CHAPITRE PREMIER

LA T.V.A " PIÈCE MAÎTRESSE " DU
SYSTÈME FISCAL FRANÇAIS

I. BREF RETOUR HISTORIQUE

La TVA s'inscrit dans un mouvement né après la première guerre mondiale et consistant en une mutation des contributions indirectes qui, au terme d'un long processus, a abouti à la taxation généralisée des mouvements commerciaux.

Afin de clarifier le système de la taxation du chiffre d'affaires, mais également de dépénaliser les investissements, a été instituée pour la première fois en 1954 en France la TVA, à l'initiative de Maurice Lauré qui en avait formulé les règles essentielles en 1953.

Les taxes à la production et sur les transactions ont ainsi été remplacées par une seule taxe portant sur la valeur ajoutée, calculée sur la différence entre le prix de vente et le prix d'achat. Le taux en était de 20 % et il comportait des majorations s'élevant jusqu'à 23 et 25 %, ainsi que des taux réduits de 10 et 6 %.

S'en est suivi un long processus de généralisation de son champ d'application, au gaz et à l'électricité en 1951, aux opérations immobilières en 1963, aux ventes du commerce de détail en 1966...

Cette généralisation a abouti, par application des directives européennes, à l'extension de la TVA à toutes les activités économiques réalisées à titre onéreux et notamment aux activités non commerciales. En outre, ainsi que le relève André Neurisse 1( * ) , " les taux de la TVA n'ont cessé de connaître des modifications dans leur nombre comme dans leur niveau. A l'origine, il y avait cinq taux différents, plus deux pour les prestations de services ; il ne demeure plus aujourd'hui, mis à part le taux zéro pour les exportations, que deux taux principaux : un taux normal et un taux réduit, auxquels s'ajoute un taux particulier pour certains spectacles ou certains médicaments ".

Caractères généraux de la TVA

1. Le champ d'application de la TVA est très large . Les opérations imposables comprennent les opérations effectuées à titre onéreux par un assujetti et celles spécialement désignées par la loi. La loi prévoit cependant un certain nombre d'exonérations. Certaines opérations normalement exonérées peuvent être taxées par voie d'option. Par ailleurs, la TVA comporte un caractère territorial, en ce sens qu'elle s'applique seulement aux opérations imposables considérées comme localisées en France. Enfin, le trafic international des biens fait l'objet de règles particulières.

2. En ce qui concerne l'assiette (c'est à dire la détermination de la base d'imposition) et le moment où interviennent le fait générateur et l'exigibilité de la taxe, les règles applicables varient suivant la nature des opérations : livraisons ou prestations de services.

3. Si l'on excepte les taux spécifiques qui s'appliquent à des opérations déterminées, le nombre des taux de TVA est en France métropolitaine de deux.

4. La TVA repose sur le régime des déductions . L'objectif est de faire en sorte qu'à chaque stade de la production et de la distribution, la taxe frappe seulement la " valeur ajoutée " (c'est à dire la plus-value conférée au produit) de telle façon qu'à la fin du cycle suivi par ce produit, la charge fiscale globale l'ayant finalement grevé corresponde à la taxe calculée sur le prix de vente du consommateur.

5. Les obligations des redevables concernent notamment la tenue de la comptabilité, la facturation, les déclarations de chiffre d'affaires et le paiement de l'impôt.

6. L'étude de la TVA ne serait pas complète sans l'exposé de divers régimes particuliers . Les deux premiers régimes particuliers ont trait à l'agriculture et aux activités immobilières : opérations de construction (TVA " immobilière ") et régime des marchands de biens et lotisseurs.

Les autres régimes particuliers concernent : le régime de la suspension de taxe, les déchets neufs d'industrie et de matières de récupération, les produits pétroliers, les biens d'occasion, oeuvres d'art, objets de collection ou antiquité, les commissionnaires et autres intermédiaires, les tabacs, les agents de voyages, la presse, les spectacles, les auteurs et artistes interprètes, les travaux immobiliers et enfin les opérations bancaires et financières. Il existe également des particularités concernant les DOM et la Corse . Les petites entreprises ont un régime propre (forfait, régime simplifié, franchises et décotes).

