C. L'ALLONGEMENT DE LA DURÉE DES COTISATIONS

• La proposition du rapport CHARPIN de porter à 170 trimestres (42 ans et demi), dans la limite de 65 ans , la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein a suscité des réactions négatives des organisations syndicales et, plus largement des commentaires passionnels dans les médias et l'opinion publique.

Faut-il s'en étonner ? La tendance historique, beaucoup plus marquée en France qu'ailleurs, est à l'avancement progressif de l'âge de la cessation d'activité, légal ou effectif.

Cette évolution correspond certainement à une aspiration légitime des salariés. Mais comment ne pas noter également que, bien au-delà de la question du financement des retraites, c'est le vieillissement démographique en lui-même et le fait que tous les âges de la vie aient reculé, qui conduisent à reconsidérer l'âge de la fin de cessation d'activité ?

Travailler de plus en plus tard (en raison de l'allongement de la période de formation), arrêter de travailler de plus en plus tôt, demander à un nombre décroissant de travailleurs de garantir un revenu à un nombre croissant d'inactifs : cette équation est particulièrement difficile à résoudre pour l'économie et ce, quelle que soit la croissance future.

Il faut donc se réjouir que le rapport CHARPIN ait pris le risque de proposer l'allongement de la durée de cotisation permettant de bénéficier d'une retraite à taux plein : c'est en effet le seul paramètre qui joue à la fois sur les recettes et sur les dépenses .

Votre rapporteur souhaiterait insister sur cinq aspects de cette proposition qui, à son sens, ont été insuffisamment soulignés, avant de proposer quelques réflexions sur l'âge de cessation de fin d'activité.

• Cette proposition est assortie de conditions et repose sur des modalités telles qu'on peut considérer, à la lumière des commentaires qu'elle a suscités, qu'elle a été assez mal " comprise ".

- Tout d'abord, l'allongement de la durée de cotisation n'est pas le seul " remède " étudié par le rapport. Celui-ci en envisage bien d'autres comme le fonds de réserve ou l'élargissement des cotisations à d'autres revenus.

Mais il est vrai que cette solution a des effets beaucoup plus sensibles que d'autres mesures, parce que c'est la seule, comme cela a déjà été dit, qui permet de jouer simultanément sur les dépenses - en diminuant le nombre de bénéficiaires de pensions - et sur les recettes en raison du supplément de croissance et de masse salariale et donc, de cotisations, qu'entraîne la participation de travailleurs âgés à la production -.

Le rapport fournit ainsi une évaluation de l'impact de l'allongement de la durée de cotisation sur le besoin de financement à long terme des régimes de retraite. Il précise que pour des raisons méthodologiques cette évaluation doit être considérée avec précaution.

On peut néanmoins en déduire qu'à l'horizon 2040, l'allongement progressif de la durée de cotisation à 42 ans et demi se traduirait, en tenant compte de l'effet à la fois sur les recettes et sur les dépenses, par une réduction de plus de moitié du besoin de financement du régime général.

- Cette proposition n'a véritablement de sens que dans une économie revenue au plein-emploi (c'est-à-dire revenue vers son taux de chômage d'équilibre 82( * ) ).

Il est aisé de comprendre que dans une situation où le chômage résulte de l'excès de main-d'oeuvre disponible pour le nombre d'emplois proposés, l'allongement de la durée de cotisation n'aurait que peu d'incidence : en termes de ressources, le volume total de travail n'augmenterait pas et le montant des recettes serait inchangé ; en termes de dépenses, les charges des régimes de retraite seraient certes allégées mais celles de l'assurance-chômage alourdies d'autant.

Le rapport CHARPIN pose donc clairement que cette réforme " suppose un contexte économique modifié " sur deux plans :

- que les entreprises modifient leur politique de gestion de carrière en limitant le recours aux dispositifs de préretraite ;

- que le taux de chômage soit revenu vers le taux de chômage d'équilibre.

Si l'on s'intéresse à cette seconde condition - votre rapporteur s'attardera plus loin sur la première -, on perçoit bien la difficulté et la contradiction qu'elle soulève : pour que la mesure d'allongement de la durée d'activité soit efficace, il faut la programmer dès aujourd'hui 83( * ) ; mais cette solution n'est socialement acceptable, " dès aujourd'hui ", que si l'économie française est en situation de plein-emploi.

Le rapport CHARPIN dépasse en quelque sorte ce dilemme en considérant comme " probable " qu'à l'horizon 2010-2020, la France manquera de main-d'oeuvre. Ce pronostic s'appuie certes sur des éléments solides, mais il ne repose pas pour autant sur des certitudes, ainsi que votre rapporteur l'a rappelé précédemment (cf. page 44).

- Il faut insister sur le fait que la proposition du rapport CHARPIN porte sur l'allongement de la durée d'assurance pour la retraite et non sur un relèvement de l'âge légal de la retraite. Elle permet ainsi de tenir compte des âges très différents d'entrée dans la vie active au sein d'une même génération et du fait que, précisément, ce sont ceux qui sont entrés le plus précocement dans la vie active qui ont souvent l'espérance de vie la plus courte. On fait référence ici aux différences d'espérance de vie entre ouvriers et cadres évoquées par votre rapporteur dans le premier chapitre (cf. page 8).

La fixation d'un âge légal, comme c'est aujourd'hui le cas, pénalise ainsi doublement ceux qui ont commencé à travailler tôt : parce qu'ils ont une durée d'assurance plus élevée que ceux qui ont commencé leur vie active plus tardivement, et parce que la durée de leur retraite est plus courte.

