DEUXIÈME PARTIE : THÉRAPIE CELLULAIRE ET MÉDECINE RÉGÉNÉRATRICE

Depuis que la presse spécialisée s'est fait l'écho, à la fin de l'année 1998, des avancées de la recherche américaine, l'attention du public et d'une partie de la communauté scientifique s'est polarisée sur les cellules souches embryonnaires et leurs très riches potentialités thérapeutiques. Un débat, qui n'est pas encore clos, s'est ouvert aux Etats-Unis sur le financement public de ce type de recherche et l'on a assisté à la floraison de sociétés « start-up » faisant appel au capital-risque qui parient sur les substantielles retombées économiques de ce nouveau secteur des biotechnologies.

Pour autant, un arbre qui sort à peine de terre ne doit pas cacher la forêt. Si l'un des objectifs de ce rapport est de faire le point sur les conditions et les délais dans lesquels la science pourra progresser sur ce terrain particulier, il doit aussi rendre compte d'une réalité diversifiée en dressant un tableau des différentes voies dans lesquelles s'est engagée, depuis plusieurs années, la thérapie cellulaire. Ceci permet de mettre en évidence des démarches médicales qui ne soulèvent pas, notamment au plan éthique, les mêmes problèmes que l'utilisation des cellules prélevées sur un embryon humain. Dans cette logique, nous nous proposons de distinguer, dans la deuxième partie de notre étude :

- les applications déjà éprouvées de la thérapie cellulaire (greffes de cellules souches hématopoïétiques et de cellules de la peau) ;

- les démarches expérimentales (ingénierie tissulaire, greffes de cellules foetales et adultes notamment pour le traitement des maladies neurodégénératives) ;

- les perspectives ouvertes par les cellules souches pluripotentes d'origine embryonnaire ou foetale mais aussi par les cellules souches adultes, dites « progénitrices », dont on découvre, depuis peu, les étonnantes capacités de transdifférenciation.

I - LES APPLICATIONS DÉJÀ ÉPROUVÉES DE LA THÉRAPIE CELLULAIRE

1. Les greffes allogéniques de cellules souches hématopoïétiques (CSH)

Ces greffes, qui sont destinées au traitement de maladies hématologiques, peuvent provenir de trois sources qui sont, dans l'ancienneté de leur utilisation, la moelle osseuse, le sang périphérique et le sang placentaire (ou sang de cordon). On insistera plus particulièrement sur ces deux derniers types de prélèvement dont il est fait, en raison de leurs avantages, un usage croissant.

1.1. Le prélèvement de CSH à partir du sang périphérique

Le recours aux CSH périphériques présente, pour le receveur, l'intérêt d'obtenir un plus grand nombre de cellules qu'avec un prélèvement de moelle. La prise de greffe et la sortie d'aplasie 29 sont, dans ce cas, plus rapides.

La greffe nécessite l'administration préalable au donneur, sans bénéfice personnel, d'un facteur de croissance (GCSF recombinant) dont les risques théoriques sont liés à l'hyperleucocytose qu'il provoque chez le donneur et qui a conduit, dans deux cas, à des infarctus du myocarde, 48 heures après son administration. On a pu, d'autre part, relever deux cas de rupture de rate chez des donneurs sains dont l'un était âgé de 17 ans 30 . Même si ces risques sont limités, ils justifieraient que le donneur bénéficie d'une information particulière qui n'est pas prescrite par les textes, la loi ignorant ce type de prélèvement (cf. sur ce point les observations développées dans notre précédent rapport, page 54).

Le professeur VERNANT observe d'autre part que les prélèvements de CSH périphériques peuvent être opérés en situations apparentée (frère et soeur) et non apparentée. Dans cette seconde hypothèse, on se trouve dépendant d'un fichier mondial interconnecté qui regroupe environ 5 millions de donneurs. Certains pays disposent d'une législation qui permet l'administration du facteur de croissance et le prélèvement de CSH périphériques ; ils peuvent donc en fournir aux receveurs français alors que la réciproque n'est pas possible en l'état actuel de notre droit. Il y a donc là un problème de mise en concordance des différentes législations européennes.

Ce type de prélèvement représente aujourd'hui le cinquième des greffes allogéniques de cellules souches hématopoïétiques.

1.2. Le prélèvement de CSH à partir du sang placentaire

L'intérêt de ce type de prélèvement est de fournir des cellules relativement immatures qui créent moins de réactions immunitaires que les CSH d'origine médullaire ou sanguine. Les greffes de CSH requièrent en effet une identité entre donneur et receveur qui soit la plus parfaite possible, l'idéal étant, dans l'ordre décroissant, le jumeau monozygote et le frère ou la soeur géno-identiques. Même dans cette seconde situation, la réaction GVH (« graft versus host ») déclenchée par le greffon survient dans 30 à 40 % des cas et est mortelle dans 10 % des cas. Le fichier mondial ne permet de satisfaire à cette exigence d'identité que dans 50 % des cas.

