AUDITION DU 26 JANVIER 2000

M. MICHEL FOUGEREAU, CONSEILLER SCIENTIFIQUE POUR LES SCIENCES DE
LA VIE ET DE LA MÉDECINE À LA DIRECTION DE LA RECHERCHE, PROFESSEURS ALAIN FISCHER (UNIVERSITÉ PARIS V) ET MARC TARDIEU (UNIVERSITÉ PARIS XI)

La thérapie cellulaire est en pleine expansion. Les plus récentes publications scientifiques mettent en évidence l'extraordinaire plasticité des cellules souches adultes et leur utilité corrélative pour le traitement d'un très grand nombre de maladies. Des cellules souches issues de divers tissus semblent pouvoir être manipulées pour produire des cellules appartenant à d'autres tissus : des cellules souches nerveuses peuvent être transformées en cellules sanguines ; de même, des cellules souches de la moelle osseuse peuvent générer des cellules osseuses, des cellules cartilagineuses, les cellules qui forment les parois des vaisseaux sanguins et des cellules musculaires. Ces cellules sont facilement accessibles et leur utilisation ne pose pas de problème éthique. Une application médicale partielle a déjà pu être réalisée pour le traitement de la maladie des os de verre à partir d'une greffe de cellules souches de la moelle osseuse.

Des équipes américaines ont pris, dans ce domaine, une avance importante sur les pays européens mais, compte tenu de la nouveauté de cette recherche, ce retard n'a rien d'irrémédiable à condition que nos équipes s'orientent rapidement dans cette direction. Cette recherche offre des potentialités considérables, dont certaines sont encore insoupçonnées, mais le passage à l'application thérapeutique nécessitera un assez long délai.

Les cellules souches embryonnaires ont révélé, au moins chez l'animal, une pluripotence qui permettrait, à condition d'en maîtriser la différenciation, de les orienter vers tous les types cellulaires présents dans l'organisme humain. A terme, mais on se situe là à un niveau de complexité beaucoup plus élevé, il est envisageable de reconstituer des tissus à partir de ce type de cellules. Il est encore difficile de mesurer l'étendue des ressources qui seront effectivement exploitables dans ce domaine. L'obtention de ces cellules soulève par ailleurs des problèmes éthiques. Il reste encore, en tout état de cause, à la recherche fondamentale un long chemin à parcourir avant d'envisager le passage à l'application thérapeutique.

Si l'on compare globalement le financement public de la recherche en France et aux Etats-Unis, on peut considérer, compte tenu du rapport des populations, que les efforts consentis sont équivalents. En revanche, si l'on ne retient que le domaine des sciences de la vie, le rapport est de un à trois en défaveur de la France. L'objectif du Gouvernement est de corriger ce déséquilibre. L'action peut s'exercer en direction d'organismes, tels l'INSERM ou l'INRA, qui sont orientés vers la recherche biomédicale. Elle peut aussi se traduire par des dispositions législatives favorisant la mobilité des chercheurs et par des incitations budgétaires.

Ces dernières se sont concrétisées par la création de deux fonds d'intervention : le Fonds national de la science et le Fonds de la recherche technologique. Pour 1999, le budget du FNS était de 500 MF. Il a été porté à 700 MF pour 2000 et l'objectif est d'atteindre le milliard de francs d'ici 2002. Le FRT disposait en 1999 de 670 MF, portés à 900 MF en 2000. Il devrait connaître la même progression que le FNS dans les deux prochaines années.

Un effort majeur a été fait pour le développement de la recherche sur le génome (Génopole d'Evry, Centre national de séquençage et Centre national de génotypage). Quatre génopoles ont été créés en province (Lille, Strasbourg, Toulouse et Montpellier) et deux devraient l'être cette année (Marseille, Lyon-Grenoble). Leur rôle est de conduire l'analyse du génome (séquençage, décryptage et description des gènes). On entrera ensuite dans l'« après-génome », phase de physiologie intégrée où sera étudié le fonctionnement des gènes.

