II. ALLÉGER DES PROCÉDURES TROP PESANTES

Le droit de l'urbanisme est le droit du paradoxe. Droit centralisé, qui régit des procédures décentralisées ou déconcentrées, il repose sur l'application des mêmes règles en Bretagne, en Alsace et en Provence. Fondé en théorie sur le principe d'économie du territoire, il ne permet cependant pas de gérer de façon souple les conflits d'usages qui résultent en permanence de l'appropriation du sol. Entre le " gel " des espaces naturels et assimilés, destiné à assurer une protection absolue, et le laisser aller le plus nonchalant -notamment à proximité des villes- il ne parvient pas définir, puis à maintenir un juste équilibre.

Cette situation résulte en partie de la complexité d'un code dont la perpétuelle modification rend l'application incertaine. Comme le relevait le Président Jean François-Poncet, en matière d'urbanisme plus qu'en tout autre, trop de loi tue la loi 21 ( * ) . Seul l'octroi d'une plus grande marge d'appréciation au bénéfice des collectivités locales permettrait de résoudre ces problèmes.

A. UNE DÉCENTRALISATION QUI NE DIT PAS SON NOM

Comme on l'a vu ci-dessus, l'Etat intervient largement, par le biais de ses services déconcentrés, dans la délivrance -juridiquement décentralisée- des autorisations d'occupation du sol.

Bien que rien ne les y oblige, certains départements ont pris le relais de l'Etat afin de soutenir les communes dans leur politique urbanistique.

A titre d'exemple, on retiendra que dans le Haut-Rhin , l'Association pour le développement et l'habitat (ADAUHR) a été créée dès 1984 par le Conseil général et par l'Association des maires afin d'assurer la cohérence de la politique d'urbanisme et de l'aménagement et d'apporter une aide et un conseil aux collectivités locales en matière d'application du droit des sols. Elle gère également un service d'assistance aux maîtres d'ouvrages publics pour les accompagner dans la définition des équipements publics, les aménagements paysagers et urbains et les programmes locaux de l'habitat. Son action concerne tout particulièrement les petites communes. Employant 68 salariés, cette association dispose d'un budget de fonctionnement de 25 millions de francs, financé par le Conseil Général.

Dans les Pyrénées-Atlantiques , les collectivités locales apportent à l'agence d'urbanisme 3 millions de francs de subventions qui viennent s'ajouter aux 800.000 francs de contrats émanant de commanditaires et aux 600.000 francs de subventions provenant de l'Etat. Celui-ci contribue donc pour moins de 14 % au budget total de cette agence, qui s'élève à 4,4 millions de francs par an.

Cette situation n'a rien d'exceptionnel, puisque les 39 agences d'urbanisme existantes en France sont essentiellement financées par les collectivités locales qui les ont fondées. Certes, l'Etat leur accorde en moyenne une subvention correspondant à 15 % de leur budget, mais les 85 % restant sont pris en charge par les structures intercommunales, les départements et les régions. Le total des crédits inscrits au titre des subventions aux agences d'urbanisme au budget du ministère de l'Equipement en 2000 s'élève à 58 millions de francs tant en autorisations de programme qu'en crédits de paiement (chapitre 65-23 article 40) pour tout le pays !

Les agences d'urbanisme ont un champ d'intervention très étendu qui couvre, outre l'urbanisme, la planification et l'aménagement du territoire, l'habitat et le logement, le développement économique et social, les paysages, l'environnement, les loisirs et le tourisme, la formation, la culture et la communication et même la coopération transfrontalière. Chargées de diverses missions d'étude des réalités départementales, d'avis, de conseil et de réflexion, les agences d'urbanisme sont appelées à jouer un rôle essentiel dans la mise en oeuvre d'une politique de gestion de l'espace cohérente et décentralisée.

