AUDITIONS DU 9 DÉCEMBRE 1999

1. DR PHILIPPE BRACHET, U 437 DE L'INSERM (IMMUNO-INTERVENTION DANS LES ALLO ET XÉNOTRANSPLANTATIONS)

L'unité 437, constituée initialement autour de la greffe de rein, s'est orientée vers la xénotransplantation de tissus périphériques. Le docteur BRACHET a rejoint cette unité pour y développer un axe de transplantation neuronale. L'objectif est de passer prochainement au stade clinique pour des pathologies du type Parkinson qui se prêtent bien, du moins en théorie, à la transplantation de cellules nerveuses embryonnaires. Les essais menés par le docteur PESCHANSKI pourraient devenir multicentriques et être étendus à l'hôpital de Nantes.

L'utilisation de cellules foetales a déjà fait l'objet d'essais cliniques en France, notamment à Créteil, et dans différents pays européens. La Suède vient de publier des résultats à ce sujet. Il existe un débat en France sur les mérites comparés de la stimulation électrique et de la transplantation cellulaire pour le traitement de la maladie de Parkinson. La transplantation permet une restauration de la cytoarchitecture et des fonctions naturelles et peut apporter une réponse que ne fournit pas la stimulation électrique pour le traitement de la chorée de Huntington et d'accidents vasculaires tels qu'un infarctus central suffisamment localisé. La difficulté tient au fait que le système nerveux central est un mauvais terrain pour les repousses axonales ; il est donc nécessaire d'utiliser des cellules foetales qui ont un puissant pouvoir de différenciation. Ce tissu foetal n'est pas aisément accessible et il est, d'autre part, tentant de manipuler ce type de cellules pour améliorer leur pouvoir régénérateur. Cette manipulation soulève des problèmes éthiques qui sont moins insolubles si l'on utilise des cellules adultes prélevées post-mortem.

Il y a une dizaine d'années, la conviction généralement répandue était qu'il n'y avait aucune possibilité de régénération neuronale dans le cerveau adulte. Cette idée est aujourd'hui totalement remise en question : il est apparu que dans les fosses nasales comme dans le premier relais central du système olfactif, il y avait des progéniteurs (cellules souches neuronales) qui sont générés en permanence dans le cerveau. On a ensuite trouvé des renouvellements dans d'autres structures, y compris l'hippocampe qui est un des lieux relais des phénomènes cognitifs.

Aujourd'hui, des rapports établissent que, chez la souris, les neurones dopaminergiques de la substance noire, qui sont affectés par la maladie de Parkinson, sont également sujets à renouvellement. Les cellules souches ainsi identifiées peuvent être développées à partir du cerveau foetal mais aussi à partir du cerveau adulte. Des expériences sont menées aux Etats-Unis et, en France, par l'équipe de Jacques MALLET.

Ces cellules souches neuronales ne donnent, jusqu'à plus ample informé, que des tissus nerveux (oligodendrocytes, astrocytes, neurones). Beaucoup d'entre elles sont dotées d'une très grande plasticité qui multiplie leur capacité de différenciation. Ainsi, un précurseur cérébelleux, isolé en 1994 aux Etats-Unis, développe des neurones pyramidaux, une fois greffé dans le cortex. Si l'on parvient à agir sur les facteurs environnementaux qui jouent ici un rôle considérable, on peut imaginer qu'un précurseur fournisse, à 99 %, du neurone dopaminergique adapté au traitement de Parkinson.

Le transplanteur peut partir de cellules foetales ou de cellules souches neuronales qu'il soumettra à des modifications génétiques pour en renforcer l'efficacité. Mais le problème majeur est celui de l'insuffisance quantitative du matériel humain face à la progression de la maladie (6 000 nouveaux parkinsoniens chaque année). L'implantation de cellules dans le striatum nécessite l'utilisation de dizaines de foetus pour chaque patient.

Pour cette raison, le laboratoire du docteur BRACHET a ciblé sa recherche sur le porc et travaille sur des foetus porcins de 25 à 28 jours, âge auquel le mésencéphale se différencie. Le système nerveux central a un statut immunologique particulier car il n'est pas vascularisé de la même manière que les tissus périphériques. De ce fait, on peut plus facilement maîtriser les réactions immunologiques. Aussi les Américains ont-ils déjà transplanté des neurones foetaux porcins sur des patients parkinsoniens qui sont cependant placés, de façon permanente, sous cyclosporine. Les Européens, estimant que les choses ne sont pas mûres, n'ont pas voulu emboîter le pas. Un réseau européen, en cours de renouvellement, a pour objectif d'améliorer les traitements immunosuppresseurs, la manipulation des cellules neuronales porcines et d'amener à la clinique la transplantation neuronale d'origine porcine pour le traitement de la maladie de Parkinson. Un essai clinique, après expérimentation sur le primate, est envisageable d'ici trois ans.