Allonger la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein de préférence au relèvement de l'âge légal est ainsi le gage d'une plus grande équité .

- Par ailleurs, la proposition étudiée dans le rapport Charpin introduit beaucoup plus de souplesse dans les choix des départs à la retraite. En effet, jusqu'à présent, un individu affilié au régime général des travailleurs salariés, dont la durée d'assurance pour bénéficier d'une retraite à taux plein est insuffisante, subit des abattements sur le montant de sa pension supérieurs à ce qu'exigerait un vrai calcul actuariel , c'est-à-dire un calcul qui tiendrait compte de la proportionnalité entre le nombre d'années de cotisation et le montant de la retraite.

Un âge légal de la retraite agit ainsi comme un couperet, et limite la liberté de choix individuel de cessation d'activité.

En assortissant la proposition d'allongement de la durée de cotisation d'un calcul des droits à pension plus proche de la neutralité actuarielle, le rapport Charpin réintroduit la possibilité d'un choix de départ à la retraite qui permette à chacun d'arbitrer entre sa situation personnelle, son état de santé et ses aspirations à plus de loisirs ou plus de revenus.

- Nombreux sont ceux qui ont exprimé la crainte qu'une telle réforme ne se traduise par une diminution de fait des retraites : pour ceux qui ont commencé à travailler très tard, du fait d'études longues, ou pour ceux dont le parcours professionnel a été chaotique, avec une succession de périodes d'activité et de chômage.

Peut-être faut-il rappeler que, dans tous les cas, le rapport Charpin propose qu'aucun abattement ne soit retenu sur le niveau de la pension au delà de 65 ans .

Mais, surtout, le rapport fait des propositions pour que les conditions de validation des périodes d'études et de formation et les périodes de chômage non indemnisé soient réexaminées, de telle sorte que l'allongement de la durée de cotisation se traduise bien par un recul du départ en retraite, et non par une diminution du montant des pensions.

• Votre rapporteur souhaiterait ajouter à ces commentaires quelques réflexions plus personnelles.

- Un problème majeur, soulevé par le rapport Charpin, est celui de l'inégalité des situations au regard de la cessation d'activité entre les salariés affiliés à des régimes spéciaux et les salariés du régime général. On pourrait même ajouter qu'à cette inégalité s'ajoute la divergence d'évolution des retraites de ces deux catégories de salariés, que les projections présentées dans le rapport font clairement apparaître.

Est-il normal qu'un même problème -le choc démographique- qui touche l'ensemble de la société française, soit traité différemment -comme c'est aujourd'hui le cas- selon que l'on appartienne au secteur public ou au secteur privé ? N'y a-t-il pas là le risque que cette inégalité porte atteinte à la confiance accordée à l'ensemble de notre système de retraites, et en sape ainsi les fondements ?

- Votre rapporteur ne peut qu'approuver la proposition de définir des postes de travail pénibles dans le secteur privé qui pourraient donner droit à une retraite anticipée. Cette proposition tient compte, en effet, de l'inégalité devant la mort entre catégories professionnelles, qui a déjà été évoquée. Mais, ne faudrait-il pas aller plus loin dans cette proposition, jusqu'à revoir la liste des postes considérés comme pénibles dans le secteur public ? Cette redéfinition des critères de pénibilité des postes de travail pourrait même aller jusqu'à la prise en compte de l'ensemble des conditions de travail. Celles d'un enseignant d'une banlieue difficile sont-elles tout à fait comparables avec celles d'un enseignant placé dans un environnement plus favorable ?

- Actuellement, le cycle de vie est organisé en trois temps que la réglementation des régimes de retraites concourt à rendre extrêmement rigides : la formation, l'activité et la retraite. De plus, le temps de l'activité, sous l'effet de la montée du chômage, s'est concentré entre 30 et 50 ans.

Cette situation est, cependant, de plus en plus inadaptée à l'évolution des parcours de travail et de vie. Les parcours professionnels, sous l'émergence de nouvelles formes d'emplois, sont de moins en moins continus, alors que le cycle de vie devient aussi moins rigide : la parentalité tardive suppose, par exemple, un allongement de la vie de travail.

La souplesse dans les conditions de liquidation des droits à la retraite, introduite dans la réforme proposée par le rapport Charpin, répond certainement à ces considérations.

Mais, l'allongement de la durée d'activité suppose également la mobilisation des instruments d'une politique active de l'emploi, afin de permettre le maintien au travail des salariés vieillissants. Les propositions que vient de présenter M. Dominique Taddéi dans le cadre d'un rapport du Conseil d'analyse économique, " Retraites choisies et progressives " , relève de cette logique. De même, des formes d'allégement de la durée du travail pour les salariés âgés 84( * ) relèveraient de cette souplesse nécessaire permettant un temps de travail mieux réparti sur le cycle de vie. Elles permettraient de concilier l'aspiration à travailler moins en fin de vie active avec les exigences économiques et les contraintes résultant du vieillissement démographique. Votre rapporteur regrette de ce point de vue que les négociations sur la réduction du temps de travail ne soient pas resituées dans le contexte de l'évolution de l'âge de la retraite.

Ces dispositifs, dont il faut reconnaître qu'ils restent pour la plupart à imaginer, ne résoudraient pas le problème de l'équilibre à long terme des régimes de retraite. Ils constitueraient, cependant, un accompagnement utile des mesures d'ajustement du système de retraite au choc démographique et, en particulier, de l'allégement de la durée de cotisation, tel que l'évoque le rapport Charpin.

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