Les travaux de la délégation française à l'assemblée de l'Union de l'Europe occidentale : 44ème session ordinaire (mai 1998-décembre 1999)

DURRIEU (Josette)

RAPPORT D'INFORMATION 465 (98-99) - délégation française à l'assemblée de l'union de l'Europe occidentale

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Table des matières




N° 465

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 30 juin 1999

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom des délégués élus par le Sénat (1), sur les travaux de la délégation française à l'Assemblée de l'Union de l'Europe Occidentale au cours des deux parties de la 44ème session ordinaire (1998) de cette Assemblée, adressé à M. le Président du Sénat, en application de l'article 108 du Règlement,

Par Mme Josette DURRIEU

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : MM. Nicolas About, Marcel Debarge, Mme Josette Durrieu, MM. Daniel Hoeffel, Jean-François Le Grand, Lucien Neuwirth, membres titulaires ; MM. James Bordas, Jean-Guy Branger, Michel Dreyfus-Schmidt, Daniel Goulet, Jacques Legendre, Mme Danièle Pourtaud, membres suppléants .

Union européenne .

UCTION INTRODUCTION

MESDAMES, MESSIEURS,

En 1998, année du cinquantenaire de l'UEO, les travaux de l'Assemblée de l'UEO se sont trouvés placés au coeur des interrogations sur la construction d'une Europe de la défense, c'est-à-dire d'un problème qui dépasse par bien des aspects la question toujours en débat de l'Identité européenne de Sécurité et de Défense (IESD).

Les dernières semaines de l'année ont été en effet particulièrement riches en événements, voire en rebondissements.

Alors que l'Assemblée siégeait à Paris, pour la seconde partie de sa 44 ème session ordinaire, la presse mentionnait l'existence d'un " pré-accord " franco-britannique sur les transferts des moyens opérationnels de l'UEO à l'Union européenne (UE) et en conséquence une possible disparition programmée de l'UEO (( * )1)

Le ministère français des Affaires étrangères tint cependant à relativiser ces informations en précisant que la suppression de l'UEO ne représentait qu'une des options à l'étude et en rappelant que la France conservait une préférence pour une formule organisant un " adossement de l'UEO à l'UE ".

Le 4 décembre 1998, la France et la Grande-Bretagne ont adopté, à l'issue de leur sommet de Saint-Malo, une déclaration visant à une mise en oeuvre " complète et rapide " des dispositions du Traité d'Amsterdam sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Ce texte insiste sur la responsabilité du Conseil européen de décider du développement progressif d'une politique de défense commune dans le cadre de la PESC (article J.7 du Traité d'Amsterdam). Il convient toutefois de souligner que la Déclaration de Saint-Malo constitue une affirmation politique majeure, mais non un engagement juridique et se limite à mentionner la nécessité d'une prise en compte des " ... moyens actuels de l'UEO et l'évolution de ses rapports avec l'UE. "

Les orientations de la Déclaration de Saint-Malo ont néanmoins confirmé les évolutions de la position britannique telles qu'exprimées à la fin du mois d'octobre par M. Tony BLAIR, Premier ministre, à l'occasion du Sommet européen informel de Pörtschach (Autriche) : en constatant l'absence d'engagement opérationnel de l'UEO dans la crise du Kosovo en dépit de l'accroissement sensible de ses capacités d'intervention au cours des dernières années, le Premier ministre britannique appelait en effet de ses voeux un plus fort engagement des Quinze en faveur d'actions communes en matière militaire. Pour de nombreux observateurs, cette remarque avait déjà semblé constituer un véritable revirement des positions jusqu'alors traditionnelles de la Grande-Bretagne, vis-à-vis de toute option visant à conférer un " bras armé " à l'UE, ainsi susceptible d'acquérir une certaine autonomie à l'égard de l'OTAN.

Enfin les 3 et 4 novembre, s'était tenue à Vienne, à l'initiative du Gouvernement autrichien, une première réunion informelle des Ministres de la défense des pays membres de l'UE . Cette rencontre représentait en soi " un événement et un progrès ", selon l'affirmation de M. Alain RICHARD, Ministre de la Défense, car il s'agissait d'une initiative absolument nouvelle qui, même hors du cadre institutionnel de l'UE stricto sensu , manifestait une préoccupation commune du rôle particulier de l'Europe dans la prévention et la gestion des crises, thème retenu pour cette réunion.

Un dernier événement d'importance est intervenu avec la première " réunion commune UE-OTAN " à Bruxelles, le 8 décembre, entre le Ministre autrichien des Affaires étrangères M. Wolfgang SCHÜSSEL (au titre de la présidence en exercice de l'Union) et M. Javier SOLANA, Secrétaire général de l'OTAN.

Le Forum parlementaire UEO/UE de Rome

Le 16 novembre, à Rome, l'Institut des Affaires Internationales (IAI) en collaboration avec l'Institut d'Etudes de Sécurité (IES) de l'UEO et sous les auspices des présidences italienne de l'UEO et autrichienne de l'UE, a organisé la première conférence du Forum UEO/UE sur le thème : " Les éventuelles formes de collaboration entre l'UEO et l'UE, dans le but de réaliser les objectifs fixés par le Traité d'Amsterdam en matière de défense et de sécurité européenne. "

Ouverte par MM. David W. MARTIN, vice-président du Parlement européen (PE) et Jacques BAUMEL, député (RPR), Président de la commission politique de l'Assemblée de l'UEO, cette conférence a donné lieu à des prises de position de haut niveau, dont celles de MM. Tom SPENCER, Président de la commission des affaires étrangères, de la sécurité et de la politique de défense du PE, Armand de DECKER (Belgique), Président de la commission de défense de l'Assemblée de l'UEO, qui ont présenté les vues de chaque institution sur les options d'une collaboration entre l'UEO et l'UE, et de MM. Robert ANTRETTER (Allemagne) et Léo TINDEMANS (Belgique), rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la sécurité et de la politique de défense du PE. Au cours des débats, MM. Michael COLVIN (Royaume-Uni), rapporteur de la commission de défense de l'Assemblée de l'UEO et Domenico CONTESTABILE, Président de la délégation italienne, sont également intervenus.

Enfin, MM. Lamberto DINI et Wolfgang SCHÜSSEL, respectivement Ministres des Affaires étrangères d'Italie et d'Autriche, ont prononcé des allocutions, de même que M. Nicola MANCINO, Président du Sénat de la République italienne et M. Luciano VIOLANTE, Président de la Chambre des Députés.

Après avoir souligné la nécessité de débattre des perspectives de la défense européenne au niveau parlementaire, M. DINI a souhaité que l'UEO sache " ... repenser à elle-même dans des termes aussi bien institutionnels qu'opérationnels ". Il a ajouté que tout travail de réflexion en commun devait couvrir quatre secteurs : les institutions et plus particulièrement les rapports UEO/UE, le renforcement des capacités opérationnelles, la coopération en matière d'armement et la place de la défense européenne dans le cadre atlantique.

Cette réunion de Rome témoigne de l'implication des membres de l'Assemblée de l'UEO dans les grands débats en cours. Il est d'ailleurs intéressant de relever que le Président de l'Assemblée, M. de PUIG, a été invité à s'adresser au Conseil des Ministres de l'UEO qui se tenait également à Rome le 17 novembre.

Pour la deuxième fois après le Conseil ministériel de Rhodes (Grèce) du 12 mars 1998, il lui était ainsi donné l'opportunité d'exprimer les vues de notre Assemblée à l'occasion de réunions ministérielles décisives de l'UEO.

La réunion ministérielle des 17 et 18 novembre a donné lieu à la publication d'un texte fort, la Déclaration de Rome , qui a pour objectif de marquer le point de départ d'une vaste et profonde réflexion sur les finalités et les moyens de la sécurité européenne. Cette déclaration qui ne prétend pas énoncer a priori des solutions, délimite le travail qui reste à accomplir au sein de l'UEO.

Un nécessaire resserrement des contacts et des méthodes de travail avec le Parlement européen .

Il paraît aujourd'hui encore difficile de concevoir ce que pourrait être le processus d'évolution institutionnelle de l'UEO, notamment au regard de la faiblesse des relations entre l'Assemblée de l'UEO et le Parlement européen.

Comme une large majorité de membres de l'Assemblée et tout particulièrement son Comité des Présidents, votre rapporteur regrette le petit nombre de progrès enregistrés sur cette voie. Le forum UEO/UE de Rome appelle une suite afin de rompre définitivement avec des attitudes de défiance qui entravent la construction d'une Europe de la défense, notamment sous l'effet d'un processus engagé depuis le Traité de Maastricht, signé en décembre 1991. Tous les Présidents de l'Assemblée de l'UEO ont en effet tenté d'établir un approfondissement des relations avec le Parlement européen. Force est de constater que leurs propositions en ce sens n'ont pas rencontré un écho suffisamment favorable de la part du Parlement européen. Une note préparée au terme de l'année 1998 par le Secrétariat de l'Assemblée pour le Comité des Présidents retrace l'ensemble de ces initiatives. En dépit de relations constructives entre le Président de PUIG et son homologue du PE, M. Gil ROBLES, les réticences de certaines commissions du PE à amorcer un dialogue suivi et d'un niveau convenable ont persisté. En outre, les différents Présidents de la Commission européenne et certains commissaires ont, à ce jour, décliné de façon par trop systématique les invitations à s'adresser devant l'Assemblée parlementaire de l'UEO. Tel fut encore le cas en mai 1998, pour le colloque de Madrid sur l'Identité européenne de Sécurité et de Défense (IESD) 2( * ) .

Consciente de sa mission, l'Assemblée de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) n'entend pas être écartée des débats sur la défense européenne ouverts depuis le Sommet de Pörtschach et qui se poursuivent depuis l'adoption de la Déclaration franco-britannique de Saint-Malo. La disparition pure et simple de l'UEO qui résulterait d'une intégration de l'Organisation à l'UE ne saurait constituer une solution si on élude a priori les questions relatives aux liens opérationnels entre l'UEO, l'UE et l'OTAN, tout en tardant à définir ce que pourrait être une véritable politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

Sur la proposition de M. Jacques BAUMEL, Président de la commission politique, l'Assemblée a décidé de constituer en son sein une task force afin d'entretenir en permanence une réflexion sur ces thèmes et avoir des contacts au plus haut niveau dans les différentes capitales. La délégation française appuiera bien évidemment cette démarche à même d'apporter un peu de clarté dans un débat devenu extrêmement confus et de faire valoir le point de vue de la seule Assemblée européenne à avoir une compétence établie sur l'ensemble des questions de sécurité et de défense, y compris en matière d'armement.

* * *

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CHAPITRE IER : LES TRAVAUX DE LA PREMIERE PARTIE DE LA 44ÈME SESSION

La première partie de la 44 ème session plénière de l'Assemblée de l'UEO s'est tenue à Paris, du lundi 18 au mercredi 20 mai 1998.

A. La séance d'ouverture :

Ont participé aux travaux :

• Au titre de l'Assemblée nationale : MM. Jacques BAUMEL (RPR), Président de la commission politique, Claude EVIN (S), Georges LEMOINE (S), Guy LENGAGNE (S), Gilbert MITTERRAND (S), Bernard SCHREINER (RPR), et Jean VALLEIX (RPR) :

• Au titre du Sénat : Mme Josette DURRIEU (S), Présidente de la délégation française, MM. James BORDAS (RI) et Daniel HOEFFEL (UC).

Dans son discours d'ouverture, le Président de PUIG a souhaité qu'une évaluation soit faite, à l'échelle européenne, des besoins en matière de sécurité afin que les pays investissent de la façon la plus avisée à partir des disponibilités budgétaires respectives. Dans le même ordre d'idées, il a instamment demandé à l'Assemblée d'approfondir sa réflexion sur les implications de la logique européenne pour les budgets de défense des Etats membres en vue de favoriser une meilleure efficacité des dépenses nationales, si possible dans le cadre d'une planification européenne des investissements.

Par ailleurs, M. de PUIG a critiqué l'absence de volonté politique des gouvernements qui paralyse l'UEO alors qu'elle a désormais à sa disposition l'essentiel des moyens militaires nécessaires pour que l'Europe poursuive une politique active de prévention et de maintien de la paix et, le cas échéant, de gestion des crises " ouvertes ". Il a également déploré le défaut de cohérence institutionnelle entre l'UEO et l'UE, en remarquant qu'une intégration de l'UEO dans l'UE paraissait exclue dès lors que les signataires du Traité d'Amsterdam refusaient encore à l'UE toute compétence de défense et de sécurité.

Puis, M. Georgios PAPANDREOU, ministre délégué pour les affaires européennes de Grèce, a résumé à la tribune les principaux aspects de la première présidence de l'UEO exercée par son pays (1 er semestre 1998) en confirmant que dans ce cadre, le premier objectif de son gouvernement avait été de poursuivre les efforts visant à renforcer le rôle central de l'UEO dans l'élaboration de la nouvelle architecture européenne de sécurité. Evoquant la réunion ministérielle de Rhodes ( 11 et 12 mai 1998 ), M. PAPANDREOU a souligné que les Etats membres avaient unanimement reconnu que les capacités institutionnelles et militaires de l'UEO devaient être étayées par une forte volonté politique. Il a ajouté que les ministres avaient, de manière générale, accepté que le rôle de l'UEO ne reste pas définitivement limité à des opérations de police, même dans des régions troublées.

Au cours du débat suivant cette allocution sont notamment intervenus : MM. Thomas COX (Royaume-Uni) Constantinos VRETTOS (Grèce), Wolfgang BEHRENDT (Allemagne), ainsi que Mme AYTAMAN et M. GUL au titre de la Turquie (membre associé).

M. Jean VALLEIX, député (RPR), a pour sa part questionné le ministre grec sur l'exacte étendue de la volonté politique des Etats membres alors que l'on traite trop facilement l'UEO de " tigre de papier " sans réellement tenir compte de ce qu'elle a fait au titre des forces de police sur le Danube, puis à Mostar et enfin en Albanie. Il s'est d'ailleurs interrogé sur le rôle politique et diplomatique de l'UEO, qui s'avère d'autant plus difficile que les interventions de police ont lieu en amont, " c'est-à-dire avant que les problèmes ne tournent au drame final, à la guerre ". M. VALLEIX a également souligné les " carences " du Traité d'Amsterdam comme les difficultés relationnelle entre l'UEO et l'UE.

B. Les options privilégiées par le Secrétaire général de l'UEO

M. CUTILEIRO, Secrétaire général de l'UEO, a demandé aux Etats membres de ne pas se plaindre d'une présence américaine en Europe et les a incités à davantage montrer leur volonté de s'engager, d'être plus opérationnels pour pouvoir disposer de la capacité de régler par eux-mêmes une crise en l'absence d'une implication directe des Etats-Unis : l'UEO reste justement là pour répondre à une telle situation. La question n'étant pas de s'interroger sur la définition du rôle de l'UEO, mais plutôt de savoir si les Européens ont la volonté d'utiliser l'instrument de gestion des crises que les Etats membres ont progressivement mis en place et qui est prêt à fonctionner. M. CUTILEIRO a également noté que l'UEO pouvait offrir " un cadre juridique aux efforts déjà entrepris par les Européens dans le domaine de l'armement " en citant l'Organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAR), créé par la France, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Allemagne.

Dans le cadre du débat ouvert au terme de cette intervention, M. Jacques BAUMEL, député (RPR), Président de la commission politique, a interrogé le Secrétaire général sur le déroulement du Conseil de Rhodes et plus particulièrement sur l'éventuel rejet d'une proposition belge de création d'un " Comité des sages " qui aurait pu mener à une réflexion approfondie sur les problèmes de l'UEO. Puis, il a tenu à préciser que la défense européenne existait non pas dans le cadre uniforme de l'OTAN, mais " à l'OTAN et à l'UEO " et qu'il lui paraissait injuste d'imputer au seul Secrétaire général de l'UEO la responsabilité de certaines hésitations alors que par fonction " ... vous êtes tout simplement le notaire des décisions du Conseil des Ministres au sein duquel comme par hasard, deux ou trois membres, toujours les mêmes, s'opposent à tout ". M. BAUMEL a conclu son propos sur la mise en cause de " cette fiction d'un consensus fondé sur l'accord de tous les membres " en souhaitant sortir de cette impasse avec une sorte d'abstention constructive qui constitue un premier pas allant dans le bon sens.

En réponse, M. CUTILEIRO a confirmé l'existence d'une proposition belge relative à un " Comité des sages ", mais dont le mandat était insuffisamment clair pour aboutir à une adoption ; il importe donc à la Belgique de reformuler une proposition de cette nature au Conseil. S'agissant des mécanismes de décision, le Secrétaire général a convenu du problème tout en défendant le principe du consensus pour une organisation militaire susceptible d'engager des opérations difficiles et dangereuses, mais sans exclure cependant des aménagements à un tel principe qui d'ailleurs est également celui qui prévaut au sein de l'OTAN. Selon M. CUTILEIRO, " le problème est plus profond : d'une part, il y a une certaine résistance à travailler ensemble sur les questions difficiles ; d'autre part, n'oublions pas que l'UEO n'est pas bien connue. On commence à connaître notre Organisation et j'espère que les choses vont s'améliorer. "

M. BAUMEL a toutefois tenu à préciser que les perspectives tracées par le Secrétaire général lui paraissaient contraires à l'article V du Traité fondateur de l'UEO, qui ne limite pas l'action de l'UEO à une gestion prudente des crises, car il est plus contraignant que l'article 5 du Traité de Washington instituant l'OTAN. En tout état de cause, il a récusé l'idée de limiter les interventions de l'UEO " à un travail de basse police " et a contesté toute valeur à l'argument de la " duplication " par rapport à l'OTAN, qui rendrait l'UEO totalement inutile.

Puis, M. Jean VALLEIX a insisté sur le rôle du Centre satellitaire de Torrejon dont il a regretté un certain sous-emploi, en appelant de ses voeux une plus grande réflexion stratégique et tactique au sein de l'UEO.

C. Les orientations de la Présidence italienne de l'UEO
(2e semestre 1998)

Au cours de sa séance du matin, le 19 mai 1998, l'Assemblée a entendu M. Romano PRODI, Président du Conseil italien, qui a présenté les grandes lignes du programme de la présidence italienne de l'UEO.

M. PRODI s'est déclaré soucieux d'approfondir le dialogue avec l'UE et notamment entre son Unité de planification et d'alerte rapide et la Cellule de planification de l'UEO. S'agissant du renforcement des contacts entre l'Assemblée et le Parlement européen, il a annoncé l'initiative d'organiser à Rome, en novembre 1998, un forum UE/UEO. Le renforcement de la coopération entre l'OTAN et l'UEO constituant une autre priorité, M. PRODI a d'ailleurs insisté sur la nécessité d'un accord sur le transfert, le suivi et la restitution des moyens de l'OTAN dans l'hypothèse d'une utilisation lors d'opérations sous la conduite de l'UEO.

En outre, le Président du Conseil italien a souhaité la mise en oeuvre d'un mécanisme de consultation entre les deux Organisations en cas de crise. Puis il a énuméré d'autres priorités, au rang desquelles s'inscrivent :

• La modification des procédures de prise de décision au sein de l'UEO ;

• Le développement de la coopération dans les secteurs de l'armement, l'Italie annonçant l'organisation d'un séminaire sur ce sujet avec la participation des ministres de la défense et de l'industrie et de la Commission européenne ;

• L'intensification des relations avec la Russie et l'Ukraine ;

• L'examen par les gouvernements et les experts des questions pratiques liées à la Convention d'Ottawa sur les mines antipersonnel.

Au terme de cette présentation, sont notamment intervenus MM. Domenico CONTESTABILE (Italie, Forza Italia) Président de la délégation italienne, Robert ANTRETTER (Allemagne/SPD), Valentino MARTELLI (Italie,  AN), Michael COLVIN (Royaume-Uni, conservateur), Longin PASTUSIAK (Pologne, associé partenaire), Joao POCAS SANTOS (Portugal, PPD-PSD), Luciano LORENZI (Italie, Ligue du Nord), et Mme Josette DURRIEU, sénateur (S), Présidente de la Délégation française qui, après avoir rappelé l'excellente coopération franco-italienne face à la crise albanaise, a interrogé M. PRODI sur l'éventualité de " coopérations renforcées " entre certains Etats, à défaut d'un consensus entre tous les membres de l'UE ; cette solution paraissant la mieux à même d'éviter toute inertie voire des blocages institutionnels. Dans sa réponse sur ce point, le Président du Conseil italien a souligné l'existence d'une proposition française relative à " l'abstention constructive " qui n'a pu cependant rencontrer un écho suffisamment favorable alors que cette direction semble pourtant réaliste et obtiendra le soutien de la Présidence italienne.

D. Les déclarations des ministres grec et roumain de la défense

Au cours de la séance du mercredi 20 mai en matinée, l'Assemblée a d'abord entendu l'intervention de M. Akis TSOHATZOPOULOS, ministre de la défense de Grèce, puis celle de M. Victor BABIUC, ministre d'Etat, ministre de la défense de Roumanie.

M. TSOHATZOPOULOS s'est d'emblée félicité des processus d'ouverture en cours tant à l'OTAN qu'à l'UE, tout en insistant sur l'attention toute particulière qui devrait être portée vers les pays de l'Europe du sud-est " ... là où sont les crises ". A cet égard, il s'est prononcé en faveur de la création d'instances régionales et provisoires de sécurité balkanique afin de mettre un terme à la situation de " ... vide de sécurité en Europe centrale et orientale, plus particulièrement dans les Balkans . " En outre, il a souligné l'importance d'une intervention européenne au Kosovo en demandant la présence d'une force internationale renforcée pour garantir les frontières entre l'Albanie et le Kosovo.

Accueilli par le Président de PUIG, qui a notamment rappelé la participation de la Roumanie à l'opération " Alba " et à l'Elément multinational de conseil en matière de police (EMCP), comme le fait que ce pays fut le premier à demander l'aide de l'UEO pour faire respecter l'embargo des Nations Unies sur le Danube (juin 1993-octobre 1996), M. BABIUC, ministre d'Etat, a notamment déclaré que son pays espérait affecter 400 hommes à la nouvelle brigade multinationale de maintien de la paix en Europe de l'est (SEEBRIG), en suggérant que cette entité établisse son quartier général à Constanza.

Puis, en réponse à une question de Lord JUDD (Royaume-Uni, travailliste), M. BABIUC a donné des informations sur les programmes économiques et sociaux engagés par la Roumanie, ainsi que sur l'effort de défense qu'il a évalué à 2,4 % du PIB.

M. Bernard SCHREINER, député (RPR), premier vice-président de la délégation française, a rappelé le soutien exprimé par le Président de la République française à la candidature de la Roumanie à l'OTAN, une position lui paraissant d'autant plus justifiée au regard de la participation de ce pays à l'IFOR puis à la SFOR et de ses autres engagements, y compris en Somalie, au Rwanda et en Angola. Il a conclu son intervention en complétant les questions de Lord JUDD sur les priorités de la modernisation des armées roumaines (formation, contrôle civil, renouvellement des matériels, etc.)

E. Examen des principaux rapports

1) Les thèmes majeurs de la sécurité européenne

a) La sécurité d'une Europe élargie

Sur la base d'un travail de sa commission politique, l'Assemblée a d'abord examiné au cours de ses séances du 18 mai 1998 le rapport de M. Robert ANTRETTER (Allemagne, SPD) sur " La sécurité d'une Europe élargie " portant réponse au Rapport annuel du Conseil (doc. 1602 et corrigendum).

Après un débat, l'Assemblée de l'UEO a tenu à recommander au Conseil de " faire en sorte que la coopération avec tous les pays de l'UEO qui ne peuvent ou ne veulent pas adhérer dans un avenir prévisible au Traité de Bruxelles modifié " soit fondée sur un " accord d'association juridiquement clair et assujetti au contrôle parlementaire ". M. ANTRETTER a appelé de ses voeux une simplification des statuts de l'Organisation qui abolirait notamment les distinctions entre membres associés, observateurs et associés partenaires ; une telle solution contribuant à faire de l'UEO un instrument plus crédible.

Au cours de ce débat, sont intervenus MM. Armand de DECKER (Belgique, PRL-FDF), Président de la commission de défense et Jacques BAUMEL, député (RPR) Président de la commission politique.

Le Président de DECKER a déclaré ne pas partager l'opinion du rapporteur quant à la nécessité de réviser les principes relatifs à l'élargissement tels que définis par les Etats membres dès décembre 1991, dans le but d'ouvrir l'UEO à tout Etat avec lequel l'UE aurait simplement entamé des discussions d'adhésion. De même, il a rejeté l'idée d'accueillir de plein droit les pays actuellement membres associés, c'est-à-dire des membres de l'Alliance Atlantique non signataires du Traité de Bruxelles modifié. M. de DECKER a ajouté qu'il s'agirait ainsi de méconnaître la destinée propre de l'UEO qui, depuis les traités de Maastricht et d'Amsterdam, est appelée à constituer " le bras politico-militaire " de l'UE.

En sa qualité de Président de la commission politique, M. BAUMEL a rappelé que le rapport en discussion avait été adopté à l'unanimité en commission et il lui a paru que M. de DECKER avait mis l'accent sur de vraies questions et notamment celle du risque d'affaiblir l'UEO " ...en la diluant dans un élargissement excessif et non justifié par des participations concrètes, réelles et positives. "

Après l'adoption de deux amendements déposés par M. Constantinos VRETTOS (Grèce, Pasok), d'un amendement de M. de DECKER et plusieurs de ses collègues et d'un amendement commun de MM. Thomas COX (Royaume-Uni, Travailliste) et Edward O'HARA (Royaume-Uni, Travailliste), l'Assemblée a adopté la recommandation n° 626 ainsi amendée.

b) La question des relations avec la Russie

Conformément aux conclusions de son rapporteur, M. Miguel Angel MARTINEZ (Espagne, socialiste), l'Assemblée a adopté à l'unanimité la recommandation n° 630 ainsi que la directive n°103 sur les relations de l'UEO avec la Russie. Au cours de son intervention sur son rapport (doc. 1063) M. MARTINEZ a estimé nécessaire que l'UEO " à l'instar de l'UE et de l'OTAN, établisse des relations officielles avec la Russie, d'autant que ce pays a manifesté à plusieurs reprises son intérêt en cette direction alors qu'à ce jour les liens sont limités à des contacts sporadiques qui ne répondent pas aux attentes de l'Assemblée ". Il a appelé de ses voeux un programme d'information réciproque, de dialogue et de coopération réguliers. Ainsi, l'Assemblée a décidé de faire un premier pas en chargeant son Comité des Présidents de ménager un statut véritable au Parlement russe qui offrirait à un nombre déterminé de ses délégués de participer aux sessions plénières et éventuellement à des réunions de commissions.

Au terme du débat sur ce rapport, M. BAUMEL a salué la qualité du travail du rapporteur sur un sujet qualifié d'" essentiel " qui a suscité la " passion " de l'Assemblée et dont il a su éloquemment présenter les divers aspects.

c) L'examen des coopérations industrielles, notamment dans le domaine naval

M. Arnau NAVARRO (Espagne, socialiste) a présenté à l'Assemblée en qualité de corapporteur, le rapport de la commission technique et aérospatiale relatif à " la coopération européenne dans le domaine naval - les programmes de frégates " (doc. 1606 et amendement).

Les principales orientations dégagées par ce travail ont porté sur la création d'un groupe naval au sein de l'UEO afin, entre autres activités, d'étudier les besoins navals des pays membres, l'élargissement d'EUROMARFOR (les rapporteurs citant en particulier la Grèce parmi les Etats souhaitant rejoindre la France, l'Italie, l'Espagne et le Portugal) et la réalisation d'exercices navals dans le cadre spécifique des missions dites de Petersberg.

Au cours du débat M. Jim MARSHALL (Royaume-Uni, travailliste) Président de la commission technique et aérospatiale, a tenu à préciser que, dans le cadre du projet Horizon, son pays avait l'intention d'acquérir une douzaine de frégates de ce type et non pas six à sept (chiffres cités par le rapport).

Sont également intervenus au cours du débat : MM. Michael COLVIN (Royaume-Uni, conservateur), David WILSHIRE (Royaume-Uni, conservateur), et Ali DINCER (Turquie, membre associé).

Enfin, l'Assemblée a adopté l'amendement déposé par M. Jean VALLEIX, député (RPR), sur la nécessité d'une coopération entre industriels européens " ... pour le développement et la fabrication de systèmes d'armes embarqués susceptibles de garantir aux nouveaux types de frégates une capacité de défense antimissile ", sujet dont l'Assemblée avait déjà souligné l'importance au cours de la précédente session (recommandation n° 621 adoptée dans sa séance du 3 décembre 1997).

L'Assemblée a adopté à l'unanimité la recommandation n° 629 ainsi amendée.

d) La double question de l'évolution de la situation dans les Balkans et des forces de police de l'UEO

Au cours de ses deux séances du mardi 19 mai 1998, l'Assemblée a examiné, dans le cadre d'une discussion commune, deux rapports de la commission de défense (doc. 1608 et amendements et doc. 1609).


• Lord RUSSELL-JOHNSTON (Royaume-Uni, libéral-démocrate) a présenté en qualité de suppléant de M. Jan Dirk BLAAUW (Pays-Bas, libéral VVD), rapporteur, les orientations du rapport consacré à la situation dans les Balkans, en soulignant la nécessité d'un renforcement du rôle et des responsabilités de l'Europe vis-à-vis de la SFOR et en recommandant au Conseil d'envisager le déploiement d'un détachement spécial de police armée, composé uniquement d'Européens, afin de garantir l'ordre public en Bosnie-Herzégovine. Par ailleurs, le rapport a rejeté l'affirmation selon laquelle la situation au Kosovo serait une stricte affaire intérieure yougoslave.


• Sur le second sujet, M. Pietro GIANNATTASIO (Italie, Forza Italia), rapporteur, a demandé que l'UEO soit à même de répondre rapidement et de manière adéquate aux demandes de missions de police spécialisées. Il a souligné que l'Elément multinational de conseil en matière de police (EMCP) constituait un " exemple unique " : pour la première fois, toutes les catégories de membres de l'UEO ont pu participer à la mission.

Ont participé à la discussion commune : MM. Fabio EVANGELISTI (Italie, Sin. Dem.), John TOWNSEND (Royaume-Uni, conservateur), Terry DAVIS (Royaume-Uni, travailliste), POPOVSKI (ancienne République yougoslave de Macédoine, observateur), MUTMAN (Turquie, membre associé), SHAPURICH (ancienne République yougoslave de Macédoine, observateur), JELINCIC (Slovénie, partenaire associé), Lawrence CUNLIFFE (Royaume-Uni, travailliste), Michael COLVIN (Royaume-Uni, conservateur), et Jordi SOLÉ TURA (Espagne, socialiste), Mmes Maria Manuela AGUIAR (Portugal, PPD-PSD) et Ana GUIRADO (Espagne, socialiste), ainsi que M. Armand de DECKER (Belgique, PRL-FDF) qui, en sa qualité de Président de la commission de défense, a salué la qualité des réflexions des rapporteurs.

Pour sa part, M. GIANNATTASIO a précisé dans ses réponses aux intervenants qu'il n'avait pas assigné à l'EMCP une mission de contrôle des frontières avec le Kosovo, car il ne s'agissait que d'une structure de conseil et d'instruction qui n'a pas vocation " à aller sur le terrain ".

Après avoir repoussé un amendement de MM. Francisco SPERONI et Luciano LORENZI (Italie, Ligue du Nord) sur l'autodétermination du Kosovo, l'Assemblée a adopté un amendement de M. David ATKINSON (Royaume-Uni, conservateur) et plusieurs de ses collègues visant à renforcer le contrôle de l'embargo sur les armes imposé à la République fédérale de Yougoslavie tout en prévenant les livraisons d'armement à l'armée de libération du Kosovo, dont M. ATKINSON a précisé que les Etats-Unis pensaient qu'elles pourraient avoir des sources islamistes et fondamentalistes.

L'Assemblée a adopté à l'unanimité la recommandation n° 627 ainsi amendée relative à l'Europe devant l'évolution de la situation dans les Balkans puis, également à l'unanimité, la recommandation n° 628 sur les forces de police de l'UEO - réponse au Rapport annuel du Conseil.

2) Autres résolutions et directives adoptées au cours de la session

A partir des travaux de sa commission pour les relations parlementaires et publiques, l'Assemblée a également examiné deux rapports : le premier présenté par Mme Vera SQUARCIALUPI (Italie, Sin. Dem) sur l'Initiative Centre-Européenne (doc. 1065 et amendement) et le second présenté par M. Eisso WOLTJER (Pays-Bas, socialiste) relatif à l'Assemblée de l'UEO et la dimension parlementaire des politiques de sécurité (doc. 1064).


• Sur le premier sujet, Mme SQUARCIALUPI a préconisé d'encourager les voies de coopération sous-régionale, notamment dans les zones de crises potentielles, après avoir rappelé l'origine et les finalités de l'Initiative Centre-Européenne ou INCE qui regroupe 16 pays et " contribue à la coopération en Europe, en lançant des initiatives avec la BERD, l'OSCE, l'UE etc. ". Elle a également souhaité que l'UEO complète l'action de la SFOR pour la mise en oeuvre des Accords de Dayton. Dans ce contexte, l'Assemblée a chargé le Comité des Présidents de se prononcer sur l'opportunité d'institutionnaliser les relations avec les assemblées sous-régionales.