Comme on le voit, si l'Etat souhaite conserver la haute main sur les procédures soit directement, soit par le jeu plus subtil de la " mise à disposition ", il se satisfait fort bien de l'accroissement de l'engagement financier des collectivités locales au fil du temps. Ne serait-il, cependant, pas temps désormais de mettre le droit en accord avec le fait et de donner aux collectivités locales qui n'en disposent pas encore des compétences plus étendues ?

B. UNE MARGE D'APPRÉCIATION LOCALE ENCORE INSUFFISANTE

Comme on l'a vu ci-dessus, les communes peuvent délivrer les autorisations d'occupation du sol en leur nom propre dès lors qu'elles se sont dotées d'un plan d'occupation des sols. D'apparence très libérale, cette règle rend toute décentralisation impossible pour les petites communes qui restent confrontées, comme avant 1983, au bon vouloir -ou au bon plaisir- des services déconcentrés du ministère de l'Equipement . En la matière, la décentralisation a dix-sept ans de retard !

1. Certaines communes ne peuvent élaborer de POS...

Le coût d'un plan d'occupation des sols excède manifestement les facultés de certaines petites communes, dont il dépasse parfois le montant du budget annuel . Est-il d'ailleurs nécessaire, quand bien même ces communes en auraient les moyens, de les astreindre à établir un document volumineux, complexe, conçu en réalité pour gérer des territoires où s'exerce une forte pression foncière ? Une commune où le nombre de demandes de permis de construire se compte sur les doigts d'une main n'a, à l'évidence, pas besoin d'établir un document aussi lourd qu'un POS. Ceci ne signifie cependant nullement qu'elle ne puisse élaborer un schéma d'urbanisme allégé dont le régime juridique reste à définir, ainsi qu'on le verra ci-dessous.

La question de l'élaboration du POS est cruciale pour les communes rurales. En effet, l'article L.111-1-2 du code dispose qu'en l'absence de POS, les possibilités de développement de la commune sont, hors des parties urbanisées de la commune, limitées :

- à l'adaptation, la réfection ou l'extension des constructions existantes ;

- aux constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs, à l'exploitation agricole, à la mise en valeur des ressources naturelles et à la réalisation d'opérations d'intérêt national ;

- aux constructions et installations incompatibles avec le voisinage des zones habitées et l'extension mesurée des constructions et installations existantes ;

- aux constructions ou installations, sur délibération motivée du conseil municipal, si celui-ci considère que l'intérêt de la commune le justifie, dès lors qu'elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la salubrité et à la sécurité publique, qu'elles n'entraînent pas un surcroît important de dépenses publiques et que le projet n'est pas contraire aux objectifs généraux de protection du territoire, et aux dispositions des lois " montagne " et " littoral ", disposition qui n'est jamais utilisée...

Ainsi, la difficulté qui tient à l'élaboration d'un POS a pour effet de laisser la gestion des questions de l'urbanisme entre les mains de l'Etat.

2. ... et souhaitent en finir avec le " bon plaisir " de l'Etat

Dix-sept ans après le vote des lois de décentralisation, les élus locaux ont quelque peine à comprendre pourquoi les procédures relatives à l'urbanisme applicables au territoire dont ils ont la charge ne sont toujours pas décentralisées. Comme l'observait un interlocuteur rencontré par votre groupe de travail, il semble au surplus que certains services déconcentrés de l'Etat cherchent davantage à obtenir " une certaine résignation " des élus dans l'élaboration des documents d'urbanisme qu'un réel assentiment aux conclusions qui résultent d'une bonne négociation entre des parties.

Les modalités d'établissement des " cartes communales " sont d'ailleurs caractéristiques de cet état de fait.

Votre groupe de travail l'a constaté : ces cartes sont, pour l'essentiel, élaborées par la DDE qui souligne aux élus leur caractère pédagogique avant de leur signifier, dans bien des cas, que le projet qui leur est soumis est " à prendre ou à laisser ". Une telle situation est particulièrement inacceptable : au même titre que la fiscalité ou la politique sociale communale, la question de l'urbanisme constitue une question politique qui doit être gérée par les élus et soumise au contrôle de légalité dans les conditions de droit commun.

