LES OBJECTIFS DE RECHERCHE, LES PRÉVISIONS ET LA STRATÉGIE GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ GERON BIO-MED

M. SIMON BEST - DIRECTEUR GÉNÉRAL DE GERON BIO-MED

Je vous remercie infiniment de me permettre de participer à votre débat, sur les questions qui nous occupent aujourd'hui. Mon témoignage portera sur les bienfaits cliniques, économiques et sociaux attendus de la médecine régénératrice. Je vous parlerai également des questions éthiques soulevées par la recherche dans ce domaine. Le clonage des cellules humaines pour la médecine régénératrice ouvre un champ de nouvelles opportunités pour le traitement d'un grand nombre de maladies dégénératives. Si la recherche est encouragée dans un cadre de réglementation et législatif adéquat, les thérapies cellulaires pourraient devenir une réalité clinique, et ce au cours de la prochaine décennie. Les techniques de clonage thérapeutique offrent la possibilité de fournir des cellules humaines pour des greffes régénératrices dans un grand nombre de maladies dégénératives caractérisées par la mort prématurée, par la perte de fonction de types de cellules particulières ou par l'incapacité de l'organisme à les remplacer.

Le traitement de ces maladies est généralement palliatif et ne fait que retarder les complications inévitables liées à ces maladies. Aucune des thérapeutiques actuelles ne porte sur la régénération des tissus disparus. Les affections touchent essentiellement le monde en développement et le monde développé, lors du vieillissement. Les bienfaits des nouvelles thérapies seraient très importants du point de vue qualitatif (elles augmenteraient l'espérance de vie) mais également du point de vue quantitatif (avec une réduction du coût des maladies chroniques aiguës). Au cours des vingt dernières années, l'espérance de vie moyenne a augmenté de trois ans. Elle est aujourd'hui de 79 ans pour les femmes et de 74 ans pour les hommes. Les personnes âgées souffrent souvent d'une maladie chronique aiguë débilitante et dégénérescente, qui restreint leur mobilité et leur indépendance, et détériore leur qualité de vie au cours de leur retraite. Si les bénéfices potentiels des thérapies cellulaires sont confirmés, elles pourraient avoir un effet extrêmement positif dans les essais cliniques pour l'amélioration de la qualité de la vie de ceux qui souffrent de maladies dégénératives. Elles permettraient d'étendre la durée d'activité des personnes âgées et leur indépendance au sein de la famille. Ces personnes retrouveraient ainsi leur dignité. En outre, l'utilisation des thérapies cellulaires permettrait de réaffecter les ressources pour répondre à des besoins que nous ne pouvons pas satisfaire aujourd'hui. Les maladies liées au vieillissement consomment une très grande proportion des budgets de la Sécurité Sociale. Des économies importantes seraient possibles dans ce domaine avec les thérapies cellulaires.

Dans les modèles animaux, les traitements à base de thérapie cellulaire ont prouvé leur efficacité pour reconstituer des cellules disparues. D'après la Société de cardiologie européenne, les affections cardiaques coûtent à l'économie française environ 100 milliards de francs par an, soit 15 % des dépenses de santé. La maladie de Parkinson est diagnostiquée chez 10 000 personnes. D'après l'OMS, ce chiffre va augmenter au fur et à mesure que la population vieillira. Le coût total de la maladie de Parkinson pour l'économie française est estimé à plus de 10 milliards de francs par an. Les thérapies cellulaires pourraient entraîner une réduction de 95 % de ces coûts, grâce au succès des traitements dérivés des cellules foetales. Les bénéfices entraînés par les thérapies cellulaires pourraient être absolument considérables. Le diabète, qui touche 3 % de la population française, consomme entre 5 % et 10 % des ressources totales destinées aux soins médicaux. Les complications liées au diabète représentent la majorité des dépenses de santé. Les thérapies cellulaires pourraient avoir un impact sur 50 % de ce coût. Le diabète va augmenter au cours du prochain siècle. Sa prévalence va doubler et toucher au moins 5 % de la population du monde développé. Au Royaume-Uni, environ 3 millions de personnes seront touchées, et un nombre équivalent en France. Au-delà des exemples d'indications de thérapies cellulaires, les maladies dégénératives sont telles qu'elles déclenchent la demande de soins au long cours. Cette demande apparaît pour les soins à domicile et pour les soins hospitaliers. Les coûts liés à ces maladies dégénératives vont augmenter de 50 % à 100 %. Au Royaume-Uni, la diminution de 1 % de la dépendance liée à l'âge pourrait diminuer de moitié l'augmentation prévisible des coûts.