Au cours du débat, Mme Josette DURRIEU, sénateur (S), Présidente de la délégation française, a rappelé, après avoir salué la qualité du travail du rapporteur, que l'Assemblée s'était déjà penchée sur le rôle de l'Assemblée balte ou encore celui de l'Assemblée de coopération économique en Mer Noire. Mme DURRIEU a également souligné l'importance des travaux conduits en octobre 1997 lors de la Conférence de Monaco qui, dans le cadre de l'OSCE, avaient fourni l'occasion d'une première rencontre entre représentants d'organisations sous-régionales et avaient conclu à la nécessité d'un renforcement des relations entre ces instances (pour certaines déjà anciennes, comme le Conseil Nordique et le Bénélux) et les Assemblées européennes.

Après l'adoption d'un amendement déposé par Mme SQUARCIALUPI afin de mentionner la création récente d'une force multinationale d'infanterie légère entre l'Italie, la Slovénie et la Hongrie et à laquelle se joindra la Roumanie, l'Assemblée a adopté à l'unanimité le projet de directive n° 104 ainsi amendé sur l'Initiative Centre-Européenne.

• S'agissant du débat sur le rapport de M. WOLTJER, qui a souligné le phénomène de multiplication depuis la fin de la guerre froide des organisations de sécurité en Europe, dont les démarcations de compétence peuvent parfois paraître floues, les travaux de la commission pour les relations parlementaires et publiques ont avant tout été conduits afin de contribuer à clarifier les termes mêmes des interrogations sur l'éventuelle dimension parlementaire de la coopération. Dans ce but, M. WOLTJER a suggéré diverses voies de renforcement de l'influence parlementaire et Mme SQUARCIALUPI s'est exprimée afin de soutenir plus spécialement la proposition du rapporteur visant à établir le principe d'une rencontre annuelle entre les parlementaire appartenant aux différentes organisations européennes " ... si proches mais qui s'ignorent trop souvent . " Enfin, elle a salué l'apport personnel de M. WOLTJER dans ses fonctions de Président de la commission pour les relations parlementaires et publiques au moment où il va quitter l'Assemblée de l'UEO pour se consacrer exclusivement au Parlement européen.

L'Assemblée a adopté à l'unanimité le projet de résolution n° 100, puis le projet de directive n° 105 sur la dimension parlementaire des politiques de sécurité.

* * *

Enfin, en concluant la session, M. de PUIG, Président de l'Assemblée de l'UEO, a averti l'Organisation qu'elle se devait d'être prête à agir si la situation au Kosovo continuait à se détériorer : l'Europe ne pouvant se permettre de laisser se préparer " une nouvelle Bosnie " sans intervenir mais il reste essentiel que les Européens manifestent une volonté politique commune en ce sens.

CHAPITRE 2 : LES TRAVAUX DE LA 2ÈME PARTIE DE LA 44ÈME SESSION

La deuxième partie de la 44 ème session de l'Assemblée de l'UEO s'est tenue à Paris, du 30 novembre au 3 décembre 1998.

Ont participé aux travaux :

• Au titre de l'Assemblée nationale : MM. Jacques BAUMEL (RPR), Président de la commission politique, Jean BRIANE (UDF), Claude EVIN (S), Jean-Marie LE GUEN (S), Jean-Claude SANDRIER (C), Bernard SCHREINER (RPR), premier Vice-président de la délégation française et Jean VALLEIX (RPR).

• Au titre du Sénat : Mme Josette DURRIEU (S), Présidente de la délégation française, MM. Nicolas ABOUT (app. RI), James BORDAS (RI), Daniel GOULET (RPR), Jacques LEGENDRE (RPR) et Lucien NEUWIRTH (RPR).

A. La séance d'ouverture et l'examen du rapport sur la coopération transatlantique

Lundi 30 novembre 1998 :

Après le discours d'ouverture de M. Luis Maria de PUIG (Espagne), Président, M. José CUTILEIRO, Secrétaire général de l'UEO, a exposé les principaux enjeux auxquels est confrontée l'Organisation, notamment depuis la récente initiative britannique sur la dimension européenne de la sécurité. M. CUTILEIRO a ensuite répondu aux questions de différents intervenants et notamment précisé, en réponse à M. Jean VALLEIX, que les décisions de l'UEO mais aussi de l'OSCE ou de l'UE étaient prises par consensus en matière de sécurité, en récusant toute idée de déficit démocratique au sein de l'UEO.

Puis l'Assemblée a examiné le rapport de M. Jan Dick BLAAUW (Pays-Bas, libéral VVD), rapporteur (doc. 1626) au nom de la Commission politique sur les nouvelles perspectives pour la coopération transatlantique en matière de sécurité, qui a conclu sa présentation sur le caractère indispensable de l'UEO, seule organisation européenne de défense permettant aux parlementaires de faire connaître leur point de vue. Au terme d'un débat, l'Assemblée a adopté à l'unanimité la recommandation n°  632 relative à ce rapport.

B. Les travaux relatifs aux relations opérationnelles de l'UEO et au rôle de l'Organisation en matière d'armement

Mardi 1 er décembre :

Dans sa séance du matin, l'Assemblée a d'abord examiné le rapport de M. Armand de DECKER (Belgique, PRL-FDF), Président de la commission de défense, sur l'organisation des relations opérationnelles entre l'OTAN, l'UEO et l'UE (doc. 1624) : le rapporteur a notamment proposé que le Secrétaire général de l'UEO soit invité au Conseil comme à la Commission de l'UE lorsque des questions de défense et de politique étrangère y sont abordées. Il a par ailleurs considéré comme impératif que le nouveau concept stratégique de l'OTAN laisse suffisamment de latitude aux Européens pour entreprendre des actions militaires dans le cadre de l'IESD. L'Assemblée a ensuite entendu M. Ismael CEM, Ministre des Affaires étrangères de Turquie. M. CEM a conclu son propos sur la lutte engagée par son gouvernement contre la criminalité organisée et le terrorisme en soulignant que l'Europe ne devrait pas servir de refuge du fait de refus injustifiés d'extradition. Enfin, le ministre a répondu aux questions des membres de l'Assemblée.

Puis, M. George ROBERTSON, ministre de la défense du Royaume-Uni, a précisé les initiatives de son gouvernement dans le but de moderniser l'architecture européenne de défense. M. Jacques BAUMEL, Président de la Commission politique, a fait part au ministre de son étonnement de laisser penser qu'avec la réunion de leurs moyens, les Etats européens seraient à la merci d'un soutien américain pour venir à bout de dictatures, alors que certaines nations du continent auraient pu mettre à la disposition de la coalition des contingents encore plus importants au cours de la guerre du Golfe et qu'au Kosovo, les Etats-Unis refusaient de participer à la force d'extraction basée en Macédoine. Dans sa réponse, M. ROBERTSON a rappelé qu'il ne faudrait pas sous-estimer les qualités particulières à l'OTAN et indiqué qu'il lui semblait périlleux d'affirmer qu'à eux seuls, les Européens pourraient régler du point de vue militaire tous les conflits avec des dictateurs disposant d'armées puissantes

Dans sa séance de l'après-midi, l'Assemblée a, conformément à l'article 5 (2) de son Règlement, vérifié les pouvoirs des nouveaux membres (représentants et remplaçants) puis, en vertu des articles 14 et 40 du Règlement, elle a ratifié les modifications suivantes dans la composition des commissions:

• Mme Danièle POURTAUD, sénateur (S) et MM. Jean-Marie BOCKEL, député (S) et Michel HUNAULT, député (RPR) ont été nommés membres titulaires de la Commission permanente (M. Jean-Marie LE GUEN, député (S) étant membre remplaçant).

• MM. Armand JUNG, Jean-Marie LE GUEN, députés (S) et Lucien NEUWIRTH, sénateur (RPR), ont été nommés membres titulaires de la Commission technique et aérospatiale (Mme Josette DURRIEU, sénateur (S) étant membre remplaçant).

L'Assemblée a ensuite repris la discussion sur le rapport de M. De DECKER et a adopté la recommandation n°  633 sur ce rapport. Puis, elle a examiné le rapport de M. Michael COLVIN (Royaume-Uni, Conservateur), au nom de la Commission de défense, sur la restructuration de l'armement européen et le rôle de l'UEO (doc. 1623). L'Assemblée a examiné cinq amendements de Mme Rodoula ZISSI et M. Vassilios MAGGINAS (Grèce): ces amendements ayant été adoptés à l'unanimité, l'Assemblée a adopté la recommandation n°  634 ainsi amendée.

Enfin, il a été procédé à l'examen du rapport de la Commission technique et aérospatiale présenté par Mme Josette DURRIEU, présidente de la délégation française, sur la coopération entre l'Europe et la Russie dans le domaine de la sécurité nucléaire civile et militaire (doc. 1620). Au terme d'un débat, la recommandation n°  635 a été adoptée à l'unanimité de même que la recommandation n° 636 relative au rapport (doc. 1622) présenté par M. David ATKINSON (Royaume-Uni), sur le bogue de l'an 2000.

C. Le rapport sur la coopération entre l'Europe et la Russie dans le domaine de la sécurité nucléaire, civile et militaire

Présentant son rapport (doc. 1620) au nom de la commission technique et aérospatiale, Mme DURRIEU, Présidente de la délégation française, a tenu à rappeler que son travail s'inscrivait dans le prolongement d'un précédent rapport de M. MARTINEZ (Espagne, socialiste), qui préconisait une consultation mutuelle avec la Russie sur ces problèmes concrets. Mme DURRIEU a également précisé l'emploi du mot " sécurité " dans son rapport, notion plus large que celle de " sûreté " qui concerne un risque ponctuel, plus technique, de même que la compétence de l'Assemblée de l'UEO sur un problème autant civil que militaire (les matières nucléaires civiles pouvant être détournées à des fins militaires alors que les matières militaires restent toujours susceptibles d'être reconverties à des fins civiles). Mme DURRIEU a ensuite procédé à un état des lieux et des risques en retenant deux dates essentielles : 1986, avec l' " accident "de Tchernobyl et 1989/1990, avec la chute du mur de Berlin. Le rapporteur, qui a multiplié les contacts de haut niveau sur place, a détaillé la situation des sites et du nombre de réacteurs installés en Russie, en distinguant les différents systèmes d'exploitation et leur génération : les réacteurs du type RBMK analogues à ceux de Tchernobyl étant considérés comme les plus dangereux, certains experts leur imputant un vice de forme structurel.

Puis, Mme DURRIEU a présenté le programme fédéral de l'énergie nucléaire couvrant une période jusqu'à 2010 et a également détaillé les formes de la dénucléarisation organisée sur les bases de traités multilatéraux.

Concluant sur la coopération, Mme DURRIEU a posé trois séries de problèmes : celui des mentalités quant à l'émergence d'une culture de la sécurité, puis la double question de l'état du droit et du respect encore inégal des engagements pris par la Russie (refus de la Douma de ratifier les Accords Start II, par exemple) alors que la première législation soviétique date de 1985.

Mme le rapporteur a conclu sur l'existence de coopérations déjà engagées avec l'Union européenne et les Etats-Unis, partenaires privilégiés de la Russie, mais aussi avec la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Japon ou certains pays nordiques comme la Norvège, tout en insistant sur l'importance des financements européens (programmes TACIS et PHARE). Elle a prôné l'intensification des coopérations avec la Russie en lançant toutefois un appel à la vigilance sur le contrôle des fonds alloués et des objectifs.

MM. Thomas COX (Royaume-Uni, Travailliste), KOSMO (Norvège, membre associé) et MEDALINSKAS (Lituanie, associé partenaire) ont ensuite pris part au débat. Pour sa part, M. Jim MARSHALL (Royaume-Uni, Travailliste) a salué en sa qualité de Président de la commission technique et aérospatiale la qualité du rapport de Mme DURRIEU en rappelant que le rapport avait été adopté à l'unanimité par cette instance.

Au terme de cette présentation, l'Assemblée a adopté à l'unanimité la recommandation n° 635.

D. L'exposé du programme de la présidence allemande de l'UEO (1er semestre 1999)

Au cours de sa seconde séance du 1 er décembre, l'Assemblée a entendu M. Günter VERHEUGEN, Ministre délégué aux affaires étrangères de l'Allemagne. Accueilli par les propos du Président de PUIG relatifs à son expérience internationale au sein du Ministère allemand des Affaires étrangères, puis au Bundestag, le Ministre délégué a souligné l'importance attachée par le gouvernement allemand aux travaux de l'Assemblée de l'UEO, convaincu que " le suivi parlementaire est indispensable à un bon fonctionnement des organisations européennes . " Il a également indiqué que les relations entre l'UEO et l'UE constitueraient un point important du programme de la présidence allemande de l'UE et de l'UEO, qui débutera au 1 er janvier 1999 et, pour la première fois, sous ce régime désormais commun de double présidence. De même, M. VERHEUGEN a annoncé une proposition de définition de stratégies diplomatiques communes tant à l'égard de la Russie que de l'Ukraine, qui sera présentée au Sommet européen de juin 1999. Il a notamment qualifié l'UEO " ... d'instrument militaire et de gestion des crises de l'UE. " A une question de M. Peter SCHLOTEN (Allemagne, SPD) sur la Turquie, le Ministre délégué a estimé que si la Turquie avait bon espoir d'intégrer l'UE " ... le seul critère qui vaille, c'est l'application d'une norme unique relative à la démocratie et à l'Etat de droit ".

Ont ensuite interrogé M. VERHEUGEN, Mme Anne BRASSEUR (Luxembourg, Parti démocratique) et MM. TODOROV (Bulgarie, membre associé), KIRATLIOGLU (Turquie, membre associé), Thomas COX (Royaume-Uni, Travailliste), Robert ANTRETTER (Allemagne, SPD), MEDALINSKAS (Lituanie, associé partenaire) et Armand de DECKER (Belgique, PRL-FDF) qui, en sa qualité de Président de la Commission de défense, a notamment demandé des explications concernant l'allusion du Ministre délégué à un " accord cadre avec l'OTAN ". Sur ce point, M. VERHEUGEN a estimé que, l'UEO ne disposant pas des moyens suffisants, l'OTAN pourrait mettre à sa disposition des capacités militaires sur la base d'un accord, car les structures existantes devaient coopérer entre elles. Il a ensuite répondu aux questions sur la PESC et a affirmé que l'Allemagne était favorable au principe dit de " l'abstention constructive " afin d'éviter tout blocage lorsqu'un pays ne souhaite pas participer à une opération.

E. L'examen des autres principaux sujets

Mercredi 2 décembre 1998 :

Séance du matin : l'Assemblée a d'abord examiné le rapport présenté par M. Lawrence CUNLIFFE (Royaume-Uni, Travailliste), au nom de la Commission technique et aérospatiale sur le système de commandement et de conduite des opérations par l'UEO (doc. 1621) : la recommandation n°  637 a été adoptée à l'unanimité. Puis, l'Assemblée a adopté, également à l'unanimité, la directive n°  106 ainsi que la recommandation n°  638 relatives à la politique de communication de l'UEO, après la présentation par M. Arnau NAVARRO (Espagne, Socialiste), de son rapport au nom de la Commission pour les relations parlementaires et publiques (doc. 1628).

A de même été examiné le rapport (doc. 1625) présenté au nom de la Commission politique par M. Pedro ROSETA (Portugal, PPD/PSD), remplaçant M. Robert URBAIN (Belgique), rapporteur, sur les conséquences politiques et juridiques de l'élargissement de l'UEO à des pays non signataires du Traité de Bruxelles modifié (réponse au rapport annuel du Conseil).

Séance de l'après-midi : l'Assemblée a d'abord entendu M. Peter STOYANOV, Président de la République de Bulgarie, qui a répondu aux questions de différents intervenants, puis a adopté la recommandation n° 639 relative au rapport n° 1625, précédemment examiné, après le rejet d'un amendement de M. Kimon KOUROULIS (Grèce, Pasok) et plusieurs de ses collègues de la Délégation grecque.

Ont ensuite été adoptées : la motion d'approbation des comptes de l'Assemblée pour l'exercice 1997 (doc. 1616 et addendum) et la recommandation n° 640 relative au régime des pensions des organisations coordonnées (doc. 1630), les deux rapports étant présentés par M. Arnulf KRIEDNER (Allemagne, CDU/CSU), Président de la Commission des Affaires budgétaires et de l'Administration. En revanche, le rapport sur le projet de budget de l'Assemblée pour 1999 (duc. 1616) a été retiré de l'ordre du jour après l'adoption par l'Assemblée d'une question préalable (doc. 1631), également déposée par M. KRIEDNER au nom de la Commission, considérant l'absence de communication de son avis par le Conseil.

Jeudi 3 décembre 1998 :

L'Assemblée a examiné le rapport de M. Jacques BAUMEL, Président de la Commission politique, sur l'UEO et la gestion des crises dans les Balkans (doc. 1627). Après avoir rappelé la situation dramatique dans le sud-est de l'Europe, M. BAUMEL a plus spécialement détaillé la situation du Kosovo, en s'interrogeant sur les résultats de l'action internationale au regard de l'attitude des dirigeants yougoslaves ;  après l'adoption d'un amendement de MM. Francesco SPERONI et Luciano LORENZI (Italie, Ligue du Nord), puis de six autres amendements de précision de Mme Vera SQUARCIALUPI (Italie, Sin. Dem.), la recommandation n°°641 ainsi amendée a été adoptée à l'unanimité.

F. Le bilan de la présidence italienne

Au cours de la séance du 3 décembre, l'Assemblée a également entendu M. Lamberto DINI, Ministre des Affaires étrangères d'Italie, Président en exercice du Conseil de l'UEO, qui a d'emblée souligné que l'Europe apportait, à ce jour, une contribution insuffisante à la sécurité internationale, en raison en partie des défaillances des structures actuellement à sa disposition.

Reprenant les affirmations de M. BAUMEL sur la faiblesse de l'action européenne dans les Balkans, M. DINI a précisé que le Conseil des Ministres avait conscience de cette question, notamment lorsqu'il s'est prononcé pour l'extension de la mission de l'EMCP.

Au sujet du prochain Sommet de Washington, il a insisté sur la coopération transatlantique en matière de défense et de sécurité, en considérant que " ... la présence d'associés partenaires, de membres associés et d'observateurs au sein de l'UEO représente une richesse qui doit être préservée ".

M. DINI a également affirmé : " l'Italie continue à penser que l'UEO doit être intégrée à l'UE " en constatant toutefois que le Sommet de Rome n'avait pu aboutir sur l'élaboration d'un processus de rapprochement susceptible de déboucher sur une fusion.

Après avoir répondu à différents intervenants parmi lesquels Mme Vera SQUARCIALUPI (Italie, Sin. Dem.) et MM. Wolfgang BRENDT (Allemagne, SPD), Terry DAVIS (Royaume-Uni, Travailliste) Sir RUSSEL-JOHNSTON (Royaume-Uni, Libéral-démocrate), Francesco SPERONI (Italie, Ligue du Nord) et Domenico CONTESTABILE (Italie, Forza Italia), Président de la délégation italienne, le Ministre a également apporté des explications concernant la situation de son pays face à l`" affaire OCALAN " en réponse à une question de Mme AYTAMAN (Turquie, membre associé) qui a considéré que cet événement pouvait mettre en péril les relations traditionnelles d'amitié entre son pays et l'Italie.

Enfin, M. Jacques BAUMEL, Président de la commission politique, a interrogé M. DINI sur l'éventualité d'une position européenne commune dans la perspective du Sommet du cinquantenaire de l'OTAN et si la nomination du " Monsieur PESC ", qui serait une personnalité politique et pas seulement un diplomate, pourrait renforcer la position des Européens. La réponse du Ministre a été en faveur de formules permettant à l'Europe de " parler d'une seule voix ".

CHAPITRE III : LES PRINCIPALES ACTIVITES DE L'ASSEMBLEE DE L'UEO EN DEHORS DES SESSIONS POUR 1998

A. Le colloque de Madrid sur l'identité européenne de sécurité et de défense (4 au 6 mai 1998)

Ont participé à ce colloque pour la délégation française : MM. Jacques BAUMEL (RPR), Raymond FORNI (S), Georges LEMOINE (S) Guy LENGAGNE (S) et Jean VALLEIX (RPR) pour l'Assemblée nationale ; Mme Josette DURRIEU (S), Présidente de la délégation, MM. Michel ALLONCLE (RPR), Marcel DEBARGE (S) et Pierre JEAMBRUN (RDSE) pour le Sénat.

• Au cours de la première séance, ouverte par M. TRILLO FIGUERO, Président de la Chambre des Députés, M. Javier SOLANA, Secrétaire général de l'OTAN a estimé que le dialogue transatlantique ne pourra s'intensifier que par le développement de l'IESD, garantissant une Europe plus forte. M. Alexandre VERSHBOW, Ambassadeur des Etats-Unis à l'OTAN, a approuvé ce principe de renforcement des capacités opérationnelles de l'Europe à la condition que celui-ci se réalise par la biais de l'IESD, de concert avec l'OTAN. M. José CUTILEIRO, Secrétaire général de l'UEO, a constaté que le rôle de l'UEO n'apparaissait pas clairement alors que cette Organisation ne saurait constituer une alternative à l'OTAN, mais un organe complémentaire capable d'intervenir lorsque les Etats-Unis ne le souhaitent pas. MM. Stelios PERRAKIS, Secrétaire général chargé des affaires européennes au Ministère des Affaires étrangères de Grèce, puis Przemyslaw GRUDZINSKI, sous-secrétaire d'Etat du Gouvernement polonais, qui a notamment souhaité l'inclusion des missions dites de Petersberg dans les Traités de l'Union européenne, ont également pris la parole.

• La deuxième séance, consacrée à la coopération entre l'UEO, l'OTAN et les groupes de forces interarmées multinationales (GFIM), a débuté par l'intervention de M. Akis TSOHATZOPOULOS, Ministre de la Défense de Grèce, qui a insisté sur la complémentarité de l'OTAN et de l'UEO : les Européens et les Américains devant oeuvrer de concert afin d'être à même de gérer tout conflit susceptible d'éclater de l'Afrique du Nord à l'Asie centrale, sans oublier le Proche-Orient. Le Ministre a par ailleurs souligné la nécessité de renforcer des capacités particulières à l'UEO afin d'agir pour le compte de l'Union européenne, avec ou sans l'OTAN, en regrettant à cet égard l'absence de l'UEO dans l'opération de stabilisation en Albanie. M. Heinrich RENTMEISTER, Directeur-adjoint de la planification au Ministère allemand de la défense, a cité l'ensemble des nouveaux facteurs constituant le cadre d'un partenariat transatlantique rénové : l'euro, l'élargissement de l'Union européenne comme de l'OTAN, les GFIM, la réaffirmation américaine en faveur d'un partenariat actif avec l'Europe conjuguée à la volonté des Européens de jouer un rôle plus dynamique au sein de l'OTAN. Le capitaine de vaisseau Jean DUFOURCQ, expert en relations internationales à l'Etat-major des Armées, représentant le Ministère français de la défense, a estimé tout à fait normal que les Européens utilisent les capacités de l'OTAN, dont ils assume 65 % des moyens. Il a souhaité que l'UEO puisse également disposer de moyens propres dans le cadre de l'IESD. Sont également intervenus MM. Rafael ESTRELLA (Espagne), Vice-président de l'Assemblée de l'Atlantique Nord (AAN) et Robert WIJK, expert néerlandais.

• La troisième séance, présidée par M. Jacques BAUMEL, député (RPR) en sa qualité de Président de la commission politique de l'Assemblée de l'UEO, a plus spécifiquement traité de la question des forces multinationales et de leurs relations avec l'OTAN et l'UE. L'Amiral de MORALES, Directeur de la cellule de planification de l'UEO et le Général OLIVER, premier adjoint au Commandant du Corps européen à Strasbourg ont décrit les niveaux opérationnels auxquels est parvenue l'UEO et les moyens à sa disposition, tout en regrettant que ses capacités réelles restent méconnues.

L'Amiral LOPEZ, commandant en chef des forces alliées du sud-Europe (Afsouth), après avoir décrit la complexité des situations en Méditerranée, Mer Noire et Mer Caspienne, a apporté des précisions sur les premiers exercices de GFIM en rappelant que l'OTAN et l'UEO avaient déjà collaboré à l'occasion de l'opération " Sharp guard ".

Le Général Jean-Paul RAFFENNE, de l'Etat-major des armées françaises, a évoqué les risques inhérents à la prolifération des armes de destruction massive et au terrorisme. Il a mis l'accent sur les potentialités importantes de l'UEO et de l'Union européenne réunies et a invité les Européens à consolider et à intégrer leurs industries d'armement. En se référant à son expérience d'ancien chef du bureau des plans d'opération de la SFOR en Bosnie, le Général a également souligné l'existence des liens unissant la France à l'OTAN.

MM. Anders BJORK, député, ancien Ministre de la défense de Suède et Petre ROMAN, Président du Sénat de Roumanie, sont également intervenus.

Au cours des débats, M. BAUMEL a interrogé la Commandant en chef de l'Afsouth sur le conflit du Kosovo. Dans sa réponse, l'Amiral LOPEZ a souhaité que l'examen de ce problème par le Groupe de contact débouche sur une solution de dialogue politique car, à défaut, des perspectives très inquiétantes se dessineraient avec l'extension à la Macédoine et à l'Albanie et des afflux de réfugiés dans des pays tels que l'Italie et la Grèce.

M. Jean VALLEIX a pour sa part évoqué la question de l'inter-opérabilité industrielle en soulignant que, parmi les risques venus du sud figure celui des missiles : l'Europe ayant accompli des progrès technologiques, notamment dans le domaine de la défense antimissile, il s'est interrogé sur la volonté des responsables politiques et militaires de se saisir des moyens disponibles.

En conclusion à ce colloque, M. Armand de DECKER, Président de la commission de défense, a constaté que l'IESD se développait simultanément à l'intérieur comme à l'extérieur de l'OTAN : à l'intérieur, car aucun pays européen ne souhaite l'abandon par les Américains de l'Europe, mais aussi à l'extérieur, car l'Union européenne se doit de défendre ses intérêts propres. Il reste donc indispensable que, dans le cadre de la PESC, les Européens réforment les procédures de prise de décision.

M. Luis-Maria de PUIG, Président de l'Assemblée de l'UEO, a rappelé que l'IESD concernait toutes les institutions européennes. Il a souligné que tout dépendait de la volonté des gouvernements et de l'affirmation politique de l'Union européenne elle-même, qui ne s'est guère montrée disposée, dans le passé, à promouvoir en son sein l'IESD.

Le 7 mai, les membres de la commission technique et aérospatiale de l'Assemblée de l'UEO ont visité le Centre satellitaire de l'UEO à Torrejon (région de Madrid).

B. La mission de la commission politique en Macédoine et en Albanie (14-21 juillet 1998)

Sous la présidence de M. Jacques BAUMEL, député (RPR) une délégation de la commission politique de l'Assemblée de l'UEO a effectué une mission d'information en ex-République yougoslave de Macédoine (ERYM) et en Albanie. A Skopje, la mission a rencontré le Président de la République, les Ministres de la Défense et des Affaires étrangères, des parlementaires et des représentants de la Force de déploiement préventif des Nations-Unies (UNPREDEP), ainsi que de l'OSCE. A Ohrid, la mission s'est entretenue avec des représentants albanais du Kosovo. Puis à Tirana, la mission a été reçue par le Président de la République, les Ministres des Affaires étrangères, de la défense et de l'Ordre public. Elle a également eu des discussions avec des parlementaires et les dirigeants des différents partis. Le 19 juillet, la mission s'est rendue sur la zone frontière du Kosovo, où de graves incidents avaient eu lieu la veille. A son retour, la mission a exprimé sa très vive inquiétude notamment par la voix de M. BAUMEL, son Président.

En conclusion à cette visite, la commission a d'ailleurs estimé qu'il convenait de prendre d'urgence certaines mesures :

- assurer une augmentation considérable du nombre des observateurs internationaux sur le territoire du Kosovo ;

- assurer une présence militaire internationale forte et bien équipée aux frontières de l'ERYM et de l'Albanie avec le territoire du Kosovo, de manière à empêcher les transferts d'armes ainsi que l'expansion du conflit armé ;

- exercer une pression accrue sur les parties en présence afin de conclure rapidement un cessez-le-feu, devant être suivi par des négociations sur le futur statut du Kosovo ;

- exercer une pression accrue sur le Président MILOSEVIC afin qu'il retire toutes ses forces spéciales du territoire du Kosovo ;

- assurer une représentation de l'ALK (Armée de libération du Kosovo) dans le processus devant mener à une solution politique du conflit ;

- augmenter l'aide internationale en faveur des réfugiés dans la région afin d'empêcher leur exode vers d'autres pays européens ;

- élargir le mandat actuel et renforcer les effectifs de l'UNPREDEP en Macédoine ;

- élargir le mandat de l'EMPA (Elément Multinational de Police de l'UEO en Albanie) de manière à rendre cet élément plus souple tout en lui permettant d'étendre ses activités au nord et au sud du pays où il devrait remplir auprès des forces de police albanaises des fonctions de conseil plus actives ;

- prévoir un budget opérationnel pour l'EMPA tout en renforçant l'appui politique à ses activités.

C. Le colloque de Lisbonne sur le maintien de la paix et de la sécurité en Afrique (15 septembre 1998)

Ont participé à ce colloque au titre de la Délégation française : MM. Jacques BAUMEL (RPR), Raymond FORNI (S) et Georges LEMOINE (S) pour l'Assemblée nationale ; Mme Josette DURRIEU (S), Présidente de la Délégation, MM. Pierre JEAMBRUN (RDSE) et Jean-François LE GRAND (RPR) pour le Sénat.

Organisé par la Délégation portugaise et par la commission politique, le colloque a rassemblé plus de 200 participants.

M. Antonio de ALMEIDA SANTOS, Président de l'Assemblée de la République portugaise, a ouvert le colloque en faisant l'éloge des valeurs de l'Afrique (pratiques sociales, langues, religions) : il a insisté sur les effets négatifs de la colonisation et sur les considérations à prendre en compte pour organiser dorénavant une juste coopération sur des bases d'intérêt mutuel et de réciprocité.

M. Luis Maria de PUIG, Président de l'Assemblée de l'UEO, a mis en exergue la responsabilité de l'Europe dans les déchirements de l'Afrique : cette responsabilité oblige à venir en aide à ce continent d'abord par la recherche d'une stabilisation ; la responsabilité morale de l'Europe se double d'un intérêt propre car en aidant l'Afrique, l'Europe s'aide elle-même. Le Président a conclu son propos sur le rôle de l'UE dans la mise en oeuvre d'une nouvelle politique africaine, sans exclure toutefois la possibilité pour l'UEO de prendre des initiatives d'urgence autonomes (situations d'évacuation de ressortissants européens) et en suggérant que l'UEO puisse mettre à la disposition de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) ou de certains pays une assistance technique et, si nécessaire, leur offrir l'aide de son Centre satellitaire.

• La première séance ouverte par M. Alberto MARTINS, Président de la Délégation portugaise, a été consacrée " aux facteurs qui menacent la paix et la sécurité en Afrique ". M. Frank ASBECK, Directeur-adjoint du Centre satellitaire de Torrejon, a présenté les activités de cette institution de l'UEO en mettant l'accent sur la supervision satellitaire des zones de crises afin de préparer la prise de décisions et éventuellement, la planification des interventions de type Petersberg de l'UEO : en quatre ans, le Centre a produit près de 100 rapports ou dossiers concernant 14 missions dans des zones d'Afrique centrale.

MM. Dahuku PERE, Président de l'Assemblée nationale du Togo et Daniel ANTONIO, Secrétaire général délégué de l'OUA, ont ensuite prononcé des allocutions mentionnant notamment le rôle de l'OUA engagée dans un processus de renforcement de ses capacités de prévention des crises : en 1995, le Conseil des Ministres de l'OUA a décidé que chaque Etat membre devait prévoir et entraîner un contingent spécial en vue d'opérations de maintien de la paix. Le Canada, les Etats-Unis et l'UE ont d'ailleurs décidé de contribuer à la mise en place d'un centre de gestion des conflits et d'un système d'alerte rapide de l'OUA. M. Antonio a en outre souligné l'importance des relations de l'OUA avec d'autres organisations sous-régionales africaines (CEDEAO, SACD et IGAD).

MM. Erik DERYKE, Ministre des Affaires étrangères de Belgique, Bernard MIYET, Secrétaire général-adjoint des Nations-Unies pour les opérations de maintien de la paix, et l'Ambassadeur Marshall Mc CALLIE du Département d'Etat ont exposé leurs points de vue notamment sur le thème de " l'ONU et les organisations régionales face au défi de la gestion des crises africaines ".

Le représentant de l'ONU a constaté que, sur les 32 opérations de maintien de la paix menées par les Nations-Unies au cours des huit dernières années, 16 concernaient l'Afrique et que l'UEO pouvait fournir des soutiens précieux aux efforts de l'ONU. M. Mc CALLIE a rappelé, en sa qualité de coordonnateur de l'ACRI ( African Crisis Response Initiative ), que cette initiative américaine ouvrait depuis 1996 un partenariat aux pays africains afin de remplacer leurs capacités dans des situations de crises humanitaires ou de maintien de la paix. Il a souligné les progrès de la coordination des opérations de formation et d'entraînement depuis l'Accord signé à cet effet entre la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni.

