II. POUR UN DÉBAT PUBLIC DÉBOUCHANT SUR DES SOLUTIONS DE CONCILIATION

Le droit français de l'urbanisme français ne laisse pas, à l'évidence, une place suffisamment importante aux procédures de concertation préalable aux décisions . Il s'en suit que celles-ci font trop souvent l'objet de recours juridictionnels. Le prétoire qui ne devrait en théorie servir qu'à dire le droit est utilisé par les requérants comme une véritable tribune. Le débat contentieux se substitue à la négociation. Il est temps désormais de favoriser le déroulement d'un véritable débat, en amont, à l'échelon communal ou intercommunal, sur les grands enjeux de la politique de l'urbanisme ou sur les principales opérations d'aménagement envisagées, et, le cas échéant, sur l'interprétation des réalités locales au regard du code de l'urbanisme.

1. Pour les documents réglementaires

a) Renforcer les procédures de débat public en amont

Comme le relevait récemment M. Hubert Blanc, président de Commission nationale du débat public, il est souhaitable d'éviter la succession et la multiplication des débats sur un même projet. Cette observation relative aux grands projets d'intérêt national vaut également pour l'élaboration des documents d'urbanisme locaux. C'est pourquoi, votre groupe de travail juge souhaitable d'organiser une discussion plus active que celle qui résulte de la procédure, souvent assez formelle et parfois, paradoxalement, confidentielle, de l'enquête publique.

Il convient de dépasser la répugnance que manifeste notre droit pour la négociation et la concertation. En effet, ainsi que le souligne un observateur averti des procédures qui débouchent sur l'élaboration des documents d'urbanisme : " un bon POS est non pas un POS planifié, mais un POS négocié, résultant d'une longue concertation, de mille compromis, d'un assentiment constamment recherché des administrés concernés, d'une connaissance fine et respectueuse du bâti existant. Mais cela, il [...] sera interdit de le dire [dans les POS] ! Il [...] faudra, pour [...] légitimer [le POS] auprès des juges administratifs et des administrations nationales, soigneusement taire son arrière-fond contractuel et modeste, négocié parcelle par parcelle. L'impuissance ou le refus de notre droit administratif à reconnaître comme porteurs d'une légitimité propre les liens contractuels qui tissent la réalité sociale le conduit à se raccrocher désespérément à des idoles vacillantes, seules aptes selon lui à fonder l'Etat de droit. La croyance qu'un urbanisme de qualité puisse, sur le long terme et au niveau de toute une commune, résulter d'un projet conçu par la puissance publique et consigné par elle dans un document, sans considération pour l'affectation actuelle des sols et la volonté contraire des administrés, est une de ces idoles ". 42 ( * )

Une concertation activement menée permettrait de mettre au jour les différents points de vue, avant de tenter de les concilier. Or, tout comme les procédures de concertation, les procédures de conciliation existantes sont peu utilisées.

Votre groupe de travail a ainsi constaté que la commission départementale de conciliation, est rarement réunie. En théorie, cette commission composée à part égale d'élus communaux et de personnalités qualifiées désignées par le préfet est susceptible de jouer un rôle important afin de résoudre les conflits. Selon l'article L.121-9 du code de l'urbanisme, elle peut formuler des propositions alternatives en matière d'élaboration des POS, des schémas directeurs ou de tout document d'urbanisme opposable aux tiers. La commission de conciliation pourrait être le pivot du nécessaire débat public préalable aux projets qui suscitent des controverses. Il serait cependant indispensable de revoir sa composition et les modalités de sa saisine.

Actuellement, la commission est divisée en deux collèges, l'un désigné par les maires et l'autre par le représentant de l'Etat. Il serait souhaitable d'y adjoindre des représentants des associations agréées de protection de l'environnement mentionnées à l'article L.252-1 du code rural et, le cas échéant, des spécialistes du droit de l'urbanisme ou des membres de la juridiction administrative n'appartenant pas à une formation compétente pour juger de l'affaire si elle fait l'objet d'un contentieux.

Il conviendrait, en outre, afin de faciliter le recours à cette procédure, d'élargir, selon des modalités qui restent à préciser, la faculté de recourir à la commission de conciliation aux citoyens ou aux personnes morales intéressées alors qu'elle ne peut actuellement être saisie que par les personnes publiques associées à l'élaboration des documents en cause, et qui ont émis un avis défavorable au projet de document qui leur a été soumis. Afin de ne pas allonger les procédures, l'intervention de la commission devrait se dérouler dans un délai n'excédant pas quelques mois.

b) Trouver des compromis acceptés par tous

La recherche de compromis négociés constitue un objectif essentiel pour la mise en oeuvre du droit de l'urbanisme.

Un recours obligatoire

Afin d'encourager les parties qui contestent les modalités d'un document d'urbanisme, à trouver un accord au lieu de recourir au juge, il faudrait rendre le recours à la commission de conciliation nécessaire avant toute action juridictionnelle ultérieure , au moins pour celles qui concernent les actes réglementaires. Une telle obligation permettrait, dans bien des cas, de définir les termes d'un compromis ou de transactions tels que les conçoit le code civil, dont l'article 2044 dispose que la transaction est un contrat écrit " par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ".

La procédure d'élaboration des documents de planification urbaine pourrait permettre de définir les bases d'un compromis entre les différentes parties intéressées, celles-ci renonçant, sur un point donné, à saisir le juge dès lors qu'elles obtiendraient satisfaction. Cette solution permettrait d'éviter qu'une association ne soutienne un point de vue à l'occasion de la concertation, et un autre devant le juge. Les concessions faites par les parties à la négociation seraient, en effet, actées à l'issue de celle-ci.