3. La " confusion des rôles " au sein des services de l'Etat

Il apparaît à votre groupe de travail que l'exercice par l'Etat du triple rôle de conseiller, de contrôleur et, parfois, de maître d'oeuvre a désormais plus d'inconvénients que d'avantages . Les élus locaux ont quelque peine à concevoir que les services de la DDE les aident à élaborer le projet de POS et défèrent ultérieurement ce document au juge dans le cadre du contrôle de légalité.

De même, en matière de délivrance des autorisations d'occupation du sol, certains services extérieurs se trouvent en porte-à-faux à cause du manque de moyens en personnel. En effet, les agents qui sont mis à la disposition gratuite du maire pour étudier les demandes de permis de construire relèvent du même service déconcentré que ceux qui sont ultérieurement chargés d'effectuer le contrôle de légalité de ces mêmes actes. Dès lors, la préparation des arrêtés accordant le permis de construire fournit à l'Etat l'occasion d'exercer un " contrôle de légalité par anticipation ".

Selon des informations parvenues à votre groupe de travail, dans certains départements, les services instructeurs ont même reçu l'instruction de ne pas préparer les arrêtés accordant le permis de construire dès lors qu'ils en estiment le dispositif illégal. Que reste-t-il dans ces conditions, du principe posé par l'article L.421-2-6 du code de l'urbanisme aux termes duquel les services et les personnels reçoivent du maire toutes les instructions nécessaires à l'exécution des tâches qu'il leur confie ?

Pour votre groupe de travail, il convient de mettre un terme à la confusion des rôles qui prévaut car elle est très préjudiciable à la décentralisation.

La jurisprudence administrative ayant souligné que les interventions des services déconcentrés dans les affaires intéressant les collectivités locales " ne doivent pas nuire à l'activité normale et légitime des techniciens privés " 22 ( * ) , n'est-il enfin pas temps de revoir les conditions dans lesquelles l'Etat, contrôleur de la légalité, se mue en fournisseur de prestations rémunérées à ces collectivités locales ? Cette question mérite, à n'en pas douter, un débat approfondi qui dépasse le strict cadre du rapport de votre groupe de travail. La confusion des rôles survient d'ailleurs, au sein même de l'Etat, lorsque des services déconcentrés relevant d'administrations centrales différentes font une application variable de la même règle de droit.

4. La question du changement d'affectation

Le changement d'affectation des bâtiments pose également des problèmes récurrents, aussi bien en zone urbaine qu'en zone rurale, du fait de la rigidité de la législation.

L'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation

En zone urbaine, les dispositions de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation sont manifestement trop rigoureuses. Strictement interprété par la juridiction administrative, ce texte dispose, en effet, que les locaux à usage d'habitation ne peuvent, sauf dérogation délivrée par le préfet, être affectés à une autre usage, ni transformé en meublés, hôtels, pensions de famille ou autres établissements similaires. En outre, la dérogation susceptible d'être accordée par le préfet ne vaut qu'à titre personnel pour celui qui en est bénéficiaire.

Cette condition est source de grandes difficultés. En effet, elle interdit que tout changement d'affectation devienne définitif en cas de changement de propriétaire, même si, le cas échéant, les transformations autorisées ont donné lieu à une compensation financière. Elle pose notamment problème aux entrepreneurs qui exercent leurs activités à domicile afin de limiter leurs coûts de fonctionnement.

L'application de cette règle crée aussi des difficultés aux communes qui ne trouvent pas preneur. Tel est, par exemple, le cas d'une collectivité souhaitant transformer une maison de maître en conservatoire de musique et qui doit, pour ce faire, recueillir l'assentiment du préfet !

