INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

A l'occasion de l'examen des crédits de l'urbanisme inscrits au projet de loi de finances pour 1999, la Commission des Affaires économiques du Sénat a décidé de créer un groupe de travail consacré à la modernisation du droit de l'urbanisme. Ce groupe de travail était spécialement chargé d'envisager les modalités d'un renforcement de la décentralisation et d'un allégement de procédures jugées trop complexes.

Au cours de l'année 1999, les membres du groupe de travail ont, à l'occasion d'auditions et de déplacements effectués en Ardèche, en Haute-Savoie, dans les Pyrénées-Atlantiques, en Seine-Maritime et dans le Val-de-Marne, rencontré près d'une centaine d'interlocuteurs. Il ressort de ces entretiens que beaucoup reste à faire pour rendre plus souple et plus opérationnel un droit souvent obscur même si nul n'est, pourtant, censé l'ignorer.

Loin de prétendre réécrire à lui seul le code de l'urbanisme, votre groupe de travail a tenté, en partant de constats réalistes, de proposer des solutions pragmatiques. En matière de droit de l'urbanisme, il semble, en effet, que la capacité de réaliser une réforme soit inversement proportionnelle à l'activité déployée pour y parvenir ! C'est ainsi que la majorité des 35 mesures préconisées par le Conseil d'Etat dans un important rapport publié en 1992 sont, au pire, restées lettre morte ou, au mieux, encore à l'étude, ainsi qu'en témoigne l'annexe 2 du présent rapport. Cet exemple incite à la modestie...

C'est pourquoi votre groupe de travail souhaite que ses préconisations constituent, avant tout, une contribution à l'examen du projet de loi relatif à l'urbanisme, au logement et aux transports que le Sénat sera prochainement appelé à examiner.

CHAPITRE 1ER -

RÉNOVER LE RÉGIME DES DOCUMENTS
DE PLANIFICATION

I. BILAN DES TRANSFERTS DE COMPÉTENCES

L'article 59 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat a transféré, sous de strictes conditions, aux communes et à leurs groupements, compétence pour élaborer les schémas directeurs et les plans d'occupation des sols. Depuis lors, les actes relatifs au droit de l'urbanisme sont majoritairement pris dans le cadre décentralisé créé en 1983. Cependant, la décentralisation n'est pas parvenue à son terme. En effet, concrètement, une majorité des demandes d'autorisation d'occupation du sol sont instruites par les services déconcentrés de l'Etat, dans le cadre de la procédure de " mise à disposition ". En outre, bon nombre de communes -et notamment de petites communes rurales- n'ont pas, faute de moyens, élaboré de POS. Elles demeurent donc soumises à l'empire de la législation antérieure à 1983. Les procédures de mise en oeuvre du droit de l'urbanisme n'y sont nullement décentralisées.

A. L'URBANISME ET LES LOIS DE DÉCENTRALISATION

1. Une compétence transférée aux communes disposant d'un POS...

L'article L.421-2-1 du code de l'urbanisme prévoit que dans les communes où un plan d'occupation des sols a été approuvé, le permis de construire est délivré par le maire au nom de la commune. Celle-ci a la faculté de déléguer cette compétence à un établissement public de coopération intercommunale dont elle fait partie. Les autorisations ou actes relatifs à l'utilisation du sol concernant l'Etat demeurent cependant délivrés en son nom.

Dans les communes qui ne sont pas dotées d'un POS, les autorisations d'occupation du sol demeurent délivrées par le maire au nom de l'Etat. Le préfet peut, en conséquence, réformer ces décisions sans faire appel au juge.

2. ... qui peuvent bénéficier de la " mise à disposition " des services de l'Etat

L'article L.421-2-6 du code de l'urbanisme prévoit que le maire peut disposer gratuitement, en tant que de besoin, des services extérieurs de l'Etat pour effectuer l'étude technique des demandes de permis de construire sur lesquelles il a compétence, si l'instruction et la préparation de la décision lui paraissent justifier l'assistance technique de ces services. Le même texte dispose que pendant la durée de cette mise à disposition, les services et les personnels agissent en " concertation permanente " avec le maire qui leur adresse toutes instructions nécessaires pour l'exécution des tâches qu'il leur confie.

Concrètement, selon les informations émanant de la Direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction (DGUHC), le nombre moyen de fonctionnaires affectés dans les DDE aux services compétents en matière d'urbanisme est de 25 à 35 agents, pour les directions départementales de moins de 700 agents, de 50 à 60 pour celles dont le personnel est compris entre 700 et 1.200 agents, et de 75 à 85 pour les DDE de plus de 1.200 agents.