Le FNS et le FRT permettent une mobilisation très rapide des crédits. Une partie de ce financement provient des fonds initialement alloués aux grandes entreprises. Le rapprochement des secteurs de la recherche et de l'entreprise devrait s'opérer principalement en direction de PME et de PMI. Dans le domaine des sciences du vivant, en effet, la recherche doit être, dans un premier temps, développée en faisant appel au capital-risque. La mobilité des chercheurs et leur participation à des créations d'entreprises seront, d'autre part, facilitées par la loi sur l'innovation.

L'incitation à la recherche développée par le FNS à travers le génome et le post-génome intéresse très directement la thérapie cellulaire sur le plan de la recherche fondamentale : si une équipe française est capable de cloner un gène qui code une protéine essentielle pour un certain type de différenciation cellulaire, cela constituera une clé scientifique majeure pour ce type de développement technologique. Dans le domaine de la recherche appliquée, l'INSERM est engagé dans une aide au développement de projets, essentiellement publics, touchant la biothérapie. Cet effort reste encore insuffisant et devra être également accentué. De son côté, le ministère de la Santé a son propre programme hospitalier de recherche clinique qui permet de financer des essais thérapeutiques ; certains d'entre eux concerneront cette année la thérapie cellulaire et génique. Enfin, certains hôpitaux ont mis en place les structures nécessaires pour développer des essais cliniques : tel est le cas de l'hôpital de Nantes qui a créé dans ce domaine un très bel outil avec des entreprises start-up. A l'AP-HP, deux ou trois centres, principalement orientés vers les cellules souches hématopoïétiques, devraient être constitués mais ce projet n'en est encore qu'à son début.

Au plan européen, dans le cadre du cinquième PCRDE, une série de programmes auxquels participent des équipes françaises se développe autour des biothérapies mais il n'existe pas, actuellement, de coordination avec les actions mises en oeuvre au plan national, sauf par le biais d'initiatives individuelles.

Il est aujourd'hui nécessaire que les chercheurs acquièrent une culture d'entreprise à côté de leur culture scientifique. Leur participation à des sociétés start-up peut y contribuer, mais aussi une sensibilisation, déjà en cours, aux prolongements industriels de la recherche dans le cadre des formations de 3 ème cycle.

L'utilité des start-up peut être illustrée par un exemple tiré d'une expérience ratée : une équipe française a trouvé une substance, la thrombopoïétine, qui permet de différencier les cellules de la moelle osseuse en plaquettes. Elle a donc des applications très importantes en hématologie et pour la thérapie cellulaire au sens large. Une entreprise start-up aurait pu être créée autour du développement de ce projet et aboutir au dépôt d'un brevet qui aurait assuré le succès de cette entreprise. C'est la démarche qu'a adoptée une start-up américaine, privant ainsi les chercheurs français du bénéfice de leur découverte.

De la même façon, l'identification par un chercheur anglais, dans le cadre de la recherche fondamentale, des anticorps monoclonaux n'a pas donné lieu au dépôt d'un brevet et l'économie britannique a vu lui échapper les substantielles retombées financières engendrées par les applications de cette découverte.

Il est donc important que s'établisse entre le monde scientifique et la vie économique une jonction que devrait favoriser la loi sur l'innovation.

Les brevets déjà déposés par les sociétés américaines créeront sans doute des difficultés pour le développement européen des nouvelles thérapies cellulaires mais elles ne sont pas insurmontables : si l'on dispose d'une monnaie d'échange en brevetant une ou plusieurs substances nécessaires aux différentes étapes du développement des cellules, on se ménagera une marge de négociation.

La recherche doit en tout état de cause progresser sans exclusive pour déterminer, le cas échéant, quel type de cellules souches, embryonnaires ou adultes, sera le plus approprié pour le traitement de tel ou tel type de pathologie.

Il conviendrait de simplifier les procédures d'encadrement de la recherche dans le domaine de la thérapie cellulaire et de la thérapie génique, bien qu'il y ait eu des progrès sensibles depuis quelques années : trop de commissions indépendantes sont amenées à évaluer les projets, simultanément ou séquentiellement. Ces procédures devraient être regroupées, même si elles font intervenir de nombreux ministères (Recherche, Santé, Environnement, Agriculture...). D'autre part, l'encadrement des banques de tissus et de cellules devrait être organisé de façon plus claire et moins artisanale ; l'interface entre la recherche et l'hôpital doit être beaucoup mieux définie.

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