L'objectif du docteur BRACHET dans ses expériences de transplantation porc-rat est de modifier par transgenèse les neurones transplantés pour qu'ils sécrètent des cytokines anti-inflammatoires et immunosuppressives de sorte qu'ils inactivent, une fois implantés dans le cerveau, le peu de système immunitaire dont il est doté, rendant inutile l'administration de cyclosporine. Ainsi pourrait-on parvenir à terme à un porc transgénique dont les neurones survivront chez l'homme.

L'utilisation de matériel humain pose, en dehors de sa disponibilité, le problème de ce qui est ou n'est pas licite selon les termes de la loi. Aussi est-il pour l'instant plus simple de travailler sur la cellule souche porcine : un chercheur recruté l'an prochain à l'INSERM aura pour mission de trouver des procédés permettant de maîtriser la différenciation vers des neurones prédéterminés.

S'agissant des risques de transmission virale liés aux xénogreffes d'origine porcine, des enquêtes ont été menées auprès des patients qui ont été en contact avec des tissus porcins (valves cardiaques, insuline porcine administrée aux diabétiques, greffes temporaires de peau). Aucune trace d'anticorps suscités par des virus d'origine porcine ne semble avoir été retrouvée. Des essais sont en cours aux Etats-Unis pour le traitement de la maladie de Parkinson et de la chorée de Huntington par l'implantation de neurones porcins. En Europe, le réseau constitué entre différents pays (Grande-Bretagne, Suède, Danemark, Allemagne) se prépare à la transplantation dans les trois années à venir en la soumettant à des précautions pré et postopératoires plus strictes que celles qui s'appliquent aux Etats-Unis.

Les cellules ES d'origine humaine constitueront très certainement une solution d'avenir mais il paraît prématuré au docteur BRACHET de s'aventurer sur ce terrain tant que l'on n'a pas totalement exploité les enseignements que peut fournir l'expérimentation animale. Pour satisfaire l'exigence du prérequis animal, l'idéal serait évidemment de parvenir à isoler chez le porc des cellules ES comme on a pu le faire chez les rongeurs.

2. M. JACQUES SAMARUT, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS, CHEF DU GROUPE « ONCOGENÈSE VIRALE ET DIFFÉRENCIATION CELLULAIRE » À L'ENS DE LYON, ET MME MARTINE LOISEAU, CHARGÉE DE MISSION ÉTHIQUE AU DÉPARTEMENT DES SCIENCES DE LA VIE AU CNRS

M. SAMARUT juge hautement souhaitable que l'on puisse travailler en France sur des cellules ES d'origine humaine.

Elles constituent tout d'abord un sujet d'étude fondamental pour le biologiste dont l'un des enjeux est de comprendre comment une cellule peut avoir des potentialités multiples et les exprimer dans certaines conditions.

En deuxième lieu, elles permettent de reconstituer certaines étapes très précoces du développement embryonnaire que l'on connaît actuellement très mal chez l'homme. On l'imagine par inférence de ce que l'on observe chez l'animal mais il est fort probable qu'il y a des différences importantes ; au niveau moléculaire, notamment, aucune étude n'a pu être faite sur l'embryon humain très précoce. Les extrapolations à partir du modèle animal ne sont pas toujours fiables et l'on peut rappeler à ce propos l'exemple de la thalidomide qui n'avait pas été testée sur l'espèce humaine.

Troisième point d'intérêt pour la connaissance fondamentale, ces cellules ES, par certaines de leurs caractéristiques (vitesses de division, réactions biochimiques, expressions de gènes) s'apparentent de près à des cellules précancéreuses. Elles constituent donc, par leur état instable, un modèle intéressant qui permet d'aborder une situation dans laquelle une cellule peut basculer vers l'état cancéreux. Le fait de disposer de telles cellules chez l'homme permettrait d'affiner des études aujourd'hui impossibles puisqu'on ne peut induire artificiellement des développements de cancers comme on le fait chez l'animal.

Sur le plan des applications thérapeutiques, deux possibilités doivent être distinguées :

1) La mise au point d'outils thérapeutiques qui ne sont pas constitués par la cellule elle-même : actuellement, les recherches de thérapeutique par l'utilisation de drogues se font dans un premier temps sur des tissus animaux puis sur un tissu humain dont la disponibilité est très limitée. Lorsqu'on aura maîtrisé la différenciation in vitro des cellules ES en divers types de tissus, on disposera de modèles biologiques humains qui apporteront beaucoup pour le criblage des drogues et le développement thérapeutique.