Comme le montrent les appréciations concordantes de plusieurs personnalités entendues par votre groupe de travail, la structure et la répartition par type d'emploi seraient susceptibles d'être renforcées dans les services d'urbanisme des DDE . Ce sentiment est d'ailleurs confirmé par les éléments statistiques fournis par la DGUHC, selon laquelle, dans ces services, les agents de catégorie A représentent 10 % du total des fonctionnaires, les agents de catégorie B, 35 % environ, et les agents de catégorie C, aux alentours de 55 %. Cette question est d'ailleurs indissociable du problème posé par " l'affaiblissement et le renouvellement des compétences du ministère de l'Equipement " 1 ( * ) que le conseil général des Ponts et Chaussées a souligné dans son dernier rapport annuel.

Actuellement, le système de " mise à disposition " est ouvert à toutes les communes quelles que soient leur taille. Une telle situation semble, pour le moins, inéquitable. Elle apparaît absurde si l'on considère que, dans les grandes communes, les autorisations d'occupation du sol sont traitées deux fois ! L'une par la commune et l'autre par l'Etat !

Votre groupe de travail estime qu'il convient donc de recentrer l'aide " en nature " que constitue la mise à disposition vers les petites communes qui ne sont pas dotées de services d'urbanisme aux compétences étoffées.

B. DES RÉSULTATS POSITIFS, SUSCEPTIBLES D'ÊTRE AMÉLIORÉS

L'analyse en termes statistiques des résultats obtenus depuis le vote des lois de décentralisation montre que parallèlement à la multiplication du nombre des plans d'occupations des sols, l'élaboration de schémas directeurs a connu un net essoufflement tandis que le nombre de " cartes communales " continue de croître de façon régulière . Cependant , le rôle de l'Etat demeure très important lors de la délivrance des autorisations individuelles en matière d'urbanisme . C'est pourquoi il convient d'envisager un renforcement des moyens des collectivités locales en la matière .

a) Documents de portée réglementaire

De trop rares schémas directeurs

Le schéma directeur est, par excellence, le document le plus approprié pour la gestion intercommunale de l'urbanisme. Il tend en effet, selon l'article L.122-1 du code, à fixer les orientations fondamentales de l'aménagement des territoires intéressés, compte tenu de l'équilibre qu'il convient de maintenir entre l'extension urbaine, l'exercice des activités agricoles, des autres activités économiques et la préservation de la qualité de l'air, des milieux, sites et paysages. Il prend en considération l'impact des pollutions et nuisances de toute nature ainsi que l'existence de risques naturels prévisibles et de risques technologiques. Il détermine également la destination générale des sols, la nature et le tracé des grands équipements d'infrastructure, en particulier de transport, la localisation des services et activités les plus importants. Il fixe enfin, au regard des prévisions en matière d'habitat, d'emploi et d'équipements, les orientations générales de l'extension de l'urbanisation et de la restructuration des espaces urbanisés et définit la capacité d'accueil des espaces urbanisés ou à urbaniser en tenant compte, notamment, de l'équilibre entre emploi et habitat ainsi que des moyens de transport et de la gestion des eaux.

Au 1 er juillet 1999 , le nombre de schémas directeurs s'élevait , à 255 . Sur ce total, 219 étaient en vigueur et 36 en cours d'élaboration . Le nombre total de ces schémas a connu un accroissement très modéré entre 1983 et 1999, passant de 177 à 219, ainsi que le montre le tableau ci-dessous.

EVOLUTION DU NOMBRE DE SCHÉMAS DIRECTEURS DE 1993 À 1999

Nombre de schémas

1/10/83

1/10/84

1/7/93

1/7/94

1/7/95

1/7/96

1/7/97

1/7/98

1/7/99

directeurs en vigueur

177

187

195

197

204

208

213

216

219

Source : DGUHC

On constate en outre que la majorité des schémas directeurs existants sont désormais obsolètes. Selon une personnalité rencontrée par votre groupe de travail, sur 219 schémas, environ 150 devraient être révisés !

La population totale des zones auxquelles s'appliquent les 219 schémas directeurs précités (D.O.M. compris) s'élève à 23.513.000 habitants , soit 39 % de la population française. La superficie couverte par ces schémas est de 78.759 km², soit 12 % du territoire national et 14 % du territoire métropolitain . Ils concernent 6.267 communes, soit 17% de l'ensemble des communes françaises .

Un nombre important de POS qui demeurent cependant trop instables.

Le plan d'occupation des sols (POS) permet à la commune de gérer de façon fine la répartition des différents espaces qui la composent. Aux termes de l'article L.123-1 du code de l'urbanisme, le POS fixe, dans le cadre des orientations des schémas directeurs ou des schémas de secteur, les règles générales et les servitudes d'utilisation des sols, qui peuvent notamment comporter l'interdiction de construire.

