeant à ce comité politique et de sécurité soient, pour tous les Etats membres, distincts de ceux qui siègent au Conseil de l'Atlantique Nord.

3. Quel avenir pour la relation France-OTAN ?

Une insertion techniquement réussie....

Sur le plan militaire, la France s'est insérée sans difficulté, dans ce premier conflit conduit par l'organisation atlantique, au dispositif OTAN, tant pour les opérations aériennes que terrestres.

Participant à part entière au Conseil atlantique -y compris au niveau des ministres de la défense depuis la décision du 5 décembre 1995- la France est présente également au Comité militaire et 5 officiers français sont insérés dans l'état-major international -contre quelque 25 Britanniques et 40 Allemands cependant.

La France, en revanche, n'étant pas partie aux autres niveaux de l'organisation militaire intégrée, est représentée par des missions militaires placées auprès des différents commandements (SHAPE à Mons et AFSOUTH à Naples), ou par des officiers de liaison. Une équipe française de planification est également insérée dans l'état-major de SHAPE.

Notre pays intervient donc aux différentes étapes, tant pour l'élaboration des plans que pour les opérations elles-mêmes.

- Pour l' élaboration des plans, notre pays intervient :

. pour la définition de l'objectif politique réalisée par le Conseil de l'Atlantique Nord ;

. pour l'approbation du schéma directeur d'opération élaboré par le commandement subordonné - AFSOUTH en l'occurrence ;

. pour l'approbation du plan d'opération par le Comité militaire ;

. pour l'approbation finale du plan d'opérations par le Conseil de l'Atlantique Nord ;

- Sur les opérations , la décision de mettre en oeuvre un plan, prise par le Conseil de l'Atlantique Nord, ne peut l'être sans l'accord de la France. Il faut rappeler que les forces françaises engagées dans une opération OTAN demeurent toujours sous commandement opérationnel du chef d'état-major des armées qui délègue le contrôle opérationnel au SACEUR, celui-ci donnant délégation aux commandements subordonnés.

Enfin, des éléments de liaison français auprès des commandements subordonnés ont pour mission de vérifier que les missions assignées aux unités françaises sont conformes aux règles d'engagement acceptées par la France. Dans le cas contraire, ils rendent compte au chef d'état-major des armées, qui les fait annuler.

Au cours de la campagne aérienne au Kosovo, la France a introduit, dans le cycle habituel de préparation des frappes, une consultation systématique de l'état-major des armées sur les missions assignées à ses propres unités avant chaque mission. Au vu, d'une part, des missions imparties aux appareils français par l'OTAN et, d'autre part, des règles d'engagement définies par l'autorité politique, le Chef d'état-major des armées pouvait ainsi refuser que des appareils français participent à l'attaque de telle ou telle cible.

• ... qui conforte la singularité française...

La spécificité de la position française par rapport à l'organisation militaire intégrée n'est pas sans lien avec la « valeur ajoutée » politique que cette singularité apporte.

- Elle a démontré sa pertinence dans la relation bilatérale privilégiée France-Etats-Unis, aussi bien que dans le cadre des pays les plus impliqués -Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Allemagne et Italie-, pour la prise en compte de préoccupations spécifiques liées, par exemple, aux choix des catégories de cibles.

- Elle a permis également d'avoir prise sur certaines initiatives du SACEUR dont la pente naturelle est de faire prévaloir ses propres priorités sur celles que souhaitent privilégier les instances politiques.

- Notre pays s'est ainsi fait l'avocat d'une plus grande responsabilisation nationale sur le plan militaire. Cette attitude a suscité l'intérêt d'autres alliés, comme l'Allemagne, qui ont pu, à l'occasion du conflit au Kosovo, mesurer le degré de souveraineté délégué par eux aux instances militaires suprêmes de l'Organisation.

La crise du Kosovo aura donc finalement conforté la singularité française, en mettant en avant une culture de responsabilisation nationale et de primauté du politique , qui devront trouver, à l'avenir, une traduction concrète dans les nécessaires aménagements et adaptations que l'OTAN engagera, compte tenu du nouveau contexte dans lequel elle évoluera.

• ... mais n'exclut pas quelques interrogations.

Confortée par la crise, cette position singulière n'en suscite pas moins des interrogations :

- à l'évidence, le statut de la France dans l'OTAN ne saurait faire école. Aucun de nos alliés n'entend procéder à une révision de son statut actuel qui le conduirait à adopter une attitude comparable à celle que nous conservons. N'y a-t-il pas là, à l'heure où l'OTAN s'élargit, un risque d'isolement , en particulier à l'égard des nouveaux membres de l'organisation, surtout depuis que notre réforme des armées et la crise qui vient de se produire ont démontré notre disponibilité -au demeurant nécessaire- à participer, sans états d'âme particuliers, à des opérations de gestion de crises dans un cadre multinational, sous commandement OTAN ? N'est-elle pas de nature à nourrir une suspicion « de principe » chez nos alliés, qui risquerait de dévaloriser notre engagement, déjà ancien, en faveur d'une capacité militaire européenne distincte de l'OTAN ?

- dans le contexte précis de l'élaboration et de la mise en oeuvre des groupes de forces interarmées multinationales (GFIM), qui sont sensées être la pierre angulaire de la future structure des forces de l'Alliance et la clé de la coopération de l'OTAN avec l'Union européenne en matière de défense, pourrons-nous tenir toute la place à laquelle nous prétendons ou bien notre spécificité conduira-t-elle nos alliés à ne nous y concéder qu'une participation limitée ?

- enfin, notre absence des états-majors intégrés où s'élaborent certains des modes et des règles de travail de l'organisation -planification stratégique, commandement...-, qui vont voir leurs structures profondément réformées à l'avenir, ne risque-t-elle pas de pénaliser les propositions que nous sommes capables d'avancer dans les différents domaines de standardisation, de simulation, de doctrine d'emploi, etc... alors même qu'elles peuvent avoir, en aval, pour certaines d'entre elles, des incidences industrielles non négligeables, en particulier dans le cadre de l'initiative sur les capacités de défense ?

* 1 L'Italie ne participait pas au « groupe de contact Bosnie ».

* 2 Alain Juppé, préface de « Une diplomatie informelle pour l'Europe. Le groupe de contact Bosnie ». Francine Boidevaix (Fondation pour les études de défense).

* 3 « Une diplomatie informelle pour l'Europe. Le Groupe de contact Bosnie ». Francine Boidevaix. Fondation pour les études de défense.

* 4 Voir en annexe le texte de ces résolutions.

* 5 Qui prévoit la possibilité de consultations entre les membres de l'Alliance.

* 6 Conférence de presse au Palazzo Vecchio, Florence, le 6 octobre 1998, citée par M. Arthur Paecht, député : « l'intervention humanitaire entre la politique et le droit international ». Rapport de l'Assemblée de l'Atlantique Nord, 20 mars 1999.

* 7 La Norvège, la Turquie, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, l'Islande.

* 8 Rapport de la présidence allemande préalable au sommet de Cologne.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page