L'avantage des lymphocytes « naïfs » existant dans le sang placentaire est d'être beaucoup plus tolérants à l'égard des différences d'antigènes existant entre eux et le receveur, donc de réduire considérablement le risque de GVH.

Cependant, le sang placentaire ne peut être recueilli qu'en très faible quantité (quelques dizaines de millilitres) et ne fournit donc qu'un nombre de CSH insuffisant pour un adulte de taille et de poids normaux. L'avenir passe par la mise au point de techniques d'expansion sur lesquelles travaille actuellement une équipe bordelaise.

L'utilisation de cette source de cellules sanguines s'est développée tardivement, malgré son intérêt, en raison de la plus grande complexité et du coût relativement important des opérations de recueil, typage et stockage par congélation 31 . Les crédits aujourd'hui dégagés devraient permettre de recueillir et de congeler, dans les cinq années à venir, environ 10 000 sangs placentaires. Ainsi sera-t-il possible de traiter des catégories de population qui sont sous-représentées dans les fichiers de donneurs volontaires.

2. Les greffes de peau

Pratiquées aujourd'hui de façon courante, notamment pour le traitement des grands brûlés, ces greffes tirent parti des capacités de régénération dont sont dotées les cellules souches de l'épiderme. On sait qu'une assise cellulaire épidermique s'élimine toutes les 24 à 48 heures par desquamation de la couche cornée et que l'épiderme se renouvelle en totalité en quelques dizaines de jours.

Ces greffes sont, en règle générale, autologues : on prélève par biopsie sur le patient un fragment de peau de très faible dimension que l'on met en culture afin d'en accroître la surface. Le greffon peut ensuite être placé sur la plaie sans susciter de réactions immunitaires. La société américaine Genzyme Tissue Repair a ainsi commercialisé, depuis 1987, le procédé « Epicel » qui guérit en moyenne 75 grands brûlés par an et représente plus de 30 % de ce marché, soit plus de 12 millions de dollars 32 .

Un autre procédé est développé en Europe par la société italienne Fidia Advanced Biomaterials. Les kératinocytes, cellules souches de l'épiderme du patient, sont cultivés sur une matrice de polymères biodégradables. Lorsqu'ils ont proliféré le long de la matrice à l'aide de facteurs de croissance, ils forment un tissu qui peut être placé dans le corps. Parallèlement à la vascularisation, le support biodégradable disparaît en quatre semaines et le tissu se trouve parfaitement intégré à l'épiderme au bout de deux mois.

Lorsque les lésions chroniques, comme les ulcères aux pieds des diabétiques, sont plus profondes et atteignent le derme, les cultures de cellules servent aussi à remplacer le tissu interne. Le système « Dermagraft », fabriqué par la start-up américaine Advanced Tissue Sciences, se compose d'une matrice synthétique utilisée comme support de culture de cellules du derme. En assurant la stabilité de celui-ci, il accélère aussi le processus naturel de cicatrisation : les kératinocytes situés autour de la blessure migrent pour couvrir le derme artificiel et produisent des facteurs de croissance jusqu'à la guérison.

Ces méthodes sont maintenant employées pour le remplacement de cartilages défectueux à partir de chondrocytes mis en culture pendant plusieurs semaines et greffés par arthroscopie. Cette technologie, mise au point par l'hôpital suédois de Gothenburg, a permis de reconstruire, depuis 1995, les genoux de plus de 2 000 patients. A l'hôpital des enfants de Boston, Joseph VACANTI a même réussi à reconstituer les cartilages thoraciques d'un patient de 12 ans victime d'une malformation héréditaire à partir de cellules mises en culture sur un support de forme adéquate 33 .

Pour traiter temporairement les situations d'urgence, on pratique des allogreffes à partir de cellules prélevées dans des banques de donneurs. Les greffes d'épiderme utilisent ainsi des kératinocytes venant de cliniques spécialisées dans les circoncisions. Chaque prépuce circoncis peut donner 200 000 carrés de peau prêts à être greffés sans phénomène de rejet. Ces cellules se multipliant facilement, il est aisé d'obtenir des tissus en grande quantité tout en testant leur innocuité.

On rappellera enfin que la pénurie de cellules d'origine humaine conduit dans certains cas à pratiquer des xénogreffes à partir de cellules du derme porcin.

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