CHAPITRE II


L'AUGMENTATION DU NIVEAU DE VIE DANS UNE SOCIÉTÉ VIEILLISSANTE : LES LIENS INCERTAINS ENTRE DÉMOGRAPHIE ET CROISSANCE

Comme votre rapporteur l'indiquait en introduction, lorsqu'on s'intéresse à la question du vieillissement et à ses implications économiques, il est difficile d'échapper à une vision a priori négative .

En effet, un grand nombre de comportements économiques paraissent, au niveau individuel , liés à l'âge. On s'attend donc à ce que le vieillissement modifie l'importance moyenne de ce phénomène dans la population totale : si l'on considère par exemple que la productivité ou l'aptitude à l'innovation déclinent avec l'âge, il faut s'attendre à ce qu'une population vieillissante soit moins productive et moins innovante. On peut citer bien d'autres domaines où le vieillissement pourrait avoir des effets de nature économique : la consommation, l'investissement en logements, l'épargne ou la dépense de santé. En outre, dans cette approche individuelle du vieillissement, ces effets sont supposés peser négativement sur la croissance.

C'est cette présentation pessimiste des conséquences du vieillissement que l'on retrouve dans beaucoup d'analyses, par ailleurs de grande qualité 20 ( * ) .

Pourtant, dès qu'il s'agit de les quantifier, ces effets du vieillissement démographique, à l'exception de l'incidence sur les régimes de retraite qui n'est pas discutable, apparaissent minimes et parfois négligeables. Tout au moins est-ce l'enseignement que votre rapporteur a pu tirer des auditions d'économistes auxquelles il a procédé.

Si ces résultats surprennent, cela s'explique d'abord par le biais qui nous pousse à considérer, individuellement, que la société vieillit au rythme de notre propre vieillissement, alors que même dans les scénarios de fort vieillissement, la population continue à se renouveler par la base dans des proportions importantes.

Mais le principal facteur qui limite le rôle du vieillissement purement démographique est le caractère relatif de la notion d'âge lorsqu'on se situe en longue période. De même que l'on ne peut comparer, sur le plan social ou de l'autonomie, une personne de 65 ans aujourd'hui avec une personne de 65 ans il y a trente ans, les comportements économiques de cette catégorie de population ont également beaucoup évolué. Ceci est particulièrement évident en matière d'épargne et de consommation.

En outre, on tend souvent à confondre des effets de générations avec des effets d'âge. Par exemple, la demande de soins médicaux croît à tous les âges avec l'augmentation du niveau de vie.

La première partie de ce chapitre présentera les scénarios macroéconomiques à long terme, tels qu'on peut les élaborer à partir de nos connaissances actuelles. La deuxième partie tentera d'évaluer dans quelle mesure le vieillissement pourrait affecter les évolutions macroéconomiques.

Il s'agira moins de discuter des effets négatifs du vieillissement que de mettre en évidence, à l'opposé de ce fatalisme, les solutions qui, en lien avec le vieillissement, pourraient nous permettre de préserver ou d'augmenter le niveau de vie .

La troisième partie sera consacrée à l'incidence du vieillissement sur les dépenses de santé ou la dépendance, puisque ces deux aspects sont souvent mis en avant, après les retraites, comme facteurs d'accroissement des dépenses publiques.

I. LES SCÉNARIOS MACROÉCONOMIQUES À LONG TERME

Il va de soi qu'élaborer des scénarios macroéconomiques à l'horizon 2040 n'est pas un exercice aisé. Les économistes ont suffisamment de difficultés pour prévoir le court terme pour que l'on comprenne combien ils sont démunis pour le faire à un horizon aussi lointain.

Aussi aléatoire soit-elle, cette étape est pourtant nécessaire lorsqu'on réfléchit aux liens entre vieillissement et croissance, et même indispensable dès lors que l'on cherche à imaginer des solutions en matière de retraites.

A. UN SCÉNARIO DE RÉFÉRENCE

C'est pourquoi la Commission de concertation sur les retraites, présidée par le Commissaire au Plan, M. Jean-Michel CHARPIN, a demandé à la Direction de la Prévision du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie d'élaborer un scénario macroéconomique de référence.

Avant d'en présenter les principaux résultats, il convient de décrire la méthode qui a présidé à sa réalisation, ne serait-ce que pour mettre en lumière les principaux aléas.