Source : Mémento pratique F. Lefebvre 1998

II. 44 % DES RECETTES FISCALES DE L'ETAT

La TVA est un impôt général de consommation qui concerne tous les biens et services consommés ou utilisés en France, qu'ils soient d'origine nationale ou étrangère.

Impôt à fort rendement, il est considéré comme la " pièce maîtresse " du système français des taxes sur les chiffres d'affaires. Son poids parmi les recettes fiscales de l'Etat en fait, le cas échéant, un instrument essentiel d'action. Les recettes de TVA, nettes des remboursements, étaient évaluées pour 1999 à 673.970 millions de francs dans la loi de finances. Elles représentaient ainsi 43,95 % des recettes fiscales nettes, d'un montant total estimé à 1.533.329 millions de francs.



Source : Cour des Comptes

Ainsi le gouvernement avait estimé lors de la discussion de la loi de finances pour 1998 2( * ) la perte de recettes pour l'Etat résultant du passage du taux normal de TVA de 20,6 % à 19,5 % à la somme de 31 milliards de francs. De même il évaluait cette perte à 4,4 milliards de francs dans l'hypothèse où le taux réduit serait de 5 % et non plus de 5,5 %.

III. DE QUELQUES BAISSES RÉCENTES DE TVA

Le gouvernement affirme avoir réalisé depuis deux ans près de 13 milliards de francs de baisse de TVA ou de mesures équivalentes. En réalité, les baisses de TVA, stricto sensu, s'élèvent à 8,4 milliards de francs conformément au tableau ci-après, auxquelles le gouvernement joint deux autres mesures " équivalentes à des baisses de TVA " d'un montant de 4,1 milliards de francs 3( * ) .

Les baisses de TVA décidées depuis 1997

Mesures

Texte

Coût (en millions de francs)

Travaux de réhabilitation des logements sociaux locatifs

LFI 1998

2.350

Médicaments soumis à autorisation temporaire d'utilisation


LFR 1997


70

Construction et travaux sur les logements foyers

DDOEF 1998

550

Abonnement pour la fourniture de gaz et d'électricité

LFI 1999

4.000

Appareillages pour les diabétiques et certains handicapés

LFI 1999

200

Collecte, tri et traitement des déchets

LFI 1999

400

Exonération de TVA sur les terrains à bâtir

LFI 1999

800

Total

 

8.370

Source : Ministère de l'économie

Il convient de relever, s'agissant de ces baisses, que la mesure destinée aux ménages modestes qui a consisté à diminuer le taux de TVA applicable aux abonnements pour la fourniture de gaz et d'électricité a représenté, avec 4 milliards de francs, près de la moitié de l'ensemble de ces baisses. Or, non seulement son effet pour les ménages a été homéopathique 4( * ) , mais elle n'a pas bénéficié " tout particulièrement " aux ménages modestes comme le soutenait le gouvernement. Son impact est en effet d'autant plus grand que la consommation est forte et, partant, le ménage " aisé " ainsi que votre rapporteur général avait alors tenu à le souligner 5( * ) .

Le commentaire de votre commission des Finances sur la diminution du taux de TVA applicable aux abonnements pour la fourniture de gaz et d'électricité.

Cette mesure aura un effet homéopathique .

Cette mesure " en faveur de la justice sociale " représente à elle seule avec un coût estimé à 4 milliards de francs, près de la moitié des allégements fiscaux que le gouvernement déclare affecter à tous les ménages dans le projet de loi initial (8,9 milliards de francs au total). Par ailleurs, elle concentre 85,1 % des mesures de " baisse ciblée " de TVA figurant dans ce projet de loi de finances.

De plus, comme l'a justement relevé le rapporteur général de la commission des Finances à l'Assemblée nationale, " l'impact est limité pour chaque ménage considéré individuellement " .

