LES CONCLUSIONS DE VOTRE RAPPORTEUR

- Au terme de cette analyse, il importe d'abord de redire l'ambition nécessairement limitée de la présente étude qui n'a pas pour objet d'apporter des réponses définitives, mais seulement d' identifier quelques unes des principales questions posées par l'opération « Force alliée » et d'apporter, sans délai, une première série de réflexions à un débat important pour l'avenir de notre système de défense.

Il va de soi qu'il ne peut s'agir là que d' une première esquisse de bilan , alors même que la crise au Kosovo est loin d'être achevée et que l'engagement terrestre qui est désormais en cours sera lui-même source d'importants enseignements. Mais, si une nouvelle phase de cette crise est engagée, on peut espérer que la phase la plus lourde des opérations militaires soit, depuis l'arrêt des frappes aériennes, derrière nous. Et l'intensité même de ces quelques 80 jours d'opérations aériennes justifiait de tenter, d'ores et déjà, un certain nombre de leçons, même si elles doivent être confirmées et précisées.

Par ailleurs, la démarche de votre commission a été résolument constructive et tournée vers l'avenir. Son souci n'a pas été de se livrer à une analyse critique des conditions du déclenchement et du déroulement quotidien du conflit du Kosovo. Il a été, principalement, d'identifier et de souligner les forces et les faiblesses mises en lumière par l'engagement de notre pays durant cette crise , sur le plan militaire mais aussi sur le plan politique et diplomatique.

2° - Sur le plan militaire et opérationnel , la participation française à l'opération « Force alliée » peut d'ores et déjà faire l'objet de nombreuses réflexions , qui justifieront, le moment venu, un certain nombre de décisions pour améliorer l'efficacité de notre système de forces.

Au titre des enseignements positifs de ces opérations figure assurément, en premier lieu, le comportement exemplaire des soldats français qui, toutes armes confondues, ont fourni une nouvelle illustration de leur compétence, de leur détermination et de leur efficacité et qui doivent trouver ici l'expression de la reconnaissance de notre Haute Assemblée.

Les opérations liées à la crise du Kosovo ont également -de l'avis unanime- entièrement validé le choix fait par notre pays en 1996, sous l'impulsion du Président de la République, d'engager la professionnalisation complète de nos forces armées. Les difficultés qui ont été, encore, rencontrées sont seulement imputables au fait que le processus en cours ne sera achevé qu'en 2002 et qu'en particulier l'armée de terre se trouve aujourd'hui à mi-chemin de sa professionnalisation. Mais cette réforme majeure de notre défense a trouvé là, si besoin était, une nouvelle démonstration de sa nécessité.

Mais la campagne aérienne en Yougoslavie a aussi mis en lumière de nombreuses insuffisances, en qualité ou en quantité, de notre système de forces.

C'est le cas dans des domaines liés directement à des opérations qui ont été fondées sur l'emploi de l'arme aérienne et qui ont notamment souligné :

- la nécessité de capacités anti-radars efficaces,

- les limites du guidage laser et la nécessité de capacités tout temps,

- les insuffisances des stocks de munitions,

- la nécessité de moyens de ravitaillement en vol plus importants,

- la place acquise désormais par les drones dans la panoplie des équipements nécessaires,

- et l'urgence d'enrichir nos armements aériens par des missiles de croisière et des armements air-sol modulaires.

Les opérations au Kosovo ont en outre confirmé un certain nombre de lacunes dont l'existence avait déjà été décelée -et d'ailleurs soulignée, à deA, par les rapporteurs de notre commission des affaires étrangères et de la défense- mais dont l'importance s'est trouvée à nouveau fortement soulignée. Il s'agit notamment :

- de l' importance décisive des moyens d'observation et de renseignement et de l'acquisition indispensable, en ce domaine, de capacités autonomes par les Européens, malgré les progrès accomplis par notre pays -seul en Europe...- depuis la guerre du Golfe ;

- et de la problématique relancée du second porte-avions compte tenu du rôle du Foch durant la crise, de l'incohérence qui consiste à ne disposer que d'un seul bâtiment de ce type, mais aussi de l'incidence budgétaire de la commande d'un second porte-avions.

D'autres questions, enfin, comme les moyens de transport aérien militaire , n'ont pas été soulignées, en raison de ses spécificités, par l'opération « Force alliée ». Elles demeurent néanmoins parmi les renforcements indispensables de notre système de défense.

Ce sont tous ces points, analysés de manière approfondie et appréciés à leur juste mesure, qui devront faire l'objet des décisions nécessaires, à l'occasion notamment de la prochaine loi de programmation -qui doit couvrir les années 2003 à 2008 et dont les premiers travaux préparatoires devraient commencer prochainement.

3° - Mais l'enseignement majeur des opérations au Kosovo réside assurément dans l'écart considérable qui sépare les capacités militaires américaines et européennes.

Cet écart est imputable, dans certains domaines, à un retard technologique , qui risque de surcroît de s'accentuer dans les prochaines années du fait d'un effort américain en matière de recherche globalement trois fois plus élevé que celui des Européens.

Mais il résulte aussi, plus généralement, d'un effort global de défense des Européens insuffisant , en tout cas très inférieur à celui des Américains, puisque les Etats-Unis consacrent à leurs équipements militaires deux fois plus de crédits que l'ensemble des pays européens.

C'est pourquoi la première leçon politique de la crise du Kosovo doit être, pour les Européens, l'exigence de bâtir enfin concrètement une Europe de la défense, dotée de moyens opérationnels crédibles. C'est là, bien sûr, l'enjeu majeur pour l'avenir.

Sur le plan politique, le dernier conflit en Yougoslavie paraît avoir favorisé -au moins dans les déclarations...- une prise de conscience de nos partenaires européens. Les déclarations de Cologne, après celles de Saint-Malo et de Toulouse, semblent à cet égard illustrer l'existence, aujourd'hui, d'un contexte politique favorable. La France, naturellement, doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour saisir cette opportunité -peut-être historique- et inciter nos partenaires -en particulier britanniques- à passer rapidement des intentions affichées aux réalisations concrètes.

Mais il est clair que le développement de capacités européennes autonomes et l'édification, progressive mais effective, d'une véritable défense européenne ne peuvent que se heurter, en l'état actuel des choses, à des budgets militaires européens notoirement insuffisants , particulièrement chez certains de nos voisins.

Comment y remédier ? L'idée de « critères de convergence » pour la défense est séduisante et mérite d'être mise en oeuvre. Sans doute le réalisme ne permet-il pas d'espérer un accroissement spectaculaire et spontané de l'effort de défense de nos partenaires européens. Mais, sachons-le : sans des procédures efficaces et des engagements contraignants , même s'ils doivent être progressifs et s'inscrire dans la durée, l'Europe de la défense ne restera qu'un inépuisable sujet de discours. Les Européens ont démontré, avec l'euro, leurs capacités à se mobiliser pour des enjeux majeurs. Et il n'y a sans doute aujourd'hui pas d'enjeu plus important pour la construction européenne que la mise en place, enfin concrète, d'une véritable Europe de la sécurité et de la défense.

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