Enfin, l'ACRI restant circonscrite à la formation, aucune structure de commandement n'est prévue : c'est aux Africains qu'il revient de déterminer les modalités idoines et de choisir éventuellement les organisations internationales avec lesquelles ils entendent agir sur le terrain.

• Sous la présidence de M. Jacques BAUMEL, Président de la commission politique de l'Assemblée de l'UEO, la deuxième séance a porté sur " la contribution de l'Europe au maintien de la paix et de la sécurité ".

M. Maurizio MELANI, coordonnateur pour l'Afrique au Ministère italien des Affaires étrangères, a souligné l'existence de nouveaux types de défi (pouvoirs occultes en dehors des Etats, flux financiers incontrôlés, dissémination de matériels de guerre, etc.) en précisant l'intention de l'UE de mener une approche globale par la combinaison d'instruments politiques et économiques, d'information et d'alerte précoce, tout en coopérant avec l'OUA et les organisations sous-régionales.

Puis, l'Amiral Claude BORGIS, représentant le Ministère français de la défense, a décrit le programme Recamp (Renforcement des Capacités africaines de Maintien de la Paix) qui, défini par la France, s'articule sur trois principes : un mandat des Nations-Unies, la désignation d'un Etat africain à titre de " Nation-cadre " et la contribution de pays donateurs ; il s'agit ainsi d'une logique multilatérale sous l'égide des Nations-Unies qui succède à une logique bilatérale et un exercice majeur de type " Recamp " est prévu tous les deux ans dans chaque grande zone du continent.

Au cours du débat, M. Jacques BAUMEL, député (RPR), s'est interrogé sur la volonté américaine d'intervenir en Afrique en reconstituant une sorte de " nébuleuse anglophone " à l'est, autour de l'Ouganda.

M. Georges LEMOINE, député (S), a posé une question sur l'influence en Afrique des missions chrétiennes depuis le XIXème siècle, alors qu'à présent d'autres influences de nature religieuse semblent les concurrencer, en concluant son propos sur les enjeux entre politique et prosélytisme religieux. A ce sujet, M. Dahuku PERE, Président de l'Assemblée nationale du Togo, lui a répondu qu'à titre personnel et en tant que chrétien, il lui paraissait que les religions chrétiennes n'ont pas fait suffisamment comprendre aux Africains que c'est le monde actuel qu'il convenait de changer : comme les autres modèles ont échoué, il revient aux valeurs chrétiennes d'appuyer les vrais changements qui s'imposent.

• Au cours de la troisième séance, présidée par le Président de PUIG, M. José CUTILEIRO, Secrétaire général de l'UEO, a retracé les différentes étapes des travaux de l'UEO ayant concerné l'Afrique au cours des dernières années. Il a rappelé la demande officielle du Conseil de l'UE, en vertu de l'article J4.2 du Traité de l'Union européenne, d'examiner en urgence la manière dont l'UEO aurait pu contribuer à une action commune dans la région des Grands Lacs, en mentionnant cependant l'absence d'accord sur un éventuel déploiement européen. Il a toutefois précisé que des leçons avaient été tirées de ce blocage pour toute demande à venir de l'UE.

En conclusion au colloque, le Président de PUIG a particulièrement insisté sur la nécessité de mettre en place une politique européenne cohérente pour l'Afrique.

ANNEXES

• Bureaux de l'Assemblée de l'UEO et de ses commissions

• Principales résolutions adoptées par l'Assemblée de l'UEO.

Document 1620 1 er décembre 1998

La coopération entre l'Europe et la Russie dans le domaine de la sécurité

nucléaire, civile et militaire

______

RAPPORT 1

présenté au nom de la Commission technique et aérospatiale
2

par Mme Durrieu, rapporteur

______

TABLE DES MATIÈRES

PROJET DE RECOMMANDATION

sur la coopération avec la Russie dans le domaine de la sécurité nucléaire, civile et militaire

EXPOSÉ DES MOTIFS

présenté par Mme Durrieu, rapporteur

I. Introduction

II. La sécurité nucléaire en Russie L'état actuel en matière civile et les risques potentiels

A. L'état du nucléaire civil en Russie

B. Les risques engendrés par l'exploitation du nucléaire civil

III. La sécurité nucléaire en matière militaire

A. Evaluation des armements nucléaires russes et de la mise en oeuvre des accords de désarmement

(a) Les accords internationaux

(b) Les traités bilatéraux entre les Etats-Unis et l'ex-URSS

(c) Les traités multilatéraux : la non-prolifération

B. Les risques induits par l'arsenal militaire russe

IV. Voies et moyens d'une coopération souhaitable

A. Observations recueillies au cours de la mission en Russie

B. La coopération avec la Russie

V. Conclusions

ANNEXES

I. Glossaire

II. Centrales nucléaires de conception soviétique en Europe

III. Infrastructure des armes nucléaires de la Russie

________

1 Adopté par la commission à l'unanimité.

2 Membres de la commission : M. Marshall (président) ; MM. Lenzer, Atkinson (vice-présidents) ; Mme Aguiar, M. Arnau Navarro , Mme Blunck , MM. Cherribi, Cunliffe , Diana , Mme Durrieu , MM. Etherington, Feldmann, Hunault, MM. López Henares, Lorenzi , Luís , Martelli (remplaçant : Turini), Nothomb, Olivo , Polydoras, Probst, Ramírez Pery (remplaçant : Gonzalez-Laxe ), Sandrier, Staes, Theis , Valk, Valleix, Mme Zissi.

N.B. Les noms des participants au vote sont indiqués en italique.

Projet de recommandation

sur la coopération entre l'Europe et la Russie dans le domaine de la sécurité

nucléaire, civile et militaire

L'Assemblée,

(i) Rappelant sa Recommandation n° 630 sur les relations de l'UEO avec la Russie ;

(ii) Soulignant, s'il en était besoin, le caractère spécifique du risque nucléaire : risque vital, risque transfrontalier, risque à très long terme ;

(iii) Considérant que la remise aux normes de sûreté et l'amélioration de la sécurité nucléaire, tant sur les sites militaires que pour l'exploitation des centrales énergétiques, s'impose comme domaine privilégié de coopération avec la Russie, tant par l'urgence que par l'importance des besoins techniques et financiers ;

(iv) Soulignant qu'il n'est pas question de nier les légitimes préoccupations de défense de la Fédération de Russie, non plus que les besoins énergétiques qui justifient la poursuite de recherches et de programmes d'équipement utilisant le potentiel nucléaire ;

(v) Considérant cependant que la coopération ne peut suivre les mêmes processus selon qu'il s'agit de gestion des armes nucléaires, de déclassement d'éléments comme les sous-marins comportant la réutilisation éventuelle du combustible à des fins civiles ou qu'il s'agit du fonctionnement des centrales énergétiques et de la gestion des déchets ;

(vi) Considérant que la coopération doit se donner pour but l'amélioration de la sécurité nucléaire au sens le plus complet, y compris la lutte contre les risques de trafics et de dissémination des technologies, mais doit aussi viser la valorisation réciproque des acquis technologiques et des potentiels de recherche dans un domaine-clef comme l'énergie ;

(vii) Rappelant que de nombreuses actions de coopération, bilatérales ou multilatérales, ont déjà été lancées tant dans le domaine militaire que dans le domaine civil, expériences qui permettent de faire un premier bilan et de proposer de nouvelles perspectives ;

(viii) Observant que, de la mission effectuée en Russie en juin 1998 comme de tous les entretiens menés, il ressort que la coopération doit tenir compte d'une réalité contrastée :

- la volonté de transparence existe partout, évidemment plus affirmée dans le domaine de l'exploitation civile de l'énergie que dans le domaine militaire, mais cette volonté de parvenir au respect des normes internationales est patente ;

- cependant, la "culture de sécurité" est encore très insuffisante et marquée par un retard dans les mécanismes de la responsabilité civile ;

- malgré la volonté de rattrapage, la lenteur des procédures législatives et même les blocages laissent persister des risques nucléaires reconnus par tous, ces difficultés obligeant à différer la mise en oeuvre de certaines actions de coopération ;

- enfin, les lenteurs législatives n'expliquent peut-être pas à elles seules les difficultés du rattrapage ; la volonté d'accomplir dans leur intégralité les engagements pris, notamment en contrepartie de financements, doit être réaffirmée afin que la mise aux normes AIEA, par exemple, soit l'objectif réel. La pratique d'autorisation annuelle provisoire ne doit pas être un nouveau mode de fonctionnement. Le programme achevé, l'objectif doit être l'obtention d'une licence de fonctionnement,

RECOMMANDE AU CONSEIL

1. D'inscrire la sûreté et la sécurité nucléaires parmi les sujets d'intérêt commun sur lesquels la Recommandation n° 630, adoptée par l'Assemblée le 19 mai 1998, invite le Conseil et les autorités russes à se consulter en vue d'une coopération concrète ;

2. D'engager des consultations avec la partie russe en vue de débloquer le processus de ratification des conventions internationales pertinentes, ainsi que l'adoption de la législation nationale qui donnera le socle juridique nécessaire ;

3. D'encourager les 28 pays de l'UEO à se consulter sur ces questions et à coopérer davantage avec la Russie dans le domaine de la lutte contre la pollution nucléaire et de la protection de l'environnement ;

Dans le domaine de l'exploitation énergétique civile :

4. D'inviter la partie russe à mettre pleinement en oeuvre son objectif d'engagement de mise aux normes AIEA des centrales, conclue par l'attribution de licences, et d'écarter le recours à des autorisations provisoires ;

5. De favoriser la formation des responsables et des chercheurs, et particulièrement de jeunes scientifiques, afin de mettre l'accent, notamment, sur la culture de sécurité à laquelle aspirent d'ailleurs les partenaires russes ;

6. De développer les contrôles de la mise en oeuvre des programmes engagés en coopération, ces contrôles devant pouvoir vérifier à la fois la réalisation des objectifs fixés et la juste utilisation des financements attribués ;

7. D'étudier la possibilité d'inclure la gestion simulée d'un accident nucléaire dans les exercices organisés par l'UEO ;

Dans le domaine militaire :

8. De donner la priorité, dans les consultations sur les sujets d'intérêt commun, aux problèmes liés aux sous-marins à propulsion nucléaire, sachant que les techniques de récupération et de confinement des propulseurs sont maîtrisées mais que leur mise en oeuvre se heurte à deux obstacles : la ratification des Conventions de Vienne et de Londres, pour la partie russe, ainsi que l'importance des crédits à mobiliser ;

9. D'encourager la coopération déjà engagée entre la France, la République fédérale d'Allemagne et la Russie, selon l'objectif de l'Accord AIDA-MOX, pour la transformation des matières nucléaires militaires rendues disponibles par les Traités START ;

10. De soutenir une action pour renforcer les moyens mis à la disposition du Centre international pour la science et la technologie créé à Moscou afin que les experts en surnombre qui travaillent dans le domaine militaire puissent être réorientés et intégrés à la communauté scientifique russe, de façon à limiter les risques de dissémination des technologies.

Exposé des motifs

(présenté par Mme Durrieu, rapporteur)

I.
Introduction

1. L'Assemblée de l'UEO a manifesté son intérêt pour la coopération avec la Russie en adoptant à l'unanimité, le 28 avril 1998, le rapport de M. Miguel Angel Martínez sur la Recommandation n° 630 sur les relations avec la Russie.

2. Cette recommandation invite le Conseil des ministres de l'UEO à "fixer avec les autorités russes les sujets d'intérêt commun sur lesquels il conviendrait de se consulter, et les domaines dans lesquels pourrait s'exercer une coopération concrète".

3. Le présent rapport porte sur la sécurité nucléaire, tant sous l'aspect civil que sous l'aspect militaire, domaine qui devrait s'imposer parmi les sujets de consultation mutuelle entre la Russie et l'UEO en vue de dégager les objectifs et les moyens d'une coopération mutuellement avantageuse.

4. C'est une évidence que de rappeler que la Russie a été et est une grande puissance nucléaire, à la fois dans le domaine civil et dans le domaine militaire.

5. Maîtrisant depuis longtemps les techniques de l'emploi de la force nucléaire, la Russie, ou plutôt l'URSS, y a eu massivement recours aussi bien pour produire de l'énergie que pour se doter des armes jugées nécessaires dans la compétition avec les Etats-Unis et les autres puissances occidentales au cours de la "guerre froide".

6. L'accident de Tchernobyl a brutalement mis en lumière la dangerosité de certaines installations d'exploitation de l'énergie nucléaire selon les techniques mises en oeuvre aussi bien en Russie que dans les Etats issus du démembrement de l'URSS après 1985.

7. A son tour, la désagrégation de l'URSS a fait craindre une dangereuse prolifération du nucléaire militaire par fuite des cerveaux et/ou trafic de matériaux, voire d'armes.

8. La chute du "mur de Berlin" et la dissolution du Pacte de Varsovie ont mis un terme à la confrontation entre deux systèmes antagonistes dans ce que l'on a appelé la "guerre froide", rendant sans objet, au moins en apparence, la course aux armements nucléaires. Plusieurs traités internationaux sont venus consacrer des engagements réciproques de désarmement dont l'inégale mise en oeuvre laisse cependant subsister un énorme arsenal, et un danger de même dimension.

9. Or, les difficultés économiques actuelles de la Russie et les incertitudes qui subsistent dans la transition démocratique augmentent les risques inhérents à l'emploi de matières nucléaires et les menaces portant sur la sécurité au sens large : accidents, vols et trafics, attentats, prolifération par transferts de connaissances et/ou émigration des détenteurs de ces connaissances.

10. Compte tenu des spécificités du risque nucléaire, risque vital, risque transfrontalier, voire planétaire et risque à très long terme, la coopération internationale s'impose évidemment dès lors qu'existe une situation d'urgence et que la Russie ne peut y faire face à elle seule.

11. Pour autant, il ne s'agit nullement de nier les immenses besoins énergétiques de ce grand pays, non plus que ses légitimes aspirations à assurer sa propre défense. Une coopération entre la Russie et l'Europe est donc souhaitable, au profit de tout le continent eurasiatique, tant pour améliorer la sécurité des installations civiles que pour empêcher toute prolifération des armes nucléaires.

12. L'objet du présent rapport est donc d'évaluer les conditions et les objectifs de la coopération nécessaire.

13. Avant de préciser quelles formes pourrait prendre cette coopération, on rappellera l'état actuel de l'exploitation de l'énergie nucléaire civile, les techniques, la carte des installations, le degré d'efficacité de la distribution d'énergie, les programmes de développement élaborés par les autorités russes, ainsi que les risques que ce bilan nous semble encore comporter.

14. La première difficulté rencontrée dans cet état des lieux tient aux divergences d'appréciation sur la dangerosité des techniques et systèmes mis en oeuvre dans les centrales de production d'énergie nucléaire en Russie (sans parler de celles qui fonctionnent dans les pays rassemblés naguère dans l'URSS).

15. Ces centrales se répartissent en deux grandes catégories : les centrales à réacteurs du groupe VVER, à eau pressurisée, et les réacteurs dits RBMK, à modérateur graphite. Les meilleurs experts semblent divisés sur l'évaluation des risques de cette dernière technique qui est mise en oeuvre par exemple à Tchernobyl, en Ukraine, et à Koursk. Certains estiment que l'accident de 1986 a été causé par un malheureux concours d'erreurs humaines et de défauts de maintenance, qui ne pourrait plus se reproduire aujourd'hui en raison des mesures prises dans les centrales de ce type.

16. En revanche, d'autres experts ont un doute sérieux sur la portée de simples mesures correctrices, estimant que c'est la conception même de ces réacteurs qui présente un vice structurel et qu'ils ne pourront pas répondre aux normes de sûreté minimum en vigueur en Europe occidentale.

17. Ce bilan doit également mentionner l'important retard en Russie en matière d'efficacité énergétique, c'est-à-dire le rapport entre, d'une part, la production des installations et, d'autre part, la quantité d'énergie et de chaleur mise à la disposition des consommateurs.

18. Enfin, outre le bilan en termes de sûreté technique et d'efficacité économique, on décrira les risques en termes de sécurité au sens le plus large, à savoir les risques de détournement illicite de techniques et/ou de matières nucléaires et de menaces terroristes.

19. S'agissant des usages militaires du nucléaire, on récapitulera les engagements internationaux souscrits par la Russie et leur degré de mise en oeuvre. On évoquera le problème spécifique des sous-marins à propulsion nucléaire. A partir de ces observations, on tentera de cerner les risques persistant à la fois en termes de sûreté et en termes de prolifération.

20. En effet, toute perspective de coopération doit s'articuler avec les accords internationaux déjà conclus ou en cours de négociation, sachant d'une part que la partie Russe tient essentiellement au parallélisme de ses engagements (et de leur application) avec ceux des Etats-Unis en matière de désarmement afin de poursuivre un dialogue de "grandes puissances". D'autre part, la transparence s'arrête, dans ce domaine, là où commence la protection des intérêts de défense.

21. A mesure de la divulgation d'informations plus complètes sur le complexe nucléaire de la Russie, on a pris conscience des incidences de la démilitarisation nucléaire. La réduction du nombre des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) et des missiles balistiques lancés de sous-marins (SLBM) était une opération coûteuse et de longue haleine. Il devenait évident que la situation économique de la Russie ne permettrait pas au gouvernement russe d'aborder le problème de la démilitarisation nucléaire de la même manière qu'aux Etats-Unis.

22. Les sous-marins nucléaires et leurs réacteurs posent, quant à eux, avec une très grande urgence, un problème spécifique, celui de leur récupération après immersion, le risque de contamination provenant essentiellement du système de propulsion des sous-marins sabordés, ou simplement amarrés et laissés à l'abandon. Le démantèlement de ces systèmes, outre la récupération (et donc le risque de contamination du milieu marin) et le transfert à terre, pose ensuite des problèmes semblables au démantèlement des brise-glaces à propulsion nucléaire, très voisins de ceux du démantèlement de réacteurs civils : transport des matériaux radioactifs, stockage, retraitement, élimination.

23. Quant au risque de détournement à des fins illicites, c'est dans le domaine militaire qu'il est le plus grave. Des groupes terroristes ou des Etats potentiellement belliqueux cherchent à acquérir des armes et des technologies. Le risque est doublé par la surabondance des armes nucléaires existant en Russie, les difficultés économiques affectant le complexe militaro-industriel et la montée récente de menaces internes.

24. Enfin, à partir de cette évaluation de l'existant et des risques, et en rappelant les enseignements tirés de la mission conduite en juin 1998, on recherchera les réponses que pourrait apporter une coopération renforcée entre l'Europe occidentale et la Russie en matière de sécurité nucléaire.

La mission conduite en juin 1998

25. En effet, les constatations que votre rapporteur à pu faire lors d'une mission à Moscou et Saint-Pétersbourg en juin 1998 permettent de dégager les éléments à prendre en compte dans la perspective d'une coopération entre l'Europe et la Russie en matière de sécurité nucléaire :

26. La volonté de transparence existe et elle est affirmée. Il convient tout d'abord de signaler, s'agissant de coopération dans un domaine aussi sensible que celui de la sûreté nucléaire, qu'il doit exister une volonté de transparence de la part de tous les interlocuteurs. Votre rapporteur a pu constater de façon générale cette volonté de transparence tout au long de cette visite, notamment chez ses interlocuteurs, qu'ils soient militaires, scientifiques ou techniciens.

27. En effet, leur langage franc et ouvert a contribué pour une très grande part au bon déroulement de cette visite. Il importe que cette franchise reste intacte durant tout le cours de la coopération et qu'elle imprègne également le discours politique qui nous a paru plus obscur et imprécis.

28. La culture de sécurité est encore nettement insuffisante. Elle souffre d'un décalage évident entre l'état des mentalités en Russie et dans le monde occidental, notamment en Europe.

29. L'état du droit en Russie et la lenteur des procédures législatives qui, malgré la volonté de rattrapage, sont aussi un réel problème, reconnu et posé. Nos interlocuteurs sollicitent la bienveillance et une certaine compréhension.

30. La loi fédérale sur l'utilisation de l'énergie nucléaire date d'octobre 1995 et certains textes relatifs au domaine nucléaire militaire sont encore en deuxième lecture à la Douma.

31. A côté des lenteurs législatives, il est à noter aussi le systématisme de la non-ratification des "engagements" du Président de la Fédération de Russie par la Douma.

32. C'est un "blocage politique" répétitif. On peut l'expliquer par l'opposition pure et simple des deux institutions. Il ne faudrait pas que ce soit l'occasion d'engagements faciles, parce que non suivis d'effets, voire que la partie russe en joue comme d'une contrepartie ou même comme d'un élément de pression dans des négociations diplomatiques.

33. En accédant à la démocratie et aux bénéfices de concours financiers internationaux, la Russie doit jouer le jeu de son côté et accomplir l'intégralité des engagements pris.

Les coopérations en cours

34. De nombreux programmes de coopération existent déjà, multilatéraux ou bilatéraux, dans le domaine civil ou dans celui de la reconversion d'une partie des personnels du complexe militaro-industriel dont il importe d'évaluer l'impact et les éventuelles lacunes.

35. La coopération ne peut être valablement promue que si les choix techniques et les besoins financiers sont correctement évalués. Il ne s'agit pas d'encourager au versement de subventions incontrôlées ni même à l'amélioration de procédés intrinsèquement peu sûrs.

36. L'orientation de la coopération doit également se fixer des échéances : s'agit-il de parer à l'urgence ou d'aider à la "remise à niveau durable", notamment de l'appareil de production énergétique dont la Russie ne peut se passer ?

37. La recherche de l'efficacité énergétique où se manifestent de graves retards par rapport aux pays occidentaux doit également s'inscrire dans la rénovation du nucléaire civil.

38. La promotion d'une coopération avec la Russie en matière de sûreté et de sécurité nucléaires met en jeu les liens inextricables entre les problèmes techniques et économiques, d'une part, et entre les problèmes économiques et politiques, d'autre part.

39. En effet, à supposer établi un consensus satisfaisant sur les choix techniques et sur l'orientation de la coopération à offrir à la Russie, la mise en oeuvre des décisions qui en résulteraient exige des conditions politiques qui ne sont pas l'aspect le moins ardu de la réussite de cette coopération.

40. Quelle que soit la volonté de transparence et quelle que soit également l'urgence, la coopération ne peut réussir que si les financements parviennent à destination et sont réellement employés à la mise aux normes internationales. Les contrôles devraient être correctement effectués aussi bien sur les sites que sur les routes qu'empruntent les différents trafics.

41. La sécurité nucléaire en Russie apparaît comme un révélateur de toutes les difficultés de la mutation que subit ce grand pays. Face à des risques immenses, il n'existe pas de solution viable sans remise en ordre économique ni restauration de l'ordre public.

42. Enfin, la coopération doit favoriser le respect des engagements pris tant en ce qui concerne la mise en oeuvre de la sûreté des centrales civiles qu'en matière de désarmement.

43. La sécurité nucléaire et la lutte contre tout risque de prolifération doit évidemment intégrer la prise en compte et la promotion du potentiel de recherche encore brillant des savants atomistes russes.

44. La coopération prendra tout son sens si les échanges scientifiques participent à un objectif commun au service d'un progrès maîtrisable par l'humanité.

II. La sécurité nucléaire en Russie

L'état actuel en matière civile

et les risques potentiels

45. La présentation d'un rapport devant l'Assemblée de l'UEO portant sur les aspects non seulement militaires, mais également civils de la sécurité nucléaire en Russie se justifie par la connexité qui caractérise ces deux aspects de l'usage de la force atomique.

46. En effet, les matières et technologies mises en oeuvre dans l'exploitation énergétique civile sont susceptibles de détournement à des fins militaires. De même que le retraitement du plutonium des armes nucléaires en permet le réemploi à des fins civiles. Les personnels pouvant évidemment être reconvertis de fonctions dans le complexe militaro-industriel vers des tâches civiles.

47. Enfin, la gravité de tout accident nucléaire, qui surviendrait dans une installation de production énergétique, exigerait une réponse des autorités politiques. Elles devraient très vraisemblablement recourir, à côté des dispositifs de protection civile, à la mobilisation de moyens militaires qui, dans l'urgence, seraient à même de faire respecter des prescriptions de masse : évacuation et interdiction de circulation en particulier.

48. Si la gestion de la sécurité nucléaire civile comporte bien des liens avec les aspects militaires, pour la clarté de l'exposé, on les traitera séparément en évoquant successivement, pour chacun de ces domaines, l'état actuel des installations, du traitement des matières nucléaires et des contrôles, ainsi que les organisations compétentes avant d'évaluer les risques spécifiques de chaque mode d'utilisation de la force nucléaire.

A. L'état du nucléaire civil en Russie

Les installations de production d'énergie et de chaleur

49. La récapitulation des centrales de conception soviétique installées sur le territoire de l'ancienne URSS fait apparaître que deux technologies ont été développées par les Russes 1( * ) :

- les RBMK, la filière de Tchernobyl (réacteurs à tubes de force, bouillants, à modérateur graphite sans enceinte de confinement), construits uniquement en Russie, en Ukraine et en Lituanie :

12 unités de 1000 MW

2 unités de 1500 MW déclassées à 1000 MW

___

Total : 14 unités dont 1 fonctionne encore sur le site de Tchernobyl

- les VVER (réacteurs à eau sous pression de technologie analogue à la filière française), exportés dans beaucoup de pays dépendant autrefois de l'URSS Ukraine, Arménie, Hongrie, République tchèque, Slovaquie et Bulgarie :

25 unités de 440 MW

20 unités de 1 500 MW déclassées à 1000 MW (avec enceinte de confinement)

___

Total : 45 unités dont 1 fonctionne encore sur le site de Tchernobyl

Au total : près de 60 réacteurs représentant environ 45 000 MW et se répartissant ainsi :

1/3 de RBMK

 

1/3 en Russie

 

et

 

2/3 de VVER

 

2/3 hors de Russie

 
 
 

50. La part du nucléaire dans le bilan électrique des pays (chiffres de 1996) est importante :

- Russie (ouest de l'Oural) : 25 %

(région de St-Pétersbourg : plus de 50 %)

- Ukraine : 43 %

- Lituanie : 83 % (centrale d'Ignalina de type RBMK, c'est-à-dire semblable à celle de Tchernobyl)

- Hongrie : 40 %

- Rép. tchèque : 20 %

- Slovaquie : 44 %

- Bulgarie : 42 %

51. Ce nucléaire est relativement jeune : à peine plus de 20 ans pour les plus anciennes unités, les deux tiers des unités ayant moins de 10 ans de fonctionnement en moyenne. C'est donc une réalité économique d'aujourd'hui mais aussi de demain.

52. Neuf centrales nucléaires sont actuellement en service en Russie, représentant un total de 29 réacteurs qui assurent 11,4 % de la production d'électricité du pays (25 % à l'ouest de l'Oural). Un certain nombre de spécialistes considèrent ces réacteurs comme peu sûrs, compte tenu notamment de l'état actuel de l'économie russe. Le danger est dû en partie à des problèmes techniques, qui sont peu à peu réglés grâce aux crédits fournis dans le cadre des programmes TACIS (programme d'aide financière de l'Union européenne) et Nunn-Lugar (programme d'aide américain). En 1997, on recensait 347 projets de coopération internationale dans le domaine civil, représentant une somme totale de 362,2 millions de dollars.

53. La Russie utilise deux grands types de réacteurs nucléaires : les réacteurs à eau pressurisée dits VVER et les réacteurs à tubes de force bouillants et modérés au graphite dits RBMK. C'est sur ce dernier type de réacteur que s'est produit l'accident de Tchernobyl en 1986.

54. Le RBMK, dont il existe 12 unités de 1 000 MW et 2 unités de 1 500 MW déclassées à 1 000 MW, en Russie, Ukraine et Lituanie, est un réacteur refroidi à l'eau et modéré au graphite, construit de manière à permettre l'échange des éléments combustibles pendant que le réacteur est en fonctionnement. La version civile du RBMK a de nombreux points communs avec les réacteurs militaires qui ont servi à la production du plutonium utilisé pour les armements. On distingue trois tailles de réacteurs RBMK. Le plus grand se trouve à Ignalina en Lituanie et le plus petit - c'est un prototype - à Obninsk près de Moscou. Ce type de réacteur est considéré par les spécialistes comme le plus dangereux car il est dépourvu d'enceinte de confinement permettant d'éviter les fuites radioactives en cas d'accident et en raison des risques d'incendie inhérents au modérateur graphite.

55. Le VVER, dont 25 unités de 440 MW et 20 unités de 1 000 MW (avec enceinte de confinement), ont été exportées en Ukraine, Arménie, Hongrie, République tchèque, Slovaquie et Bulgarie, est un réacteur à eau pressurisée dont il existe trois générations différentes. La première génération, qui est la moins sûre (VVER 440-230), a été mise au point dans les années 1960, la seconde (VVER 440/213) dans les années 1980 et la troisième (VVER 1000) à la fin des années 1980. Il est important de noter que, si aucun de ces réacteurs ne répond totalement aux normes de sécurité actuellement en vigueur dans le monde occidental, de gros efforts ont été faits, grâce à des aides financières occidentales, pour moderniser ces installations. Les VVER de première génération présentent, à l'instar du RBMK, le défaut d'être dépourvus d'enceinte de confinement. Une quatrième génération de VVER (VVER 640) est étudiée en coopération avec Siemens.

56. Si les RBMK et les VVER constituent l'ossature du complexe nucléaire civil de la Russie, celle-ci possède également deux surrégénérateurs rapides qui sont en service. D'autres types de réacteurs sont utilisés par les instituts de recherche, à bord des sous-marins et des brise-glaces, ainsi que pour la production de matières nucléaires destinées à la fabrication d'armements.

57. Le tableau suivant récapitule le Programme fédéral de développement de l'énergie nucléaire civile : l'exploitation des réacteurs des centrales nucléaires est prévue dans le programme de développement de l'électronucléaire jusqu'en 2010. Il a fait l'objet d'une présentation par le Minatom à la huitième Conférence de la Société nucléaire russe en septembre 1997. Il a été signé par le Premier ministre Russe, alors M. Kirienko, en septembre 1998.

Programme fédéral de développement de l'énergie nucléaire

Les points ( ) indiquent la période de fonctionnement prévue initialement ;

les tirets (---) signalent la prolongation de la durée de vie des centrales.

Centrales nucléaires

Numéro de tranche

Puissance électrique en MW

Années de début et de fin d'exploitation

Bilan en GW

 
 
 

1998-2000

2001-2005

2006-2010

 

I - Centrales nucléaires

I.1. Achèvement des constructions commencées et mises en attente

 

1

1000

 
 
 
 

Kalinine (VVER-1000)

2

1000

 
 
 

+ 1,0

 

3

1000

 
 
 
 
 

1

1000

 
 

- - - - - - - -

 
 

2

1000

 
 

- - - - - - -

 

Koursk (RBMK-1000)

3

1000

 
 
 

+ 1,0

 

4

1000

 
 
 
 
 

5

1000

 
 
 
 

Rostov

1

1000

 
 
 

+ 2,0

(VVER -1000)

2

1000

 
 
 
 

Beloyarsk (BN-600)

3

600

 
 
 
 

Beloyarsk-2 (BN-800)

4

800

 
 
 
 

Oural du Sud (BN-800)

1

800

 
 
 

+ 0,8

I.2. - Construction des têtes de série des centrales de nouvelle génération

Sosnovy Bor (VVER-1000)

1

640

 
 
 
 

Novovoronej 2

6

1000

 
 
 

+ 2,0

(VVER -1000)

7

1000

 
 
 
 

I.3. - Construction des centrales de nouvelle génération

 
 
 
 
 
 
 

5

640

 
 
 

+ 0,64

Kola 2 (VVER -1000)

6

640

 
 
 

+ 0,64 (3)

 

7

640

 
 
 
 

Koursk-2 (1)

6

1000

 
 
 

+ 1,0 (3)

Smolensk-2 (1)

4

1000

 
 
 
 
 

5

1000

 
 
 

+ 1,0

Leningrad-2 (1) (2)

6

1000-1500

 
 
 
 
 

7

1000-1500

 
 
 
 

(1) Le type de réacteur sera défini d'après les résultats des avant-projets.

(2) La mise en service dépend des résultats des avant-projets.

(3) Mise en service selon l'hypothèse maximale.