Il doit également, en prenant en compte la préservation de la qualité des paysages et la maîtrise de leur évolution :

- délimiter des zones urbaines ou à urbaniser au vu des besoins en matière d'habitat, d'emploi, de services et de transport des populations actuelles et futures ;

- déterminer l'affectation des sols selon l'usage principal qui doit en être fait ou la nature des activités dominantes susceptibles d'y être exercées ;

- définir, en fonction des situations locales, les règles concernant le droit d'implanter des constructions, leur destination et leur nature ;

- déterminer les règles concernant l'aspect extérieur des constructions, leurs dimensions et l'aménagement de leurs abords ;

- fixer pour chaque zone ou partie de zone un ou des coefficients d'occupation des sols qui déterminent, éventuellement, la densité de construction qui y est admise ;

- délimiter les zones ou parties de zones dans lesquelles la reconstruction sur place ou l'aménagement de bâtiments existants pourra, pour des motifs d'urbanisme ou d'architecture, être imposé ou autorisé et fixer la destination principale des immeubles à restaurer ou à réhabiliter ;

- préciser le tracé et les caractéristiques des voies de circulation à conserver, à modifier ou à créer ;

- identifier et localiser les éléments de paysage et délimiter les quartiers, rues, monuments, sites et secteurs à protéger ou à mettre en valeur pour des motifs d'ordre esthétique, historique ou écologique et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur protection ;

- fixer les emplacements réservés ;

- localiser, dans les zones urbaines, les terrains cultivés à protéger et inconstructibles ;

- délimiter les zones dans lesquelles pourront s'implanter les magasins de commerce de détail dont l'octroi du permis de construire ou la réalisation sont soumis à autorisation préalable de la commission départementale d'urbanisme commercial.

Comme le montre le graphique ci-après, le nombre de plans d'occupation des sols a connu une forte augmentation , passant d'environ 8.700 en 1984 à environ 15.500 en 1999. Ces documents sont cependant loin de couvrir l'ensemble des 36.000 communes françaises.

NOMBRE DE COMMUNES COUVERTES PAR UN POS O

Source : DGUHC

Désormais le nombre de POS approuvés chaque année est d'une centaine environ, alors qu'il était dix voire douze fois plus important à la fin des années 80, comme le montre le graphique ci-après .

La population totale résidant en zone couverte par un plan d'occupation des sols s'élève à 52,5 millions d'habitants , soit 87 % de la population française totale. L'importance de la population concernée ne doit cependant pas masquer les fortes disparités qui caractérisent la situation du pays. Plus de la moitié des communes ne sont pas couvertes par un POS. En effet, ce document est adapté aux zones densément peuplées. Il s'avère, en revanche, beaucoup trop lourd pour les communes des régions dont la densité de population est faible. Cette disparité caractérise d'ailleurs les départements dans lesquels votre groupe de travail s'est rendu, ainsi qu'il ressort du tableau ci-après.

NOMBRE DE PLANS D'OCCUPATION DES SOLS
RAPPORTÉ AU NOMBRE DE COMMUNES
DANS QUELQUES DÉPARTEMENTS FRANÇAIS

ARDÈCHE

PYRÉNÉES ATLANTIQUES

HAUTE-SAVOIE

SEINE-MARITIME

VAL-DE-MARNE

Nombre de POS

138

106

204

348

46

Nombre de communes

339

545

293

745

47

Soit, en %

41 %

20 %

70 %

47 %

98 %

Notons en outre que les plans d'occupations des sols sont marqués par une instabilité quasi chronique. Au 1 er janvier 1999, plus de 34 % des POS étaient en révision ! Certes, le POS a vocation à changer pour s'adapter aux besoins des communes. Encore faut-il qu'il le fasse après un délai raisonnable. L'instabilité est néfaste dès lors qu'elle est pathologique et rend la norme d'urbanisme totalement incertaine pour les habitants de la commune qui sont ses destinataires et ses sujets.

Votre groupe de travail s'interroge sur la possibilité de faciliter les " révisions partielles " qui, sans affecter les orientations générales du projet communal, permettent de donner une certaine souplesse dans sa mise en oeuvre, en allant plus loin que la simple " modification " prévue par le code de l'urbanisme.

