2. La concurrence fiscale est déjà vive en Europe

Parmi les difficultés majeures de tout travail sur la concurrence fiscale figure celle d'établir des indicateurs fiables révélant l'existence de tels phénomènes. Ce problème, déjà important lorsqu'il s'agit d'analyser les phénomènes ponctuels de concurrence fiscale, devient considérable lorsqu'il s'agit de raisonner sur de grands agrégats.

En ce sens, il est certes loisible d'observer, d'une part, l'augmentation du taux de pression fiscale et d'autre part, l'hétérogénéité des structures et des niveaux de prélèvements en Europe.

Source : OCDE. Statistiques des recettes publiques. 1997.

A partir de l'idée que la concurrence fiscale aurait du se traduire par une baisse du taux de pression fiscale globale et par une homogénéisation des niveaux et des structures de prélèvements obligatoires, on pourrait en inférer que la concurrence fiscale entre pays européens appartient seulement au domaine du virtuel.

Une telle conclusion serait erronée. L'évolution et la situation d'ensemble des prélèvements obligatoires en Europe n'autorisent pas en soi à conclure à l'inexistence de la concurrence fiscale entre pays européens. En revanche, les exemples abondent de pratiques fiscales concurrentielles.

Les phénomènes de concurrence fiscale ne peuvent être correctement mesurés qu'à partir de données fines. Toute référence trop globale risque en effet d'être trompeuse. La seule considération d'indicateurs globaux ne renseigne que peu sur la composante fiscale des décisions des agents économiques qui ne dépendent pas des taux moyens apparents de prélèvements mais des taux marginaux effectifs qu'ils supportent.

En outre, la comparaison des différentes structures nationales de prélèvements en fonction de leur nature, si elle a le mérite de la simplicité, ne reflète pas en soi l'incidence économique de ces prélèvements.

Mais, pour s'en tenir dans un premier temps aux grandes caractéristiques des systèmes fiscaux européens qu'on vient de mentionner, il convient de dissiper les interprétations erronées qu'on pourrait en donner.

Les écarts de fiscalité en Europe, plutôt que de traduire l'absence de concurrence fiscale entre Etats, pourraient bien être le résultat d'une compétition sourde et, en tout cas, manifestent l'existence d'une hiérarchie des performances des Etats en matière de compétitivité fiscale.

La hausse tendancielle de la pression fiscale en Europe qui concerne des données très agrégées a été très variable selon les États. Forte en France, elle a été beaucoup plus mesurée en Allemagne ou au Royaume-Uni par exemple. Si l'on ne peut établir que dans ces pays la maîtrise de la dérive des prélèvements obligatoires serait le reflet de pratiques fiscales concurrentielles, une telle hypothèse mérite d'être posée et soigneusement étudiée.

Le maintien d'une certaine hétérogéïté des systèmes fiscaux en Europe ne peut quant à lui servir de démonstration à l'absence de concurrence fiscale.

Sans doute, de la même manière que pour l'évolution de la pression fiscale globale, il paraît difficile de conclure sans plus d'examen que les écarts de niveau constatés entre États ou ceux concernant la structure des prélèvements obligatoires résulteraient de stratégies gouvernementales axées autour de la recherche d'un avantage concurrentiel dans le domaine fiscal.

Pour autant, il serait pour le moins paradoxal de fonder sur la diversité des niveaux et modes de prélèvements le diagnostic d'une absence de concurrence fiscale. On est naturellement plus enclins à y voir le résultat d'une telle concurrence même si d'autres facteurs peuvent jouer.

On peut probablement tirer du constat de l'hétérogénéité fiscale en Europe une autre conclusion. Si hétérogénéité fiscale il y a, il est assez probable que certains "se débrouillent " mieux que d'autres, ce qui pourrait inciter les États les moins performants à s'ajuster.

Ces développements soulignent tout l'intérêt d'une tentative de typologie des États en fonction de la compétitivité de leurs systèmes fiscaux.

Il convient sans doute de mesurer plus finement les performances divergentes de chacun sous cet angle. La probabilité d'écarts significatifs semble importante compte tenu de la variété des systèmes fiscaux en Europe et des phénomènes de concurrence fiscale déjà observables. Ils pourraient augurer d'une recrudescence des tensions fiscales entre États européens.

En toute hypothèse, ces écarts sont l'expression d'une diversité des situations d'ores et déjà acquises par les différents États sur l'échelle de la compétitivité fiscale qui, au fond, est l'objectif pratique de la concurrence fiscale.

Les phénomènes ponctuels de concurrence fiscale entre Etats européens d'ores et déjà observables ne doivent d'ailleurs pas être minimisés.

Ainsi que mentionné plus haut, leur repérage n'est certes pas aisé. Une partie des travaux en cours dans les enceintes internationales qui se consacrent à ce sujet consiste d'ailleurs à forger des indicateurs plus fiables. L'étude jointe comporte une illustration des difficultés d'appréhension du phénomène. Elle relève en effet que l'un des domaines dans lesquels la concurrence fiscale s'est exercée avec le plus de virulence est celui de l'impôt sur les sociétés. A l'appui de cette observation elle fait valoir la convergence des taux statutaires d'impôt sur les sociétés. Pourtant, elle souligne plus loin le maintien d'une grande hétérogénéité des systèmes de taxation des bénéfices des entreprises en Europe qui résulte de la variété des règles utilisées pour définir l'assiette du prélèvement ce qui, pour les auteurs, est plutôt le signe de l'absence de phénomène de concurrence fiscale. Il y a là une contradiction. Mais, celle-ci semble seulement apparente.

Il suffit pour la résoudre d'éviter une vision trop restrictive des phénomènes de concurrence fiscale en Europe.

Il faut considérer la fiscalité comme un élément, parmi d'autres, de la position concurrentielle des différentes économies européennes. Plutôt que de se pencher sur les évolutions des différents systèmes fiscaux qui peuvent sans doute traduire la réponse donnée par les gouvernements à la pression concurrentielle des partenaires, il est possible, pour appréhender l'intensité de la concurrence fiscale et la position des différents Etats au regard de ce critère, de s'en tenir à la comparaison des niveaux de pression fiscale s'exerçant sur chacune des bases taxables. Dans une telle optique, le maintien d'importants écarts de prélèvement sur les bénéfices des entreprises ne traduit plus l'absence de concurrence fiscale mais la diversité des positions concurrentielles occupées par les Etats européens au regard de cette catégorie de prélèvements.

A partir de cette "grille de lecture", les développements consacrés par l'étude ici présentée à l'impôt sur les sociétés, à la fiscalité des produits de l'épargne mais aussi aux charges salariales révèlent d'une part, l'existence de positions concurrentielles très disparates au regard du critère de la charge associée à chacun de ces prélèvements et, d'autre part, mais pour certains impôts seulement -en particulier l'imposition des revenus de l'épargne- une tendance au mimétisme fiscal.

Ces observations qui concernent les régimes généraux des impositions étudiées se doublent du constat d'une multiplication de régimes spéciaux apportant des dérogations aux règles générales. Celles-ci sont souvent appliquées cas par cas si bien qu'il est difficile d'en faire un recensement exhaustif qui, seul, permettrait de mesurer concrètement leur contribution à la concurrence fiscale entre Etats européens. Mais leur foisonnement est à lui seul l'indice d'une vraie bataille fiscale livrée pour attirer capitaux, activités et emplois.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page