Centrales nucléaires

Numéro de tranche

Puissance électrique en MW

Années de début et de fin d'exploitation

Bilan

en GW

 
 
 
 

1998-2000

2001-2005

2006-2010

 

I.4. Centrales existantes

 
 
 
 
 
 

Balakovo

1

1000

 
 
 
 

(VVER-1000)

2

1000

 
 
 
 
 

3

1000

 
 
 
 
 

4

1000

 
 
 
 

I.4. Centrales existantes

 
 
 
 
 
 

Smolensk

1

1000

 
 
 
 

(RBMK-1000)

2

1000

 
 
 
 
 

3

1000

 
 
 
 

Kola

1

440

 

---

-----------

 

(VVER-440)

2

440

 

-

-----------

-0,88

 

3

440

 
 
 
 
 

4

440

 
 
 
 

Novovoronej

3

440

 

--------

-

 

(VVER-440)

4

440

 

----

---

-0,88

(VVER-1000)

5

1000

 
 
 

*

Leningrad

1

1000

 

---

-------

*- 1,0

(RBMK-1000)

2

1000

 
 

---------------------------------

 
 

3

1000

 
 
 
 
 

4

1000

 
 
 
 

II. Centrales calogènes et mixtes

Voronej (calogène)

1

500 (therm)

 
 
 

+ 1,0

 

2

500 (therm)

 
 
 
 

Tomak (calogène)

1

500 (therm)

 
 
 
 
 

2

500 (therm)

 
 
 
 

Pévek (KLT-40) Okroug autonome de Tchoutaki **

1

70

 
 
 

++0,07

Primorski kraî ("Volnolom") ou KLT-40)

 

70

 
 
 

++0,07 (3)

Bilibino

1

12

 
 
 
 

(EGP-6)

2

12

 
 
 
 

(calogène mixte)

3

12

 
 
 
 
 

4

12

 
 
 

-0,048

(3) Mise en service selon l'hypothèse maximale

* N.D.T. : Graphique corrigé pour mise en conformité avec le bilan

** N.D.T. : Okroug = partie d'une région


58. La Russie prévoit de construire 20 réacteurs de conceptions diverses, principalement du type VVER 640 de la quatrième génération d'ici 2010. Néanmoins, le Minatom n'a obtenu une autorisation de l'Etat que pour la construction de huit installations. A l'heure actuelle, il y a trois installations nucléaires en construction, mais les projets ont été gelés en raison des restrictions budgétaires et des protestations du public. Il est important de noter que la Russie compte toujours prolonger jusqu'en 2005, voire 2010, la durée de vie de nombre de ses centrales nucléaires construites après les années 1971-1975, comme le montre le tableau ci-dessus.

Les institutions responsables du nucléaire

59. Jusqu'en 1992, ce qui était alors le ministère des moyennes industries était à la fois l'organisation exploitante et l'organisme responsable de la surveillance et de mesures de contrôle des matières nucléaires. Ce ministère est désormais le ministère de l'énergie atomique (Minatom), lequel, selon ses propres estimations, a compétence sur plus de 98 % des matières nucléaires traitées et gérées en Russie.

60. L'année 1992 a vu la création du Gosatomnadzor (GAN), "Comité d'Etat pour la surveillance de la sûreté nucléaire et radiologique" qui, seul contrepoids au puissant Minatom, héritait de la responsabilité de mettre en oeuvre la comptabilité et le contrôle des matières nucléaires 2( * ) .

61. Le GAN dépend directement du Président de la République et non du gouvernement, ce qui, d'après les autorités russes, est la preuve de son indépendance vis-à-vis du gouvernement et en particulier du Minatom. En théorie, le GAN a la possibilité de vérifier dans les installations qu'il surveille les dispositions régissant la possession et la comptabilité des matières nucléaires, des produits dérivés et des armes nucléaires afin d'obtenir les explications et la documentation nécessaires sur toute question qui se poserait.

62. Le GAN est également habilité à obtenir des hauts fonctionnaires et d'autres représentants des ministères, institutions et organismes responsables, organes des autorités exécutives, entreprises, organisations et unités militaires, les informations nécessaires sur les dispositions régissant la comptabilité et le contrôle des matières nucléaires dans les installations sous surveillance, afin de suspendre ou de mettre fin à l'autorisation d'effectuer une activité licite dans le cas d'infraction à la législation sur l'utilisation des matières nucléaires ou aux conditions d'exploitation stipulées dans les autorisations.

63. Dans la pratique, le GAN doit continuellement lutter pour obtenir la reconnaissance de ses droits de contrôle. D'une part, il se heurte à la multiplicité des installations à inspecter (en 1994, il a contrôlé 7 897 sites présentant un danger nucléaire et radioactif) ; d'autre part, il doit affronter le Minatom et les instances de pouvoir du secteur de la défense. Ainsi, en 1993, le Minatom a empêché l'accès des inspecteurs du GAN aux installations de Krasnoïarsk-65 et à l'usine Maïak située à Tomsk-7.

64. En 1995, un décret présidentiel retirait des attributions du GAN l'accès aux installations militaires. Selon des sources du GAN, l'Agence est désormais responsable d'environ 50 % des matières nucléaires en Russie, le reste étant contrôlé par le Minatom et les autorités de la défense.

65. Le Centre d'études scientifiques et techniques pour la sûreté nucléaire et radiologique (SEC NRS) apporte au GAN son concours scientifique et technique en ce qui concerne la réglementation applicable en matière de sûreté nucléaire et radiologique aux installations nucléaires. Cet organisme remplit les tâches suivantes :

- participation à l'élaboration de normes et de règlements afin d'assurer la sûreté nucléaire et radiologique ;

- organisation et mise en oeuvre des évaluations de la sûreté pour les installations nucléaires ;

- conception et exécution de recherches pour valider les principes et les critères régissant la sûreté nucléaire et radiologique en vue de fixer des normes et d'évaluer la sûreté.

66. En outre, le SEC NRS dispense une formation au personnel, met en place des stages, des séminaires et des conférences, élabore des bases de données et prépare la publication des différents éléments d'information et de documentation selon les autorisations du GAN.

67. Le Rosenergoatom est rattaché au Minatom dont il dépend. C'est le Centre d'Etat russe pour la production d'énergie électrique et thermique dans les centrales nucléaires, autrement dit l'exploitant nucléaire.

68. Quant aux instituts qui s'occupent de nucléaire, ils sont extrêmement nombreux en Russie et nous nous bornerons à citer ceux dont nous avons visité les installations et dont les responsables ont été nos interlocuteurs. Il s'agit du Centre de recherche russe, l'Institut Kurchatov de Moscou, et de l'Institut du radium V.G. Khlopin de Saint-Pétersbourg.

69. L'Institut Kurchatov dépend administrativement du ministère de la science et financièrement du ministère des finances. Il emploie au total 8 500 personnes, y compris 3 048 chercheurs et 2 562 ingénieurs et techniciens. Parmi eux se trouvent 13 membres de l'Académie des sciences de Russie, 900 docteurs ès sciences et candidats à ce titre ; 50 de ces savants ont obtenu le prix Lénine, 165 des prix d'Etat, 17 ont reçu une médaille d'or et le grand prix de l'Académie des sciences.

70. A l'heure actuelle, l'Institut oriente ses activités vers la recherche d'une solution d'ensemble aux problèmes posés par la production d'énergie, dans le respect de la sécurité et de l'environnement à partir de réacteurs à fission et à fusion ; il se consacre également à la recherche et au développement en physique fondamentale dans ces domaines et dans des domaines connexes.

71. Actuellement, l'un des principaux objectifs de l'Institut Kurchatov consiste à maîtriser les dangers résultant des rayonnements et, plus concrètement, à veiller à ce que le démantèlement des têtes nucléaires des missiles et des sous-marins nucléaires ne porte pas atteinte à l'environnement.

72. L'Institut du radium V.G. Khlopin, situé à Saint-Pétersbourg, entreprend des recherches en physique nucléaire, radiochimie, géochimie et écologie, essentiellement liées au problème de l'industrie nucléaire, de la radioécologie et de la production d'isotopes ; cet organisme occupe dans ces domaines une place de premier plan en Russie et dans le monde. Le personnel de l'Institut compte un millier de chercheurs, ingénieurs et techniciens. On trouve parmi eux un membre correspondant de l'Académie, 12 professeurs, 26 docteurs ès sciences, 175 titulaires d'un doctorat d'Etat et 14 lauréats d'Etat en science et technologie.

73. L'Institut participe activement à de nombreux programmes fédéraux ainsi qu'à divers projets internationaux de physique nucléaire, radiochimie, radioécologie et radiogéochimie. Selon son directeur, M. Rimski-Korsakov (descendant direct du compositeur du même nom), l'Institut Khlopin se consacre à tous les problèmes liés aux rayonnements nucléaires, qu'il s'agisse de la centrale de Saint-Pétersbourg, du traitement du combustible nucléaire, de la fabrication du plutonium, d'autres travaux associés à la défense ou de la surveillance de la construction du Centre de Krasnoïarsk.

74. Depuis l'accident de Tchernobyl, les responsables de l'Institut sont en outre experts en sûreté nucléaire.

75. Au terme de cette présentation des installations nucléaires civiles, on constate que l'exploitation énergétique de source nucléaire a un poids massif en Russie et que le programme adopté en septembre 1998 confirme son rôle prépondérant à l'avenir.

76. On constate également que les organismes de recherche et de contrôle, même si leur autorité est inégale, sont nombreux et rassemblent un personnel hautement qualifié, ce que votre rapporteur a pu vérifier au cours de la mission conduite à Moscou et Saint-Pétersbourg en juin 1998.

77. Néanmoins, de nombreux éléments de préoccupation subsistent, dont l'énoncé, même non exhaustif, justifie un renforcement de la coopération entre l'Europe occidentale et la Russie.

B. Les risques engendrés par l'exploitation du nucléaire civil

78. Le recours massif à l'énergie nucléaire en Russie s'accompagne en effet d'une sûreté technique encore insuffisante, d'une efficacité notablement en retard sur les performances occidentales, enfin d'une sécurité au sens large (vols de matériaux, trafics de technologies et menaces terroristes internes ou externes) par trop incertaines, risques aggravés par les difficultés économiques et la désorganisation administrative et sociale dont souffre la Russie actuellement.

L'insuffisante sûreté des centrales de production énergétique russes

79. L'accident de Tchernobyl en 1986 est dans toutes les mémoires et la poursuite de l'exploitation de centrales, dites RBMK, du même type, comporte des risques, d'ailleurs difficiles à évaluer, les avis des experts divergeant à ce sujet.

80. Certes, le "risque zéro" n'existe pas plus dans ce domaine que dans aucun autre de l'activité humaine. En témoigne l'adaptation constante des technologies, des normes et des contrôles en Europe occidentale même.

Des incidents en diminution

81. L'effondrement de l'Union soviétique et les revers économiques qui s'en sont suivis ont eu une incidence directe sur l'industrie nucléaire civile de la Russie. Les consommateurs d'électricité, de l'industrie lourde aux bases militaires en passant par les particuliers, ne peuvent pas toujours payer leurs notes d'électricité. Ceci a pour effet d'empêcher l'achat des pièces de rechange nécessaires pour la maintenance des centrales nucléaires et de retarder le versement des salaires. En ce qui concerne la maintenance, seul 1 trillion de roubles (environ 200 millions de dollars) a été versé sur les dix trillions nécessaires, selon le journal Nezavisimaya Gazeta (20 novembre 1997). La situation est particulièrement critique dans les centrales nucléaires de Bilibino, Koursk, Saint-Pétersbourg et Novovoronej. Dans ces conditions, il n'est pas rare que des employés ne soient pas payés pendant trois mois. Ces retards ont une incidence directe et considérable sur la motivation du personnel des centrales : des cas de négligence et de vol ont été signalés. A la centrale de Leningradskaia, en 1996, des employés, exaspérés par les retards dans le versement de leur salaire, ont entrepris une grève de la faim.

82. La démotivation liée aux difficultés socio-économiques accentue le risque d'accident nucléaire sur ces sites civils. Selon les informations fournies récemment par l'autorité russe de surveillance de la sûreté nucléaire et radiologique (Gosatomnadzor ou GAN), 11 incidents ont été signalés dans les centrales nucléaires russes au cours du mois de janvier 1997. Par comparaison avec les statistiques des années précédentes, le nombre d'incidents recensés semble diminuer. Ainsi, tandis que l'on signalait 126 incidents en 1994, leur nombre est tombé à 99 en 1995. La réduction des cas d'incidents signalés est partiellement due à la fermeture de certains réacteurs pour modernisation et maintenance. Selon le GAN, 30 % des mesures prévues pour améliorer la sûreté des réacteurs avaient été mises en oeuvre à la fin de 1996.

La centrale nucléaire de Saint-Pétersbourg, à Sosnovy Bor

83. La visite à la centrale de Saint-Pétersbourg, équipée de réacteurs du type de ceux de Tchernobyl ou du type Sosnovy Bor comme on les appelle là-bas, en fait des RBMK, c'est-à-dire des réacteurs à modérateur graphite, nous a montré que la catastrophe de Tchernobyl avait provoqué un changement radical des normes, des méthodes et des moyens permettant d'atteindre des niveaux de sécurité proches de ceux en vigueur en Occident. A partir de 1994, un programme d'amélioration des normes de sécurité a été mis au point à Saint-Pétersbourg ainsi que dans d'autres centrales du même type, telles que celles de Smolensk, de Koursk et d'Ignalina. Ce programme, qui a été achevé en 1997, rend désormais impossible un accident semblable à celui survenu à Tchernobyl.

84. Lors de l'élaboration des programmes de sécurité, il faut opérer un choix de principe entre l'arrêt des centrales pour y introduire de nouveaux moyens et mesures de sécurité et la réalisation de ces opérations dans les centrales en marche. En l'occurrence, il a été décidé de les maintenir en service dans le souci de sauvegarder l'économie et la production russes (la centrale de Saint-Pétersbourg produit 40 % de l'énergie consommée dans la région et 70 % de l'énergie consommée à Saint-Pétersbourg même). Des travaux importants ont été effectués dans les unités 1 et 2, les plus anciennes de cette centrale, pour un montant de 600 millions de dollars. La plus grande partie des composants techniques ont été remplacés. Le coût de la tranche de travaux restant à exécuter est de 700 millions de dollars, montant couvert par les recettes propres de la centrale et par la coopération bi- ou multilatérale avec la Finlande, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Danemark et le Japon, les accords avec la BERD et la Commission européenne à travers le programme TACIS, dont le total atteint 40 millions de dollars.

85. Il faut signaler l'opposition qui existe entre ceux qui estiment que les réacteurs de type RBMK souffrent d'un défaut structurel d'instabilité, qu'il faut par conséquent les arrêter et les remplacer, et les personnes, dont le Directeur adjoint de la centrale de Saint-Pétersbourg, M. Alexandre A. Kostine, qui affirment que la conception du réacteur est excellente et qu'en tout état de cause, ses défauts éventuels peuvent être corrigés. Quelle décision peut-on et doit-on prendre, face à des avis techniques si divergents ?

86. Selon les responsables de la centrale visitée, les statistiques font ressortir que le nombre de facteurs susceptibles d'avoir une influence négative sur la sécurité est en diminution. D'autres problèmes se posent, tels que celui du combustible irradié. Il faut stocker ce combustible sur place, puisque la Russie ne dispose pas des moyens de le traiter. (La solution technique, d'après M. Kostine, est le "stockage à sec" du combustible usé qu'il faut ensuite conserver en sécurité. On pense pouvoir le faire dans des conteneurs spéciaux dont la fabrication prototype vient de s'achever et qui permettront d'entreposer le combustible irradié sans risques.)

87. En ce qui concerne l'avenir de la centrale, ses responsables sont pessimistes, compte tenu de la perception négative du nucléaire dans l'opinion publique. Par exemple, la région de Krasnoïarsk refuse de recevoir le combustible irradié tandis que d'autres régions n'autorisent pas la traversée de leur territoire pour son transport.

88. Il faut aussi tenir compte du fait qu'en principe, les unités obsolètes doivent être arrêtées, ce qui devrait avoir lieu en l'an 2003. Le problème de la prolongation du fonctionnement de ces unités est d'ordre pratique. D'après les responsables, le matériel qui parvient à la centrale est fabriqué expressément pour elle. Cette solution permet de prolonger la vie des unités de 10 à 15 ans. Outre la prolongation des unités, on prévoit de construire dans l'enceinte de la centrale de nouvelles unités de production d'énergie qui, sans être identiques aux précédentes, seraient du même type. Cela reviendrait en somme, selon M. Kostine, à équiper un chariot d'un moteur de Mercedes. Ce système permettrait de fabriquer des isotopes à des fins médicales ainsi que d'autres composants utilisés par les ordinateurs et dans d'autres secteurs.

89. En dernier lieu, le Directeur adjoint de la centrale de Saint-Pétersbourg s'est déclaré opposé au projet européen de réacteur pressurisé (EPR) car il constitue pour lui l'extrême opposé du réacteur de type RMBK ; si ce dernier risque d'exploser par surchauffe, l'EPR peut également exploser par excès de refroidissement. L'avis de cette personne est la seule opinion négative que votre rapporteur ait recueillie au sujet de l'EPR auprès des scientifiques et des techniciens à qui a été posée cette question en Russie.

Le problème des déchets

90. Les déchets radioactifs produits par l'industrie nucléaire sont également un sujet de préoccupation. Les sites de stockage de déchets nucléaires et d'éléments combustibles usés ont pour la plupart atteint les limites de leurs capacités. Ils souffrent également de problèmes de maintenance. Le combustible irradié produit par les réacteurs VVER et RBMK est stocké temporairement en piscine en attendant d'être acheminé vers l'usine de retraitement RT-1 de Maïak ou le centre de stockage de Zheleznogorsk en Sibérie. Il n'y a, en fait, pas de stockage centralisé des déchets radioactifs. Aucun combustible irradié produit par les RBMK n'a été expédié dans des centres de retraitement depuis trois ans. Comme nous l'avons indiqué plus haut, les déchets restent stockés dans les centrales. Globalement, les installations de stockage sur site des effluents radioactifs liquides sont pleines à 60-90 % et les installations de stockage de déchets solides à 70-99 % .

91. Une partie du combustible nucléaire irradié est retraité à l'usine de Maïak. Il est transporté en train depuis les usines militaires et civiles jusqu'aux différents centres de retraitement. Malheureusement, en raison de problèmes budgétaires, les crédits prévus n'ont pas été distribués, ce qui a provoqué des retards et des difficultés de stockage. Le combustible irradié est actuellement stocké sur les sites où il est produit ainsi que dans les trois installations de retraitement situées en Sibérie, à Maïak, Seversk, (Tomsk-7) et Zheleznogorsk (Krasnoïarsk-26). Selon Vladimir Goman, Président de la Commission de la Douma sur la Russie du Nord, le retraitement de l'ensemble du combustible irradié (civil et militaire) accumulé en Russie devrait coûter au moins 100 milliards de dollars.

92. Des informations contradictoires ont été diffusées en ce qui concerne la construction d'une nouvelle installation à Novaya Zemlya pour faire face au problème critique du stockage du combustible irradié produit par les réacteurs RBMK. Nuclear Engineering International affirme que le Minatom envisage de construire cet établissement à Novaya Zemlya, ce que dément Vladimir Mankine, chercheur de haut niveau à l'Institut russe d'études et de conception des techniques de production (VINIPI promtechnoligii). On sait toutefois que le VINIPI a entrepris de réaliser une étude de faisabilité sur ce projet depuis 1991. Mais l'achèvement de cette étude est retardé faute de moyens financiers. Si l'étude était achevée et que le Minatom décidait de construire l'usine, le combustible irradié produit par les réacteurs RBMK pourrait être expédié à Novaya Zemlya dans cinq ans environ.

Le retard dans la recherche de l'efficacité énergétique

93. A supposer établis les choix techniques et garantie la sûreté des installations de production d'énergie de source nucléaire, la coopération entre l'Europe occidentale et la Russie devrait viser à améliorer l'efficacité de la distribution de l'énergie produite qui souffre actuellement de gaspillages considérables.

94. Ainsi, un récent rapport de M. Söran Lekberg (Suède, Socialiste) au nom de la Commission de la science et de la technologie de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (doc. 8168 du 9 juillet 1998) à propos de la "Coopération en matière d'énergie dans la région de la mer Baltique" indiquait que :

"Le rendement énergétique et l'intensité énergétique (quantité d'énergie consommée par rapport au PIB) sont des facteurs de disparité entre les anciens pays communistes et les autres pays de la région de la mer Baltique. Dans les anciens pays communistes, le rendement énergétique est très faible alors que l'intensité énergétique est élevée. Comparée à la moyenne de l'Union européenne, l'intensité énergétique en Pologne et en Lettonie est environ trois fois plus élevée, et près de cinq fois plus élevée en Estonie et en Lituanie. Les principales causes de ces taux élevés sont l'importance accordée à l'industrie lourde, le mauvais état de l'ensemble des infrastructures énergétiques (y compris les réseaux de chauffage urbain largement utilisés) ainsi que les insuffisances de la production dans les économies centralisées.

Plus de la moitié des logements résidentiels d'Estonie, de Lettonie, de Lituanie et de Pologne sont reliés à des réseaux de chauffage urbain. En Russie, la plupart des villes ont aussi un réseau de chauffage urbain. D'un point de vue énergétique, le réseau de chauffage urbain dans ces pays présente une série d'inconvénients, dont le plus important est que les usagers ne connaissent pas leur consommation car aucun compteur ne mesure l'énergie fournie à chaque appartement ou maison. En outre, l'isolation des murs et des fenêtres est insuffisante, d'où une consommation de chaleur au mètre carré dans les réseaux de chauffage urbain plus de deux fois supérieure à celle des pays scandinaves."

95. L'amélioration de l'efficacité énergétique au niveau de la production et de la distribution comme le développement d'une politique d'économies d'énergie constituent des gisements considérables de lutte contre les gaspillages, en amont, de matières nucléaires employées dans des centrales encore trop peu performantes. Les économies ainsi induites contribueraient évidemment à la diminution des risques inhérents à l'exploitation de l'énergie nucléaire.

Les risques de vols et de trafics de matières nucléaires en provenance d'installations civiles et les tentations de transferts illicites de technologies

96. En raison de l'insuffisance marquée des méthodes de comptabilité des stocks et des flux des matières nucléaires employées dans l'exploitation des centrales comme à l'occasion du transport et du stockage, il est difficile d'évaluer précisément l'incidence des vols et trafics.

97. Il est possible que leur portée soit parfois surestimée, à la fois en raison des insuffisances de la comptabilité matière évoquée ci-dessus et de la tendance de certains médias à exagérer l'importance quantitative de détournements, graves en eux-mêmes, et très redoutés par l'opinion publique.

98. Ainsi, à l'occasion de l'inauguration, le 4 novembre dernier, du Centre russe de méthodologie et de formation (RTMC) destiné à former précisément des personnels à la comptabilité matière, on a pu indiquer qu'une recrudescence de cas de trafics illicites a été observée dans les premières années qui ont suivi la saisie en août 1984 de la "valise de Munich" contenant 363 grammes de plutonium pur à plus de 87 % et du lithium. Selon l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), une quinzaine de cas impliquant des matières nucléaires ont été enregistrés entre septembre 1997 et septembre 1998, et une vingtaine d'autres impliquant des sources radioactives (227 cas confirmés de trafic depuis 1993, et 106 pour lesquels la réalité du trafic n'a pu être établie).

99. Par "sources radioactives", il faut entendre surtout du césium, du cobalt et de l'iridium employés dans l'industrie, en médecine et dans les instituts de recherche.

100. Ces sources radioactives sont très répandues et assez mal contrôlées (y compris en Europe occidentale et aux Etats-Unis même, où quelque 30 000 sources ou appareils radioactifs seraient "perdus ou non répertoriés". Les responsables d'Interpol ne croient guère à des détournements à des fins terroristes, ni au chantage à la contamination, par exemple : "elles sont très dangereuses à manipuler et leurs effets, durables et peu maîtrisables, menaceraient les criminels autant que leurs victimes". (Cf. Le Monde 19 septembre 1998, compte rendu du Congrès organisé sous l'égide de l'AIEA à Dijon).

101. Si ces trafics semblent s'être ralentis au vu des prises "vraies" (certains s'inscrivaient dans des opérations de police pour " infiltrer " les réseaux de contrebande mafieuse les plus dangereux), ils n'en sont pas moins préoccupants et justifient l'extension des procédures de comptabilité matière et donc de formation des personnels des établissements hospitaliers, des usines et des instituts de recherche qui gèrent des sources radioactives.

102. On observera enfin que la situation actuelle dans le pays accroît le danger de vol de matières nucléaires. La sécurité des sites nucléaires civils était conçue au temps de la guerre froide pour parer à tout type d'attaque extérieure par des groupes hostiles. Cependant, le système de sécurité n'a pas été conçu pour parer aux menaces internes. Le filtrage des accès, les contrôles effectués par le KGB et l'absence de marché intérieur des matières nucléaires dissuadaient les employés de tenter de voler des matières nucléaires. Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, ce système de sécurité n'a pas été mis à jour de manière à tenir compte du nouvel environnement et des nouvelles menaces qui en résultent.

III. La sécurité nucléaire en matière militaire

103. Comme en matière d'exploitation civile de la force atomique, il convient de faire un bilan avant d'évaluer les risques que comporte la situation actuelle du complexe militaire russe.

104. L'exercice est évidemment plus difficile, s'agissant d'un domaine qui touche aux intérêts essentiels de la Russie et doublement sensible en raison du secret qui s'attache aux technologies mises en oeuvre comme de la difficile adaptation de l'appareil de défense d'un pays dont l'empire, et le pacte militaire qui le cimentait, se sont récemment désagrégés.

105. Le bilan de l'appareil militaire nucléaire de la Russie doit nécessairement s'inscrire dans le cadre des traités internationaux en matière de désarmement, dont il convient d'analyser les procédures de ratification et les retards d'application qu'elles peuvent entraîner.

106. Ce bilan doit également comporter un développement spécifiquement consacré au problème des sous-marins à propulsion nucléaire.

107. Il convient également de rappeler le coût des engagements pris.

108. On évoquera les problèmes de sécurité, au sens large, transport et stockage, utilisation après retraitement ou "destruction" des matières issues du démantèlement d'armes nucléaires ; et enfin, les risques de détournement de matériaux et/ou d'armes comme de transferts illicites de technologies à des fins militaires.

A. Evaluation des armements nucléaires russes et de la mise en oeuvre des accords de désarmement 2( * )

109. Si l'inventaire des sites d'exploitation civile du nucléaire en Russie est établi, précisant les techniques employées, la puissance de production et même les projections de démantèlement ou de prorogation, il est évident que cet inventaire ne peut avoir le même caractère de précision dans le domaine militaire.

110. Sans doute les experts américains, dans la mesure où ils sont les partenaires privilégiés des Russes dans les accords de désarmement bilatéraux, ont-ils accès à certaines informations. Il est douteux cependant que les sites russes les plus opérationnels leur soient ouverts. On reprendra donc les principales données figurant dans ces accords, avant d'en évaluer la portée réelle.

(a) Les accords internationaux

111. Le nombre des acteurs du club militaire nucléaire, malgré l'admission de fait de deux nouveaux arrivants - l'Inde et le Pakistan - demeure aujourd'hui limité. Toutefois, au sein de ce groupe, l'importance des arsenaux détenus par les Etats-Unis et la Russie a conduit ces deux Etats à négocier bilatéralement des accords de diminution et de limitation de leurs forces nucléaires, tout en étant partie prenante au processus multilatéral de désarmement nucléaire.

(b) Les traités bilatéraux entre les Etats-Unis et l'ex-URSS

Les Accords START

112. Les accords START I et START II ( Strategic arms réduction talks : négociations sur la réduction des armements stratégiques) ont été respectivement signés le 31 juillet 1991 par les Etats-Unis et l'URSS et le 3 janvier 1993 par les Etats-Unis et la Fédération de Russie. Ils ont pour objectif de limiter, par une réduction drastique de leurs arsenaux nucléaires, le nombre de vecteurs (missiles balistiques et aéronefs) et de têtes nucléaires des deux grandes puissances militaires. Ces deux traités sont le résultat de longues et difficiles négociations, entamées par l'URSS et les Etats-Unis au printemps 1982.

113. Ratifié par le Sénat américain le 1 er octobre 1992 et par le Soviet suprême russe le 5 novembre 1992, le Traité START I établit un calendrier de sept ans pour une réduction d'un tiers des arsenaux nucléaires stratégiques américains et soviétiques. Toutes les Républiques de l'ex-Union soviétique qui détenaient des armes nucléaires sur leur territoire (Russie, Biélorussie, Ukraine et Kazakhstan) ont ratifié le Traité START I qui est officiellement entré en vigueur le 5 décembre 1994. Par le Protocole de Lisbonne du 23 mai 1992, elles se sont engagées à assumer les obligations découlant du traité. La Russie étant reconnue comme gestionnaire du désarmement nucléaire de l'ex-URSS, l'ensemble des têtes nucléaires stratégiques entrant dans le champ d'application du traité a été transféré fin 1996 sur le territoire de la Fédération de Russie.

114. En dépit des difficultés d'ordre technologique, le processus de réduction des armements nucléaires stratégiques est pour le moment respecté. Il convient ici de noter que le démantèlement des armes d'origine soviétique est largement facilité par les programmes d'aide au désarmement nucléaire soutenus par les pays occidentaux. Les Etats-Unis, au titre du programme "Nunn-Lugar", participent pour une part essentielle à l'effort occidental. Le Japon, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, le Canada, la Suède et l'Italie, dans une moindre mesure, joignent leurs moyens pour rendre effective la réduction des arsenaux stockés sur le territoire de la Fédération de Russie. Il convient de rappeler ici que la participation étrangère aux opérations de démantèlement effectuées par les ingénieurs et techniciens russes est, pour l'instant, exclusivement cantonnée à l'aspect financier du programme.

115. Le tableau ci-après permet de constater que la diminution des arsenaux nucléaires américains et russes, si elle est effective,
s'accompagne néanmoins d'un profond réaménagement qualitatif, notamment en ce qui concerne les capacités des composantes maritimes. En effet, si le rapport nombre de têtes/vecteurs sol-sol ne diminue guère (de 4,29 en 1990 contre 3,35 en 1999 pour la Russie et de 2,4 contre 2,5 pour les Etats-Unis), le même rapport pour les composantes maritimes et aéroportées est, lui, en augmentation.

116. Le nombre moyen de têtes nucléaires sur les missiles mer-sol russes passera de 3 à 4, alors que celui des Américains restera stable à 8. Par contre, pour chacune des deux parties au traité, les ratios armes aéroportées/bombardiers sont quasiment multipliés par deux. Toutefois, il convient de noter ici que le nombre de bombardiers stratégiques ex-soviétiques a d'ores et déjà enregistré une forte diminution, alors que le parc américain enregistre, pour sa part, une progression, due vraisemblablement à la volonté américaine de ne pas gêner son industrie aéronautique en interrompant des programmes en phase de fabrication.

Accords START I

ICBM (missiles sol-sol)

ex-URSS/Russie 1 539 811 939

Etats-Unis 1 000 701 550

Têtes sur ICBM

ex-URSS/Russie 6 612 4 144 3  153

Etats-Unis 2 450 2 451 1 400

SLBM (missiles sol-sol)

ex-URSS/Russie 940 648 432

Etats-Unis 672 464 424

Têtes sur SLBM

ex-URSS/Russie 2 804 2 480 1 744

Etats-Unis 5 760 3 776 3  456

Bombardiers nucléaires

ex-URSS/Russie 162 118 100

Etats-Unis 258 317 209

Armes aéroportées

ex-URSS/Russie 855 916 1  552

Etats-Unis 2 353 1 755 3  700

Totaux

Nombre de vecteurs

stratégiques

Ex-URSS/Russie 2 641 1 577 1  471

Etats-Unis 1 930 1 482 989

Nombre de têtes

Ex-URSS/Russie 10 271 7 540 6 449

Etats-Unis 63 7 982 8 556



Sources: * L'année stratégique

* *Agence américaine de contrôle des armements et du désarmement

117. La signature, par la Fédération de Russie et les Etats-Unis, le 3 janvier 1993, du Traité START II engage les deux Etats à poursuivre l'effort en faveur d'une limitation des armements nucléaires en divisant globalement par le coefficient 2 les plafonds prévus dans le premier accord.

118. La mise en oeuvre de l'accord START II devrait comprendre deux phases successives dont les échéances ont été reculées lors du sommet russo-américain d'Helsinki en mars 1997. Compte tenu du report intervenu dans l'entrée en vigueur du traité, la première de celles-ci devrait s'achever en 2004, avec un plafond total de têtes déployées par chaque pays fixé à 4 250 et la seconde, en 2007, avec les plafonds suivants : 3 000 pour la Russie et 3 500 pour les Etats-Unis.

119. D'un point de vue qualitatif, le Traité START II vise principalement à limiter le nombre de missiles sol-sol balistiques intercontinentaux multitêtes détenus par chacune des deux grandes puissances. En ce sens, il apparaît comme un complément indispensable du Traité START I. Force est en effet de constater que ces missiles constituent un segment important des arsenaux russes et américains et que, compte tenu de leurs capacités, ils sont perçus comme particulièrement déstabilisants en temps de crise, la moindre activité affectant leur environnement pouvant donner lieu à une interprétation alarmante.

120. Le Sénat américain a approuvé la ratification du Traité START II dès le 26 janvier 1996. A ce jour, la Douma russe ne semble toujours pas disposée à ratifier cet accord. Il semble en effet que le Parlement russe utilise la ratification comme une arme diplomatique. L'absence de ratification ne peut se prolonger trop longuement sans faire peser une hypothèque, pour des raisons de délais, sur la mise en oeuvre des clauses du traité.

121. Enfin, il convient de signaler qu'à l'occasion du sommet d'Helsinki de 1997, les Etats-Unis et la Russie se sont engagés à entreprendre de nouvelles négociations ayant pour objectif une nouvelle réduction des têtes nucléaires déployées sur des vecteurs stratégiques et l'instauration de mesures de transparence concernant tant les inventaires de têtes que leur destruction. Le début de telles négociations constituerait un pas important sur la voie du désarmement.