Votre groupe de travail s'interroge, en conséquence, sur la possibilité de modifier l'article L.631-7 précité afin d'assouplir la condition selon laquelle toute dérogation est octroyée à titre personnel, dès lors que l'activité en question n'occasionne pas de nuisances pour le voisinage ou l'environnement. Il serait, en outre, souhaitable que cette condition soit levée lorsque le changement d'affectation a pour objet de faciliter l'exercice d'une activité d'intérêt général, ou un service public local qui n'occasionne aucune gêne au voisinage.

Le changement d'affectation en zone rurale

En zone rurale, le changement d'affectation d'un bâtiment est encore plus délicat. Votre groupe de travail a ainsi observé, sur le terrain, le cas de deux granges voisines soumises à des règles différentes selon que leur propriétaire agriculteur était ou non en activité. La première était susceptible de changer d'affectation, car elle était possédée par un exploitant en activité désireux de diversifier celle-ci. La seconde, en revanche, bien que constituée d'un bâtiment voisin du précédent et en meilleur état, ne pouvait pas bénéficier d'un permis de construire pour changement d'affectation, au motif que l'agriculteur qui la possédait avait pris sa retraite.

Certes, les dispositions du code de l'urbanisme relatives à la réhabilitation des chalets d'alpage qui résultent de la loi du 9 février 1994 ont apporté une amorce de solution à ce problème. Elles prévoient que sous réserve de l'avis de la commission des sites, ces chalets peuvent être réhabilités, restaurés ou reconstruits.

On notera, cependant, que selon des témoignages concordants recueillis par votre groupe de travail, les services déconcentrés du ministère de l'Equipement appliquent avec une rigueur variable selon les départements, l'article L.145-3-I du code de l'urbanisme relatif à la restauration des chalets d'alpage. Cette pratique est d'autant plus surprenante qu'une circulaire n° 96-66 du 19 juillet 1996 émanant du ministère de l'Equipement a clairement souligné " l'intérêt d'une politique affirmant la valeur patrimoniale des chalets d'alpage au regard de l'animation du secteur économique local ".

Votre groupe de travail estime nécessaire que le Gouvernement insiste auprès de ses services extérieurs afin qu'ils appliquent réellement l'article L.145-3-I précité, dans l'esprit de la circulaire précédemment évoquée.

D'un point de vue plus général, votre groupe de travail estime que l'élaboration de plans d'occupation des sols dans certaines petites communes a parfois des effets pervers en matière de changement d'affectation des bâtiments ou de reconstruction de bâtiments en ruine. En effet, la création de zones non constructibles " " NC ") crée souvent de réels problèmes en interdisant toute diversification des activités agricoles. C'est ainsi qu'une ferme-auberge -n'ayant pas un caractère exclusivement agricole- ne peut être construite en zone NC. En l'occurrence, la seule application des dispositions du règlement national d'urbanisme serait, paradoxalement, moins rigoureuse que celles d'un POS dont les auteurs n'ont, dans la plupart des cas, nullement l'intention d'interdire la diversification des activités agricoles. Ils se trouvent " pris au piège " d'un document d'urbanisme dont ils ne prévoyaient pas tous les effets lorsqu'ils l'ont adopté.

La solution à cette question pourrait, selon votre groupe de travail, consister en l'adjonction d'une nouvelle exception à l'article L.111-1 du code de l'urbanisme -qui fixe la liste des constructions qu'il est possible de créer en dehors des parties urbanisées de la commune- et visant les reconstructions ou les changements d'affectation de bâtiments situés en zone d'habitat dispersé ainsi que la construction de bâtiments destinés à contribuer au développement de " l'économie rurale " en général outre les activités agricoles.

* 21 Jean François-Poncet, " Urbanisme et activité, rationaliser l'aménagement du territoire " dans Revue Parlementaire, n° 831, 2000.

* 22 Tribunal administratif de Besançon, M. Monnot c/ commune de Boussières, 22 juillet 1999, n° 97 232.

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