Il ressort en effet des informations fournies par le ministère de l'économie que pour la majorité des abonnés cette baisse sera homéopathique.

S'agissant des abonnements à l'électricité, sur 26,9 millions de clients :

- 14,5 % d'entre eux bénéficient d'une réduction annuelle de moins de 20 francs (de 19,48 francs en moyenne) ;

- 79,5 % verront leur facture allégée de moins de 100 francs 6( * ) .

S'agissant des abonnements au gaz, sur 9,15 millions de clients, l'allégement annuel sera :

- pour 38 % d'entre eux de moins de 30 francs (28 francs) ;

- pour 93,9 % d'entre eux de moins de 100 francs.

Cette mesure ne bénéficiera pas " tout particulièrement " aux ménages modestes comme le soutient le gouvernement

Il semble en effet excessif, s'agissant des abonnements à l'électricité 7( * ) de présenter, ainsi que le fait le gouvernement , cette mesure comme devant " bénéficier tout particulièrement aux ménages de condition modeste pour lesquels l'abonnement au gaz ou à l'électricité constitue une dépense relative plus importante que pour les ménages aisés ".

Il apparaît au contraire que le poids relatif de l'abonnement s'accroît en même temps que la consommation . L'abonnement n'est pas en effet un coût fixe d'importance dégressive mais au contraire un élément variable à caractère progressif 8( * ) .

Si l'on considère, que les plus gros consommateurs d'énergie sont a priori les " ménages aisés " pour reprendre la terminologie du gouvernement, ceux-ci vont donc bénéficier en priorité de cette baisse du taux de la TVA.

Cela signifie que la baisse de TVA sur l'abonnement à l'électricité qu'elle soit mesurée en valeur absolue ou en valeur relative, ne bénéficiera donc pas " tout particulièrement aux ménages modestes " comme le prétend le gouvernement. En effet, son impact sera d'autant plus important que la consommation est forte et, partant, le bénéficiaire " aisé ".

Votre rapporteur ne s'en indigne pas, mais il croît devoir réagir à l'égard d'une présentation de cette mesure fort éloignée de la réalité.

IV. L'INDISPENSABLE EUROPE

La présente étude a pour objet d'apprécier les " marges de manoeuvre " dont dispose la France en matière de libre détermination des taux, au regard des règles communautaires.

Il est en effet indispensable, dans le cadre d'un marché unique où circulent librement les biens et les services, que soient harmonisées les règles applicables au taux de TVA. En l'absence d'une telle harmonisation se développeraient des pratiques de " dumping fiscal " ou des différences d'imposition sources de distorsions de concurrence.

Ainsi tous les Etats-membres de la Communauté européenne ont instauré un système de TVA en principe conforme à la 6 ème directive du Conseil n° 77/388 CEE du 17 mai 1977, relative à l'harmonisation des législations des Etats-membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, dite " 6 ème directive TVA de 1977 ".

Cette directive a été ultérieurement modifiée ou complétée par de nombreux autres textes, et notamment par la directive n° 91/680/CEE du 16 décembre 1991 qui a fixé le régime applicable aux opérations intra-communautaires ou la directive n° 92/77/CEE du 19 octobre 1992 relative aux normes applicables en matière de taux.

Par ailleurs, en attendant l'adoption d'un système commun ou régime définitif de TVA, c'est le régime transitoire actuel de taxation des échanges entre les Etats-membres qui continue de s'appliquer, en vertu de l'article 28 terdecies de la 6 ème directive précitée.

L'ensemble des aspects relatifs au passage au régime définitif de TVA a été abondamment développé par votre rapporteur, notamment dans son rapport fait au nom de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne : " Pour ou contre le futur système de TVA en Europe ? " 9( * ) ou dans son récent rapport sur une proposition de résolution concernant ce même régime définitif 10( * ) .

La mise en place du système commun de TVA : une ambition toujours impossible 11( * ) .