Le Traité ABM

122. Le Traité ABM, signé entre les Etats-Unis et l'Union Soviétique en 1972, a été conclu dans un souci de stabilisation des rapports de force dans l'esprit des négociateurs, des systèmes de protection contre les missiles stratégiques balistiques trop efficaces ou en nombre trop élevé auraient eu pour effet de rendre encore plus sophistiqués les missiles et leurs charges utiles, et donc d'accélérer la course aux armements. Pour ces raisons, le nombre d'intercepteurs autorisés par le traité a été volontairement limité à 100 missiles, ceux-ci devant être regroupés sur un seul site dont la localisation doit être notifiée à l'autre partie. Les performances des intercepteurs avaient volontairement été écartées des négociations initiales afin de maintenir l'essence du traité malgré les progrès technologiques. La pérennité de ce traité demeure un élément fondamental de la stabilité stratégique.

123. Les formulations imprécises du traité concernant la définition des systèmes ABM devaient conduire les deux parties à créer rapidement une Commission consultative permanente pour tenter de s'accorder sur une interprétation commune de la notion de système de défense contre les missiles balistiques stratégiques. Jusqu'en 1995, les négociations ont essentiellement porté sur des caractéristiques techniques (vitesse du corps de rentrée, vitesse des intercepteurs). La volonté des Etats-Unis de développer des défenses antimissiles, notamment pour faire face à la prolifération des missiles balistiques, posait le problème de la frontière entre un système défensif capable d'intercepter des missiles balistiques stratégiques (intercontinentaux) faisant l'objet du traité et un système ayant pour objectif l'interception de missiles balistiques de théâtre (courte et moyenne portée).

124. En l'état actuel des négociations, les deux parties se sont d'ores et déjà accordées pour interdire le déploiement de tout système antimissile dans l'espace, notamment la mise en oeuvre de systèmes fondés sur "des principes physiques nouveaux" (lasers) basés dans l'espace. Par ailleurs, les Russes ont obtenu une renonciation des Américains à tester des systèmes antimissiles de haute vélocité avant le mois d'avril 1999, et Washington a obtenu de Moscou la faculté de poursuivre le développement de l'ensemble des programmes antimissiles américains.

(c) Les traités multilatéraux : la non-prolifération 3( * )

125. La lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, au premier rang desquelles figure l'arme atomique, constitue l'une des priorités de la communauté internationale. Le formidable pouvoir dévastateur et destructeur de l'atome, révélé par les bombardements américains d'Hiroshima et de Nagasaki les 6 et 9 août 1945, devait conduire un groupe d'ingénieurs et de techniciens américains à proposer l'institution d'un contrôle international sur les matières nucléaires et leur utilisation. Plus connu sous la dénomination de "rapport Franck", cette contribution datant de 1945 constitue les prémices de la lutte contre la prolifération qui, passant par le "plan Baruch" de 1946 et le plan "Atoms for peace" de 1953, devait déboucher sur la conclusion du Traité de non-prolifération (TNP) et le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), ainsi que sur un ensemble de traités tendant à instituer des zones exemptes d'armes nucléaires.

Le Traité de non-prolifération nucléaire

126. Le Traité de non-prolifération (TNP), élaboré en 1968 et conclu pour une période initiale de 25 années, est entré en vigueur en juin 1970. Il a été prorogé pour une durée indéterminée le 1 er juin 1995 à New York. Le TNP a largement contribué à asseoir les bases du régime de non-prolifération nucléaire par le biais d'un contrôle intégral des activités nucléaires. Celui-ci est placé sous la surveillance de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), dont le siège est à Vienne (Autriche). Depuis sa signature, le champ d'application du régime de non-prolifération a été complété par différentes directives portant restriction aux exportations. En effet, les pays détenteurs de technologies nucléaires se sont accordés pour limiter et contrôler les matériaux et matériels susceptibles de favoriser la prolifération nucléaire.

127. Base juridique incontestable de tout effort de lutte contre la prolifération nucléaire, le TNP limite à cinq le nombre des pays détenteurs de l'arme nucléaire. Par pays officiellement détenteurs de l'arme nucléaire, il convient d'entendre les Etats ayant procédé à une explosion nucléaire avant le 1 er janvier 1968 (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni et Union soviétique, qui a transféré à la Russie son arsenal nucléaire).

128. Le TNP se décline en trois objectifs :

(i) la limitation de la diffusion des armes nucléaires. Les Etats signataires détenteurs d'armes nucléaires s'engagent à ne pas transférer d'armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs aux Etats non dotés de ce type d'armement. De même, ils s'engagent à n'accepter de telles armes d'aucun autre pays ;

(ii) la promotion de la coopération nucléaire pacifique assortie d'un contrôle du cycle des matières fissiles. Le traité engage les Etats signataires à coopérer pour lutter contre la prolifération nucléaire et à faciliter l'application des garanties de l'AIEA aux activités nucléaires pacifiques.

Le processus de contrôle des obligations souscrites transfère, sous une forme contractuelle, à un organisme international l'AIEA les opérations d'inspection.

Le système de garanties mis en place par l'AIEA, dans le cadre de ce contrôle, prévoit un mécanisme de sanction en cas de violation des règles édictées. Celui-ci consiste en une alerte de la communauté internationale par le biais d'une information à l'ensemble des pays membres et à la saisine du Conseil de sécurité des Nations unies.

Il convient de rappeler que les inspections conduites par l'AIEA ont lieu régulièrement sur près de mille installations nucléaires, réparties dans plus de cinquante pays. Celles-ci portent non seulement sur les réacteurs nucléaires, mais également sur les installations d'enrichissement et de retraitement de combustible, sur les sites de stockage des déchets, ainsi que sur toute autre installation ayant un lien direct avec la fabrication et l'utilisation de matières nucléaires ;

(iii) le souhait à long terme d'un désarmement, notamment nucléaire. Ce dernier objectif a été une nouvelle fois rappelé, lors de la Conférence de 1995 des Etats parties au traité chargée d'examiner la question de sa prorogation : "Le désarmement nucléaire est considérablement facilité par la détente internationale et le renforcement de la confiance entre les Etats qui ont résulté de la guerre froide. Les engagements pris aux termes du Traité de non-prolifération des armes nucléaires en matière de désarmement nucléaire doivent donc être résolument remplis. A cet égard, les Etats dotés d'armes nucléaires réaffirment... qu'ils sont résolus à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives au désarmement nucléaire."

129. Lors de la réunion de la Conférence de 1995 chargée d'examiner l'opportunité de proroger les dispositions du TNP, les Etats parties ont accompagné la prorogation de trois décisions complémentaires au Traité. La première énonce et réaffirme certains principes et objectifs concernant la non-prolifération et le désarmement nucléaire. La deuxième a trait au renforcement du processus d'examen ; elle prévoit la tenue d'une conférence de suivi tous les cinq ans, précédée de réunions préparatoires devant se tenir les trois années précédant cette conférence d'examen (les Etats membres ont tenu du 7 au 18 avril 1997 à New York leur première réunion préparatoire à la conférence d'examen de l'an 2000). La troisième décision concerne la mise sous contrôle de l'AIEA de toutes les installations nucléaires qui ne le sont pas encore.

130. A l'occasion de la première réunion préparatoire, les cinq puissances nucléaires reconnues ont fait une déclaration liminaire commune qui a permis de souligner les avancées faites par chacun d'eux au titre de la réduction de leurs arsenaux nucléaires.

Le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE)

131. Le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (en anglais, Comprehensive test ban treaty CTBT) constitue un élément important du dispositif international de lutte contre la prolifération nucléaire. Adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 septembre 1996, il est le fruit de longues négociations qui se sont déroulées de janvier 1994 à juillet 1996 à Genève, au sein d'un Comité ad hoc composé de 61 pays de la Conférence du désarmement suite à une initiative de l'Inde.

132. Par ses objectifs, il s'inscrit dans le prolongement du premier traité concernant la limitation des essais nucléaires, conclu le 5 août 1963 entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Union soviétique qui interdisait les essais nucléaires dans l'atmosphère, dans l'espace extra-atmosphérique et sous l'eau. Bien que n'impliquant que trois Etats, ce traité a été, de fait, appliqué par des Etats qui n'en étaient pas signataires. Le TICE constitue également une extension de l'accord américano-soviétique du 3 juillet 1974 qui limitait la puissance des essais souterrains à une charge maximale de 150 kilotonnes.

133. En proscrivant le recours aux essais nucléaires en vraie grandeur, il interdit à d'éventuels pays candidats d'accéder à un armement nucléaire technologiquement crédible. En effet, s'il demeure possible de parvenir à la réalisation d'armements nucléaires rustiques et peu perfectionnés sans un minimum d'expérimentation, l'accès à une capacité nucléaire militaire so-phistiquée suppose de pouvoir soit recourir à la pratique d'essais, soit bénéficier d'une aide extérieure.

134. En excluant également les essais de faible énergie, quelle que que soit l'intensité de cette dernière, il arrête de fait la course aux performances des armes nucléaires, contraignant ainsi fortement, en pratique, le développement d'armes nouvelles par les pays disposant déjà d'une technologie nucléaire militaire.

135. Par les restrictions qu'il apporte à l'accès aux technologies nucléaires militaires, le TICE constitue à l'évidence un réel complément au Traité de non-prolifération nucléaire. L'interdiction des essais nucléaires qu'il prévoit est assortie d'un système de surveillance international reposant sur un dispositif de vérification apte à détecter et à interpréter à distance tout événement susceptible de constituer une explosion nucléaire kilotonnique.

136. Pour entrer en vigueur, le traité doit être ratifié par quarante-quatre Etats, membres de la Conférence du Désarmement, possédant des capacités nucléaires de recherche ou de production d'énergie, ce qui inclut, sans les désigner, les cinq puissances nucléaires et les trois Etats du seuil (Inde, Israël, Pakistan). Cette condition n'ayant pas été atteinte dans les deux années suivant l'ouverture à la signature du traité (huit des quarante-quatre pays requis l'ayant ratifié), il sera fait application de la clause figurant à l'article XIV du traité prévoyant la tenue d'une Conférence des Etats ayant déjà ratifié, afin d'étudier les moyens de parvenir à une entrée en vigueur du traité. Cette conférence devrait se tenir à l'automne 1999. On notera que ni les Etats-Unis, ni la Russie ne figurent parmi les signataires de cette convention.

Le contrôle des matières fissiles

137. L'Assemblée générale de l'ONU a adopté, à l'unanimité, en décembre 1993, la Résolution 48/75L recommandant aux Etats membres de négocier un traité d'interdiction universelle et de vérification de la production des matières fissiles pour la fabrication d'armes nucléaires ou d'autres dispositifs nucléaires explosifs (négociations " cut-off "). Cette négociation a constitué l'un des engagements pris lors de la prorogation du Traité de non-prolifération nucléaire en mai 1995.

138. Les clauses du traité pourraient s'articuler autour des principes suivants la fabrication des matières fissiles pour des usages civils devra rester autorisée mais elle sera soumise à vérification selon un système d'échanges d'informations et un régime d'inspection dont les modalités seront à définir.

139. En 1995, il avait été possible de trouver un accord à la Conférence du désarmement de Genève sur le mandat de négociation, le Pakistan renonçant à sa demande initiale d'inclure formellement la question des stocks de matières fissiles. Cet accord n'a pas été entériné par la Conférence du désarmement, notamment pour des questions de procédure et le mandat n'a pas été renouvelé en 1996. La négociation d'un traité multilatéral interdisant la production de matières fissiles pour les armes nucléaires peut commencer puisque la Conférence du désarmement réunie à Genève est parvenue le 11 août 1998 à un consensus établissant un comité ad hoc qui devra négocier "un traité non discriminatoire, multilatéral, international et effectivement vérifiable bannissant la production de matière fissiles pour les armes nucléaires ou pour tout autre dispositif d'explosion nucléaire". Nul doute cependant que la route sera longue jusqu'à la conclusion de cette négociation, puis la ratification du traité final, et enfin sa mise en oeuvre contrôlée.

Les déclarations conjointes russo-américaines du 2 septembre 1998

140. On ajoutera à la récapitulation de ces accords internationaux déjà signés ou en cours de négociation auxquels la Russie est partie, la toute récente déclaration conjointe russo-américaine rendue publique à l'occasion de la visite en Russie du Président William Clinton, le 2 septembre 1998 4( * ) .

141. Ouvert à la signature le 24 septembre 1996, le TICE a été signé, le jour même, par 72 Etats dont la France et les quatre autres puissances nucléaires. Bien qu'à ce jour, 149 pays aient adhéré au traité, 16 seulement l'ont ratifié, au nombre desquels figurent la France et le Royaume-Uni. Les Etats-Unis ont, pour ce qui les concerne, entamé la procédure de ratification.

142. On citera les passages concernant la "Déclaration conjointe sur les principes régissant la gestion et l'utilisation du plutonium désigné comme n'étant plus nécessaire à des fins de défense" :

"Le Président des Etats-Unis et le Président de la Fédération de Russie affirment l'intention de chaque pays de retirer progressivement environ 50 tonnes de plutonium de leurs programmes d'armement nucléaire et de le convertir afin qu'il ne puisse plus être utilisé dans des armes nucléaires. Ils reconnaissent que les réductions d'armements à venir vont accroître la quantité de ce plutonium et que les mesures destinées à en gérer et à en réduire les stocks constituent un élément essentiel d'une action irréversible de réduction des armements et sont nécessaires pour faire en sorte que ces matières ne présentent pas de risque de prolifération.

En qualité de mesure essentielle pour parvenir à cet objectif, les Etats-Unis et la Russie sont convenus, lors de la réunion de leur Commission mixte de juillet 1998, d'une coopération scientifique et technique en matière de gestion du plutonium retiré des programmes nucléaires militaires. Nous avons établi d'un commun accord les principes qui régiront la coopération entre nos gouvernements en vue de réaliser les objectifs énoncés dans la présente déclaration. Notre action actuelle se fonde sur les résultats du sommet de Moscou de 1996 sur la sûreté et la sécurité nucléaires et des sommets du G8 de 1997 et 1998.

Nous sommes convenus des principes ci-après :

- Les Etats-Unis et la Russie convertiront chacun progressivement environ 50 tonnes de plutonium retiré des programmes nucléaires militaires en formes de plutonium inutilisables pour des armes nucléaires. Nous reconnaissons qu'un stockage provisoire sera requis pour ces matières.

- Les deux gouvernements coopéreront pour parvenir à cet objectif grâce à la consommation de combustible à base de plutonium dans les réacteurs nucléaires existants (ou dans ceux qui pourront être mis en service au cours de cette coopération) ou grâce à l'immobilisation de plutonium sous forme vitrifiée ou céramique en mélange avec des déchets à haut degré de radioactivité.

- Les Etats-Unis et la Russie espèrent que cette action globale de gestion et d'utilisation du plutonium s'inscrira dans un large cadre multilatéral et appellent de leurs voeux une coopération et une coordination étroites avec d'autres pays, notamment ceux du G8. Ils se proposent par ailleurs d'encourager le partenariat avec l'industrie privée.

- En coopération avec d'autres, les Etats-Unis et la Russie mettront en place et exploiteront, dès que cela sera possible en pratique et conformément à un calendrier qui sera négocié entre les deux gouvernements, une première série d'installations industrielles de conversion du plutonium en combustible destiné aux réacteurs existants susmentionnés.

- Les modalités des programmes de coopération en matière de gestion et d'utilisation du plutonium seront définies d'un commun accord par les participants à ces programmes.

- Dans le cadre de cette action de gestion et d'utilisation du plutonium, les Etats-Unis et la Russie chercheront à mettre au point des méthodes et des technologies acceptables pour des mesures de transparence, y compris des mesures internationales appropriées de vérification et des normes rigoureuses de protection physique, de contrôle et de comptabilisation pour la gestion du plutonium.

- Nous reconnaissons également qu'il sera nécessaire de convenir d'arrangements financiers appropriés pour mener à bien cette action.

Les deux Parties mettront au point des stratégies de gestion et d'utilisation du plutonium en tenant compte de l'accord de juillet 1998, ainsi qu'un accord bilatéral fondé sur les principes énoncés par la présente déclaration. Elles entreprendront promptement la négociation de cet accord bilatéral en vue de sa conclusion d'ici la fin de l'année en cours."

143. D'autres paragraphes traitent de la lutte contre la prolifération nucléaire sous l'intitulé : "Déclaration conjointe sur les menaces communes contre la sécurité au seuil du XXI e siècle" et affirment :

"Nous sommes conscients du fait que le danger le plus grave et le plus pressant provient de la prolifération des armes nucléaires, biologiques, chimiques et autres armes de destruction massive, de leurs technologies de production et de leurs vecteurs. Considérant l'interdépendance croissante du monde moderne, ces menaces acquièrent un caractère transnational et planétaire et n'affectent pas uniquement la sécurité nationale des Etats-Unis et de la Fédération de Russie mais également la stabilité internationale. Nous réaffirmons la détermination des Etats-Unis et de la Russie à coopérer activement et étroitement, entre eux comme avec tous les autres pays intéressés, pour prévenir et réduire cette menace en adoptant de nouvelles mesures, en recherchant de nouvelles formes de coopération et en renforçant les normes internationales généralement admises.

Admettant qu'il convient de faire davantage, nous avons adopté aujourd'hui un ensemble de mesures afin de renforcer non seulement notre propre sécurité mais également celle du monde. Nous exprimons notre ferme attachement à l'intensification des négociations en vue de mener promptement à bien la rédaction du protocole à la Convention sur les armes biologiques. Nous nous engageons actuellement dans une coopération nouvelle et importante en vue de réduire les risques de fausse alerte portant sur des attaques par missiles. Nous avons également établi d'un commun accord les principes qui régiront notre coopération en matière de gestion et d'utilisation du plutonium provenant des programmes d'armement nucléaire afin qu'il ne puisse plus jamais être utilisé pour des armes nucléaires.

Leurs engagements communs ont fait des Etats-Unis et de la Russie des partenaires dans la définition des fondements d'un régime international de non-prolifération, notamment le Traité de non-prolifération des armes nucléaires, les garanties de l'AIEA, la Convention sur les armes biologiques et toxiques et le Traité d'interdiction généralisée des essais nucléaires. La Russie et les Etats-Unis réaffirment leur attachement à l'objectif d'une adhésion de tous les pays au Traité de non-prolifération des armes nucléaires sous sa forme actuelle non modifiée. Ils sont également attachés aux directives renforcées du Groupe des fournisseurs nucléaires. En leur qualité de participants à la Conférence du désarmement, ils ont conjointement acquis le succès de la négociation de la Convention sur les armes chimiques et du Traité d'interdiction généralisée des essais nucléaires, et appellent tous les pays à adhérer à ces traités. Guidés par ces obligations, ils ont adopté d'importantes mesures pratiques pour réduire la menace nucléaire dans le monde et pour contrôler les transferts de technologies sensibles. Ils demeurent profondément préoccupés par les essais nucléaires en Asie du Sud-Est et réaffirment leurs engagements de coordination étroite du soutien à l'ensemble des mesures énoncées par le communiqué conjoint du P-5, tel qu'approuvé par le G8 et par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Le Traité START et les initiatives prises par les Présidents des deux pays en 1991-1992 en matière de réduction des armements nucléaires aideront à parvenir à l'objectif final du désarmement nucléaire et à développer la sécurité internationale. Nous avons éliminé ensemble plus de 1 700 bombardiers lourds et lanceurs de missiles, dont plus de 700 silos de lancement, 45 sous-marins capables de lancer des missiles nucléaires, et désactivé ou éliminé plus de 18 000 ogives nucléaires stratégiques ou tactiques. Réaffirmant notre attachement au respect rigoureux des obligations qui découlent pour nous des Traités START I et ABM, nous sommes résolus à coopérer afin d'assurer l'entrée en vigueur du Traité START II. Dès la ratification de ce traité par la Russie, les Etats-Unis et la Russie engageront des négociations en vue de réduire les niveaux d'armement dans le cadre d'un Traité START III.

A la suite des larges réductions de leurs forces nucléaires, les Etats-Unis et la Russie disposent de stocks importants de matières nucléaires qui ne sont plus nécessaires à des fins de défense. Ils demeurent attachés à l'idée d'assurer à ces stocks et aux autres stocks de matières fissiles utilisables pour l'armement un maximum de sécurité, et réaffirment l'importance que revêt l'application de l'accord de coopération scientifique et technique conclu en juillet 1998 entre le Vice-Président des Etats-Unis et le Premier ministre de la Fédération de Russie en matière de gestion du plutonium retiré des programmes nucléaires militaires.

Nous réaffirmons notre engagement de continuer à coopérer en matière de contrôle des exportations, élément essentiel de la non-prolifération. Nos gouvernements ont mis en place dernièrement un mécanisme complémentaire de coopération dans le domaine des exportations de technologies sensibles. A cette fin, nous sommes convenus, au cours de notre rencontre de ce jour, d'instituer des groupes d'experts sur les questions nucléaires, les technologies et celles des missiles, les questions de conformité interne, les contrôles des transferts d'armes classiques, ainsi que l'application des normes juridiques, les questions douanières et les licences, afin de renforcer la coopération et de mettre en oeuvre des programmes spécifiques d'assistance et de coopération bilatérales. Ces groupes seront constitués dans le courant du mois à venir et entreprendront leurs activités pratiques sans retard. Il a également été mis en place un canal protégé de communication entre les hauts responsables des deux pays qui permettra de procéder rapidement et confidentiellement à des échanges d'informations sur les questions de non-prolifération...."

L'arsenal des armes nucléaires tactiques

144. Le déploiement des armes nucléaires tactiques est réparti entre les armes suivantes : l'armée de terre, la marine, la défense aérienne et l'armée de l'air. Ces armements sont également un sujet de préoccupation. On n'en connaît pas le nombre exact, mais d'après les estimations des experts, il serait compris entre 15 000 et 20 000 unités, 4 000 d'entre elles étant véritablement déployées. A la différence des ogives stratégiques, qui ont largement mobilisé l'attention des gouvernements et des médias, les ogives tactiques ont été dangereusement négligées. Plusieurs raisons expliquent ce relatif désintérêt : leur portée étant limitée au champ de bataille, ces ogives ne constituent pas vraiment une menace directe pour les autres gouvernements en temps de paix ; le démantèlement des ICBM et des SLBM étant déjà onéreux, si l'on y ajoute celui des armes nucléaires tactiques, cela renchérit les coûts, ce que l'économie russe aurait du mal à supporter.

145. Ce qui inquiète à propos des armes nucléaires tactiques, c'est que la gestion de leur sécurité ne répond pas aux normes occidentales et est relativement peu fiable. Leur nombre important, leur dispersion sur de nombreux sites et leur petite taille augmentent les risques de prolifération et de fuite. Comme sur de nombreux autres sites nucléaires autour de la Russie, la sécurité des installations d'armes nucléaires tactiques repose davantage sur les hommes que sur les systèmes de protection et de surveillance électroniques. De même, elles se focalisent sur les attaques terroristes extérieures, ignorant donc les menaces ou les vols qui pourraient venir de l'intérieur. Le vol est facilité par la taille des armes nucléaires tactiques qui, à la différence des ICBM stratégiques, sont relativement petites, qu'il s'agisse des grenades, des mines ou des obus d'artillerie. Les missiles de croisière, par exemple, sont dotés de verrouillages mécaniques, mais avec les instruments appropriés, du temps et quelques connaissances, il paraît possible de faire sauter ces verrous. Seules les armes nucléaires stratégiques sont pourvues du PAL, système qui met l'arme hors service si quelqu'un pénètre dans un site nucléaire. Malheureusement, les armes tactiques n'en sont pas équipées.

146. Lorsque la Russie a rapatrié ses armes nucléaires tactiques après l'effondrement de l'URSS, elle s'est trouvée confrontée au même problème de stockage que pour ses forces stratégiques. Avant l'effondrement de l'URSS, le Minatom et le ministère de la défense avaient 90 sites de stockage d'armes nucléaires. Malheureusement, environ la moitié étaient situés hors du territoire de la Russie ; les sites restants, en Russie, tout comme d'autres sites de stockage civils, sont saturés, pour ne pas dire surexploités, ce qui rend leur sécurité très douteuse.

147. Les fonctionnaires russes ne cessent de démentir le fait que des ogives nucléaires sont portées manquantes. Le point de vue des gouvernements des Etats-Unis et de l'Occident est ambigu à cet égard. Malheureusement, en raison du manque de transparence et du peu de fiabilité des systèmes de comptabilité, il n'est guère possible de confirmer ou d'infirmer les dires du gouvernement russe. Tandis que la communauté internationale considère avec pessimisme les déclarations russes, il semble qu'il y ait désaccord entre les fonctionnaires russes eux-mêmes. En 1995, le Général Masline, Chef des forces stratégiques du Bureau central, a confirmé qu'un inventaire des ogives était effectué deux fois par an. Durant cet inventaire, les ogives sont descellées et inspectées pièce par pièce. Malheureusement, selon un fonctionnaire du Minatom, cette opération n'a pour objet que de vérifier les équipements électroniques à l'intérieur de l'ogive, non de s'assurer que les composants nucléaires sont toujours présents. Ainsi, un vol commis de l'intérieur par un initié peut passer inaperçu pendant longtemps 5( * ) .

Le problème spécifique des sous-marins nucléaires

148. Le problème de la flotte russe de sous-marins est certainement le plus grave et le plus urgent, qu'il s'agisse des bâtiments de la flotte du Nord dont le quartier général est à Severomorsk et dont les bases principales, situées à Mourmansk et au large de la presqu'île de Kola, présentent un fort risque de contamination des eaux et donc, à plus ou moins long terme, un risque qui pourrait atteindre la Suède et la Finlande, et les Etats baltes ; ou qu'il s'agisse de la flotte du Pacifique, dont le quartier général est à Vladivostok, avec les mêmes risques de contamination, mais, cette fois, de la mer du Japon.

149. Les sous-marins présentent un double risque nucléaire : du fait de leur propulseur utilisant la force atomique (le problème est le même pour les brise-glaces mis hors service). Le défi est alors le démontage de ces propulseurs et de tous les éléments contaminés, le transfert à terre de ces pièces, leur transport, leur stockage et enfin leur traitement.

150. Le second risque tient évidemment au démantèlement des armes nucléaires dont certains sont porteurs.

151. En raison de la gravité même de ces risques, le problème sera traité dans la deuxième partie de ce chapitre.

B. Les risques induits par

l'arsenal militaire russe

152. S'il n'est pas question de contester à ce grand pays le souhait légitime d'assurer sa défense dans un monde instable, on ne saurait nier que l'importance de l'arsenal encore détenu pose de difficiles problèmes techniques et, plus encore, financiers pour l'exécution du désarmement, ces problèmes revêtant un caractère de dangerosité immédiate, s'agissant des sous-marins ; au surplus, ces engagements ne sont pas dépourvus d'ambiguïté ; enfin, la détention d'un pareil arsenal comporte d'immenses risques internes, mais aussi un danger multiforme de prolifération.

Difficultés techniques et coût du démantèlement

153. A supposer même tous les blocages politiques et administratifs levés, resteraient les difficultés techniques que représentent le démantèlement d'armes aussi nombreuses, et surtout le coût de ces opérations.

154. Un "état des lieux" des accords de désarmement bilatéraux entre les Etats-Unis et la Russie, ou multilatéraux, la prise en compte des risques spécifiques de la flotte de sous-marins nucléaires, ainsi que l'évaluation des stocks d'armes nucléaires tactiques, laissent apparaître un triple risque :

- d'une part, la mise en oeuvre des engagements souscrits exige des efforts techniques et financiers à la mesure de l'arsenal à démanteler, et peu en accord avec la situation actuelle en Russie ;

- d'autre part, la portée réelle des engagements de la Russie dans le cadre des accords de désarmement est suspendue à l'accomplissement de procédures de ratification qui se heurtent à des difficultés qui ne sont peut-être pas toutes involontaires. Cette portée est encore relativisée par la poursuite probable de recherches et l'élaboration de nouvelles armes, le démantèlement portant sur des armes anciennes ;

- enfin, les menaces terroristes internes comme externes, les risques de trafics de matières nucléaires et/ou d'armes comme de transferts illicites de technologies militaires sont particulièrement préoccupants compte tenu de l'état de certaines installations, d'inégalités de recrutement des hommes, et du "marché", dans un monde instable, pour les armes et le savoir-faire nucléaires.

155. L'ère nouvelle qui a succédé à la guerre froide a été perçue comme la fin de la menace d'une guerre nucléaire entre les superpuissances. Cependant, l'éclatement de l'Union soviétique a mis en évidence un certain nombre de problèmes nouveaux, notamment dans le domaine du nucléaire militaire. A mesure de la divulgation d'informations plus complètes sur le complexe nucléaire de la Russie, on a pris conscience des incidences de la démilitarisation nucléaire. La réduction du nombre des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) et des missiles balistiques lancés de sous-marins (SLBM) était une opération coûteuse et de longue haleine. Il devenait évident que la situation économique de la Russie ne permettrait pas au gouvernement russe d'aborder le problème de la démilitarisation nucléaire de la même manière qu'aux Etats-Unis. Les crédits disponibles pour la gestion des sites nucléaires civils et militaires étaient et sont toujours largement insuffisants.

156. Les Traités START visant à la réduction des forces nucléaires militaires en Russie ont un objectif respectable. Mais compte tenu de la situation économique actuelle dans ce pays, ils pourraient accroître les difficultés de la Russie dans le domaine nucléaire. Le démantèlement des armes nucléaires est long et coûteux. Les stocks d'armes nucléaires russes ont atteint leur maximum en 1986 avec 45 000 ogives et, d'après les chiffres de 1996, leur nombre se situerait entre 25 000 et 30 000 : on estime à l'heure actuelle que la Russie détruit de 2 000 à 3 000 armes nucléaires par an. Comme le souligne Graham Allison dans Avoiding Nuclear Anarchy, "[...] entre 1993 et 2003, la Russie démantèlera de 15 000 à 20 000 armes supplémentaires et en regroupera 12 000 autres, ce qui lui laissera un stock opérationnel de 3 000 armes stratégiques et de 4 000 armes tactiques, plus une réserve de 4 000 armes, en supposant qu'il n'y ait pas de nouvelle production".

157. Le coût du démantèlement des armes nucléaires et des lanceurs prévu par les Traités START est stupéfiant. Comme il a déjà été dit, la destruction d'une arme nucléaire ne s'arrête pas au démantèlement. Le stockage et le retraitement des matières fissiles et autres composants résiduels sont un sujet de préoccupation. Des militaires russes estiment le coût de la mise en oeuvre des Traités START entre 90 et 95 milliards de roubles (soit environ 6 milliards de dollars d'après des estimations de 1992) 6( * ) Victor Mikhailov, qui dirige le Minatom, a déclaré que le démantèlement d'une seule ogive nucléaire coûtait 100 000 dollars. Si l'on tient compte du fait que la Russie en démantèle entre 2 000 et 3 000 par an, le coût du démantèlement des armes nucléaires se situe aux alentours de 200 à 300 millions de dollars par an. Ces chiffres ne portent toutefois que sur les ogives. On estimerait le coût du démantèlement d'un sous-marin nucléaire à environ 5 milliards de roubles. Entre 1989 et 2000, la Russie devrait mettre au rebut plus de 160 sous-marins nucléaires.

158. Si les armes nucléaires russes représentent un danger, celui-ci ne provient pas des sites eux-mêmes, mais du démantèlement et de la maintenance. Les armes nucléaires soviétiques n'ont pas été conçues pour avoir un cycle de vie limité, ce qui signifie qu'environ 10 % des armes déployées sont constamment déplacées par voie ferroviaire ou routière aux fins de maintenance ou de démantèlement. Leur transport s'effectue bien entendu dans des conteneurs spéciaux sous escorte de forces de sécurité d'élite. Les armes nucléaires et leurs composants sont sous le contrôle et la responsabilité du ministère de la défense jusqu'à leur arrivée sur les sites de maintenance, où elles passent sous le contrôle du Minatom.

159. Une fois que les armes nucléaires ont atteint les sites de démantèlement et de maintenance, le Minatom peut soit stocker les composants de matières fissiles, soit les rediriger vers leur site d'assemblage initial pour la poursuite du démantèlement. Le processus de démantèlement lié à la destruction d'armes nucléaires engendre toute une gamme de matières et composants fissiles qui peuvent être soit détruits, soit recyclés. L'uranium hautement enrichi est la matière fissile la plus fréquemment recyclée car il peut être transformé en uranium faiblement enrichi. L'uranium faiblement enrichi est alors utilisé par les réacteurs civils. L'uranium hautement enrichi peut également être utilisé, comme le plutonium, pour de nouvelles armes nucléaires. Ou bien l'uranium hautement enrichi et le plutonium peuvent être rendus impropres à l'usage militaire, ce qui nécessite un autre traitement. Les armes nucléaires contiennent de l'uranium hautement enrichi ou du plutonium, et parfois même les deux. Ces deux éléments constituent encore un grand danger tant que leur enrichissement n'a pas été diminué, ce qui permettrait alors de les utiliser comme combustible civil.