2) L'utilisation de la cellules ES comme outil thérapeutique : ici, les perspectives sont moins immédiates. La fabrication de tissus de substitution à partir de ce type de cellule constitue une entreprise de longue haleine qui mérite d'être soutenue de préférence aux xénogreffes qui posent d'importants problèmes sur les plans éthique et sanitaire.

Les cellules ES ne sont pas les seules à offrir des possibilités en ce domaine : on commence à identifier des cellules souches dans un certain nombre de tissus mais elles sont, généralement, extrêmement rares et difficiles à isoler en quantité suffisante, notamment au stade avancé du développement de l'individu.

Le jour où l'on saura induire la différenciation contrôlée de la cellule ES dans un certain nombre de tissus, tout donne à penser que l'on pourra développer leur réimplantation. Cinq à dix ans seront sans doute nécessaires pour mener à bien ces applications cliniques.

Se pose, bien évidemment, le problème de la compatibilité d'un tissu ainsi développé in vitro avec l'organisme du receveur. On a évoqué, à ce sujet, la possibilité d'un clonage permettant de reconstituer des cellules ES à partir d'une cellule somatique du patient. M. SAMARUT se déclare défavorable à cette méthode qui présente, à son point de vue, d'énormes risques : à partir du moment où l'on prélève un noyau sur une cellule déjà largement engagée dans une voie de différenciation, on ne peut être certain de l'intégrité du patrimoine génétique de cette cellule. On sait que dans un tissu somatique, la proportion de cellules qui renferment des anomalies génétiques est très importante. On pourra détecter un réarrangement chromosomique mais non des anomalies ponctuelles et ce risque paraît trop élevé pour une utilisation thérapeutique.

Pour résoudre les problèmes de compatibilité, il est préférable de s'orienter vers les solutions déjà utilisées pour la transplantation d'organes en neutralisant, temporairement ou à long terme, le système immunitaire. Il sera peut-être possible de reprogrammer génétiquement, de façon très ciblée, les cellules ES en y introduisant des éléments bien identifiés qui permettent de les rendre compatibles ou de ne pas exprimer certains déterminants qui conduiraient à leur rejet. La mise au point de ces techniques demandera sans doute un certain temps.

Ces cellules expriment leur caractère cancéreux chez la souris si on les réimplante ailleurs que dans l'embryon très immature, par exemple sous la peau ou dans les capsules surrénales. Si on parvient à leur faire subir in vitro une détermination - « commitment » selon l'expression anglaise - elles ne présentent plus ce potentiel oncogène. Le biologiste devra contrôler les conditions assurant la détermination qui permettra l'utilisation de ces cellules dans des conditions de sécurité.

Les deux sources possibles de cellules ES sont, d'une part, l'embryon très précoce au stade blastocyste, d'autre part le tissu germinal, à un stade beaucoup plus avancé du développement embryonnaire : au moment où les gonades se forment, elles sont colonisées par des cellules précurseurs qui vont donner les spermatozoïdes et qu'on appelle cellules germinales primordiales. Il semble qu'on puisse, à partir de ces dernières, dériver en culture des cellules qui s'apparentent à des cellules ES. Les taux de réussite sont plus élevés chez la souris à partir de l'embryon qu'à partir des cellules EG. Les biologistes s'interrogent aujourd'hui sur la véritable nature des cellules dérivées de cette deuxième source et sur leurs potentialités.

La solution, en France, pourrait consister à utiliser dans les cinq années qui viennent les embryons surnuméraires pour déterminer l'avenir de ces cellules ES. Si les perspectives thérapeutiques se trouvaient confirmées, il faudrait adopter de nouvelles dispositions pour trouver des sources de cellules ES dans des conditions très strictement contrôlées. On ne pourra pas, en tout état de cause, multiplier trop longtemps des lignées en culture, compte tenu des risques de dérives génétiques que l'on n'est pas capable de détecter. On ne pourra donc pas créer une ou deux lignées de cellules ES qui seront universellement utilisables, surtout dans la phase de recherche des cinq années à venir où les tâtonnements et les pertes seront inévitables. Au delà, il sera peut-être possible de créer des conditions de culture assorties de contrôles très stricts qui permettront de limiter le nombre de lignées susceptibles de couvrir les besoins.

M. SAMARUT se déclare défavorable à toute manipulation tendant à créer, à partir de l'implantation de cellules ES génétiquement modifiées dans un embryon, un chimérisme germinal pour la correction d'une anomalie génétique.

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