• A long terme, la croissance potentielle dépend de deux facteurs :

- l'évolution des ressources en main-d'oeuvre qui dépend de la population active 21 ( * ) et du taux de chômage d'équilibre 22 ( * ) ;

- la progression de la productivité globale des facteurs , c'est-à-dire la part de la croissance économique qui n'est pas imputable à l'augmentation des facteurs de production (capital et travail) et qui résulte du progrès technique. C'est ce rythme de croissance de la productivité globale des facteurs qui détermine, à long terme, le rythme de croissance de la productivité du travail .

Ces déterminants de la croissance à long terme constituent ce que les économistes qualifient de " modèle néoclassique de croissance ", issu des travaux du prix Nobel d'économie, Robert SOLOW.

Le plus fondamental, dès lors qu'on raisonne à long terme, est l'évolution de la productivité du travail. Celle-ci est en quelque sorte, en termes de " bien être " et de niveau de vie, ce qui nous sépare de l'avenir et de nos successeurs. Le pouvoir d'achat des salariés évolue en effet comme la productivité du travail 23 ( * ) , laquelle est le déterminant exclusif de la progression du niveau de vie.

Or, les économistes n'ont d'autre certitude sur les évolutions à venir de la productivité que son évolution passée... En effet, rien ne permet d'affirmer que le ralentissement récent de la productivité en France pourrait se prolonger durablement ou qu'à l'inverse, les nouvelles technologies seraient porteuses de gains de productivité importants, l'exemple des Etats-Unis, où le développement des nouvelles technologies est très avancé, n'étant pas très éclairant sur ce point 24 ( * ) .

Aussi les hypothèses d'évolution à long terme de la productivité globale des facteurs se contentent-elles de prolonger les évolutions de longue période, soit + 1,25 % par an, ce qui signifie en termes de productivité de travail une augmentation de 1,7 % par an.

Pour avoir un aperçu du poids de l'incertitude sur l'évolution à long terme de la productivité, il faut avoir en mémoire que 0,5 point de productivité du travail par an, en plus ou en moins, se traduit à l'horizon 2040 par un niveau de salaire plus ou moins élevé de 22 % . Il est donc assez clair que l'évolution de la productivité est déterminante dans l'appréciation de la capacité des salariés à " absorber " le choc des retraites, mais c'est un point sur lequel votre rapporteur reviendra dans le troisième chapitre consacré aux retraites.

Par ailleurs, l'évolution des ressources en main-d'oeuvre résulte des projections de population active présentées dans le premier chapitre, d'une part ; d'une évaluation du taux de chômage d'équilibre à long terme, c'est-à-dire du taux de chômage compatible avec une croissance non inflationniste, d'autre part. Celui-ci est évalué par la Direction de la Prévision à 9 % ou, autrement dit, dans le scénario à long terme de référence, le taux de chômage converge vers sa valeur d'équilibre, telle qu'elle est estimée aujourd'hui, soit de l'ordre de 9 %.

Ce chiffre peut évidemment surprendre dans un contexte où l'on parle plus du retour au plein-emploi à l'horizon 2010, en raison du ralentissement attendu de la population active, que de stabilisation du taux de chômage à 9 %. Ce point suscite évidemment des controverses théoriques que votre rapporteur évoquera plus loin.

• Les résultats de ce scénario sont décrits dans le tableau ci-dessous.

On peut ainsi observer que sous l'effet de la baisse de la population active, la croissance, dynamique jusqu'en 2004 (+ 2,6 % par an), baisse ensuite régulièrement (+ 1,8 % par an jusqu'en 2010, 1,6 % par an jusqu'en 2015, puis 1,5 % par an jusqu'en 2040).

PROJECTIONS DU SCÉNARIO CENTRAL

1995-1999

2000-2004

2005-2009

2010-2014

2015-2040

Croissance population active (% par an) (a)

0,5

0,6

0,1

- 0,1

- 0,2

Taux de chômage (moyenne)

11,8

9,9

9,0

9,0

9,0

Variation du taux de chômage (% par an)(b)

- 0,2

- 0,5

0

0

0

Croissance emploi (% par an) (d) = (a)-(b)

0,7

1,1

0,1

- 0,1

- 0,2

Croissance de la PGF (% par an) (e)

1

1,1

1 ¼

1 ¼

1 ¼

Part des salaires dans la valeur ajoutée (f)

0,71

0,73

0,73

0,73

0,73

Croissance de la productivité du travail (% par an) (g) = (e) (f)


1,4


1,5


1,7


1,7


1,7

Croissance du PIB (% par an) (g)+(d)

2,1

2,6

1,8

1,6

1,5

Croissance masse salariale réelle (% par an)

2,4

2,6

1,8

1,6

1,5

Source : Direction de la Prévision pour la Commission de concertation sur les retraites

B. DES SCÉNARIOS ALTERNATIFS

Dans le but d'illustrer le poids des différentes hypothèses dans les évolutions macroéconomiques à long terme, la Direction de la Prévision a élaboré des scénarios alternatifs.