160. Dans le cadre des Traités START, la Russie, après les Etats-Unis, a déclaré qu'elle possédait 50 tonnes de plutonium de qualité militaire dont elle n'avait plus besoin pour sa défense. Cette quantité figure d'ailleurs à nouveau dans la Déclaration conjointe américano-russe du 2 septembre 1998. Il y a deux manières de traiter le plutonium : la première consiste à le transformer en Mox, oxyde mixte, la seconde est la vitrification. Le plutonium transformé en Mox peut ensuite être utilisé dans les réacteurs à eau légère aux Etats-Unis et en Russie ou dans les réacteurs Candu à eau lourde au Canada 7( * ) . Après vitrification, les déchets sont stockés en vue d'être éliminés à long terme. L'inconvénient de la vitrification est qu'elle nécessite un bâtiment spécial pour le stockage, ce que n'ont pas les Russes et dont ils auraient probablement du mal à financer le coût élevé. Le Mox et la vitrification seront probablement utilisés par les Etats-Unis pour traiter le plutonium issu du démantèlement de leurs armes. La Russie a choisi la même voie. Les Etats-Unis et la Russie avancent au même pas.

161. Une partie du problème concernant le plutonium de qualité militaire est que la Russie le considère toujours comme une ressource négociable. Tout comme la marine avec ses sous-marins, le Minatom considère que son plutonium a une certaine valeur car il a investi pour le produire. La destruction du plutonium n'est donc pas une option ayant la faveur du gouvernement russe, qui préfère le convertir en combustible pour les réacteurs nucléaires. Actuellement, il est prévu d'utiliser le Mox issu du plutonium militaire dans les réacteurs existants.

L'ampleur du problème des sous-marins

162. En raison naguère de l'absence de prise en considération des risques environnementaux et maintenant du manque de crédits et, par conséquent, de l'insuffisance de la maintenance, la flotte est dans un état de délabrement notable. Selon diverses sources militaires, presque la moitié des sous-marins diesel et nucléaires est hors d'état de prendre la mer. Certains bâtiments en seraient au point de rouiller à quai alors que les réacteurs nucléaires sont toujours à bord. Un certain nombre de programmes, tant bilatéraux que multilatéraux, ont été lancés par divers pays scandinaves afin de faire face aux menaces que font peser les bâtiments et sous-marins nucléaires russes.

163. Sur les 154 sous-marins nucléaires de la marine russe mis hors service, seuls 31 ont été envoyés à la casse. Sur les 123 restants, 19 seulement ont été vidés de leur combustible, ce qui signifie que 104 sous-marins ont toujours leur charge nucléaire, ce qui ne serait pas inquiétant si la marine russe disposait des installations et de l'argent nécessaires pour les maintenir à flot. Les sous-marins russes se répartissent en gros entre la flotte du Pacifique et la flotte du Nord. A l'heure actuelle, sur les 92 sous-marins qui ont été retirés du service dans la flotte du Nord, 27 seulement n'ont plus leurs barres de combustible. Les réacteurs nucléaires de la marine sont stockés dans la baie de Saida, dans la presqu'île de Kola, et à Severodvinsk. Sur les 62 sous-marins de la flotte du Pacifique mis hors service, 23 seulement ont fait l'objet d'un déchargement du combustible. Les réacteurs sont stockés dans la baie de Chazma. Le combustible nucléaire retiré des sous-marins est ensuite théoriquement expédié à Maïak pour y être retraité.

164. Il y a encore quelques années, les réacteurs des sous-marins mis hors service étaient simplement jetés à la mer, ce qui représentait un très grave danger pour l'environnement. Du combustible radioactif a été déchargé en mer pour la dernière fois en 1993. Pressée par la communauté internationale de mettre fin à de telles pratiques, la Russie a décidé d'avoir recours à un procédé plus propre et plus sûr pour la mise hors service des sous-marins nucléaires. Malheureusement, les difficultés économiques ont conduit à une querelle entre la marine et d'autres institutions à propos de la mise au rebut. La marine conteste depuis 1995 la procédure établie, qui consiste à se défaire, au profit de l'industrie, de bâtiments désarmés sans contrepartie financière : la marine cherche à tirer des revenus de la mise au rebut des sous-marins. Ce problème est étroitement lié à toute une série d'autres problèmes, à savoir qu'il ne sera possible d'obtenir un profit de la mise au rebut des sous-marins nucléaires que si le processus de démantèlement s'intensifie et si son coût diminue. Cette nouvelle série de problèmes met en lumière la situation générale des infrastructures qui gèrent le combustible et les composants radioactifs de la flotte nucléaire. L'ensemble du mécanisme (c'est-à-dire le démantèlement, le stockage, le transport et le retraitement du combustible irradié) est au point mort.

165. L'acheminement du combustible irradié des chantiers navals vers Maïak pour le retraitement entre dans le cadre de ce problème : le coût du transport augmente (la marine doit payer 2 millions de dollars pour chaque transport ferroviaire) et ces services sont irréguliers. En 1997, le seul train spécial qui transportait du combustible irradié à Maïak a été retiré du service pour réparation pendant plus de six mois et il n'a effectué qu'un seul transport. Le rythme du retraitement à Maïak s'est ralenti en raison essentiellement de la décision prise par le Gosatomnadzor (GAN) de suspendre l'autorisation accordée à l'entreprise de retraiter le combustible irradié. Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que d'ici à l'an 2000, la marine aura accumulé plus de 105 000 assemblages de combustible irradié. La rareté des transports ferroviaires vers Maïak, liée au manque de fonds, a conduit la marine à stocker le combustible irradié dans des installations obsolètes et inadaptées.

166. Une fois de plus, le manque de moyens financiers a constitué un facteur important de l'effondrement du système : en 1996, sur un budget total de 100 millions de dollars, seuls 16 millions ont été affectés à la mise hors service des sous-marins et, plus grave encore, une grande partie de cet argent a servi à payer les arriérés de salaires des employés des chantiers navals.

167. Le stockage du carburant et du combustible irradié de la marine russe est également un sujet constant de préoccupation. A la différence des sites d'armes nucléaires, les installations de stockage de combustible de la marine sont connues pour leur niveau de sécurité insuffisant. Un nombre alarmant de vols de combustible nucléaire y a été commis. Selon David Potter, Directeur du Centre d'études sur la non-prolifération à l'Institut d'études internationales de Monterey, et Oleg Boukharine, du Centre d'études sur l'énergie et l'environnement à l'Université de Princeton, un certain nombre de dispositifs simples, tels que des caméras de surveillance, ont été proposés pour accroître la sécurité dans ces installations, mais la marine a décidé d'y renoncer en raison de leur coût. La mise en place de "garanties relatives au combustible naval russe est également compromise par la confusion qui règne entre les différentes instances compétentes pour les systèmes de protection, de contrôle et de comptabilité des matières. Six organes gouvernementaux au moins le Minatom, la marine, le Comité d'Etat pour l'industrie de défense (Goskomoboronprom), le ministère des transports, le Bureau fédéral du contre-espionnage (FSK) et le Gosatomnadzor ont exercé à un moment ou à un autre une responsabilité dans le transport, le stockage et la protection du combustible naval non encore utilisé ".

168. Incontestablement, la réponse au problème de la récupération des matériaux nucléaires immergés et des propulseurs encore en place dans des bâtiments abandonnés ou entreposés sur un brise-glace amarré non loin des zones habitées doit être la priorité de toute coopération avec la Russie.

169. Les responsables rencontrés au cours de la mission en sont d'ailleurs tous convenus, y compris des responsables militaires.

170. L'entrevue organisée avec le Contre-Amiral Nicolaï Yourassov, Inspecteur en chef de l'inspection de la surveillance d'Etat dans le domaine nucléaire au ministère de la défense, mérite d'être traitée à part. La mission du Contre-Amiral consiste à contrôler les matières nucléaires depuis la conception jusqu'à l'utilisation des armes ou des installations nucléaires. Le Contre-Amiral Yourassov nous a informés que, dans le contexte de la réduction des armements nucléaires, de très nombreux sous-marins ont été retirés du service à une époque où les capacités industrielles n'étaient pas prêtes à faire face à la situation. Sur un total d'environ 150 sous-marins retirés du service, une centaine contiennent encore leur combustible nucléaire, non pas à la suite de problèmes techniques, mais à son avis pour des raisons exclusivement financières.

171. Actuellement, il existe des accords bilatéraux avec la Norvège et les Etats-Unis et des accords trilatéraux entre la Russie, la Norvège et les Etats-Unis. Les accords passés avec la Norvège concernent l'achat de wagons spéciaux pour le transport du combustible nucléaire jusqu'à l'Oural ainsi qu'une dizaine de projets différents qui, du côté russe, font intervenir le ministère de la défense, celui de l'économie et le Minatom.

172. Les accords liant la Russie et les Etats-Unis (Institut de l'énergie et Département de la défense) portent sur une série de programmes dont certains sont en cours et vont de la construction de dépôts pour le stockage des matières nucléaires à Severomorsk, dans la péninsule de Kola, non loin de Moursmansk, au financement du démantèlement des sous-marins nucléaires situés dans la région du Pacifique, près de Vladivostok.

173. Il n'est pas nouveau d'affirmer que le problème posé par le démantèlement des sous-marins nucléaires, notamment par leur transport et leur stockage dans des conditions acceptables, constitue une bombe à retardement aux effets imprévisibles sur l'ensemble de la planète et en particulier sur notre continent. Les délais nécessaires pour résoudre ce problème sont écoulés, et le Contre-Amiral Yourassov, interrogé sur les échéances dont nous disposons pour y faire face, a répondu qu'il aurait fallu le traiter hier.

174. Aussi votre rapporteur manquerait-il au devoir d'équité en n'appelant pas les autorités russes à examiner avec clémence le cas du Colonel Nikitine qui n'a fait que déclarer un peu plus tôt ce que tous reconnaissent aujourd'hui, afin de ne pas illustrer la maxime de Chamfort qui veut qu'on mette en prison ceux qui sonnent le tocsin tandis qu'on laisse courir ceux qui ont allumé l'incendie.

175. Enfin, s'agissant des sous-marins nucléaires, alors même que tous s'accordent à dire qu'il est déjà bien tard pour limiter les risques de contamination du milieu marin, on ne peut que regretter que la non-ratification par la Douma des Conventions de Vienne sur la responsabilité civile et de Londres sur l'immersion des matières nucléaires bloque la mise en oeuvre des programmes de coopération.

176. En effet, les technologies existent qui permettraient le transfert à terre de matériaux puis leur retraitement afin de les transformer en combustible civil, des financements également.

177. Elément des jeux de pouvoir entre l'exécutif et le législatif et/ou lenteur des procédures encore mal maîtrisées, quoi qu'il en soit, la ratification des Conventions de Vienne et de Londres est une tâche urgente puisque, encore une fois, tous les responsables russes rencontrés lors de la mission ont indiqué que " pour parer au risque représenté par les sous-marins nucléaires, c'est hier qu'il aurait fallu agir ! "

La portée relative des engagements de désarmement souscrits par la Russie dans le cadre des Traités START I et START II ainsi que les autres accords internationaux 8( * )

178. On peut se demander où en sont aujourd'hui, en effet, du point de vue de leurs effets pratiques, les deux traités START I et START II.

179. Il est vrai qu'en apparence, le Traité START I a abouti momentanément à une diminution effective des arsenaux nucléaires américains et russes. Dans la réalité, cette diminution quantitative s'accompagne d'un profond réaménagement qualitatif des performances destructrices. Ceci apparaît très clairement si l'on fait le rapport du nombre de têtes nucléaires sur les divers systèmes d'emport.

180. Ces rapports ont évolué de la façon suivante entre 1990 et 1998 :

- pour les vecteurs sol-sol, Russie 4,9--> 3,3 5 ; Etats-Unis -> 2,5 ;

- pour les composants maritimes, Russie 3 --> 4 ; Etats-Unis stable à 8 ;

- pour les bombardiers, les rapports sont quasiment multipliés par deux. De surcroît, le nombre de bombardiers stratégiques lui-même a enregistré une progression en raison du souci américain de maintenir le niveau de plan de charge de l'industrie aéronautique au cours de la crise récente.

181. Quant au Traité START II signé en janvier 1993, deux échéances successives avaient été prévues pour marquer les franchissements de seuils à la baisse. Ces échéances ont été repoussées lors du sommet russo-américain d'Helsinki de mars 1997. Désormais, il est prévu que la première phase de baisse des armements ne s'achèvera qu'en 2004, la seconde en 2007. D'ici là, il peut se passer bien des choses.

182. Mais il y a plus : la non-ratification du traité par la Douma russe, laquelle affiche clairement sa volonté de ne pas ratifier. En fait, cette attitude constitue sans doute un élément de pression dans d'autres négociations diplomatiques.

183. On pourrait considérer que cette partie de bras de fer se résoudra à terme rapproché. Mais, d'ores et déjà, le retard pris hypothèque, pour de simples raisons de délais en amont, la réalisation des clauses du traité aux échéances ci-dessus, après prorogations. A l'évidence, les échéances ne seront pas tenues.

184. Le Traité antimissiles balistiques, dit Traité ABM, conclu entre les Etats-Unis et l'Union soviétique en 1972, partait d'une remarquable constatation de bon sens. Dans l'éternelle compétition entre l'épée et le bouclier, on décidait d'interrompre le perfectionnement du bouclier. En limitant les progrès dans la protection antimissile, on évitait la course visant à rendre toujours plus sophistiqués et performants les missiles eux-mêmes et leurs charges utiles. Qu'en a-t-il été ?

185. En fait, les recherches se sont poursuivies sur les lasers de neutralisation et sur les antimissiles de haute vélocité. Tant et si bien que "les hautes parties contractantes" en ont été réduites à un troc intervenu récemment et bien dérisoire : les Américains ont renoncé à tester la haute vélocité avant le mois d'avril 1999, obtenant de Moscou en contrepartie la faculté de poursuivre les études et développements sur tous les autres aspects de leur programme antimissile. On connaît, à cet égard, les échecs répétés (au nombre de sept successifs dont quatre en conditions réelles d'interception) enregistrés par Lockheed Martin sur son missile d'interception.

186. De fait, l'on sait que les Américains veulent se doter à court terme d'un système antimissile de théâtre d'opération et la presse a déjà fait état de leurs expérimentations sur les lasers de neutralisation.

187. Mais il y a plus. Un projet de sanctuarisation du territoire national américain par système antimissile global a été récemment présenté au Congrès par les Républicains. Faute de la majorité des deux tiers il manquait une seule voix sur les soixante nécessaires le projet a été repoussé.

188. Cependant, les récentes élections au Congrès des Etats-Unis ne semblent pas devoir faciliter l'adoption prochaine de ce projet.

189. Le risque est, pour l'Europe, non protégée, de redevenir à terme le champ de bataille avancé en cas de conflagration grave. Tel est, dans ses grandes lignes, l'état actuel du Traité ABM.

190. Le TNP, Traité de non-prolifération, a connu un sort identique. Base juridique incontestable de tout effort de lutte contre la prolifération nucléaire, le TNP portait cependant en germe son propre système autodestructeur. Pour endiguer la prolifération, il prétendait limiter à cinq le nombre de pays diplomatiquement et militairement autorisés à détenir l'arme nucléaire.

191. Dès sa signature, il apparaissait comme un trompe-l'oeil. D'abord en raison de son caractère ségrégatif, ensuite, parce que, de notoriété publique, un sixième Etat, Israël, était implicitement autorisé à posséder des têtes nucléaires et des vecteurs d'emport et donc à déroger au principe qui venait d'être établi.

192. Les essais indiens et pakistanais sont venus rompre les digues ainsi mises en place et désormais, de proche en proche, les facteurs de souveraineté, d'indépendance et de fierté nationale, de parade aux tentations hégémoniques, de réponse aux antagonismes ancestraux, d'intégrisme religieux enfin, risquent bien de modifier la donne stratégique nucléaire mondiale.

193. Certes, ses essais ayant été réalisés, l'Inde fait connaître aujourd'hui qu'elle entend adhérer au TICE avant septembre 1999. Le Pakistan déclare, lui, qu'il "examine activement avec prudence et circonspection" la question de la signature du TICE. L'Iran quant à lui reste muet.

194. Tel est l'état de l'action diplomatique internationale qui peine désespérément à la poursuite d'objectifs qu'elle ne parvient pas à atteindre. La prolifération des armes nucléaires, sans doute atténuée par cette action diplomatique, se poursuit inexorablement.

195. Les développements ci-dessus mettent en lumière les menaces potentielles que le nucléaire militaire continue à faire peser sur le monde. Ils montrent également la prudence et la lenteur calculée avec laquelle Russes, Américains et Chinois se hâtent de désarmer.

196. Si les ambiguïtés dans l'application des engagements souscrits, par la partie russe notamment, en matière de désarmement laissent donc subsister les risques inhérents à la détention de milliers d'armes nucléaires, ces risques sont redoublés par des menaces internes comme par les tentatives de vol et de trafic de matières, d'armes et/ou de technologies militaires et enfin les tentations de débauchage des détenteurs de ces technologies au profit de groupes terroristes ou d'Etats en belligérance.

Les menaces internes

197. Il est commun de souligner la vulnérabilité des installations civiles à partir de l'accident de Tchernobyl, tandis que les sites militaires seraient réputés beaucoup plus sûrs.

198. Outre que les informations sur d'éventuels accidents sont certainement mieux protégées dans le domaine militaire, des incidents d'origine humaine sont venus récemment fragiliser la réputation de sécurité interne de la gestion des armements nucléaires russes.

199. Il semble, en fait, que plusieurs incidents graves, avec prises d'otages, se soient produits en 1998, y compris à bord d'un sous-marin d'attaque emportant des armes nucléaires.

200. Le déclenchement de ces incidents graves a été attribué à des problèmes humains, en relation avec l'origine des soldats incriminés, qui auraient pris fait et cause pour les communautés ethniques dont ils étaient issus.

201. A l'évidence, les dissensions actuelles entre les composantes de la Fédération de Russie doivent être prises en compte pour le recrutement de postes sensibles et psychologiquement éprouvants comme dans les sous-marins.

202. Mais le risque le plus grave demeure la menace de prolifération.

Les mesures de contrôle

203. Il est difficile d'évaluer l'état actuel des installations nucléaires militaires car il s'agit d'une question sensible liée à la sécurité nationale. La taille même du complexe nucléaire militaire de la Russie pose un problème de sécurité évident, notamment en ce qui concerne la protection contre le vol. Ces installations demeurent néanmoins plus sûres que les centrales nucléaires et les instituts de recherche civils. La responsabilité de la sécurité des armes nucléaires russes en déploiement incombe au douzième Bureau principal de l'état-major général russe.

204. Il ressort d'une récente visite effectuée par le Général Eugene Habiger, Chef du commandement stratégique des Etats-Unis, que les mesures de sécurité concernant les armes nucléaires de la Russie sont satisfaisantes. Le Général a souligné, lors d'une séance d'information au ministère de la défense, que la Russie avait un système de contrôle associant trois personnes  contre deux aux Etats-Unis  pour gérer l'accès à un bunker abritant une arme nucléaire et qu'il fallait également un ordre écrit signé par le Colonel responsable de l'Unité technique spéciale. Tandis que les Etats-Unis s'appuient davantage sur les techniques de pointe pour renforcer la sécurité sur ces sites, la Russie utilise pleinement ses ressources humaines excédentaires en postant un nombre impressionnant de gardes autour du complexe. Ce système semble fonctionner parfaitement pour les Russes. Le personnel en poste sur ces bases est soumis régulièrement à un examen médical et psychologique. Si une personne est jugée inapte, elle est éloignée de son poste jusqu'à son rétablissement. Cette procédure vise à réduire la probabilité de tir accidentel ou de vol d'armes nucléaires.

205. En ce qui concerne la responsabilité des armes nucléaires, les mécanismes existants sont très rigoureux et efficaces. "Au niveau de la division, il existe une section appelée sixième Bureau [...] qui regroupe trois ou quatre officiers dont l'unique fonction est de s'assurer qu'ils savent où se trouve chaque arme nucléaire de cette division. Pour les fusées, il y a une organisation similaire. [...] Chaque fois que les forces russes responsables des fusées déplacent une arme, que ce soit sur une distance de 30 mètres, pour aller d'un abri vers une installation de maintenance, ou sur une distance de 40 à 60 km, pour aller d'un champ de missiles vers la base principale, il faut au moins l'approbation d'un officier deux étoiles de la division des fusées."

206. Le Général Valynkine, Commandant du douzième Bureau de l'état-major général, a assuré le Général Habiger que la sécurité sur les sites d'armes nucléaires était satisfaisante, même si des améliorations continuent d'y être apportées. Pendant sa visite, le Général américain a assisté à une simulation d'attaque terroriste et à l'intervention de forces spécialisées dans la lutte contre ce type d'incident. Un certain nombre de véhicules blindés et d'hélicoptères ont été utilisés et tous les soldats impliqués ont fait preuve de rapidité et d'un professionnalisme extrême. Selon le Général Habiger, le risque de vol d'armes nucléaires ou d'attaque terroriste est très faible en raison de la rigueur des mesures de sécurité appliquées sur ces sites. Le Général a néanmoins fait remarquer que "le plus gros problème que rencontrent les Russes est [...] la grave pénurie de sites de stockage (pour les armes nucléaires et les lanceurs). Lorsque [les Russes] ont rapatrié les forces de missiles de l'Ukraine, de la Biélorussie et du Kazakhstan [...], ils n'avaient pas l'argent nécessaire pour construire ces sites de stockage. Les Russes ont rapatrié les bombardiers de Modzok et les ont entreposés à Engels. Et il leur faut des installations".

207. Le Général Habiger a fondé son opinion sur les observations faites pendant ses visites d'installations nucléaires russes, tout en soulignant qu'il n'avait visité qu'un nombre limité de sites. Il a déclaré qu'il voulait croire que les installations qu'il avait visitées étaient représentatives des autres sites d'armes nucléaires. Sachant à quel point la Russie compte sur les armes nucléaires, le Général s'est autorisé un certain optimisme concernant la sécurité de ces sites, car si l'armée d'active a été considérablement réduite, ainsi que son budget, les forces nucléaires ont été relativement peu touchées.

Les risques liés au bogue informatique du changement de millénaire

208. De nombreux gestionnaires des techniques de l'information mettent en garde contre les conséquences liées au problème du bogue de l'an 2000. Celles-ci sont particulièrement bien analysées dans le rapport présenté par M. Atkinson (Royaume-Uni) au nom de la Commission technique et aérospatiale de l'Assemblée de l'UEO (Document 1622 du 5 novembre 1998).

209. Il semble en effet que les systèmes informatiques (sauf les plus récents) ne sauront pas reconnaître le changement de siècle et ne fonctionneront donc pas correctement, ce qui pourrait engendrer la confusion et le chaos généralisés.

210. Les experts de la défense employés par les divers gouvernements font savoir que nombre de systèmes informatiques liés à la défense, de systèmes de télécommunications par satellites, de systèmes logistiques et d'armements souffrent de graves déficiences et peuvent connaître des défaillances au changement de millénaire.

211. La situation est très préoccupante en Russie, en raison notamment de la précarité de ses ressources financières. Il lui sera vraisemblablement difficile d'accorder à ce problème toute l'attention nécessaire afin de le traiter d'une manière efficace.

212. De plus, les compétences requises sont rares et le deviendront encore plus à mesure que la demande augmentera, et elles se vendront de plus en plus cher lorsque les gouvernements prendront conscience du problème et de l'urgence d'agir. Le ministère de l'énergie atomique russe (Minatom), quant à lui, a déclaré qu'il attendrait l'an 2000 pour remédier à toute panne d'ordinateur due au changement de millénaire, ignorant ainsi de manière très préoccupante les avis donnés par les autres pays du G8 réunis à Birmingham en mai 1998, et pour qui de telles pannes pourraient entraîner une fusion nucléaire.

La prolifération et le terrorisme nucléaires

213. Périodiquement, la presse se fait l'écho de l'arrestation de trafiquants de matières nucléaires, de la saisie de matériaux radioactifs (sans toujours établir d'ailleurs de distinction entre les usages civils et militaires des matières saisies) et de déclarations de terroristes affirmant détenir des armes nucléaires. Bien qu'une part de fantasme alimente généralement ce type d'informations mais après tout, la dissuasion nucléaire ne repose-t-elle pas sur l'impact psychologique de la menace  force est de constater que la circulation des éléments radioactifs civils, les trafics de matières, la dissémination d'armes et de technologies militaires dans un monde instable posent sérieusement la question des activités duales liées au nucléaire.

Les liens entre l'atome civil et militaire

214. Le dilemme central posé par l'énergie nucléaire tient au fait que les mêmes installations peuvent être utilisées pour produire de l'énergie électrique ou pour fabriquer des matières fissiles utilisables dans les armes. La distinction entre les deux réside principalement dans la configuration et le fonctionnement des installations.

215. Trois types d'installations, produisant cinq types de matériaux nucléaires, sont identifiables : les réacteurs, qu'ils soient de recherche, de production ou de puissance, les installations de retraitement du combustible irradié, les installations d'enrichissement. Les matières nucléaires produites dans ces installations sont : le plutonium 239, l'uranium 235, le tritium, le lithium 6 et le deutérium.

216. Tous les réacteurs nucléaires peuvent être utilisés pour produire du plutonium 239 utilisable dans des armes nucléaires, de même qu'ils peuvent également produire du tritium. Ce dernier est obtenu soit par irradiation d'aiguilles de lithium 6 dans un réacteur, soit par extraction de l'eau lourde utilisée comme modérateur dans certains types de réacteurs.

217. Les réacteurs de recherche, principalement ceux d'une puissance supérieure à 10 MWe, fonctionnant généralement à l'uranium hautement enrichi, directement utilisable dans une arme s'il n'a pas été irradié, et capables de produire du plutonium, doivent être considérés comme proliférants.

218. Certains types de réacteurs de puissance construits dans les années 1960 par la Grande-Bretagne, l'ex-Union soviétique et le Canada pouvaient facilement être utilisés pour produire du plutonium de qualité militaire. Pour y parvenir, il suffit simplement de faire varier la durée de séjour du combustible dans le réacteur.

219. Il convient de signaler que les réacteurs à eau légère ne sont pratiquement pas utilisables pour la production de plutonium. Les manoeuvres qu'une telle production nécessiterait seraient de nature à altérer le réacteur et la sécurité de son environnement, ce qui accroîtrait, dans des proportions considérables, un coût de production déjà élevé.

220. Les installations de retraitement reposent sur des technologies chimiques. Dans ces installations, le combustible irradié est traité pour séparer l'uranium du plutonium et des actinides formés. De telles installations sont utilisables pour isoler du plutonium de qualité militaire.

221. S'agissant de l'enrichissement de l'uranium, six méthodes existent pour fabriquer du combustible nucléaire : la diffusion gazeuse, la séparation aérodynamique, la centrifugation, le procédé chimique, le procédé laser et le procédé électromagnétique. Chacune de ces méthodes présente à la fois des inconvénients et des avantages. Le stade le plus difficile est de passer de l'uranium naturel à 0,7 % d'uranium 235 à l'uranium enrichi à 20 %. Le passage ultérieur à un uranium hautement enrichi, utilisable pour les armes, requiert beaucoup moins d'énergie et peut se faire dans une installation annexe ne demandant pas un déploiement important de moyens techniques.

222. Même si l'accès au nucléaire militaire est largement conditionné par la détention des matières fissiles nécessaires, il convient de signaler que le fait pour un pays d'en disposer ne lui permet pas d'envisager de passer rapidement au stade de la fabrication d'engins nucléaires. En effet, bien d'autres technologies sont nécessaires pour développer une arme nucléaire. Ces technologies nucléaires sont, pour l'essentiel, des technologies à usage théoriquement civil, mais elles peuvent être détournées à des fins militaires ; elles sont généralement désignées sous la terminologie de "technologies à double usage" ou "technologies duales".

223. Parmi ces "technologies à double usage", on recense tout à la fois des technologies simples et des technologies très sophistiquées dont la possession peut aider un pays "proliférant" à accélérer le développement de son programme nucléaire militaire. Figurent notamment au nombre de ces dernières les super-ordinateurs, les composants électroniques et les pompes à vide, dont l'utilisation est a priori civile.

224. Devant l'impossibilité de contrôler les milliers d'éléments qui entrent dans la fabrication d'une arme nucléaire et dont la plupart sont "à double usage" (civil et militaire), il est apparu nécessaire de ne faire porter le contrôle que sur les biens et les technologies réellement "critiques", ceux sans lesquels une filière technologique ne peut pas fonctionner. Les processus de contrôle ont été mis en place par le Club de Londres, organisation sur laquelle votre rapporteur reviendra plus en détail dans la suite de son rapport.

225. La plupart des données scientifiques et techniques nécessaires à la fabrication d'une bombe peuvent être puisées dans la "littérature ouverte". Sur le plan scientifique, de nombreuses informations n'ont toutefois pas été déclassifiées les architectures internes des armes à fission exaltée, la compressibilité dynamique du plutonium. C'est dans la partie de la détonique qui traite de la mise au point des implosoirs que subsistent les verrous technologiques les plus nets. Il est notamment difficile de détenir la maîtrise technologique nécessaire à la réalisation de bonnes lentilles pour les conformateurs d'onde de détonation, de même qu'il est malaisé d'obtenir une implosion de qualité sans laquelle une arme de seconde génération ne serait pas utilisable.

226. Parallèlement à ces verrous technologiques, la production et la vente limitées de certaines matières présentant des "qualités nucléaires militaires", telles que le plutonium ou le béryllium, constituent un frein effectif à la prolifération. Toutefois, comme le montre l'exemple de l'Irak, un pays affichant une forte détermination et capable de mobiliser des moyens financiers importants sur un projet militaire peut, à partir de technologies d'enrichissement datant des années 1940, produire de façon inquiétante des matières susceptibles d'intervenir dans la fabrication d'armes nucléaires rustiques.

La dissémination des technologies et l'émigration des détenteurs de ces technologies

227. Le développement des connaissances scientifiques, celui de l'information et des moyens de communication (les internautes ne connaissent pas les frontières et s'affranchissent des réglementations) favorisent objectivement la dissémination des technologies et demain peut-être des matières nucléaires sur l'ensemble de la planète. A titre d'exemple, il convient de rappeler qu'il y a une vingtaine d'années, le déclassement par les Etats-Unis d'informations se rapportant aux technologies thermonucléaires et leur publication dans des revues accessibles à tout public ont permis à d'autres pays d'accélérer sensiblement leur maîtrise de ce type d'armement. C'est notamment à partir d'informations parues dans la littérature ouverte que l'ex-URSS est parvenue dans un temps record à développer son arsenal thermonucléaire.

Les transferts technologiques

228. Les programmes civils de coopération nucléaire conduits par les Etats nucléaires avec d'autres Etats désireux officiellement de diversifier leurs approvisionnements énergétiques constituent une autre source possible de prolifération. Le risque est en effet grand de voir les experts nucléaires de ces pays transférer des technologies et du savoir-faire vers des pays proliférateurs, dans la mesure où les connaissances requises pour utiliser l'atome à des fins pacifiques présentent un important "tronc commun" avec celles qui permettent les études préalables, la mise au point et la fabrication d'armes nucléaires.

229. Suite à une initiative américaine, une réflexion a été conduite dans le cadre du Comité Zangger sur la nécessité de mettre sur pied un régime tendant à limiter les transferts de matériel et de technologie relative à l'utilisation des matières nucléaires à des fins militaires. L'extension des exportations d'équipements nucléaires civils au début des années 1970 et la prise de conscience par la communauté internationale du problème de la prolifération après l'explosion nucléaire indienne de 1974 ont conduit les sept principaux fournisseurs nucléaires d'alors à se regrouper pour former le Club de Londres.

230. Les travaux du Club de Londres ont eu pour principal objet d'élaborer des règles d'harmonisation de leurs politiques d'exportation "d'articles nucléaires" à des fins pacifiques vers les Etats non dotés d'armes nucléaires. Ils ont établi en 1978 un code de bonne conduite plus connu sous le nom de "directives de Londres".

231. Ces directives établissent les principes de base que les pays exportateurs s'engagent à respecter pour l'exportation de biens nucléaires sensibles. Le premier de ces principes reprend les critères définis par le Comité Zangger (assurance formelle d'un usage pacifique, garanties AIEA, garanties sur le retransfert), qui s'appliquent aux biens eux-mêmes ainsi qu'aux technologies. Le second précise que la protection physique de ces biens contre les actes de sabotage, le terrorisme ou le vol doit faire l'objet d'accords clairement définis entre les deux gouvernements. De plus, les Etats fournisseurs se réservent le droit de restreindre les transferts d'équipements et de matières sensibles (plutonium, uranium enrichi), d'installations d'enrichissement d'uranium, de retraitement de combustible nucléaire ou de production d'eau lourde, exerçant ainsi une tutelle sur les marchés internationaux et les matériels considérés comme susceptibles de favoriser la prolifération.

232. A côté de ces grands principes, les directives de Londres préconisent aux fournisseurs une autolimitation des transferts de technologies et de matières sensibles. Les matières prises en compte sont définies dans deux annexes publiées pour la première fois par l'AIEA en février 1978, plusieurs fois mises à jour depuis. La première annexe énumère les produits et matériels considérés comme les éléments de base du nucléaire (matières fissiles, réacteurs, etc.), la seconde définit des critères communs aux pays exportateurs pour les transferts de technologies relatifs aux installations ainsi que les principaux composants.