Comment traduire toutes ces données en une opportunité économique pour une société comme la nôtre ? C'est difficile à dire. Nous sommes à un stade très précoce de développement des thérapies cellulaires. Du point de vue du marché et des experts, la médecine régénératrice pourrait augmenter de 25 % la valeur du marché mondial pharmaceutique d'ici 25 ans. Le marché pharmaceutique mondial représente environ 250 milliards de dollars. Ce chiffre ne fait qu'augmenter. Pour les laboratoires comme le nôtre, l'opportunité commerciale de la médecine régénératrice pourrait représenter quelque 60 milliards de dollars au cours des vingt prochaines années. Il y a donc là un créneau énorme, bien que difficile à évaluer puisque nous en sommes à un stade très précoce.

Du point de vue de Geron, comme du point de vue de l'Institut Roslin, les thérapies cellulaires sont très prometteuses. Elles pourraient avoir une incidence énorme pour réduire les taux de morbidité et de dépendance. Elles pourraient également contribuer à mieux aider les populations vieillissantes. En France et au Royaume-Uni, toutes ces questions ont été largement évoquées lorsque nous avons mis en place nos législations sur les embryons. Doit-on élargir les législations nationales pour permettre la recherche embryonnaire ? Cette recherche met-elle en cause l'état juridique d'un stade précoce de l'embryon ? Je pense que ce débat aura lieu dans chaque pays. Il doit être mené dans la plus grande transparence et dans un processus consultatif qui permette à toutes les instances de la société de s'exprimer. Dans le cadre de ce débat, nous pensons qu'un élargissement des lois et des règlements, afin de permettre la recherche embryonnaire, ne doit pas dépasser le cadre existant des pays qui autorisent la recherche embryonnaire. Il s'agit là d'une appréciation personnelle. Mais les conséquences sociales énormes des thérapies cellulaires, étant donné l'augmentation de la population vieillissante, devraient inciter à encourager la recherche dans ce domaine. Aujourd'hui, nous ne faisons qu'amorcer le débat. Ce débat devra être suivi de la mise en place d'un cadre commercial précis, une fois que les bienfaits des thérapies cellulaires auront été prouvés.

Questions de la salle

Jean-Paul RENARD

Monsieur BEST, pouvez-vous nous expliquer comment les financements rassemblés autour de Geron prennent en compte les perspectives d'application des thérapies cellulaires, qui sont relativement lointaines ? Ces financements sont privés pour la plupart.

Alain CLAEYS

Concrètement, quelle est l'alliance stratégique entre l'Institut Roslin et Geron ?

Simon BEST

Il nous faudra des fonds considérables pour traiter un petit nombre des indications dont nous avons parlé. Geron a des problèmes de financements. Mais nous avons réussi à trouver suffisamment de fonds pour financer pendant deux ans les programmes de recherche fondamentale. Nous devrons nouer des relations étroites avec des laboratoires pharmaceutiques. Les pourparlers avec ces laboratoires sont actuellement à un stade avancé. Je ne suis pas en mesure de vous donner des détails. Mais il s'agit d'engagements à long terme. Pour des applications de plus court terme, les cellules peuvent être étudiées pour le profilage du développement humain. Certaines sociétés sont intéressées par les perspectives de ce type de recherche. Il y a donc là d'autres sources de financement possibles. D'autres sociétés, en revanche, ne sont pas convaincues que les cellules pourront être développées en thérapies. Les partenariats potentiels sont trop nombreux. Il est long de déterminer lesquels sont valables et lesquels ne le sont pas. Nous pensons que nous allons pouvoir continuer à trouver des capitaux privés. Actuellement, nous recevons 25 à 30 milliards de dollars par an, y compris les fonds destinés à Roslin, soit 4 milliards de dollars par an. Mais nous aurons besoin de financements beaucoup plus importants à l'avenir. Les accords sont relativement compliqués à conclure. Il nous faudra du temps. Certaines conventions que nous avons signées seront prochainement portées à la connaissance du public.

Les relations actuelles entre Geron et Roslin se fondent sur la relation établie en 1998, au moment où la société Geron Bio-Med a été créée. La politique du gouvernement britannique a sensiblement changé depuis quelques années, en faveur d'un appui plus prononcé à la recherche. Les scientifiques sont autorisés à travailler dans des sociétés dérivées. Ils ont le droit d'acheter des actions de ces sociétés. Roslin a été pionnier au Royaume-Uni en obtenant des capitaux d'entreprises. L'objectif de Roslin n'est pas de faire du capitalisme. La réalité du financement public de la recherche, au Royaume-Uni et dans d'autres pays, est telle que la disponibilité de fonds à long terme pour la recherche diminue. La mission de l'Institut est de promouvoir la recherche fondamentale dans la biologie de l'animal. En créant la société, l'objectif était d'assurer des gains à long terme permettant de soutenir la recherche. En raison de l'évolution rapide de ses applications, Geron a pu atteindre ses objectifs en un an au lieu de trois ans. Roslin bénéficie d'un financement assuré pour six ans pour mener à bien les programmes de recherche fondamentale en coopération avec Geron. Dans le cadre du projet d'application Dolly, Geron a engagé 20 milliards de dollars sur un horizon de six ans. L'objectif du projet était de comprendre les mécanismes fondamentaux du clonage et de la reprogrammation. Notre recherche fondamentale de pointe est complémentaire de la recherche de Roslin. Roslin détient une participation dans Geron. Il n'y a pas de conflits entre les différents objectifs des deux établissements. L'association de Roslin et Geron permet d'atteindre un niveau d'excellence dans la recherche sans que cela ne coûte rien aux contribuables.