Les modalités d'application du règlement national d'urbanisme (MARNU)

Afin d'assouplir les modalités d'application de la règle de constructibilité limitée dans les petites communes qui ne souhaitent ou ne peuvent se doter d'un POS, l'article L.111-1.3 du code de l'urbanisme prévoit qu'il leur est loisible de préciser, conjointement avec le préfet, les modalités d'application du règlement national d'urbanisme (MARNU). Dans les communes ne disposant pas d'un POS, les constructions ou installations peuvent être autorisées par le représentant de l'Etat ou par le maire au nom de l'Etat si le conseil municipal a, conjointement avec le représentant de l'Etat, précisé les modalités d'application des règles générales d'urbanisme spécifiquement applicables à la montagne ou au littoral, prises en application de l'article L.111-1 sur tout ou partie du territoire de la commune. Le projet ne doit pas être contraire aux objectifs généraux de protection du territoire visés à l'article L.110 du même code, ni à ses autres dispositions ou aux directives territoriales d'aménagement précisant leurs modalités d'application.

Les MARNU s'appliquent sur le territoire d'une commune pendant une durée maximale de quatre ans à compter de la date à laquelle le conseil municipal les a précisées. A l'expiration de ce délai, les MARNU, souvent appelées " cartes communales " du nom de la procédure existant avant 1983, n'ont plus de valeur juridique. Initialement élaborées dans un esprit pédagogique -afin de faire comprendre aux pétitionnaires les motifs des réponses faites à leurs demandes d'autorisation d'occupation du sol- les MARNU se sont vu reconnaître une force juridique contraignante par la jurisprudence administrative. Le Conseil d'Etat a, en effet, jugé qu'elles étaient susceptibles de recours contentieux et, surtout, que les prescriptions qu'elles contenaient étaient opposables aux tiers 2 ( * ) . En 1999, 2.288 MARNU étaient en vigueur et 588 en cours d'élaboration.

b) Actes individuels

Lorsqu'une commune dispose d'un POS en vigueur, le maire délivre en son nom les autorisations d'utilisation du sol et en particulier les permis de construire. Dans les autres cas, ce permis est également délivré par le maire, mais au nom de l'Etat . Comme le montre le tableau ci-dessous, les 4/5 ème des permis de construire sont désormais signés dans le cadre de la procédure décentralisée . Ils correspondent à 87 % des logements construits .

DÉLIVRANCE DES AUTORISATIONS D'OCCUPATION DU SOL

Au 1 er juillet

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

Nombre de communes compétentes

14 230

14 540

14 790

14 985

15 125

15 240

15 330

Population correspondante (millions d'habitants)

50,6

51

51,35

51,7

52

52,25

52,5

% de permis de construire décentralisés

79,8

80,3

80,7

80,4

80

80,1

ND

% de logements autorisés correspondants

84,5

86,1

86,7

85,8

86,2

86,9

ND

ND : données statistiques non encore disponibles.

Source : DGUHC

Pour votre groupe de travail, il convient de mettre un terme à la situation qui se caractérise par une forme d'omniprésence de l'Etat. Que celui-ci assure du mieux qu'il peut un contrôle de légalité qui, de l'aveu même des services d'inspection du ministère de l'Equipement, laisse à désirer. Le Conseil général des Ponts et Chaussées ne relevait-il pas récemment : " la nécessité de définir des règles communes entre préfet et DDE " pour le choix des dossiers soumis à ce contrôle, avant de souligner que " l'évolution de la jurisprudence peut laisser craindre l'émergence d'une notion de défaut d'exercice du contrôle de la légalité " 3 ( * ) ! Inversement, la même autorité constate que les prestations fournies par les agents " mis à disposition " des communes pourraient s'améliorer. En effet, si, selon elle, " le travail des agents d'instruction eux-mêmes est mené avec sérieux [...], trop souvent le manque de soutien de la part du subdivisionnaire, comme l'absence quasi-générale d'un contrôle hiérarchique organisé et régulier, nuisent à la sécurité juridique des propositions adressées aux maires " 4 ( * ) . C'est pourquoi il importe désormais que l'Etat se recentre sur la mission de " contrôle administratif et du respect des lois " que lui reconnaît le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution.

Les collectivités locales ont d'ailleurs d'ores et déjà créé des structures leur permettant de bénéficier d'une réelle expertise en matière d'urbanisme à l'instar de " syndicats de moyens " qui mettent des agents au service des collectivités concernées.

Il serait, en conséquence, utile que l'Etat apporte son soutien aux " syndicats de moyens " qu'ont créé certaines collectivités afin de mettre en commun des compétences en matière d'urbanisme. Ce soutien financier pourrait, entre autres, consister en l'attribution d'une fraction de la dotation générale de décentralisation.

* 1 Rapport annuel sur l'inspection générale des services 1999 du Conseil général des Ponts et Chaussées, page 8.

* 2 CE, section, 22 juillet 1992, Syndicat viticole de Pessac et Léognan, Recueil p. 297.

* 3 Rapport précité, pages 33-34.

* 4 Ibidem p. 32.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page