233. Par ailleurs, les membres du Club de Londres, dont le nombre s'élève aujourd'hui à 35 Etats, parmi lesquels figurent actuellement tous les pays signataires du TNP, à l'exception de la Chine, se tiennent mutuellement informés des programmes qu'ils mènent en coopération. Ces échanges d'informations constituent le complément indispensable aux règles édictées pour les matériaux et matériels. Ils permettent ainsi à tous les pays exportateurs d'identifier les pays souhaitant acquérir des technologies nucléaires et, en fonction des matériaux ou matériels recherchés, les intentions de ces pays.

234. Le Club de Londres a élaboré en avril 1992, à Varsovie, de nouvelles règles plus contraignantes concernant les matériels à double usage, civil et militaire.

235. De plus, à l'occasion de la réunion plénière de Lucerne (Suisse) en 1993, il a adopté le principe du contrôle intégral comme norme commune s'appliquant à la fourniture de biens nucléaires à un Etat non doté d'armes nucléaires. Il est désormais exigé, préalablement à la signature d'un contrat avec un Etat non nucléaire, la mise sous contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique non seulement des matières et équipements nucléaires transférés, mais aussi de la totalité des installations existantes.

236. Votre rapporteur, malgré la réalité de la dissémination, considère que les armements contribuent très sûrement à renforcer la sécurité internationale. Il estime que la France se doit de tout mettre en oeuvre diplomatiquement pour faire en sorte que les pays disposant de fait de capacités nucléaires militaires rejoignent au plus tôt le Club de Londres et subordonnent leurs activités exportatrices nucléaires au respect des directives contraignantes qu'il a adoptées.

L'expatriation des "cerveaux"

237. Au début des années 1990, on pouvait estimer, Asie non comprise, à près de 150 000 l'effectif des personnels du nucléaire militaire soviétique. Selon une étude de la CIA, environ 100 000 militaires et civils soviétiques travaillaient directement pour le secteur des armes nucléaires dans l'ex-URSS ; parmi ceux-ci, 2 000 auraient eu une connaissance approfondie de la conception des armes, et 3 000 à 5 000 auraient travaillé à la production du plutonium ou à l'enrichissement de l'uranium.

238. L'effondrement de l'empire soviétique, puis la crise économique, politique et sociale qui secoue les Etats membres de la Communauté des Etats indépendants ont entraîné une remise en cause profonde du complexe militaro-industriel qui constituait l'un des fondements de la puissance soviétique. Le manque d'équipements et le déficit de financement des instituts, universités et centres de recherche de ces pays ont eu bien souvent pour effet le délitement des équipes et la démotivation des chercheurs. Nombreux sont ceux qui ont pu être tentés ou peuvent encore l'être d'émigrer vers des pays proliférateurs pour exercer leurs talents dans des pays plus favorables et y négocier leurs compétences.

239. Selon une interview confiée à l'agence Tass en juillet 1992 par V. Medvedev, membre du Présidium de l'Académie des sciences de Russie, "trois types de fuite de cerveaux de la communauté scientifique russe étaient à craindre : le départ vers un pays étranger, leur transfert interne par changement de profession, enfin leur intégration aux activités de nouvelles sociétés issues du complexe militaro-industriel". Si un nombre restreint de scientifiques sélectionnés ont, semble-t-il, trouvé une situation au sein de ces sociétés, la majeure partie exerce une profession dans des établissements aux moyens réduits, lorsqu'ils n'ont pas été simplement licenciés, constituant ainsi un vivier de candidats à l'exil.

240. C'est tout naturellement vers les pays industrialisés de l'Occident que se sont en majorité tournés les scientifiques de haut niveau, séduits alors par les fastes nouveaux qu'ils escomptaient y trouver, les Etats-Unis ayant pour leur part constitué un pôle d'attraction important.

241. Toutefois, il paraît fort probable qu'un certain nombre de ces candidats au départ ait été attiré par les offres aussi alléchantes que discrètes de pays cherchant à accéder au rang de puissance nucléaire. Il convient de remarquer qu'en toute logique, le nombre de ces "mercenaires scientifiques" doit être relativement limité dans la mesure où ni la sécurité du chercheur (et a fortiori de sa famille), ni le retour en fin de contrat ne seraient véritablement assurés après une collaboration à des programmes clandestins, par définition très secrets. Cependant, il est vraisemblable qu'un tropisme idéologique a pu également pousser certains scientifiques vers des pays de l'ancien camp communiste, ou qui en étaient proches, avec lesquels ils auraient pu conserver des liens tissés auparavant (Cuba, Corée du Nord, Syrie, Irak, Inde, etc.).

La contrebande de matières et le terrorisme nucléaire

242. La ville de Dijon a accueilli, au mois de septembre dernier, un colloque international 9( * ) réunissant les représentants de 83 pays, organisé conjointement par l'AIEA, Interpol et l'Organisation mondiale des douanes, sur le thème de la délinquance nucléaire et le contrôle des substances radioactives, traduisant ainsi les préoccupations des acteurs internationaux.

243. A cette occasion, M. Hans-Friedrich Meyer, porte-parole de l'Agence internationale de l'énergie atomique, précisait que "depuis 1993, l'Agence avait comptabilisé 227 cas confirmés de trafic, et 103 autres cas pour lesquels la réalité du trafic n'avait pas pu être établie". Parallèlement, Mme Jytte Edkahl, spécialiste de ce secteur à Interpol, constatait "une baisse très nette des saisies, après une pointe en 1994-1995". Elle notait, par ailleurs, que "les saisies de matières fissiles ont été rarissimes et qu'il s'agissait toujours de très petites quantités", relativisant ainsi l'importance de la contrebande de substances pouvant alimenter la prolifération des armes nucléaires.

244. Depuis l'éclatement de l'ancienne Union soviétique et les informations alarmantes diffusées sur l'état de son arsenal nucléaire et les incertitudes planant sur l'efficacité de son contrôle par les autorités russes, la contrebande de matières fissiles ou d'engins nucléaires constitue un réel motif d'inquiétude. Il est pour le moins exact qu'en dépit des assurances prodiguées par de hauts responsables russes, le risque existe que le marché noir et les éléments du crime organisé ne permettent la dissémination de composants nucléaires.

245. Il convient toutefois de noter que seulement quatre cas de contrebande de matières susceptibles de servir à la fabrication d'armes nucléaires ont été répertoriés ces dernières années : 363 grammes de plutonium 239 concentré à plus de 87 % saisis, le 10 août 1994, à Munich ; 6 grammes de plutonium 239 pur à 99,8 % découverts, à la même époque, dans un garage de Tengen (Bade-Wurtemberg) ; 2,73 kg d'uranium enrichi à 87,7 % trouvés le 14 décembre 1994, à Prague, dans le coffre d'une voiture, par des policiers tchèques ; et 38 grammes d'uranium hautement enrichi saisis le 27 février en Italie.

246. Bien qu'importantes, les saisies répertoriées paraissent toutefois limitées dans leurs conséquences prolifératrices, lorsque l'on sait que la fabrication d'une bombe exige des quantités très supérieures à celles saisies (entre 4 et 6 kg de plutonium ou un peu plus de 20 kg d'uranium hautement enrichi), des matériaux et des pièces mécaniques et électroniques sophistiquées, de sérieuses compétences techniques, ainsi que d'importants moyens financiers.

247. Quatre éléments apparaissent cependant de nature à alimenter les risques de terrorisme nucléaire :

- l'incertitude qui pèse sur le devenir et la sécurité des armes nucléaires tactiques déployées sur l'ensemble du territoire de l'ancienne URSS ; à cet égard, on ne peut négliger les déclarations rapportées le 12 octobre dernier par le quotidien Al-Hayat, selon lesquelles M. Oussama Ben Laden, milliardaire d'origine saoudienne soutenant les Talibans afghans, se serait procuré des armes nucléaires dans d'anciennes républiques soviétiques ;

- les risques de soustraction de matières radioactives par des groupes mafieux à partir des installations nucléaires de l'ancienne URSS, qu'elles soient civiles ou militaires ;

- l'augmentation des stocks de plutonium issu des installations de retraitement ;

- la prolifération nucléaire qui multiplie le nombre de sites potentiels pour l'"approvisionnement" des terroristes ou pour la conduite d'actions déstabilisatrices du type attentat.

248. En tout état de cause, le terme de "terrorisme nucléaire" paraît susceptible de répondre à trois scénarios différents :

(i) des actions terroristes conduites contre des installations nucléaires civiles ou militaires, incluant les dépôts d'armes nucléaires, les véhicules de transport, les composants nucléaires et les matériels associés. Compte tenu du nombre d'installations existantes, la probabilité d'occurrence est loin d'être nulle.

Il convient cependant de distinguer les menaces d'action, par exemple contre les centrales nucléaires, d'un groupe terroriste dont le but serait avant tout de retirer un avantage politique de son chantage en exerçant une pression psychologique sur les populations, du passage à l'acte qui requerrait la mise en oeuvre de moyens considérables passant difficilement inaperçus. Le détournement de déchets radioactifs, par exemple issus de milieux hospitaliers ou universitaires, est un des risques les plus vraisemblables. Ce risque doit être pris en compte, mais relativisé compte tenu de la quantité de produits radioactifs concernés et du danger qu'ils représentent.

(ii) La menace d'emploi d'engins nucléaires ou de matières radioactives dans le but de causer des dommages considérables au pays visé, cette seconde possibilité pouvant être une suite logique du premier scénario. En dépit de sa popularité en termes de fiction, la menace d'emploi d'une arme nucléaire dérobée ou d'un engin rudimentaire "bricolé" par un groupe de terroristes ne s'est heureusement jamais transformée en réalité. La prolifération nucléaire, en augmentant les sites d'action possibles et le nombre de groupes de terroristes, engendre néanmoins une multiplication des risques.

L'hypothèse de l'assistance matérielle d'"Etats terroristes" à des groupes terroristes n'est pas à exclure, mais il convient ici de préciser que la complicité d'un pays tiers, si elle était avérée, conduirait le pays victime à considérer que l'Etat complice est en quelque sorte l'auteur de l'agression, ce qui l'exposerait à de réelles sanctions ;

(iii) l'action de groupes nationaux ou transnationaux opposés au développement du nucléaire civil, à la détention d'armes nucléaires ou au stockage de déchets hautement radioactifs. Dans ce cas précis, les "terroristes" auraient comme objectifs de démontrer l'insuffisance du dispositif de sécurité de l'installation et de sûreté nucléaire plutôt que de se livrer à des actes criminels mettant en jeu la vie des populations. Ce dernier scénario paraît de loin le plus probable. Ses conséquences sont essentiellement politiques et la sécurité des populations ne serait pas menacée. On ne peut cependant pas totalement exclure un quelconque dérapage ou un accident technique, toujours possible.

L'état de la prolifération nucléaire 10( * )

249. La lutte contre la prolifération des armes nucléaires est aujourd'hui une préoccupation constante de la communauté internationale, ce qui a permis, au cours des dernières années, de remporter d'incontestables succès en ce domaine. Le nombre de pays détenteurs de fait de l'arme nucléaire a régressé, l'Afrique du Sud ayant renoncé et entrepris le démantèlement de son arsenal nucléaire en 1991. Par ailleurs, un grand nombre de pays ont adhéré au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Celui-ci est devenu quasi universel puisque seuls Cuba, l'Inde, Israël et le Pakistan n'y ont pas adhéré. Ce résultat a été acquis grâce à une vigilance constante en matière de non-prolifération et au prix de pressions et d'interventions fortes sur des pays comme la Corée du Nord et l'Irak, pour lesquels de nombreux indices permettaient de conclure qu'ils conduisaient des programmes d'armement nucléaire.

250. Il est communément convenu de distinguer deux grandes catégories de pays "proliférateurs" :

- les Etats dits "du seuil" sont ceux que les experts estiment être sur la voie de l'acquisition d'une capacité d'accès à l'arme nucléaire. En font partie la Corée du Nord, l'Iran, l'Irak, le Brésil, l'Argentine, la Syrie, la Libye et l'Algérie ;

- les pays nucléaires "de fait", soit parce qu'ils ont ou qu'ils ont eu, soit qu'ils laissent entendre plus ou moins explicitement qu'ils ont ou qu'ils avaient la capacité de construire des armes nucléaires, soit parce qu'ils ont procédé à des expérimentations nucléaires militaires (Afrique du Sud, Israël, Inde et Pakistan).

251. Les régions où les risques de prolifération demeurent sont le Moyen-Orient et le pourtour de la Méditerranée, le sous-continent indien et l'Asie du Sud-Est. Par contre, la prolifération nucléaire est à tout le moins en nette régression, voire définitivement stoppée dans d'autres régions : Amérique latine et Asie du sud.

Les liens entre prolifération nucléaire et prolifération balistique

252. Les rédacteurs du Livre blanc considéraient que "le missile balistique constitue une menace particulièrement redoutée, non pas en lui-même, mais parce qu'il procure aux armes de destruction massive le maximum d'effets militaires, stratégiques et psychologiques".

253. Les missiles peuvent en effet servir de vecteurs à toutes sortes d'armes, classiques ou de destruction massive. Les pays qui les acquièrent, et particulièrement ceux situés dans des zones de fortes tensions, peuvent avoir l'intention de les utiliser comme vecteurs d'armes de destruction massive, et en particulier d'armes nucléaires, ou donner à penser à leurs voisins qu'ils l'envisagent. De fait, si un Etat ayant une capacité nucléaire et possédant des missiles décidait de se doter d'armes nucléaires, il aurait à sa disposition des vecteurs plus dangereux que l'avion, car très difficiles à intercepter. En outre, la plupart des missiles acquis jusqu'ici par les pays en développement sont connus pour être relativement imprécis, ainsi que l'a montré l'emploi de missiles Scud par l'Irak dans la guerre du Golfe. Leur efficacité militaire serait considérablement accrue s'ils étaient équipés d'armes de destruction massive, voire chargés de déchets radioactifs, plutôt que d'armes classiques conçues pour détruire des objectifs précis.

254. Le régime de non-prolifération serait donc renforcé si les limitations existantes touchant les transferts de matières et d'équipements nucléaires étaient complétées par des limitations applicables aux transferts des systèmes d'armes mixtes, c'est-à-dire pouvant servir de vecteurs pour des armes classiques ou nucléaires. Cette recommandation a été partiellement mise en pratique en avril 1987 lorsque les gouvernements de sept pays  Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Allemagne et Royaume-Uni  ont établi un régime de contrôle des technologies relatives aux missiles (MTCR) en adoptant des directives identiques pour les transferts "sensibles" se rapportant aux missiles. Ces règles, qui ne s'appliquaient à l'origine qu'aux transferts d'équipement et de technologie susceptibles "d'apporter une contribution" aux systèmes de missiles capables d'emporter une charge nucléaire, ont été modifiées en juillet 1992 pour s'appliquer aussi aux missiles pouvant emporter des armes biologiques et chimiques, quelle que soit leur portée ou la charge utile qu'ils pourraient transporter.

255. Le contrôle de la diffusion des technologies "sensibles" touchant les missiles passe par l'adhésion de tous les Etats producteurs de missiles au MTCR. Votre rapporteur considère qu'il conviendrait de renforcer les règles du MTCR en donnant force obligatoire aux limitations et en créant un organisme international chargé de vérifier le respect des règles qu'il édicte. Jusqu'à présent, cette vérification est assurée unilatéralement par les parties, essentiellement par les Etats-Unis qui se limitent à la menace de sanctions commerciales vis-à-vis des sociétés contrevenantes.

256. Il est, par ailleurs, intéressant de noter que la totalité des pays nucléaires "de fait" ou "du seuil" ont développé parallèlement à leur programme d'armements nucléaires des programmes de missiles balistiques.

IV. Voies et moyens d'une coopération

souhaitable

257. Une fois prise la mesure des risques encourus tant par la population russe que par tout le continent, et par les générations futures, il est évident qu'une coopération internationale s'impose, dès lors que la Russie n'est pas, au moins économiquement, en mesure de régler à elle seule des problèmes immenses, et pour certains d'entre eux, de la plus grande urgence.

258. Mais avant d'indiquer quelles pourraient être les orientations de la coopération entre l'Europe et la Russie en matière de sécurité nucléaire, votre rapporteur souhaite retracer les observations faites au cours d'une mission approfondie, la prise en compte du contexte russe étant la clef d'investissements et de partenariats fructueux.

A. Observations recueillies au cours de la mission en Russie

Une volonté de transparence affirmée

259. Cependant, il faut noter que les actions en partenariat dans le domaine nucléaire militaire sont menées exclusivement avec les Etats-Unis. Ils ont seuls accès à certaines informations et certains sites. Les Russes sont, d'ailleurs, assez fiers de cette action conjointe avec les Américains.

260. Dans le domaine civil, un partenariat privilégié s'est établi avec la France (EDF et Framatome), l'Allemagne (Siemens), le Royaume-Uni, la Norvège et les autres Etats scandinaves, le Japon et naturellement l'Union européenne : Euratom 92, AIEA, CCR et dans le cadre des programmes TACIS (Formation) et PHARE (Centrale de Koursk).

261. Mais ce partenariat porte essentiellement sur des projets ponctuels et bien identifiés. Exemple : le projet AIDA-MOX avec la France en 1993-1996, puis tripartite avec l'Allemagne en 1998 pour l'utilisation du plutonium issu du démantèlement des armes nucléaires pour les besoins de l'électronucléaire civil.

262. Cette volonté de transparence, d'action et de coopération devrait progressivement conduire la Russie à un respect plus patent des normes internationales.

Une culture de sécurité insuffisante

263. On relève un décalage évident entre la "culture de sécurité" telle qu'elle est comprise et pratiquée en Occident et telle qu'elle se manifeste en Russie. Même si l'on doit reconnaître l'existence, du côté russe, d'une volonté de se rapprocher des normes et règles acceptées et appliquées à l'Ouest, un fossé sépare les deux mentalités et, en d'autres termes, les deux parties ne jouent pas sur le même registre.

264. Ainsi, pour citer des exemples éloquents, on répare la station MIR au-delà des règles de sécurité qui prévaudraient partout ailleurs ; ou encore on admet qu'il soit possible de conduire un véhicule en Russie en étant dépourvu d'assurance-accident.

265. Le sentiment de responsabilité individuelle et la prise en considération d'une responsabilité collective vis-à-vis de l'environnement, comme du sort des générations futures, sont encore balbutiants, même si l'accident de Tchernobyl a constitué un sévère apprentissage.

266. On ne peut pas comprendre l'attitude des Russes face à la sûreté nucléaire et aux risques si on ne comprend pas que leur notion de responsabilité, d'assurance, de santé et de vies humaines, enfin d'environnement n'est pas la même et qu'il appartient aux Russes de franchir le fossé qui les sépare de nous le plus rapidement et le plus efficacement possible.

267. Le Dr. B. Gordon, Directeur du Centre d'études scientifiques et techniques pour la sûreté nucléaire du Gosatomnadzor, l'a dit de manière particulièrement claire en déclarant, pour résumer la conception qu'une civilisation peut avoir de l'homme, que plus le niveau de civilisation est élevé, plus la valeur de la vie est forte.

Des procédures législatives et réglementaires encore très lentes

268. Dans le domaine législatif, la situation est la suivante. D'une part, la Douma a approuvé en octobre 1995 la loi fédérale sur l'utilisation de l'énergie nucléaire qui couvre le secteur nucléaire civil. Sur la base de cette loi, le Gosatomnadzor a adopté d'autres réglementations, compte tenu de son expérience propre et de l'expérience internationale. Ces initiatives représentent un progrès évident par rapport à la situation antérieure caractérisée par l'absence de véritable cadre juridique.

269. D'autre part, le projet de loi sur l'utilisation et l'exploitation des armes nucléaires est en cours de discussion à la Douma et le vide juridique en la matière est donc encore considérable. De même, la Douma n'a pas encore ratifié le Traité START II ni, ce qui nous semble particulièrement préoccupant, son adhésion à la Convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires, conformément aux décisions prises par le gouvernement de la Fédération en 1997, ni la Convention de Londres interdisant l'immersion de matières nucléaires. Il faut espérer que cette législation sera adoptée par la Douma dans un délai raisonnable et qu'elle commencera à être appliquée, ce qui n'est pas le cas actuellement.

270. Les autorités du ministère de l'énergie atomique (Minatom) de la Fédération de Russie ont admis leur inquiétude face au frein mis par les parlementaires aux initiatives gouvernementales et elles ont également fait savoir que l'absence de législation sur le nucléaire militaire posait des problèmes lorsqu'il s'agissait de passer des accords avec d'autres pays. Certains accords internationaux avec d'autres pays (récemment avec la Norvège et prochainement avec l'Allemagne) reprennent d'ailleurs les dispositions de la Convention de Vienne.

271. En ce qui concerne cette dernière, les parlementaires russes s'interrogent sur les raisons pour lesquelles les Etats-Unis n'y ont pas adhéré et ils questionnent également le Minatom au sujet des obligations financières que comporte l'adhésion à cette convention. Enfin, les Conventions de Vienne et de Londres devront attendre encore quelque temps pour être ratifiées par la Douma.

272. Au vu de cette situation, on peut considérer en premier lieu qu'il existe un vide législatif relatif, en second lieu que le processus législatif progresse plus lentement qu'il ne serait souhaitable et nécessaire et, enfin, que l'absence de ratification de certains textes par la Douma soulève des problèmes.

273. A ce propos, il convient de signaler que l'absence de ratification des Conventions de Vienne et de Londres applicables au stockage du combustible des sous-marins nucléaires entrave la mise en route du projet de dénucléarisation des brise-glaces. En effet, ces navires sont à quai dans l'attente de l'extraction de leur combustible alors que les machines nécessaires sont prêtes (l'étude de faisabilité a été réalisée dans le cadre du programme TACIS) et les crédits (Union européenne, France et Norvège) disponibles ; néanmoins, il est impossible d'aller de l'avant puisque le défaut de ratification de la Convention de Vienne empêche d'entamer l'opération.

Le respect encore inégal des engagements pris

274. Le respect des engagements souscrits est un principe fondamental dans les relations internationales, condition de la confiance mutuelle. Les accords passés doivent être respectés et la Russie doit honorer ses engagements. Ainsi restent en instance devant la Douma la ratification des Conventions de Vienne sur la responsabilité civile et de Londres sur l'interdiction de l'immersion des matières nucléaires, le Traité START II.

275. Quelques exemples permettront d'éclairer une situation qui tend à se répéter et qui ne contribue en rien à instaurer la confiance nécessaire à tout le processus de coopération. Ainsi, tandis que le Président de la Fédération de Russie s'engage publiquement à adhérer aux Conventions de Vienne, la Douma laisse passer le temps sans procéder à la ratification.

276. Ces difficultés obligent à différer la mise en oeuvre de certaines actions de coopération pourtant urgentes comme la récupération des propulseurs des sous-marins nucléaires hors service. Ces retards se manifestent encore à propos du retrait.

277. Le cas s'est également produit à propos du retrait de la Transnistrie de la 14ème Armée, le Président ayant souscrit à un engagement que la Douma n'a pas ratifié.

278. Ambigus dans le domaine de la politique internationale, les engagements le seraient-ils aussi dans le domaine de la sûreté nucléaire ? On citera l'exemple de la centrale de Koursk qui fait l'objet d'un programme de modernisation et de rénovation étalé sur trois ans (1996-1998) et doté d'un budget de 180 millions de dollars. Au bout de deux ans et demi, 70 % du programme a été réalisé et, sans que celui-ci soit terminé, la centrale a reçu une autorisation provisoire de remise en route, avec tous les risques que cela comporte.

279. La méthode suivie consiste à accorder des autorisations annuelles sans jamais parvenir à une licence définitive et sans que le programme de mise aux normes de sûreté AIEA, pourtant désigné comme l'objectif à atteindre lors du financement, soit achevé.

280. A la fin du programme, les autorités russes doivent lancer un audit international pour vérifier que les engagements, en ce qui concerne le programme d'action et l'intervention de la BERD, ont été respectés. L'octroi d'une autorisation annuelle renouvelable nous amène à soupçonner le Minatom de vouloir retarder le processus de vérification en ne donnant pas l'autorisation définitive de fin de programme.

281. Au cours de la période 1991-1994, tous financements confondus, Etats-Unis, Union européenne plus France, Allemagne, Royaume-Uni, Norvège et Japon, plus de 500 millions de dollars ont été versés, dont 7 % ont été apportés par le Minatom. Il importe dès lors de vérifier l'utilisation de ces fonds ainsi que la gestion et la réalisation des programmes ; autrement dit, l'aide occidentale est nécessaire, mais il est indispensable de rester vigilant.

282. Respecter l'intégralité des engagements pris (dans l'exécution d'un programme de restructuration d'une centrale nucléaire par exemple) en contrepartie d'un financement consenti par la communauté internationale (l'Union européenne le plus souvent) est aussi un problème à poser avec fermeté.

283. C'est peut-être un autre système qui se met en place et qui peut devenir un mode de "fonctionnement provisoire" à risque réduit, mais qui ne respecte pas les normes AIEA.

284. L'objectif doit être l'achèvement du programme dans le cadre du calendrier établi, avec audit international, et l'obtention d'une licence de fonctionnement.

B. La coopération avec la Russie

Quelques réflexions

285. En ce qui concerne la coopération avec la Russie, le premier élément à retenir est son caractère d'urgence. On notera ensuite qu'elle est souhaitée par nos partenaires russes. En outre, il est clair qu'une coordination et une meilleure organisation des formes de coopération actuellement en vigueur s'imposent.

286. En effet, le problème n'est pas traité dans sa globalité et la coopération à long terme n'est pas organisée. Tout semble indiquer que les Russes sont avant tout favorables aux programmes à court terme centrés sur des projets limités et urgents de mise à niveau et de modernisation et qu'ils sont plutôt réfractaires aux projets d'ensemble à long terme.

287. Cela suppose une démarche méthodique :

- définir un programme répondant aux normes AIEA,

- établir un calendrier et en phaser le déroulement,

- fixer les règles d'exécution et de contrôle de ce programme,

- subordonner le redémarrage de toute installation à un audit international et à la délivrance d'une licence,

- entreprendre la formation des personnels nécessaires à tous les niveaux,

- lier le versement des tranches de financement à l'exécution constatée des engagements pris.

288. Il s'agit donc tout d'abord de mieux organiser et de mieux gérer l'ensemble du problème sur le long terme et il convient en outre d'établir un calendrier pour les différentes phases. La formation est essentielle, en particulier en vue de créer une "culture de sécurité". Il importe, simultanément à la mise en oeuvre des programmes de financement, de poursuivre les contrôles à chaque stade de réalisation.

L'état de la coopération civile

289. Nombreuses sont les instances internationales qui s'occupent de sûreté nucléaire et de contamination radioactive et l'on citera, parmi elles, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), la Coordination de l'aide du G24 en matière de sûreté nucléaire (NUSAC) composée de pays membres de l'OCDE ; le Compte pour la sûreté nucléaire (CSN) géré par la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) ; le Groupe de contact d'experts (CEG) créé par l'AIEA pour les projets concernant les déchets radioactifs en Russie.

290. Il faut également ajouter à cette liste, qui ne prétend pas être exhaustive, le Conseil des Etats baltes, le Conseil nordique, le Conseil des ministres des pays nordiques, la Stratégie de protection du milieu arctique (AEPS) et la Coopération de la mer de Barents. On citera en outre la coopération entre la Commission européenne et la Russie et, naturellement, la coopération bi- ou multilatérale entre une série de pays et la Russie, dont la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, les pays nordiques, les Etats-Unis et le Japon.

291. D'après le rapport final sur la sécurité et la sûreté nucléaires à l'Est, les systèmes de comptabilité et de contrôle des matières nucléaires que la Commission européenne et les pays occidentaux en général souhaitent mettre en place dans les pays de l'ex-Union soviétique, notamment en Russie, sont ceux qui sont déjà communément acceptés par les autorités et par l'industrie. Cela revient en pratique à accepter le système prévu par le Contrôle de sécurité de l'Euratom et par le système de garanties de l'AIEA.

Euratom

292. Le Contrôle de sécurité de l'Euratom repose sur le Traité de l'Euratom de 1957. L'Euratom est chargé de vérifier que les matières nucléaires ne sont pas destinées à des fins différentes de celles pour lesquelles elles ont été prévues. Le Contrôle de l'Euratom sert de modèle aux systèmes à mettre en oeuvre en Russie. En vertu du système de contrôle de l'Euratom, les exploitants des installations nucléaires ont l'obligation de faire connaître les caractéristiques techniques de base de leurs installations et leurs activités prévues, et de disposer d'un système de comptabilisation pour toutes leurs matières nucléaires. Les rapports comptables sont basés sur les stocks physiques de six catégories de matériel : uranium appauvri, uranium naturel, thorium, uranium enrichi à 20 %, uranium enrichi à plus de 20 % et plutonium. L'Union soviétique n'avait mis en oeuvre aucun système de comptabilité et de contrôle des matières nucléaires, que ce soit au niveau des installations ou à celui de l'Etat. La coopération entre l'Euratom et la Russie a débuté en 1992 pour être officialisée en 1993. Un accord de partenariat a été signé entre l'Union européenne et la Russie le 26 juin 1994.

293. M. J.P. Contzen, Directeur du Centre commun de recherche de la Commission européenne (CCR), a fixé les principales étapes de l'aide : instauration d'un cadre législatif ad hoc, création d'une Autorité indépendante de vérification au niveau de l'Etat et mise en place d'une infrastructure technique en vue de l'application pratique.

294. Par définition, le CCR concentre ses activités sur l'aide en matière d'infrastructure technique et de formation. Les domaines qui font actuellement l'objet d'une coopération technique avec la Russie sont notamment :

- l'enseignement, la formation et la mise au point de méthodes pour la comptabilisation des matières nucléaires et leur contrôle ;

- l'assistance technique pour la mise en oeuvre de ces méthodes ;

- la protection physique.

295. Le Contrôle de sécurité de l'Euratom dirige actuellement les activités de l'Union européenne en matière d'aide à la CEI dans le domaine des garanties nucléaires. Il a défini ainsi ses objectifs généraux :

- contribuer à l'amélioration du système de comptabilité et de contrôle dans les républiques de la CEI pour les amener aux normes pratiquées dans d'autres pays telles que, par exemple, celles de la Communauté européenne ayant des programmes nucléaires importants ;

- veiller à ce que ces systèmes soient conformes aux garanties de l'AIEA ;

- contribuer par conséquent à la lutte contre la prolifération de matières nucléaires et à la réduction au minimum des dangers que représentent pour le public les matières "vagabondes".

Le réacteur européen à eau pressurisée EPR

296. L'évolution du marché mondial des centrales nucléaires a conduit Framatome et Siemens à créer en 1989, à parité égale, une filiale commune baptisée Nuclear Power International (NIP). L'objectif initial était de commercialiser et de fournir sur le marché international les réacteurs à eau sous pression développés chez les deux constructeurs.

297. Cette alliance commerciale a fait place à une coopération industrielle, lorsque, en 1991, les deux constructeurs ont décidé de concevoir en commun et en collaboration avec EDF et les électriciens allemands un nouveau réacteur destiné à remplacer les modèles actuels.

298. Ce projet commun dénommé European Pressurized Water Reactor (EPR) est conçu en vue d'améliorer d'une part la sûreté (notamment par une division par dix des risques de fusion du coeur et par une atténuation des conséquences à l'extérieur du site en cas d'accident grave) et d'autre part les performances techniques (par une augmentation de la disponibilité et de la durée de vie, ainsi qu'une optimisation de l'utilisation du combustible nucléaire).

299. La phase d'avant-projet détaillé a représenté 750 millions de francs sur deux ans, les études étant financées à égalité par la partie française et la partie allemande. Une coopération avec la Russie pour l'expérimentation de ce projet est envisagée. En effet, le Secrétaire d'Etat à l'industrie français, M. Christian Pierret, a été chargé de mener les négociations avec les partenaires allemands et les autorités russes pour intégrer la Russie à la fois en qualité de partenaire à part entière du projet et de pays où pourrait être construit un EPR. Cette perspective pourrait rencontrer cependant de nombreuses difficultés d'ordre financier.

300. Par ailleurs, l'avenir de la coopération entre Framatome et Siemens sur le projet EPR dépend essentiellement de la volonté du partenaire allemand de maintenir les efforts engagés. Les récentes élections en Allemagne ayant porté au gouvernement une coalition social-démocrate-verts, l'annonce a été faite d'un renoncement progressif à l'exploitation de centrales énergétiques nucléaires.

301. L'orientation interne ainsi proclamée n'aurait toutefois pas de répercussions sur les coopérations externes et la firme Siemens, engagée dans le projet, maintiendrait sa participation.

Le projet de réacteur thermonucléaire expérimental international ITER

302. La Russie participe aux travaux de recherche de ce projet international dont la poursuite est actuellement en cours de négociation.

303. Un accord de coopération entre la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA), le gouvernement du Japon, le gouvernement de la Fédération de Russie et le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique vise à la mise au point d'un projet détaillé (EDA) de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER). Le premier accord, qui a été conclu le 21 juillet 1992 pour une période de six ans, est venu à expiration le 21 juillet 1998.