Bernard LOTY

Il est intéressant que la recherche privée puisse s'associer à la recherche publique. Quels résultats escomptez-vous ? Pensez-vous aboutir à des brevets ? Ou bien le savoir-faire que vous aurez acquis suffira-t-il comme retour sur investissements ?

Simon BEST

Il ne fait aucun doute que toute recherche britannique financée par des fonds publics donne la priorité aux dépôts de brevets. C'est le meilleur moyen d'assurer un transfert de technologies. Tout l'effort national de recherche devrait parvenir à peser moins sur les contribuables. En Grande-Bretagne, un changement de culture est intervenu. On ne redoute plus que les dépôts de brevets poursuivent des intérêts contraires à ceux de la recherche fondamentale. Lorsqu'un groupe, privé ou public, estime qu'il est sur le point de mettre à jour une découverte qui relève de la propriété intellectuelle, il cesse toute communication sur ses recherches pendant un à trois mois. Les groupes font un effort, à l'heure actuelle, pour réduire cette période. La publication des résultats de recherche se fait de telle manière que le groupe s'assure un monopole pendant une période limitée de temps. Tous les instituts de recherche britanniques souhaitent protéger la propriété intellectuelle de leur recherche.

Jacques MONTAGUT

Il semble que vous ayez fait un choix prioritaire pour la médecine régénérative à partir de cellules ES embryonnaires. Pourquoi ne pas avoir opté également pour la thérapie à partir du principe de la transdifférenciation d'une lignée à l'autre ? Ce choix est-il lié au cadre législatif de votre pays, qui donne une protection plus grande au foetus qu'à l'embryon ?

Simon BEST

Je dois reconnaître que je suis coupable d'avoir utilisé les termes à la légère en parlant des cellules embryonnaires. A Geron, nous menons un effort de recherche continu sur les cellules embryonnaires et sur les cellules adultes. Geron a des droits de propriétés intellectuels. Nous avons des brevets dans tous les domaines. Nous ne privilégions donc pas une direction par rapport à une autre. Je crois que nous devons nous intéresser aux thérapies géniques. Il nous faut examiner quels types de cellules répondent aux critères pris en compte par les autorités réglementaires pour autoriser les thérapies géniques. Sur le plan technique, il existe de fortes synergies entre nos travaux et les travaux d'autres chercheurs sur les cellules souches adultes. Les cellules qui seront transplantées ne seront pas les cellules finales différenciées mais les cellules décalées d'un ou deux niveaux dans le lignage. Le greffon sera une sorte de progéniture des cellules souches adultes, qui s'intégrera au processus normal pour régénérer les cellules endommagées. Nous avons des projets sur les cellules souches adultes. Nous développons une technologie intéressante pour ces cellules. Il s'agit de la télomérase, qui maintient les télomères à l'intérieur des chromosomes. Les cellules souches adultes étant plus différenciées, les télomères sont raccourcis. Lors de la culture, le vieillissement est accéléré. Les cellules transplantées ont alors un âge équivalent à celui de cellules ayant passé dix ans dans l'organisme. Avec la télomérase, nous avons la possibilité de rectifier ce vieillissement pour les cellules souches adultes. Au bout du compte, nous sommes pragmatiques. Nous n'avons pas choisi une voie par rapport à une autre. Les cellules embryonnaires peuvent être cultivées plus facilement. Mais nous n'avons pas encore suffisamment de bases scientifiques pour pouvoir prendre réellement parti.

Ian WILMUT

Dans le domaine de la transdifférenciation, nous avons réalisé trois ou quatre expériences qui ont consisté à transférer des cellules d'un animal à un animal différent. Au cours de l'opération, les cellules ont changé de type. Les expériences n'ont pas été réalisées en laboratoire. Ce travail est passionnant. Mais nous sommes encore loin d'un résultat effectif.