On en présentera ci-après le scénario le plus favorable :

• Les hypothèses de ce scénario " optimiste " sont les suivantes :

- la productivité globale des facteurs augmente de 2 % par an (contre 1,25 % par an dans le scénario de référence), soit un taux de croissance encore inférieur de moitié à celui des " Trente Glorieuses ", et la productivité du travail augmente de 2,7 % par an ;

- le taux de chômage d'équilibre à long terme est de 6 % (contre 9 % dans le scénario de référence) ;

- le taux d'activité des jeunes ou des plus de 55 ans augmente en relation avec la baisse du chômage.

Ceci correspond à l'hypothèse dans laquelle la raréfaction de l'offre de travail conduit à supprimer tous les dispositifs de départ anticipé à la retraite pour les plus âgés ou à stopper le processus d'allongement des études pour les plus jeunes.

On observera que ces hypothèses, certes plus favorables que dans le scénario de référence, ne sont pas néanmoins irréalistes .

Le tableau ci-dessous décrit les évolutions macroéconomiques résultant de ces hypothèses favorables.


PROJECTION DANS LE SCÉNARIO LE PLUS FAVORABLE

1995-1999

2000-2004

2005-2009

2010-2014

2015-2040

Croissance population active tendancielle

0,5

0,6

0,1

- 0,1

- 0,2

Croissance population active (% par an) (a)

0,5

0,9

0 ,5

- 0,1

- 0,2

Taux de chômage (moyenne)

11,8

10

8

6

6

Variation du taux de chômage (% par an)(b)

- 0,2

- 0,4

- 0,6

0

0

Croissance emploi (% par an) (d) = (a)-(b)

0,7

1,3

1,1

- 0,1

- 0,2

Croissance de la PGF (% par an) (e)

1

1,5

2

2

2

Part des salaires dans la valeur ajoutée (f)

0,71

0,73

0,73

0,73

0,73

Croissance de la productivité du travail (% par an) (g) = (e) (f)


1,4


2,0


2,7


2,7


2,7

Croissance du PIB (% par an) (g)+(d)

2,1

3,3

3,8

2,6

2,5

Croissance masse salariale réelle (% par an)

2,4

3,3

3,8

2,6

2,5

Source : Direction de la Prévision pour la Commission de concertation sur les retraites

L'enseignement essentiel est que la croissance à l'horizon 2040 y est de 2,8 % par an, contre 1,7 % par an dans le scénario de référence.

A l'horizon 2040, la masse salariale , qui sert d'assiette aux cotisations sociales et évolue comme le PIB serait ainsi supérieure de 55 % dans le scénario favorable à celle qui résulte du scénario central. Ce simple chiffre suffit à donner une idée de l'ampleur des incertitudes macroéconomiques de long terme et de l'impossibilité de ne pas en tenir compte dans l'analyse des perspectives financières des régimes de retraite.

En outre, comme le montrent d'autres travaux de la Direction de la Prévision, parmi ces hypothèses favorables, c'est celle sur l'évolution à long terme de la productivité qui est déterminante , celles concernant la population active ou le chômage ayant une incidence à long terme beaucoup plus modeste.

C'est pourquoi votre rapporteur abordera cette question en priorité dans la deuxième partie.

* 20 L'étude réalisée par Charles de GRANRUT, Hugues de JOUVENEL et Alain PARANT : " Vers une prospective des retraites en France à l'horizon 2030 " (Travaux et recherches de prospective n° 9, octobre 1998) en est un exemple.

* 21 Il s'agit plus précisément de la population active tendancielle.

* 22 C'est-à-dire le taux de chômage compatible avec une croissance non inflationniste.

* 23 En effet, on considère généralement qu'à long terme, le partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits est stable, ce qui signifie que la masse salariale (soit le salaire par tête x le nombre de salariés) augmente comme le PIB (soit la productivité par tête x le nombre de salariés).

* 24 Voir Rapport d'information, présenté au nom de la Délégation pour la Planification, par M. Joël BOURDIN, n° 71, 1999-2000, page 17 et suivantes.

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