304. Eu égard aux progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de l'accord ITER EDA et afin de créer le cadre qui permet d'entreprendre d'autres activités communes, la prolongation de trois ans de la durée de cet accord a été récemment décidée.

305. Il convient de noter que la prorogation de trois ans qui est en cours d'adoption s'inscrit dans le droit fil de l'accord politique auquel le Conseil des ministres de l'Union européenne est parvenu le 12 février 1998 au sujet du V e programme-cadre Euratom pour l'action clé consacrée à la fusion thermonucléaire contrôlée.

Les apports financiers

306. De nombreuses institutions concourent par des crédits ou des dons à la rénovation de l'appareil nucléaire civil de la Russie.

307. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement a ainsi institué un fonds spécial dans ce but. Mais il faut observer que la Banque a été conçue pour financer des investissements selon les règles ordinaires du crédit. A l'évidence, des investissements à très long terme et à peu près sans perspective de rentabilité calculable, comme le sont les apports financiers nécessaires à la rénovation des centrales et de l'appareil de distribution d'énergie, et plus encore la récupération des éléments nucléaires des sous-marins désarmés, voire des éléments immergés n'obéissent pas aux règles ordinaires du crédit.

308. D'ailleurs, en septembre 1998, la BERD a fait savoir que, pour la première fois, elle devrait inscrire une perte, pour un montant de 150 millions d'écus, dans son bilan des neuf premiers mois de 1998 en raison de la nécessité de prévoir une provision de 180 millions d'écus pour parer aux pertes éventuelles du fait de ses engagements en Russie (qui absorbent désormais 26 % des financements de la BERD).

309. Le programme TACIS (Technical Assistance to the Commonwealth of Independent States) et le programme PHARE réunissent outre la Communauté européenne, plusieurs partenaires occidentaux (le "G 24") désormais les principaux bailleurs de fonds de la restructuration économique dans les ex-pays soviétiques. Les crédits sont alloués après sélection des actions et des partenaires par appels d'offres.

310. Des sommes considérables ont été d'ores et déjà consacrées à l'objectif de la sécurité nucléaire, le budget alloué pour la période 1990 à 1998 se montant à 780 millions d'écus. Cependant, selon la Commission des Communautés, ce sont quelque 100 à 200 millions d'écus qu'il faudrait dégager pour adapter chacune des 50 centrales implantées dans l'ancienne aire soviétique.

311. La Cour des comptes européenne a mis en doute l'efficacité des sommes déjà investies, soulignant quelques dérives, des "consultants" se réservant la gestion des crédits pour des salaires allant jusqu'à 18 000 écus par mois ou encore une étude payée 60 millions de dollars, outre des phénomènes d'oligopoles propices à des arrangements anticoncurrentiels.

312. La Commission a admis la lourdeur des procédures d'adjudication, tandis que le Comité économique et social de la Communauté (Avis sur TACIS-98/C 214/22 du 10 juillet 1998) recommande de "créer un programme de sécurité nucléaire indépendant du programme TACIS, afin de garantir la gestion la plus efficace possible d'une activité revêtant une importance non négligeable et exigeant des ressources considérables". Mieux identifié, ce programme pourrait sans doute être géré à moindre coût et de façon plus transparente.

Le Centre russe de méthodologie et de formation (RMTC)

313. En 1994, le Minatom a créé le Centre de méthodologie et de formation en matière de protection nucléaire à l'Institut de physique et d'énergie (IPPE) situé à Obninsk, près de Moscou. Le CCR coopère avec l'IPPE dans le cadre d'un projet TACIS en vue de mettre en place cinq stages de formation à des techniques précises d'évaluation et de mesure intéressant à la fois les exploitants des centrales et les inspecteurs. Le CCR contribue également aux activités du Centre international pour la science et la technologie de Moscou, dont nous reparlerons plus loin.

314. Inauguré le 4 novembre 1998, le RMTC, ou Russian Methodological and Training Centre, centre de formation complétant le premier et également situé à Obninsk, à proximité de Moscou, a pour but de former des centaines d'inspecteurs et d'opérateurs russes aux nouvelles méthodes de contrôle et de comptabilité des matières nucléaires, selon des méthodes plus performantes et compatibles avec les normes internationales.

315. Lancé à l'initiative de l'Union européenne, et plus particulièrement de son Centre commun de recherche CCR, le projet RMTC est à mettre au crédit de la première coopération tripartite entre la Russie, les Etats-Unis et l'Europe, sa vocation étant de promouvoir une culture de sûreté et de sécurité dans le secteur du nucléaire.

316. Le RMTC sera aussi un lieu de contact entre opérateurs et inspecteurs venus de toute la Russie ainsi que des nouveaux Etats indépendants. Des discussions et des séminaires communs devraient les amener à comprendre leurs obligations respectives et la manière de s'y conformer dans l'état actuel de l'industrie nucléaire russe.

317. Ce nouveau centre sera financé par le volet "Sécurité nucléaire" du programme TACIS. L'infrastructure s'inspire du modèle du laboratoire PERLA ( Performance Laboratory ) du CCR, où sont formés des inspecteurs de l'Union européenne et ceux de l'Agence internationale de l'énergie atomique AIEA de Vienne.

318. Dans un premier temps, le CCR et les autorités russes définiront conjointement le contenu des activités du RMTC. Ce centre apparaît comme une nouvelle action de coopération qui complète l'action du CIST, en vue de former des agents aptes au contrôle des normes de sécurité et au suivi des quantités de matière nucléaire utilisées et/ou rejetées (comptabilité matières), contrôle actuellement déficient et pourtant essentiel à la sécurité des installations comme à la prévention des trafics éventuels.

La coopération dans le domaine militaire

319. Quelques programmes multilatéraux et bilatéraux ont été lancés, avec notamment le Royaume-Uni, la France, les Etats-Unis et le Japon, dans le domaine militaire, évidemment moins ouvert aux partenariats.

320. Ils visent d'une part au retraitement du plutonium issu du démantèlement des armes et à la reconversion d'une partie des personnels de l'appareil militaro-industriel.

Le programme AIDA-MOX de retraitement du plutonium militaire en vue de son usage comme combustible civil

321. Le 12 novembre 1992, les gouvernements de la République française et de la Fédération de Russie ont signé deux accords de coopération, l'un dans le domaine du démantèlement, dans des conditions de sécurité, des armes nucléaires en Russie, et l'autre dans le domaine de l'utilisation à des fins civiles des matières nucléaires issues de ces armes.

322. C'est dans le cadre de ces accords qu'a été conduit le programme AIDA-MOX, destiné à étudier la possibilité d'utiliser le plutonium issu du démantèlement des armes comme combustible pour les réacteurs nucléaires.

323. Au terme de la période initiale de quatre ans, des études ont permis d'établir l'intérêt et la faisabilité technique de l'utilisation sous forme de combustible MOX, et dans certains réacteurs nucléaires existant en Fédération de Russie, du plutonium venant du démantèlement des armes nucléaires russes.

324. Au cours du sommet de Moscou sur la sûreté et la sécurité nucléaires des 19 et 20 avril 1996, les pays du G7 et la Fédération de Russie ont décidé la tenue d'une réunion internationale d'experts sur la gestion sûre et efficace des matières fissiles militaires désignées par les pays qui les détiennent comme n'étant plus nécessaires aux besoins de défense. Cette réunion s'est tenue à Paris du 28 au 31 octobre 1996, avec pour objectif la comparaison des diverses solutions possibles pour la gestion du plutonium. Grâce aux résultats obtenus dans le cadre du programme AIDA-MOX, et au soutien apporté par l'Allemagne qui a mené des études comparables et qui est arrivée à des conclusions similaires, cette réunion a mis en évidence les nombreux avantages présentés par l'option "recyclage en réacteurs" par rapport aux autres solutions, et en particulier sa grande maturité industrielle.

325. Aussi, ce sont désormais les gouvernements français, allemand et russe qui ont lancé en commun les prochaines étapes de la coopération, de manière à permettre dans les meilleurs délais la mise en oeuvre effective d'une gestion sûre et efficace du plutonium issu du démantèlement des armes nucléaires russes.

Le Centre international pour la science et la technologie CIST

326. Le 14 avril 1997, Boris Eltsine a signé une loi fédérale sur la reconversion du complexe militaro-industriel. En vertu de cette loi, le Minatom réduit, depuis le début de 1998, le nombre de centres de recherche et d'entreprises spécialisés dans les matières militaires nucléaires. Cette réduction a permis la rationalisation de la structure étatique de commandement militaire qui, divisée en quatre sections en 1991, compte désormais deux centres militaires d'études nucléaires (auparavant au nombre de 30). Cette réduction doit se faire sans dégraissage d'effectifs, par le biais de programmes de reconversion civils. Mais la promesse de ne pas licencier de chercheurs dans le cadre du programme de restructuration est loin d'être crédible, principalement en raison du manque d'argent et du fait que la demande de scientifiques est inférieure à l'offre.

327. Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, la recherche nucléaire est en pleine déroute. Les jeunes chercheurs fuient désormais cette profession, autrefois des plus respectées, en raison des bas salaires (un chercheur est payé en moyenne environ 100 dollars par mois), de l'absence d'équipements de pointe pour la recherche et de l'accident de Tchernobyl. Les crédits affectés au secteur scientifique baissent régulièrement depuis le début des années 1980, ce qui entrave l'acquisition et la mise au point d'équipements de pointe pour la recherche. En 1996, par exemple, le secteur scientifique n'a reçu qu'environ 12 % des crédits inscrits au budget et 23 % du total 11( * ) des chercheurs ont quitté la profession.

328. Lorsque l'URSS s'est désagrégée, les restrictions à l'émigration ont commencé à être levées, incitant les chercheurs sans emploi à se tourner vers l'étranger pour trouver un travail. L'attention s'est concentrée sur les chercheurs ne pouvant pas se reconvertir dans le domaine civil, ce qui, fort heureusement, ne représente qu'un faible pourcentage de chercheurs russes. Selon une étude menée par le Minatom, 3 000 spécialistes de la recherche nucléaire ont des connaissances utiles pour la mise au point des armes nucléaires. Il convient toutefois de noter que ces chiffres ne prennent pas en compte les chercheurs dont le travail est indirectement lié au développement de ces armes (systèmes de lancement, combustibles, etc.). Mais il est rassurant de savoir que cette petite communauté scientifique est étroitement surveillée par les forces de sécurité.

329. Si l'ouverture des frontières a permis aux chercheurs russes de se mettre en quête de travail à l'étranger, elle a permis également à un certain nombre d'individus, représentant des Etats ou des organisations, d'approcher plus facilement ces chercheurs. Des pays tels que la Corée du Nord, la Libye, la Chine, l'Inde, le Pakistan, l'Iran et l'Irak ont fait des démarches empressées auprès des chercheurs nucléaires russes. On ne peut pas écarter l'éventualité que certains instituts de recherche vendent des connaissances nucléaires à ces pays sous couvert de transactions commerciales officielles. De nombreux instituts de recherche en Russie sont fortement tributaires des investissements étrangers. Il serait possible qu'une société étrangère investisse dans ces instituts pour servir de couverture à des gouvernements voulant obtenir des connaissances scientifiques pour améliorer leur propre recherche. Comme dans d'autres secteurs ayant trait au nucléaire, une grande partie du budget alloué aux instituts de recherche sert à payer le personnel dont les arriérés de salaires remontent parfois à trois mois. Le fait qu'une grande partie du budget de la science serve à payer les salaires signifie que la maintenance et l'investissement concernant les équipements et les installations ont beaucoup régressé. Dans certains instituts de recherche, les équipements utilisés sont vieux de quinze ans.

330. Il est intéressant de noter que selon un certain nombre de rapports, l'exode des cerveaux hors de la Russie serait cependant relativement peu important. Il semble que l'émigration des chercheurs ayant des connaissances dans le domaine des armes nucléaires se soit faite principalement au niveau national. Un certain nombre de chercheurs ont réorienté leurs connaissances vers le secteur civil, où les revenus sont plus élevés. Comme il a déjà été dit, ce sont ceux qui ne parviennent pas à se reconvertir et demeurent sans emploi qui sont les plus dangereux. En outre, il convient de suivre de près les chercheurs qui ont rejoint le secteur privé, principalement parce qu'il est ainsi plus facile aux gouvernements qui le souhaitent de s'approprier leurs connaissances pour faire avancer leurs propres projets en matière d'armes nucléaires. Compte tenu des difficultés économiques de la Russie, il n'est pas impossible que ces chercheurs russes vendent leurs connaissances en échange de devises fortes et d'un salaire stable. D'où l'importance de financer des projets de reconversion qui puissent dissuader les chercheurs de partager un savoir dangereux.

331. Certains programmes ont été lancés par la communauté internationale afin d'endiguer une éventuelle fuite des cerveaux de la Russie, le plus connu concernant le Centre international pour la science et la technologie (CIST). L'accord portant création de ce centre a été signé en novembre 1992 par la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA), les Etats-Unis, le Japon et la Fédération de Russie. D'autres pays tels que la Finlande et la Suède les ont rejoints en 1994. L'objectif principal du CIST est de "donner aux chercheurs et aux ingénieurs travaillant sur les armes, notamment ceux qui possèdent les connaissances et le savoir-faire liés aux armes de destruction massive ou aux systèmes de lancement de missiles, la possibilité de réorienter leurs talents vers des activités pacifiques....".

332. Depuis 1994, le CIST a financé 540 projets qui ont employé environ 21 300 scientifiques et ingénieurs (parmi lesquels 60 % avaient une compétence reconnue liée aux armes de destruction massive) provenant de plus de 280 instituts de recherche de la Communauté des Etats indépendants (CEI). Les projets présentés par le Minatom et obtenant un financement représentent 67 % des projets financés par le CIST.

333. En dehors des quatre fondateurs du CIST (Union européenne, Etats-Unis, Japon et Russie) et des pays qui, nous venons de le voir, ont adhéré à l'accord ultérieurement, la République de Corée, la Norvège, la Suède et la Finlande (ces deux derniers pays participent déjà au CIST à travers l'Union européenne), on retiendra également l'Arménie, le Biélorussie, la Géorgie, le Kazakhstan et la République de Kirghizie.

334. Au cours de l'année 1997 et de la première moitié de 1998, 29 organisations au total sont devenues partenaires du CIST, apportant ainsi de nouvelles sources de financement : le Centre européen de recherche nucléaire (CERN), l'Agence suisse pour le développement et la coopération, l'Académie nationale des sciences des Etats-Unis, Scientific Utilization Incorporated, Dow Chemical Company, Framatome, 3M, le Département américain de l'énergie, Rhône-Poulenc Industrialisation, Dupont de Nemours, Sandia National Laboratories, General Atomics, Burlington Bio-Medical and Scientific Corp., Marubeni, Hitachi Chemical Co. Ltd., General Electric, Bayer AG, Forschungs-Zentrum Karlsruhe, Mitsubishi Electric Corp., Lawrence Livermore National Laboratory, Consortium for Plasma Science, l'Agence des projets de recherche avancés, Batelle Memorial Institute, DESY, Daimler-Benz Aerospace, Hitachi Ltd., Hitachi Cable Ltd. et Nippon Mektron Ltd.

335. Quant aux projets entrepris par le CIST, ils couvrent une vaste gamme de domaines technologiques et scientifiques où, pour beaucoup d'entre eux, se posent des problèmes considérables tels que la surveillance de la radioactivité dans l'environnement, l'amélioration de la sûreté des réacteurs nucléaires ou des méthodes de gestion des déchets nucléaires, pour ne citer que ceux qui concernent l'objet de ce rapport.

336. La coopération bilatérale entre les membres de l'Union européenne et la Russie a consisté, dans un premier temps, à organiser des séminaires et à échanger des experts. Les projets concrets déjà entamés ont inclus ultérieurement une coopération directe entre les usines de retraitement du Royaume-Uni et de la Russie, une coopération entre les centrales françaises et russes, une coopération entre la Suède, la Finlande et l'Allemagne d'une part et l'Ukraine, le Kazakhstan, les pays baltes d'autre part, notamment pour le développement de systèmes locaux de comptabilité des matières nucléaires, ainsi qu'une coopération entre la Finlande et les autorités fédérales et régionales russes en vue de surveiller les risques et de renforcer les contrôles aux frontières.

Autres coopérations bilatérales dans le domaine militaire

337. En ce qui concerne plus précisément le secteur nucléaire militaire, selon les informations que possède votre rapporteur, l'aide bilatérale des Etats membres de l'OTAN à la Russie dans le cadre des accords SSD de démantèlement en toute sécurité (Safe and Secure Dismantlement) s'établissait comme suit, fin novembre 1997 :

- La France et la Russie ont signé les accords SSD suivants : accord général ; accord sur l'utilisation des matières nucléaires à des fins civiles (proramme d'étude étalé sur quatre ans) ; accord d'assistance en matière d'équipement de surveillance et de protection radiologiques ; accord sur la sûreté du démantèlement des têtes nucléaires  ; accord sur le transport en toute sécurité des armes nucléaires ; accord sur la construction d'une installation de stockage des composants hydrogénés ; accord sur une étude conjointe concernant la reconversion du plutonium de qualité militaire (également avec l'Allemagne).

- L'Allemagne et la Russie ont signé un accord général d'assistance pour l'élimination des armes nucléaires chimiques de la Fédération de Russie, un projet d'accord sur les équipements d'intervention en cas d'accident nucléaire, un projet d'accord sur la destruction des armes chimiques et un accord sur une étude conjointe sur la reconversion du plutonium de qualité militaire, auquel participe la France.

- L'Italie et la Russie ont signé un accord de coopération sur l'élimination des armes nucléaires assujetties à réduction dans la Fédération de Russie.

- Les Pays-Bas et la Russie ont signé un accord général et ont étudié un avant-projet sur la décontamination du sol des sites de stockage et de destruction de la lewisite et des sols avoisinants. Il existe également trois projets de suivi sous réserve des décisions politiques nécessaires.

- Le Royaume-Uni et la Russie se sont mis d'accord sur le principe d'une assistance britannique et ont signé un mémorandum d'entente prévoyant l'envoi de 20 véhicules de transport et de 250 super-conteneurs pour le transport et le stockage en sécurité des armes nucléaires.

- Le Canada et la Russie sont convenus de coopérer à la réglementation concernant le contrôle et la comptabilité des matières et la reconversion dans le domaine de la défense.

- Les Etats-Unis et la Russie, outre un accord général, ont signé des accords sur la livraison d'équipements d'intervention d'urgence et la formation s'y rapportant ; des blindages de protection (programme terminé : 2 520 livrés) ; des conteneurs de stockage et de transport des matières/composants fissiles ; l'amélioration de la sûreté des wagons russes servant au transport d'armes nucléaires ; l'étude d'une installation de stockage des matières fissiles provenant des armes démantelées ; la destruction des armes chimiques ; le démantèlement des armes stratégiques offensives ; des équipements d'installation de stockage de matières fissiles ; le contrôle et la comptabilité des matières nucléaires ; la sûreté du transport des têtes nucléaires ; l'amélioration de la sûreté de stockage des têtes nucléaires et la reconversion en matière de défense.

338. La totalité des fonds engagés dans les programmes d'aide liée au démantèlement des armes de destruction massive en Russie se décompose comme suit : France, 32 millions de dollars, Allemagne, 30,1 millions de dollars, Italie, 10 milliards de lires, Pays-Bas, 6 millions de dollars, Royaume-Uni, 63 millions de dollars et Etats-Unis, 567,5 millions de dollars.

339. En ce qui concerne les autres programmes liés aux précédents, les chiffres sont les suivants : reconversion des industries de défense : Etats-Unis, 48 millions de dollars et Canada, 750 000 de dollars canadiens ; Centre international pour la science et la technologie de Moscou : Union européenne, 29 millions de dollars, Etats-Unis, 45 millions de dollars, Japon, 17 millions de dollars ; sûreté des réacteurs nucléaires-protection de l'environnement : Canada, 10 millions de dollars canadiens, Allemagne, 40 millions de dollars ; réinsertion/stages de recyclage des officiers  : Allemagne, 93 millions de dollars, Royaume-Uni, 3,3 millions de livres.

340. Deux comités de l'OTAN, le Comité scientifique et le Comité sur les défis de la société moderne (CDSM) étudient très activement les problèmes d'environnement, particulièrement dans la mesure où ils affectent la sécurité au sens large.

341. Le programme scientifique, selon le Dr. Deniz Beten, Directeur du programme du CDSM de l'OTAN, comporte diverses activités dans le domaine de la sécurité de l'environnement : le domaine prioritaire n° 1, "Technologies du désarmement" et le domaine prioritaire n° 2, "Sécurité liée à l'environnement" ainsi que le programme "Science au service de la paix". Dans le cadre du domaine prioritaire n° 1 sont étudiés les problèmes scientifiques liés aux technologies du désarmement, y compris la destruction des armes nucléaires, biologiques et chimiques et la reconversion des industries de défense. Le domaine prioritaire n° 2 a trait aux problèmes scientifiques liés à l'environnement, y compris l'assainissement des sites militaires contaminés, les problèmes d'environnement régionaux et les catastrophes naturelles provoquées par l'homme. Toute une série de mécanismes de coopération servent à apporter une assistance dans ces domaines en favorisant les échanges entre les milieux scientifiques qui avaient été artificiellement séparés durant des décennies. Ces échanges sont à double sens ; autrement dit, ils profitent aux deux parties, mais ils n'entrent pas dans le cadre d'un programme d'assistance.

Le programme Science au service de la paix Science for Peace (SfP)

342. Le programme "Science au service de la paix" (SfP) consiste à aider les pays partenaires dans leur passage à l'économie de marché et l'assainissement de leur environnement. Le SfP met en oeuvre des projets en matière de science et de technologie appliquées aux problèmes industriels et d'environnement. En ce qui concerne le CDSM, plusieurs importantes études pilotes traitant des problèmes d'environnement associés aux activités militaires ont été menées dans le cadre de ce programme, selon M. Beten. Une de ces études, co-pilotée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, porte sur "le secteur de la défense face aux attentes en matière d'environnement". Une autre importante étude pilote du CDSM concerne les problèmes d'environnement transfrontaliers. Elle est conduite par la Norvège et l'Allemagne avec la participation de sept autres pays de l'OTAN et de 11 partenaires de la Coopération, y compris la Fédération de Russie. La Finlande et le Japon les ont rejoints plus tard en tant qu'observateurs. L'expérience japonaise menée sur les sous-marins perdus et sur l'immersion de déchets nucléaires dans la mer d'Okhotsk et la mer du Japon est particulièrement intéressante.

343. Les résultats de la première phase de cette étude montrent que le niveau de radioactivité relevé dans les régions arctiques de la Russie est très faible. Cependant, il existe un risque de fuite ultérieure qui nécessite une surveillance et une évaluation. La deuxième partie de cette étude sera centrée sur l'évaluation du risque résultant de la mise hors service des sous-marins nucléaires ainsi que sur la gestion et le stockage des combustibles irradiés et des déchets radioactifs.

344. On considère à l'OTAN que tout ce qui concerne la sûreté de l'environnement correspond aux compétences et aux moyens de l'Organisation, comme l'expose le projet de nouveau concept stratégique de l'Alliance (qui doit être soumis aux alliés au sommet de Washington en avril 1999), où l'on affirme que "la sécurité et la stabilité ont des aspects politiques, économiques, sociaux et liés à l'environnement, ainsi qu'une dimension de défense indispensable".

345. Il convient enfin d'ajouter que c'est dans le cadre des accords bilatéraux de coopération franco-russes de novembre 1992, dont l'un porte sur le démantèlement dans des conditions sûres des armes nucléaires en Russie et l'autre sur l'utilisation à des fins civiles des matières nucléaires issues de ces armes, qu'a été mené le programme AIDA-MOX consistant à étudier les possibilités d'utiliser le plutonium provenant du démantèlement des armes nucléaires comme combustible pour les réacteurs nucléaires civils. Ces études ont permis de constater l'intérêt et la faisabilité technique de l'exploitation de ce plutonium dans certains réacteurs nucléaires existant dans la Fédération de Russie.

346. En avril 1996, les pays du G7 et la Russie sont convenus de tenir une réunion internationale d'experts sur la gestion sûre et efficace des matières fissiles nucléaires désignées par les pays qui les détiennent comme n'étant plus nécessaires aux besoins de défense. Cette réunion, qui s'est déroulée à Paris en octobre 1996, avait pour objectif de comparer les diverses solutions possibles pour l'exploitation du plutonium. Les résultats obtenus par le programme AIDA-MOX ainsi que ceux auxquels est parvenue l'Allemagne aboutissent à la même conclusion, à savoir que l'option recyclage en réacteurs présente plus d'avantages que toute autre solution et que, sous l'angle industriel, elle est suffisamment au point. L'accord de coopération franco-russe correspondant a été signé en septembre dernier.

Exercices communs UEO-Russie

347. Depuis l'extension des missions ouvertes à l'UEO lors du sommet de Petersberg, la prévention des crises entre dans les tâches auxquelles l'UEO peut participer.

348. En raison de leur caractère spécifique, tout accident nucléaire, y compris s'il survenait dans une centrale civile, exigerait la mobilisation de moyens militaires : information des populations et alerte des pays voisins, édiction et contrôle de restrictions de circulation et/ou transferts de population, distribution de médicaments, maintien de l'ordre public.

349. Aussi, en raison de cette nécessaire mobilisation de moyens militaires, les organes de l'UEO devraient étudier la possibilité d'organiser, à partir d'un scénario de simulation d'accident nucléaire, une réponse coordonnée entre les forces terrestres russes et leurs homologues des Etats membres de l'UEO, y compris les Etats bénéficiant du statut d'associés partenaires.

350. En effet, l'accident de Tchernobyl a mis en lumière, outre les problèmes de sûreté des centrales, certaines lacunes dans la gestion des conséquences de l'accident, lenteur de l'information internationale et retard dans les réponses sanitaires : évacuation des populations, interdiction de circulation, distribution de comprimés iodés.

V. Conclusions

351. C'est une évidence d'affirmer que le problème de la sécurité nucléaire ne concerne pas exclusivement la Russie, ni même les pays qui formaient l'ex-Union soviétique. C'est un problème qui touche en premier lieu tous les pays dotés d'installations nucléaires et/ou d'armes atomiques et en second lieu l'ensemble de la communauté internationale, puisque les répercussions d'un incident nucléaire seraient de nature à affecter la planète tout entière.

352. Cela dit, il est clair que c'est dans les pays de l'ex-Union soviétique, et plus particulièrement en Russie, que le problème est aggravé par une série de facteurs spécifiques, liés principalement à l'absence de culture de sécurité et à l'état chaotique de l'économie russe.

353. D'un autre côté, il serait injuste d'oublier le très haut niveau de la recherche scientifique russe, en particulier de la communauté scientifique nucléaire, qui possède une expérience et un savoir-faire exceptionnels et, dans certains domaines, uniques au monde.

354. La communauté internationale est consciente du problème, et l'on ne compte plus les organisations internationales, les pays et les entreprises qui coopèrent avec la Russie dans le domaine du nucléaire tant civil que militaire. Cette multiplicité des acteurs explique l'absence de coordination entre les différentes initiatives que l'on peut observer, et on a, en outre, le sentiment que la Russie ne reconnaît pas aux accords et aux engagements auxquels elle souscrit un caractère vraiment contraignant.

355. Que la situation en Russie soit réellement préoccupante est attesté par la décision prise par le G7 de consacrer une réunion spéciale au thème de la sécurité des centrales nucléaires de ce pays, réunion qui s'est tenue à Moscou en avril 1996. La situation ne semble guère avoir évolué depuis.

356. Mais c'est dans le domaine du nucléaire militaire que la situation est véritablement critique. La péninsule de Kola, qui abrite les bases navales de Severomorsk et de Mourmansk, est considérée par beaucoup comme le lieu le plus dangereux de la planète, et il ne semble pas que
les mesures adoptées jusqu'ici soient susceptibles de réduire notablement ce risque.

357. Par ailleurs, le procès d'Alexandre Nikitine, ex-officier de marine russe, qui se déroule en ce moment à Moscou, ne contribuera pas à résoudre le problème et rappelle en outre par trop les méthodes de l'ancien régime soviétique qui ont, à l'évidence, du mal à disparaître.

358. Nous ne disons rien de nouveau en affirmant que la situation du nucléaire civil et militaire en Russie constitue un risque pour la sécurité mondiale et en particulier pour la sécurité en Europe.

359. L'UEO est de ce fait appelée à jouer un rôle de premier plan dans l'analyse du problème, la recherche de solutions et la coordination de l'aide nécessaire pour le résoudre.

360. A diverses reprises, le Conseil de notre Organisation a invité cette Assemblée à lui soumettre des suggestions et des propositions concernant la Russie, dans le but d'améliorer, de stimuler et de développer les liens entre ce grand pays et l'UEO. Or, c'est bien là un domaine dans lequel doit exister un intérêt mutuel de coopération. La sécurité en Europe est le domaine de coopération le plus juste et le plus adapté dans le cadre de toute relation entre l'UEO et la Russie.

361. Enfin, n'oublions pas les paroles prononcées par l'inspecteur général du ministère de la défense chargé de la surveillance nucléaire  : cela aurait dû être fait hier. Nous ajouterons seulement qu'il sera peut-être trop tard demain, et que la seule attitude sensée est de nous mettre aujourd'hui au travail ensemble pour déterminer la forme de coopération la plus adaptée.

ANNEXE I

GLOSSAIRE

ABM Missiles anti-balistiques

AEPS Stratégie de protection du milieu arctique

AIDA Programme d'aide au démantèlement des armes nucléaires en Russie

AIEA Agence internationale de l'énergie atomique

BERD Banque européenne de reconstruction et de développement

CCR Centre commun de recherche Commission européenne

CDSM Comité sur les défis de la société moderne

CEEA Communauté européenne de l'énergie atomique

CEG Groupe de contact d'experts

CSN Compte pour la sûreté nucléaire

EPR Réacteur à eau pressurisée européen

GAN Comité d'Etat pour la surveillance de la sûreté nucléaire et radiologique

HEU Uranium fortement enrichi

ICBMs Missiles balistiques intercontinentaux

IPPE Institut de physique et d'énergie

ISTC Centre international pour la science et la technologie

LEU Uranium faiblement enrichi

MINATOM Ministère de l'énergie atomique

MIRVs Vecteurs à têtes multiples indépendamment guidables

MOX Mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium

MPC&A Protection, contrôle et comptabilité des matières

NUSAC Coordination de l'aide en matière de sûreté nucléaire

PALS Système de sécurité mettant une arme nucléaire stratégique hors service

RBMK Réacteur à modérateur graphite

ROSENERGOATOM Centre d'Etat russe pour la production d'énergie électrique et thermique dans les centrales nucléaires

SEC NRS Centre d'études scientifiques et techniques pour la sûreté nucléaire et radiologique

SfP Programme "Science au service de la paix"

SLBM Missile balistique lancé de sous-marin

START Traité sur la réduction des armes stratégiques

TACIS Assistance technique à la Communauté des Etats indépendants

VVER Réacteurs à eau pressurisée

ANNEXE II

Centrales nucléaires de conception soviétique en Europe

ANNEXE III

Infrastructure des armes nucléaires de la Russie

LES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION
FRANÇAISE A L'ASSEMBLÉE
DE L'UNION DE L'EUROPE
OCCIDENTALE


44 ème session ordinaire
(mai 1998 - décembre 1998)

Le présent rapport retrace l'activité des membres de la Délégation française, composée de 12 sénateurs (6 titulaires, 6 suppléants) et de 24 députés (12 titulaires, 12 suppléants) à l'Assemblée de l'Union de l'Europe Occidentale qui a consacré ses principaux débats à la configuration d'une Europe de la Défense, entre OTAN et Union européenne, ainsi qu'à l'adaptation opérationnelle de l'UEO pour répondre aux crises, notamment dans les Balkans.



(1) cf. article de l'International Herald Tribune du 2 décembre 1998 " Paris joins London on a push for defense ".

2 cf. Chapitre III. Les principales activités de l'Assemblée de l'UEO en dehors des sessions pour 1998.

1 Source : Electricité de France .

2 Garanties et sûreté nucléaires à l'Est, Rapport final, PE 166 083/fin .

2 Les données et analyses du présent chapitre sont empruntées à l'Avis de M. René Galy-Dejean, Député, au nom de la Commission de la Défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale française. Avis A.N. n° 1114 du 08.10.98.

3 Cf. Avis de M. René Galy-Dejean, Député -
Avis A.N. n° 1114 du 08.10.98 Op.cit.

4 Déclarations conjointes des présidents William Clinton et Boris Eltsine (Source : USIA Traduction du ministère des affaires étrangères, France).

5 The Non-proliferation Review, hiver 1996, page 20.

6 The Non-proliferation Review, hiver 1996, page 35.

7 The Bulletin of the Atomic Scientists, mai/juin 1994, page 41.

8 Cf. Avis de M. René Galy-Dejean, Député, Avis A.N. n° 1114 - 08.10.98 - Op.cit.

9 Congrès international sur " La sûreté des sources de rayonnement et la sécurité des sources radioactives ", qui s'est tenu au Palais des Congrès - Exposition de Dijon du 14 au 18 septembre 1998.

10 Cf. Avis de M. René Galy-Dejean, Député.
Avis A.N. n° 1114 - 08.10.98 - Op.cit.

11 Jane's International Defense Review, février 1997, page 23.




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