Claude HURIET

Je voudrais vous interroger sur deux principes, celui de la non-patrimonialité et celui de la non-disponibilité du corps humain. La question se pose de savoir si ces principes s'appliquent également à l'embryon. Comment conciliez-vous le principe de la gratuité avec l'idée d'une matière première ? La femme qui aura fait don d'un ovocyte aura contribué à produire un embryon, qui sera utilisé comme une source permettant d'avancer vers la thérapie cellulaire. Les firmes impliquées dans des projets de recherche espèrent toutes un jour ou l'autre passer à une phase industrielle. Comment pensez-vous résoudre ce problème à la fois technique et financier, mais essentiellement éthique ?

Simon BEST

En tant qu'industriel, j'essaie de prendre du recul. Faisons des hypothèses. Si les thérapies cellulaires sont étendues à des dizaines de millions de personnes, je pense que lorsque nous aurons atteint le stade de la commercialisation, nous n'utiliserons pas des ovules humains. Le matériel à partir duquel nous soignerons le patient sera prélevé sur lui. Le patient malade fournira une cellule saine, qui sera convertie en une source de tissus. Au stade de la commercialisation, nous disposerons d'un système artificiel basé sur d'autres cellules ou nous partirons d'essais in vitro pour programmer la cellule prélevée sur le patient. La programmation de la technologie sera fonction des essais que nous réaliserons à Roslin. A court terme, les matières premières pour les thérapies cellulaires ne doivent pas être considérées différemment des matières premières servant pour la procréation assistée. Il existe des recommandations sur les cas dans lesquels il est possible de payer les personnes et les cas où cela n'est pas possible. C'est pourquoi le cadre juridique est si important.

Alain CLAEYS

Si je vous entends bien, demain vous vendrez au patient sa propre matière première transformée...

Simon BEST

Oui, à partir d'une cellule unique du patient, dont on extraira le noyau, il sera possible de traiter la maladie. Mais nous en aurons utilisé des millions d'autres dans le cadre des travaux de recherche qui permettront un jour d'aboutir à ce résultat.

De la salle

Il me semble qu'il y a une contradiction dans vos propos. Le patient qui est malade ne dispose pas de cellules saines. Vous avez dit que le noyau d'une cellule du patient serait utilisé pour produire des lignées de cellules. Mais si le patient est porteur d'une maladie génétique, la cellule sera également porteuse de cette maladie.

Simon BEST

Les maladies que nous cherchons à traiter sont les maladies liées à l'insuffisance d'un type de cellules du corps. Dans le cas de la maladie de Parkinson, c'est un type de neurones qui est frappé de dysfonctionnements. Mais cela ne signifie pas que les cellules de la peau d'un malade atteint de la maladie de Parkinson ne sont pas saines. Notre objectif est de prélever une cellule saine de la peau du patient, de la différencier par un moyen ou un autre, afin qu'elle devienne un autre type de cellule. En effet, si un malade est porteur d'une maladie génétique, les erreurs d'information génétique se retrouvent dans le noyau de toutes les cellules. Mais il existe des applications de la thérapie cellulaire qui peuvent être utilisées pour corriger les maladies génétiques. Certaines affections sanguines, par exemple, dont souffrent une grande partie de la population de la Méditerranée, touchent une partie des cellules sanguines. Nous pourrons nous attaquer à ces maladies en amenant, par manipulation génétique, des cellules de la peau, qui contiennent l'information erronée, à produire de nouvelles cellules sanguines permettant de remplacer les cellules malades. Il sera donc possible à l'avenir d'utiliser une cellule de la peau d'un patient pour soigner sa maladie de Parkinson. Nous pouvons dès aujourd'hui corriger les erreurs génétiques.

Professeur DUPRAT

Je voudrais mentionner un exemple jurisprudentiel américain qui concerne la thérapie génique. La Cour d'appel de Californie et la Cour suprême américaine ont statué sur l'affaire Moore. Le juge s'est tout d'abord prononcé en faveur d'un droit de propriété sur les éléments bruts du corps humain. Puis il a déclaré que ce n'était pas la protection de sa propriété ou de sa vie privée qui était en cause. L'effet thérapeutique provient non pas de la cellule elle-même mais des modifications qui ont été apportées. Les procédés techniques par lesquels les modifications ont pu être introduites ont finalement été retenus comme donnant lieu à la brevetabilité. Mais je crois que Madame ANDREWS va nous apporter des informations sur le sujet dans son exposé.

Claude HURIET

Monsieur DUNSTAN devait intervenir maintenant. Mais il a été victime d'un accident, heureusement sans grande gravité. Il est actuellement hospitalisé. Monsieur BEST nous lira son intervention après l'exposé de Lori ANDREWS, qui est professeur de droit à l'Université de Chicago. Elle va faire état de la législation américaine et des évolutions prévisibles en matière de clonage et de recherche sur les cellules embryonnaires.

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