La définition de certaines notions contestées

Les compétences de la commission de conciliation pourraient également être étendues à la définition de notions complexes telles que les " hameaux " ou la " continuité " qui varient selon les régions. Actuellement, en zone rurale, l'interprétation de ces concepts relève quasi-exclusivement des services extérieurs de l'Etat. Il serait, selon votre groupe de travail, souhaitable qu'une commission d'experts du droit de l'urbanisme réunissant des représentants de l'Etat, des collectivités locales et des personnalités qualifiées puisse être saisie de ces questions en cas de divergence d'interprétation entre les élus locaux et la DDE, avant toute action contentieuse.

Suffisamment au fait des traditions locales pour être compétents et assez éloignés des demandeurs d'autorisations du sol pour n'être pas taxés de parti pris, les membres de la commission tenteraient de faire valoir un point de vue motivé, plus mesuré et plus soucieux des réalités de terrain que celui qui résulte d'une interprétation administrative a minima des termes de la loi. La consultation de cette commission, préalable, elle aussi, à la saisine du juge, pourrait, à n'en pas douter, éviter le recours à bien des procédures juridictionnelles et introduire la souplesse qui fait parfois défaut dans l'interprétation de la loi.

L'élaboration des plans d'exposition aux risques naturels

Les plans d'exposition aux risques naturels prévisibles (PPR), dont le régime a été réformé par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, délimitent les zones exposées et les techniques de prévention des risques naturels susceptibles d'y survenir. A cette fin, ils déterminent des servitudes d'inconstructibilité, prohibent certaines utilisations du sol ou imposent des mesures de prévention aux propriétaires des terrains concernés.

Les PPR sont élaborés par l'Etat , après consultation des communes intéressées et mise à l'enquête publique. Ils constituent " quasiment des documents d'urbanisme spéciaux " 43 ( * ) dont les dispositions sont annexées au plan d'occupation des sols. Dans certaines parties du territoire (notamment à proximité des fleuves, des falaises rocheuses et dangereuses ou de zones d'avalanches) l'extension de l'urbanisation pose de façon cruciale la question de la prévention des risques . Un conflit s'y fait sentir entre l'exigence de protection que réclament les citoyens et leur désir d'utiliser le sol pour y construire des logements ou des locaux destinés à l'exercice d'activités économiques.

Votre groupe de travail a constaté que les experts spécialistes de l'évaluation des risques sont, le plus souvent, des " hommes seuls " capables d'estimer l'aléa d'un risque toujours évolutif dont la survenance est incertaine et imprévisible. Ils s'interrogent d'ailleurs souvent sur la pertinence des méthodes qu'ils mettent en oeuvre et souhaiteraient pouvoir confronter leurs observations avec d'autres spécialistes et faire part de leurs doutes au public.

L'appréciation d'un risque est particulièrement difficile. Le signe même de cette difficulté est que le juge administratif n'exerce qu'un " contrôle minimum " sur le contenu du PPR. En d'autres termes, il ne sanctionne que l'erreur manifeste d'appréciation commise par les services de l'Etat chargés de l'élaboration de ce document. Ces services sont souvent enclins à donner aux zones à risque une extension maximale afin d'éviter toute erreur. Cette intention est louable. Cependant, beaucoup de citoyens et d'élus de communes concernées par un PPR estiment que le champ couvert par celui-ci est trop vaste et qu'il limite inutilement les possibilités de construire eu égard au risque encouru. De leur côté, les services compétents appliquent de façon d'autant plus rigoureuse la loi de 1995, qu'ils sont susceptibles de voir la responsabilité de leurs membres mise en cause en cas d'accident tragique consécutif à une erreur d'appréciation.

Votre groupe de travail estime que l'institution d'un débat public -dans un délai préétabli de quelques mois- susceptible de sensibiliser les citoyens aux risques avant l'édiction du PPR permettrait à l'opinion publique de mieux comprendre les enjeux en termes de sécurité . Il considère, en outre, comme souhaitable que le débat relatif au PPR soit préparé par une commission composée de représentants de l'Etat, des collectivités locales et des associations agréées afin que chacune de ces composantes puisse faire valoir les considérations divergentes qui concernent la préservation de la sécurité et l'utilisation du sol. En effet, si les experts peuvent donner une appréciation du risque encouru, ils n'ont nullement vocation à effectuer les arbitrages qu'il convient de prendre sur la base de leurs travaux.

2. Pour les actes individuels

Actuellement, les demandes de permis ne sont pas consultables. La seule formalité de publicité concerne le permis lui-même, lorsqu'il a été délivré. L'article R.421-39 du code de l'urbanisme prévoit, en effet, que la mention du permis doit être affichée sur le terrain de manière visible, à l'extérieur, par le soin du bénéficiaire, dès la notification de la décision d'octroi et pendant toute la durée du chantier. La publicité est donc principalement destinée à permettre aux tiers de déposer un recours devant la juridiction compétente.

Votre groupe de travail estime tout au contraire qu'il est indispensable d'améliorer la concertation préalable à la réalisation d'opérations d'urbanisme. Cette remarque vaut particulièrement pour les opérations importantes. C'est pourquoi, il conviendrait d'envisager que la demande de permis de construire les concernant soit consultable par toute personne y ayant intérêt dès son dépôt.

* 42 M. Jean-Pierre Demouveaux, " Motivation des POS, encore un effort " dans Etudes foncières, n°83, été 1999, page 20.

* 43 Expression de Jean-Bernard Auby et Hugues Périnet-Macquet dans Droit de l'Urbanisme, Paris, 1998, page 264.

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