Avec l'examen de la proposition de résolution portant sur une proposition de directive (n° E-1193) permettant au Conseil de prendre une décision sur le niveau du taux minimum et maximum en matière de taux normal de la TVA, il s'agissait de réaffirmer le principe selon lequel les propositions de la Commission européenne visant à mettre en place un système commun de TVA ne pourront pas être retenues tant que toutes les conditions pour le passage au régime définitif n'auront pas été réunies .

La commission des Finances souhaitait par ailleurs rappeler la constance de ses préconisations s'agissant du passage au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

En effet, ainsi que le soulignait la Commission européenne dans l'exposé des motifs de sa proposition de directive, celle-ci " s'inscrit dans la logique de la Commission de 1995 sur le même sujet. La situation n'a pas fondamentalement changé depuis ".

Aussi, votre rapporteur ne pouvait que rappeler les propos qu'il tenait déjà, au nom de la commission des Finances, sur cette même question en octobre 1997 : " Sous des aspects techniques, ces questions sont de nature à entraîner des bouleversements économiques et leur enjeu pour la construction européenne est important. C'est pourquoi, votre rapporteur estime qu'il convient de faire preuve à leur sujet d'une certaine prudence et du plus grand pragmatisme " 12( * ) .

Le régime commun de TVA se présentait comme une ambition toujours impossible et aurait des conséquences difficilement soutenables. Il risquait non seulement d'entraîner des distorsions de concurrence majeures, de conduire à une harmonisation trop rapide des taux tandis que le mécanisme de compensation préconisé se révélait être d'une fiabilité douteuse.

Votre rapporteur avait donc estimé préférable d'améliorer le régime transitoire. Il avait détaillé les améliorations préconisées, tant en terme de lutte contre la fraude, de réduction des divergences que de lacunes juridiques à combler. Il avait par ailleurs fait le point sur les premiers résultats enregistrés depuis deux ans et mis en évidence les chantiers restant à relancer.

Cette proposition de résolution est devenue la résolution du Sénat le 26 mai 1999. 13( * )

En définitive, en matière de TVA et notamment de fixation du taux, le système est conçu comme devant respecter la primauté du droit communautaire. Cela a pour effet de ne rendre les lois et règlements français applicables que pour autant qu'ils soient compatibles avec les objectifs définis par les directives en vigueur. Cette position constante est ainsi régulièrement rappelée par le gouvernement français notamment dans les réponses aux questions écrites qui lui sont adressées sur ces sujets.

S'agissant des relations entre " TVA et règles communautaires ", et plus précisément des " marges de manoeuvres dont dispose notre pays pour faire évoluer le taux de TVA par rapport aux règles communautaires ", celui-ci y apportait récemment la réponse suivante 14( * ) :

" La directive 92/77/CEE du 19 octobre 1992 relative au rapprochement des taux de TVA dans l'Union Européenne autorise chaque État membre à appliquer un taux normal de TVA qui est fixé à un pourcentage de la base d'imposition pour les livraisons de biens comme pour les prestations de services et qui ne peut pas être inférieur à 15 %. Elle permet, par ailleurs, aux États membres d'appliquer un ou deux taux réduits qui ne peuvent pas être inférieurs à 5 % et qui s'appliquent uniquement aux biens et services repris dans la liste figurant dans l'annexe H de cette même directive. L'application du taux réduit de la TVA à ces biens et services est toutefois facultative. En outre, la commission doit, aux termes de la directive, produire tous les deux ans un rapport sur le champ d'application des taux réduits, dans lequel elle peut proposer une modification de l'annexe H. Il en résulte que toute modification de cette liste ne peut intervenir qu'à la seule initiative de la Commission européenne et doit être adoptée à l'unanimité par les Etats-membres ".

L'objet de la présente étude est d'expliciter cette situation qui n'est malheureusement pas toujours aussi claire que l'on pourrait le supposer ou le souhaiter. Elle ne peut pas, en outre, viser à l'exhaustivité eu égard à la richesse de la matière. Par ailleurs, elle ne porte que sur les taux applicables en France continentale : les départements d'outre mer et la Corse disposant d'un régime propre qui ne sera pas évoqué dans le cadre de la présente étude.

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